Soumis par ICConline le
- « Nous ne voulons pas payer pour leur crise ! » est le slogan qui a été adopté par le mouvement des étudiants dans toutes les villes italiennes.
Les attaques de la bourgeoisie
Le monde de l'école et des universités est retourné massivement dans la rue en Italie le 14 novembre, après les gigantesques manifestations du 25 octobre rassemblant des centaines de milliers de personnes en opposition au décret Gelmini et quarante ans après les formidables mouvements qui ont ébranlé le monde entier à partir de mai 1968 en France - et des luttes de 1969 en Italie. Au niveau de l'enseignement, le décret Gelmini est surtout contesté à cause des coupes budgétaires qu'il impose dans l'Education nationale et des conséquences de ces restrictions sur la baisse de qualité de l'enseignement. De fait, la nécessité de faire des économies sur les dépenses scolaires implique en général :
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la réduction du temps passé dans les crèches et les écoles primaires ;
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la réduction drastique de personnel (touchant à la fois les postes enseignants, administratifs et techniques), le non-renouvellement des contrats et la réduction des horaires de travail : 87 000 enseignants précaires et 45 000 travailleurs de l'ABA (équivalent des ATOS en France) ne seront plus réembauchés ;
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l'augmentation du nombre d'élèves par classe ainsi qu'une disparition des enseignements techniques et de la deuxième langue étrangère dans les écoles secondaires ;
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la réduction des horaires dans les lycées techniques et autres établissements de formation professionnelle.
Au niveau universitaire, à côté de toutes les fariboles que raconte le gouvernement pour détourner l'attention des questions de fond, il faudrait subir :
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des réductions des fonds de financement de l'université dans le budget de l'Etat. Ces coupes s'élèvent à plus de 500 millions d'Euros dans le prochain plan triennal ;
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une réduction du renouvellement du personnel universitaire pour les années 2010 et 2011 - qui se traduit par une économie de 20% des dépenses relatives au personnel partant en retraite (une seule embauche pour 5 départs à la retraite) ;
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des mesures préparatoires à la transformation de l'université publique en Fondations alimentés par des fonds privés.
Ce sont les éléments essentiels de la manœuvre du gouvernement qui suffisent à démolir tout l'édifice de l'instruction publique en Italie ; car il ne s'agit pas tant de lois qui se limitent, comme par le passé, à restructurer ce secteur, mais qui font purement et simplement disparaître une partie de ces structures en réduisant à néant le personnel et les ressources. C'est justement contre cela que s'insurgent aussi bien les personnels qui y travaillent (surtout les jeunes travailleurs précarisés) que l'ensemble des étudiants qui voient justement dans la réforme Gelmini et dans toute la manœuvre financière du gouvernement Berlusconi une attaque contre leur avenir. De fait, avec la baisse de qualification qui s'en suivra dans le monde de l'éducation, il ne pourra y avoir d'avenir que pour ceux qui auront les moyens de se l'acheter en allant dans les écoles et les universités privées. Par exemple, la transformation possible des universités en fondations, au-delà de la querelle sur le choix entre le privé et le public, « constitue un signal sans équivoque du désengagement progressif de l'Etat dans son rôle de financement du système universitaire public qui est la garantie de la possibilité pour tous d'accéder aux niveaux de formation les plus élevés »2.
Ce sentiment d'absence d'avenir est d'autant plus présent dans le mouvement actuel des étudiants et des précaires qu'il se déroule sur toile de fond d'une crise économique qui se manifeste dans cette période avec des aspects inédits et tout à fait préoccupants.
De ce point de vue, il faut reconnaître que ce mouvement des étudiants et des précaires tire sa plus grande force de la reconnaissance que l'attaque actuelle du gouvernement est due à la crise économique qui frappe actuellement l'Italie et le monde entier. En ce sens, le mouvement actuel en Italie se situe dans la continuité du mouvement des étudiants français qui se sont mobilisés en 2006 contre la loi qui voulait introduire le CPE (contrat première embauche) qui, si elle avait été approuvée, aurait permis d'imposer aux jeunes des conditions de travail bien pires que les conditions actuelles. Ce n'est pas par hasard si le mot d'ordre qui unifie tout le mouvement des étudiants et des précaires aujourd'hui en Italie est : « Nous ne voulons pas payer pour la crise ! », expression de la volonté d'aller de l'avant sans se faire berner par tous les discours trompeurs du style : « Il faut donner un coup de main à la nation dans ces moments difficiles » ou : « Il faut que chacun contribue à aider l'Etat en acceptant les sacrifices », etc.
Cette volonté de se battre globalement pour un avenir meilleur se traduit aussi dans d'autres aspects. Par exemple, dans le fait que, contrairement à d'autres luttes par le passé, en particulier, celles de 1968, il n'y a pas d'antagonisme ni de conflit de générations entre étudiants et enseignants, mais plutôt une tendance à lutter tous ensemble.
Les pièges tendus au mouvement
Cependant, le mouvement qui s'est exprimé dans la rue présente une série de faiblesses que la bourgeoisie utilise consciemment pour le faire échouer. Un des problèmes est un certain flou dans les buts et les perspectives que s'est donnée cette mobilisation. Alors que la maturité qu'a montrée le mouvement des étudiants en France avait été favorisée par l'attaque frontale portée par le gouvernement, en Italie, le caractère plus indirect et sectoriel de l'attaque a été un obstacle à une prise de conscience plus prononcée. C'est vrai, comme on l'a dit plus haut, qu'un élément qui favorise le mouvement est la crise dans laquelle s'enfonce l'économie nationale et mondiale. Mais quelle lecture fait-on de cette crise aujourd'hui ? Une crise financière due à des spéculateurs sans scrupule ? Une crise liée à une consommation excessive ou à une population mondiale en excès ? Une crise liée à l'invasion du marché mondial par la Chine ? Ou n'est ce pas plutôt une crise insoluble du système dans lequel nous vivons ?
Il est clair que selon l'interprétation qu'on en a, on peut alimenter l'illusion que les gouvernements du monde passent aux mains des Obama, Veltroni, des partis de gauche en général qu'on nous présente comme « le bon camp » pour gérer le capitalisme et la société, comme des gouvernants justes et équitables. Sur cette question, il y a toute une propagande médiatique sur les infamies de la loi Gelmini, « ministre suppôt du détestable Berlusconi », « responsable de vouloir détruire l'école publique » et de « vouloir la remettre dans les mains du privé ». Il ne fait aucun doute que les mesures du gouvernement Berlusconi sont draconiennes et que l'école et l'université sont durement frappées. Mais il faut sortir de la logique selon laquelle le gouvernement de droite aurait fait cela pour affaiblir un secteur politiquement contestataire, dangereux et camoufler la transformation de l'école publique en école du régime, alors qu'au contraire un gouvernement de gauche n'aurait jamais touché ce secteur1.
A part l'illusion que sème ce discours sur le fait qu'il pourrait réellement exister au sein de cette société un enseignement impartial, apolitique, avec une culture indépendante de la transmission des valeurs de l'idéologie dominante, la réalité est que quel que soit le parti au gouvernement, il ne peut que venir au secours de l'économie capitaliste en crise et ne peut que porter des attaques féroces contre la population exploitée. Il est vrai que le gouvernement Berlusconi, avec sa grossièreté, a eu la main lourde, mais il ne faut pas se laisser bercer par l'illusion de croire que tout cela ne serait qu'une basse manœuvre politique et ne correspondrait pas à une nécessité absolue pour l'Etat bourgeois d'obliger les prolétaires à se serrer la ceinture.2
Mais les pièges ne s ‘arrêtent pas là ! Parce que la dynamique de lutte qui se développe dans le mouvement des écoles et de l'université commence justement à inquiéter la bourgeoisie, celle-ci a commencé à développer d'autres moyens de défense. D'abord, Berlusconi a commencé à parler de la nécessité d'empêcher les étudiants d'occuper les établissements scolaires et les universités, disant qu'il aurait donné des instructions précises au ministre de l'intérieur pour le faire.
Ainsi, le 29 octobre sur la place Navona, où un groupe de militants de droite néo-fasciste a provoqué un affrontement avec les étudiants qui participaient à la manifestation. Derrière cela, il y a la marque provocatrice de l'Etat qui tente de faire resurgir un climat de confrontation sur le terrain fascisme-antifascisme et de faire renaître la même terreur que dans les années 1980 à travers une série d'infiltrations et de provocations policières Avant et après l'épisode de la place Navona, on ne compte plus les épisodes de provocations faites par des bandes de néo-fascistes qui essaient de déplacer la confrontation sur le plan physique, de façon à ce qu'on puisse ensuite retomber au niveau de la défense de simples revendications démocratiques et de respect de la légalité et de l'ordre, tout à fait dans la logique manipulatrice préconisée par l'ancien président Cossiga (voir son interview dans l'article «Sabotage des lignes SNCF : des actes stériles instrumentalisés par la bourgeoisie contre la classe ouvrière » sur notre site www.internationalism.org.fr).
Heureusement, le mouvement a réagi sainement face à ce piège, et cela en de nombreuses occasions ; en témoignent aussi les différentes vidéos qui sont apparues récemment et publiées sur les blogs ; les participants au mouvement ont pris conscience du danger de se laisser entraîner dans ce faux affrontement avec les fascistes et qu'il fallait rester fermement enraciné dans la lutte sur le fond que développe le mouvement.
Les perspectives du mouvement
Le mouvement, qui reste actif et vivant, même après l'approbation définitive au Sénat de la loi qui avait été l'élément déclencheur de sa lutte, fait preuve d'une volonté de lutter qui n'est pas éphémère mais est l'expression d'une profonde souffrance provoquée par une misère sociale grandissante.
Même si pour le moment, nous ne sommes pas en mesure de prévoir ce que sera l'issue de ce mouvement, nous pensons que des mouvements de ce genre ont un rôle important parce que la situation économique, politique et sociale en est arrivée à un seuil intolérable de dégradation des conditions de vie.
Si le mouvement actuel n'a pas atteint la maturité du mouvement français contre le CPE puisque n'ont pas émergé des assemblées générales massives avec des délégués élus et révocables à tout moment en leur sein, s'il n'y a pas une conscience claire de la nécessité de se relier aux autres secteurs en lutte, ce mouvement a cependant exprimé :
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une nette indépendance vis-à-vis des partis et syndicats, tout en ne tombant pas dans l'illusion mensongère de l'apolitisme ;
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une préoccupation explicite de faire comprendre à l'ensemble des prolétaires le sens de la lutte qui s'exprime non seulement à travers des manifestations, des slogans ou des pancartes, mais aussi à travers les « leçons dans la rue » faites par des enseignants avec la participation de nombreux groupes d'étudiants, les « nuits blanches » et autres.
Tout cela n'est qu'un début. La partie n'est pas finie. Les manifestations qui ont eu lieu le jour où le décret Gelmini a été approuvé (29 octobre) dans toute l'Italie, la grève de l'école qui a eu lieu le 30 octobre avec un million de manifestants et toute l'élaboration et le pullulement d'initiatives qui se sont développées au niveau de l'école et de l'université, ont été des expressions d'une vitalité essentielle au niveau de la lutte et des initiatives, qui a permis de prendre conscience de la nécessité de mettre en avant des revendications unitaires et d'en appeler aux autres secteurs sociaux à rentrer en lutte.
Ezechiele (4 novembre 2008)
1En réalité, le premier plan de rationalisation du système scolaire a été fait par feu le gouvernement de centre gauche Prodi avec des réductions du nombre de classes et donc d'enseignants et de personnel ATOS.
2 Sur ce plan, une autre mystification politique est à l'œuvre qui tend à focaliser toute l'attaque sur les restrictions budgétaires dans le secteur de la recherche et à se lamenter parce que « nos cerveaux » sont obligés de s'expatrier, comme on l'a vu dans l'émission « Année Zéro » de Michele Santoro, finissant ainsi par réduire la perspective d'un mouvement qui concerne toute la jeune génération actuelle en une attaque qui ne concernerait qu'un secteur particulier et un nombre très limité de personnes.