Soumis par Revue Internationale le
- Les dix jours qui ébranlèrent le monde, c'était il y a 70 ans. Les médias du monde entier « célèbrent » l'anniversaire. Une fois de plus ils vont reparler de la Révolution russe. A leur façon. Celle de l'idéologie dominante, avec ses mensonges et déformations, avec sa rengaine défraîchie : « la révolution communiste ne peut conduire qu'au Goulag ou au suicide ».
- En défense de la véritable nature de ce qui reste la plus grande expérience révolutionnaire du prolétariat mondial, le CCI vient de faire paraître une brochure consacrée à la Révolution russe.
En voici la présentation.
« Le trait le plus incontestable de la Révolution, c'est l'intervention directe des masses dans les événements historiques. D'ordinaire l’Etat, monarchique ou démocratique, domine la nation ; l'histoire est faite par des spécialistes de métier : monarques, ministres, bureaucrates, parlementaires, journalistes. Mais aux tournants décisifs, quand un vieux régime devient intolérable pour les masses, celles-ci brisent les palissades qui les séparent de l'arène politique, renversent leurs représentants traditionnels, et, en intervenant ainsi, créent une position de départ pour un nouveau régime. Qu'il en soit bien ou mal, aux moralistes d'en juger. Quant à nous, nous prenons les faits tels qu'ils se présentent dans leur développement objectif. L'histoire de la révolution est pour nous, avant tout, le récit d'une irruption violente des masses dans le domaine où se règlent leurs propres destinées. » (Trotsky, Histoire de la Révolution Russe, Préface).
Le terme même de révolution fait souvent peur. « L'idéologie dominante -disait Marx- est toujours l'idéologie de la classe dominante». Et ce que les classes dominantes, les classes exploiteuses craignent le plus, au fond de leur être, c'est que les masses qu'elles exploitent s'avisent un jour de mettre en question l'ordre des choses existant en faisant une « irruption violente dans le domaine où se règlent leurs propres destinées ».
La Révolution russe de 1917 ce fut d'abord et avant tout cela : une grandiose action des masses exploitées pour tenter de détruire l'ordre qui les réduit à l'état de bêtes de somme de la machine économique et de chair à canon pour les guerres entre puissances capitalistes. Une action où des millions de prolétaires, entraînant derrière eux toutes les autres couches exploitées de la société, sont parvenus à briser leur atomisation, à s'unifier consciemment, à se donner les moyens d'agir collectivement comme une seule force. Une action pour devenir maîtres de leurs propres destinées, pour commencer la construction d'une autre société, une société sans exploitation, sans guerres, sans classes, sans nations, sans misère : une société communiste.
La Révolution russe mourut étouffée, isolée, du fait de la défaite des tentatives révolutionnaires dans le reste de l'Europe, en particulier en Allemagne. La bureaucratie stalinienne en fut l'hypocrite et impitoyable bourreau.
Mais cela ne change rien à la grandeur de l'intrépide « assaut du ciel » que fut la Révolution russe. Octobre 1917 ce ne fut pas une tentative révolutionnaire parmi d'autres. La Révolution russe constitue, et reste jusqu'à présent -et de loin- la plus importante expérience révolutionnaire de la classe ouvrière mondiale.
Par sa durée, par le nombre de travailleurs qui y ont participé, par le degré de conscience de ceux-ci, par le fait qu’elle représentait le point le plus avancé d'un mouvement international de luttes ouvrières, par l'ampleur et la profondeur des bouleversements qu'elle tenta de mettre en place, la Révolution russe constitue la plus transcendante des expériences révolutionnaires de la classe ouvrière. Et en tant que telle elle est la plus riche source d'enseignements pour les luttes révolutionnaires ouvrières à venir.
Mais pour pouvoir tirer des enseignements d'une expérience historique, il faut au départ savoir de quel type d'expérience il s'agit. La Révolution russe a t’elle été une révolution ouvrière ? Ou bien a t’elle été un coup d'Etat, fomenté par un parti bourgeois particulièrement habile dans la manipulation des masses ? Le stalinisme a t’il été le produit normal, « naturel » de cette révolution ou bien en a t’il été le bourreau ? Suivant la réponse que l'on donne à ces questions élémentaires, les enseignements que l'on tirera seront évidemment radicalement opposés.
Or la bourgeoisie ne s'est pas contentée d'écraser militairement ou d'étouffer les révolutions prolétariennes du passé. Elle en a aussi systématiquement déformé le souvenir en en donnant des versions déformées, dénaturées : de même qu'elle a entièrement adultéré l'histoire de la Commune de Paris de 1871 - cette première grande tentative prolétarienne de destruction de l'Etat bourgeois - en la présentant dans ses manuels d'histoire comme un mouvement nationaliste, patriotique anti-prussien, de même elle a totalement défiguré le souvenir de la Révolution russe.
Les idéologies staliniennes «reconnaissent» une nature prolétarienne (ils préfèrent en général parler de «populaire»), à la révolution d'Octobre. Mais la version totalement défigurée qu'ils en donnent n'a d'autre objectif que de faire oublier l'effroyable répression à laquelle le stalinisme s'est livré contre les ouvriers et les bolcheviks qui en avaient été les protagonistes ; de tenter de justifier ce qui restera comme un des plus grands mensonges de l'histoire : l'assimilation du capitalisme d'Etat, cette forme décadente et militarisée de l'exploitation capitaliste, comme synonyme de « communisme ».
Les trotskystes parlent aussi d'« Octobre ouvrier », mais pour eux encore les régimes de type stalinien ont quelque chose de prolétarien qu'il s'agit de défendre au nom de la marche vers le « communisme ».
Les autres formes de l'idéologie bourgeoise, non staliniennes ou assimilées, dénaturent la Révolution russe de façon non moins répugnante. Certaines se contentent de parler de mouvement nationaliste en vue de moderniser le capitalisme russe qui ne parvenait pas, au début de ce siècle, à se débarrasser de ses oripeaux féodaux : en somme une révolution bourgeoise comme celle de 1789 en France, mais avec plus d'un siècle de retard et aboutissant à une dictature de type fasciste. D'autres parlent de « révolution ouvrière » pour Octobre 1917 et s'accordent avec les staliniens pour considérer l'URSS comme un pays « communiste », mais ce n'est que pour mieux décrire les horreurs du stalinisme en en déduisant : « c'est à cela, et seulement à cela que peuvent conduire des mouvements révolutionnaires à notre époque ». Et d'entonner le credo de toutes les classes dominantes : « les révoltes des exploités ne peuvent conduire qu'au suicide ou à des régimes encore pires que ceux qu'elles prétendent combattre ».
Bref, les idéologues bourgeois ont complété l’œuvre des massacreurs de la Révolution russe en s'attachant à détruire le souvenir même de ce qui a été la plus grande tentative révolutionnaire prolétarienne jusqu'à présent.
Malheureusement dans le camp révolutionnaire, parmi les courants politiques prolétariens dont la tâche devrait être de tirer les leçons des expériences du passé pour les transformer en armes pour les combats à venir, l'on retrouve aussi des théories aberrantes sur la nature de la Révolution russe, même si évidemment leur objectif politique est différent. Ainsi les « conseillistes », au sein du courant de la Gauche allemande, en sont arrivés à considérer Octobre et les bolcheviks comme bourgeois. Ainsi, au sein de la Gauche italienne, les « bordiguistes» ont développé la théorie de la « double nature » (bourgeoise et prolétarienne) de la Révolution russe.
Ces théories ont été les produits de la défaite de la vague révolutionnaire des années 1920, de la confusion créée dans les esprits par le fait que la Révolution russe ne mourut pas comme la Commune de Paris, rapidement et ouvertement écrasée par la réaction bourgeoise, mais dégénéra suivant un processus long, douloureux et complexe, subissant le pouvoir d'une bureaucratie qui se prétendait la continuatrice d'Octobre 1917.
Mais si on peut comprendre l'origine de ces aberrations, elles n'en demeurent pas moins un obstacle majeur pour la rappropriation par la classe révolutionnaire des enseignements de sa principale expérience historique. Et elles doivent être combattues comme telles. Tel est l'objectif de cette brochure qui est composée de deux articles parus dans la Revue Internationale du CCI (no 12 et 13, fin 1977 - début 1978) et consacrés l'un à la critique des théories « conseillistes » et l'autre à celle des théories « bordiguistes ».
Il faudra longtemps au prolétariat mondial pour parvenir à se débarrasser de toute la boue idéologique avec laquelle la bourgeoisie a recouvert la plus grande expérience révolutionnaire. Probablement, il ne parviendra à se réapproprier toute la richesse des leçons de cette expérience qu'au cours de la lutte révolutionnaire elle-même, lorsqu'il sera confronté aux mêmes questions pratiques.
C'est lorsqu'ils seront confrontés à la nécessité immédiate de s'organiser comme force unifiée, capable d'abattre l'Etat bourgeois et de proposer une nouvelle forme d'organisation sociale, que les prolétaires réapprendront le véritable sens du mot russe « soviet ». C'est lorsqu'ils se trouveront devant la tâche d'organiser collectivement une insurrection armée qu'ils ressentiront massivement le besoin de posséder les leçons d'Octobre 1917. C'est lorsqu'ils seront confrontés à des questions telles que savoir qui exerce le pouvoir, ou bien quels rapports doit-il y avoir entre le prolétariat en armes et l'institution étatique qui surgira au lendemain des premières insurrections victorieuses, ou bien encore comment réagir face à des divergences entre secteurs importants du prolétariat, qu'ils comprendront les véritables erreurs commises par les bolcheviks (en particulier dans la tragédie de Kronstadt).
Malgré son échec, qui fut en réalité celui de la vague révolutionnaire internationale dont elle n'était que le point le plus avancé - échec qui confirmait que la révolution prolétarienne n'a pas plus de patrie que les prolétaires eux-mêmes - la Révolution russe a posé dans la pratique des problèmes pratiques cruciaux auxquels les mouvements révolutionnaires de l'avenir se trouveront inévitablement confrontés. En ce sens, qu'ils en aient conscience aujourd'hui ou non, les prolétaires des luttes de demain devront s'en réapproprier les enseignements.
Mais pour cela ils devront commencer par reconnaître cette expérience comme leur expérience. Pour affirmer la continuité du mouvement révolutionnaire prolétarien ils devront inévitablement réaliser, sur ce terrain aussi, « la négation de la négation », le rejet des théories qui nient le caractère prolétarien de leur plus grande expérience passée.
Quant aux organisations révolutionnaires, pour elles, c'est dès à présent que la reconnaissance d'Octobre est cruciale : leur capacité à féconder les luttes prolétariennes immédiates dépend en effet tout d'abord de la compréhension de la dynamique historique qui depuis plus de deux siècles a conduit aux luttes présentes. Or cette compréhension serait impossible sans une claire reconnaissance de la véritable nature de la Révolution d'octobre.