Soumis par Revue Internationale le
Dans chaque numéro de toute publication du CCI, nous publions nos "Positions de base", où on peut lire la phrase suivante : "Le CCI se réclame des apports successifs de la Ligue des Communistes de Marx et Engels (...), des fractions de gauche qui se sont dégagées dans les années 1920-1930 de la Troisième internationale lors de sa dégénérescence, en particulier les Gauches allemande, hollandaise et italienne." Notre organisation est le fruit du travail acharné des fractions de gauche. Au niveau des principes organisationnels, elle est surtout le fruit du travail de la Gauche italienne pendant les années 20 et 30, regroupée autour de Bilan. On comprendra donc que nous prenions la question des fractions très au sérieux, d'autant plus que nos prédécesseurs de la Gauche italienne ont accompli un travail de fond sur les conditions de surgissement des fractions dans le mouvement ouvrier, et sur le rôle qu'elles sont appelées à remplir. La question de la fraction se trouve au coeur même de notre conception de ce qu'est une organisation révolutionnaire.
Lorsqu'un groupe de militants s'est déclaré "fraction interne du CCI" en octobre 2001, il était donc de notre devoir de revenir sur la question de la fraction au sein du mouvement ouvrier et de ce qu'elle représente historiquement, afin de traiter la question de la manière la plus adéquate.
C'est pourquoi nous avons décidé de publier, dans le numéro 108 de la Revue Internationale un article qui réaffirme notre conception de ce que représente une fraction dans le mouvement ouvrier ("Les fraction de gauche - En défense de la perspective prolétarienne"). Évidemment, nous nous doutions que les membres de la prétendue "fraction interne" ne seraient pas d'accord avec la vision défendue dans ce texte. Il avait alors été proposé à ces militants qu'ils exposent publiquement leur désaccord sur la question de la fraction dans les colonnes de la Revue Internationale. Afin d'esquiver la confrontation franche et ouverte des divergences, ils s'empressèrent d'assortir une éventuelle acceptation de leur part d'exigences que le CCI ne pouvait pas accepter[1] puisqu'il lui était demandé rien de moins que de renoncer à son analyse des mobiles ayant présidé à la constitution de cette prétendue "fraction".[2]
Depuis lors, les fractionnistes ont publié une réponse à notre article.[3] Le but de leur réponse est de montrer "comment le CCI est obligé de déformer ou d'ignorer des pans entiers de l'expérience de l'histoire ouvrière, particulièrement de l'histoire de ses fractions, et donc qu'il tombe inévitablement dans l'oubli et la trahison de ses propres principes organisationnels et des principes du mouvement ouvrier". Qu'en est-il réellement?
Quelles questions posées par la déclaration d'une fraction?
Inévitablement, la création d'une fraction soulève quatre questions fondamentales pour une organisation communiste:
a) Quelle est la nature des divergences politiques qui séparent la fraction de l'organisation dans son ensemble? Et en premier lieu, ces divergences concernent-elles les principes programmatiques justifiant ainsi la création d'une organisation dans l'organisation, selon la conception que le CCI a développée sur la base du legs de la Gauche italienne?
b) Comment l'organisation doit-elle réagir face à la création d'une fraction? Comment doit-elle assumer la responsabilité à la fois de favoriser le débat au sein de l'organisation et de maintenir la cohésion de l'organisation et sa capacité d'action?
c) Quelles sont les responsabilités de la fraction elle-même face à l'organisation? Quelles sont ses tâches, comment mène-t-elle la lutte pour défendre ses positions et notamment, quel est son devoir au niveau du respect des règles de fonctionnement et de la discipline organisationnelle?
d) Quel est le jugement politique de la majorité de l'organisation sur le bien-fondé ou non d'une fraction? Notamment, le refus du CCI de reconnaître le bien-fondé de la fraction actuelle ne serait-il pas qu'une tentative d'esquiver le débat de fond de la part de ses organes centraux actuels ?
Nous avons déjà répondu à la troisième question dans l'article de la Revue Internationale n°108, et dans un article sur "Les fractions face à la question de la discipline organisationnelle" publié dans la Revue Internationale n°110. Notre réponse à la quatrième question – donc notre analyse de la véritable nature de la "fraction interne" qui s'est constituée dans le CCI – a été affirmée unanimement[4] par notre Conférence extraordinaire d'avril 2002, dont un compte-rendu se trouve également dans la Revue Internationale n°110. Notre but donc, dans cet article, est surtout de répondre aux deux premières questions. A cette fin, nous serons conduits à rappeler les conceptions de base du CCI sur la façon de mener le débat à l'intérieur d'une organisation communiste, et sur comment et pourquoi des tendances ou des fractions peuvent apparaître en son sein.
Comment traiter les divergences?
Les statuts du CCI accordent une importance et un soin particuliers à l'explication nos principes organisationnels en ce qui concerne l'attitude à adopter face à l'apparition de divergences en son sein :
"Si les divergences s'approfondissent jusqu'à donner naissance à une forme organisée, il convient de comprendre la situation comme manifestation :
- soit d'une immaturité de l'organisation,
- soit d'une tendance à sa dégénérescence.
Face à une telle situation, seule la discussion peut :
- soit résorber les divergences,
- soit permettre qu'apparaissent clairement des divergences de principe pouvant conduire à une séparation organisationnelle.
En aucune façon, des mesures disciplinaires ne peuvent se substituer à cette discussion pour résoudre les désaccords mais, tant qu'une de ces issues n'a pas été atteinte, la position majoritaire est celle de l'organisation.
De même, il convient qu'un tel processus d'apparition d'une forme organisée de désaccords soit pris en charge de façon responsable, ce qui suppose en particulier :
- que si l'organisation n'a pas à juger quand une telle forme organisée doit se constituer et se dissoudre, celle-ci se base, afin d'être une réelle contribution à la vie de l'organisation, sur des positions positives et cohérentes clairement exprimées et non sur une collection de points d'opposition et de récrimination ;
- que cette forme organisée résulte par conséquent d'un processus de décantation préalable des positions dans la discussion générale au sein de l'organisation, et ne soit donc pas conçue comme la condition d'une telle décantation".
Il est évident que, pour que ces pré-requis statutaires soient opérants, l'organisation doit se doter des moyens de mener des débats dans lesquels participeront l'ensemble des militants au niveau international. Ces moyens sont explicités dans un texte fondamental, adopté par tout le CCI suite à la crise organisationnelle de 1981:[5]
"Si l'existence de divergences au sein de l'organisation est un signe qu'elle est vivante, seul le respect d'un certain nombre de règles dans la discussion de ces divergences permet que celles-ci soient une contribution au renforcement de l'organisation et à l'amélioration des tâches pour lesquelles la classe l'a faite surgir.
On peut ainsi énumérer un certain nombre de ces règles:
- réunions régulières des sections locales et mise à l'ordre du jour de celles-ci des principales questions débattues dans l'ensemble de l'organisation : en aucune façon le débat ne saurait être étouffé,
- circulation la plus ample possible des différentes contributions au sein de l'organisation au moyen des instruments prévus à cet effet (les bulletins internes),
- rejet par conséquent des correspondances secrètes et bilatérales, qui loin de favoriser la clarté du débat, ne peuvent que l'obscurcir en favorisant les malentendus, la méfiance, et la tendance à la constitution d'une organisation dans l'organisation,
- respect par la minorité de l'indispensable discipline organisationnelle,
- rejet de toute mesure disciplinaire ou administrative de la part de l'organisation à l'égard de ses membres qui soulèvent des désaccords (...)".
Les éléments qui allaient fonder la "fraction interne", n'ont respecté ni la forme ni l'esprit des statuts et de nos principes de fonctionnement. Ils n'ont pas assumé la responsabilité qui était la leur de confronter ouvertement, au sein de l'organisation, les divergences qu'ils avaient ou prétendaient avoir avec le reste de l'organisation, alors que les discussions dans les réunions internes de l'organisation et les contributions dans les bulletins internes le leur permettaient sans restriction aucune.[6] Au lieu de cela, ils se sont retrouvés entre eux à comploter contre l'organisation dans des réunions secrètes. En revanche, lors de la découverte de ces réunions secrètes, le CCI a réagi avec le souci de "rejeter toute mesure disciplinaire ou administrative": "Les agissements des membres du 'collectif' constituent une faute organisationnelle extrêmement grave méritant une sanction des plus sévères. Toutefois, dans la mesure où les participants à cette réunion [c'est à dire la réunion du Bureau International de septembre 2001] ont décidé de mettre fin au 'collectif', le BI décide de surseoir à une telle sanction".[7]
Le texte sur le fonctionnement que nous venons de citer explicite également notre compréhension de ce que représente une fraction au sein d'une organisation prolétarienne:
"La fraction est l'expression du fait que l'organisation est en crise de par l'apparition d'un processus de dégénérescence en son sein, de capitulation face au poids de l'idéologie bourgeoise. Contrairement à la tendance qui ne s'applique qu'à des divergences sur l'orientation face à des questions circonstancielles, la fraction s'applique à des divergences programmatiques qui ne peuvent trouver d'aboutissement que dans l'exclusion de la position bourgeoise ou par le départ de l'organisation de la fraction communiste et c'est dans la mesure où la fraction porte en elle la séparation de deux positions devenues incompatibles au sein du même organisme qu'elle tend à prendre une forme organisée avec ses propres organes de propagande.
C'est parce que l'organisation de la classe n'est jamais garantie contre une dégénérescence que le rôle des révolutionnaires est de lutter à chaque moment pour l'élimination des positions bourgeoises pouvant se développer en son sein. Et c'est quand ils se trouvent en minorité dans cette lutte que leur tâche est de s'organiser en fraction soit pour gagner l'ensemble de l'organisation aux positions communistes et exclure la position bourgeoise soit, quand cette lutte est devenue stérile de par l'abandon du terrain prolétarien par l'organisation - généralement lors d'un reflux de la classe - de constituer le pont vers une reconstitution du parti de classe qui ne peut alors surgir que dans une phase de remontée des luttes.
Dans tous les cas, le souci qui doit guider les révolutionnaires est celui qui existe au sein de la classe en général. Celui de ne pas gaspiller les faibles énergies révolutionnaires dont dispose la classe. Celui de veiller sans cesse au maintien et au développement d'un instrument aussi indispensable mais aussi fragile que l'organisation des révolutionnaires".[8]
Les principes du CCI en droite ligne de la Gauche italienne
Cette définition de ce que doit être une fraction nous vient en droite ligne de la Gauche italienne et notamment de Bilan.
Dans le mouvement ouvrier, le terme de "fraction" a été employé indistinctement pour caractériser des courants tels que les bolcheviks, les mencheviks, les spartakistes et différentes minorités sur tel ou tel point de l'orientation du parti, notamment dans le parti russe pendant la révolution, autour de Brest-Litovsk, etc. Les citations de Lénine et de Trotsky, utilisées par la "fraction interne" dans son article, le montrent largement. Cependant, la conception du CCI qui est condensée dans la citation plus haut, est plus précise : elle fait la distinction entre tout ce qui peut être une minorité ou encore une tendance sur tel ou tel point de l'orientation du parti, y compris une orientation aussi cruciale que l'orientation que la révolution doit prendre dans un cas comme Brest-Litovsk, et la minorité qui s'appelle la fraction. Cette définition n'est pas une fantaisie ou un exercice de "style", mais vient de Bilan, de tout le travail d'approfondissement qu'il a fourni dans les années 1930.
Dans cette période, le groupe qui allait se former autour de Bilan, comme toutes les oppositions et les minorités dans ou autour de l'Internationale et des partis communistes, se trouvait confronté à la situation dramatique dans laquelle ces partis, composés de millions d'ouvriers, qui s'étaient constitués au cours de la vague révolutionnaire de 1917-23, étaient en train de dégénérer et de trahir, l'un après l'autre, les principes fondamentaux du prolétariat avec le reflux de la révolution. Dans ces conditions, définir les tâches et le sens de l'activité que devaient mener les oppositionnels et les exclus était une question vitale, de même que définir le cadre de cette activité : "Lorsque le parti a perdu sa capacité de guider le prolétariat vers la révolution - et cela arrive par le triomphe de l'opportunisme - les réactions de classe produites par les antagonismes sociaux, n'évoluent plus vers la direction qui permet au parti d'accomplir sa mission. Les réactions sont appelées à chercher les nouvelles bases où se forment désormais les organes de l'entendement et de la vie de la classe ouvrière : la fraction".(Bilan n°1, "Vers l’Internationale deux et trois-quarts" ?).
Bilan était en désaccord avec l'orientation préconisée par Trotsky de fonder un nouveau parti, une nouvelle Internationale et de faire appel aux gauches socialistes. Pour Bilan, il fallait en premier lieu examiner et tirer les leçons de l'expérience historique récente, de l'échec de la révolution russe, de la trahison de l'Internationale, de la dégénérescence des partis : "Ceux qui opposent à ce travail indispensable d'analyse historique le cliché de la mobilisation immédiate des ouvriers, ne font que jeter de la confusion et empêcher la reprise réelle des luttes prolétariennes". (Bilan n°1, Introduction).
Une donnée essentielle des perspectives pour l'activité de la fraction était l'évolution de la situation et l'évolution du parti. Comme le met en évidence la citation du Bulletin d'information qui a précédé Bilan - donnée dans l'article de la "fraction interne"[9] :"La fraction ainsi comprise, c'est l'instrument nécessaire pour l'éclaircissement politique qui doit définir la solution de la crise communiste. Et l'on doit juger comme arbitraire toute discussion opposant l'issue de la fraction exclusivement dans le redressement du parti, à l'issue de la fraction dans un deuxième parti, et vice-versa. L'une ou l'autre dépendront de l'éclaircissement politique obtenu, et ne peuvent pas dès maintenant caractériser la fraction. Il est possible et souhaitable que cet éclaircissement se concrétise par le triomphe de la fraction dans le parti lequel retrouvera alors son unité. Mais on ne peut pas exclure que cet éclaircissement précise des différences fondamentales qui autorisent la fraction à se déclarer elle-même, contre le vieux parti, le parti du prolétariat; celui-ci, à la suite de tout le processus idéologique et organisatoire de la fraction, relié aux développements de la situation, trouvera les bases effectives pour son activité. Dans un cas, comme dans l'autre, l'existence et le renforcement de la fraction sont les prémisses indispensables pour la solution de la crise communiste." (Bulletin d'information n°3, novembre 1931)
La tâche que se donne la fraction est en premier lieu un travail de clarification politique, d'approfondissement.
La définition de l'activité de la fraction est intimement liée à l'analyse du rapport de forces entre les classes. La dégénérescence du parti est l'expression d'un affaiblissement de la classe. La fraction s'oppose à l'idée de créer à tout moment un nouveau parti : "L'intelligence des événements ne s'accompagne plus avec l'action directe sur ces derniers, ainsi qu'il arrivait précédemment au sein du parti, et la fraction ne peut reconstituer cette unité qu'en délivrant le parti de l'opportunisme." (Bilan n°1, "Vers l’Internationale deux et trois-quarts" ?)
Bilan allait développer sa compréhension de ce qu'est la fraction tout au long de son existence, pour arriver à la résolution de 1935, proposée par Jacobs, et publiée dans Bilan n°17. Cette résolution représente probablement l'expression la plus achevée de la conception qu'a Bilan de la fraction. et son rapport avec le parti de classe. En fait, les deux notions sont intimement liées, la fraction représentant la continuité des intérêts historiques de la classe ouvrière alors que l'existence du parti est déterminée également par les conditions de la lutte de classe elle-même et par la capacité du prolétariat de s'affirmer en tant que classe révolutionnaire:
"Il est évident que la nécessité de la fraction est aussi l'expression de la faiblesse du prolétariat, soit disloqué, soit gagné par l'opportunisme ; comme par contre la création du parti indique un cours de situations ascendantes où continuellement le prolétariat se retrouve, se concentre : au travers de lutte partielles, générales, il taille des brèches et démolit la structure du capitalisme." (Bilan nº17, "Projet de résolution sur les problèmes de la fraction de gauche").
Que représente la fraction ? "La fraction est une étape nécessaire aussi bien pour la constitution de la classe que pour sa reconstitution dans les différentes phases de l'évolution, elle est le lien de continuité par laquelle s'exprime la vie de la classe en même temps qu'elle exprime la tendance de cette dernière de se donner une structure de principe et une méthode d'intervention dans les situations. Précisément parce que le prolétariat ne peut représenter une force économique pouvant se concentrer autour de ses richesses matérielles puisque étant la classe ne disposant que des moyens nécessaires à sa propre production que lui attribue le capitalisme pour sa force de travail, son affirmation en tant que classe indépendante appelée à créer un nouveau type d'organisation sociale, ne peut se manifester en réalité que dans des phases particulières quand se disloquent les rapports entre les classes au point de vue mondial."(idem)
Selon cette définition élaborée par Bilan, il est clair que la fraction ne représente pas une minorité, une tendance ou une opposition sur différents points d'orientation ou même du programme de la classe, mais qu'elle exprime la continuité de l'être historique du prolétariat, de son devenir révolutionnaire. En ce sens, la notion de fraction n'est plus utilisée par Bilan comme elle a pu l'être jusqu'alors dans le mouvement ouvrier pour qualifier différents courants. La fraction n'est pas non plus une forme spécifique à la période historique dans laquelle vit Bilan et face à la dégénérescence du parti. Toute l'histoire du mouvement ouvrier est non seulement ponctuée par l'existence de partis, dans les phases ascendantes de la lutte, mais elle s'exprime tout autant par l'histoire de ses fractions : "Les "centres de correspondants", créés par Marx avant la fondation de la Ligue des Communistes, son travail théorique après 1848 jusqu'à la fondation de la Première Internationale, le travail de la fraction bolchevique au sein de la Deuxième Internationale, sont les moments essentiels de constitution du prolétariat qui ont permis l'apparition de partis animés d'une doctrine et d'une méthode d'action. Voir les termes de ce processus en niant la fraction sous ses formes historiques particulières, c'est voir l'arbre et non la forêt, c’est consacrer un mot en rejetant la substance." (idem)
La tâche de la fraction n'est pas uniquement de maintenir ou restaurer le programme face aux trahisons opportunistes ou aux échecs de la lutte de classe, c'est aussi d'élaborer sans cesse la théorie du prolétariat : "Pour donner une substance historique à l'œuvre des fractions, il faut démontrer qu'elles sont aujourd'hui la filiation légitime des organisations où le prolétariat s'est retrouvé en tant que classe dans les phases précédentes et aussi qu'elles sont l'expression toujours plus consciente des expériences de l'après-guerre. cela doit servir à prouver que la fraction ne peut vivre, former des cadres, représenter réellement les intérêts finaux du prolétariat qu'à la seule condition de se manifester comme une phase supérieure de l'analyse marxiste des situations, de la perception des forces sociales qui agissent au sein du capitalisme, des positions prolétariennes envers les problèmes de la révolution". (Bilan nº17, "Projet de résolution sur les problèmes de la fraction de gauche", souligné dans l'original).
Nous n'avons pas la place, dans cet article, de développer plus la notion de fraction élaborée par Bilan. Mais c'est de cette conception de la fraction que le CCI se revendique depuis ses origines. Dans ce cadre, le CCI lui-même se considère comme le continuateur de la fraction dont la tâche est de participer à la création des conditions pour le surgissement du parti de demain ; en somme de faire "le pont", selon les termes de Bilan, entre l'ancien parti qu'était l'IC, morte sous le stalinisme, et la future Internationale de la révolution à venir.
Est-ce que le CCI dénature l'expérience de la classe ouvrière?
Maintenant que nous avons posé notre cadre d'analyse, hérité de l'élaboration de la Gauche italienne et qui permet d'appréhender la nature et les tâches d'une véritable fraction, examinons à présent ce qu'en dit notre soi-disant fraction qui prétend représenter fidèlement la continuité des principes du CCI. Lorsqu'elle affirme que c'est le CCI qui les abandonne, on est en droit d'attendre que cela soit démontré.
Avant de considérer le texte sur les fractions publié dans le Bulletin n°9, voyons en quoi la déclaration de formation d'abord du "collectif", ensuite de la "fraction interne", se basent "sur des positions positives et cohérentes clairement exprimées et non sur une collection de points d'opposition et de récrimination".
La déclaration de formation du "collectif" n'était déjà pas prometteuse. En répondant à la question "comment et pourquoi nous nous sommes réunis?", le texte nous explique : "A la suite de la réunion de section Nord consacrée à la discussion du texte d'orientation sur la confiance, chacun de nous a pu faire le constat d'une convergence de points de vue chez la majorité des membres de la section présents à cette réunion, autour d'un commun rejet tant de la démarche que des conclusions du texte d'orientation. Cette convergence venait s'ajouter au précédent constat d'un commun désaccord avec la manière dont est considérée, expliquée et présentée au reste du CCI la récente dégradation des relations au sein de la section Nord". De quoi s'agit-il sinon "une collection de points d'opposition"? Les membres du "collectif" le reconnaissent eux-mêmes, puisque leur perspective est de "Travailler ! Aller au fond des questions. Aller rechercher des réponses, des expériences et des leçons sur les problèmes actuels du CCI dans l'histoire de notre classe, dans l'histoire du mouvement ouvrier". C'est un but louable, et on ne peut que regretter que les membres du "collectif" qui ont formé la "fraction" à peine deux mois plus tard, ne l'ait pas entrepris. Les membres du "collectif" ne sont pas satisfaits de certaines analyses défendues par la majorité, sans pour autant, comme ils l'avouent eux-mêmes, avoir à une orientation alternative à y opposer : "notre opposition, si elle reste minoritaire, devra prendre la forme d'une fraction, luttant au sein de l'organisation pour son redressement. Pour le moment, nous pensons qu'il est encore trop tôt pour la déclarer comme telle, d'abord parce que la politique actuelle n'a pas encore été confirmée ni par le BI plénier ni par un congrès du CCI, ensuite parce qu'il nous faut encore élaborer et rassembler des textes plus développés en tant qu'orientation alternative à la politique actuelle" (souligné par nous). Bravo pour la continuité authentique avec le CCI qui permet à certains d'envisager de se constituer en fraction sans avoir produit de textes fondamentaux à discuter au sein de l'organisation !
Quand la "fraction" se forme, les "textes plus développés" n'ont toujours pas vu le jour. N'empêche, la "fraction" propose comme orientation de :
"- combattre la dérive "révisionniste" actuelle qui ne s'exprime pas seulement sur le plan du fonctionnement, mais aussi sur le plan théorico-politique ;
- développer la réflexion théorique, notamment par un travail approfondi sur l'histoire du mouvement ouvrier, afin d'amener l'organisation à se réapproprier ses propres fondements, ceux du marxisme révolutionnaire, dont s'écarte de plus en plus la politique qui est menée actuellement ;
- remettre l'analyse de la situation internationale au premier plan des discussions[10] et notamment lutter contre une tendance "démoralisatrice" qui tend à marquer notre compréhension de la situation et du rapport de force entre les classes, et cela en vue de renforcer notre intervention dans la classe ouvrière ;
- pousser l'organisation à ne se concevoir que comme une partie du MPP[11] et donc à développer une politique unitaire, plus courageuse et plus déterminée en direction de celui-ci"[12].
Se pose donc à la soi-disant fraction la question de justifier son existence alors que son apparition ne résulte en rien " d'un processus de décantation préalable des positions dans la discussion générale au sein de l'organisation," ni ne peut prétendre qu'elle n'est pas " conçue comme la condition d'une telle décantation"? Est-ce que, sérieusement, "une tendance "démoralisatrice" qui tend à marquer notre compréhension de la situation et du rapport de force entre les classes" correspond de la part du CCI à un abandon programmatique des principes prolétariens? Dans ces conditions, peut-on s'étonner que la majorité de l'organisation ait refusé de reconnaître le bien-fondé de la "fraction"? Après tout, si un fou se prend pour Napoléon, nous sommes bien obligés de constater qu'il se prend pour Napoléon, mais nous ne sommes pas obligés de le suivre dans sa folie en croyant nous-mêmes qu'il l'est vraiment !
C'est donc un véritable tour de force qui échoit à l'article publié dans le Bulletin n°9[13] de la "fraction", puisque son objectif est de donner une caution historique et programmatique à la création de la soi-disant fraction! Nous allons donc essayer d'en faire ressortir la logique, si on peut parler ainsi concernant cette espèce de soupe à prétention historique, afin d'en faire la critique.
La diversion à défaut de divergence, ou comment noyer le poisson
La première partie de l’article veut traiter des fractions dans les moments de lutte de classe ascendante et descendante à travers des exemples tirés des trois Internationales. On apprend donc, que "C'est à travers la fusion de toutes sortes d'organismes et même des sociétés ouvrières que naît la Ière Internationale. (…). Par contre, la période de contre-révolution qui suivit la répression après la Commune de Paris vit que l'apparition des groupements, tendances ou fractions dans l'Internationale prennent un autre tour jusqu'à entraîner sa disparition". Ceci ne nous avance pas beaucoup, puisqu’on ne fait absolument aucune distinction entre "organismes", "groupements", "tendances", ou "fractions". En particulier, on ne fait aucune distinction entre les tendances qui représentaient les premiers courants à l'origine du mouvement ouvrier (Proudhoniens et Blanquistes par exemple) et qui étaient destinés à disparaître, avec le développement de la classe elle-même, et la "forme historique particulière" de la fraction de gauche (pour reprendre les mots de Bilan) représentée par la tendance marxiste.
En ce qui concerne la 2ème Internationale, on nous apprend qu'il y a eu toutes les sortes imaginables de "fractions" : en Allemagne il y avait les Eisenachiens et les Lassalliens, alors qu'en France "le parti constitué après le Congrès de Marseille en 1879, a connu deux fractions : la fraction "collectiviste" de Guesde et de Lafargue et la fraction "possibiliste" de Brousse qui regroupait les réformistes". "Si l'on prend l'exemple du POSDR," continue l'auteur "ce que nous avons développé ci-dessus se vérifie de façon lumineuse: "Après 1905, les 2 fractions : mencheviks et bolcheviks se regroupent une première fois en 1906 et une deuxième fois en 1910 (…) Puis avec la marche à la guerre, nous retrouvons le phénomène de dispersion non seulement dans les 2 fractions principales mais également en leur sein. C'est ainsi que dans le POSDR en 1910, il existe 3 fractions bolcheviques : celle de Lénine, les ozovistes et les conciliateurs, et 3 mencheviques : l'unitaire, celle de Plekhanov contre l'unité et les conciliateurs dont Trotsky". Encore une fois, on ne fait absolument aucune distinction entre les courants réformistes (voire "étatistes" dans le cas des Lassalliens), les courants de gauche (Eisenachiens, Guesdistes, par exemple), et la fraction bolchevique qui avec la Gauche allemande "représentaient [seules] les intérêts du prolétariat alors que droite et centre exprimaient toujours plus la corruption du capitalisme".[14]
Ensuite, l'auteur passe à la période de la révolution russe, fait appel à Trotsky, "le plus digne des révolutionnaires" (sic! on doit supposer que Lénine, Luxemburg, Liebknecht l’étaient moins…), pour raconter l’histoire des différentes "fractions" apparues dans le parti pendant la période révolutionnaire et la guerre civile : l’opposition Kamenev-Zinoviev à la prise de pouvoir en octobre, l’opposition du groupe de Boukharine à la signature de la traité de Brest-Litovsk, ainsi que des oppositions sur la question de l’armée rouge, etc. A l’époque de Brest-Litovsk, "Les partisans de la guerre révolutionnaire constituèrent alors une fraction véritable ayant son organe central". Trotsky souligne, et notre "fraction" saisit l’occasion de nous le rappeler, que "La fraction, le danger de scission furent alors vaincus non par des décisions formelles sur la base des statuts, mais par l'action révolutionnaire".
Rappelons aussi que, si Boukharine et le groupe Kommunist n’ont pas scissionné à l’époque de Brest-Litovsk, ce n’est pas uniquement grâce au développement des faits et de l’argumentation de Lénine en particulier, c’est aussi grâce à leur propre sens des responsabilités, leur compréhension que le parti bolchevique avait un rôle crucial à jouer dans l’éclosion de la révolution au niveau mondial. Surtout, les fractions dont parle Trotsky ici, sont de véritables minorités, formées autour des questions cruciales dont dépend la vie de la révolution. Il est vraiment indécent de venir comparer les minorités au sein du parti bolchevique avec une "fraction" dont le but – où plutôt le but proclamé – est de "remettre l'analyse de la situation internationale au premier plan des discussions".
Le but avoué de toutes ces "démonstrations" est de nous convaincre que "L'histoire du mouvement ouvrier que nous avons retracé à grands traits nous enseigne :
- qu'il a existé et qu'il existera de nombreux types de fractions et groupements ;
- qu'elles n'ont pas toutes connu des programmes achevés pour se constituer en fraction, c'est la raison pour laquelle il existe préalablement un processus de clarification avec le développement de la discussion ;
- que toute fraction ou groupement n'aboutit pas forcément à une scission",
- et que donc "le CCI est obligé de déformer ou d'ignorer des pans entiers de l'expérience de l'histoire ouvrière, particulièrement de l'histoire de ses fractions".
Mais si tous ces courants, oppositions, etc. ont bel et bien existé, que diable cela a-t-il à voir avec la fraction, telle qu'elle est définie depuis toujours par le CCI sur la base des travaux de la Gauche italienne? En réalité, le but de cette partie de l'article est tout simplement de faire diversion en se cachant derrière un étalage de connaissances mal digérées, de faire oublier que pour le CCI la notion de fraction a un sens bien déterminé vis-à-vis duquel l'existence de notre prétendue "fraction interne" n'a absolument aucune justification théorique ni principielle.
Il est donc clair que la "fraction interne" qui se prévaut du maintien des positions fondamentales du CCI, a choisi de jeter aux oubliettes le concept de "fraction" tel que le CCI l'utilise, pour endosser celui de Trotsky et du mouvement ouvrier avant Bilan, c'est-à-dire un nom appliqué aux différents courants, minorités, tendances et fractions qui existent inévitablement dans toute l'histoire du mouvement ouvrier. Rappelons quand même au passage que c'est notamment face et en opposition à la conception qu'avait Trotsky des tâches à mener dans les années 1930, que Bilan a élaboré sa notion de fraction. Mais apparemment, pour notre "fraction interne", Trotsky est devenu source de référence sur la question.
Justifier l'indiscipline
Il vaut la peine de s'attarder sur ce que l'auteur nous dit des fractions issues de la 3e Internationale, en période de "difficultés du mouvement ouvrier" puisque c'est en particulier de celles-ci que se revendique le CCI et que, selon notre conception - et celle de Bilan - c'est justement dans de telles périodes où la classe n'est pas capable de faire surgir le parti et que se justifie le travail des fractions. En fait, le texte a peu à dire sinon que "dans l'IC, la discussion théorique a été rapidement biaisée, empêchée, écourtée et remplacée par la question de la discipline, ce qui a abouti rapidement à l'exclusion des Oppositions". Des immenses problèmes auxquels étaient confrontés le mouvement ouvrier, l'Internationale, les partis, les prémisses des futures fractions, notre "fraction interne" en retient un - et pour cause, c'est celui de la discipline.
En effet, le problème pour la "fraction interne", c'est que non seulement elle doit s'échapper du carcan trop rigoureux et contraignant des analyses et des principes de base du CCI sur la question organisationnelle, mais elle doit aussi justifier les violations les plus flagrantes de la discipline minimale qui seule permet à l'organisation de fonctionner, voire d'exister, violations qui ont marqué l'existence de la "fraction interne" dès avant sa naissance officielle et lui ont valu, dans le CCI, le surnom d'"Infraction". Elle s'y prend d'abord de façon tout à fait originale : "Du fait de la création [dans la Troisième internationale] du nouveau régime intérieur des organisations communistes de la plus grande unité et centralisation internationale, la question de la discipline intérieure prend un autre caractère. C'est la raison pour laquelle dans la phase de dégénérescence de l'IC et des PC, la vie des fractions est tout autre : tout ce qui pousse à l'unité dans la phase de montée des luttes pousse encore plus fortement à la désunion dans la phase de déclin des luttes".[15] Cette phrase "géniale" est précisée de la sorte dans un article sur la "discipline" justement, publié dans le bulletin n°13: "si, au 19ème siècle dans la social-démocratie, c'était la gauche qui défendait avec fermeté la discipline dans le parti contre les opportunistes qui revendiquaient une "liberté d'action", c'est-à-dire d'avoir les mains libres pour… fricoter avec la bourgeoisie, par contre au 20ème siècle, dans le capitalisme décadent, c'est la droite dans les PC qui a été la championne de la discipline interne, comme le sont aujourd'hui nos liquidationnistes, pour pouvoir faire taire toutes les divergences, ce qui signifiait faire taire et même éliminer la gauche, c'est-à-dire la position marxiste". Nous n'avons pas la place ici de dénoncer dans le détail le ridicule de cette position – dont le but est tout simplement d'assimiler le CCI aujourd'hui aux PC stalinisés, tout en étant trop hypocrite pour le dire ouvertement. Il vaut néanmoins la peine de rappeler, et c’est quelque chose que le CCI a toujours considéré comme positif, que l'IC est en effet la première internationale fondée sur un programme explicitement communiste, dédié au renversement immédiat du capitalisme. En tant que telle, elle exige des partis membres, considérés comme de simples sections nationales du parti mondial, une discipline face aux décisions du centre, en particulier l’adoption d’un programme unifié, et l’exclusion du parti des sociaux-chauvins et des centristes. C’est le but même des 21 Conditions, dont la 21ème était proposée par nul autre que Bordiga, chef de file de la Gauche italienne…dans le but notamment de lutter contre l'indiscipline de courants opportunistes tels que le parti français. Tant que l'IC défend le programme du prolétariat, cette plus grande unité et centralisation internationale du parti est une nécessité pour la révolution communiste, elle exprime un développement du programme qui correspond aux besoins de la lutte internationale et révolutionnaire de la classe ouvrière.[16] La "nouveauté" apportée par la "fraction interne" avec l'idée qu' "au 20ème siècle, dans le capitalisme décadent, c'est la droite dans les PC qui a été la championne de la discipline interne" n'est qu'un tour de passe-passe pour faire passer sa propre indiscipline.
La véritable fraction?
Jusqu'ici, nous n'avons pas appris grand chose, sinon qu’il y a eu beaucoup de fractions dans l’histoire du mouvement ouvrier, et que celles-ci peuvent être des tendances, des groupements, des oppositions, qu’elles peuvent contribuer soit à l’unité de l’organisation, soit à son éclatement. Mais dans la deuxième partie de l'article, on nous dit que "ce qui fonde l'existence d'une véritable fraction, c'est l'existence d'une crise communiste" (souligné par nous). Comment ça? Tous ces "groupements, tendances, fractions" dont on vient de parler en long et en large n'étaient donc pas de "véritables fractions"? Notre auteur cite les textes de Bilan – sur lesquels le CCI s'est toujours basé, en effet – afin de démontrer la nécessité et le bien-fondé d'une fraction en lutte contre la dégénérescence d'une organisation communiste. (On remarquera quand même qu'il prend soin de ne pas citer les textes mêmes du CCI en la matière.) Mais, si la "véritable" fraction (dixit les infractionnistes) est la fraction telle qu'elle est définie par la Gauche italienne, c’est à dire un organisme qui surgit face à la dégénérescence du parti, et dont le rôle est soit de redresser l’ancien parti, soit de préparer les futurs cadres suite à la trahison définitive de ce dernier, quid de tous les autres exemples de "fractions" dont le texte est rempli ? Décidément, la "fraction" a inventé quelque chose de nouveau : une fraction à géométrie variable, que l’on peut plier et tordre dans tous les sens pour les besoins de la cause. Mais en réalité, ce n'est pas nouveau dans le mouvement ouvrier, c'est la méthode typique de l'opportunisme qui utilise les principes en fonction des circonstances, et selon l'intérêt qu'il y trouve. Si nos "infractionnistes" font maintenant appel à la Gauche italienne, c'est parce que la gauche de l'IC s'est souvent trouvée contrainte de rompre la discipline de l'Internationale pour assurer sa fidélité au programme du prolétariat et que la référence à la lutte de la gauche contre la dégénérescence de l'Internationale communiste vers le stalinisme leur sert à justifier le mépris flagrant pour nos principes, nos règles communes et pour leurs anciens camarades. Si la situation de notre "fraction" peut être comparée à celle de la Gauche italienne, alors forcément le CCI doit jouer le rôle de l'IC stalinisée.[17]. Le tour est joué !
Malgré tout, la "fraction" aimerait bien trouver une manifestation flagrante de la dégénérescence du CCI, pour pouvoir se justifier de façon un peu plus consistante. Le problème, c'est que l'on peut tourner les choses comme on veut, on ne peut pas nier la place du CCI aujourd'hui parmi les rares organisations à défendre contre vents et marées l'internationalisme prolétarien : nous pouvons être "idéalistes" (dixit le BIPR), "conseillistes/anarchistes" (dixit le PCI) ou "léninistes" (dixunt les anarcho-conseillistes), mais personne jusqu'ici n'a jamais nié que le CCI est, sans ambiguïté et sans concessions, internationaliste. A défaut de pouvoir mettre en évidence une telle trahison du principe qui représente la ligne de démarcation entre prolétariat et bourgeoisie, elle en est réduite à la quête d'indices annonçant une telle perspective. Ainsi, on lit ceci dans la conclusion d'un article sur la crise Inde/Pakistan: "Quelle est la conclusion naturelle, logique, qui découle de toute l'argumentation de l'article de la Revue internationale ? (…)Que seules les grandes puissances, et en premier lieu les Etats-Unis, font des efforts, bien qu'insuffisants, "pour faire tomber la tension" et éviter la guerre (…)Tout cela donc, de manière naturelle, logique, ouvre la porte à ce que - quand l'occasion se présentera - on commence à appeler ou à "exiger" des bourgeoisies des grandes puissances qu'au lieu de "permettre" ou "d'attiser" les haines et les massacres, elles agissent plus résolument "pour faire tomber la tension" et qu'elles arrêtent le chaos...". Le procédé est tout simplement pitoyable car, en toute bonne fois, il n'est possible d'interpréter de la sorte pas plus la forme que le fond de notre analyse. Et la "fraction" termine ainsi son propos : "Il n'y a aucun appel concret, ni à la classe, ni aux révolutionnaires... Ce qui nous renvoie aux belles résolutions de la Seconde internationale à la veille de la guerre", ayant oublié apparemment que ces "belles résolutions" ont été proposées par… Lénine et Luxembourg; et qu'elles ont jeté les bases pour Zimmerwald. Heureusement pour la "fraction" que le ridicule ne tue pas !
De l'opportunisme à l'escroquerie
Il est vrai que le premier expert en étymologie venu vous expliquera que le sens des mots évolue dans le temps. Mais en tant que marxistes, ce qui nous intéresse n'est pas tant l'évolution du mot, que l'évolution des conditions historiques qui la sous-tendent. Par ceci nous voulons dire à la fois l'évolution des conditions historiques globales (ascendance ou décadence), et celle de l'expérience et de la compréhension du mouvement ouvrier. Alors, faire comme la "fraction" et prendre partout où on elle le trouve le mot "fraction", en ignorant complètement l’évolution de son sens historique et surtout le sens qu’il a acquis pour la Gauche communiste d’aujourd’hui, et noyer complètement le poisson en identifiant "fractions, groupements, tendances", "c’est consacrer le mot en rejetant la substance" comme disait Bilan (voir ci-dessus). Ce n’est, en fait, rien d’autre que de piller l’histoire du mouvement ouvrier à la recherche de justifications pour une politique et un comportement injustifiables. D’un côté, on cite un nombre infini de minorités diverses et variées pour démontrer que l’on n’a pas besoin, pour former une "fraction", de programme ni même de positions cohérentes,, ni de lutter contre la dégénérescence d’une organisation, ni de chercher une nouvelle cohérence et, de l’autre, on fait appel à la Gauche italienne (la "véritable" fraction, rappelons-le) pour justifier toutes les infractions commises contre nos principes organisationnels au nom d’une lutte contre la dégénérescence du CCI. C’est à dire, que l’on se réclame du droit de dire et de faire n’importe quoi, du moment que l’on s’arroge l’appellation de "fraction", sur la base de citations prises n’importe comment chez nos prédécesseurs. Si cela est une pratique déjà dénoncée par Marx et Lénine, de transformer les figures du mouvement ouvrier en icônes inoffensifs afin de justifier la politique de l’opportunisme,[18] notre "fraction" a fait un pas de plus : en cherchant à cacher sa pratique opportuniste derrière ce fatras pseudo-théorique, elle se livre à une véritable tentative d'escroquerie envers la notion même de fraction envers le milieu prolétarien.
Plus ça change, plus c'est la même chose, mais en pire
"Le congrès du CCI a marqué l’entrée définitive du CCI dans une phase de dégénérescence (…) Cette dégénérescence s’est manifestée, sur le plan des positions politiques, par la répudiation de certains des principes sur lesquels il s’était constitué (…) mais aussi et de la façon la plus caricaturale sur le plan de son fonctionnement interne par l’interdiction de réunions de discussions entre camarades minoritaires (…) la censure des textes publics de la tendance, la proposition de modifier sa plate-forme et ses statuts sans texte explicatif ni débat, ainsi qu’une multitude de résolutions et de prises de position à l’encontre des camarades minoritaires. La dégénérescence de la vie interne du CCI s’est marquée de façon irrévocable par l’exclusion de la tendance de l’instance suprême de l’organisation – son congrès international – suite au refus principiel de la tendance de prêter serment de fidélité à l’organisation pour après le congrès (…)
Par sa constitution, la Fraction entend :
e) représenter la continuité programmatique et organique avec le pôle de regroupement que fut le CCI, avec sa plate-forme et ses statuts qu’il a cessé de défendre (…)
g) établir un pont entre l’ancien pôle de regroupement que fut le CCI et le nouveau pôle que pourra se développer sur les bases de la Fraction dans le cours futur de la lutte de classe".
Le texte que nous venons de citer constitue la déclaration de la formation d’une "fraction"… non pas en 2001, mais en 1985 lors de la formation de la soi-disant "Fraction Externe du CCI", qui aujourd’hui est arrivée... non pas à défendre la continuité du CCI, mais à en mettre en question les positions les plus fondamentales, telles que celle de la décadence du capitalisme. On comprendra pourquoi nous restons de marbre face aux accusations actuelles de l’Infraction…
Il nous reste quand même à faire remarquer une différence d’attitude de la "fraction" de l’époque avec celle d’aujourd’hui. Si la "fraction" de 1985 s’est empressée par la suite de répandre des mensonges sans fin sur la "dégénérescence" du CCI, elle a tout de même terminé sa déclaration par ces mots : "[La Fraction] demande d’organiser immédiatement des rencontres avec les sections de Belgique, d’Angleterre, et des Etats-Unis afin de procéder à la remise du matériel et des finances appartenant à l’organisation". Alors que "la fraction" actuelle est partie en volant non seulement l’argent mais les documents les plus sensibles de l’organisation : les adresses des camarades et des abonnés.[19]
Ce n'est pas la première fois dans la l'histoire du CCI qu'un regroupement de mécontents traduit ses frustrations, ses rancœurs, bref tous ses griefs à l'encontre de l'organisation et de ses militants, en se constituant en fraction pour défendre le "vrai CCI" (cf. "La question du fonctionnement de l'organisation dans le CCI" dans la Revue Internationale n° 109). Néanmoins, on ne peut que constater une évolution dans les agissements de tels types de regroupement qui portent la marque de leur époque. La dernière "fraction" en date, avec ses mœurs de voyous, exprime pleinement le poids de l'idéologie du capitalisme en décomposition qui s'infiltre jusque dans les organisations révolutionnaires.
Jens, 6/12/2002
1 Pour des raisons de place, nous ne pouvons pas citer ici toute la lettre de refus des "fractionnistes", mais relevons notamment qu'ils exigent "la reconnaissance formelle et écrite de la fraction"(...),"la levée des sanctions en cours à l'égard de tous les membres de la Fraction [on devait donc leur donner le droit de transgresser à leur guise toute règle organisationnelle puisqu'ils étaient une "fraction"] et l'arrêt immédiat de la politique de discrédit, de mesures disciplinaires à leur égard; ce qui implique forcément le rejet de l'explication de 'clanisme' concernant la politique de notre Fraction (...) [les membres de la "fraction" n'ont jamais été sanctionnés pour "clanisme" comme ils le sous-entendent!], une remise en question de l'explication du clanisme comme cause de la crise actuelle...".
2 Voir dans la Revue Internationale n°110 l'article sur la Conférence Extraordinaire et notre analyse de la fraction.
3 Dans le n°9 de leur Bulletin. Le lecteur trouvera les textes cités sur membres.lycos.fr/bulletincommuniste.
4 Ce qui démontre que l'analyse de la nature de "fraction" n'est pas le simple fait d'une prétendue "direction liquidatrice", selon les termes de la fraction, mais de l'ensemble du CCI.
5 Voir la Revue Internationale n°33.
6 Selon les accusations de la "fraction", répétées ad nauseam dans leur Bulletin, il leur aurait été interdit d'écrire dans les Bulletins internes de l'organisation. La réalité, c'est que l'organisation a exigé – dans une résolution votée par les futurs membres de la "Fraction" que ces militants "fassent une critique radicale de leurs agissements" et "s'engagent dans une réflexion de fond sur les raisons qui les ont conduits à se comporter comme des ennemis de l'organisation" [ dans des réunions secrètes] et qu'ils s'en expliquent avant toute chose dans les bulletins internes. Suite à la création de la fraction – qui au contraire se réclame de ces réunions secrètes – nous avons simplement exigé qu'ils prennent position par écrit sur leur contenu. Voilà une drôle de censure, qui exige que la minorité écrive des textes, alors que cette dernière se revendique du droit de se taire! Nous renvoyons à l'article de la Revue internationale n°110 : "le combat pour la défense des principes organisationnels" pour la présentation détaillée du combat qu'a dû mener l'organisation vis-à-vis du comportement des membres de la "fraction".
7 Voir la Revue Internationale n°110 (Cf. note précédente) pour une présentation détaillée des faits qui ont entouré la constitution de ce « collectif ».
8 Op. cit., Revue Internationale n°33
9 Dans son article, la "fraction interne" fait tout un développement sur le fait que le pour le CCI une fraction "aboutit nécessairement à la scission" ; l'auteur de l'article a manifestement lu notre article de la Revue internationale n°108 avec des lunettes spéciales qui lui permettaient d'y voir ce qu'il avait envie.
10 C'est particulièrement culotté comme revendication, étant donné que les membres de la "fraction" ont ensuite refusé d'assister à une réunion de l'organe central, sous prétexte qu'avant de discuter de la situation créée par la "fraction", on allait discuter de... la situation internationale!
11 Etant donné que notre organisation est toujours, malheureusement, la seule à défendre de façon conséquente et sans la moindre ambiguïté que le milieu politique prolétarien existe, c’est fort de café comme raison pour former une fraction destinée à combattre la dégénérescence du CCI!
12 Nous passons ici sur les diverses accusations de "dérives organisationnelles" que contient la déclaration, et notamment sur l'accusation que le CCI aurait sanctionné un camarade qui « défendait courageusement ses positions ». La réalité, c'est que ce militant s'était fait l'écho, en cachette, de la campagne développée dans les couloirs par Jonas, contre un de nos militants accusé d'être un agent de l'Etat.
13 Voir membres.lycos.fr/bulletincommuniste/francais/b9/groupemindex.html.
14 Bilan n°17, "Projet de résolution sur les problèmes des fractions de gauche”.
15 Sans doute cette conclusion se veut un véritable camouflet à la dégénérescence théorique du CCI : "Tout ce qui pousse à l'unité dans la phase de montée des luttes…" - c'est-à-dire le développement de la lutte de classe, et surtout de la conscience du prolétariat des enjeux d’une situation révolutionnaire – ce même "tout" "pousse encore plus fortement à la désunion dans la phase de déclin des luttes".
16 Pour plus de développements, nous renvoyons à l'article de la Revue internationale n°110 sur la discipline. Notons au passage que notre "Infraction" a une idée bien à elle de la discipline, qui peut se résumer ainsi : quand nous sommes la majorité et que nous "tenons les rênes" de l’organisation, alors la discipline est bien ; quand nous sommes la minorité et devons accepter les mêmes règles que les autres, alors la discipline est mauvaise.
17J usqu'à récemment, une chose seulement manquait au tableau: un Staline dans le CCI. Avec "L'ultime" – et nauséabonde – "mise au point" publiée dans le Bulletin n°14, c'est chose faite.
18 "Du vivant des grands révolutionnaires, les classes d'oppresseurs les récompensent par d'incessantes persécutions; elles accueillent leur doctrine par la fureur la plus sauvage, par la haine la plus farouche, par les campagnes les plus forcenées de mensonges et de calomnies. Après leur mort, on essaie d'en faire des icônes inoffensives, de les canoniser pour ainsi dire, d'entourer leur nom d'une certaine auréole afin de "consoler" les classes opprimées et de les mystifier ; ce faisant, on vide leur doctrine révolutionnaire de son contenu , on l'avilit et on en émousse le tranchant révolutionnaire. C'est sur cette façon d'"accommoder" le marxisme que se rejoignent aujourd'hui la bourgeoisie et les opportunistes du mouvement ouvrier" (Lénine, L'Etat et la révolution).
19 Il vaut la peine de noter que la dernière publication de l’Infraction sur Internet a rendu publique, pour les polices du monde entier, la date de la conférence générale de notre section au Mexique…Cf. l'article "Les méthodes policières de la FICCI" paru dans Révolution Internationale n° 330.