Manifeste de la fraction italienne de la Gauche communiste (Extraits de Bilan n° 23 ; Juin 1944)

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(...) L'appel de notre fraction tend à mobiliser vos énergies afin qu'au naufrage de vos institutions de classe et de vos vies dans la guerre, soit opposée la seule réplique que l'histoire et la lutte des classes admettent : le naufrage et la destruction du régime capitaliste au travers de votre victoire insurrectionnelle. Dans ce but, seule la compréhension du passé peut projeter la lumière sur l'avenir et nous faire apercevoir le chemin de la victoire. (...)

Fascistes, démocrates, socialistes et centristes sont arrivés au terme de leur œuvre : après avoir, par des voies différentes, intimement collaboré à l'oeuvre de démantèlement et d'étranglement du prolétariat mondial, ils se rejoignent et fraternisent pour donner à cette oeuvre la seule conclusion que permet un régime basé sur la division en classes : la guerre. Oh! tous, de Staline à Vandervelde, de Mussolini et Hitler à Laval et Baldwin, tous voudraient éviter de tomber dans le précipice, après l'avoir, pendant des années et des années, creusé avec les os des prolétaires massacrés. Ainsi qu'en 1914, de même aujourd'hui, ceux qui - au travers de la guerre civile que le régime capitaliste porte en ses entrailles - ont étranglé, en le prolétariat, la seule force historique capable de construire une société sans classe (...), ceux qui, aujourd'hui, comme en 1914, ont vaincu dans la guerre civile, au nom et pour le compte du capitalisme, consacrent cette victoire dans le déchaînement de la guerre : après la "paix" entre les brigands pour massacrer le prolétariat, la "guerre" entre les brigands pour l'hécatombe de millions d'ouvriers.

Au nom de la "paix", on prépare fiévreusement la guerre. Mussolini voudrait "pacifiquement" conquérir l'Ethiopie et, suivant le chemin que les démocrates d'aujourd'hui, français et anglais, ont battu dans la passé, il veut amasser des monceaux de cadavres en Abyssinie afin de "civiliser" ces territoires, lui qui personnifie le régime d'esclavage et de terreur qui a brisé provisoirement la seule force de la civilisation en Italie : le prolétariat ; (...).

  • "Pacifiquement", le Négus voudrait conserver sa domination sur les populations abyssines soumises à un régime d'exploitation infâme ; ses déclamations sur l'indépendance et l'intégrité de la "nation", dans la phase actuelle où la seule force de progrès est le prolétariat mondial, ces déclamations se révèlent pour ce qu'elles sont : des instruments de tromperie des masses et Hailé Selassié acceptera tous les concours en cette oeuvre d'exploitation des travailleurs abyssins : celui de financiers "étrangers" qui acquerront des concessions pour sucer le sang des populations indigènes, celui des gendarmes "étrangers" qui briseront l'échine de ces travailleurs qui oseraient se dresser en un effort de défense et de rébellion.
  • "Pacifiquement", les impérialismes français et anglais voudraient conserver les positions conquises à Versailles.
  • "Pacifiquement", l'impérialisme allemand voudrait obtenir une révision des frontières établies en 1919.
  • "Pacifiquement", les socialistes voudraient garder les places qu'ils ont pu conquérir dans les organismes que le prolétariat a fondés au prix de la vie des ouvriers et en des batailles où il dut affronter la férocité capitaliste, dans des organismes qu'ils ont pliés au service de l'ennemi ; c'est "pacifiquement" qu'ils voudraient continuer l'orgie dans l'attente tranquille des appointements mensuels et des honneurs dans les ministères, les parlements et les autres institutions capitalistes.
  • "Pacifiquement", les centristes voudraient continuer à maintenir le prolétariat russe en une sujétion économique et politique qui leur permette de pénétrer dans l'aisance, la tranquillité, la débauche où se remuent les exploiteurs capitalistes.

(...) Et déjà la manœuvre qui tend à établir le front unique autour des impérialismes respectifs, déjà cette manoeuvre se profile à l'horizon de la situation actuelle. Au son de "l'Internationale", les prolétaires devraient se faire tuer au nom de l'antifascisme et de la démocratie où se dissimulent aujourd'hui les efforts des vampires capitalistes français et anglais, les gueules des traîtres socialistes et centristes fraternisant après que leur oeuvre ait obtenu son plein succès, l'oeuvre qui a fait de l'Etat russe - qui fut la forteresse de la révolution - une forteresse du régime capitaliste mondial. Contre la dictature des vainqueurs de Versailles et pour les nations "prolétariennes", les ouvriers allemands et italiens devraient se faire tuer. Les cuirassés anglais dans la Méditerranée, voilà le drapeau que tiennent dans leurs mains les socialistes et les centristes. Les armées italiennes en Ethiopie : voilà les étendards des "principes de la justice".

C'est là le panorama de la situation actuelle. La Société des Nations continue son rôle, en couvrant d'un masque qui veut aveugler les masses, l'activité qu'elle déploie pour la formation des constellations pour la guerre. Les principaux vainqueurs de Versailles, France et Angleterre, cherchent fiévreusement le chemin qui peut les conduire à une alliance militaire. La France, incertaine de l'appui anglais, voudrait se garantir contre l'Allemagne par un soutien italien et, dans ce but, elle est disposée à laisser les mains libres à Mussolini afin que celui-ci répète ce qu'elle fit jadis au Maroc, en Tunisie, en Indochine et dans toutes les autres colonies. D'autre part, l'Angleterre voudrait s'opposer à l'hégémonie française, ainsi qu'à l'expansion italienne, par un appui au plan allemand. Enfin, la lutte se déchaîne sur le front italo-allemand pour voir qui des deux pourra prendre la place de premier ordre dans la constellation des Etats qui combattront pour réparer les "injustices" de Versailles. La Russie Soviétique (...) agit au sein même du front des contrastes impérialistes et n'hésite pas à se relier avec celles des constellations où elle considère pouvoir mieux protéger ses intérêts. La Russie Soviétique n'hésite pas à appeler tous les ouvriers à se serrer autour de ces forces de "paix" qui s'appellent aujourd'hui la défense de la voie impériale anglaise, qui pourront demain s'appeler la défense des principes de justice dans l'intérêt des Etats qui furent vaincus à Versailles. (...)

Prolétaires

Le socialisme qui ne peut vaincre que sur un plan de luttes internationales du prolétariat, a été enfreint par les défaites du prolétariat allemand, italien, chinois, de tous les pays. Pour sauver le capitalisme dans l'immédiat après-guerre, les démocrates et les socialistes d'hier et d'aujourd'hui prirent une place de premier ordre et sauvèrent la "civilisation" en massacrant les prolétaires révolutionnaires. Ils représentèrent la force essentielle dont se servit le capitalisme pour sauver son régime. En un second moment, de nouvelles forces prirent cette place. Ces nouvelles forces (le centrisme ayant été engendré par la défaite de 1923 en Allemagne) purent arriver à briser dans la révolution chinoise le bastion que les millions d'exploités d'Asie voulaient élever pour se joindre au prolétariat des pays capitalistes en vue du triomphe de la révolution mondiale et, arrivèrent enfin, en 1928, à expurger les partis communistes de leur aile marxiste, préparant ainsi la trahison actuelle.

En 1922 tomba, en Italie, une forteresse du prolétariat mondial et, à cause de circonstances historiques qui empêchaient au capitalisme italien toute manoeuvre corruptrice au sein du prolétariat, eut lieu le triomphe des hordes fascistes. Successivement en Allemagne, en 1923, fut résolu, au désavantage du prolétariat mondial, le duel entre les classes protagonistes autour du nouvel organisme que la classe ouvrière internationale s'était donnée : l'Etat russe. Ainsi que pour les syndicats au temps de la Deuxième Internationale, la bourgeoisie comprit qu'envers l'Etat prolétarien il n'était pas possible de déchaîner l'attaque violente, mais il fallait recourir à la manoeuvre de la corruption. D'autre part, les bolcheviks qui dirigèrent les batailles de 1923, au travers de l'IC, crurent que le chemin à entreprendre pour la victoire mondiale consistait dans la subordination des batailles de classes allemandes au plan de l'extension et du développement de l'Etat russe. Dans ce but, ils défendirent une tactique insurrectionnelle contre laquelle ils avaient combattu en Russie, où le prolétariat avait conquis le pouvoir parce qu'au lieu de préconiser la collaboration ministérielle avec les ennemis des ouvriers, ainsi qu'on le fit en Saxe et en Thuringe en 1923, ils soutinrent le mot d'ordre de la conquête insurrectionnelle du pouvoir. Des batailles de 1923, en Allemagne, l'Etat prolétarien sortait avec une altération profonde de ses caractères et les prémisses étaient posées pour donner vie au nouveau courant qui devait rejoindre, dans sa fonction historique, le réformisme qui nous avait conduits à la trahison de 1914 et qui, en 1927, en Chine, se révéla digue essentielle de la défense du capitalisme international. (...)

Entre temps, de l'altération organique qui s'était produite en 1923 dans la politique de l'Etat prolétarien, devait se développer la nouvelle force de corruption et de trahison du prolétariat; le centrisme, qui re-calqua les traces laissées par le réformisme entre 1900 et 1914. En Allemagne, en face du plan du capitalisme pour arriver à la victoire fasciste, le centrisme représente, avec le socialisme, une force de premier ordre pour le succès de l'ennemi. En 1933, tombe un autre bastion du prolétariat international : les organismes du prolétariat allemand s'écroulent dans les cendres. Cette défaite emporta dans un tourbillon l'Internationale Communiste et marqua la bifurcation des situations qui se dirigeront désormais vers le déclenchement de la guerre. Ensuite, le capitalisme mondial, qui avait étranglé le prolétariat italien et allemand, dispersé - en s'appuyant sur le centrisme - le prolétariat chinois devait diriger son attaque frontale contre la classe ouvrière de ces pays qui, étant sortis victorieux à Versailles, pouvaient ne pas devoir recourir au fascisme. Durant les mois écoulés, ce plan du capitalisme a obtenu son succès total : Staline recevra en Laval l'ambassadeur du capitalisme et lui signifiera son total appui au plan d'armement pour la guerre. (...) Hitler portera à sa conclusion le plan de Noske et Scheideman en des circonstances historiques différentes. Les centristes ont immobilisé et dispersé le prolétariat chinois, écartelé le prolétariat français, en consacrant dans la personne de Staline, la rupture du front prolétarien.

Aujourd'hui, les centristes ont rejoint les traîtres de 1914 et les bourreaux fascistes, en proclamant la nécessité pour les prolétaires de défendre la patrie. Lénine disait, en 1915, que "les phrases sur la défense de la patrie, sur la résistance à l'agression ennemie, sur la guerre de défense, etc., ne représentent pas autre chose, des deux côtés, qu'une tromperie du peuple". Aujourd'hui, les centristes sont à leur place pour permettre le carnage mondial.

Les socialistes sauvent le régime capitaliste en 1919-20. L'immaturité du prolétariat mondial empêchera les bolcheviks de maintenir sur les rails de la révolution l'Etat prolétarien qui sortira défiguré des batailles de 1923 en Allemagne et engendrera le centrisme: voilà les prémisses de la terrible situation actuelle et de la guerre. (...)

 

PROLETAIRES DE TOUS LES PAYS

La manoeuvre de 1914 se répète. Vous êtes appelés à vous battre pour la démocratie contre la dictature : en réalité, vous êtes appelés à épouser la cause de vos impérialismes. Vous pourrez vous opposer à la guerre en déclenchant des mouvements de classe sur la base de vos organisations syndicales de masse. De telles batailles ne peuvent se résoudre qu'on opposant la révolution à la guerre. La révolution ne peut triompher qu'on fécondant le parti de classe, le guide des mouvements insurrectionnels. Au cas où vous ne sauriez faire déferler ces mouvements de classe, la guerre est inévitable et sa transformation en guerre civile n'est possible qu'au travers de la reprise de vos mouvements de classe pour la défaite de tous les Etats qui vous auront jetés dans le carnage mondial. Disposez-vous à combattre contre toutes les patries : fasciste, démocratique, soviétique. Votre lutte est la lutte pour l'Internationale, pour la révolution. Pour la victoire révolutionnaire, vous expulserez de vos rangs les traîtres socialistes et centristes qui, brisant votre front révolutionnaire, ont préparé les prémisses pour la guerre et prendront la tête des forces qui vous conduiront à une acceptation de la cause capitaliste : la cause de la guerre.

En Italie et en Allemagne, comme en Angleterre et en France, comme en Russie et en Abyssinie, dans tous les pays, vous lutterez pour la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile. (...)
  • Vive la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile !
  • Vive les fractions de la gauche communiste
  • Vive l'internationale et à bas toutes les patries !
  • Vive la révolution communiste mondiale !
Le congrès de la Fraction Italienne de la Gauche communiste

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