Soumis par CCI le
La plate-forme du CCI énonce les acquis essentiels du mouvement ouvrier sur les conditions et le contenu de la révolution communiste. Ces acquis peuvent être résumés ainsi :
a) Toutes les sociétés jusqu’à aujourd’hui ont été fondées sur l’insuffisance du développement des forces productives par rapport aux besoins des hommes. De ce fait, à l’exception du communisme primitif, elles ont toutes été divisées en classes sociales aux intérêts antagoniques. Cette division a provoqué l’apparition d’un organe, l’État, dont la fonction spécifique a été d’empêcher que ces antagonismes ne conduisent à un déchirement et à une destruction de la société elle-même.
b) Par le progrès que le capitalisme a impulsé au développement des forces productives, il a rendu nécessaire et possible son remplacement et son dépassement par une société fondée sur le plein développement des forces productives, l’abondance, la satisfaction de tous les besoins humains : le communisme. Une telle société n’est plus divisée en classes sociales et de ce fait ne connaît ni ne peut supporter l’existence d’un État.
c) Comme par le passé, il existe entre les deux sociétés stables que sont le capitalisme et le communisme, une période de transition pendant laquelle disparaissent les anciens rapports sociaux et se mettent en place les nouveaux. Pendant cette période, subsistent des classes sociales, des conflits entre elles et donc un organe ayant pour fonction d’empêcher que les conflits ne menacent la société : l’État.
d) L’expérience de la classe ouvrière a démontré que cet État ne peut en aucune façon constituer une continuité organique de l’État de la société capitaliste. C’est de fond en comble et à l’échelle mondiale que celui-ci doit être détruit pour que puisse s’ouvrir la période de transition du capitalisme au communisme.
e) La destruction mondiale du pouvoir politique de la bourgeoisie s’accompagne de la prise du pouvoir à cette échelle par le prolétariat, seule classe qui soit porteuse du communisme. La dictature du prolétariat qui s’instaure sur la société est basée sur l’organisation générale de la classe : les Conseils Ouvriers. C’est la classe ouvrière dans son ensemble qui seule peut exercer le pouvoir dans le sens de la transformation communiste de la société : contrairement aux classes révolutionnaires du passé, elle ne peut déléguer son pouvoir à une quelconque institution particulière, à aucun parti politique, y compris les partis ouvriers eux-mêmes.
f) Le plein exercice par le prolétariat de sa dictature de
classe suppose :
- son armement général,
- son absolue soustraction à toute soumission à des forces extérieures,
- le rejet de tout rapport de violence en son sein.
g) La dictature du prolétariat exerce sa fonction de levier
de la transformation sociale :
- en expropriant les anciennes classes exploiteuses,
- en socialisant progressivement les moyens de production,
- en menant une politique économique dans le sens de l’abolition du salariat et de la production marchande, dans celui de la satisfaction croissante des besoins humains.
La plate-forme du CCI, se basant sur l’expérience de la révolution, souligne la “complexité et la gravité du problème posé par les rapports entre la classe ouvrière organisée et l’État de la période de transition”. Elle estime que “dans la période qui vient, le prolétariat et les révolutionnaires ne pourront pas esquiver ce problème, mais se devront d’y consacrer tous les efforts nécessaires pour le résoudre”. C’est dans un tel effort que s’inscrit la présente résolution.
I- Spécificité de la période de transition du capitalisme au communisme
La période de transition du
capitalisme au communisme comporte un certain nombre de points communs avec les
autres périodes de transition antérieures. C’est ainsi que, comme par le passé :
- La période de transition du capitalisme au communisme ne connaît pas de mode de production propre, mais un enchevêtrement de deux modes de production ;
- Pendant cette période se développent lentement, au détriment de l’ancien, les germes du nouveau mode de production jusqu’au point de le supplanter ;
- Le dépérissement de l’ancienne société n’est pas automatiquement maturation de la nouvelle, mais seulement condition de cette maturation : en particulier, si la décadence du capitalisme exprime le fait que les forces productives ont atteint leur limite de développement dans le cadre de cette société, ces forces productives sont encore insuffisantes pour permettre le communisme et devront donc poursuivre leur développement pendant la période de transition.
Le dernier point commun qu’il est utile de mettre en évidence, entre toutes les périodes de transition, c’est qu’elles relèvent de la société qui va surgir. Dans la mesure où le communisme se distingue fondamentalement de toutes les autres sociétés, la transition qui y conduit comporte donc toute une série de caractéristiques inédites :
a) Elle ne marque plus le passage d’une société
d’exploitation à une autre société d’exploitation, d’une forme de propriété à
une autre forme de propriété, mais conduit à la fin de toute exploitation et de
toute propriété.
b) Elle n’est plus l’oeuvre d’une classe exploiteuse et
propriétaire des moyens de production, mais d’une classe exploitée qui n’a
jamais possédé et ne possédera jamais, même collectivement, de moyens de production,
d’économie propre.
c) Elle n’aboutit pas à la conquête du pouvoir politique par
la classe révolutionnaire ayant au préalable établi sa domination économique
sur la société, mais au contraire, commence et est conditionnée par cette prise
du pouvoir. La seule domination que le prolétariat pourra jamais exercer sur la
société sera de nature politique et non économique.
d) Le pouvoir politique du prolétariat n’aura pas pour fonction de stabiliser un état de choses existant, préserver des privilèges particuliers ou l’existence d’une division en classes, mais au contraire, de bouleverser continuellement cet état de choses, d’abolir tous les privilèges et toute division en classes.
II- L’État et son rôle dans l’histoire
Suivant les propres termes d’Engels :
- l’État n’est pas un pouvoir imposé du dehors de la société, il est un produit de la société â un stade donné de son développe ment ;
- il est l’aveu que cette société s’est engagé dans d’insolubles contradictions, s’étant scindée en oppositions inconciliables entre classes aux intérêts économiques antagonistes ;
- il a pour fonction de modérer ce conflit, de le maintenir dans les “limites de l’ordre” afin que les classes antagonistes et avec elles la société ne se consument pas en luttes stériles ;
- issu de la société, il se place au-dessus d’elle et tend constamment à lui devenir étranger et à se conserver lui-même ;
- sa fonction de préservation de l’ordre” identifie l’État aux rapports de production dominants et donc â la classe qui les incarne, la classe économiquement dominante, et qui, par l’intermédiaire de l’État, s’assure la domination politique.
Le marxisme n’a jamais donc considéré l’État comme une création ex-nihilo de la classe dominante, mais bien comme un produit, une sécrétion organique de l’ensemble de la société. L’identification entre la classe économiquement dominante et l’État est fondamentalement le résultat de l’identité de leurs intérêts communs de préservation des rapports de production existants. De même, à partir de la conception marxiste, on ne peut en aucune façon considérer l’État comme un agent révolutionnaire, un instrument de progrès historique.
En effet, pour le marxisme :
1°) la lutte de classe est le moteur de l’histoire ;
2°) L’État a pour fonction de modérer la lutte de classe et tout particulièrement au détriment de la classe exploitée.
La seule conclusion découlant logique ment de ces prémisses est que dans toute société, l’État ne peut être autre chose qu’une institution conservatrice par essence et par excellence. Aussi, si l’État est dans les sociétés de classes un instrument indispensable au processus productif en ce qu’il assure la stabilité nécessaire à sa continuation, il ne peut jouer ce rôle que par sa fonction d’agent de l’ordre social. Au cours de l’histoire, l’État apparaît donc comme un facteur conservateur et réactionnaire de premier ordre, comme une entrave à laquelle se heurte constamment l’évolution et le développement des forces productives.
Afin de pouvoir assurer son rôle d’agent de sécurité et de conservation, l’État s’appuie sur une force matérielle, sur la violence. Dans les sociétés passées, il possède en monopole exclusif toutes les forces de violence existantes : la police, l’année, les prisons.
Ayant son origine dans la nécessité historique de la violence, trouvant dans l’exercice de la coercition la condition de son épanouissement, l’État tend a devenir un facteur indépendant et supplémentaire de violence dans l’intérêt de son auto-conservation, de sa propre existence. La violence, en tant que moyen, devient un but en soi, entretenu et cultivé par 1’État, répugnant de par sa nature même à toute forme de société tendant à se passer de violence en tant que régulateur des rapports entre les hommes.
III- L’État dans la période de transition au communisme
L’existence dans la période de transition d’une division de la société en classes aux intérêts antagoniques fait surgir au sein de celle-ci, un État. Cet État a pour tâche de garantir les bases de la société transitoire à la fois contre toute tentative de restauration du pouvoir des anciennes classes exploiteuses et contre tout déchirement résultant des oppositions entre les différentes classes non exploitées qui subsistent en son sein.
L’État de la période de transition comporte un certain
nombre de différences d’avec celui des sociétés antérieures :
- pour la première fois de l’histoire, ce n’est pas l’État d’une minorité exploiteuse pour l’oppression de la majorité mais au contraire celui de la majorité des classes exploitées et non exploiteuses contre la minorité des anciennes classes déchues ;
- il n’est pas l’émanation d’une société et de rapports de production stables mais au contraire d’une société dont la caractéristique permanente est le constant bouleversement dans lequel s’opèrent les plus grandes transformations que l’histoire ait connues ;
- il ne peut s’identifier à aucune classe économiquement dominante dans la mesure où il n’existe aucune classe de ce type dans la période de transition ;
- contrairement à l’État des sociétés passées, celui de la société transitoire n’a plus le monopole des armes.
C’est pour l’ensemble de ces raisons et de leurs implications que les marxistes ont pu parler de “demi-État” au sujet de l’organe surgissant dans la période de transition.
Par contre, cet État conserve un certain nombre de
caractéristiques de ceux du passé. Il reste en particulier l’organe gardien du
statu-quo, chargé de codifier, légaliser un état économique déjà existant, de
le sanctionner, de lui donner force de loi, dont l’acceptation est obligatoire
pour tous les membres de la société. En ce sens, l’État reste un organe
fondamentalement conservateur tendant :
- non à favoriser la transformation sociale, mais à s’opposer à celle-ci ;
- à maintenir en vie les conditions qui le font vivre : la division de la société en classes ;
- à se détacher de la société, à s’imposer à elle et perpétuer sa propre existence et ses propres privilèges ;
- à lier son existence à la coercition, à la violence qu’il utilise nécessairement pendant la période de transition et à tenter de maintenir ce type de régulation des rapports sociaux.
C’est pour cela que l’État de la période de transition a été depuis le début considéré par les marxistes comme un “fléau”, “un mal nécessaire” dont il s’agit de “limiter les effets les plus fâcheux”. Pour l’ensemble de ces raisons, et contrairement à ce qui s’est produit dans le passé, la classe révolutionnaire ne peut s’identifier avec l’État de la période de transition.
D’une part, le prolétariat n’est pas une classe économiquement dominante. Il ne l’est ni dans la société capitaliste ni dans la société transitoire. Dans celle-ci, il ne possède aucune économie, aucune propriété même collective, mais lutte pour la disparition de l’économie, de la propriété. D’autre part, le prolétariat, classe porteuse du communisme, agent du bouleversement des conditions économiques et sociales de la société transitoire, se heurte nécessairement à l’organe tendant à perpétuer ces conditions. C’est pour cela qu’on ne peut parler ni d’“État socialiste”, ni d’“État ouvrier”, ni d’“État du prolétariat” durant la période de transition.
Cet antagonisme entre prolétariat et État se manifeste tant sur le plan immédiat que sur le plan historique.
Sur le terrain immédiat, le prolétariat devra s’opposer aux empiétements et à la pression de l’État en tant que représentant d’une société dans laquelle subsistent des classes aux intérêts antagoniques aux siens.
Sur le terrain historique, la nécessaire extinction de l’État dans le communisme, déjà mise en évidence par le marxisme, ne sera pas le résultat de sa dynamique propre mais le fruit d’une pression soutenue de la part du prolétariat qui le dépouillera progressivement de tous ses attributs au fur et à mesure de l’évolution vers la société sans classe.
Pour ces raisons, si le prolétariat doit se servir de l’État de la période de transition, il doit conserver sa complète indépendance à l’égard de cet organe. En ce sens, la dictature du prolétariat ne se confond pas avec l’État. Entre les deux existe un rapport de forces constant que le prolétariat devra maintenir en sa faveur : la dictature du prolétariat ne s’exerce pas dans l’État ni à travers l’État, mais sur l’État.
- Moyens concrets des rapports entre dictature du prolétariat et État de la période de transition
L’expérience de la Commune d’une part, et celle de la
révolution en Russie d’autre part, au cours de laquelle l’État a constitué
l’agent majeur de la contre-révolution en Russie même, ont mis en évidence la
nécessité d’un certain nombre de moyens permettant :
- de limiter les aspects “les plus fâcheux” de l’État ;
- d’assurer la pleine indépendance de la classe révolutionnaire ;
- de permettre la dictature du prolétariat sur l’État.
a) la
limitation des caractéristiques les plus néfastes de l’État de la société
transitoire passe par :
- le fait qu’il ne se constitue pas sur une couche spécialisée, les partis politiques, mais sur la base de délégués élus par les organisations territoriales, les conseils locaux, et révocables par elles ;
- que toute cette organisation étatique exclut catégoriquement toute participation des couches et classés exploiteuses qui sont privées de tout droit politique ;
- que la rémunération de ses membres, des fonctionnaires, ne peut jamais être supérieure à celle des ouvriers.
b) l’indépendance
de la classe ouvrière se manifeste par :
- le programme ;
- l’existence de ses partis de classe qui, contrairement aux partis bourgeois, ne peuvent comme tels, ni s’intégrer à l’État, ni assumer de fonction étatique sous peine de dégénérer et de perdre complètement leurs fonctions spécifiques dans la classe ;
- sa propre organisation de classe : les conseils ouvriers, distincts de toute organisation étatique ;
- son armement propre.
Elle s’exerce contre l’État et les
autres classes de la société :
- en ce qu’elle interdit toute intervention de leur part dans l’activité et l’organisation propre du prolétariat ;
- en ce qu’elle se réserve toute possibilité de défendre ses intérêts immédiats par l’utilisation de divers moyens de pression dont la grève.
c) La domination
de la dictature du prolétariat sur l’État et l’ensemble de la société se base
essentiellement :
- sur l’interdiction de toute organisation propre aux autres classes en tant que classes ;
- par sa participation hégémonique au sein de l’organisation d’où émane l’État ;
- sur le fait qu’elle s’impose comme seule classe armée.