Révolution allemande (IX) : L'action de mars 1921, le danger de l'impatience petite-bourgeoise

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Dans l'article précédent concernant le putsch de Kapp en 1920, nous avons souligné qu'après avoir subi les défaites de 1919, la classe ouvrière se remet à l'offensive. Mais, au niveau international, la poussée révolu­tionnaire est en train de décliner.

L'arrêt de la guerre a déjà, dans un grand nombre de pays, calmé les ardeurs révolu­tionnaires et surtout permis à la bourgeoisie d'exploiter la division entre ouvriers des « pays vainqueurs » et ceux des « pays vain­cus ». De plus, les forces du capital parvien­nent à isoler toujours plus le mouvement révolutionnaire en Russie. Les victoires de l'Armée rouge sur les armées blanches, puissamment soutenues par les démocraties bourgeoises, n'empêchent pas la classe dominante de poursuivre sa contre-offensive au niveau international.

En Russie même l'isolement de la révolution et l'intégration croissante du Parti bolchevik dans l'Etat russe font sentir leurs effets. En mars 1921 les ouvriers et les marins de Cronstadt se révoltent.

Sur cette toile de fond le prolétariat en Allemagne fait preuve d'une plus forte com­bativité que dans les autres pays. Partout les révolutionnaires se trouvent face à la ques­tion : comment réagir face à l'offensive de la bourgeoisie alors que la vague révolution­naire mondiale est sur le reflux ?

Au sein de l'Internationale communiste (IC) s'opère un tournant politique. Les 21 condi­tions d'admission adoptées par le 2e Congrès de l'IC de l'été 1920 l'expriment clairement. En particulier celles-ci imposent le travail au sein des syndicats tout comme la partici­pation aux élections parlementaires. L'IC effectue de ce fait un retour aux vieilles méthodes utilisées dans la période d'ascen­dance du capitalisme, avec l'espoir de tou­cher ainsi plus largement la classe ouvrière.

Ce tournant opportuniste trouve son expres­sion en Allemagne notamment dans la Lettre ouverte adressée par le KPD, en janvier 1921, aux syndicats, au SPD comme à la FAU (anarcho-syndicaliste), au KAPD et à l'USPD proposant « à l'ensemble des partis socialistes et des organisations syndicales, de mener des actions communes pour imposer les revendications politiques et économiques les plus urgentes de la classe ouvrière ». Cet appel qui s'adresse plus particulièrement aux syndicats et au SPD, va engendrer le « front unique ouvrier dans les usines ». « Le VKPD veut mettre de côté le souvenir de la responsabilité sanglante des dirigeants sociaux-démocrates majoritaires. Il veut mettre de côté le souvenir des servi­ces rendus par la bureaucratie syndicale aux capitalistes pendant la guerre et au cours de la révolution. » (Offener Brief, Die Rote Fahne, 8 janvier 1921) Par des flatte­ries opportunistes, le parti communiste cher­che à attirer de son côté des parties de la social-démocratie. Simultanément, il théo­rise, pour la première fois, la nécessité d'une offensive prolétarienne : « Si les partis et syndicats auxquels nous nous adressons devaient se refuser à entamer la lutte, le Parti communiste allemand unifié s'estime­rait alors contraint de la mener seul, et il est convaincu que les masses le suivraient. » (Ibidem)

L'unification entre le KPD et l'USPD, réali­sée en décembre 1920 et qui a permis la fondation du VKPD, a remis en selle la con­ception du parti de masse. Cela est renforcé par le fait que le parti compte désormais plus de 500 000 membres. C'est ainsi que le VKPD se laisse aveugler par le pourcentage de voix qu'il obtient lors des élections au Landtag de Prusse en février 1921 où il re­cueille pratiquement 30 % des suffrages. ([1])

Ainsi se répand, en son sein, l'idée qu'il a la capacité de « chauffer » la situation en Allemagne. Beaucoup se prennent à rêver d'un nouveau putsch d'extrême-droite, comme celui qui s'est produit un an aupara­vant, qui provoquerait un soulèvement ou­vrier avec des perspectives de prise de pou­voir. De telles visions sont dues, pour l'es­sentiel, à l'influence renforcée de la petite bourgeoisie dans le parti depuis l'unification du KPD et de l'USPD. L'USPD, comme tout courant centriste au sein du mouvement ouvrier, est fortement influencé par les con­ceptions et les comportements de la petite-bourgeoisie. De plus, l'accroissement numé­rique du parti tend à accentuer le poids de l'opportunisme ainsi que celui de l'immédia­tisme et de l'impatience petit-bourgeois.

C'est dans le contexte de reflux de la vague révolutionnaire au niveau international, s'ac­compagnant en Allemagne d'une profonde confusion au sein du mouvement révolution­naire, que la bourgeoisie lance une nouvelle offensive contre le prolétariat en mars 1921. Ce sont les ouvriers de l'Allemagne centrale qui vont constituer la cible principale de cette attaque. Une grande concentration prolétarienne s'était constituée, au cours de la guerre, dans cette région autour des usi­nes Leuna à Bitterfeld ainsi que dans le bassin de Mansfeld. La majorité des ou­vriers y est relativement jeune et combative mais ne dispose d'aucune grande expérience d'organisation. A lui seul le VKPD y compte 66 000 membres, le KAPD 3 200. Dans les usines Leuna 2 000 des 20 000 ouvriers font partie des Unions Ouvrières.

Dans la mesure où, suite aux affrontements de 1919 et au putsch de Kapp, de nombreux ouvriers sont restés en possession de leurs armes, la bourgeoisie a la volonté de pacifier la région.

La bourgeoisie cherche à provoquer les ouvriers

Le 19 mars 1921, de fortes troupes de police investissent Mansfeld afin d'effectuer le désarmement des ouvriers.

Cet ordre ne provient pas de l'aile d'extrême-droite de la classe dominante (au sein de l'armée ou des partis de droite) mais du gou­vernement démocratiquement élu. C'est encore une fois la démocratie qui joue le rôle de bourreau de la classe ouvrière cher­chant à la terrasser par tous les moyens.

Il s'agit pour la bourgeoisie, à travers le dé­sarmement et la défaite d'une fraction relati­vement jeune et très combative du proléta­riat allemand, d'affaiblir et de démoraliser la classe ouvrière dans son ensemble. Plus particulièrement, la classe dominante pour­suit l'objectif d'asséner un coup effroyable à l'avant-garde de la classe ouvrière, ses or­ganisations révolutionnaires. Contraindre à une lutte décisive prématurée en Allemagne centrale doit fournir à l'État l'occasion d'iso­ler les communistes de l'ensemble de la classe ouvrière. Elle cherche à jeter le dis­crédit sur eux pour ensuite les soumettre à la répression. Il s'agit de retirer au VKPD fraî­chement fondé toute possibilité de se conso­lider tout autant que d'anéantir le rappro­chement en cours entre le VKPD et le KAPD. Le capital allemand agit de toutes façons au nom de la bourgeoisie mondiale pour accroître l'isolement de la révolution russe et affaiblir l'IC.

L'Internationale, au même moment, attend avec impatience des mouvements de lutte qui viendraient soutenir de l'extérieur la ré­volution russe. On attend, en quelque sorte, que se produise une offensive de la bour­geoisie pour que la classe ouvrière, mise en situation difficile, réagisse avec force. Des attentats, comme celui qui est perpétré par le KAPD contre la colonne de la Victoire à Berlin le 13 mars, ont manifestement pour objectif de provoquer un développement de la combativité.

Lévi rapporte ainsi l'intervention de l'envoyé de Moscou, Rakosi, au cours d'une séance de la Centrale : « Le camarade expliquait : la Russie se trouve dans une situation extra­ordinairement difficile. Il serait absolument nécessaire que la Russie soit soulagée par des mouvements en Occident et, sur cette base, le Parti allemand devrait immédiate­ment passer à l'action. Le VKPD comptait aujourd'hui 50 000 adhérents et, avec cela, on pouvait dresser 1 500 000 prolétaires, ce qui suffisait pour renverser le gouverne­ment. Il était donc pour engager immédia­tement le combat avec le mot d'ordre de ren­versement du gouvernement. » (P. Lévi, Lettre à Lénine, 27 mars 1921)

« Le 17 mars se tint la séance du Comité central du KPD au cours de laquelle l'im­pulsion ou les directives du camarade en­voyé de Moscou furent adoptées comme thè­ses d'orientation. Le 18 mars Die Rote Fahne s'aligne sur la nouvelle résolution et appelle à la lutte armée sans dire préala­blement pour quels objectifs et conserve le même ton durant quelques jours. » (Ibidem)

L'offensive du gouvernement tant attendue s'ouvre en mars 1921 avec l'engagement des troupes de police en Allemagne centrale.

Forcer la révolution ?

Les forces de police envoyées le 19 mars en Allemagne centrale par le ministre social-démocrate Hörsing ont pour ordre d'entre­prendre des perquisitions dans les domiciles afin de désarmer à tout prix les ouvriers. L'expérience du putsch de Kapp a dissuadé le gouvernement d'engager les soldats de la Reichswehr.

La même nuit la grève générale est décidée dans la région à partir du 21 mars. Le 23 mars, se produisent les premiers affron­tements entre les troupes de la police de sécurité du Reich (SiPo) et les ouvriers. Le même jour, les ouvriers de l'usine Leuna de Merseburg proclament la grève générale. Le 24 mars le KAPD et le VKPD lancent un appel commun à la grève générale dans toute l'Allemagne. En réponse à celui-ci, des manifestations et des fusillades entre des grévistes et la police se produisent sporadi­quement dans plusieurs villes d'Allemagne. 300 000 ouvriers environ participent à la grève dans tout le pays.

Le principal lieu d'affrontement reste cepen­dant la région industrielle d'Allemagne cen­trale où prés de 40 000 ouvriers et 17 000 soldats de la Reichswehr et de la police se font face. Dans les usines Leuna, 17 centu­ries prolétariennes armées sont mises sur pied. Les troupes de police mettent tout en oeuvre pour les prendre d'assaut. Ce n'est qu'après plusieurs jours qu'elles réussissent à conquérir l'usine. Pour ce faire, le gouver­nement a même recours à l'aviation qui bombarde l'usine. Tous les moyens sont bons contre la classe ouvrière.

A l'initiative du KAPD et du VKPD, des attentats à la dynamite sont commis à Dresde, Freiberg, Leipzig, Plauen et ailleurs. Les journaux Hallische Zeitung et Saale Zeitung qui agissent de façon particu­lièrement provocatrice contre les ouvriers sont réduits au silence à l'explosif.

Alors que la répression en Allemagne cen­trale entraîne spontanément les ouvriers à la résistance armée, ils ne parviennent cepen­dant pas à opposer une riposte coordonnée aux sbires du gouvernement. Les organisa­tions de combat mises sur pied par le VKPD et dirigées par H. Eberlein sont militaire­ment et organisationnellement mal prépa­rées. Max Hölz, à la tête d'une troupe de combat ouvrière forte de 2 500 hommes, réussit à parvenir à quelques kilomètres de l'usine Leuna assiégée par les troupes gou­vernementales et tente de réorganiser les forces. Ses troupes sont exterminées le 1er avril, deux jours après la prise d'assaut des usines Leuna. Bien que la combativité, dans les autres villes, ne s'exprime pas, le VKPD et le KAPD appellent à la riposte armée immédiate contre les forces de police : « La classe ouvrière est conviée à entrer en lutte active pour les objectifs suivants :

1° le renversement du gouvernement (...),

2° le désarmement de la contre-révolution et l'armement des ouvriers. » (Appel du 17 mars 1921)

Dans un autre appel du 24 mars, la Centrale du VKPD lance aux ouvriers : « Pensez que l'année dernière vous avez vaincu en cinq jours les gardes blancs et la racaille des Corps Francs du Baltikum grâce à la grève générale et au soulèvement armé. Luttez avec nous comme l'année dernière au coude à coude pour abattre la contre-révolution ! Entrez partout en grève générale ! Brisez par la violence la violence de la contre-révolution ! Désarmement de la contre-révolution, armement et formation de mili­ces locales à partir des cellules des ou­vriers, des employés et des fonctionnaires organisés !

Formez immédiatement des milices locales prolétariennes ! Assurez vous du pouvoir dans les usines ! Organisez la production à travers les conseils d'usine et les syndicats ! Créez du travail pour les chômeurs ! »

Cependant, localement les organisations de combat du VKPD ainsi que les ouvriers qui se sont spontanément armés ne sont pas seulement mal préparés, mais les instances locales du parti sont aussi sans contact avec la Centrale. Les différents groupes de com­bat dont les plus connus sont ceux de Max Hölz et de Karl Plättner, combattent en dif­férents lieux de la zone d'insurrection, isolés les uns des autres. Nulle part il n'y a des conseils ouvriers qui puissent coordonner leurs actions. En revanche, les troupes gou­vernementales de la bourgeoisie se trouvent, elles, en contact étroit avec le grand quartier général qui les dirige !

Après la chute des usines Leuna, le VKPD retire son appel à la grève générale le 31 mars. Le 1er avril, les derniers groupes ouvriers armés d'Allemagne centrale se dissolvent.

L'ordre bourgeois règne à nouveau ! A nou­veau la répression se déchaîne. A nouveau de nombreux ouvriers sont soumis aux bru­talités de la police. Des centaines d'entre eux sont passés par les armes, plus de 6 000 sont arrêtés.

L'espoir de la grande majorité du VKPD et du KAPD, selon lequel une action provoca­trice de la part de l'appareil de répression de l'Etat déclencherait une puissante dynami­que de riposte dans les rangs ouvriers, s'est effondré. Les ouvriers d'Allemagne centrale sont restés isolés.

Le VKPD et le KAPD ont manifestement poussé au combat sans tenir compte de l'ensemble de la situation, de telle manière qu'ils se sont complètement éloignés des ouvriers hésitants, qui n'étaient pas prêts à entrer dans l'action, et ils ont créé une divi­sion au sein de la classe ouvrière en adop­tant la devise « Qui n'est pas avec moi est contre moi. » (éditorial de Die Rote Fahne du 20 mars)

Au lieu de reconnaître que la situation n'était pas favorable, Die Rote Fahne écrit : « Ce n'est pas seulement sur la tête de vos dirigeants, mais c'est sur la tête de chacun d'entre vous que repose la responsabilité sanglante lorsque vous tolérez en silence ou en protestant sans agir que les Ebert, Severing, Hörsing abattent la terreur et la justice blanches contre les ouvriers. (...) Honte et ignominie à l'ouvrier qui reste à l'écart, honte et ignominie à l'ouvrier qui ne sait pas encore où est sa place. »

Afin de provoquer artificiellement la com­bativité, on a cherché à engager les chô­meurs comme fer de lance. « Les chômeurs ont été envoyés en avant comme détache­ment d'assaut. Ils ont occupé les portes des usines. Ils les ont forcées pour entrer à l'in­térieur, éteindre les feux ici ou là et tenter de faire sortir les ouvriers à coups de poing hors des usines. (...) Quel spectacle épou­vantable de voir les chômeurs se faire éjec­ter des usines, pleurant bruyamment sous les coups reçus et fuir ensuite ceux qui les avaient envoyés là-bas. »

Que le VKPD, dès avant le début des luttes, ait eu une fausse appréciation du rapport de forces, et qu'après le déclenchement des luttes il n'ait pas été capable de réviser son analyse est déjà suffisamment tragique. Malheureusement, il fait pire en lançant le mot d'ordre : « A la vie ou à la mort » selon le faux principe que les communistes ne reculent jamais !

« En aucun cas un, communiste, même s'il se trouve en minorité, ne doit se rendre au travail. Les Communistes ont quitté les usines. Par groupes de 200, 300 hommes, parfois davantage, parfois moins, ils sont sortis des usines : l'usine a continué à fonc­tionner. Ils sont aujourd'hui chômeurs, les patrons ayant saisi l'occasion d'épurer les usines des communistes à un moment où ils avaient une grande partie des ouvriers de leur côté. » (Lévi, ibidem)

Quel bilan des luttes de mars ?

Alors que la classe ouvrière se voyait impo­ser cette lutte par la bourgeoisie, et qu'il lui était impossible de l'éviter, le VKPD « commit une série de fautes dont la princi­pale consista en ce que, au lieu de faire clairement ressortir le caractère défensif de cette lutte, par son cri d'offensive, il fournit aux ennemis sans scrupule du prolétariat, à la bourgeoisie, au parti social-démocrate et au parti indépendant, un prétexte pour dé­noncer le parti unifié comme un fauteur de putsch. Cette faute fut encore exagérée par un certain nombre de camarades du parti, présentant l'offensive comme la méthode de lutte essentielle du Parti communiste unifié d'Allemagne dans la situation ac­tuelle. » (Thèse sur la tactique, 3e Congrès de l'IC, juin 1921, Manifestes, thèses et ré­solutions des quatre premiers congrès mondiaux de l'Internationale Communiste)

Que les communistes interviennent pour renforcer la combativité est le premier de leurs devoirs. Mais ils n'ont pas à le faire à n'importe quel prix.

« Pratiquement, les communistes sont donc la fraction la plus résolue des partis ou­vriers de tous les pays, la fraction qui en­traîne toutes les autres : théoriquement, ils ont sur le reste du prolétariat l'avantage d'une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouve­ment prolétarien. » (Marx-Engels, Le Manifeste du Parti communiste, 1848) C'est pourquoi les communistes doivent se carac­tériser vis-à-vis de la classe dans son en­semble par leur capacité à analyser correc­tement le rapport de forces entre les clas­ses, à percer à jour la stratégie de l'ennemi de classe. Pousser une classe faible ou in­suffisamment préparée à des combats déci­sifs comme la faire tomber dans les pièges tendus par la bourgeoisie, c'est ce que les révolutionnaires peuvent faire de plus irres­ponsable. Leur première responsabilité est de développer leur capacité d'analyse de l'état de la conscience et de la combativité au sein de la classe ainsi que de la stratégie adoptée par la classe dominante. Ce n'est qu'ainsi que les organisations révolutionnai­res prennent véritablement en charge leur rôle dirigeant dans la classe.

Aussitôt après l'Action de mars, de violents débats se développent au sein du VKPD et du KAPD.

Les conceptions organisationnelles fausses : un obstacle à la capacité du Parti à faire son autocritique

Dans un article d'orientation du 4-6 avril 1921, Die Rote Fahne affirme que « Le VKPD a inauguré une offensive révolution­naire » et que l'Action de mars constitue « le début, le premier épisode des luttes décisi­ves pour le pouvoir. »

Les 7 et 8 avril, son Comité Central se réunit et au lieu de se livrer à une analyse critique de l'intervention, Heinrich Brandler cherche avant tout à justifier la politique du parti. Pour lui, la principale faiblesse réside dans un manque de discipline des militants lo­caux du VKPD et dans la défaillance de l'organisation militaire. Il déclare : « Nous n'avons souffert aucune défaite, c'était une offensive. »

Vis-à-vis de cette analyse Paul Lévi, s'élève comme le critique le plus virulent contre l'attitude du parti durant l'Action de mars.

Après avoir démissionné du Comité Central en février 1921 aux côtés de Clara Zetkin, à cause, entre autres, de divergences concer­nant la fondation du Parti Communiste d'Italie, il va, une fois encore, se révéler in­capable de faire avancer l'organisation par la critique. Le plus tragique, « c'est que Lévi a au fond raison sur bien des points dans sa critique de l'Action de mars 1921 en Allemagne. » (Lénine, Lettre aux communistes allemands, 14 août 1921, Oeuvres, tome 32) Mais au lieu de faire sa critique dans le cadre de l'organisation, se­lon les règles et principes de celle-ci, il ré­dige les 3 et 4 avril une brochure qu'il publie à l'extérieur dès le 12 avril sans la soumettre préalablement au débat dans le parti. ([2])

Dans cette brochure, il ne se contente pas de bafouer la discipline organisationnelle, il expose aussi des détails concernant la vie in­terne du parti. Ce faisant, il brise un prin­cipe prolétarien, et même met en péril l'or­ganisation en étalant publiquement son mode de fonctionnement. Il est exclu du parti le 15 avril pour comportement portant atteinte à sa sécurité. ([3])

Lévi qui inclinait, comme nous l'avons mon­tré dans un article précédent sur le Congrès du KPD d'Heidelberg en octobre 1919, à concevoir toute critique comme une attaque contre l'organisation, mais aussi contre sa propre personne, sabote maintenant tout fonctionnement collectif. Son point de vue le manifeste : « Ou bien l'Action de mars était valable et alors ma place est d'être exclu (du Parti). Ou bien l'Action de mars était une erreur et alors ma brochure est justifiée. » (Lévi, Lettre à la Centrale du VKPD). Cette attitude dommageable pour l'organisation a été critiquée de façon répétée par Lénine. Après l'annonce de la démission de Lévi de la Centrale du VKPD en février, il écrit à ce sujet : « Et la démission du Comité central !!?? C'est là, en tout état de cause, la plus grande des erreurs. Si nous tolérons des façons de faire telles que les membres du Comité central en démissionnent dès qu'ils s'y trouvent en minorité, le dévelop­pement et l'assainissement des partis com­munistes ne suivront jamais un cours nor­mal. Au lieu de démissionner, il vaudrait mieux discuter à plusieurs reprises des questions litigieuses conjointement avec le Comité exécutif. (...) Il est indispensable de faire tout le possible et même l'impossible – mais, coûte que coûte, éviter les démis­sions et ne pas aggraver les divergences. » (Lénine, Lettre à Clara Zetkin et à Paul Lévi, le 16 avril 1921, Oeuvres, tome 45)

Les accusations, en partie exagérées, dont Lévi charge le VKPD (qui est pratiquement vu comme l'unique fautif, mettant de côté la responsabilité de la bourgeoisie dans la dé­clenchement des luttes de mars) s'appuient sur une vision quelque peu déformée de la réalité.

Après son exclusion du parti, Lévi édite pendant une courte période la revue Le Soviet qui devient le porte-parole de ceux qui s'opposent à la direction prise par le VKPD.

Lévi cherche à exposer sa critique à la tacti­que du VKPD devant le Comité central qui refuse de l'admettre à ses séances. C'est Clara Zetkin qui le fait à sa place. Il défend que « les communistes n'ont pas la possibi­lité (...) d'entreprendre des actions à la place du prolétariat, sans le prolétariat et à la fin, même, contre le prolétariat. » (Lévi, ibidem) Clara Zetkin propose alors une con­tre-résolution à la prise de position du parti. Mais la séance du Comité central rejette majoritairement la critique et souligne que « s'esquiver face à l'action (...) était impos­sible pour un Parti révolutionnaire et aurait constitué un renoncement pur et simple à sa vocation de diriger la révolution. » Le VKPD « doit, s'il veut remplir sa tâche his­torique, se tenir fermement à la ligne de l'of­fensive révolutionnaire, qui se trouve au fondement de l'Action de mars et marcher dans cette voie avec détermination et con­fiance. » (« Leitsätze über die Märzaktion », Die Internationale n°4, avril 1921)

La Centrale persiste dans la poursuite de la tactique de l'offensive dans laquelle elle s'est engagée et rejette toutes les critiques. Dans une proclamation du 6 avril 1921 le Comité exécutif de l'IC (CEIC) approuve l'attitude du KPD et lance : « L'Internationale Communiste vous dit : "Vous avez bien agi." (...) Préparez-vous à de nouveaux com­bats. » (publié dans Die Rote Fahne du 14 avril 1921)

C'est ainsi que lors du 3e Congrès mondial de l'IC, des désaccords sur l'analyse des événements en Allemagne s'expriment. En particulier le groupe autour de Zetkin dans le VKPD est fortement attaqué dans la première partie de la discussion. Ce sont les interventions et l'autorité de Lénine et Trotsky qui amènent un tournant dans les débats en refroidissant les têtes chaudes.

Lénine, absorbé par les événements de Cronstadt et la conduite des affaires de l'Etat, n'a pas eu le temps de suivre les évé­nements d'Allemagne non plus que les dé­bats sur le bilan à en tirer. Il commence à peine à s'y intéresser de près. D'un côté, il rejette la rupture de la discipline par Lévi avec la plus extrême fermeté, de l'autre, il annonce que l'Action de mars, du fait « de l'importance de sa signification internatio­nale, doit être soumise au 3e Congrès de l'Internationale Communiste. » Que la dis­cussion au sein du parti soit la plus large possible et sans entrave, tel est le souci de Lénine.

W. Koenen, le représentant du VKPD au­près du CEIC, est envoyé en Allemagne par celui-ci pour faire que le Comité central du parti ne prenne pas une décision définitive contre l'opposition. Dans la presse du Parti, les critiques de l'Action de mars retrouvent la possibilité de s'exprimer. La discussion sur la tactique se poursuit.

Cependant, la majorité de la Centrale conti­nue à défendre la prise de position adoptée en mars. Arkady Maslow réclame une nou­velle approbation de l'Action de mars. Gouralski, un envoyé du CEIC déclare même : « Ne nous préoccupons pas du passé. Les prochaines luttes politiques du Parti sont la meilleure réponse aux attaques de la tendance Lévi. » A la séance du Comité central des 3 et 5 mai Thalheimer intervient pour que l'on reprenne l'unité d'action des ouvriers. F. Heckert plaide pour renforcer le travail dans les syndicats.

Le 13 mai, Die Rote Fahne publie des Thèses qui développent l'objectif d'accélérer artifi­ciellement le processus révolutionnaire. L'Action de mars y est citée en exemple. Les communistes « doivent, dans des situations particulièrement graves où les intérêts essentiels du prolétariat se trouvent mena­cés, précéder d'un pas les masses et cher­cher de par leur initiative à les engager dans la lutte, même au risque de n'être suivi que par une partie de la classe ouvrière. » W. Pieck qui, en janvier 1919, s'était jeté dans l'insurrection avec K. Liebknecht en allant à l'encontre de la décision du Parti, pense que les affrontements au sein de la classe ouvrière « se produiront encore plus fréquemment. Les communistes doivent se tourner contre les ouvriers quand ceux-ci ne suivent pas nos appels. »

La réaction du KAPD

Si le VKPD et le KAPD ont fait un pas en avant en voulant pour la première fois en­treprendre des actions communes, malheu­reusement celles-ci ont lieu dans des condi­tions défavorables. Le dénominateur com­mun de la démarche du VKPD et du KAPD dans l'Action de mars est de vouloir porter secours à la classe ouvrière en Russie. Le KAPD défend encore à cette époque la révolution en Russie. Les conseillistes, qui en seront issus, prendront une position op­posée.

Cependant l'intervention du KAPD est su­jette à des tiraillements. D'un côté la direc­tion lance un appel commun à la grève géné­rale avec le VKPD et envoie deux représen­tants de la Centrale en Allemagne centrale, F. Jung et F. Rasch, pour soutenir la coordi­nation des actions de combat ; de l'autre, les dirigeants locaux du KAPD, Utzelmann et Prenzlow, sur la base de leur connaissance de la situation dans le bassin industriel de l'Allemagne centrale, tiennent toute tentative de soulèvement pour insensée et ne veulent pas aller plus loin que la grève générale. Ils sont d'ailleurs intervenus auprès des ouvriers de Leuna pour qu'ils demeurent sur le site de l'usine et se préparent à engager une lutte défensive. La direction du KAPD réagit sans concertation avec les instances du parti sur place.

Dès le mouvement terminé, le KAPD se livre à peine à un début d'analyse critique de sa propre intervention. De plus, il développe une analyse contradictoire des événements. Dans une réponse à la brochure de P. Lévi, il met en évidence la problématique fonda­mentalement erronée qui se trouve à la base de la démarche de la Centrale du VKPD. H. Gorter écrit :

« Le VKPD a, par l'action parlementaire – qui dans les conditions du capitalisme en banqueroute n'a plus d'autre signification que la mystification des masses – détourné le prolétariat de l'action révolutionnaire. Il a rassemblé des centaines de milliers de non-communistes en devenant un "parti de masse". Le VKPD a soutenu les syndicats par sa tactique de création de cellules en leur sein (...) lorsque la révolution alle­mande, de plus en plus impuissante, recula, lorsque les meilleurs éléments du VKPD de plus en plus insatisfaits eurent commencé à réclamer de passer à l'action – il se décida alors soudain à une grande tentative pour la conquête du pouvoir politique. Voici en quoi elle consista : avant la provocation d'Hörsing et de la SiPo, le VKPD décida une action artificielle d'en haut, sans impulsion spontanée des grandes masses; autrement dit, il adopta la tactique du putsch.

Le Comité exécutif et ses représentants en Allemagne avaient insisté depuis longtemps pour que le Parti frappe et démontre qu'il était un parti vraiment révolutionnaire. Comme si l'essentiel d'une tactique révolu­tionnaire consistait seulement à frapper de toutes ses forces ! Au contraire, quand au lieu d'affermir la force révolutionnaire du prolétariat, un parti mine cette même force et affaiblit le prolétariat par son soutien au parlement et aux syndicats et qu'après (de tels préparatifs !!), il se résout soudain à frapper en lançant une grande action offen­sive en faveur de ce même prolétariat qu'il vient ainsi d'affaiblir, il ne peut être ques­tion dans tout ceci que d'un putsch. C'est-à-dire d'une action décrétée d'en haut, n'ayant pas sa source dans les masses elles-mêmes, et par conséquent vouée à l'échec dès le dé­part. Et cette tentative de putsch n'est nullement révolutionnaire ; elle est oppor­tuniste exactement au même titre que le parlementarisme ou la tactique des cellules syndicales. Oui, cette tactique est le revers inévitable du parlementarisme et de la tactique des cellules syndicales, du racolage d'éléments non-communistes, de la politique des chefs substituée à celle des masses, ou mieux encore, à la politique de classe. Cette tactique faible, intrinsèquement corrompue doit fatalement conduire à des putschs. » (Hermann Gorter, « Leçons de l'Action de mars », Postface à la lettre ouverte au ca­marade Lénine, Der Proletarier, mai 1921)

Ce texte du KAPD met le doigt avec jus­tesse sur la contradiction entre la tactique du front unique qui renforce les illusions des ouvriers vis-à-vis des syndicats et de la so­cial-démocratie, et l'appel simultané et sou­dain à l'assaut contre l'Etat. Mais, en même temps, dans sa propre analyse, on trouve des contradictions : tandis que, d'un côté, il parle d'une action défensive des ouvriers, de l'au­tre il caractérise l'Action de mars comme « la première offensive consciente des prolétaires révolutionnaires allemands con­tre le pouvoir d'Etat bourgeois. » (F. Kool, Die Linke gegen die Parteiherrschaft) A cet égard, le KAPD fait même le constat que « les larges masses ouvrières sont restées neutres, quand ce n'est pas hostiles, vis à vis de l'avant-garde combative. » Lors du con­grès extraordinaire du KAPD en septembre 1921, les leçons de l'Action de mars ne sont pas examinées plus avant.

C'est sur cette toile de fond, avec des débats virulents au sein du VKPD et des analyses contradictoires de la part du KAPD, que se tient, à partir de fin juin 1921, le 3e Congrès mondial de l'Internationale Communiste.

L'attitude de l'Internationale face à l'Action de mars

Au sein de l'Internationale, le processus de formation de différentes tendances s'est mis en branle. Le CEIC lui-même n'a pas, vis-à-vis des événements en Allemagne, de posi­tion unitaire et ne parle pas d'une seule voix. Depuis longtemps le CEIC est divisé sur l'analyse de la situation en Allemagne. Radek développe envers les positions et le comportement de Lévi de nombreuses criti­ques dont se sont saisis d'autres membres de la Centrale. Au sein du VKPD, ces criti­ques ne sont cependant pas exprimées pu­bliquement et ouvertement lors du congrès du parti ou ailleurs

Au lieu de débattre publiquement de l'ana­lyse de la situation, Radek a provoqué ainsi de profonds dégâts dans le fonctionnement du parti. Souvent les critiques ne sont pas exposées fraternellement en toute netteté, mais sous une forme couverte. Souvent ce qui se retrouve au centre des débats, ce ne sont pas les erreurs politiques mais les in­dividus qui en sont responsables. La ten­dance à la personnalisation des positions politiques s'impose. Au lieu de construire l'unité autour d'une position et d'une mé­thode, au lieu de lutter comme un corps fonctionnant collectivement, on détruit ainsi de façon complètement irresponsable le tissu organisationnel.

Plus largement les communistes en Allemagne sont eux-mêmes très profondé­ment divisés. D'une part, à ce moment-là, les deux partis, le VKPD et le KAPD, qui font partie de l'IC, s'affrontent le plus violem­ment sur l'orientation que doit avoir l'organi­sation.

Vis-à-vis de l'IC, avant l'Action de mars, des parties du VKPD taisent certaines informa­tions concernant la situation ; de même les divergences d'analyse ne sont pas portées à la connaissance de l'IC dans toute leur am­pleur.

Au sein de l'IC même, il n'y a pas de réac­tion véritablement commune ni d'approche unitaire de cette situation. Le soulèvement de Cronstadt monopolise complètement l'attention de la direction du parti bolchevik, l'empêchant de suivre plus en détail la si­tuation en Allemagne. De plus, la manière dont les décisions sont prises au sein du CEIC n'est souvent pas très claire et il en est de même pour les mandats qui sont donnés à des délégations. Justement, concernant l'Allemagne, les mandats de Radek et des autres délégués du CEIC ne semblent pas avoir été déterminés avec beaucoup de clarté. ([4])

Ainsi, dans cette situation de division crois­sante notamment au sein du VKPD, les membres du CEIC – en particulier Radek – sont entrés officieusement en contact avec des tendances au sein des deux partis, VKPD et KAPD, pour convenir, à l'insu des organes centraux des deux organisations, des préparatifs en vue de mesures putschis­tes. Au lieu de pousser les organisations à l'unité, à la mobilisation et à la clarification, on favorise ainsi leur division et on accélère, en leur sein, la tendance à prendre des déci­sions en dehors des instances responsables. Cette attitude, prise au nom du CEIC favo­rise ainsi au sein du KAPD et du VKPD le développement de comportements domma­geables à l'organisation.

P. Lévi la critique ainsi : « Il était de plus en plus fréquent que les envoyés du CEIC outrepassent leurs pleins pouvoirs, et qu'il se révèle ultérieurement que ces envoyés, pour tel ou tel d'entre eux, n'avaient reçu aucun plein pouvoir. » (Lévi, Unser weg, wider den Putschismus, 3 avril 1921)

Les structures de fonctionnement et de dé­cision définies dans les statuts, aussi bien au sein de l'IC que du VKPD et du KAPD, sont contournées. Lors de l'Action de mars, dans les deux partis, l'appel à la grève générale se fait sans que l'ensemble de l'organisation ne soit impliqué dans la réflexion et dans la décision. En réalité, ce sont les camarades du CEIC qui ont pris contact avec des éléments ou certaines tendances existant au sein de chaque organisation et qui ont poussé à passer à l'action. C'est le parti en tant que tel qui se trouve de cette façon « contourné » !

Ainsi, il est impossible de parvenir à une démarche unitaire de la part de chaque parti respectif et encore moins à une action com­mune des deux partis.

L'activisme et le putschisme ont en partie pris le dessus dans chacune des deux organi­sations, accompagnés de comportements in­dividuels très destructeurs pour le parti et la classe dans son ensemble. Chaque tendance commence à mener sa propre politique et à créer ses propres canaux informels et paral­lèles. Le souci de l'unité du parti, d'un fonc­tionnement conforme à des statuts est en grande partie perdu.

Bien que l'IC se trouve affaiblie par l'identi­fication croissante du parti bolchevik aux intérêts de l'Etat russe et par le tournant opportuniste de l'adoption de la tactique du Front unique, le 3e Congrès mondial va ce­pendant constituer un moment de critique collective, prolétarienne de l'Action de mars.

Pour le Congrès, le CEIC, avec un souci politique juste sous l'impulsion de Lénine, impose la présence d'une délégation de représentants de l'opposition qui existe au sein du VKPD. Tandis que la délégation de la Centrale du VKPD cherche encore à mu­seler toute critique adressée à l'Action de mars, le Bureau Politique du PCR(b), sur proposition de Lénine, décide : « Comme fondement à cette résolution il faut adopter l'état d'esprit de devoir d'autant plus préci­sément détailler, mettre en lumière les erreurs concrètes commises par le VKPD au cours de l'Action de mars et d'autant plus énergiquement mettre en garde contre leur répétition. »

Quelle attitude adopter ?

Dans le discours introductif à la discussion sur « La crise économique et les nouvelles tâches de l'Internationale Communiste » Trotsky souligne : « Aujourd'hui, pour la première fois, nous voyons et nous sentons que nous ne sommes pas si immédiatement près du but, la conquête du pouvoir, la ré­volution mondiale. En 1919, nous disions : "C'est une question de mois." Aujourd'hui, nous disons : "C'est peut-être une question d'années." (...) Le combat sera peut-être de longue durée, il ne progressera pas aussi fiévreusement qu'il serait souhaitable, il sera excessivement difficile et exigera de nombreux sacrifices. » (Trotsky, Procès-verbal du 3e Congrès)

Lénine : « C'est pourquoi le Congrès se devait de faire table rase des illusions de gauche selon lesquelles le développement de la révolution mondiale continuerait à folle allure selon son impétueux tempo de départ sans interruption, nous serions portés par une seconde vague révolutionnaire, et la victoire dépend seulement et uniquement de la volonté du Parti et de son action. » (C. Zetkin, Souvenirs sur Lénine)

La Centrale du VKPD sous la responsabilité de A. Thalheimer et de Bela Kun envoie, pour le Congrès, un projet de Thèses sur la tactique poussant l'IC à s'engager dans une nouvelle phase d'action. Dans une lettre à Zinoviev du 10 juin 1921, Lénine considère que : « Les thèses de Thalheimer et de Béla Kun sont sur le plan politique radicalement fausses. » (Lénine, Lettres, T. 7)

Les partis communistes n'ont nulle part con­quis la majorité de la classe ouvrière, non seulement en tant qu'organisation , mais également au niveau des principes du Communisme. C'est pourquoi la tactique de l'IC est la suivante : « Il faut sans cesse et de façon systématique lutter pour gagner la majorité de la classe ouvrière, d'abord à l'intérieur des vieux syndicats. » (Ibidem)

Face au délégué Heckert, Lénine pense que : « La provocation était claire comme le jour. Et, au lieu de mobiliser dans un but défensif les masses ouvrières afin de repousser les attaques de la bourgeoisie et de prouver que vous aviez le droit pour vous, vous avez inventé votre "théorie de l'offensive", théorie absurde qui offre à toutes les autorités po­licières et réactionnaires la possibilité de vous présenter comme ceux qui ont pris l'initiative de l'agression contre laquelle il s'agissait de défendre le peuple ! » (Heckert, « Mes rencontres avec Lénine », Lénine tel qu'il fut, T. 2)

Bien qu'auparavant Radek ait soutenu l'Action de mars, dans son rapport présenté au nom du CEIC, il parle du caractère con­tradictoire de l'Action de mars : il loue l'hé­roïsme des ouvriers qui ont combattu et critique d'autre part la politique erronée de la Centrale du VKPD. Trotsky caractérise l'Action de mars comme une tentative tout à fait malencontreuse qui, « si elle devait se répéter, pourrait vraiment conduire ce bon parti à sa perte. » Il souligne que : « C'est de notre devoir de dire clairement aux ouvriers allemands que nous considérons cette philosophie de l'offensive comme le danger suprême, et que, dans son application prati­que, elle constitue le pire crime politique. » (Procès-verbal du 3e congrès)

La délégation du VKPD et les délégués de l'opposition au sein du VKPD spécialement invités s'affrontent lors du Congrès.

Le Congrès est conscient des menaces qui pèsent sur l'unité de ce parti. C'est pourquoi il pousse à un compromis entre la direction et l'opposition du VKPD. L'arrangement suivant est obtenu : « Le Congrès estime que tout morcellement des forces au sein du Parti Communiste Unifié d'Allemagne, toute formation de fractions, sans parler même de scission, constitue le plus grand danger pour l'ensemble du mouvement. » En même temps, la résolution adoptée met en garde contre toute attitude revancharde : « Le Congrès attend de la Direction Centrale du Parti Communiste Unifié d'Allemagne une attitude tolérante à l'égard de l'ancienne opposition, pourvu qu'elle applique loyale­ment les décisions prises par le 3e Congrès (...). » (« Résolution sur l'Action de mars et sur le Parti Communiste Unifié d'Allemagne », 3e Congrès de l'IC, juin 1921, Manifestes, thèses et résolutions des quatre premiers congrès mondiaux de l'Internationale Communiste)

Au cours des débats du 3e Congrès, la délé­gation du KAPD exprime à peine une auto­critique concernant l'Action de mars. Elle semble plutôt concentrer ses efforts sur les questions de principe concernant le travail dans les syndicats et au parlement.

Alors que le 3e Congrès parvient à être très autocritique face aux périls putschistes ap­parus lors de l'Action de mars, à mettre en garde contre ceux-ci et à éradiquer cet « activisme aveugle », il s'engage malheu­reusement dans la voie tragique et néfaste du Front unique. S'il repousse le danger du putschisme, le tournant opportuniste inaugu­ré par l'adoption des 21 conditions d'admis­sion se confirme et s'accélère. Les graves er­reurs, mises en lumière par Gorter au nom du KAPD, à savoir le retour de l'IC au tra­vail dans les syndicats et envers le parle­ment, ne sont pas corrigées.

Encouragé par les résultats du 3e Congrès, le VKPD s'engage dès l'automne 1921 dans la voie du Front unique. Dans le même temps, ce Congrès pose un ultimatum au KAPD : ou la fusion avec le VKPD ou bien l'exclusion de l'IC. En septembre 1921, le KAPD quitte l'IC. Une partie de celui-ci se précipite dans l'aventure de la fondation immédiate d'une Internationale Communiste Ouvrière. Et quelques mois plus tard se produit une scis­sion en son sein.

Pour le KPD (qui a de nouveau changé de nom en août 1921), la porte vers un cours opportuniste s'ouvre encore plus largement. La bourgeoisie, quant à elle, a atteint ses objectifs : à nouveau grâce à l'Action de mars, elle est parvenue à poursuivre son offensive et à affaiblir encore plus la classe ouvrière.

Si les conséquences de cette attitude puts­chistes sont dévastatrices pour la classe ou­vrières dans son ensemble, elles le sont en­core plus pour les communistes : de nou­veau ceux-ci sont les principales victimes de la répression. La chasse aux communistes se renforce encore. Une vague de démissions frappe le KPD. De nombreux militants sont profondément démoralisés suite à l'échec du soulèvement. Début 1921, le VKPD compte environ 350 000 à 400 000 membres, fin août il n'en compte plus que 160 000. En novembre il ne rassemble plus que 135 000 à 150 000 militants.

A nouveau la classe ouvrière a lutté en Allemagne sans avoir à ses côtés un parti fort et conséquent.

DV.



[1]. Lors des élections au Parlement de Prusse en février 1921, le VKPD recueille 1,1 million de voix ; l'USPD, 1,1 million ; le SPD, 4,2 millions. A Berlin, le VKPD et l'USPD obtiennent ensemble plus de voix que le SPD.

[2]. C. Zetkin, qui est d'accord avec les critiques de Lévi, l'exhorte dans plusieurs lettres qu'elle lui adresse à ne pas adopter un comportement domma­geable à l'organisation. Ainsi, le 11 avril, elle lui écrit : « Vous devriez retirer la note personnelle de l'avant-propos. Il me paraît politiquement bénéfi­que que vous ne prononciez aucun jugement personnel sur la Centrale et ses membres que vous déclarez bons pour l'asile d'aliénés et dont vous réclamez la révocation, etc. Il est plus raisonnable que vous vous teniez uniquement à la politique de la Centrale en laissant hors jeu les gens qui n'en sont que les porte-parole. (...) Seuls les excès per­sonnels doivent être supprimés. » Lévi ne se laisse pas convaincre. Sa fierté et son penchant à vouloir avoir toujours raison, tout autant que sa conception monolithique, vont avoir de funestes conséquences.

[3]. « Paul Lévi n'a pas informé la direction du Parti de son intention de publier une brochure ni porté à sa connaissance les principaux éléments de son contenu.

Il fait imprimer sa brochure le 3 avril à un moment où la lutte a encore lieu en de nombreux endroits du Reich et où des milliers d'ouvriers sont présen­tés aux tribunaux spéciaux que Lévi excite ainsi à prononcer les condamnations les plus sanglantes.

La Centrale reconnaît dans toute son étendue le droit de critique envers le Parti avant et après les actions qu'il conduit. La critique sur le terrain de la lutte et de la complète solidarité dans le combat est une nécessité vitale pour le Parti et le devoir révolutionnaire. L'attitude de Paul Lévi (...) ne va pas dans le sens du renforcement du Parti mais dans celui de sa dislocation et de sa destruction. » (Centrale du VKPD, le 16 avril 1921)

[4]. La délégation du CEIC est composée de B. Kun, Pogany et Guralski. Depuis la fondation du KPD K. Radek joue le rôle « d'homme de liaison » entre le KPD et l'IC. Sans toujours être muni d'un mandat clair, il pratique surtout la politique des canaux « informels » et parallèles.

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