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Dans une lettre récente, les librairies "Contra a corrente" du groupe Combate au Portugal nous font part de leur décision de cesser la vente des publications du CCI. Il n'est pas dans les habitudes du CCI de rentrer dans de tels détails dans les pages de ses publications. Cependant, nous ne partageons pas le mépris qu'affichent les "modernistes" pour ce qu'ils appellent "le souci de la marchandise politique". Au contraire, nous pensons que la diffusion la plus large possible de la presse révolutionnaire est une contribution importante à la clarification et constitue ainsi une préoccupation politique élémentaire. De plus, tant que les groupes révolutionnaires restent composés de petites minorités, il leur serait difficile d'assumer entièrement leurs publications sans une certaine contrepartie, souvent faible, à travers les ventes. Mais si nous parlons de la lettre de Combate ici, c'est pour soulever ouvertement la question : pourquoi Combate a pris une telle décision de nous fermer ses librairies ? Dans la lettre, nous ne trouvons qu'un refus, pas une explication.
Sur le plan purement pratique, nous pouvons constater que les publications révolutionnaires, étant donné le reflux de la lutte, ne se vendent plus aussi bien aujourd'hui au Portugal que pendant la période 1974-75. Il nous avait semblé nécessaire de réduire le nombre d'envois (décision qui a été prise entre Combate et les camarades du CCI qui se sont rendus au Portugal cet été). Mais supprimer toute vente est autre chose. Seule une librairie bourgeoise pourrait affirmer comme seul critère : si vos publications ne se vendent pas rapidement et en nombre suffisant, nous n'avons pas d'intérêt à perdre notre temps avec vous. Les librairies "Contra a corrente" à Porto et Lisbonne sont tout de même aux mains d'un groupe qui se veut révolutionnaire, intéressé à rendre plus accessibles les idées des courants communistes parmi les ouvriers. Il nous semble donc qu'il faut écarter toute hypothèse d'ordre "pratique" comme explication de la décision.
Sur le plan politique le CCI n'a jamais caché ses critiques au groupe Combate ni oralement quand nous avons eu l'occasion de rencontrer ces camarades, ni par écrit dans notre presse. Malgré toutes ses faiblesses et ses confusions mises en évidence dans l'article ([1]) "A propos de Combate" dans la Revue Internationale n°7, nous avons toujours considéré Combate comme un des seuls groupes au Portugal à défendre des positions de classe : la dénonciation des mystifications du MFA (Mouvement des Forces Armées), de l'appareil syndical et de la gauche du capital ainsi que la défense des luttes autonomes des ouvriers et l'internationalisme prolétarien. C'est pour cela que nous avons pris contact avec Combate et mis des militants d'autres pays en rapport avec eux. Mais la principale faiblesse de Combate, à savoir son absence de clarté sur la nécessité de constituer une organisation sur la base d'une plate-forme politique cohérente, l'a entraîné inévitablement vers un certain localisme, un appui ambigu aux expériences "autogestionnaires", une confusion de plus en plus grande sur l'orientation des activités des révolutionnaires. Enfin, nous avons constaté que si Combate continue à théoriser ses erreurs, il "ne saurait résister bien longtemps à la terrible contradiction à laquelle il est soumis entre ses propres principes révolutionnaires du départ et la terrible pression de l'idéologie bourgeoise qu'il a laissé pénétrer en son sein en se refusant à donner à ses principes une assise claire et cohérente basée sur les leçons de l'expérience historique de la classe." (Revue Internationale, n°7)
L'ensemble de nos appréciations sur Combate fait partie d'un effort pour contribuer à la clarification des positions révolutionnaires dans la classe ouvrière. Faut-il croire que Combate a la peau si chatouilleuse que la critique lui fait fermer la porte au CCI ? Nous ne travaillons à la confrontation des idées qu'avec des groupes qui se situent dans le camp prolétarien, malgré toutes les confusions possibles en leur sein. Nous ne polémiquons pas avec le stalinisme, le trotskisme ou le maoïsme ; nous les dénonçons purement et simplement comme armes idéologiques du capital. Et nous ne sommes pas étonnés quand des librairies sous contrôle stalinien ou trotskiste (directement ou indirectement) refusent nos publications ou quand les trotskistes - comme ceux d'une librairie de Boston - nous rendent nos revues en ayant pris soin de déchirer préalablement les articles sur le Vietnam. On ne s'épuise pas à demander la "démocratie" à la bourgeoisie. Mais Combate en viendrait-il aussi à utiliser des mesures administratives pour les règlements de comptes politiques ?
A travers les discussions que nous avons eues avec Combate, il se dégage que Combate reproche au CCI d'être fixé sur la nécessité de créer une organisation internationale sur la base des positions de classe claires et tranchées. Nous serions, selon certains de ses membres, un vestige de la "vieille conception" d'une organisation révolutionnaire, repliés sur nous-mêmes, sectaires et incapables de nous "ouvrir aux nouveaux apports de la lutte", surtout au Portugal. Nous regrettons que notre intransigeance sur les positions politiques de classe et notre souci du regroupement des révolutionnaires ne trouvent pas d'écho chez Combate. Nous regrettons également que Combate semble trouver beaucoup plus d'intérêt dans des groupes caractérisés surtout par le flou politique et la recherche de "nouveautés" comme le "self-management" de Solidarity en Grande-Bretagne ou autres libertaires sans définition politique claire. Mais faut-il conclure qu'il n'y a pas pire démagogue que ceux qui se prétendent "libertaires" jusqu'au moment où les divergences les amènent à prendre des mesures répressives ? Nous accuser, nous, de sectaires nous semble un alibi facile.
Il faut se rappeler que les librairies "Contra a corrente" ne diffusent pas uniquement la presse révolutionnaire. On peut comprendre qu'il est impossible de diriger une librairie dans le monde capitaliste d'aujourd'hui avec comme seul appui la presse communiste. En conséquence, à "Contra a corrente" se vendent des publications de toutes sortes: psychologie, romans, livres de Staline et de Mao, textes des trotskistes aussi bien que les publications de Solidaritv, de la CWO et du CCI, en portugais et dans d'autres langues. Devons-nous comprendre que la classe ouvrière au Portugal a besoin de lire les élucubrations de la contre révolution sous la plume de staliniens ou de trotskistes mais qu'elle doit être "protégée" du CCI qui disparaîtra des librairies de Combate ? La canaille stalinienne peut trouver une place pour diffuser ses mystifications et une voix des révolutionnaires être censurée ? Il faudrait alors mettre sur la porte des librairies "Contra a corrente" :
"Il n'existe pas pire ennemi de la classe ouvrière que le CCI et c'est pour cela que vous ne trouverez pas ici sa presse" !
L'enjeu de cette discussion n'est pas simplement la diffusion du CCI. De toute façon, notre presse sera diffusée au Portugal. Mais tout ceci n'est pas digne des efforts des éléments qui aujourd'hui cherchent le chemin de la révolution. Il est révoltant de constater que Combate prend de telles décisions sans aucune explication. Il y a trop de groupes actuellement qui se veulent révolutionnaires mais qui s'érigent en "juge censeur" du mouvement ouvrier : la CWO en est un exemple flagrant avec sa malheureuse conviction que tous ceux qui ne sont pas d'accord avec elles sont de la contre révolution. Il faut combattre cette tendance à établir des frontières de classe chacun à sa guise pour les besoins de sa chapelle. Aujourd'hui, quand la classe ouvrière doit avoir une orientation politique claire afin de pouvoir agir à temps face à la crise du système, quand enfin, après 50 années de triomphe de la barbarie de la contre révolution, il y a une ouverture dans l'histoire, il est lamentable que les groupes révolutionnaires comme Combate se contentent de positions politiques confuses et tombent si facilement dans les mesures répressives contre d'autres courants politiques, mesures qui ne peuvent que rappeler le "bon vieux temps" des staliniens.
Nous demandons donc ouvertement à Combate de reconsidérer ces mesures de suppression de la vente de notre presse et de revenir sur cette décision aberrante.
Le CCI
30 novembre 1976
Lettre de Combate
LIVRARIA CONTRA-A-CORRENTE
Porto, le 9 septembre 1976
Chers camarades,
Il y a quelques jours, dans une réunion, les librairies Contra a Corrente (Porto et Lisbonne) ont décidé de ne plus vendre RI et toutes les autres publications de votre Courant ; pour l'avenir nous voulons seulement recevoir deux numéros pour les archives ; prochainement, nous allons tenter de payer ce qu'on a vendu.
F.S
[1] Cet article a été écrit pendant l'été, avant l'envoi de la lettre de Combate et publié après sa réception. Il ne joue donc aucun rôle particulier dans l'affaire de la librairie, sinon comme résumé général des discussions et des critiques.