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« Le communisme est mort ! Le capitalisme l'a vaincu parce qu'il est le seul système qui puisse fonctionner ! Il est inutile, et même dangereux, de vouloir rêver à une autre société ! » C'est une campagne sans précédent que la bourgeoisie a déchaînée avec l'effondrement du bloc de l'Est et des régimes prétendument « communistes ». En même temps, et pour enfoncer le clou, la propagande bourgeoise s'est appliquée, une nouvelle fois, à démoraliser la classe ouvrière en essayant de la persuader que, désormais, elle n'est plus une force dans la société, qu'elle ne compte plus, voire qu'elle n'existe plus. Et, pour ce faire, elle s'est empressée de monter en épingle la baisse générale de la combativité résultant du désarroi que les bouleversements de ces dernières années ont provoqué dans les rangs ouvriers. La reprise des combats de classe, qui déjà s'annonce, viendra démentir dans la pratique de tels mensonges, mais la bourgeoisie n'aura de cesse, même au cours des grandes luttes ouvrières, de marteler l'idée que ces luttes ne peuvent en aucune façon se donner comme objectif un renversement du capitalisme, l'instauration d'une société débarrassée des plaies que ce système impose à l'humanité. Ainsi, contre tous les mensonges bourgeois, mais aussi contre le scepticisme de certains qui se veulent des combattants de la révolution, l'affirmation du caractère révolutionnaire du prolétariat reste une responsabilité des communistes. C'est l'objectif de cet article.
Dans les campagnes que nous avons subies ces dernières années, un des thèmes majeurs est la «réfutation» du marxisme. Ce dernier, au dire des idéologues appointés par la bourgeoisie, aurait fait faillite. Sa mise en pratique et son échec dans les pays de l'Est constitueraient une illustration de cette faillite. Dans notre Revue, nous avons mis en évidence à quel point le stalinisme n'avait rien à voir avec le communisme tel que Marx et l'ensemble du mouvement ouvrier l'ont envisagé.([1]) Concernant la capacité révolutionnaire de la classe ouvrière, la tâche des communistes est de réaffirmer la position marxiste sur cette question, et en premier lieu, de rappeler ce que le marxisme entend par classe révolutionnaire.
Qu'est-ce qu'une classe révolutionnaire pour le marxisme ?
«L'histoire de toutes les sociétés jusqu'à nos jours est l'histoire des luttes de classe. »([2]) C'est ainsi que débute un des textes les plus importants du marxisme et du mouvement ouvrier : le Manifeste communiste. Cette thèse n'est pas propre au marxisme ([3]) mais un des apports fondamentaux de la théorie communiste est d'avoir établi que l'affrontement des classes dans la société capitaliste a comme perspective ultime le renversement de la bourgeoisie par le prolétariat et l'instauration du pouvoir de ce dernier sur l'ensemble de la société, thèse qui a toujours été rejetée, évidemment, par les défenseurs du système capitaliste. Cependant, si des bourgeois de la période ascendante de ce système avaient pu découvrir (de façon incomplète et mystifiée, évidemment) un certain nombre de lois de la société,([4]) cela ne risque pas de se reproduire aujourd'hui : la bourgeoisie de la décadence capitaliste est devenue totalement incapable d'engendrer de tels penseurs. Pour les idéologues de la classe dominante, la priorité fondamentale de tous leurs efforts de «pensée» est de démontrer que la théorie marxiste est erronée (même si certains se réclament de tel ou tel apport de Marx). Et la pierre angulaire de leurs « théories » est F affirmation que la lutte de classe ne joue aucun rôle dans l'histoire, quand ce n'est pas de nier, purement et simplement, l'existence d'une telle lutte ou, pire encore, l'existence des classes sociales.
Il ne revient pas aux seuls défenseurs avoués de la société bourgeoise d'avancer de telles affirmations. Certains «penseurs radicaux», qui font carrière dans la contestation de l'ordre établi, les ont rejoints depuis un certain nombre de décennies. Le gourou du groupe Socialisme ou Barbarie (et inspirateur du groupe Solidarity en Grande-Bretagne), Cornélius Castoriadis, en même temps qu'il prévoyait le remplacement du capitalisme par un « troisième système », la «société bureaucratique », avait annoncé, il y a près de 40 ans, que l'antagonisme entre bourgeoisie et prolétariat, entre exploiteurs et exploités, était destiné à céder la place à un antagonisme entre « dirigeants et dirigés. »([5]) Plus près d'aujourd'hui, d'autres «penseurs» qui ont connu leur heure de gloire, tel le professeur Marcuse, ont affirmé que la classe ouvrière avait été « intégrée » dans la société capitaliste et que les seules forces de contestation de celle-ci se trouvaient, désormais, parmi des catégories sociales marginalisées tels les noirs aux Etats-Unis, les étudiants ou encore les paysans des pays sous-développés. Ainsi, les théories sur la «fin de la classe ouvrière » qui recommencent à fleurir aujourd'hui, n'ont même pas l'intérêt de la nouveauté : une des caractéristiques de la « pensée » de la bourgeoisie décadente, et qui exprime bien la sénilité de cette classe, est l'incapacité de produire la moindre idée nouvelle. La seule chose qu'elle soit capable de réaliser est de fouiller dans les poubelles de l'histoire pour en ressortir de vieux poncifs qu'on repeint au goût du jour et qu'on présente comme la « découverte du siècle ».
Un des moyens favoris utilisés aujourd'hui par la bourgeoisie pour escamoter la réalité des antagonismes de classe, et même la réalité des classes sociales, est constitué par les «études» sociologiques. A grand renfort de statistiques, on «démontre» que les véritables clivages sociaux n'ont rien à voir avec des différences de classes mais avec des critères comme le niveau d'instruction, le lieu d'habitation, la tranche d'âge, l'origine ethnique, voire la pratique religieuse. ([6]) A l'appui de ce type d'affirmations on s'empresse d'exhiber le fait, par exemple, que le vote d'un « citoyen » en faveur de la droite ou de la gauche dépend moins de sa situation économique que d'autres critères. Aux Etats-Unis, la Nouvelle-Angleterre, les noirs et les juifs votent traditionnellement démocrate, en France, les catholiques pratiquants, les Alsaciens et les habitants de Lyon votent traditionnellement à droite. On s'évite cependant de souligner que la majorité des ouvriers américains ne votent jamais et que, dans les grèves, les ouvriers français qui vont à l'église ne sont pas nécessairement les moins combatifs. De façon plus générale, la « science » sociologique «oublie» toujours de donner une dimension historique à ses affirmations. Ainsi, on refuse de se souvenir que les mêmes ouvriers russes qui allaient se lancer dans la première révolution prolétarienne du 20e siècle, celle de 1905, avaient débuté, le 9janvier (le «dimanche rouge») par une manifestation conduite par un pope et réclamant la bienveillance au Tzar pour qu'il soulage leur misère. ([7])
Lorsque les « experts » en sociologie font référence à l'histoire, c'est pour affirmer que les choses ont radicalement changé depuis le siècle dernier. A cette époque, selon eux, le marxisme et la théorie de la lutte de classe pouvaient avoir un sens car les conditions de travail et de vie des salariés de l'industrie étaient effectivement épouvantables. Mais, depuis, les ouvriers se sont « embourgeoisés » et ont accédé à la « société de consommation » au point de «perdre leur identité ». De même, les bourgeois en haut de forme et à gros ventre ont cédé la place à des «managers» salariés. Ce que toutes ces considérations veulent occulter c'est que, fondamentalement, les structures profondes de la société n'ont pas changé. En réalité, les conditions qui, au siècle dernier, donnaient à la classe ouvrière sa nature révolutionnaire sont toujours présentes. Le fait que le niveau de vie des ouvriers d'aujourd'hui soit supérieur à celui de leurs frères de classe des générations passées ne modifie en aucune façon leur place dans les rapports de production qui dominent la société capitaliste. Les classes sociales continuent d'exister et les luttes entre celles-ci constituent toujours le moteur fondamental du développement historique.
C'est vraiment une ironie de l'histoire que les idéologies officielles de la bourgeoisie prétendent, d'un côté, que les classes ne jouent plus aucun rôle spécifique (voire n'existent plus) et reconnaissent, de l'autre, que la situation économique du monde constitue la question essentielle, cruciale, à laquelle est confrontée cette même bourgeoisie.
En réalité, l'importance fondamentale des classes dans la société découle justement de la place prépondérante qu'y occupe l'activité économique des hommes. Une des affirmations de base du matérialisme historique c'est que, en dernière instance, l'économie détermine les autres sphères de la société : les rapports juridiques, les formes de gouvernement, les modes de pensée. Cette vision matérialiste de l'histoire vient battre en brèche, évidemment, les philosophies qui voient dans les événements historiques, soit le pur fruit du hasard, soit l'expression de la volonté divine, soit le simple résultat des passions ou des pensées des hommes. Mais, comme le disait Marx déjà en son temps, « la crise se charge de faire entrer la dialectique dans la tête des bourgeois ». Le fait, aujourd'hui évident, de cette prépondérance de l'économie dans la vie de la société se trouve à la base de l'importance des classes sociales, justement parce que celles-ci sont déterminées, contrairement aux autres catégories sociologiques, par la place occupée vis-à-vis des rapports économiques. Cela a toujours été vrai depuis qu'il existe des sociétés de classe, mais c'est dans le capitalisme que cette réalité s'exprime avec le plus de clarté.
Dans la société féodale, par exemple, la différenciation sociale était consignée dans les lois. Il existait une différence juridique fondamentale entre les exploiteurs et les exploités : les nobles avaient, par la loi, un statut officiel de privilégiés (dispense de payer des impôts, perception d'un tribut versé par leurs serfs, par exemple) alors que les paysans exploités étaient attachés à leur terre et étaient tenus de céder une part de leur revenu au seigneur (ou bien de travailler gratuitement les terres de celui-ci). Dans une telle société, l'exploitation, si elle était facilement mesurable (par exemple sous la forme du tribut payé par le serf), semblait découler du statut juridique. En revanche, dans la société capitaliste, l'abolition des privilèges, l'introduction du suffrage universel, l'Egalité et la Liberté proclamées par ses constitutions, ne permettent plus à l'exploitation et à la différenciation en classes de s'abriter derrière des différences de statut juridique. C'est la possession, ou la non-possession, des moyens de production,([8]) ainsi que leur mode de mise en oeuvre, qui détermine, pour l'essentiel, la place dans la société des membres de celle-ci et leur accession à ses richesses, c'est-à-dire l'appartenance à une classe sociale et l'existence d'intérêts communs avec les autres membres de la même classe. A grands traits, le fait de posséder des moyens de production et de les mettre en oeuvre individuellement détermine l'appartenance à la petite-bourgeoisie (artisans, exploitants agricoles, professions libérales, etc.).([9]) Le fait d'être privé de moyens de production et d'être contraint, pour vivre, de vendre sa force de travail à ceux qui les détiennent et qui mettent à profit cet échange pour s'accaparer une plus-value, détermine l'appartenance à la classe ouvrière. Enfin, font partie de la bourgeoisie, ceux qui détiennent (au sens strictement juridique ou au sens global de leur contrôle, de manière individuelle ou collective) des moyens de production dont la mise en oeuvre fait appel au travail salarié et qui vivent de l'exploitation de ce dernier sous forme d'une appropriation de la plus-value qu'il produit. Pour l'essentiel, cette différenciation en classes est aujourd'hui aussi présente qu'elle l'était au siècle dernier. De même, ont subsisté les intérêts de chacune de ces différentes classes et les conflits entre ces intérêts. C'est pour cela que les antagonismes entre les principales composantes de la société, déterminées par ce qui constitue le squelette de celle-ci, l'économie, continuent de se trouver au centre de la vie sociale.
Cela dit, même si l'antagonisme entre exploiteurs et exploités constitue un des moteurs principaux de l'histoire des sociétés, ce n'est pas de façon identique pour chacune d'entre elles. Dans la société féodale, les luttes, souvent féroces et de très grande envergure, entre les serfs et les seigneurs n'ont jamais abouti à un bouleversement radical de celle-ci. L'antagonisme de classe qui a conduit au renversement de l'ancien régime, aboli les privilèges de la noblesse, n'était pas celui qui opposait celle-ci et la classe qu'elle exploitait, la paysannerie asservie, mais l'affrontement entre cette même noblesse et une autre classe exploiteuse, la bourgeoisie (révolution anglaise du milieu du 17e siècle, révolution française de la fin du 18e). De même, la société esclavagiste de l'antiquité romaine n'a pas été abolie par la classe des esclaves (malgré les combats quelques fois formidables que celle-ci a menés, comme la révolte de Spartacus et des siens en 73 avant Jésus-Christ), mais bien par la noblesse qui allait dominer l'Occident chrétien pendant plus d'un millénaire.
En réalité, dans les sociétés du passé, les classes révolutionnaires n'ont jamais été des classes exploitées mais de nouvelles classes exploiteuses. Un tel fait ne devait rien au hasard, évidemment. Le marxisme distingue les classes révolutionnaires (qu'il appelle également classes «historiques») des autres classes de la société par le fait que, contrairement à ces dernières, elles ont la capacité de prendre la direction de la société. Et tant que le développement des forces productives était insuffisant pour assurer une abondance de biens à l'ensemble de la société, infligeant à celle-ci le maintien des inégalités économiques et donc des rapports d'exploitation, seule une classe exploiteuse était en mesure de s'imposer à la tête du corps social. Son rôle historique était de favoriser l'éclosion et le développement des rapports de production dont elle était porteuse et qui avaient comme vocation, en supplantant les anciens rapports de production devenus caducs, de résoudre les contradictions, désormais, insurmontables engendrées par le maintien de ces derniers.
Ainsi, la société esclavagiste romaine en décadence était travaillée à la fois par le fait que « l'approvisionnement » en esclaves, basé sur la conquête de nouveaux territoires, se heurtait à la difficulté pour Rome de contrôler des frontières de plus en plus éloignées et par l'incapacité d'obtenir de la part des esclaves le soin qu'exigeait la mise en oeuvre des nouvelles techniques agricoles. Dans une telle situation, les rapports féodaux, où les exploités n'avaient plus un statut identique à celui du bétail (comme c'était le cas des esclaves),([10]) où ils étaient étroitement intéressés à une plus grande productivité du sol qu'ils travaillaient puisqu'ils devaient en vivre, se sont imposés comme les plus aptes à sortir la société de son marasme. C'est pour cela que ces rapports se sont développés, notamment par un affranchissement croissant des esclaves (ce qui fut accéléré, en certains lieux, par l'arrivée des «barbares» dont certains, d'ailleurs, vivaient déjà dans une forme de société féodale).
De même, le marxisme (à commencer par le Manifeste communiste) insiste sur le rôle éminemment révolutionnaire joué par la bourgeoisie au cours de l'histoire. Cette classe, qui est apparue et s'est développée au sein de la société féodale, a vu son pouvoir s'accroître vis-à-vis d'une noblesse et d'une monarchie qui dépendaient de plus en plus d'elle, tant pour leurs fournitures en biens de toutes sortes (étoffes, mobilier, épices, armes), que pour le financement de leurs dépenses. Alors qu'avec l'épuisement des possibilités de défrichement et d'extension des terres cultivées se tarissait une des sources de la dynamique des rapports de production féodaux, qu'avec la constitution de grands royaumes, le rôle de protecteur des populations, qui était initialement la vocation principale de la noblesse, perdait sa raison d'être, le contrôle, par cette classe, de la société tendait à devenir une entrave pour le développement de cette dernière. Et cela était amplifié par le fait que ce développement était de plus en plus tributaire de la croissance du commerce, de la banque et de l'artisanat dans les villes qui faisaient connaître un progrès considérable au niveau des forces productives
Ainsi, en prenant la tête du corps social, d'abord dans la sphère économique, puis dans la sphère politique, la bourgeoisie libérait la société des entraves qui l'avaient plongée dans le marasme, elle créait les conditions du plus formidable accroissement de richesses que l'histoire humaine ait connu. Ce faisant, elle substituait une forme d'exploitation, le servage, par une autre forme d'exploitation, le salariat. Pour y parvenir, elle a été conduite, lors de la période que Marx appelle l'accumulation primitive, à prendre des mesures d'une barbarie, qui valait bien celle imposée aux esclaves, afin que les paysans soient contraints de venir vendre leur force de travail dans les villes (voir, à ce sujet, les pages admirables dans le livre I du Capital). Et cette barbarie elle-même ne faisait qu'annoncer celle avec laquelle le capital allait exploiter le prolétariat (travail des enfants en bas âge, travail de nuit des femmes et des enfants, journées de travail allant jusqu'à 18 heures, parcage des ouvriers dans les « work-houses », etc.) avant que les luttes de celui-ci ne parviennent à contraindre les capitalistes à atténuer la brutalité de leurs méthodes.
La classe ouvrière a mené, dès son apparition, des révoltes contre l'exploitation. De même, ces révoltes se sont accompagnées de la mise en avant d'un projet de bouleversement de la société, d'abolition des inégalités, de mise en commun des biens sociaux. En cela, elle ne se distinguait pas fondamentalement des précédentes classes exploitées, notamment des serfs qui, eux aussi, dans certaines de leurs révoltes, pouvaient se rallier à un projet de transformation sociale. I Ce fut le cas notamment lors de la Guerre des paysans au 16e siècle, en Allemagne, où les exploités c’étaient donnés comme porte parole Thomas Munzer qui préconisait une forme de communisme ([11]). Cependant, contrairement au projet de transformation sociale des autres classes exploitées, celui du prolétariat n'est pas une simple utopie irréalisable. Le rêve d'une société égalitaire, sans maîtres et sans exploitation, que pouvaient faire les esclaves ou les serfs, n'était qu'une simple chimère car le degré de développement économique atteint par la société de leur temps ne permettait pas l'abolition de l'exploitation. En revanche, le projet communiste du prolétariat est parfaitement réaliste, non seulement parce que le capitalisme a créé les prémisses d'une telle société, mais aussi parce qu'il est le seul projet qui puisse sortir l'humanité du marasme dans lequel elle s'enfonce.
Pourquoi le prolétariat est la classe révolutionnaire de notre temps
Dès que le prolétariat a commencé à mettre en avant son propre projet, la bourgeoisie n'a eu que mépris pour ce qu'elle considérait comme des élucubrations de prophètes en mal de public. Lorsqu'elle se donnait la peine de dépasser ce simple mépris, la seule chose qu'elle pouvait imaginer c'est qu'il en serait des ouvriers comme il en avait été des autres exploités aux époques antérieures : ils ne pourraient que rêver des utopies impossibles. Evidemment, l'histoire semblait donner raison à la bourgeoisie et celle-ci résumait sa philosophie dans les termes : «Toujours il y a eu des pauvres et des riches, il y en aura toujours. Les pauvres ne gagnent rien à se révolter: ce qu'il convient défaire, c'est que les riches n'abusent pas de leur richesse et se préoccupent de soulager la misère des plus pauvres». Les curés et les dames patronnesses se sont faits les porte-parole et les praticiens de cette «philosophie». Ce que la bourgeoisie se refusait à voir, c'est que son système économique et social, pas plus que les précédents, ne pouvait être éternel, et que, au même titre que l'esclavagisme ou la féodalité, il était condamné à laisser la place à un autre type de société. Et de même que les caractéristiques du capitalisme avaient permis de résoudre les contradictions qui avaient terrassé la société féodale (comme il en avait été déjà le cas de cette dernière vis-à-vis de la société antique), les caractéristiques de la société appelée à résoudre les contradictions mortelles qui assaillent le capitalisme découlent du même type de nécessité. C'est donc en partant de ces contradictions qu'il est possible de définir les caractéristiques de la future société.
On ne peut, évidemment, dans le cadre de cet article, revenir en détail sur ces contradictions. Depuis plus d'un siècle, le marxisme s'y est employé de façon systématique et notre propre organisation y a consacré de nombreux textes.([12]) Cependant, on peut résumer à grands traits les origines de ces contradictions. Elles résident dans les caractéristiques essentielles du système capitaliste : c'est un mode de production qui a généralisé l'échange marchand à tous les biens produits alors que, dans les sociétés du passé, seule une partie, souvent très minime, de ces biens était transformée en marchandise! Cette colonisation de l'économie! Par la marchandise a même affecté, dans le capitalisme, la force de travail mise en oeuvre par les hommes dans leur activité productive. Privé de moyens de production, le producteur n'a d'autre possibilité, pour survivre, que de vendre sa force de travail à ceux qui détiennent ces moyens de production : la classe capitaliste, alors que dans la société féodale par exemple, où existait déjà une économie marchande, c'est le fruit de son travail que l'artisan ou le paysan vendait. Et c'est bien cette généralisation de la marchandise qui est à la base des contradictions du capitalisme : la (prise de surproduction trouve ses racines dans le fait que le but de ce système n'est pas de produire des valeurs d'usage, mais des valeurs d'échange qui doivent trouver des acheteurs. C'est dans l'incapacité de la société à acheter la totalité des marchandises produites (bien que les besoins soient très loin d'être satisfaits) que réside cette calamité qui apparaît comme une véritable absurdité : le capitalisme s'effondre non parce qu'il produirait trop peu, mais parce qu'il produit trop. ([13])
La première caractéristique du communisme sera donc l'abolition de la marchandise, le développement de la production de valeurs d'usage et non de valeurs d'échange.
En outre, le marxisme, et particulièrement Rosa Luxembourg, a mis en évidence qu'à l'origine de la surproduction réside la nécessité pour le capital, considéré comme un tout, de réaliser, par la vente en dehors de sa propre sphère, la part des valeurs produites correspondant à la plus-value extirpée aux prolétaires et destinée à son accumulation. A mesure que cette sphère extra-capitaliste se réduit, les convulsions de l'économie ne peuvent prendre que des formes de plus en plus catastrophiques.
Ainsi, le seul moyen de surmonter les contradictions du capitalisme réside dans l'abolition de toutes les formes de marchandise, et en particulier de la marchandise force de travail, c'est-à-dire du salariat.
L'abolition de l'échange marchand suppose que soit aboli également ce qui en constitue la base : la propriété privée. Ce n'est que si les richesses de la société sont appropriées par celle-ci de façon collective que pourra disparaître l'achat et la vente de ces richesses (ce qui existait déjà, sous une forme embryonnaire, dans la communauté primitive). Une telle appropriation collective par la société des richesses qu'elle produit, et en premier lieu, des moyens de production, signifie qu'il n'est plus possible à une partie d'elle-même, à une classe sociale (y compris sous la forme d'une bureaucratie d'Etat), de disposer des moyens d'en exploiter une autre partie. Ainsi, l'abolition du salariat ne peut être réalisée sur la base de l'introduction d'une autre forme (l'exploitation, mais uniquement par l'abolition de l'exploitation sous toutes ses formes. Et, contrairement au passé, non seulement le type de transformation qui puisse aujourd'hui sauver la société ne peut désormais aboutir sur de nouveaux rapports d'exploitation, mais le capitalisme a réellement créé les prémisses matérielles d'une abondance permettant le dépassement de l'exploitation. Ces conditions d'une abondance, elles aussi, se révèlent dans l'existence des crises de surproduction (comme le relève le Manifeste communiste).
La question qui est posée est donc : quelle force dans la société est en mesure d'opérer cette transformation, d'abolir la propriété privée, de mettre fin à toute forme d'exploitation ?
La première caractéristique de cette classe est d'être exploitée car seule une telle classe peut être intéressée à l'abolition de l'exploitation. Si, dans les révolutions du passé, la classe révolutionnaire ne pouvait, en aucune façon, être une classe exploitée, dans la mesure où les nouveaux rapports de production étaient nécessairement des rapports d'exploitation, c'est exactement le contraire qui est vrai aujourd'hui. En leur temps, les socialistes utopistes (tels Fourier, Saint-Simon, Owen) ([14]) avaient caressé l'illusion que la révolution pourrait être prise en charge par des éléments de la bourgeoisie elle-même. Ils espéraient qu'il se trouverait, au sein de la classe dominante, des philanthropes éclairés et fortunés qui, comprenant la supériorité du communisme sur le capitalisme, seraient disposés à financer des projets de communautés idéales dont l'exemple ferait ensuite tâche d'huile. Comme l'histoire n'est pas faite par des individus mais par des classes, ces espérances furent déçues en quelques décennies. Même s'il s'est trouvé quelques rares membres de la bourgeoisie pour adhérer aux idées généreuses des utopistes, ([15]) l'ensemble de la classe dominante, comme telle, s'est évidemment détournée, quand elle n'a pas combattu, de telles tentatives qui avaient pour projet sa propre disparition.
Cela dit, le fait d'être une classe exploitée ne suffit nullement, comme on l'a vu, pour être une classe révolutionnaire. Par exemple, il existe encore aujourd'hui, dans le y\monde, et particulièrement dans les pays sous-développés, une multitude de paysans pauvres subissant l'exploitation sous forme d'un prélèvement sur le fruit de leur travail qui vient enrichir une partie de la classe dominante, soit directement, soit à travers les impôts, soit par les intérêts qu'ils versent aux banques ou aux usuriers auprès desquels ils sont endettés. C'est sur le constat de la misère, souvent insupportable, de ces couches paysannes que reposaient toutes les mystifications tiers-mondistes, maoïstes, guévaristes, etc. Lorsque ces paysans ont été conduits à prendre les armes, c'était comme fantassins de telle ou telle clique de la bourgeoisie qui s'est empressée, une fois au pouvoir, de renforcer encore l'exploitation, souvent sous des formes particulièrement atroces (voir, par exemple, l'aventure des Khmers rouges au Cambodge, dans la seconde moitié des années 70). Le recul de ces mystifications (que diffusaient tant les staliniens que les trotskistes et même certains «penseurs radicaux» comme Marcuse) n'est que la sanction de l'échec patent de la prétendue « perspective révolutionnaire » qu'aurait porté la paysannerie pauvre. En réalité, les paysans, bien qu'ils soient exploités de multiples façons et qu'ils puissent mener des luttes parfois très violentes pour limiter leur exploitation, ne peuvent jamais donner pour objectif à ces luttes l'abolition de la propriété privée puisqu'ils sont eux-mêmes de petits propriétaires ou que, vivant aux côtés de ces derniers, ils aspirent à le devenir.([16])
Et, même lorsque les paysans se dotent de structures collectives pour augmenter leur revenu à travers une amélioration de leur productivité ou de la commercialisation de leurs produits, c'est, en règle générale, sous la forme de coopératives, lesquelles ne remettent en cause ni la propriété privée, ni l'échange marchand ([17]) . En résumé, les classes et couches sociales qui apparaissent comme des vestiges du passé (exploitants agricoles, artisans, professions libérales, etc.), ([18]) qui ne subsistent que parce que le capitalisme, même s'il domine totalement l'économie mondiale, est incapable de transformer tous les producteurs en salariés, ne peuvent porter de projet révolutionnaire. Bien au contraire, la seule perspective dont elles puissent éventuellement rêver est celle d'un retour à un mythique «âge d'or» du passé : la dynamique de leurs luttes spécifiques ne peut être que réactionnaire.
En réalité, dans la mesure où l'abolition de l'exploitation se confond, pour l'essentiel, avec l'abolition du salariat, seule la classe qui subit cette forme spécifique d'exploitation, c'est-à-dire le prolétariat, est en mesure de porter un projet révolutionnaire. Seule la classe exploitée au sein des rapports de production capitalistes, produit du développement de ces rapports de production, est capable de se doter d'une perspective de dépassement de ces derniers.
Produit du développement de la grande industrie, d'une socialisation comme jamais l'humanité n'en a connue du processus productif, le prolétariat moderne ne peut rêver d'aucun retour en arrière.([19]) Par exemple, alors que la redistribution ou le partage des terres peut être une revendication «réaliste» des paysans pauvres, il serait absurde que les ouvriers, qui fabriquent de façon associée des produits incorporant des pièces, des matières premières et une technologie qui proviennent du monde entier, se proposent de découper leur entreprise en morceaux pour se la partager. Même les illusions sur l'autogestion, c'est-à-dire une propriété commune de l'entreprise par ceux qui y travaillent (ce qui constitue une version moderne de la coopérative ouvrière) commencent à avoir fait leur temps. Après de multiples expériences, y compris récentes (comme l'usine LIP en France, au début des années 1970) qui, en général, se sont soldées par un affrontement entre l'ensemble des travailleurs et ceux qu'ils avaient nommés comme gérants, la majorité des ouvriers est bien consciente que, face à la nécessité de maintenir la compétitivité de l'entreprise dans le marché capitaliste, autogestion veut dire auto-exploitation. C'est uniquement vers l'avant que peut regarder le prolétariat lorsque se développe sa lutte historique : non pas vers un morcellement de la propriété et de la production capitalistes, mais vers l'achèvement du processus de leur socialisation que le capitalisme a fait avancer de façon considérable mais qu'il ne peut, par nature, achever, même lorsqu'elles sont concentrées entre les mains d'un Etat national (comme c'était le cas dans les régimes staliniens).
Pour accomplir cette tâche, la force potentielle du prolétariat est considérable.
D'une part, dans la société capitaliste développée, l'essentiel de la richesse sociale est produite par le travail de la classe ouvrière même si, encore aujourd'hui, celle-ci est minoritaire dans la population mondiale. Dans les pays industrialisés, la part du produit national qu'on peut attribuer à des travailleurs indépendants (paysans, artisans, etc.) est négligeable. C'est même le cas dans les pays arriérés ou, pourtant, la majorité de la population vit (ou survit) du travail de la terre.
D'autre part, par nécessité, le capital a concentré la classe ouvrière dans des unités de production géantes, qui n'ont rien à voir avec ce qui pouvait exister du temps de Marx. En outre, ces unités de production sont elles-mêmes, en général, concentrées au coeur ou à proximité de villes de plus en plus peuplées. Ce regroupement de la classe ouvrière, tant dans ses lieux d'habitation que de travail, constitue une force sans pareil dès lors qu'elle sait le mettre à profit, en particulier par le développement de sa lutte collective et de sa solidarité.
Enfin, une des forces essentielles du prolétariat est sa capacité de prise de conscience. Toutes les classes, et particulièrement les classes révolutionnaires, se sont données une forme de conscience. Mais celle-ci ne pouvait être que mystifiée, soit que le projet mis en avant ne puisse aboutir (cas de la guerre des paysans en Allemagne, par exemple), soit que la classe révolutionnaire se trouve obligée de mentir, de masquer la réalité à ceux qu'elle voulait entraîner dans son action mais qu'elle allait continuer à exploiter (cas de la révolution bourgeoise avec ses slogans «Liberté, Egalité, Fraternité »). N'ayant, comme classe exploitée et porteuse d'un projet révolutionnaire qui abolira toute exploitation, à masquer ni aux autres classes, ni à lui-même, les objectifs et les buts ultimes de son action, le prolétariat peut développer, au cours de son combat historique, une conscience libre de toute mystification. De ce fait, celle-ci peut s'élever à un niveau de très loin supérieur à celui qu'a jamais pu atteindre la classe ennemie, la bourgeoisie. Et c'est bien cette capacité de prise de conscience qui constitue, avec son organisation en classe, la force déterminante du prolétariat.
Dans la seconde partie de cet article nous verrons comment le prolétariat d'aujourd'hui conserve, malgré toutes les campagnes qui évoquent sa «r disparition » ou son «r intégration », toutes les caractéristiques qui en font la classe révolutionnaire de notre temps.
FM.
« Autre conséquence, une classe fait son apparition, qui doit supporter toutes les charges de la société sans jouir de ses avantages ; une classe qui, jetée hors de la société, est reléguée de force dans l'opposition la plus résolue à toutes les autres classes ; une classe qui constitue la majorité de tous les membres de la société et d'où émane la conscience de la nécessité d'une révolution en profondeur, la conscience communiste, celle-ci pouvant, naturellement, se former aussi parmi les autres classes grâce à l'appréhension du rôle de cette classe. »
MARX, L'Idéologie Allemande.
[1] Voir notamment l'article « L'expérience russe, propriété privée et propriété collective » dans la Revue internationale n°61, 2e trimestre 1990, ainsi que notre série d'articles « Le communisme n'est pas un bel idéal, mais une nécessité matérielle ».
[2] Marx et Engels sont revenus par la suite sur cette affirmation en précisant qu'elle n'était valable qu'à partir de la dissolution de la communauté primitive dont l'existence fut confirmée par des travaux d'ethnologie de la seconde partie du 19è siècle, comme ceux de Morgan sur les indiens d'Amérique.
[3] Certains « penseurs » de la bourgeoisie (tel le politicien français du 19e siècle Guizot, qui fut chef du gouvernement sous le règne de Louis-Philippe) sont aussi parvenus à une telle idée.
[4] C'est valable également pour les économistes «classiques», tels Smith ou Ricardo, dont les travaux ont été particulièrement utiles pour le développement de la théorie marxiste.
[5] Il faut rendre à César ce qui est à César, et a Cornélius ce qui lui revient : avec une grande persévérance, les prévisions de ce dernier ont été démenties par les faits : n'avait-il pas «prévu» que, désormais, le capitalisme avait surmonté ses crises économiques (voir notamment ses articles sur «La dynamique du capitalisme» au début des années 1960 dans Socialisme ou Barbarie) ? N'avait-il pas annoncé à la face du monde, en 1981 (voir son livre Devant la guerre dont on attend toujours la seconde partie annoncée pour l'automne 1981), que l'URSS avait remporté de façon définitive la « guerre froide » (« déséquilibre massif en faveur de la Russie », « situation pratiquement impossible à redresser pour les Américains » ? De telles formules étaient vraiment les bienvenues à une époque où Reagan et la CIA essayaient de nous faire peur à propos de « L'empire du mal. ») Cela n'a pas empêché les médias de continuer à lui demander son avis d’expert face aux grands événements de notre époque : malgré sa collection de gaffes, il conserve la gratitude de la bourgeoisie pour ses convictions et ses discours péremptoires contre le marxisme, convictions qui sont justement à l'origine de ses échecs chroniques.
[6] Il est vrai que, dans beaucoup de pays, ces caractéristiques recouvrent partielle ment l'appartenance à des classes. Ainsi, dans beaucoup de pays du tiers-monde, notamment en Afrique, la classe dominante recrute la plupart de ses membres dans telle ou telle ethnie : cela ne signifie pas, cependant, que tous les membres de cette ethnie soient des exploiteurs, loin de là. De même, aux Etats-Unis, les WASP (White Anglo-Saxon Protestants) sont proportionnellement les plus représentés dans la bourgeoisie : cela n'empêche pas l'existence d'une bourgeoisie noire (Colin Powel, chef d'Etat-major, est noir) ni d'une multitude de « petits blanc » qui se débattent contre la misère.
[7] « Souverain,... nous sommes venus vers toi pour demander justice et protection. (...) Ordonne et jure de les [nos principaux besoins] satisfaire, et tu rendras la Russie puissante et glorieuse, tu imprimeras ton nom dans nos coeurs, dans les coeurs de nos enfants et petits enfants, à tout jamais. » Voici en quels termes la pétition ouvrière s'adressait au Tzar de toutes les Russies. Il faut préciser tout de même que cette pétition affirmait aussi : « La limite de la patience est atteinte; pour nous, voici venu le terrible moment où la mort vaut mieux que le prolongement d'insupportables tourments. (...) Si tu refuses d'entendre notre supplication, nous mourrons ici, sur cette place, devant ton palais. »
[8] Cette possession ne prend pas nécessairement, comme on l’a vu avec le développement du capitalisme d'Etat, et notamment sous sa version stalinienne, la forme d'une propriété individuelle, personnelle (et par exemple transmissible par héritage). C'est de plus en plus collectivement que la classe capitaliste « possède » (au sens où elle en dispose, les contrôle, en bénéficie) les moyens de production, y compris lorsque ces derniers sont étatisés.
[9] La petite bourgeoisie n'est pas une classe homogène. Il en existe de multiples variantes qui ne possèdent pas toutes des moyens matériels de production. Ainsi, les acteurs de cinéma, les écrivains, les avocats, par exemple, appartiennent à cette catégorie sociale sans pour autant disposer d'outils spécifiques. Leurs «moyens de production» résident dans un savoir ou un « talent » qu'ils mettent en oeuvre dans leur travail.
[10] Le serf n'était pas la simple « chose» du seigneur. Attaché à sa terre, il était vendu avec elle (ce qui est un point commun avec l'esclave). Cependant, il existait à l'origine un « contrat » entre le serf et le seigneur : ce dernier, qui possédait des armes, lui assurait protection en contrepartie du travail, par le serf, des terres seigneuriales (les corvées) ou du versement d'une partie de ses récoltes.
[11] Voir « Le communisme n'est pas un idéal..., I, Du communisme primitif au socialisme de l'utopie », Revue Internationale n°68, 1er trimestre 1992.
[12] Voir notamment notre brochure sur La décadence du capitalisme.
[13] A ce sujet, voir dans l'article « Le communisme n'est pas un bel idéal... » dans la Revue internationale n° 72, la façon dont la crise de surproduction exprime la faillite du capitalisme.
[14] Voir à ce sujet, « Le communisme n'est pas un bel idéal... » dans la Revue internationale n°68.
[15] Owen en faisait partie qui, initialement grand industriel du textile, fit plusieurs tentatives, tant en Grande-Bretagne qu'aux Etats-Unis, pour créer des communautés qui finirent par se briser devant les lois capitalistes. Il contribua néanmoins à l'apparition des Trade-unions, les syndicats britanniques. Les utopistes français eurent encore moins de succès dans leurs entreprises. Pendant des années, Fourier attendit tous les jours à son bureau, en vain, que se présente le mécène qui allait financer sa cité idéale, et les tentatives de construction de « phalanstères » de ses disciples (notamment aux Etats-Unis) aboutirent à des faillites économiques désastreuses. Quant aux doctrines de Saint-Simon, si elles eurent plus de succès, c'est en tant que credo de toute une série d'hommes de la bourgeoisie tels les frères Pereire, fondateurs d'une banque, ou Ferdinand de Lesseps, le constructeur du canal de Suez.
[16] Il existe un prolétariat agricole dont le seul moyen d'existence est de vendre contre salaire sa force de travail aux propriétaires des terres. Cette partie de la paysannerie appartient à la classe ouvrière et constituera, au moment de la révolution, sa tête de pont dans les campagnes. Cependant, vivant son exploitation comme conséquence d'une <r malchance » qui l'a privé de l'héritage d'une terre, ou qui lui a attribué une parcelle trop petite, le salarié agricole, qui souvent est saisonnier ou commis dans une exploitation familiale, tend, la plupart du temps, à se rallier au rêve d'une accession à la propriété et d'un meilleur partage des terres. Seule la lutte, à un stade avancé, du prolétariat urbain lui permettra de se détourner de ces chimères en lui proposant comme perspective la socialisation de la terre au même titre que des autres moyens de production.
[17] Cela n'empêche pas que, au cours de la période de transition du capitalisme au communisme, le regroupement des petits propriétaires terriens dans des coopératives pourra constituer une étape vers la socialisation des terres, notamment en leur permettant de surmonter l'individualisme résultant de leur cadre de travail.
[18] Ce qui est vrai pour les paysans Test encore plus pour les artisans dont la place dans la société s'est réduite de façon bien plus radicale encore que pour les premiers. Pour ce qui concerne les professions libérales (médecins privés, avocats, etc.), leur statut social et leurs revenus (qui les font regarder avec envie du côté de la bourgeoisie) ne les incitent en aucune manière à remettre en cause Tordre existant. Quant aux étudiants, dont la définition même indique qu'ils n'ont encore aucune place dans l'économie, leur destin est de se scinder entre les différentes classes dont ils proviennent par leurs origines familiales ou auxquelles ils se destinent.
[19] A l'aube du développement de la classe ouvrière, certains secteurs de celle-ci, mis au chômage à cause de l'introduction de nouvelles machines, avaient dirigé leur révolte contre ces machines en les détruisant. Cette tentative de retour en arrière n'était qu'une forme embryonnaire de la lutte ouvrière qui fut vite dépassée par le développement économique et politique du prolétariat.