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Contrairement à l'insistance de la propagande de la classe dominante, les récentes luttes ouvrières en Corée du Sud et en Afrique du Sud ne sont pas de nature essentiellement différente de celles menées par les ouvriers des autres pays et en particulier dans les pays les plus industrialisés. Malgré leurs spécificités - dictature militaire en Corée, régime de l'« apartheid » en Afrique du Sud- il s'agit de moments d'un seul et même combat, celui mené par la classe ouvrière mondiale contre l'exploitation capitaliste.
La Corée du Sud, ce pays dont les «experts économiques» ont tant vanté les performances exceptionnelles, qu'ils ont donné en modèle aux pays moins développés, vient de connaître, au cours de cet été, sa plus grande secousse sociale depuis la guerre. Les dix millions de prolétaires sur le dos desquels le capital national, mais aussi le capital japonais et américain, ont fait «le miracle coréen» en leur imposant des conditions de travail parmi les pires du monde, ont donné une gifle magistrale au mythe des «ouvriers asiatiques, passifs, résignés, travailleurs, exploités jusqu'à la mort et... contents de l'être». Par un mouvement de grèves sans précédent qui, partant des principales concentrations ouvrières -les mines de charbon, les chantiers navals, l'industrie automobile- s'est étendu comme une traînée de poudre à tous les secteurs de la classe ouvrière, les travailleurs coréens ont démontré que dans la zone d'influence du capital japonais, comme dans le reste du monde, la classe ouvrière apprend à se constituer en force, la seule capable d'affronter le capitalisme décadent en crise et d'ouvrir une perspective. A terme, c'est la mobilisation du prolétariat japonais qu'annoncent ces combats.
L'Afrique du Sud vient aussi de connaître la plus grande mobilisation ouvrière de son histoire. Plus d'un quart de million de mineurs ont fait grève pendant trois semaines. En même temps 10 000 travailleurs des postes partaient en grève; 60 000 ouvriers dans le secteur de la métallurgie poursuivaient des mouvements de grève commencés depuis juillet et 15 000 travailleurs du secteur de la pétrochimie menacent de faire de même.
Nous ne pouvons ici traiter de tous les aspects de ces combats. Nous renvoyons le lecteur aux différents organes de notre presse territoriale qui le font.
Ce qui nous importe ici c'est de dénoncer l'idéologie qui cherche à enfermer ces luttes dans un cadre qui les émascule de leur contenu de classe, qui cache ce qui les unit au combat de tout le reste de la classe ouvrière mondiale.
La bourgeoisie a toujours recours au même stratagème : mettre l'accent sur ce qui diffère dans les conditions spécifiques des travailleurs en lutte dans une entreprise, un secteur ou un pays afin d'isoler, d'étouffer ce combat, tout en le dévoyant sur de faux terrains. L'exemple de la Pologne 1980, où la lutte des ouvriers contre leur exploitation avait été présentée dans le monde entier comme une lutte pour le droit d'aller à la messe, et localement fut enfermée dans le combat pour le droit d'existence du syndicat Solidarnosc, reste un des plus spectaculaires.
La barbarie capitaliste connaît en Corée du Sud la forme d'une dictature militaire particulièrement violente ; en Afrique du Sud celle du racisme de l'«apartheid». La bourgeoisie américaine s'y emploie actuellement à se débarrasser des aspects les plus anachroniques de ces régimes afin, non pas de soulager les conditions d'existence de la classe ouvrière -ce dont elle n'a que faire- mais au contraire d'y créer des institutions capables d'encadrer et de contrôler la lutte de classe qui s'y développe, comme dans tous les pays, sous les effets de la crise économique mondiale.
Les grèves ouvrières en Corée du Sud n'ont pas éclaté avec l'objectif d'instaurer un régime bourgeois «démocratique à l'occidentale», pas plus que celles de travailleurs sud-africains pour l'établissement d'un capitalisme moins cruel envers les prolétaires noirs. Ces luttes se sont manifestées dès le départ comme des réactions directes contre l'exploitation capitaliste, pour des augmentations de salaires, pour des améliorations des conditions de travail et d'existence en général.
S'il en avait été autrement, elles n'auraient pas pris la forme de grèves pour des revendications de classe, mais seraient restées dans le cadre suicidaire, interclassiste des pétitions et manifestations des fractions dites «démocratiques» des partis bourgeois d'«opposition».
Cela ne veut pas dire qu'elles ne s'attaquent pas aux formes dictatoriales et racistes de l'exploitation capitaliste. Au contraire, elles sont les seules luttes qui peuvent imposer des limites à la barbarie de la classe dominante locale.
Toutes les fractions de la bourgeoisie, démocrates et libéraux en tête, s'en disent choquées et réclament aux prolétaires de ces pays de faire attention à ne pas situer leurs intérêts «égoïstes» de classe au-dessus des intérêts de «la nation».
Kim Young Sam, un des principaux leaders de l'opposition démocratique coréenne ne cesse de demander aux ouvriers de «faire preuve de modération dans leur exigences pour ne pas mettre à mal les succès de l'économie Sud-coréenne ». En Afrique du Sud, Cyril Ramaphosa, le leader du NUM, le nouveau syndicat «démocratique» qui vient de saboter et de vendre la grève des mineurs, expliquait ses appels à la reprise du travail par la nécessité de respecter la légalité de la nation.
Leurs appels, leurs manœuvres ne sont en réalité que des moyens pour désarmer la classe exploitée, pour détruire ses luttes en les dévoyant sur le terrain de leurs exploiteurs.
Non, les luttes des prolétaires de Corée et d'Afrique du Sud ne sont pas des exemples de coopération entre exploités et exploiteurs pour une utopique «humanisation» de la barbarie capitaliste. Elles sont des moments du combat mondial de la classe ouvrière contre le capital et sa barbarie mondiale.
Et cela parce que :
1) les causes qui les provoquent sont les mêmes : la crise économique du capitalisme mondial se traduit à la périphérie comme ailleurs par un renforcement de l'exploitation capitaliste ; s'il y a une différence c'est uniquement parce qu'en général dans ces pays l'aggravation de la crise se fait sentir de façon encore plus violente ;
2) les "formes" mêmes que prennent ces luttes -leur tendance à s'étendre aux différents secteurs de la classe ouvrière, par delà les barrières de profession, de secteur ou de race- sont les mêmes qui se sont manifestées dans toutes les luttes ouvrières importantes de ces dernières années en Europe occidentale ;
3) enfin, parce que comme les luttes des autres prolétaires dans le monde entier, elles doivent se battre sur deux fronts : celui des ennemis déclarés, les gouvernements et leur appareils armés, militaires et policiers ; mais aussi celui des ennemis déguisés en «amis», les syndicats et les partis dits d'«opposition» qui travaillent de l’«intérieur» au sabotage de la lutte.
Le pire danger pour les prolétaires de ces pays c'est de tomber prisonniers de la confusion créée par toute la propagande «démocratique», d'autant plus dangereuse qu'elle s'adresse à un prolétariat qui ne connaît pas encore, ou ne fait que commencer à connaître le rôle de policiers de ces institutions «démocratiques» au sein des rangs prolétariens.
C'est dire toute la responsabilité des prolétaires des pays à longue tradition «démocratique», eux qui savent de plus en plus à quoi s'en tenir, qui désertent par millions ces institutions -partis et surtout syndicats- et qui apprennent de plus en plus à se battre non seulement en dehors d'elles, mais aussi contre elles comme l'ont démontré dans les dernières années les travailleurs de pays comme la Belgique, la France, et plus récemment l'Italie.
5/9/87 RV