Submitted by Revue Internationale on
TEXTE D ORIENTATION
Ce texte a été proposé pour le Congrès d'Internationalisme (janvier 1980).
"Que faire en dehors des luttes ouvertes? Comment s'organiser lorsque la grève est terminée? Comment préparer la lutte à venir?"
Voilà quelques unes des questions auxquelles la maturation actuelle de la lutte de classe impose de répondre.
Face à cette question, face aux problèmes que posent les comités, cercles, groupes, noyaux, etc., regroupant de petites minorités d'ouvriers, nous n'avons aucune recette à fournir. Entre les leçons morales ("organisez vous comme ceci ou cela", "dissolvez-vous", rejoignez-nous") et les flatteries démagogiques, nous n'avons pas à choisir. Notre souci est bien plutôt celui-ci : comprendre ces expressions minoritaires du prolétariat comme une partie d'un tout. Les insérer dans le mouvement général de la lutte de classes, de cette manière nous pourrons comprendre à quelles nécessités générales ces organes répondent. De cette manière nous pourrons également, en ne restant ni dans le flou politique ni emprisonnés dans des schémas rigides, cerner les aspects positifs de ces démarches et souligner les dangers qui les guettent.
CARACTERISTIQUES DE LA LUTTE OUVRIERE DANS LE CAPITALISME DECADENT
Notre première préoccupation dans l'appréhension de ce problème doit être de rappeler le contexte historique général dans lequel nous nous trouvons. Nous devons nous remettre en mémoire la nature de cette période historique (l'ère des révolutions sociales) et les caractéristiques de la lutte de classe en période décadence. Cette analyse est fondamentale car elle nous permet de comprendre le type d'organisation de classe qui peut exister dans une telle période.
Sans entrer dans les détails, rappelons simplement que le prolétariat au 19ème siècle existe comme un une force organisée de manière permanente. Le prolétariat s'unifie comme classe au travers d'une lutte économique et politique pour des réformes.
Le caractère progressif du système capitaliste permet au prolétariat de faire pression sur la bourgeoisie pour obtenir des réformes et pour ce faire regrouper de larges masses d'ouvriers au sein des syndicats et des partis.
Dans la période de sénilité du capitalisme les caractères et les formes d'organisation de la lutte changent. Une mobilisation quasi permanente du prolétariat sur des intérêts immédiats et politiques n'est plus possible ni viable. Les organes unitaires permanents de la classe ne peuvent plus désormais exister qu'au cours de la lutte elle-même. La fonction de ces organes ne se limite plus désormais à simplement "négocier" une amélioration des conditions de vie du prolétariat (car cette amélioration n'est plus possible à long terme et parce que la seule issue réaliste est celle de la révolution) mais à se préparer, à mesure que les luttes de développent, à la prise du pouvoir.
Ces organes unitaires de la dictature du prolétariat ce sont les conseils ouvriers. Ces organes possèdent un certain nombre de caractéristiques que nous devons mettre en évidence si nous voulons bien cerner tout le processus qui mène à l'auto-organisation du prolétariat.
Ainsi nous devons mettre en évidence que les conseils sont une expression directe de la lutte ouvrière. Ils surgissent de manière spontanée (mais non mécanique) de cette lutte. C'est pourquoi ils sont intimement liés au développement et à la maturité de cette lutte, ils puisent en elle leur substance et leur vitalité. Ils ne constituent donc pas une simple "délégation" des pouvoirs, une parodie de Parlement, mais bien l'expression organisée de l'ensemble du prolétariat et de son pouvoir. Leur tâche n'est pas d'organiser une représentativité proportionnelle des groupes sociaux ou des partis politiques mais de permettre à la volonté du prolétariat de se réaliser pratiquement. C'est à travers eux que se prennent toutes les décisions. C'est pour cette raison que les ouvriers doivent constamment en garder le contrôle (révocabilité des délégués) par le biais des Assemblées Générales.
Seuls les conseils ouvriers sont capables de réaliser l'identification vivante entre la lutte immédiate et le but final des luttes. Par cette liaison entre la lutte pour des intérêts immédiats et la lutte pour le pouvoir politique, les conseils posent la base objective et subjective de la révolution. Ils constituent le creuset par excellence de la conscience de classe. La constitution du prolétariat en conseils n'est pas une simple question de forme d'organisation mais bien le produit d'un développement de la lutte elle-même et de la conscience de classe. Le surgissement des conseils n'est pas le fruit de recettes organisationnelles, de structures préfabriquées, d'organes intermédiaires.
L'extension et la centralisation de plus en plus consciente des luttes, au delà des usines et des frontières, ne peut 'être un fait artificiel et volontariste. Pour se convaincre de cette idée, il suffit de se rappeler l'expérience des ANU ([1]) et cette tentative artificielle de relier et de centraliser les "organisations d'usines" dans une période où la lutte refluait.
Les conseils ne peuvent subsister que tant que subsiste une lutte permanente, ouverte, signifiant la participation d'un nombre toujours plus important d'ouvriers dans le combat. Leur surgissement est essentiellement fonction d'un développement de la lutte elle-même et de la conscience de classe.
TENTER DE COMBLER UN VIDE
Mais nous ne nous trouvons pas encore dans une période de lutte permanente, dans un contexte révolutionnaire qui permettrait au prolétariat de s'organiser en conseils ouvriers. La constitution du prolétariat en conseils est fonction de conditions objectives (degré de la crise, cours historique) et subjectives (maturité de la lutte et de la conscience). Elle est le résultat de tout un apprentissage, de toute une maturation tant organisationnelle que politique.
Nous devons être conscients que cette maturation, cette fermentation politique ne se déroule pas suivant une ligne bien dessinée et bien droite. Elle s'exprime bien plutôt à travers un processus bouillonnant et confus, à travers un mouvement heurté et saccadé. Elle exige en outre une participation active de minorités révolutionnaires. Incapable d'agir mécaniquement selon des principes abstraits, selon des plans préconçus, selon un volontarisme détaché de la réalité, le prolétariat mûrit son unité et sa conscience au cours d'un apprentissage douloureux. Incapable de regrouper toutes ses forces à un jour "J", il concentre ses rangs au cours de la bataille elle-même, son "armée", il la forme dans le conflit lui-même. Mais au cours de la lutte, il forme dans ses rangs des éléments plus combatifs, des avant-gardes plus décidées. Celles-ci ne se regroupent pas forcément au sein d'une organisation de révolutionnaires (car celle-ci dans certaines périodes est peu connue). L'apparition de ces minorités combatives au sein du prolétariat, que ce soit avant, après ou pendant les luttes ouvertes, n'est pas un phénomène incompréhensible ou nouveau. Elle exprime bien ce caractère irrégulier de la lutte, ce développement inégal et hétérogène de la conscience de classe. Ainsi depuis la fin des années 60 nous assistons à la fois à un développement de la lutte dans le sens d'une plus grande auto-organisation, à un renforcement des minorités révolutionnaires, à l'apparition de comités, noyaux, cercles, etc. où tente de se regrouper une avant-garde ouvrière. Le développement d'un pôle politique cohérent, la tendance du prolétariat à s'organiser en dehors des syndicats, procèdent d'une même maturation de la lutte.
L'apparition de ces comités cercles etc, répond donc bien à une nécessité de la lutte elle-même. Si des éléments combatifs sentent la nécessité de rester groupés après qu'ils aient lutté ensemble, c'est à la fois dans le but de continuer à "agir ensemble" (éventuellement préparer une nouvelle grève) et à la fois dans le but de tirer des leçons de la lutte (à travers une discussion politique). Le problème qui se pose à ces ouvriers est autant celui de leur regroupement en vue d'une action future que celui de leur regroupement en vue d'éclaircir les questions posées par la lutte passée et à venir. Cette attitude est compréhensible dans la mesure où l'absence de luttes permanentes, la "faillite" des syndicats et une très grande faiblesse des organisations révolutionnaires créent un vide tant organisationnel que politique. La classe ouvrière lorsqu’elle reprend le chemin de son combat historique a horreur du vide. Elle cherche donc à répondre à un besoin posé par ce vide organisationnel et politique. Ces comités, noyaux, ces minorités d'ouvriers qui ne comprennent pas encore clairement leur fonction répondent à ce besoin. Ils sont à la fois une expression de la faiblesse générale de la lutte de classe actuelle et l'expression d'une maturation de l'organisation et de la conscience de classe. Ils cristallisent tout un travail souterrain qui s'opère au sein du prolétariat.
LE REFLUX DE 1973-77
C'est pour cette raison que nous devons faire attention à ne pas enfermer ces organes dans des tiroirs hermétiques, dans des classifications rigides. Nous ne pouvons pas prévoir l'apparition et le développement de ceux-ci de manière tout à fait précise. De plus nous devons être attentifs à ne pas séparer artificiellement différents moments dans la vie de ces comités et ne pas poser a un faux dilemme dans le style :"l'action ou la discussion."
Ceci dit cela ne doit pas nous empêcher d'avoir une intervention par rapport à ces organes. Nous devons également être capables d'apprécier l'évolution de ces organes en fonction de la période, suivant que nous nous trouvons dans une période de reprise des luttes ou de reflux. En effet, dans la mesure où ils sont un produit immédiat et spontané des luttes, qu'ils surgissent plus sur la base de problèmes conjoncturels (à la différence de l'organisation des révolutionnaires qui surgit sur la base des nécessités historiques du prolétariat), ces organes restent très fortement dépendants du milieu ambiant de la lutte de classe. Ils restent plus fortement prisonniers des faiblesses générales du mouvement et ont tendance à suivre les hauts et les bas de la lutte.
C'est ainsi que nous devons opérer une distinction dans le développement de ces comités etc. au moment du reflux de la lutte entre 1973 et 77, et dans la période actuelle de reprise internationale des luttes.
Tout en soulignant les dangers qui restent identiques pour ces deux périodes, nous devons être capables de cerner les différences d'évolution.
C'est ainsi qu'avec la fin de la première vague de luttes à la fin des années 60 nous avons pu assister à l'apparition de toute une série de confusions au sein de la classe ouvrière. Ces confusions nous pouvons les mesurer surtout en fonction de l'attitude des quelques éléments combatifs de la classe qui tentent de rester groupés.
Nous voyons ainsi se développer :
- L'illusion du syndicalisme de combat et la méfiance de tout ce qui-est politique (OHK, AAH, Komiteewerking ([2]). Dans la plupart des cas, les comités issus des luttes se transforment carrément en para-syndicats. C'est le cas des Commissions Ouvrières en Espagne et des "Conseils d'Usines" en Italie. Plus souvent encore, ils disparaissent carrément.
- Un très fort corporatisme (ce qui constitue la base même du syndicalisme "de combat").
- Lorsque des tentatives sont faites pour dépasser le cadre de l'usine, une confusion et un éclectisme politique très grand.
- Une très grande confusion politique ce qui rend ces organes très fragiles aux menées des gauchistes et les font tomber aussi dans des illusions du style de celles entretenues par le PIC (voir le "bluff" des groupes ouvriers. ([3])
C'est également au cours de cette période que se développe l'idéologie de "l'autonomie ouvrière" avec tout ce qu'elle comporte comme apologie de l'immédiatise, de l'usinisme et de l'économisme.
Toutes ces faiblesses sont essentiellement fonction des faiblesses de la première vague de luttes de la fin des années 60. C'est ainsi que ces mouvements se caractérisent par une disproportion entre la force et l'extension des grèves et une faiblesse dans le contenu des revendications. Ce qui marque surtout cette disproportion c'est une absence de perspectives politiques claires dans le mouvement. Le repli ouvrier de 73-77 est le produit de cette faiblesse utilisée par la bourgeoisie pour opérer un travail de démobilisation et d'encadrement idéologique des luttes. Chacun des points faibles de la première vague de grèves est "récupéré" par la bourgeoisie à son profit :
"Ainsi l'idée d'une organisation permanente de la classe à la fois politique et économique s'est transformée ensuite en celle des "nouveaux syndicats" pour finalement en revenir aux syndicats classiques. La vision de l'A.G. comme une forme indépendante du contenu a aboutie - via les légendes sur la démocratie directe et le pouvoir populaire- au rétablissement de la confiance dans la démocratie bourgeoise classique. Les idées d'autogestion et de contrôle ouvrier de la production, confusions explicables dans un premier temps, furent théorisées par le mythe de "l'autogestion généralisée", les "Îlots du communisme" ou la "nationalisation sous contrôle ouvrier". Tout ceci a préparé les ouvriers à faire confiance au plan de restructuration "qui évite les licenciements" ou aux pactes de solidarité nationale pour "sortir de la crise".
(Rapport sur la lutte de classe présenté au 3ème Congrès international du CCI)
LA REPRISE DES LUTTES DEPUIS 1977
Avec la reprise des luttes depuis 1977, nous voyons se dessiner d'autres tendances. Le prolétariat a mûri par la "défaite", il a tiré même très confusément les leçons de ce reflux et même si les dangers restent toujours présents de "syndicalisme de combat", de corporatisme, etc, ils s'inscrivent dans une évolution générale différente.
C'est ainsi que depuis 77 nous voyons se développer timidement :
Une volonté plus ou moins marquée de développer une discussion politique de la part d'une avant-garde combative des ouvriers (rappelons l'AG des coordinamenti à Turin, le débat mené à Anvers avec des ouvriers de Rotterdam, d'Anvers, etc., la conférence des dockers à Barcelone,...([4]).
La volonté d'élargir le champ de la lutte, de dépasser le ghetto de l'usinisme, de donner un cadre politique plus global à la lutte. Cette volonté s'exprime par l'apparition de "coordinamenti" et plus spécifiquement dans le manifeste politique d'un des coordinamenti du nord de l'Italie. Ce manifeste réclame une unification de l'avant-garde combative des usines, la nécessité d'une lutte politique indépendante des ouvriers et insiste sur la nécessité de dépasser le cadre de l'usine pour lutter;
Le souci d'établir une liaison entre l'aspect immédiat de la lutte et le but final. Ce souci s'exprime particulièrement dans des groupes de travailleur: en Italie (FIAT) et en Espagne FEYCU, FORD). Les premiers sont intervenus par voie de tract pour dénoncer les menaces de licenciements faits au nom de "l'anti-terrorisme", les seconds pour dénoncer l'illusion du parlementarisme;
-Le souci de mieux préparer et organiser les luttes à venir (cf.. action des "porte-parole" de Rotterdam appelant à la formation d'AG).
Bien entendu, répétons le, les dangers de corporatisme, de syndicalisme de combat, d'enfermement de la lutte sur un terrain strictement économique subsistent même au cours de cette période,
Mais ce dont nous devons tenir compte c'est l'influence importante de la période sur l'évolution de comités, noyaux, etc. surgissant avant ou après les luttes ouvertes. Lorsque la période est à la combativité et à la remontée des luttes, l'intervention de telles minorités ouvrières prend un autre sens et notre attitude également. C'est ainsi que dans une période de recul généralisé des luttes, nous insisterons plus sur les dangers pour de tels organes de se transformer en para-syndicats, de tomber dans les bras des gauchistes et des illusions du terrorisme, etc. Dans une période de remontée, nous insisterons plus sur les dangers du volontarisme et de l'activisme (cf. les illusions exprimées à cet égard dans le manifeste du coordinamento de Sesto Seovanni), sur les illusions que pourraient avoir ces ouvriers combatifs de former les embryons des comités de grève futurs, etc. Dans une période de reprise des luttes, nous serons également plus ouverts face à l'apparition de minorités combatives se regroupant en vue d'appeler à la lutte et à la formation de comités de grève, d' d'A.G., etc.
LES POSSIBILITES DE CES ORGANES
Ce souci de replacer ces comités, noyaux, etc. dans le bain de la lutte de classe, de les comprendre en fonction de la période dans laquelle ils se meuvent, n'implique pas pourtant que nous changions nos analyses du tout au tout, suivant ces différentes étapes de la lutte de classe.
Quel que soit le moment où naissent ces comités ou noyaux, nous savons qu'ils ne constituent qu'UNE ETAPE D'UN-PROCESSUS DYNAMIQUE GENERAL, un moment dans la maturation de l'organisation et de la conscience de classe. Ils ne peuvent avoir un rôle positif que s'ils se donnent un cadre large et souple pour ne pas figer ce processus. C'est pourquoi ils doivent être vigilante et ne pas tomber dans les pièges suivants :
- s'imaginer constituer la structure qui prépare le surgissement des comités de grève ou des conseils.
- s'imaginer être investis d'une sorte de "potentialité" en vue de développer la lutte future (ce ne sont pas des minorités qui créent artificiellement une grève ou font surgir une A.G. ou un comité même si elles ont une intervention active dans ce processus).
- se doter d'Une plate-forme ou de statuts ou de tout élément risquant de figer leur évolution et les condamnant à la confusion politique.
- se présenter comme des organes intermédiaires entre la classe et une organisation politique, comme une organisation à la fois unitaire et politique.
C'est pourquoi, quelle que soit la période dans laquelle nous nous trouvons, notre attitude envers ces organes minoritaires, si elle reste, ouverte, vise cependant à influencer l'évolution de la réflexion politique en leur sein. Nous devons essayer de faire en sorte que ces comités, noyaux, ne se figent ni dans un sens (une structure qui s'imagine préfigurer les conseils), ni dans l'autre (fixation politique). Ce qui doit nous guider avant tout, ce ne sont pas les intérêts et les préoccupations conjoncturelles de ces organes (car nous ne pouvons pas leur suggérer une recette organisationnelle et une réponse toute faite), mais les intérêts généraux de l'ensemble de la classe. Notre souci est de toujours homogénéiser et développer la conscience de classe de telle sorte que le développement de la lutte se fasse avec une participation toujours plus massive des ouvriers à celle-ci et une prise en main de la lutte par les ouvriers eux-mêmes et non par une minorité, quelle qu'elle soit. C'est pour cette raison que nous insistons tant sur la dynamique du mouvement et que nous mettons les éléments combatifs du prolétariat en garde contre les tentatives de substitutionnisme ou contre tout ce qui risque de bloquer le développement ultérieur de la lutte et de la conscience. En orientant l'évolution de ces organes dans une direction (réflexion et discussions politiques), plutôt que dans une autre, nous répondons à ce souci de favoriser la dynamique du mouvement. Bien entendu, cela ne signifie pas que nous condamnions toute forme d'Intervention" ou d'action" ponctuelle de la part de ces organes. Il est évident que dès l'instant où un groupe d'ouvriers combatifs comprend que sa tâche n'est pas d'agir en vue de se constituer en para-syndicats mais plutôt en vue de tirer des leçons politiques des luttes passées, cela n'implique pas le fait que cette réflexion politique se fasse dans le vide éthéré, dans l'abstrait et sans aucune conséquence pratique. La clarification politique menée par ces ouvriers combatifs va également les pousser à agir ensemble à l'intérieur de leur usine (et dans des cas plus positifs même au delà de l'usine). Ils vont sentir la nécessité de donner une expression politique matérielle à leur réflexion politique (tracts, journaux, etc.), ils vont sentir la nécessité de prendre position par rapport à des faits concrets qui touchent la classe ouvrière. En vue de diffuser cette prise de position et de la défendre, ils vont donc avoir une intervention concrète. Dans certaines circonstances ils vont proposer des moyens d'action concrets (formation d'A.G., de comités de grève,...) en vue de riposter ou de lutter. Au cours de la lutte elle-même, ils ressentent la nécessité de se concerter pour développer une certaine orientation de la lutte, pour appuyer des revendications permettant d'élargir la lutte, pour insister sur l'élargissement de celle-ci, etc.
Mais, par rapport à cela, même si nous restons attentifs à ne pas plaquer des schémas rigides, il est clair que nous continuons à insister sur le fait que ce qui compte avant tout, c'est la participation active de tous les ouvriers à la lutte, et qu'en aucun cas ces éléments combatifs ne doivent se substituer à cette participation et mener l'organisation et la coordination de la grève à la place de leurs camarades. De plus, il est également clair que plus l'organisation des révolutionnaires augmentera son influence au sein des luttes, plus ces éléments combatifs se tourneront vers elle. Ceci, non pas parce que l'organisation aura mené une politique de recrutement forcé envers ces éléments, mais tout simplement parce que ces éléments prendront conscience qu'une intervention politique réellement active et efficace ne peut se faire que dans le cadre d'une telle organisation internationale.
L'INTERVENTION DES REVOLUTIONNAIRES
Tout ce qui brille n'est pas or. Mettre en évidence que la classe ouvrière fait surgir dans sa lutte des minorités plus combatives ne signifie pas affirmer que l'impact de ces minorités est décisif pour le déroulement ultérieur de la conscience de classe. Nous ne devons pas faire une identification absolue entre expression d'une maturation de la conscience et facteur actif dans le développement de celle-ci.
En réalité, l'influence que peuvent avoir ces comités, cercles, etc. dans le déroulement ultérieur de la lutte est très limitée. Elle est entièrement fonction de la combativité générale du prolétariat et de la capacité de ces comités ou cercles à poursuivre sans cesse un travail de clarification politique. Or, à long terme, ce travail ne peut se poursuivre que dans le cadre d'une organisation révolutionnaire.
Mais là encore aucun mécanisme ne peut avoir cours. Ce n'est pas d'une manière artificielle que l'organisation révolutionnaire gagnera ces éléments. Contrairement à des organisations comme Battaglia
Comunista ou le PIC, le CCI ne cherche pas à combler d'une manière artificielle et volontariste un "fossé" qui existerait entre le parti et la classe. Notre compréhension de la classe ouvrière comme force historique et de notre rôle nous empêche de vouloir figer ces comités dans des structures intermédiaires ou de chercher à créer des "groupes d'usine", courroies de transmission entre la classe et le parti.
Se pose alors la question de savoir quelle est notre attitude par rapport à de tels comités, cercles etc. Tout en leur reconnaissant une influente limitée, des faiblesses, nous restons ouverts et attentifs au surgissement de tels organes. Nous leur proposons avant tout une très grande ouverture dans la discussion et nous n'adoptons en aucun cas une attitude de mépris, de condamnation sous prétexte de l'impureté" politique de ces organes. Ceci est une chose. Une autre chose serait de flatter ces organes ou même de concentrer notre énergie uniquement sur eux. Nous n'avons pas à faire une psychose des "groupes ouvriers", comme nous n'avons pas à les ignorer. Tout en reconnaissant le processus " de maturation de la lutte et de la conscience de classe et ses tentatives à se "hisser" vers le terrain politique, tout en ayant conscience que le prolétariat dans ce processus fait surgir en son sein des minorités plus combatives qui ne s'organisent pas nécessairement en organisation politique, nous devons faire attention à ne pas identifier ce processus de maturation avec celui qui caractérisait le développement de la lutte au siècle dernier. Cette compréhension est très importante car elle nous permet d'apprécier en quoi ces comités, cercles, etc. sont véritablement des expressions de la maturation de la conscience de classe, mais des expressions avant tout temporaires et éphémères et non pas des jalons fixes et structurés, des échelons organisationnels dans le développement de la lutte de classe. Car la lutte de classe en période' de décadence se fait par explosions, par surgissements brusques qui surprennent même les éléments les plus combatifs d'une lutte précédente et peuvent les dépasser tout à fait en conscience et en maturité. Le prolétariat ne peut s'organiser réellement au niveau unitaire qu'au sein de la lutte elle-même et au fur et à mesure que la lutte devient permanente il grossit et renforce ses organisations unitaires.
C'est cette compréhension qui nous permet de mieux cerner en quoi, même si dans certaines circonstances il peut être très positif de mener une discussion suivie et systématique avec ces cercles et de participer à leurs réunions, nous n'avons pas de politique spécifique, de "tactique" spéciale à l'égard de ces comités ouvriers. Nous reconnaissons la possibilité et une plus grande facilité de discuter avec ces éléments combatifs (particulièrement quand la lutte n'est pas encore ouverte) ; nous avons conscience que certains de ces éléments peuvent nous rejoindre, mais nous ne focalisons pas toute notre attention à leur égard. Car ce qui reste avant tout essentiel pour nous, c'est la dynamique générale de la lutte à l'intérieur de la laquelle nous n'opérons aucune classification rigide, aucune hiérarchisation. Nous nous adressons avant tout à la classe ouvrière dans son ensemble. Contrairement aux autres groupes politiques qui essaient de combler l'absence d'influence de minorités révolutionnaires par des procédés artificiels en s'illusionnant sur ces "groupes ouvriers': le CCI reconnaît son peu d'impact dans la période présente. Nous ne cherchons pas à développer, pour augmenter cette influence, une confiance artificielle des ouvriers à notre égard. Nous ne sommes pas ouvriéristes, comme nous ne sommes pas des mégalomanes. L'influence que nous développerons progressivement au sein des luttes, viendra essentiellement de notre PRATIQUE POLITIQUE en leur sein, et non d'un quelconque rôle de "porteurs d'eau" ou d'une politique de flagorneries. De plus, cette intervention politique, nous l'adressons aux ouvriers dans leur ensemble, au prolétariat pris comme un tout et comme une classe. Nous existons non pas pour nous satisfaire de la "confiance" que nous accorderaient deux, trois ouvriers aux mains calleuses, mais pour homogénéiser accélérer l'épanouissement de la conscience de classe. Et soyons conscients que ce n'est qu'au cours du processus révolutionnaire lui-même que le prolétariat nous accordera sa "confiance" politique, dans la mesure où il reconnaîtra alors que le parti révolutionnaire fait réellement PARTIE de son combat historique.
[1] AAU, Allgemeine Arbeiter Union : Union Générale des Travailleurs. Les 'unions" ont été des tentatives de créer des formes d'organisation permanentes regroupant l'ensemble des ouvriers en dehors des syndicats et contre eux, en Allemagne, dans les années qui suivirent l'écrasement de l'insurrection de Berlin en 1919. Elles exprimaient un une nostalgie des conseils ouvriers, mais ne parvinrent jamais à en remplir la fonction.
[2] Groupes d'ouvriers en Belgique.
[3] Le groupe français PIC (Pour une Intervention Communiste) vécut pendant quelques mois convaincu et cherchant à convaincre tout le monde, qu'il participait au développement d'un réseau de "groupes ouvriers", qui constitueraient une puissante avant garde du mouvement révolutionnaire. Il fondait et entretenait cette illusion sur la réalité squelettique de deux ou trois groupes constitués pour l'essentiel d'éléments "ex-gauchistes". Il ne reste plus grand chose de tout ce bluff.
[4] Il s'agit de rencontres organisées regroupant des délégations de différents groupes, collectifs, comités ouvriers...