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Dans le n° 10 de la REVUE INTERNATIONALE (juin-août 1977), nous avons présenté le "Groupe des Travailleurs Marxistes" du Mexique, groupe surgi dans les années les plus sombres du mouvement ouvrier international. Son surgi s sèment dans les années 1937-39 ne pouvait signifier l’annonce d'une reprise du mouvement mais l'expression d'un dernier sursaut de conscience communiste de la classe face au cynisme sanglant du capitalisme triomphant qui se préparait à fêter ce triomphe dans l'ivresse de la deuxième guerre mondiale.
L'évolution vers le capitalisme d'Etat accéléré par la crise et les préparatifs de la guerre, trouvait son expression majeure dans la campagne pour les nationalisations. De DE MAN à BLUM, de la CGT aux Partis Staliniens, des Travaillistes anglais aux Fronts Populaires, les nationalisations étaient devenues la plateforme par excellence de la gauche du capital et présentées par elle aux ouvriers comme la marche vers le socialisme. Les Trotskistes, et Trotski en personne, comme d'autres extrême-gauche, n'ont pas su échapper à cette idéologie. Ils sont tombés dans le panneau et ont embouché le même clairon. A les entendre, les nationalisations, si elles n'étaient pas encore du socialisme, étaient cependant un pas très progressif que la classe ouvrière devait soutenir de toutes ses forces.
Aujourd'hui, comme dans les années 30, les nationalisations continuent à servir de programme économique de la gauche, comme le montre encore récemment feu le "Programme Commun" en France ; et l'ampleur des nationalisations préconisées sert de signe de "radicalité" et de certificat d'authenticité prolétarienne avec lesquels ces partis cachent leur nature capitaliste. Aujourd'hui, comme hier, trotskystes, maoïstes, anarchistes et autres gauchistes cachent la vérité que les nationalisations ne font que renforcer l'Etat capitaliste et s'efforcent de convaincre les ouvriers que ces mesures affaiblissent le capital. Aujourd'hui comme hier, les révolutionnaires doivent dénoncer cette démagogie, démontrer théoriquement et dans le concret le véritable contenu capitaliste et anti-ouvrier des nationalisations. C'est pour contribuer à cela que nous publions cette étude de la gauche mexicaine, parue dans le premier numéro de La revue "COMMUNISME" en 1938.
AVEC LA NATIONALISATION DES INDUSTRIES, LA BOURGEOISIE SE PROTEGE CONTRE LA REVOLUTION PROLETARIENNE
F.Engels disait en 1878 :
"Mais ni la transformation en sociétés par actions, ni la transformation en propriété d'Etat ne supprime la qualité de capital des forces productives. Pour les sociétés par actions, cela est évident. Et l'Etat moderne n'est à son tour que l'organisation que la société bourgeoise se donne pour maintenir les conditions extérieures générales du mode de production capitaliste contre des empiétements venant des ouvriers comme des capitalistes isolés. L'Etat moderne, quelle qu'en soit la forme, est une machine essentiellement capitaliste : l'Etat des capitalistes, le capitaliste collectif idéal. Plus il fait passer de forces productives dans sa propriété, et plus il devient capitaliste collectif en fait, plus il exploite de citoyens. Les ouvriers restent des salariés, des prolétaires. Le rapport capitaliste n'est pas supprimé, il est au contraire poussé à son comble. Mais, arrivé à ce comble, il se renverse. La propriété d'Etat sur les forces productives n'est pas la solution du conflit, mais elle renferme en elle le moyen formel, la façon d'accrocher la solution : (...) la prise du pouvoir d'Etat par le prolétariat."
(F.Engels, "L'Anti-Duhring", Ed.Sociales 1963, p.318)
Ces simples et claires paroles du compagnon de K.Marx, prononcées il y a 60 ans, s'appliquent expressément à la récente transformation de l'industrie pétrolière et de chemin de fer en propriété de l'Etat des capitalistes mexicains. Il est d'une importance primordiale, pour le prolétariat du Mexique, de comprendre la vérité fondamentale contenue dans ces phrases : "l'Etat moderne n'est qu'une organisation que se donne la société bourgeoise pour défendre les conditions matérielles du système capitaliste de production contre les attaques des ouvriers comme des capitalistes individuels. L'Etat moderne, quel que soit sa forme, est une machine essentiellement capitaliste; c'est l'Etat des capitalistes; c'est le capitaliste collectif idéal." Combien sont-ils aujourd'hui, parmi ceux qui se disent "marxistes", qui connaissent la vérité de ces affirmations d'un des fondateurs du marxisme ? Combien sont-ils qui admettent que ces affirmations s'appliquent à tous les Etats capitalistes, quelle que soit leur forme, c'est à dire également aux Etats capitalistes qui se disent "ouvriéristes"? Combien se risquent à dire que ces Etats "ouvriéristes" exploitent les ouvriers, et que cette exploitation s'étend chaque fois que de nouvelles forces productives deviennent sa propriété ? Combien se risquent à dire que dans chaque nouvelle "nationalisation", les relations capitalistes entre possesseurs et producteurs (c'est à dire entre capitalistes et prolétariat), loin d'être abolies par de telles mesures, sont aiguisées et accrues ? Qui se risque, aujourd'hui, au Mexique, à dire que toutes ces affirmations s'appliquent aussi aux récentes "nationalisations" de l'industrie pétrolière et des chemins de fer ? Pourquoi les "marxistes" du Mexique n'appliquent-ils pas les enseignements du marxisme aux problèmes actuels ?
Pourquoi, en premier lieu, ne pas expliquer que "nationalisation" ne signifie en aucune manière "propriété de la'nation'", mais uniquement, exclusivement propriété de 1'Etat, c'est à dire propriété d'une partie de la "nation" : la bourgeoisie, dont l'Etat est l'instrument ? En d'autres termes, pourquoi ne pas expliquer qu'avec la "nationalisation", la propriété passe simplement des capitalistes individuels ou des compagnies capitalistes au, "capitalisme collectif" (pour employer la formule d'Engels) c'est à dire l'Etat des capitalistes ?
Pourquoi ne pas dire tout cela ? Nous le savons très bien : en le disant, comme devrait le faire celui qui s'appelle "marxiste", on ne peut rester le serviteur loyal de la bourgeoisie "progressiste" du Mexique, on perd sa popularité, peut-être sa liberté, et sa vie ... Mieux vaut ne pas appliquer les enseignements du marxisme aux problèmes du jour! Il est utile de s'appeler "marxiste", mais être marxiste est trop dangereux pour ces messieurs qui s'intitulent "leaders ouvriers".
LA VERITABLE SIGNIFICATION DE LA NATIONALISATION DU PETROLE ET DES CHEMINS DE FER
Quelles sont alors, d'après le marxisme, la portée et la signification de "l'expropriation" de la propriété des compagnies pétrolières? Cela signifie tout simplement que cette propriété est passée des mains d'un groupe d'exploiteurs (les compagnies pétrolières) aux mains d'un autre groupe : l'Etat mexicain. Ni plus, ni moins. La nature de cette propriété n'a, en rien, était modifiée, elle reste capitaliste comme auparavant. Les travailleurs restent dans la même situation de prolétaires obligés de vendre leur force de travail aux propriétaires des instruments de production, à savoir au maître des champs pétrolifères, des installations de l'appareillage de distribution, et le propriétaire (aujourd'hui l'Etat mexicain) conserve la plus-value produite par les travailleurs, c'est à dire les exploite,.
En d'autres termes, l'industrie pétrolière mexicaine s'est convertie en une seule et gigantesque "Pétrolex" avec des directeurs et techniciens "nationaux" au lieu d'étrangers, et la tâche principale de cette grande "pétromex" est exactement la même qu'auparavant celle de la petite "pétromex" (le gouvernement mexicain était, avant les "nationalisations" récentes, propriétaire d'une compagnie pétrolière) : empêcher ou briser les grèves, comme ce fut le cas pour la grève des protestations de 1'année dernière.
Dans l'industrie pétrolière du Mexique, depuis la dite expropriation, précisément comme avant, s'opposent les deux classes fondamentales de la société capitaliste : capitalistes et prolétaires, exploiteurs et exploités. L'industrie pétrolière reste ce qu'elle était auparavant : le bastion du système capitaliste au Mexique, d'autant plus que ce bastion est actuellement plus fort qu'auparavant, parce qu'au lieu d'avoir à faire à plusieurs compagnie étrangères seulement protégées par l'Etat mexicain, les travailleurs ont, aujourd'hui, en face d'eux, directement cet Etat, avec sa démagogie "ouvriériste", ses comités de conciliation, sa police, ses prisons, son armée. La lutte des travailleurs de l'industrie du pétrole est aujourd'hui mille fois plus difficile qu'avant. L'Etat protégeait la propriété capitaliste parce que telle est sa fonction fondamentale, aujourd'hui cette protection a changé de forme : pour être plus efficace et pour mettre l'industrie pétrolière à l'abri des attaques des travailleurs, l'Etat a déclaré comme sa propriété celle qui a besoin de protection : la propriété des capitalistes américains et anglais.
L'ETAT "OUVRIERISTE" DEFEND LE SYSTEME CAPITALISTE CONTRE LA REVOLUTION PROLETARIENNE
Selon les enseignements du marxisme, l'Etat est une institution née de la division de la société en classes ayant des intérêts irréconciliables, et sa fonction est de perpétuer cette division et avec elle "le droit de la classe possédante d'exploiter celle qui ne possède rien, et la domination de la première sur la seconde" (Engels). L'Etat moderne est l'organisation que se donne la bourgeoisie pour défendre ses intérêts collectifs, ses intérêts de classe, contre les attaques des ouvriers d'une part et des capitalistes individuels d'autre part (en premier lieu contre ceux des capitalistes et compagnies qui ne veulent pas abandonner une partie de leurs intérêts individuels en faveur de la défense des intérêts collectifs de la classe bourgeoise contre les travailleurs). Toute l'activité de la classe capitaliste, bien qu'il se dise "ouvriériste", ne sert qu'à une seule fin : le renforcement du régime capitaliste. Dans la phase de l'expansion du capitalisme, le renforcement de celui-ci avait un caractère progressif, en dépit de l'oppression constante qui en résultait, parce qu'en ce temps-la l'histoire n'avait pas encore posé la révolution prolétarienne à l'ordre du jour. L'unique progrès possible était le capitalisme. Aujourd'hui, dans sa phase de décomposition, c'est à dire dans la phase impérialiste que nous vivons, le renforcement ou la "réforme" du capitalisme prend un caractère extrêmement réactionnaire et contre-révolutionnaire, parce qu'aujourd'hui la destruction du capitalisme seulement peut sauver l'humanité de la barbarie. Le rôle actuel de l'Etat est de défendre le capitalisme contre la révolution prolétarienne. Dans la phase impérialiste, l'Etat capitaliste, quelle que soit sa forme, est la véritable incarnation de la réaction et de la contre-révolution. Aujourd'hui, il n'y a, et ne peut y avoir, un Etat capitaliste progressif. Tous sont réactionnaires et contre-révolutionnaires. Renforcer l'Etat équivaut donc à prolonger la vie du barbare système capitaliste. Seuls ceux qui luttent pour la destruction de l'Etat capitaliste sont au côté du prolétariat et de tous les exploités et opprimés luttant avec eux pour leur émancipation par la révolution prolétarienne.
QUAND LA NATIONALISATION EST PROGRESSIVE ?
Les paroles déjà citées, d'Engels au sujet de la signification de la conversion de la propriété des capitalistes individuels en propriété des compagnies anonymes, et concernant la transformation de celles-ci en propriété de l'Etat capitaliste, s'appliquent à la phase ascendante du capitalisme, à la phase de son expansion, lorsque le système capitaliste constituait un progrès. Dans cette phase, la concentration des forces de production dans les mains de groupes de capitalistes signifiait un important pas en avant, dans le sens de la socialisation croissante de la production, laquelle, pour sa part, posait devant 1'humanité la tâche de la socialisation de la propriété de ces forces de production. Citons une autre fois Engels :
La période de haute pression industrielle avec son crédit enflé sans limites, aussi bien que le krach lui-même par la ruine de grands établissements capitalistes, poussent à la socialisation de masses considérables de moyens de production; et cette socialisation s'opère sous la forme des diverses espèces de sociétés par action. Beaucoup de ces moyens de production et de communication sont dès l'abord si colossal qu'ils excluent toute autre forme d'exploitation capitaliste : c'est le cas par exemple des chemins de fer. Mais à un certain degré de développement, cette forme même n'est plus suffisante; le représentant officiel de la société capitaliste, l'Etat, est contraint de prendre la direction de ces moyens de production et de communication. La nécessité de les transformer en propriété de l'Etat apparaît d'abord pour les grands établissements servant aux communications (postes, télégraphes, chemins de fer)."
Mais ajoutait Engels, "c'est seulement au cas où les moyens de production et de consommation échappent réellement à la direction des sociétés par action, c'est seulement lorsque l'étatisation est devenue économiquement inévitable, c'est seulement alors que, même réalisée par l'Etat actuel, elle marque un progrès économique, un stade préliminaire à la prise de possession de toutes les forces productives par la société même. Mais il est né récemment, depuis que Bismarck s'est mis à étatiser, un faux socialisme qui, dégénérant même ça et là en complaisance servile, déclare socialisme dés l'abord toute étatisation, même celle de Bismarck. Mais si l'étatisation du tabac était socialiste, Napoléon et Metternich compteraient parmi les fondateurs du socialisme. Quand l'Etat belge, pour des raisons politiques et financières tout à fait banales, construit lui-même ses principales lignes de chemin de fer, quand Bismarck, en dehors de toute nécessité économique, étatise les principales lignes de Prusse, tout simplement pour pouvoir mieux les organiser et les utiliser en vue de la guerre, pour faire des employés de chemins due fer un troupeau d'électeurs dociles, et surtout pour se procurer une nouvelle source de revenus indépendante des décisions du Parlement, ce ne sont là à aucun degré, ni directement ni indirectement, ni consciemment ni inconsciemment, des mesures socialistes. Sans cela, le commerce maritime royal, la manufacture de porcelaine royale, et même le tailleur de la compagnie dans l'armée seraient des institutions socialistes. "
F.Engels. ("L'Anti-Dühring", Ed. Sociales, 1963, p.316-317)
Personne ne dira que la nationalisation de l'industrie pétrolière du Mexique fut économiquement inévitable, parce que son administration, depuis le moment de la production, avait débordé le cadre des compagnies. Et personne ne verra un progrès économique dans la transformation de la propriété des grandes compagnies internationales, mille fois mieux organisées et plus puissantes que l'Etat mexicain, en propriété de ce dernier. En réalité, des paroles d'Engels que nous venons de citer, les seules qui conviennent, dans le cas des récentes nationalisations au Mexique, ce sont celles qui parlent des "raisons politiques et financières" et de l'intérêt de l'Etat à créer une "nouvelle source de profit" et à transformer le personnel des chemins de fer en "troupeaux d'électeurs dociles".
Une telle nationalisation, dit Engels, ne représente aucun progrès.
LE CARACTERE REACTIONNAIRE DES NATIONALISATIONS DANS LA PHASE IMPERIALISTE DU CAPITALISME
C'est seulement en analysant les récentes nationalisations au Mexique comme faisant partie du processus de décomposition du capitalisme que nous pouvons comprendre leur véritable signification historique.
Dans la phase ascendante du capitalisme, existait la possibilité de nationalisations progressives bien que beaucoup d'entre elles, comme nous venons de le voir par les exemples cités par Engels, n'avaient pas un tel caractère. Aujourd'hui dans la phase de décomposition du système capitaliste, il n'y a pas la possibilité de nationalisation de caractère progressif, de même qu'il n'y a pas une seule mesure progressive de la part de la société capitaliste en décomposition et de son représentant officiel, l'Etat capitaliste. Dans la phase ascendante du capitalisme, les signes de l'expansion de la production et de la concentration de la propriété étaient, en principe, l'Etat national unifié, dont la formation constituait un progrès en comparaison avec les entités féodales dispersées. Mais, rapidement, l'expansion de la production et la concentration de la propriété débordèrent les limites des Etats nationaux. Les grandes compagnies anonymes prirent de plus en plus un caractère international, créant à leur manière une division internationale du travail, et cela, en dépit de son caractère contradictoire, constituant une des contributions les plus importantes du capitalisme au progrès de l'humanité.
Le caractère, de plus en plus international de la production, commence alors a se heurter avec la division du monde en Etats nationaux. "L'Etat national", affirme le 1er Congrès de l'Internationale Communiste en 1919, "après avoir donné un élan vigoureux au développement capitaliste est amené à être trop étroit pour l'expansion des forces productives".
Durant la phase pendant laquelle l'Etat national constituait un facteur progressif, c'est à dire dans la phase ascendante du capitalisme (et seulement à elles s’appliquent les citations d'Engels concernant le caractère progressif de certaines nationalisations), la conversion de la propriété des compagnies anonymes - lesquelles, dans le même temps ne débordaient pas encore des limites de l'Etat national- en propriété de celui-ci, était progressive.
Mais, au moment de convertir les sociétés anonymes en organismes qui embrassaient déjà plusieurs Etats, les nationalisations commencèrent a changer de signification : dirigées chaque fois davantage contre la croissante division internationale du travail, elles constituèrent par conséquent, au lieu d'un progrès, une régression. L'unique progrès possible est aujourd'hui la transformation de la propriété des grandes compagnies anonymes et de l'Etat capitaliste en propriété de l'Etat prolétarien qui surgira de la révolution communiste^ Surtout les nationalisations faites pendant et depuis la guerre mondiale montrèrent, dans tout le monde capitaliste, cet aspect réactionnaire en une forme chaque fois plus accentuée. Leur objet n'étant déjà plus 1'expansion de la production mais sa restriction... avec une exception significative: les industries de guerre. Restreindre la production des objets de consommation et organiser la production des instruments pour la destruction des produits et des propres producteurs, cela est une des fins primordiales des nationalisations pendant la guerre mondiale de 1914-1918 et pendant les récentes guerres en Ethiopie, en Espagne et en Chine. Et ceci s'applique, non seulement aux pays qui entrèrent directement en guerre, mais à tous, que les gouvernements soient fascistes ou démocratiques. Voir les nationalisations des deux côtés en Espagne, et la récente nationalisation des chemins de fer et industries de guerre en France. Destruction et non construction, voilà le grand actif de la société capitaliste dans ses heures d'agonie.
Tandis que les nationalisations dans le passé étaient l'expression de la croissance et de l'expansion du capitalisme, actuellement, elles sont, au contraire, l'expression de la régression et de la décomposition chaque fois plus violente du système capitaliste. Avant de disparaître de la scène historique, le capitalisme détruit une grande part de ce qu'il a crée lui-même : son magnifique appareil de production, le prolétariat moderne et la division internationale du travail, enchaînant chaque fois davantage les forces de production dans les limites des Etats nationaux.
Le prolétariat, au contraire, quand sonnera son heure historique, "libérera les forces productives de tous les pays des chaînes des Etats nationaux, unifiant les peuples en étroite collaboration économique" (Manifeste du premier congrès de TIC).
Ce sont des paroles claires, en opposition irréductible avec les idées de ceux qui veulent combiner les mots d'ordre de la révolution prolétarienne, laquelle a un caractère international, et ceux aits de "l'émancipation nationale".
L'unique possibilité de libérer les peuples opprimés réside dans la destruction des Etats nationaux par la révolution prolétarienne triomphante et dans 1'unification du monde entier en une étroite coopération fraternelle.
LE TRIOMPHE DU "BON VOISIN"
Ce qui vient d'être dit d'une façon générale, concernant la signification des nationalisations dans la phase de décomposition du capitalisme nécessitent certains compléments et modifications dans le cas des pays semi-coloniaux, comme le Mexique. Tout d'abord, s'il fût possible de placer une partie de la propriété des grandes compagnies internationales sous le contrôle effectif d'un petit Etat national, il est clair qu'une telle nationalisation n'accroîtra pas la division internationale du travail, crée par le capitalisme, mais au contraire, la minera et la détruira, révélant ainsi son caractère réactionnaire, plus encore que dans le cas des grands Etats impérialistes.
Mais en réalité, une nationalisation effective de la part des petits Etats est impossible, surtout quand elle s'applique à la propriété des grandes compagnies internationales, parce que ce sont les Etats impérialistes et leurs gouvernements qui contrôlent complètement la gestion économique et politique des petits Etats. Seuls, les Etats impérialistes peuvent aujourd'hui nationaliser, soit au dedans de leur domaine politique direct, soit dans les petits Etats contrôlés par eux. Les "nationalisations" effectuées par eux ne sont, par conséquent, rien de plus qu'une farce, un changement d'étiquette. Celui qui "nationalise " est en réalité, non le petit Etat "libre" et "anti-impérialiste", mais son propre maître impérialiste. L'unique changement possible, c'est que le petit Etat, comme dans notre cas, le Mexique, passe du contrôle de quelques compagnies impérialistes et de leur Etat, au contrôle d'autres compagnies et de leur Etat.
Et c'est précisément ce qui s'est passe dans le cas de la récente "nationalisation" du pétrole au Mexique : les grandes sociétés nord-américaines (la Huestee Standart Oil et la Gulf) et leur Etat ne pouvaient, jusqu'à maintenant, que partager le contrôle de la richesse pétrolière, et de tous les destins du Mexique, avec la société anglaise El Aguila (Royal Dutch Shell) et avec l'Etat anglais; avec la dite "nationalisation", ce contrôle est passé aux mains des maîtres exclusifs de ce que la bourgeoisie mexicaine appelle "notre patrie". Ce qui s'est passé dans ce cas est uniquement ce qui peut se passer dans la phase impérialiste du capitalisme. Toutes les fondamentales "rédemptions nationales" signifient inévitablement le triomphe de l'un ou l'autre impérialisme. Dans le cas du Mexique, celui qui a triomphé est " le fameux" " voisin".
La bourgeoisie internationale admet cela en toute franchise, comme le montre l'opinion ou Bulletin du service des Archives de Genève (nous citons seulement les dernières notes du 7 juin : "Dorénavant, les Etats-Unis sont les maîtres indiscutables dans tous les domaines au Mexique. La dernière forteresse anglaise (en Amérique Latine) a été démolie jusque dans ses fondations ... Les Etats-Unis ont adopté l'unique moyen de chasser l'Angleterre du Mexique sans tirer un coup de fusil..."
Ce fut Cardenas, insinue le bulletin, "qui finalement a aidé les Etats-Unis à expulser les Britanniques. Apparemment, tout fut très simple. Quand précisément les Anglais étaient heureux de posséder 60% du pétrole mexicain contre les 40% qu'avaient les Etats-Unis, Cardenas s'est approprié le tout. Mais, alors que Londres déchaînait une tempête contre les expropriations, Washington accueillait la chose avec un calme extraordinaire...
Que vient-il alors à l'esprit ?" Le Bulletin penche pour une entente entre Washington et Mexico, par laquelle tout le pétrole devient américain, "démolissant ainsi définitivement la dernière forteresse britannique dans cet hémisphère". Ceci nous est dit par un périodique bourgeois de Suisse... (texte traduit de l'espagnol, faute de posséder l'original).
"El Nacional", organe du gouvernement du Mexique, donna la même interprétation quand il annonça la rupture des relations diplomatiques avec le gouvernement anglais par les deux titres suivants : "Le Mexique rompt avec l'Angleterre" et "Les conversations avec les Compagnies américaines sont en bonne voie".
Il n'est pas meilleure illustration de la transformation du Mexique en une colonie exclusivement nord-américaine que l'adulation pour l'impérialisme yankee qui apparaît dans chaque numéro de "El Nacional" et dans tous les discours des autres mandataires mexicains. Selon eux, l'impérialisme nord-américain est aujourd'hui, en réalité, "anti-impérialiste", seul l'impérialisme anglais est impérialiste.
... Et le grand maître, Léon Trotski, les appuie dans cette propagande, avec ses lettres ouvertes dans lesquelles également "impérialisme" équivaut à "impérialisme anglais", cependant que l'auteur de ces lettres ne dit pas une seule parole sur l'impérialisme américain...
"L'ADMINISTRATION OUVRIERE" DOIT SAUVER LA PROPRIETE DES CAPITALISTES
Le système capitaliste se trouve dans une situation sans issue. Sa destruction par le prolétariat révolutionnaire est historiquement inévitable.
Mais, actuellement, le prolétariat affaibli et désorienté par tant de défaites et trahisons, au lieu de lutter contre le capitalisme, avec le but de l'abattre et de construire sur les ruines une nouvelle société, est, au contraire, en train de le défendre. Appuyée par tous les prétendus "leaders ouvriers", la bourgeoisie est parvenue à dévier les travailleurs de la lutte de classes et à les lier aux intérêts du capitalisme par le canal de l'Etat.
Aveuglés par les idées de démocratie et de patrie, les prolétaires défendent ce qu'ils devraient détruire; ce que nous voyons en Espagne, en Chine, au Mexique, dans le monde entier.
Au lieu de profiter de la crise mortelle du système capitaliste pour le détruire, les travailleurs, ne croyant pas au triomphe de leur propre cause, se sont temporairement transformés en ses meilleurs défenseurs. Exactement, comme au temps de la guerre mondiale, quand ils sacrifièrent leurs conquêtes économiques et leurs vies en luttes fratricides, sous le commandement de leurs ennemis de classe. Bien entendu, aujourd'hui, comme alors, la responsabilité n'en revient pas aux travailleurs, mais à ces "marxistes" qui, par leurs capitulations devant les fétiches de la démocratie et de la patrie ont trahi le marxisme et la cause de la révolution prolétarienne. Et il est également inutile d'insister sur le fait que la situation actuelle ne peut durer toujours et que, tôt ou tard, le prolétariat prendra le chemin de la révolution. Historiquement, la révolution prolétarienne reste inévitable et invincible.
En Espagne, et surtout en Catalogne, nous avons vu, dans ces dernières années, comment la bourgeoisie parvient à conjurer le danger de la révolution prolétarienne au moyen de l'armement des travailleurs et de la "socialisation" des industries, avec leur "livraison" aux travailleurs. Ceux-ci, sous l'illusion d'être alors les maîtres du pays, renoncèrent à l'attaque contre les institutions capitalistes et commencèrent à défendre, au prix de sacrifices inouïs, ce qui, maigre certains changements d'étiquette, continuait d'être la propriété capitaliste et l'Etat capitaliste. A la faveur du massacre quotidien sur les champs de bataille en Espagne, le capitalisme s'est renforce politiquement, remplissant ses objectifs avec le sang des exploités qui luttaient des deux côtés.
Suivant l'exemple de la bourgeoisie espagnole, la bourgeoisie mexicaine et son bon "voisin" nord-américain tentent de conjurer le danger de révolution prolétarienne au Mexique par la "livraison" des industries aux ouvriers. Une fois que celles-ci seront "aux mains" des travailleurs, l'ennemi mortel du système capitaliste se transformera en son meilleur défenseur ... ainsi calcule la bourgeoisie au Mexique et à Washington.
La bourgeoisie mexicaine et américaine connaissait la haine des masses travailleuses du Mexique et de toute l'Amérique Latine contre les grandes compagnies étrangères. Une attaque du prolétariat contre celles-ci équivaudrait à une attaque contre le cœur du système capitaliste. Ce serait le commencement de la fin de la domination impérialiste au Mexique et dans tous les pays coloniaux et semi-coloniaux... et la bourgeoisie de ces pays, en premier lieu celle du Mexique, sait fort bien que, ce qui, uniquement, la maintient et la protège contre "ses" ouvriers et paysans, c'est précisément la domination impérialiste. On comprend pourquoi elle considère la bourgeoisie nord-américaine comme sa "bonne voisine".
Face à l'accroissement quotidien de la colère des masses contre les compagnies impérialistes, il fallait éviter à tout prix une attaque frontale des travailleurs contre elles. Cette tâche revenait bien entendu au gouvernement du Mexique. Ce qui se passe avec les gouvernements semi-coloniaux, quand ils ne peuvent accomplir de telles tâches, est bien connu de tous : ils disparaissent, comme ont disparu tant de gouvernements au Mexique, à Cuba et autres pays latino-américains, au moment où ils se montrent incapables de dévier l'attaque des ouvriers contre la sacro-sainte propriété impérialiste. Le "bon voisin" a besoin de serviteurs efficaces, et il est démontré que le serviteur le plus efficace est un gouvernement "ouvriériste" .
Pour un gouvernement capitaliste "ouvriériste", il ne fut pas difficile de trouver la solution du problème. Les faux "marxistes" du type staliniens et trotskystes l'avaient proposée depuis longtemps : le front unique contre le prolétariat et la bourgeoisie. Contre qui ? Et bien, contre 1'impérialisme, quoique vous ne le croyiez pas!
En Espagne et en Chine, ce front unique entre exploiteurs et exploités a déjà été réalisé, avec des résultats magnifiques pour les exploiteurs, qu'ils soient fascistes ou antifascistes, impérialistes ou anti-impérialistes, et avec des résultats funestes pour les exploités des deux côtés. Au Mexique, quelque chose de très ressemblant se développait depuis quelques années. A la fin, cela prit une forme définitive, quand commença la farce de la prétendue "rédemption nationale". Simulant une lutte implacable contre l'impérialisme (en paroles), la bourgeoisie américaine et son gouvernement purent livrer (en fait) le contrôle chaque fois plus absolu des désunis de la prétendue "patrie mexicaine".
En même temps, simulant la remise de l'industrie pétrolière et des chemins de fer aux travailleurs, elle pourra tirer d'eux les sacrifices les plus inouïs.
Plein triomphe sur toute la ligne! Sous la forme de la "nationalisation", la bourgeoisie et son gouvernement purent remettre l'industrie la plus importante du pays au contrôle exclusif de l'impérialisme yankee; dans cette transaction, le gouvernement de la bourgeoisie mexicaine contracte une dette d'"honneur" avec la bourgeoisie nord-américaine et anglaise, dette que paieront bien entendu les travailleurs; et c'est non seulement eux qui seront tenus de supporter ce sacrifice ("volontairement", comme l'affirment leurs leaders traîtres), mais qui devront offrir sur l'autel de la patrie, bien entendu toujours "volontairement", les 50 millions demandés par les Compagnies il y a deux ans! Suivant un communiqué du Comité Exécutif du Syndicat des Travailleurs du Pétrole, publié dans la presse du 28 avril 1938, ce syndicat :
" était parfaitement d'accord avec son gouvernement, au moment où cela était nécessaire pour la Nation, et acceptait, par considération patriotique, que les bénéfices qui découlent de la décision des juntes de conciliation et d'arbitrage, groupe 7, malgré le sacrifice que représentent pour les travailleurs du pétrole (évidemment pas pour leurs leaders !) les longues années de lutte pour obtenir une vie plus humaine dans les champs pétrolifères ne s 'appliquent pas pendant que prévaudra la situation actuelle; en outre les travailleurs de cette industrie remettront à divers organismes pour un total approximatif de 140 millions de pesos; indépendamment de cela, nos diverses sections, conscientes de leur devoir comme mexicains, remettront une journée de salaire mensuel, pour un temps indéfini, afin de contribuer à résoudre la dépression économique de la nation, ce qui équivaut à une somme mensuelle de plus de 150.000 pesos" .
En additionnant ces quantités, la fameuse "rédemption nationale" coûte aux travailleurs du pétrole la respectable somme de plus de 190 millions de pesos, (pour ne parler que de ces travailleurs ), sans considérer les autres millions perdus pendant ces deux dernières années, pour s'être confiés aux juntes de conciliation au lieu d'obliger les compagnies, au moyen de la grève, à payer de plus hauts salaires. Au lieu d'obtenir que, sur les 50.millions qui étaient demandés aux Compagnies, il leur soit payé au moins les 20 millions que la décision "favorable" des juntes leur promettait, ils sont obligés de payer aux compagnies impérialistes, par le canal du gouvernement "anti-impérialiste" du Mexique, une somme cinq fois plus grande. Au lieu de recevoir 20 millions, ils sont obligés de payer plus de 190 millions, comme contribution à la prétendue "dette d'honneur".
Il serait difficile de trouver, dans toute l'histoire de la bourgeoisie mondiale, un autre exemple d'une tromperie si parfaitement exécutée. Dans le chœur des palabres patriotiques au sujet de la "libération économique du Mexique", se cache le vol le plus gigantesque que connaisse l'histoire. Les ouvriers sentent instinctivement qu'en réalité il ne s'agit de rien d'autre que d'un vol, mais, aveuglés par l'idée de la "patrie en danger", ils ne parvenaient pas à percer la vérité. Puisse notre faible voix permettre à certains de comprendre la véritable situation et les aider à se débarrasser de leurs songes et illusions!
LA TACHE DU PROLETARIAT FACE AUX RECENTES NATIONALISATIONS
Si aux faux "leaders marxistes" du Mexique, il manquait la valeur pour caractériser la véritable signification de la "nationalisation" du pétrole et des chemins de fer, il était tout de même moins risqué de parler de la tâche du prolétariat face à ces nationalisations faites par la bourgeoisie et au bénéfice de la bourgeoisie.
Engels parlait en toute clarté et franchise de cette tâche. Lui, bien entendu, ne voulait rien savoir de "l'appui au gouvernement" que préconisaient les traîtres à leur classe. Au contraire, l'unique chemin qu'il signalait, face aux nationalisations de la bourgeoisie, c'est la prise du pouvoir d'Etat par le prolétariat, et la transformation de la propriété des capitalistes, y compris la propriété" de l’Etat capitaliste, en propriété de l'Etat prolétarien
Il indiquait clairement quelle était l'unique leçon que les travailleurs devaient tirer de la transformation de la propriété des capitalistes individuels et des compagnies capitalistes en propriété de l'Eta-c capitaliste :
" Le régime capitaliste de production ... en poussant progressivement à transformer les grands moyens de production en propriété de l'Etat, indique lui-même les moyens d'accomplir cette révolution : le prolétariat s'empare du pouvoir d'Etat et transforme les moyens de production en propriété de l'Etat ...
F. ENGELS. (L'Anti-Dühring p.319)
La tâche du prolétariat mexicain est, alors, non de se sacrifier pour que l'industrie pétrolière et les chemins de fer soient profitables pour les capitalistes impérialistes et nationaux, ni d'accepter la farce de la "remise" des industries à une prétendue "administration ouvrière" mais de les conquérir, c'est à dire, de les arracher à la bourgeoisie au moyen de la révolution prolétarienne.
Telle est l'unique leçon que nous devons tirer des récentes nationalisations.