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Le communisme contre le « socialisme d’Etat »
La conscience de classe est quelque chose de vivant. Le fait qu'une partie du mouvement prolétarien ait atteint un certain niveau de clarté, ne veut pas dire que l'ensemble du mouvement y ait aussi accédé, et même les fractions les plus claires peuvent, dans certaines circonstances, ne pas réussir à tirer toutes les implications de ce qu'elles ont appréhendé, et peuvent même régresser par rapport à un niveau de compréhension atteint auparavant.
Ceci est certainement vrai en ce qui concerne la question de l'Etat et les leçons que Marx et Engels ont tirées de la Commune de Paris, que nous avons analysées dans le précédent article de cette série ([1]). Durant les décennies qui suivirent la défaite de la Commune, la montée du réformisme et de l'opportunisme dans le mouvement ouvrier a mené, au tournant du siècle, à la situation absurde selon laquelle la position marxiste « orthodoxe », telle qu'elle était défendue par Kautsky et ses acolytes, était que la classe ouvrière pouvait prendre le pouvoir au moyen des élections parlementaires, c'est-à-dire en s'emparant de l'Etat existant. Aussi quand Lénine, dans L'Etat et la révolution qu'il a rédigé pendant les événements révolutionnaires de 17, s'est attaché à « déterrer » le véritable héritage de Marx et Engels sur cette question, les « orthodoxes » l'accusèrent-ils de revenir à un anarchisme à la Bakounine !
En fait, la lutte pour faire connaître les leçons de la Commune de Paris, pour maintenir le mouvement prolétarien sur le chemin de la révolution communiste, avait déjà commencé au lendemain de l'insurrection des ouvriers français. Dans ce combat contre l'influence répugnante de l'idéologie bourgeoise et petite-bourgeoise sur le mouvement ouvrier, le marxisme a mené une bataille sur deux fronts : contre les « socialistes d'Etat » et les réformistes qui étaient particulièrement forts au sein du parti allemand, et contre la tendance anarchiste de Bakounine qui avait un forte présence dans les pays capitalistes moins développés.
Dans ce conflit à trois, beaucoup de questions étaient en débat, ou constituaient les germes de débats futurs. Dans le parti allemand, existait déjà la confusion entre la nécessaire lutte pour les réformes, et l'idéologie du réformisme qui oublie complètement les buts ultimes du mouvement. De l'autre côté, les Bakouninistes posaient aussi la question des réformes, mais dans le sens opposé : ils n'avaient que du mépris pour les luttes défensives immédiates de la classe et voulaient sauter par dessus, pour passer directement à la grande « liquidation sociale ». Avec ces derniers, devait également être posée de façon aiguë la question du rôle et du fonctionnement interne de l'Internationale, ce qui devait accélérer la chute de l'Internationale elle-même.
Dans les deux articles qui suivent, nous traiterons principalement de la façon dont ces conflits étaient reliés à la conception de la révolution et de la société future, bien qu'il y ait inévitablement de nombreux autres liens avec les questions mentionnées ci-dessus.
Le socialisme d'Etat est un capitalisme d'Etat
Au 20e siècle, l'identification entre le socialisme et le capitalisme d'Etat a constitué l'un des obstacles les plus tenaces au développement de la conscience de classe. Les régimes staliniens dans lesquels la brutalité de l'Etat totalitaire a violemment assuré le contrôle de la quasi-totalité de l'appareil économique, s'arrogeaient le nom de « socialistes », ce à quoi le reste de la bourgeoisie mondiale apportait obligeamment son accord. Et tous les cousins du stalinisme, des plus « démocratiques » aux plus « révolutionnaires », de la social-démocratie à sa droite au trotskisme à sa gauche, se sont attachés à répandre ce même mensonge fondamental.
Non moins pernicieuse que la version stalinienne est l'idée social-démocrate selon laquelle la classe ouvrière peut bénéficier de l'activité et de l'intervention de l'Etat, même dans les régimes qui sont explicitement identifiés comme « capitalistes » : selon ce point de vue, les conseils locaux, les gouvernements centraux contrôlés par les partis sociaux-démocrates, les institutions de l'Etat-providence, les industries nationalisées peuvent tous être utilisés pour le compte des ouvriers, et même constituer des étapes vers une société socialiste.
L'une des raisons pour lesquelles ces mystifications sont si profondément enracinées, c'est que les courants qui les défendent, ont appartenu dans le passé au mouvement ouvrier. Et beaucoup de pièges idéologiques qu'ils colportent aujourd'hui, trouvent leurs origines dans les confusions authentiques qui existaient dans une phase antérieure de ce mouvement. La vision marxiste du monde surgit d'un combat réel contre l'idéologie bourgeoise dans les rangs du mouvement prolétarien, et, pour cette raison même, est inévitablement confrontée à une lutte sans fin pour se libérer des subtiles influences de l'idéologie de la classe dominante. Dans le marxisme de la phase ascendante du capitalisme, nous pouvons donc voir une difficulté récurrente à abandonner l'illusion que l'étatisation du capital équivaut à la suppression de ce dernier.
Dans une large mesure, de telles illusions résultaient des conditions de l'époque dans lesquelles le capitalisme était encore perçu à travers la personnalité des capitalistes individuels, et où la concentration et la centralisation du capital était encore dans une phase précoce. Face à l'anarchie évidente créée par la pléthore d'entreprises individuelles concurrentes, il était assez facile d'aboutir à l'idée que la centralisation du capital entre les mains de l'Etat national constituerait un pas en avant. En fait beaucoup de mesures de contrôle par l'Etat mises en avant dans Le Manifeste Communiste (une banque d'Etat, la nationalisation de la terre, etc ([2]) sont présentées dans le but explicite de développer la production capitaliste dans une période où elle avait encore un rôle progressif à jouer. Malgré cela, la question est restée obscure, même dans les travaux ultérieurs de Marx et Engels. Dans le précédent article de cette série, par exemple, nous avons cité l'un des commentaires de Marx sur les mesures économique de la Commune de Paris dans lequel il semble dire que si les coopératives ouvrières centralisaient et planifiaient la production à l'échelle nationale, ce serait alors du communisme. Ailleurs, Marx semble défendre comme une mesure transitoire vers le communisme, l'administration par l'Etat d'opérations typiquement capitalistes telles que le crédit ([3]).
En soulignant ces erreurs, nous n'émettons aucun jugement moral sur nos ancêtres politiques. La clarification de ces questions ne pouvait être réalisée que par le mouvement révolutionnaire du 20e siècle, après des décennies d'expérience douloureuse : la contre-révolution stalinienne en Russie en particulier, et plus généralement, le rôle croissant de l'Etat en tant qu'agent organisateur de la vie économique à l'époque de la décadence capitaliste. La clarification qui s'est opérée aujourd'hui, est entièrement fondée sur la méthode d'analyse élaborée par les fondateurs du marxisme, et sur certains aperçus prophétiques sur le rôle que l'Etat aurait ou pourrait avoir dans l'évolution du capital.
Ce qui a permis aux générations ultérieures de marxistes de corriger certaines des erreurs « capitalistes d'Etat » précédentes, a été, par dessus tout, l’instance de Marx selon laquelle le capital est un rapport social, et ne peut défini d'une manière purement juridique. Tout l'objectif du travail de Marx est de définir le capitalisme comme un système d'exploitation fondé sur le travail salarié, l'extraction et la réalisation de la plus-value. De ce point de vue, cela n'a absolument aucun rapport de savoir si celui qui arrache la plus-value des ouvriers, qui réalise cette valeur sur le marché en vue d'accroître un profit et d'étendre son capital, est un bourgeois individuel, une corporation, ou un Etat national. Alors que le rôle l'économique de l'Etat s'accroissait peu à peu et nourrissait par conséquent les attentes illusoires de certaines parties du mouvement ouvrier, c'est cette rigueur théorique qui permit à Engels de formuler un passage souvent cité dans lequel il souligne que « ni la transformation en sociétés par actions, ni la transformation en propriété d'Etat ne supprime la qualité de capital des forces productives. Pour les sociétés par actions, cela est évident Et l'Etat moderne n'est à son tour que l'organisation que la société bourgeoise se donne pour maintenir les conditions extérieures générales du mode de production capitaliste contre des empiétements venant des ouvriers comme des capitalistes isolés. L'Etat moderne, quelle qu'en soit la forme, est une machine essentiellement capitaliste : l'Etat des capitalistes, le capitaliste collectif en idée. Plus il fait passer de forces productives dans sa propriété, et plus il devient capitaliste collectif en fait, plus il exploite de citoyens. Les ouvriers restent des salariés, des prolétaires. Le rapport capitaliste n'est pas supprimé, il est au contraire poussé à son comble ». ([4])
Parmi les apologues les plus sophistiqués du stalinisme, il y a des courants, habituellement les trotskystes et leur progéniture, qui ont défendu que si on ne pouvait traiter de socialiste le monstrueux cauchemar bureaucratique de l'ancienne URSS et d'autres régimes similaires, on ne pouvait pas non plus les appeler capitalistes car, lorsque existe la nationalisation totale de l'économie (bien qu'en réalité aucun régime stalinien n'ait atteint ce point-là), la production et la force de travail perdent leur caractère marchand. Tout au contraire, Marx était capable d'envisager théoriquement la possibilité d'un pays dans lequel tout le capital social se trouve entre les mains d'un seul agent sans que ce pays cesse d'être capitaliste : « Le capital pourra grossir ici par grandes masses en une seule main, parce que là il s'échappera d'un grand nombre. Dans une branche de production particulière, la centralisation n'aurait atteint sa dernière limite qu'au moment où tous les capitaux qui s'y trouvent engagés ne formeraient plus qu'un seul capital individuel. Dans une société donnée elle n'aurait atteint sa dernière limite qu'au moment où le capital national tout entier ne formerait plus qu'un seul capital entre les mains d'un seul capitaliste ou d'une seule compagnie de capitalistes. » ([5])
Du point de vue du marché mondial, les « nations » ne sont, de toutes façons, rien de plus que des capitalistes ou des compagnies particuliers, et les rapports sociaux en leur sein sont entièrement dictés par les lois globales de l'accumulation capitaliste. Ca ne change pas grand chose si l'achat et la vente ont disparu à l'intérieur de telles ou telles frontières nationales : de tels pays ne sont pas plus des « îles de non capitalisme » dans l'économie capitaliste mondiale, que les kibboutz ne sont des îles de socialisme en Israël.
Ainsi la théorie marxiste contient-elle donc toutes les prémisses nécessaires au rejet de l'identification entre le capitalisme d'Etat et le socialisme. De surcroît, déjà à leur époque, Marx et Engels se sont trouvés confrontés à la nécessité de traiter cette déviation « socialiste d'Etat ».
« Le socialisme allemand »
L'Allemagne n'a jamais traversé de phase de capitalisme libéral : la faiblesse de la bourgeoisie allemande a fait que c'est un puissant Etat bureaucratique dominé par des éléments semi-féodaux qui a veillé sur le développement du capitalisme en Allemagne. Le résultat a été ce qu'Engels a appelé « cette vénération superstitieuse de l'Etat » ([6]) qui était particulièrement forte en Allemagne et a énormément corrompu le mouvement ouvrier dans ce pays. Cette tendance était personnifiée par Ferdinand Lassalle dont la croyance dans la possibilité d'utiliser l'Etat existant par les ouvriers l'a même conduit à faire une alliance avec le régime de Bismarck « contre les capitalistes. » Mais le problème ne se réduisait pas au « socialisme d'Etat bismarckien » de Lassalle. Il y avait, dans le mouvement ouvrier allemand, un courant marxiste dirigé par Liebknecht et Bebel. Mais cette tendance est souvent tombée dans le genre de marxisme qui a amené Marx lui-même à déclarer qu'il n'était pas marxiste : une tendance mécaniste, schématique, et surtout, manquant d'audace révolutionnaire. Le fait même que ce courant s'appelait « social-démocrate », constituait en lui-même un pas en arrière : dans les années 1840, la social-démocratie avait été synonyme du « socialisme réformiste » de la petite-bourgeoisie, et Marx et Engels s'étaient délibérément définis comme communistes pour souligner le caractère prolétarien et révolutionnaire de la politique qu'ils défendaient.
Les faiblesses du courant Liebknecht-Bebel se révélèrent ouvertement en 1875, lorsqu'il fusionna avec le groupe de Lassalle pour former le Parti Ouvrier Social Démocrate (SDAP, plus tard SDP). Le document fondateur du nouveau parti, le Programme de Gotha faisait un certain nombre de concessions totalement inacceptables au Lassallisme. C'est ce qui amena Marx à rédiger la Critique du Programme de Gotha au cours de la même année.
Cette attaque cinglante contre les profondes confusions contenues dans le programme du nouveau parti resta un document « interne » jusqu'à 1891 : jusque là, Marx et Engels avaient eu peur que sa publication ne provoque une scission prématurée dans le SPD. On peut rétrospectivement se poser la question de la sagesse d'une telle décision, mais la logique qui y présidait est assez claire : avec toutes ses erreurs, le SPD était une réelle expression du mouvement prolétarien - il l'a montré en particulier dans la position internationaliste adoptée par Liebknecht et son courant -et même par beaucoup de Lassalliens -durant la guerre franco-prussienne et la Commune de Paris. Plus encore, le développement rapide du parti allemand avait déjà démontré l'importance croissante du mouvement en Allemagne pour l'ensemble de la classe ouvrière internationale. Marx et Engels ont vu la nécessité de mener un combat long et patient contre les erreurs idéologiques du SPD, et ils l'ont fait dans nombre de documents écrits après la Critique. Mais cette lutte était motivée par l'effort de instruire le parti, non de le détruire. C'est là la méthode qui a toujours fondé la lutte de la gauche marxiste contre la montée de l'opportunisme au sein du parti de classe : c'était une lutte pour le parti tant que celui-ci contenait une vie prolétarienne en son sein.
Dans la critique que font Marx et Engels du parti allemand, nous pouvons voir l'esquisse de bien des questions reprises plus tard par leurs successeurs, et qui devaient devenir des questions de vie ou de mort dans les grands événements historiques du début du 20e siècle. Et ce n'est absolument pas par hasard que celles-ci furent toutes centrées autour de la conception marxiste de la révolution prolétarienne, qui a toujours été la question clé qui différenciait les révolutionnaires des réformistes et des utopistes dans le mouvement ouvrier.
Réforme ou révolution
Dans la seconde moitié du 19e siècle, le capitalisme a connu sa plus grande accélération et un développement mondial. Dans ce contexte, la classe ouvrière a été capable d'arracher des concessions significatives à la bourgeoisie, améliorant considérablement les terribles conditions de travail et d'existence qui avaient présidé durant les phases antérieures de la vie du capitalisme (limitation du temps de travail, du travail des enfants, augmentation des salaires réels, etc.). Combiné à cela, il y eut des gains de nature plus politique - le droit de se réunir, de former des syndicats, de participer aux élections, etc. -qui permirent à la classe ouvrière de s'organiser et de s'exprimer dans la bataille pour l'amélioration de sa situation au sein de la société bourgeoise.
Marx et sa tendance ont toujours soutenu la nécessité de cette lutte pour des réformes, rejetant les arguments sectaires d'éléments tels que Proudhon, et, plus tard, Bakounine, qui voyaient ces luttes comme futiles ou comme une diversion par rapport à la voie vers la révolution. Contre de telles idées, Marx a affirmé qu'une classe incapable de défendre ses intérêts les plus immédiats, ne serait jamais capable d'organiser une nouvelle société.
Mais le succès même de la lutte pour des réformes a eu des conséquences négatives - la croissance de courants qui transformèrent cette lutte en une idéologie de réformisme, rejetant ouvertement le but communiste final en faveur de la lutte pour des acquis immédiats, ou bien amalgamant les deux en un mélange confus et déroutant. Marx et Engels peuvent ne pas avoir vu tous les dangers qu'impliquait la croissance de tels courants -c'est-à-dire qu'ils finiraient par attirer la majorité des organisations de la classe ouvrière au service de la bourgeoisie et de son Etat - mais le combat contre le réformisme en tant que type d'idéologie bourgeoise au sein du mouvement prolétarien, combat qui devait ultérieurement occuper les énergies de tant de révolutionnaires tels Lénine et Luxemburg, a certainement sérieusement commencé avec eux.
Ainsi, dans la Critique du Programme de Gotha, Marx souligne que non seulement les revendications immédiates que celui-ci contient (sur l'éducation, le travail des enfants) sont formulées de façon confuse ; mais pire que ça, le parti nouvellement formé ne parvient absolument pas à faire la distinction entre ces revendications immédiates et le but ultime. C'est particulièrement vrai dans l'appel à « des coopératives de production avec l'aide de l'Etat, sous le contrôle démocratique du peuple travailleur » qui serait sensé paver le chemin vers « l'organisation socialiste du travail ». Marx critique sans merci cette panacée du prophète Lassalle : « Au lieu de découler du processus de transformation révolutionnaire de la société, "l'organisation socialiste de l'ensemble du travail résulte" de "l'aide de l'Etat", aide que l'Etat fournit aux coopératives de production que lui-même (et non le travailleur) a "suscitées". Croire qu'on peut construire une société nouvelle au moyen de subventions de l'Etat aussi facilement qu'on construit un nouveau chemin de fer, voilà qui est bien digne de la présomption de Lassalle ! » ([7]).
C'est un avertissement explicite vis-à-vis de ceux qui proclament que l'Etat capitaliste existant peut être d'une quelconque façon utilisé comme instrument de création du socialisme - même s'ils le présentent d'une façon plus sophistiquée qu'elle ne l'est dans le Programme de Gotha.
A la fin des années 1870, les défenseurs du réformisme dans le parti allemand sont devenus encore plus culottés, au point de mettre en question le fait que le parti se présente comme ...une organisation de la classe ouvrière. Dans leur « Circulaire à A. Bebel, W. Liebknecht, W.Bracke » rédigée en Septembre 1879, Marx et Engels portent ce qui constitue probablement l'attaque la plus lucide contre les éléments opportunistes qui infiltraient de plus en plus le mouvement :
« On joue aujourd'hui au social-démocrate, comme on jouait au démocrate bourgeois en 1848. Comme ces derniers considéraient la république démocratique comme quelque chose de très lointain, nos sociaux-démocrates d'aujourd'hui considèrent le renversement de l'ordre capitaliste comme un objectif lointain, et, par conséquent, comme quelque chose qui n'a absolument aucune incidence sur la pratique politique actuelle. On peut donc à coeur joie faire le philanthrope, l'intermédiaire, et couper la poire en deux. Et c'est ce que l'on fait aussi dans la lutte de classe entre prolétariat et bourgeoisie. On la reconnaît sur le papier - de toute façon, il ne suffit pas de la nier pour qu'elle cesse d'exister -, mais dans la pratique on la camoufle, on la dilue et on l'édulcore. Le parti social-démocrate ne doit pas être un parti ouvrier ; il ne doit pas s'attirer la haine de la bourgeoisie, aucune autre ; c'est avant tout dans bourgeoisie qu'il faut faire une propagande énergique. Au lieu de s'appesantir sur des objectifs lointains qui, même s'ils ne peuvent être atteints par notre génération, effraient les bourgeois, le parti ferait mieux d'user toute son énergie à des réformes petites-bourgeoises de rafistolage qui vont consolider le vieil ordre social et peuvent éventuellement transformer la catastrophe finale en un processus de dissolution lent, fragmentaire, si possible pacifique. » ([8])
Telles sont les grandes lignes de la critique marxiste envers toutes les variantes ultérieures de réformisme qui devaient avoir un effet désastreux dans les rangs de la classe ouvrière international.
La dictature du prolétariat contre l’« Etat du peuple »
L'incapacité du Programme de Gotha à définir le lien réel entre les phases défensive et offensive du mouvement prolétarien s'exprimait également dans sa totale confusion sur l'Etat. Marx démolit son appel à fonder un « Etat libre et une société socialiste » comme un non-sens, puisque l'Etat et la liberté sont deux principes opposés : « La liberté consiste à transformer l'Etat, organe supérieur de la société, en un organe entièrement subordonné à elle. » ([9]). Dans une société pleinement développée, il n'y aura pas d'Etat. Mais plus important encore est la mise en évidence par Marx que cet appel à un « Etat du peuple » qui devrait se réaliser par l'attribution de réformes « démocratiques » que nombre de pays capitalistes avaient déjà concédées, constituait un moyen d'esquiver la question cruciale de la dictature du prolétariat. C'est dans ce contexte que Marx soulève la question : « Quelle transformation subira l'Etat dans une société communiste ? Autrement dit : quelles fonctions sociales s'y maintiendront-elles qui soient analogues aux fonctions actuelles de l'Etat ? Cette question ne peut avoir de réponse que par la science, et ce n'est pas en accouplant de mille manières le mot Peuple avec le mot Etat qu'on fera avancer le problème d'un saut de puce. Entre la société capitaliste et la société communiste, se place la période de transformation révolutionnaire de la première en la seconde. A quoi correspond une période de transition politique où l'Etat ne saurait être autre chose que la dictature révolutionnaire du prolétariat.
Le programme n'a pas à s'occuper, pour l’instant, de cette dernière, non plus que de la nature de l'Etat futur dans la société communiste » ([10])
Comme nous l'avons vu dans le précédent article de cette série, cette notion de dictature du prolétariat était, en 1875, quelque chose de très réel pour Marx et sa tendance : la Commune de Paris, quatre ans seulement auparavant, avait été le premier épisode vivant de la classe ouvrière au pouvoir, et il avait montré qu'un tel bouleversement politique et social ne pouvait avoir lieu que si les ouvriers renversaient l'appareil d'Etat et le remplaçaient par leurs propres organes de pouvoir. Le Programme de Gotha a démontré que cette leçon n'avait pas été assimilée par le mouvement ouvrier dans son ensemble, et, au fur et à mesure que grandissait le courant réformiste dans le mouvement, elle devait être de plus en plus oubliée.
Dans l'intérêt de l'exactitude historique, il est nécessaire de souligner que Marx et Engels n'avaient pas eux-mêmes pleinement assimilé cette leçon. Dans un discours au Congrès de L'Internationale à La Haye, en septembre 1872, Marx pouvait encore développer que « Il faut tenir compte des institutions, des coutumes et des traditions des différents pays, et nous ne nions pas qu'il y a des pays, comme l'Amérique et l'Angleterre, et si je connaissais mieux ses institutions, la Hollande, où les ouvriers peuvent parvenir à leurs buts par des moyens pacifiques. Ceci étant dit, nous devons reconnaître que dans la plupart des pays du continent, il faudra forcer le levier de la révolution ; le recours à la force sera nécessaire un jour afin d'établir la domination du travail ».
Il faut dire que cette idée était une illusion de la part de Marx - la mesure du poids de l'idéologie démocratique, même sur les éléments les plus avancés du mouvement ouvrier. Dans les années qui suivirent, toutes sortes d'opportunistes devaient se saisir de telles illusions pour donner l'estampille d'approbation de Marx à leurs efforts pour abandonner toute idée de révolution violente et calmer la classe ouvrière avec la croyance qu'elle pourrait se débarrasser, pacifiquement et par des moyens légaux, du capitalisme, en utilisant les organes de la démocratie bourgeoise. Mais la tradition marxiste authentique n'est pas avec eux. Elle est avec les pairs de Pannekoek, Boukharine et Lénine qui ont pris les éléments les plus audacieux et révolutionnaires de la pensée de Marx sur la question, ce qui menait inexorablement à la conclusion que pour établir la domination du travail dans n'importe quel pays, la classe ouvrière devrait utiliser le levier de la force, et, d'abord et avant tout, contre l'appareil d'Etat existant, quelles que soient ses formes démocratiques. De plus, c'est la réalité, l'évolution réelle de l'Etat démocratique, qui leur ont permis de tirer cette conclusion, car, comme le dit Lénine dans L'Etat et la révolution :
«Aujourd'hui en 1917, à l'époque de la première grande guerre impérialiste, cette restriction de Marx ne joue plus. L'Angleterre comme l'Amérique, les plus grands et les derniers représentants de la "liberté" anglo-saxonne dans le monde entier (absence de militarisme et de bureaucratisme) ont glissé entièrement dans le marais européen, fangeux et sanglant, des institutions militaires et bureaucratiques, qui se subordonnent tout et écrasent de tout leur poids. Maintenant en Angleterre comme en Amérique, la "condition première de toute révolution populaire réelle", c'est la démolition, la destruction de la "machine d'Etat toute prête". » ([11])
La critique du substitutionisme
L'Association internationale des travailleurs (AIT) avait proclamé que « l'émancipation des travailleurs doit être l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes ». Bien qu'il ne fût pas possible dans le mouvement ouvrier au 19e siècle de clarifier tous les aspects des rapports entre le prolétariat et sa minorité révolutionnaire, cette affirmation constitue une prémisse de base pour toute clarification ultérieure. Et, dans les polémiques au sein du mouvement après 1871, la fraction marxiste a eu de nombreuses occasions pour pousser la question plus loin que dans l'affirmation générale de l'AIT. En particulier dans le combat contre les véritables éléments réformistes qui infestaient le parti allemand, Marx et Engels étaient amenés à montrer que les visions élitistes et hiérarchiques des rapports entre le parti et la classe provenaient de l'idéologie bourgeoise et petite-bourgeoise, dont étaient porteurs, en particulier, les intellectuels des classes moyennes qui voyaient le mouvement ouvrier comme le véhicule de leurs propres schémas d'amélioration de la société.
La réponse des marxistes à ce danger n'était pas de se retirer dans l'ouvriérisme, dans l'idée qu'une organisation uniquement composée d'ouvriers industriels serait la meilleure garantie contre la pénétration des idées de la classe ennemie. « C'est un phénomène inévitable et inhérent au cours historique que des individus ayant appartenu jusqu'alors à la classe dominante se rallient au prolétariat en lutte et lui apportent des éléments de formation théorique. C'est ce que nous avons expliqué déjà dans le Manifeste Communiste, cependant, il convient défaire deux observations à ce sujet :
Premièrement : ces gens, pour être utiles au mouvement prolétarien, doivent vraiment lui apporter des éléments de formation d'une valeur réelle, or ce n'est pas du tout le cas de la grande majorité des bourgeois allemands convertis... Deuxièmement : lorsque ces individus venant d'autres classes se rallient au mouvement prolétarien, la première chose qu'il faut exiger d'eux, c'est de n'apporter avec eux aucun vestige de leurs préjugés bourgeois, petits-bourgeois, etc., mais de s'approprier sans réserve les conceptions prolétariennes. Or, ces messieurs ont démontré qu'ils sont enfoncés jusqu'au cou dans les idées bourgeoises et petites-bourgeoises... Nous ne pouvons donc marcher avec des gens qui expriment ouvertement que les ouvriers sont trop incultes pour s'émanciper eux-mêmes et qu'ils doivent donc être libérés d'abord par en haut, par les grands et philanthropes petits bourgeois. » ([12])
L'idée que les ouvriers ne pourraient s'émanciper que grâce à l'action bénévole d'un Etat tout puissant va de pair avec celle d'un parti de « bienfaiteurs » descendus tout droit du ciel pour libérer ces pauvres ouvriers des ténèbres de leur ignorance et de leur servitude. Elles font toutes deux partie du même emballage réformiste socialiste d'Etat que Marx et son courant ont combattu avec tant d'énergie. Il faut dire, cependant, que l'illusion selon laquelle une petite élite pourrait agir au nom de la classe ouvrière ou à sa place, ne se limitait pas à ces éléments réformistes : elle pouvait être également défendue par des courants authentiquement prolétariens et révolutionnaires, et les Blanquistes en étaient l'exemple par excellence. La version blanquiste du substitutionisme était un vestige de la première phase du mouvement révolutionnaire ; dans son Introduction à La guerre civile en France, Engels montre comment l'expérience vivante de la Commune de Paris avait réfuté, dans la pratique, la conception blanquiste de la révolution :
« Elevés à l'école de la conspiration, liés par une stricte discipline qui lui est propre, (les blanquistes) partaient de cette idée qu'un nombre relativement petit d'hommes résolus et bien organisés était capable, le moment venu, non seulement de s'emparer du pouvoir, mais aussi, en déployant une grande énergie et de l'audace, de s'y maintenir assez longtemps pour réussir à entraîner la masse du peuple dans la révolution et à la rassembler autour de la petite troupe directrice. Pour cela, il fallait avant toute autre chose la plus stricte centralisation dictatoriale de tout le pouvoir entre les mains du nouveau gouvernement révolutionnaire. Et que fit la Commune qui, en majorité, se composait précisément de blanquistes ? Dans toutes ses proclamations aux Français de la province, elle les conviait à une libre fédération de toutes les communes françaises avec Paris, à une organisation nationale qui, pour la première fois, devait être effectivement créée par la nation elle-même. Quant à la force répressive du gouvernement naguère centralisé, l'armée, la police politique, la bureaucratie créées par Napoléon en 1798, reprises, depuis, avec reconnaissance par chaque nouveau gouvernement et utilisées par lui contre ses adversaires, c'est justement cette force qui devait partout être renversée, comme elle l'avait été déjà à Paris. » ([13])
Que ce qu'il y avait de meilleur chez les blanquistes ait été obligé d'aller au-delà de leur propre idéologie s'est également confirmé dans les débats au sein de l'organe central de la Commune : lorsqu'un membre important du Conseil de la Commune a voulu suspendre les règles démocratiques de celle-ci et ériger un « Comité de Salut public » dictatorial sur le modèle de la révolution française bourgeoise, un nombre considérable de ceux qui s'y opposèrent étaient des blanquistes - preuve qu'un courant authentiquement prolétarien peut être influencé par le développement du mouvement réel de la classe, chose qui est rarement arrivé dans le cas des réformistes qui représentaient une tendance très matérielle de l'organisation de la classe à tomber entre les mains de son ennemi de classe.
Le contenu économique de la transformation communiste
Bien que le Programme de Gotha parle de « l'abolition du système salarié », sa vision sous-jacente de la société future était celle d'un « socialisme d'Etat ». Nous avons vu qu'il contenait la notion absurde d'un mouvement vers le socialisme au moyen de coopératives ouvrières assistées par l'Etat. Mais même lorsqu'il traite plus directement de la société socialiste future (dans laquelle existe toujours un «Etat libre »...), il est incapable d'aller au-delà de la perspective d'une société essentiellement capitaliste, dirigée par l'Etat au bénéfice de tous. Marx est capable de détecter cela sous le couvert des belles phrases du Programme, en particulier les parties qui parlent de la nécessité que « le travail collectif soit réglementé en communauté avec partage équitable du produit » et « d'abolir le système salarié avec la loi d'airain des salaires ». Ces expressions reflètent la contribution lassallienne à la théorie économique qui était, en fait, un abandon complet de la vision scientifique de Marx qui voit l'origine de la plus-value dans un temps de travail non payé, extrait des ouvriers. Les mots vides du Programme sur la «juste distribution » dissimulent le fait qu'il ne fait en réalité aucun projet pour se débarrasser des mécanismes fondamentaux de la production de valeur qui constitue la source infaillible de toute « injustice » dans la distribution des produits du travail.
Contre ces confusions, Marx affirme que : «Au sein de la société coopératrice, fondée sur la propriété commune des moyens de production, les producteurs n'échangent pas leurs produits ; de même, le travail employé à des produits n'apparaît pas davantage ici comme valeur de ces produits, comme une qualité réelle possédée par eux, puisque désormais, au rebours de ce qui se passe dans la société capitaliste, ce n'est plus par la voie d'un détour, mais directement, que les travaux de l'individu deviennent partie intégrante du travail de la communauté. L'expression : "produit du travail", condamnable, même aujourd'hui, à cause de son ambiguïté, perd ainsi toute signification. » ([14])
Mais plutôt que d'offrir une vision utopique de l'abolition immédiate de toutes les catégories de la production capitaliste, Marx souligne la nécessité de distinguer les phases inférieure et supérieure du communisme : « Ce à quoi nous avons affaire ici, c'est à une société communiste non pas telle qu'elle s'est développée sur une base qui lui soit propre, mais telle qu'elle vient, au contraire, de sortir de la société capitaliste ; par conséquent, une société qui, sous tous les rapports, économique, moral, intellectuel, porte encore les marques matérielles de l'ancienne société du sein de laquelle elle sort. » ([15])
Dans cette phase, existe encore la pénurie ainsi que tous les vestiges de la « normalité » capitaliste. Au niveau économique, l'ancien système salarié a été remplacé par un système de bons du travail : « le producteur reçoit donc individuellement... l'équivalent exact de ce qu'il a donné à la société. Ce qu'il lui a donné, c'est son quantum individuel de travail... Il reçoit de la société un bon constatant qu'il a fourni tant de travail (défalcation faite du travail effectué pour le fonds collectif) et, avec ce bon, il retire des stocks sociaux une quantité d'objets de consommation correspondant à la valeur de son travail. » ([16])
Comme Marx le souligne dans Le Capital, ces bons ne sont plus de l'argent au sens où ils ne peuvent ni circuler, ni être accumulés ; ils ne peuvent qu'« acheter » des articles de consommation individuels. D'une autre côté, ils ne sont pas complètement libérés des principes de l'échange de marchandises : « C'est évidemment ici le même principe que celui qui règle l'échange des marchandises pour autant qu'il est un échange de valeurs égales. Le fond et la forme diffèrent parce que, les conditions étant différentes, nul ne peut rien fournir d'autre que son travail £t que, par ailleurs, rien d'autre que des objets de consommation individuelle ne eut entrer dans la propriété de l'individu. Mais en ce qui concerne le partage de ces objets entre producteurs pris individuellement, le principe directeur est le même que pour l'échange de marchandises équivalentes : un même quantité de travail sous une forme s'échange contre une même quantité de travail sous une autre forme. Le droit égal est donc toujours ici, en principe, le droit bourgeois... » ([17]) parce que, comme l'explique Marx, les ouvriers ont des besoins et des capacités très différents. C'est seulement dans la phase supérieure du communisme, quand « toutes les sources de la richesse collective jailliront avec abondance, alors seulement l'étroit horizon du droit bourgeois pourra être complètement dépassé et la société pourra écrire sur ses drapeaux : De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins !» ([18])
Quelle est la cible exacte de cette polémique ? Ce qu'il y a derrière, c'est la conception classique du communisme non comme un « état » qui doit être imposé mais en tant que « mouvement réel qui abolit l'état de choses existant » comme l'a exprimé L'idéologie allemande trente ans auparavant. Marx élabore donc la vision de la dictature du prolétariat comme initiant un mouvement vers le communisme, d'une société communiste émergeant de l'effondrement du capitalisme et de la révolution prolétarienne. Contre la vision socialiste d'Etat selon laquelle la société capitaliste se transforme elle-même, en quelque sorte, en communisme à travers l'action de l'Etat opérant comme employeur unique et bénévole de la société, Marx envisage une dynamique vers le communisme fondée sur une base communiste.
L'idée des bons du travail doit être considérée à cette lumière. Dans le premier exemple, ils sont conçus comme une attaque contre la production de valeur, comme un moyen de se débarrasser de l'argent en tant que marchandise universelle, pour mettre halte à la dynamique de l'accumulation. Ils ne sont pas considérés comme un but, mais comme un moyen vers un but, moyen qui pourrait être immédiatement introduit par la dictature du prolétariat comme première étape d'une société d'abondance qui n'aura plus besoin de mesurer la consommation individuelle en fonction de la production individuelle.
Au sein du mouvement révolutionnaire, il y a eu et continue d'y avoir un débat pour savoir si ce système est le plus approprié pour réaliser ces buts. Pour un certain nombre de raisons, nous dirions qu'il ne l'est pas. Pour commencer, la socialisation « objective » de bien des aspects de la consommation (électricité, gaz, logement, transport, etc.) sera, dans le futur, rendue possible très rapidement par la fourniture gratuite de la plus grande part de ce genre de biens et de services, étant uniquement assujettis au contrôle de l'ensemble des réserves par les ouvriers ; de même, pour beaucoup d'articles de consommation individuels, un système de rationnement contrôlé par les conseils ouvriers aurait l'avantage d'être plus «collectif», moins dominé par les conventions de l'échange de valeur. Nous reviendrons là-dessus et sur d'autres problèmes dans un autre article. Notre préoccupation principale, ici, est de mettre à nu la méthode fondamentale de Marx : pour lui, le système des bons du travail avait une validité comme moyen d'attaquer les fondements du système de travail salarié et c'est par rapport à ce critère qu'il doit être jugé ; en même temps, il en reconnaissait clairement les limites, parce que le communisme intégral ne peut être réalisé en une nuit, mais seulement après « une période de transition plus ou moins longue ». En ce sens, Marx est lui-même le critique le plus sévère du système des bons du travail, insistant sur le fait qu'ils n'échappent pas à « l'étroit horizon du droit bourgeois » et qu'ils incarnent la persistance de la loi de la valeur. Ici, tout faux radicalisme est fatal (et, en fait, conservateur dans la pratique) parce qu'il amènerait le prolétariat à mélanger des moyens temporaires et contingents avec les buts réels. Ceci est, comme nous le verrons, une erreur dans laquelle beaucoup de révolutionnaires sont tombés durant la période de soi-disant communisme de guerre en Russie. Pour Marx, il fallait toujours garder en tête le but final du communisme, sinon le mouvement qui y conduit s'égarerait, et, finalement, serait pris une fois de plus dans l'orbite de la planète Capital.
Le prochain article de cette série examinera le combat de Marx contre la principale version du faux radicalisme à l'époque : le courant anarchiste autour de Bakounine.
CDW.
« Voila ce qui distingue les marxistes des anarchistes : les premiers tout en se proposant de supprimer complètement l'Etat, ne croient la chose réalisable qu'après la suppression des classes par la révolution socialiste, comme résultat de l'instauration du socialisme qui mène à la disparition de l'Etat; les seconds veulent la suppression complète de l'Etat du jour au lendemain, sans comprendre les conditions qui la rendent possible (...) » Lénine, L'Etat et la révolution
chap. 6, Oeuvres choisies II, Ed. Moscou.
[1] Revue Internationale n° 77, 8e partie
[2] Lire l'article de cette série dans la Revue Internationale n° 72
[3] Cf. Le Capital, Volume 3, chapitre XXXVI.
[4] Anti-Dühring, Chapitre 2 : « Notions théoriques », Editions sociales (3e édition), page 315. Engels continue plus loin : « En poussant de plus en plus à la transformation des grands moyens de production socialisés en propriété d'Etat, (le mode de production capitaliste) montre lui-même la voie à suivre pour accomplir ce bouleversement. Le prolétariat s'empare du pouvoir d'Etat et transforme les moyens de production d'abord en propriété d'Etat », ce dont il conclut que « le premier acte dans lequel l'Etat apparaît réellement comme représentant de toute la société, - la prise de possession des moyens de production au nom de la société -, est en même temps son dernier acte propre en tant qu'Etat. » (ibid., pages 316 et 317). Engels se réfère ici sans aucun doute à l'Etat post-révolutionnaire qui se forme après la destruction du vieil Etat bourgeois. Cependant, l'expérience de la révolution russe a mené le mouvement révolutionnaire à mettre en question cette formulation même : la propriété des moyens de production même par « Etat-Commune » ne conduit pas à la disparition de l'Etat, et peut même contribuer à son renforcement et à sa perpétuation. Mais évidemment Engels ne bénéficiait pas d'une telle expérience.
[5] Le Capital, Chapitre XXV, septième section, Editions La Pléiade, Tome I, page 1139. Bien que Marx utilise ici le terme « société », il ne peut que vouloir dire « pays » et non société capitaliste comme un seul tout : comme il le remarque ailleurs, un capital qui n'affronte pas d'autres capitaux, n'existe pas.
Le capitalisme ne peut exister sans la concurrence entre des unités capitalistes. De plus, l'histoire a montré que l'Etat-nation constitue le niveau le plus élevé d'unité effective que le capital puisse atteindre. Ceci a été confirmé récemment par la désintégration des blocs impérialistes formés en 1945 : une fois que la nation dominante n'est plus capable d'imposer l'unité du bloc, il éclate en différentes unités nationales qui le composent et sont concurrentes.
[6] Introduction à La guerre civile en France, Ed. sociales, page 301.
[7] Editions Spartacus, page 32.
[8] « La social-démocratie allemande », Editions 10 18, page 146.
[9] Critique du Programme de Gotha, Ed. Spartacus, page 33.
[10] Ibid., page 34. Dans le précédent article de cette série, nous faisons référence à l'expérience de la révolution russe qui selon nous a montré la nécessité de faire une distinction entre l'Etat de la période de transition et la dictature du prolétariat, entre l'organe qui émane de la société transitoire et a la tâche de maintenir sa cohésion, et les instruments réels du pouvoir prolétarien (les conseils ouvriers, les comités d'usines, etc.) qui ont la tâche d'initier et de diriger le processus de transformation communiste. A certaines occasions, des groupes du milieu prolétarien ont utilisé ce passage de la Critique du Programme de Gotha (c'est-à-dire que l'Etat ne peut être que la dictature du prolétariat) pour argumenter contre cette distinction qui serait en contradiction avec Marx et le marxisme. En réponse, nous ne pouvons qu'affirmer que le mouvement réel de la classe a clarifié cette question dans la pratique ainsi qu'en théorie ; mais il est également important de comprendre le contexte historique de ce passage qui était une polémique contre ceux qui voulaient laisser l'Etat bourgeois existant tel quel et avaient peur de l'idée même de révolution.
[11] Editions sociales, pages 57-58.
[12] « Circulaire à A. Bebel », idem note 8, pages 147-148-149.
[13] Idem note 6, pages 299-300.
[14] Idem note 9, pages 21 -22.
[15] Idem
[16] Idem
[17] Idem
[18] Idem, page 24.