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Alors que les médias nous serinent que “des signes de reprise économique sont déjà là” en France et que “le bout du tunnel” dans la conjoncture internationale nous est promis à l’horizon 2010, les ouvriers font au contraire l’amère expérience d’une nouvelle accélération de la vague de licenciements, de fermetures de sites ou d’entreprises (alors qu’au printemps dernier, le rythme des “plans sociaux” avoisinait déjà les 200 chaque mois). Le nouveau “Pôle emploi” (né de la fusion de l’ANPE et de l’UNEDIC) est débordé. Alors que l’hexagone connaît sa pire période de récession depuis 1949, il est prévu que près de 600 000 emplois (source Mediapart) seront détruits dans le secteur privé pour l’année 2009. Le chiffre officiel du chômage est reparti à la hausse en juillet et son taux devrait repasser la barre au-dessus des 10 % en France d’ici la fin de l’année. 650 000 jeunes arrivent sur le marché du travail et bien peu d’entre eux, même parmi les surdiplômés, ont l’espoir de décrocher un emploi. Cet été, les ixes Rencontres d’Aix-en-Provence, organisées par “le Cercle des économistes”, ont souligné avec gravité les “chiffres, terrifiants de l’OCDE. D’avril 2008 à avril 2009, le chômage a crû de 40 % dans les pays les plus riches. De 2007 à 2010, il devrait même y avoir 26 millions de chômeurs en plus, un bond de 80 %, sans précédent en si peu de temps. “Le plus gros de la détérioration reste à venir”, a mis en garde Martine Durand, responsable de l’emploi (…)” (1).
Le chantage à l’emploi, accélérateur des attaques
Aux Etats-Unis, après une forte saignée en 2008 et le choc brutal dans le secteur clé de l’automobile, “les annonces de suppressions de postes augmentent de 31 % (…) Les chiffres de juillet portent à 994 048 le nombre de postes dont la suppression a été annoncée depuis le début de l’année, ce qui correspond à un bond de 72 % sur un an” (2). La population active diminue, et rien que pour le mois de juillet, on compte 422 000 actifs de moins aux Etats-Unis, un rythme bien plus rapide qu’en juin (155 000) (3). Dans ces conditions, il devient quasiment impossible de retrouver du travail. C’est pour cela que les chômeurs de longue durée, dont le nombre ne cesse de croître de façon vertigineuse, mais aussi maintenant les travailleurs fraîchement licenciés, renoncent à rechercher un emploi. Par ailleurs, la campagne présidentielle du médiatique Obama annonçait qu’une des priorités de sa réforme était de garantir une couverture sociale digne de ce nom, une réelle protection de la santé. Ce à quoi on assiste, comme partout, c’est au contraire à une dégradation très forte puisque les salariés jetés à la rue ne peuvent tout simplement plus se soigner. En effet, selon l’institut Gallup, plus de cinq millions de personnes ont perdu leur contrat d’assurance faute d’argent. Et d’ici la fin de l’année, on pourrait compter 50 millions d’exclus ! (4)
L’Allemagne, qu’on nous présentait il y a quelques décennies comme un “modèle”, est également frappée de plein fouet par la crise. Le numéro un allemand de l’énergie, EON, dans son groupe basé à Düsseldorf, prévoit par exemple la suppression de 10 000 postes en Europe. En plus d’un véritable chantage à l’emploi sur place, et qui partout se généralise, il est précisé que “les mesures de (gestion du) personnel inévitables seront mises en œuvre (…) avec des temps partiels, des retraites anticipées, des non-renouvellements de contrats à durée déterminée ou des départs volontaires” (5).
Partout, pour tous les prolétaires qui ont encore la chance d’avoir un travail, la précarité est devenue la règle avec une pression devenue insoutenable. Le chantage à l’emploi pour baisser les salaires tend à s’étendre pour faire face à une concurrence exacerbée. Certaines entreprises commencent à exiger des baisses de salaires allant de 20 à 40 % ! Dans certains cas, comme à British Airways, on en est même arrivé à demander aux salariés du travail gratuit ! Partout encore, il est prévu de faire reculer l’âge de la retraite, d’augmenter la pression fiscale, de réduire drastiquement les budgets sociaux et les salaires des fonctionnaires ! Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que le nombre de suicides liés aux conditions de travail se mette à grimper, notamment en France, où on note “une organisation du travail qui produit 300 à 400 suicides par an et une montée des pathologies mentales” (6). Ceux qui résistent au rythme de la concurrence y laissent leur santé, prennent de plus en plus de risques qui conduisent à des accidents du travail. Désormais, il y a 1,2 million d’accidents du travail par an et 3000 par jour dans le monde. Ces accidents du travail font désormais plus de morts que les guerres !
Une “radicalisation des luttes” ?
Face à cette dégradation violente de ses conditions de vie, le prolétariat démontre qu’il trouve la force et le courage de se battre, même dans un contexte difficile.
Durant l’été, la question des licenciements a tenu la vedette à travers l’hypermédiatisation de certaines luttes et à cause du caractère illégal de ces actions, présentées comme modèle d’une “radicalisation” des luttes ouvrières. Il n’en est rien ! Même si ces luttes restent significatives d’une volonté de se battre, elles restent l’expression d’un manque de perspective.
Par exemple, le 31 juillet, la mort dans l’âme et la rage au ventre, les 366 ouvriers de l’usine New Fabris de Châtellerault, licenciés suite à la liquidation de leur entreprise, ont voté (vote à bulletins secrets, organisé par les syndicats) l’acceptation de la dérisoire indemnité de 12 000 euros, imposée par le ministre Estrosi. Pire, l’indemnité de licenciement se limite à 9000 euros (le versement du complément est conditionné par l’hypothétique revente, via la direction, du matériel et des machines de l’usine). La veille, le 30 juillet, une ultime manifestation dans la ville avait rassemblé entre 2000 et 3000 personnes et obtenu la participation d’autres entreprises des environs (ouvriers de Magnati Marelli, des hospitaliers du CHU, des postiers, des journalistes licenciés de la Nouvelle République ainsi que des délégations syndicales de Continental, de Molex, d’Aubade, de l’usine Ford de Bordeaux, ou de plusieurs sites comme Renault, Valeo, Thales, TDF, Freescale…) mais, contrairement à ce que cette mobilisation d’autres secteurs ouvriers pouvait faire espérer, leur sort était déjà scellé. En effet, depuis un mois et demi, ils avaient été isolés et placés sous les projecteurs des médias en menaçant de faire sauter l’usine et en plaçant devant celle-ci des bonbonnes de gaz… vides, contre une modeste revendication de prime de départ de 30 000 euros7. Dans la foulée de cas similaires, comme celui des 480 employés de l’usine Nortel de Châteaufort dans les Yvelines (qui avaient renoncé 15 jours auparavant à ce “moyen de pression” ou ceux de JLG à Tonneins dans le Sud-Ouest), l’accent a été mis sur une série de séquestrations de patrons ou de cadres (Caterpillar à Grenoble, Molex près de Toulouse…).
Toutes ces actions ou ces “menaces” sont avant tout l’expression d’un sentiment d’impuissance. Alors que les médias ont mis en avant que l’utilisation de ces moyens de lutte était l’expression d’une “radicalité” débordant les appareils syndicaux, qui s’exprimait ainsi à cause de la faiblesse des syndicats, la réalité est exactement à l’opposé. Ce sont en fait les cadres syndicaux locaux de l’entreprise qui n’ont cessé d’encourager en sous-main le recours à ce type d’actions (même si elles sont hautement désapprouvées par les centrales nationales syndicales elles-mêmes).
Xavier Mathieu, un de ces délégués CGT “radicaux” de l’usine Continental à Clairoix, a déclaré au micro de France Info le 17 août en s’en prenant aux dirigeants des grandes centrales syndicales : “Les Thibault et compagnie, c’est juste bon qu’à frayer avec le gouvernement, à calmer les bases. Ils servent juste qu’à ça, toute cette racaille”. C’est tout à fait vrai. Ce “coup de gueule” contre les dirigeants syndicaux nationaux est partagé par beaucoup d’ouvriers, syndicalistes “à la base”, qui cherchent à mettre en avant une aspiration illusoire de “faire du vrai syndicalisme”. Mais il arrange également bien les syndicats comme l’ensemble de la bourgeoisie, car il traduit une tentative nécessaire pour redorer l’image du syndicalisme, singulièrement terni depuis le sabotage des luttes de ces dernières années qui ont permis aux différents gouvernements de faire passer la liquidation des régimes spéciaux de retraite, puis toutes ses autres attaques.
Les syndicats comme l’ensemble de la bourgeoisie profitent du fait que la pression actuelle du chômage et des licenciements massifs ne favorisent pas le développement de luttes massives mais, au contraire, la dispersion des réactions ouvrières comme la tendance à provoquer une certaine paralysie momentanée de l’ensemble de la classe ouvrière qui voit ces réactions avec une sympathie réelle. Face aux fermetures d’entreprises, l’arme de la grève tend à perdre son efficacité, accentuant le sentiment d’impuissance des travailleurs. Les ouvriers se retrouvent souvent dos au mur, poussés à réagir chacun dans leur coin, à cause de ce désarroi, de ce sentiment d’impuissance qu’elles génèrent, avec le traumatisme lié à la perte d’emploi. Mais la bourgeoise pourra de moins en moins utiliser cette situation pour susciter une division, voire une opposition entre ceux qui perdent leur travail et ceux qui ont le “privilège” de le conserver. S’il est difficile pour la classe ouvrière de riposter par une réponse d’envergure face aux attaques, celle-ci n’a pas pour autant renoncée à lutter pour la défense de ses intérêts alors que le manque actuel de perspective immédiate pousse la plupart d’entre elles, notamment dans les pays développés, à rester encore fortement sous l’emprise des syndicats.
L’expérience montre à la classe ouvrière qu’elle est capable de développer une réflexion collective animée par le besoin de développer ses luttes. Ce n’est qu’en tirant la leçon de la situation présente que seule la lutte unie et solidaire peut freiner la brutalité des attaques et de l’exploitation, et qu’elle sera en mesure de résister aux chantages de la bourgeoisie. Et c’est à travers la reconquête de sa capacité à prendre en mains ses luttes qu’elle pourra franchir une nouvelle étape dans son combat contre le capitalisme. Cette perspective est toujours présente.
W (28 août)
5) romandie.com
7) Le Nouvel observateur du 23 juillet va jusqu’à reconnaître que les 30 000 euros réclamés par les salariés de New Fabris ne pèsent plus que 22 fois le SMIC alors qu’en 1988, les ouvriers licenciés des chantiers navals de La Ciotat avaient reçu de l’Etat une prime de départ de 30 500 euros en 1988, équivalant à 40 SMIC de l’époque, soit une baise de 45 % en 20 ans !