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La direction de Freescale (ex Motorola), à Toulouse, a annoncé le 22 avril la fin de la production à Toulouse, ce qui représente plus de 800 licenciements, auxquels se rajoutent ceux du secteur de la téléphonie, 250 personnes et ceux de l’importante sous-traitance sur la région. En tout, cela va concerner plus de 3000 salariés. Cela intervient quasi en même temps que la fermeture de l’usine de Crolles, près de Grenoble, celle d’East Kilbride en Ecosse ainsi que celle de Sendai au Japon. Cette “restructuration” doit être réglée avant fin 2011.
Il s’agit là d’une des nombreuses attaques aux conditions de vie de la classe ouvrière que le capitalisme en faillite lui réserve. Pour les familles frappées par les licenciements, ici comme ailleurs, c’est l’angoisse d’une perspective de misère car chacun sait que s’il parvient à retrouver un travail, il y a de grandes chances pour que ce soit un emploi de survie sous payé. Pas étonnant que ces ouvriers, eux aussi, aient ressenti ces annonces comme un grand coup sur la tête. Lancer immédiatement un appel à la solidarité des autres ouvriers de la région, cela n’est même pas évoqué par les syndicats, ce qui n’est pas fait pour nous étonner, mais qui est à souligner. Les ouvriers, eux, sous l’impulsion d’une minorité d’entre eux, vont développer des efforts pour organiser leur lutte.
Leur première réaction est qu’il ne faut pas se faire d’illusions sur le discours de la direction concernant les reclassements. D’ailleurs, début mai, lorsque le directeur réunit l’équipe de nuit (l’usine fonctionne en 6 équipes) pour lui présenter le cabinet conseil qui allait s’occuper des reconversions, il est pris à partie par les ouvriers qui lui demandent s’il ne se moque pas d’eux, le traitant de menteur. La quasi-totalité des 120 ouvriers présents ce soir-là se sont levés et ont quitté la salle. Face à la colère qui se développe, la direction et les syndicats orientent vers des AG par équipe. Parmi les ouvriers, les plus combatifs proposent qu’une fois par semaine il y ait une AG commune afin que les décisions soient prises collectivement. Cette proposition recueille l’accord des ouvriers et les syndicats sont obligés de suivre. Face aux divisions syndicales bien connus, les ouvriers demandent aux syndicats de laisser de côté leurs querelles et de s’unir en intersyndicale, pensant par là qu’ils seraient mieux défendus. FO, UNSA, CFE-CGC, CGT, CFDT et CFTC annoncent alors comme une grande réussite qu’ils sont d’accord pour créer une intersyndicale. Cette intersyndicale propose que chaque équipe élise 4 délégués chacune afin d’assister, comme observateurs, aux négociations avec la direction. Il deviendra clair pour beaucoup d’ouvriers qu’il s’agissait là d’une ruse des syndicats ayant pour but de faire semblant d’accepter que les ouvriers participent, tout en les transformant en simples observateurs. Cela leur permettait de garder le contrôle total sur les événements. Face à cette ruse, une minorité d’ouvriers interviendra dans l’AG pour défendre la souveraineté de celle-ci, dire que c’est elle qui doit décider et non l’intersyndicale. Cela recueillera l’approbation d’une partie des ouvriers.
La direction propose alors une série de négociations qui ont lieu chaque jeudi. Évidemment, les négociations n’avancent pas. Direction et syndicats les font traîner pour démoraliser les ouvriers. Les querelles entre les syndicats se réveillent bien opportunément afin de commencer à organiser la division. La majorité des ouvriers est exaspérée. A la mi-mai, l’AG de l’équipe de nuit décide de ne plus laisser les syndicats mener les discussions et décident qu’il revient aux ouvriers de porter eux-mêmes leurs revendications à la direction. Cela est discuté à l’AG commune qui suit, celle du lundi. C’est alors que la majorité des syndicats déclare qu’elle ne reconnaît plus la souveraineté de l’AG et appelle ses adhérents à des AG parallèles dans le but de faire des “propositions constructives à la direction !” (cela permettra en effet à la direction de trouver les propositions de FO très constructives !). La CGT et la CFDT, quant à elles, déclarent qu’elles continuent à reconnaître la souveraineté de l’AG (mais nous le verrons, pour mieux reprendre les choses en main). Du coup, à cette AG, ce sont les ouvriers délégués par chacune des équipes qui mènent les débats. On y parle d’interpeller la direction sur la lenteur des négociations et de menacer d’organiser l’AG devant l’usine pour faire connaître le mouvement.
A l’AG commune suivante, il est discuté d’un communiqué-tract à distribuer autour de soi ainsi qu’à la manif du 13 juin, occasion pour essayer de rencontrer d’autres ouvriers. L’idée du tract est acceptée mais les syndicats, en fait, vont essayer de ne pas le porter à la connaissance des médias pour y substituer leur propre communiqué. C’est sous la pression des ouvriers qu’ils le feront.
Face à l’impasse des négociations qui perdure, la colère des ouvriers les pousse à des débrayages pendant lesquels ils vont distribuer leur tract aux automobilistes qui passent devant l’usine. Au cours de ces distributions, de nombreux ouvriers manifestent leur solidarité. Mais la conscience de la nécessité d’une recherche active de solidarité avec les autres ouvriers n’est encore qu’embryonnaire et les syndicats l’étoufferont rapidement. De fait, pour la manif du 13 juin, les syndicats avaient préparé leur coup, et il a marché. Ils distribuent des sifflets aux ouvriers lesquels, au lieu d’aller parler avec ceux de Molex par exemple, se défoulent avec leurs sifflets, toute discussion étant ainsi impossible. Les ouvriers n’ont pas réussi à dépasser ce barrage syndical.
Le 18 juin, la colère domine encore. Une grève éclate, elle durera 72 heures. Une fois terminée, les syndicats vont essayer de la faire redémarrer, alors qu’on est à la veille des vacances, dans le but évident d’épuiser les plus combatifs. Une minorité rappelle alors que la dernière AG avait dit que ce n’était plus, à la veille des vacances, le moment de lutter dans l’isolement total. Des syndicalistes les accusent alors d’être contre la lutte. L’un d’eux tentera même d’en découdre physiquement. Mais devant le vote de l’AG qui se prononce contre la grève maintenant, ce dernier se sentira obligé de s’excuser, ce qui sera l’occasion de faire une déclaration bien accueillie par l’AG sur le fait qu’entre ouvriers, on essaie de se convaincre, mais on n’en vient pas aux mains.
Quelle pourra être la suite à la rentrée ? CGT et CFDT ont repris les choses en main. Il n’y a pas encore une conscience suffisamment claire de ce que représentent les syndicats et du fait qu’ils sont des rouages de l’Etat au sein de la classe ouvrière. Mais une réflexion commence.
Pendant les 72 heures de grève un ancien ouvrier de cette usine est venu apporter sa solidarité et a raconté la grève de 1973 en disant notamment : “nous, on n’avait pas fait confiance aux syndicats et on s’était organisé entre nous” et cela a frappé les ouvriers.
Oui, il faut garder le contrôle des AG et réaliser que ce qui constitue une force : la solidarité ouvrière. La distribution du tract aux automobilistes et l’accueil chaleureux reçu montrent que cette solidarité existe potentiellement et qu’il nous faut la développer (1). Il ne s’agit plus alors de la lutte des Freescale, des Molex ou des Conti, mais d’une lutte de la classe ouvrière. Et cela seul fait peur aux entreprises et à l’Etat, et donc aux syndicats. Cela nous permet de renforcer la confiance en nous.
G (5 juillet)
1) Non comme le proposaient les syndicats en allant se montrer au Tour de France cycliste !