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"Un vent de panique provoque un lundi noir à la Bourse de Paris", "Tempête boursière", "Les digues cèdent sur la planète finance", "Nouveau krach d'un système détraqué", "Les Bourses européennes connaissent leur plus forte chute depuis le 11 septembre 2001" [1]... Ce début d'année 2008 commence en fanfare. Presque toutes les bourses du monde, de l'Europe à l'Asie, ont connu de violentes turbulences, perdant en l'espace d'une seule journée de 4 à 7% ; certaines ont même dû être fermées en cours de séance pour limiter les dégâts.
Pourquoi cette chute des bourses ?
Les unes après les autres, les banques publient des résultats jugés "médiocres" pour l'année 2007. Les pertes liées à la crise des subprimes n'en finissent pas de surprendre par leur ampleur. Les banques américaines sont évidemment très touchées : entre autres exemples, le bénéfice de la Bank of America a plongé de 29 % en 2007, celui de Wachovia a fondu de 98 % au quatrième trimestre ! Tous les continents sont touchés. Après les banques allemandes WestLB et Commerzbank, c'est aujourd'hui le tour de la deuxième banque chinoise, Bank of China, d'annoncer des pertes de plusieurs milliards de dollars. Le gouvernement britannique a dû intervenir directement pour sauver Northernrock de la faillite.
Jusqu'à présent, nous refaisant le coup du nuage de Tchernobyl, les autorités et les médias nous assuraient que les banques françaises avaient été plus responsables, qu'elles n'avaient pas trempé leurs mains dans la spéculation sauvage, etc. Et... patatras... voilà qu'AXA, BNP Paribas, Crédit Agricole, Richelieu Finance publient à leur tour des résultats en berne. Côté mensonge, la palme du ridicule et du grotesque revient sans nul doute à la Société Générale et à son patron Daniel Bouton. Pour justifier 7 milliards d'euros de perte, ce dernier, lors d'une conférence surréaliste, a expliqué sa déconfiture par "l'extraordinaire talent de dissimulation" de Jérôme Kerviel, un trader de 31 ans, soulignant "l'incroyable intelligence de cet opérateur de base" dont les "motivations sont totalement incompréhensibles". Connaissant les procédures de contrôle sur le bout des doigts, il aurait créé une "entreprise dissimulée à l'intérieur (des) salles de marché" de la SG, accusant 4,9 milliards d'euros de perte à lui tout seul contre "seulement" 2 milliards de dépréciations d'actifs liées à la profonde crise des subprimes ! Le mensonge est énorme et tous les spécialistes ont évidemment émis "des doutes" quant à la validité de cette thèse. Mais la direction de la banque, Sarkozy et le gouvernement ne lâchent pas leur scénario. Même le secrétaire général de l'OCDE, Angel Gurria, apporte sa petite participation au gros mensonge "Ce qui se passe à la Société Générale est différent et n'est pas symptomatique d'une crise systémique". Voilà le but de la manœuvre ! Nier la réalité de la crise, faire croire qu'il ne s'agit que d'un accident de parcours, d'une simple fraude.
Pourtant, cette crise est bien là. Elle n'a rien de virtuelle et ses conséquences commencent déjà à se faire ressentir pour la classe ouvrière. Les banques annoncent les unes après les autres des "restructurations nécessaires", autrement dit des vagues de licenciements : 4000 suppressions de postes aux Caisses d'Epargne, 2400 chez Indymac Bancorp (société de crédit américaine), 1000 chez Morgan Stanley (banque américaine) ; entre 17 000 et 24 000 chez Citygroup (1re banque mondiale) ; de 5 à 10 % des effectifs chez Merrill Lynch (banque d'investissement) et Moody's (agence de notation financière). Et il ne s'agit là que des premières annonces d'une vague de licenciements qui va toucher dans les mois à venir l'ensemble du secteur bancaire.
Derrière la crise financière, la crise de l'économie réelle
"Cette dérive boursière est [...] plutôt une bonne nouvelle pour certains. Cela permet d'assainir le marché."[2] Ce discours, les médias nous en rebattent les oreilles. Les convulsions boursières et les difficultés des banques auraient même un aspect moral : les spéculateurs ayant commis quelques excès seraient aujourd'hui punis par le marché et tout serait simplement en train de revenir à la normale. Mensonges ! Derrière la très médiatique crise financière actuelle, se cache, à peine voilée, une profonde crise de l'économie réelle.
La folle spéculation de ces dix dernières années prend racine dans les difficultés des entreprises à vendre leurs marchandises. Le capitalisme est rongé par une maladie mortelle et congénitale à laquelle il n'existe nul remède : la surproduction[3]. La seule solution du capitalisme est de créer artificiellement des débouchés par un recours massif à l'endettement et au crédit. Pour faire face à la crise asiatique en 1997, puis à la récession de 2001, la bourgeoisie a ouvert en grand les vannes du crédit. Jamais les taux n'ont été aussi bas, les banques ne vérifiant même plus la solvabilité des emprunteurs ! Cet été, le revenu des ménages pauvres américains était pour 80% lié au crédit, c'est à dire qu'ils achetaient leur télévision, leur nourriture, leurs vêtements... en s'endettant ! Les prêts à risques nommés subprimes en sont venus à représenter, en juillet 2007, 1500 milliards de dollars de dettes ! Une montagne... mais une montagne qui a commencé à s'éroder puis à craquer. Tous ces ménages endettés ont été incapables de rembourser leurs prêts arrivant à échéance. L'économie réelle, faite pour les ouvriers de vagues de licenciements, de hausse du chômage et de paupérisation, a rappelé l'économie virtuelle à la triste réalité. Effet domino, les banques ont accumulé les pertes qu'elles annoncent aujourd'hui... à coups de milliards de dollars. Mieux encore, profitant des taux d'emprunts extrêmement bas, les banques, les magnats de la finance et même les entreprises s'étaient mis à leur tour à s'endetter pour spéculer, se vendant et se revendant entre eux les subprimes contractés par les familles ouvrières. Autour des prêts à risques, ce ne sont donc pas 1500 milliards mais des dizaines de milliers de milliards de dollars qui ne seront finalement jamais remboursés[4] !
C'est donc bien la crise de l'économie réelle qui est la cause de la frénésie spéculative de ces dix dernières années comme des secousses financières actuelles. Mais aujourd'hui, comme un boomerang, les difficultés des banques vont rejaillir sur toute la vie économique : "Les historiens le savent bien : les crises bancaires sont les plus graves, en ce qu'elles affectent le centre névralgique des économies, en l'occurrence le financement de l'activité et des entreprises.»[5] Prises dans la tourmente, les banques ne vont plus pouvoir continuer de prendre le risque de prêter à tout va, sans être sûres de la solvabilité des emprunteurs. Les entreprises comme les ménages vont ainsi avoir plus de mal à s'endetter, ralentissant du même coup l'activité économique. Comme l'écrit La Tribune : "Dans la zone euro, où les PME dépendent à plus de 70 % des banques pour se financer, l'impact récessionniste est certain"[6]. C'est ce que les spécialistes appellent le "credit crunch". Cet impact sur l'économie réelle commence d'ailleurs déjà sérieusement à se faire ressentir. En particulier, lors du dernier trimestre 2007, l'économie mondiale a fortement ralenti, laissant entrevoir ce que nous réservent 2008 et 2009. Un journal comme Le Monde, pourtant habituellement "réservé", ne cache plus aujourd'hui la réalité de cette tendance récessionniste : "L'indice Baltic Dry Index (BDI), qui mesure le prix du transport maritime des matières premières, est un bon indicateur du niveau d'activité du commerce... et de l'économie mondiale. Il vient de battre quatre records de baisse en une journée [...] Si les prédictions de l'indice Baltic Dry sont avérées, le ralentissement mondial a déjà commencé et sera douloureux"[7]. Par le fret maritime naviguent toutes les marchandises du monde ; son ralentissement est donc en effet très significatif de la mauvaise santé actuelle de l'économie mondiale. Les premières victimes en seront évidemment les ouvriers. Ford, par exemple, annonce déjà, comme un signe avant-coureur, la suppression de 13 000 emplois (venant s'ajouter aux 44 000 déjà supprimés en 2006).
La bourgeoisie n'a aucune solution réelle à sa crise historique
Face à cette nouvelle crise, la bourgeoisie apporte encore et toujours sa sempiternelle et unique "solution" : encore plus de crédits, encore plus de dette. Le président américain, George Bush a ainsi annoncé un plan exceptionnel de 140 milliards de dollars et la FED (banque centrale américaine), une baisse de 75 points de ses taux directeurs. Toutes ces mesures ne pourront en rien enrayer l'accélération actuelle de la crise, tout juste la différer un peu.
En 1997, en injectant près de 120 milliards de dollars, la bourgeoisie était parvenue à circonscrire la crise en Asie. En 2001, l'éclatement de la bulle Internet avait été compensé par la création d'une nouvelle bulle, la bulle immobilière. Mais aujourd'hui, il ne s'agit pas d'une crise régionale située à la périphérie (la crise asiatique) ou d'un problème pouvant être limité à un secteur secondaire (la bulle Internet). C'est le cœur même du capitalisme qui est touché : l'Amérique, l'Europe, et les banques. La crise est donc bien plus grave, ses conséquences sur nos conditions de vie seront bien plus dramatiques.
Fort heureusement, nous disent tous les économistes à la solde de la classe dominante, l'Asie et ses taux de croissance fantastiques vont soutenir, malgré tout, la croissance mondiale... Mais là aussi, la réalité est tout autre. Certains experts commencent déjà, à contre cœur, à le reconnaître devant l'évidence des faits : "Mais il faut bien constater que la Thaïlande a annoncé hier un ralentissement de ses exportations en décembre, tout comme Singapour ou encore Taiwan. La Banque mondiale admet que des canaux de contagion de la crise aux pays émergents existent : l'exposition des banques aux subprimes, (...) et (...) l'impact sur l'économie d'une récession aux États-Unis."[8]. La Chine va particulièrement souffrir de la baisse de ses exportations de par la récession américaine. Bref, l'Asie, comme tous les continents, va être touchée par cette nouvelle accélération de la crise économique mondiale. Et là-bas, cela se traduira par une augmentation considérable de la pauvreté et de la famine.
Dans les mois et les années à venir, sur toute la planète, le prolétariat va être confronté à une dégradation considérable de ses conditions d'existence. La bourgeoisie n'aura de cesse d'attaquer et d'attaquer encore. Mais depuis plusieurs années maintenant, les prolétaires ont démontré leur capacité à développer leurs luttes. Face à cette nouvelle aggravation de la crise et à la dégradation de leurs conditions de vie, ils ne peuvent que continuer à amplifier leurs combats et forger leur solidarité de classe.
[1]) Respectivement la Tribune, le Figaro, les Echos, Libération, le Monde du 21 au 23 janvier.
[2]) La Tribune du 22 janvier.
[3]) Pour une explication plus détaillée de l'économie capitaliste, lire notre article "Qu'est-ce que la décadence ?" sur www.internationalism.org.
[4]) Ainsi, après les subprimes, d'autres types de crédit arrivent peu à peu à échéance et, là aussi, la douche risque d'être froide. Par exemple, pour les Credit Default Swap (CDS, sorte de crédit à mi-chemin entre le prêt classique et l'assurance), le "total des encours mondiaux en CDS s'est très rapidement développé à partir du début des années 2000 pour atteindre 45 000 milliards de dollars en 2007 (plus de 3 fois le PIB américain). Ces actifs sont considérés comme ayant de grandes ressemblances avec le marché des subprimes. Si les entreprises venaient à faire faillite, les même causes produiraient les même effets, sur une échelle beaucoup plus grande" (Commission pour la libération de la croissance française, dite Commission Attali).
[5]) La Tribune du 22 janvier.
[6]) Idem.
[7]) Le Monde du 21 janvier.
[8]) La Tribune du 22 janvier