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Il ne fait pas bon planter des tentes à Paris quand l'hiver arrive. Pourtant, le colonel Kadhafi, qui a installé la sienne pendant quelques jours au coeur de la capitale en décembre, n'a pas eu à goûter les rigueurs du froid ni de la répression. Bien au contraire, c'est dans les dorures de la République que le "Guide" de la Libye avec sa suite s'est vu dérouler le tapis rouge et qu'il a été pompeusement reçu par Sarkozy et sa troupe gouvernementale docile.
Docile, ou presque. Quelques voix se sont élevées pour s'offusquer d'un tel accueil pour celui qui, en 1983, a commandité un des plus meurtriers attentats perpétrés contre un avion français et qui tout récemment torturait encore les infirmières bulgares libérées par l'ex-première dame de France. A en faire toujours un peu trop, Sarkozy Ier irrite de façon croissante une partie de la classe dominante, jusque dans son propre clan. C'est la faussement candide Rama Yade qui a endossé ce rôle, au prix d'un sérieux remontage de bretelles par l'Élysée. Et bon nombre de députés de droite comme de gauche, se sont déclarés franchement scandalisés ou hostiles, mais pas un Bernard Kouchner toujours prêt à jouer les moralistes pleurnichards mais qui, dans son costume actuel de ministre des "affaires" étrangères, n'a pas voulu entraver la démarche intéressée de son Président.
Car, tout simplement, Kadhafi est venu "signer une dizaine de milliards de contrats" selon les propres mots de Sarkozy (Le Monde du 12 décembre). Et pas dans n'importe quoi : dans l'armement et le nucléaire. Un tel soutien dans ces secteurs, en faveur d'un chef d'État récemment encore mis au ban de la "communauté internationale" pour soutien au terrorisme, n'est pas anodin, même si la Libye tente de rentrer dans le rang. Cette cure de remise en forme est apportée par la France à l'armée libyenne alors que Kadhafi justifiait encore, à Lisbonne au début du mois, le recours au terrorisme pour un État faible. Ce qui ne laisse présager rien d'autre qu'un retour prochain de la Libye sur la scène de la provocation guerrière. Tout cela ne peut que contribuer à aggraver le chaos et les massacres, notamment sur le sol africain.
Mais le clou de cette visite parisienne, est resté la question des droits de l'Homme. Sarkozy jure la main sur le coeur qu'il en a parlé à Kadhafi. D'ailleurs, ne le reçoit-il pas pour l'encourager dans sa décision de se "normaliser" ? Kadhafi rétorque quant à lui qu'on ne lui en a pas parlé, et que d'ailleurs ce serait mal venu dans un pays où il n'est pas certain que les immigrés bénéficient de ces droits. A ce petit jeu de poker menteur, celui qui ment le moins est sans aucun doute Kadhafi. Il n'était vraiment pas nécessaire de parler des "droits de l'Homme" à Kadhafi pour lui vendre des armes. De quels droits de l'Homme peut-on bien parler quand on fourgue à un pays un arsenal militaire capable de mater et massacrer le moindre frisson de rébellion dans toute sa région, où il garde une influence considérable ? Sarkozy peut se targuer pourtant d'avoir "été le candidat des droits de l'Homme" (Libération du 12 décembre) et d'avoir respecté ses engagements en libérant les infirmières bulgares et obtenant "des preuves de vie d'Ingrid Betancourt" (Ibid.). Au sein de la bourgeoisie, libyenne, française ou de n'importe où, le sort des populations est lié à ses intérêts impérialistes et l'humanité n'a qu'un seul droit, celui de verser sa sueur et son sang.
Les gesticulations people de Sarkozy du haut de sa "jet set" ressemblent de plus en plus à un théâtre de grand' guignol pour amuser la galerie : un jour sous les flashes de sa poignée de mains amicale avec le pantin Chavez, un autre faisant frissonner les foules de journaleux et de politicards avec la marionnette de "l'affreux, sale et méchant" acteur Kadhafi en guest-star. Puis suivent les cadeaux de Noël-surprise du Président : s'afficher à Eurodisney avec sa nouvelle poupée Barbie, la chanteuse et ex-top model Carla Bruni et, pour couronner le tout, la gloire médiatico-rédemptrice d'une bénédiction papale juste à la veille de la messe de minuit. Alléluia ! De quoi émouvoir dans les chaumières garnies d'antennes paraboliques !
Décidément, en assurant en permanence un tel spectacle, Saint Nicolas, notre bon Papa Noël français, qui a transformé l'Élysée en magasin de farces et attrapes, mériterait bien un jour de recevoir de ses pairs de la bourgeoisie un prix Nobel s'il y en avait un réservé aux marchands de canon.
RI (19 décembre)