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Le CCI a tenu sa première réunion publique à Lima, au Pérou, pendant le mois d'octobre 2007. C'est un événement important puisqu'il a donné l'opportunité à des sympathisants du projet révolutionnaire de mieux comprendre les idées de la Gauche communiste et de prendre contact avec notre organisation. Dans ce pays, les militants sincères de la cause de la classe exploitée ont supporté pendant des dizaines d'années le poids terrible du stalinisme, du maoïsme (essentiellement à travers le "Sentier Lumineux"), du trotskisme, etc. Dans cette région du monde souffrant de la répression brutale de l'État capitaliste et de l'isolement par rapport au reste du prolétariat mondial, il était de la première importance, pour la classe ouvrière, qu'apparaisse une minorité de militants politiques cherchant à clarifier leurs idées sur la révolution mondiale et le communisme.
Le CCI a participé à ce débat public, animé par le souci d'ouvrir un espace de discussion fraternelle dont le but est la clarification et non le "recrutement" systématique et sans principes. Nous voulons remercier publiquement nos sympathisants de la région pour leur soutien logistique, sans lequel nous n'aurions que très difficilement pu réaliser cet objectif, entamer un débat de fond sur le monde actuel, sur ce que nous offre le capitalisme et les perspectives qui en découlent pour l'humanité. Onze personnes ont assisté à cette réunion, abordant des sujets cruciaux concernant la future révolution. Nous voulons ici exposer les leçons de cette réunion prometteuse pour tous les camarades intéressés dans le monde entier. Le sujet annoncé publiquement sur des affiches collées sur les murs de Lima était : "Qu'est-ce que le socialisme et comment lutter pour le réaliser ?", mais l'enthousiasme des participants et leurs questionnements sincères ont permis que la réunion aborde bien d'autres sujets.
Au cours des discussions, se sont exprimées des positions de camarades qui avaient noué des liens avec le GCI [1] ou qui partagent plus ou moins encore certaines positions de ce groupe ; d'autres se revendiquaient de l'anarchisme ; d'autres enfin étaient des sympathisants très proches de notre organisation. Le fait le plus significatif fut néanmoins l'ambiance sincère, fraternelle et ouverte du débat.
La lutte ouvrière : forme et contenu du terrain de classe
Dans la mesure où tous les participants ont manifesté un accord tacite sur la nécessité de la révolution et la perspective de détruire le capitalisme, la discussion s'est engagée rapidement sur des questions plus "concrètes". Une des premières questions abordées a concerné la notion de "décadence du capitalisme", dans la mesure où les participants, peu ou prou influencés par le GCI, ont une certaine vision "a-historique" du processus qui conduit à la transformation de la société, incluant même l'idée de l'existence d'un prolétariat avant l'arrivée des Espagnols aux Amériques (un des participants l'a exprimé quasi textuellement en ces termes : "il n'y avait rien de progressiste dans le fait de massacrer des prolétaires au cours de la conquête des Amériques"). Cette position exprime bien sûr les confusions typiques que sème à profusion le GCI. Plutôt que de tenter de comprendre les processus historiques, le GCI diffuse la "radicale" (et combien creuse) méthode dite de "la violence réactionnaire contre la violence des opprimés", sans prendre en compte le contexte historique dans lequel ils se développent. Cela rend, bien sûr, incompréhensibles les raisons pour lesquelles la révolution mondiale était impossible au 19e siècle, et aussi pourquoi les luttes prolétariennes et les organisations politiques de la classe ouvrière avaient, à l'époque, un contenu et des formes différentes (syndicats, partis de masse, programme minimum, etc.). D'autres participants à la réunion publique ont insisté pour développer l'explication de la décadence du capitalisme, et cette question a donc aussi été abordée.
Le débat a aussi porté sur ce qu'est le prolétariat, sur sa nature et sa façon de lutter. Des participants ont défendu que les événements d'Argentine en 2001 étaient provoqués par un mouvement authentiquement prolétarien et qu'il fallait "les soutenir et les imiter", de même que "les soviets en Irak" (sic !). Le CCI a pu présenter son analyse [2], en donnant des éléments de réflexion qui furent sérieusement discutés par les participants. Nous avons mis en avant trois axes de discussion :
- La nécessité de rejeter la "violence pour la violence". S'il est certain que la révolution qui détruira le capitalisme sera nécessairement violente, car il est évident que la minorité qui détient l'appareil d'État résistera jusqu'à son dernier souffle, cette violence de classe du prolétariat n'est pas l'essence même de sa révolution ; celle-ci se trouve essentiellement dans la capacité du prolétariat à développer sa lutte massive et consciente. Ce qui distingue la classe qui sera le sujet de la future révolution, ce n'est pas sa violence mais sa conscience[3].
- Les luttes ouvrières s'organisent à travers des organes engendrés au cours de la lutte elle-même, allant des assemblées générales, des délégations, des comités de lutte jusqu'à des formes plus avancées où ils s'amplifieront quand la situation historique fera surgir des Conseils Ouvriers. Nous n'en sommes encore qu'au tout début des ripostes ouvrières au niveau international depuis les gigantesques campagnes sur "la mort du communisme" et le recul que le prolétariat mondial a subi au niveau de sa conscience [4]. Rejeter les assemblées par lesquelles s'exprime l'effort du prolétariat pour prendre en mains ses luttes est une grave erreur, de même que privilégier les actions désespérées (incendies de voitures, blocage total de la production, affrontements stériles contre la police, etc.), au lieu de tirer les leçons, réfléchir et discuter collectivement de la question : comment et pourquoi la bourgeoisie et son État mystifient-elle la classe ouvrière et l'effort de clarification de ses minorités les plus conscientes ?
- Les luttes authentiquement "pures" du prolétariat n'existent pas, et le CCI ne s'attend nullement à l'apparition de luttes dégagées immédiatement de l'influence de l'idéologie bourgeoise ou de luttes dans lesquelles seront totalement absents les organes de l'appareil d'État (syndicats de tout poil, partis intégrés au système politique et parlementaire du Capital, de même que le bras armé "radical" de la bourgeoisie : le gauchisme, qu'il soit maoïste, trotskiste, ou anarchiste officiel, etc.). L'authenticité d'une lutte prolétarienne ne se mesure pas à la présence ou non d'éléments issus "sociologiquement" de telle ou telle catégorie de travailleurs manuels. Elle se vérifie par l'existence, dans les luttes prolétariennes, d'une dynamique où les participants se reconnaissent comme partie d'une classe, comme membres qui doivent entrer en lutte avec les autres et qui partagent des intérêts immédiats communs. Quand commence à surgir la conscience qu'il existe une identité prolétarienne, la lutte contre le Capital fait de grands pas en avant et il est de la première importance de généraliser ces leçons. Par contre, quand, au lendemain d'une lutte, il subsiste une ambiance de division, de sectarisme, de ségrégation, de corporatisme, etc., alors il faut réfléchir aux origines d'une telle ambiance sociale et au piège dans lequel on est tombé.
Il reste un long chemin de clarification à poursuivre pour comprendre toutes les questions liées à la lutte de classe du prolétariat.
La question syndicale
Cette question a été également présente dans une partie de la discussion. La vision classique qu'un syndicat peut être "récupérable" par la classe ouvrière ne s'est pas fait attendre (notamment à travers la vision anarchiste défendue par la CNT), et la question de la possibilité d'un "syndicalisme révolutionnaire" fut ouvertement posée. Tout les participants étaient d'accord pour affirmer que si la CNT a trahi pendant les événements d'Espagne 1936, il existait cependant au moins un groupe, "les Amis de Durruti" qui s'était opposé à la militarisation du travail" [5]. Un des participants a avancé cet argument classique du GCI : "le syndicat n'a jamais été et ne sera jamais révolutionnaire". Cette affirmation contient une part de vérité, dans le sens où les syndicats n'ont pas surgi, effectivement, en tant qu'organes de la lutte révolutionnaire du prolétariat, mais comme organes de sa lutte immédiate lui permettant d'obtenir des réformes durables au sein du capitalisme et une réelle amélioration de ses conditions de vie. Mais cet argument a aussi la faiblesse de manquer de méthode et de ne pas concevoir les syndicats comme produits historiques. Il ne permet pas de comprendre que leur apparition, qui a coûté tant de souffrances au prolétariat, était conditionnée par une période historique où la révolution prolétarienne mondiale n'était pas encore possible, objectivement et subjectivement. Cet argument va de pair avec cette vieille rengaine du GCI qui affirme que la 2e Internationale n'avait rien de prolétarien ! Rappelons rapidement que la 2e Internationale avait eu le mérite d'adopter le marxisme comme méthode scientifique (matérialiste, historique, dialectique) pour développer la théorie révolutionnaire du prolétariat. C'est cette méthode qui a permis de faire la distinction entre les organisations unitaires du prolétariat (les syndicats) et ses partis politiques. C'est cette méthode qui a permis de mener un combat de fond contre la vision du monde de la franc-maçonnerie. C'est encore cette méthode qui a permis de développer les discussions sur les origines du christianisme et a fourni une multitude d'articles fondamentaux. Le fait que les partis de la 2e Internationale aient trahi en votant les crédits de guerre pendant la Première Guerre mondiale n'empêche pas de reconnaître que la 2e Internationale a été, avant 1914, un maillon de plus dans la chaîne des efforts du prolétariat pour se doter d'un parti mondial.
Suite à la discussion sur cette question, un participant a alors défendu les positions du CCI sur la question syndicale en montrant comment les syndicats sont un moyen sophistiqué de contrôle étatique et comment Fujimori lui-même a développé, en accord avec l'opposition, une campagne de "destruction des syndicats" destinée à détourner la combativité ouvrière sur le terrain de la lutte pour créer de nouveaux syndicats (et non pas pour la clarification de la conscience permettant de se battre plus efficacement contre les attaques du Capital).
Les syndicats ont constitué une arme du prolétariat à une époque historique où le capitalisme était capable non seulement de lui accorder des réformes durables mais également où la révolution n'était pas encore à l'ordre du jour (c'est pour cela que le "programme minimum" était, à l'époque, une réalité pour laquelle la classe ouvrière devait lutter). Les événements de 1905 et surtout ceux de 1917 en Russie ont montré comment le prolétariat en lutte apporte une réponse aux questions d'organisation quand la révolution devient d'actualité, pendant la période de décadence du capitalisme ; la révolution ne s'est pas réalisée autour des syndicats mais autour des Conseils Ouvriers, "la forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat" (Lénine).
Depuis lors, le développement des luttes ouvrières a été constamment confronté à la nécessité de s'organiser en dehors et contre les syndicats. Nous savons qu'il n'est pas possible, pour le prolétariat, de créer des Conseils Ouvriers n'importe quand, que leur surgissement dépend des conditions de généralisation des luttes dans une situation prérévolutionnaire. Néanmoins, les luttes ouvrières ne peuvent attendre cette situation prérévolutionnaire pour s'auto-organiser. La question de la prise en mains et du contrôle, par la classe ouvrière elle-même, de son combat, à travers des Assemblées Générales massives lui permettant de prendre toutes les décisions (qui doivent être discutées collectivement et soumises au vote), se pose dès qu'éclate une grève dans une usine. La recherche de la solidarité avec les autres exploités est une question de vie ou de mort pour chaque grève (nous ne parlons pas des simulacres de solidarité orchestrés par les syndicats). Commencer à comprendre que l'isolement signe toujours l'arrêt de mort de toute grève est une leçon à approfondir parce qu'elle permet de préparer les luttes décisives contre le capitalisme. L'extension géographique, le plus rapidement possible, de toute grève est une nécessité vitale pour l'avenir de la lutte.
Lutter pour la culture du débat
Les participants ont fait preuve d'un état d'esprit véritablement prolétarien, c'est-à-dire d'une capacité d'ouverture aux arguments des autres et d'une volonté de mener une réflexion collective. Ces deux aspects mettent en évidence l'effort difficile mais enthousiasmant des minorités à la recherche d'une perspective de classe dans cette région du monde. Ce qui les unit, c'est leur compréhension de la catastrophe à laquelle nous conduit le capitalisme. Nous sommes conscients des divergences qui subsistent encore et continuerons à combattre les aberrations politiques du GCI. Mais cela ne nous empêche pas, loin de là, de saluer cet état d'esprit des participants et nous les encourageons à continuer de développer le débat politique avec un esprit d'ouverture et d'écoute attentive, à intégrer de nouveaux arguments pour que le débat contradictoire permette de passer de la confusion à la clarification.
Dans l'atmosphère sociale dominée par l'idéologie bourgeoise et le gauchisme, le "débat" est conçu comme un rapport de forces, une "lutte à mort", à l'issue de laquelle l'un des protagonistes doit nécessairement éliminer et détruire ses adversaires, dans une vision guerrière où une "fraction" écrase les autres. Ce sont les mœurs quotidiennes des différentes fractions du Capital : les individus (ou groupes d'individus) sont soumis à la loi capitaliste de la concurrence par laquelle l'autre est toujours un ennemi, une concurrence où celui qui s'afficherait comme le plus "fort", ou le plus "musclé", serait le "vainqueur" (la concurrence sur le marché du travail de plus en plus saturé trouvant son équivalent dans les sentiments de "jalousie" infantile, la concurrence scolaire, intellectuelle, politique, etc.). Pour le marxisme, le débat et la confrontation fraternelle des idées et des arguments (qui font évoluer ces idées et permettent de dépasser les préjugés dus à la division de la société en classes) est le seul moyen de surmonter les entraves au développement de la conscience. Pour mener un débat véritablement prolétarien, les minorités les plus conscientes de la classe ouvrière doivent exclure l'humiliation et les insultes (même si la confrontation politique peut prendre dans certaines circonstances une forme polémique et passionnée, comme on le voit par exemple dans les débats parfois un peu "houleux" des Assemblées Générales massives de la classe ouvrière). Notre conception de la culture du débat suppose la volonté de convaincre et non d'imposer ses idées à n'importe quel prix et avec n'importe quels moyens. La culture du débat suppose aussi la capacité à écouter attentivement les arguments et à se laisser convaincre (être convaincu par les arguments des autres n'est pas une "capitulation" ou une "défaite", puisque dans le débat prolétarien il n'y a pas d'adversaire à abattre). La façon dont s'est tenue cette première réunion publique du CCI, nous permet d'affirmer qu'il est nécessaire d'ouvrir un espace de discussion dans cette partie du monde, un espace dans lequel les éléments de la classe ouvrière qui veulent débattre, se clarifier ou exposer leurs convictions pourront rencontrer un milieu politique qui permette l'élaboration collective des idées. Construire ce milieu politique vivant où le débat prolétarien sera au centre de la vie politique est une perspective qui, au Pérou, comme ailleurs dans le monde, constitue un préparatif indispensable à la future révolution mondiale.
Courant Communiste International
[1] "Groupe Communiste International" : il s'agit d'un groupe à la phraséologie "radicale" mais dont la pratique se rapproche de celle des groupes d'extrême-gauche du capital. Voir notre dénonciation de ce groupe dans la Revue Internationale no 124 : A quoi sert le Groupe Communiste Internationaliste ?
2 Sur les prétendus "soviets" en Irak et sur les événements en Argentine, voir notre article Révoltes populaires en Argentine : seule l'affirmation du prolétariat sur son terrain peut faire reculer la bourgeoisie dans la Revue Internationale no 109.
[3] Classe la plus "aliénée" de la société (du fait que, dans l'économie capitaliste, les prolétaires sont totalement dépossédés et séparés des moyens matériels de production), la classe ouvrière détient aussi en son sein la force lui permettant de dépasser cette aliénation économique : sa conscience du futur. La bourgeoisie est, de par sa position de classe exploiteuse, elle aussi une classe aliénée. Mais elle est incapable de dépasser cette aliénation car cela supposerait qu'elle renonce à être la bourgeoisie.
4 Voir notre article "Effondrement du bloc de l'Est : des difficultés accrues pour le prolétariat", dans la Revue Internationale no 60, et "Un tournant dans la lutte de classe - Résolution sur l'évolution de la lutte de classe", Revue internationale no 119.
[5] Voir notre série sur l'histoire de la CNT dans la Revue Internationale no 128 à 131. Voir aussi, en espagnol, notre livre Franco et la République massacrent les travailleurs. Au sujet des Amis de Durruti, lire dans la Revue Internationale no 102, "Les Amis de Durruti : leçons d'une rupture incomplète avec l'anarchisme"