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A la mi-septembre, le clan Sarkozy a une fois de plus fait la Une de tous les journaux pour des déclarations jugées provocatrices et scandaleuses par l’ensemble de la classe politique. François Fillon a en effet "lâché" son intention de réformer "les régimes spéciaux" des retraites "dès le début de la prochaine législature", propos immédiatement soutenus par Nicolas Sarkozy lui-même : "Nous ferons la réforme parce que la réforme doit être faite".
A droite comme à gauche, de hauts cris de protestations ont immédiatement fusé. Jean-Louis Debré a jugé ces déclarations "inutiles, inopportunes et maladroites" et Jacques Chirac a assuré n’avoir "aucune intention de modifier" ces régimes. Evidemment, le Parti Socialiste et le Parti Communiste se sont empressés d’enfiler leur costume de défenseurs émérites des travailleurs. Jack Lang est "tombé des nues" et s’est demandé si François Fillon "avait perdu la tête ?". La secrétaire nationale du PCF, Marie-George Buffet s’est dite "choquée" et son député Alain Bocquet a dénoncé fermement "la logique pure et dure du libéralisme gouvernemental".
Toutes ces gesticulations ne doivent tromper personne. Depuis plus de 15 ans, droite et gauche se donnent la main pour attaquer sans relâche les retraites. Depuis plus de 15 ans, les gouvernements se succèdent et la politique anti-ouvrière demeure. Il n’y a aucune illusion à avoir. Sarkozy vient d’annoncer aujourd’hui ce que Royal ou un autre fera dès demain, quel que soit le président élu en mai 2007.
Droite et gauche attaquent sans relâche les retraites depuis quinze ans
La dégradation continuelle des conditions de vie des prolétaires s’inscrit dans la logique même du capitalisme. Face à une crise économique insurmontable, la bourgeoisie démantèle peu à peu toutes les structures de l’Etat providence et en particulier l’un de ses piliers, le régime des retraites.
En 1991, le premier ministre socialiste Michel Rocard publiait ce qui est considéré par les spécialistes comme "l’acte fondateur de la réforme du régime des retraites" : son fameux "livre blanc". Au nom de la lutte contre les déficits, une très large propagande fut lancée à l’époque sur la nécessité impérieuse pour la société de faire passer à 42 ans la durée de cotisation pour tous. En réalité, le but n’était pas alors d’attaquer frontalement et immédiatement l’ensemble de la classe ouvrière mais de préparer les esprits aux sacrifices à venir. Depuis lors, les gouvernements qui se succèdent, quelle que soit leur couleur, appliquent progressivement l’ensemble des mesures de ce plan Rocard en usant toujours de la même ficelle : cibler un secteur particulier de la classe ouvrière et justifier la réforme au nom de l’équité, de la solidarité et de la sauvegarde du système paritaire. Au bout du compte, année après année, paquets par paquets, ce sont tous les prolétaires qui subissent les attaques sur les pensions de retraite.
Ainsi, en 1993, Balladur s’est concentré sur le secteur privé pour imposer un allongement des cotisations de 37,5 ans à 40 ans et une base de calcul des pensions sur les 25 meilleures années (au lieu des 10 meilleures). Cette mesure a impliqué une chute brutale du niveau de vie avec des pensions amputées jusqu’à 40%.
En 1995, le célèbre Plan Juppé (celui qui avait engendré les mouvements sociaux de décembre de la même année) mettait déjà en avant la réforme des régimes spéciaux. Il s’agissait alors d’une véritable provocation. La bourgeoisie savait très bien qu’il était inacceptable pour le prolétariat de tolérer une attaque aussi brutale remettant si profondément en cause les conditions de travail et de vie de centaines de milliers d’ouvriers. Après le retrait de cette "mesure phare", les syndicats avaient pu crier victoire et redorer un blason bien terni après des années de sabotage des luttes. Mais ce recul gouvernemental avait en réalité permis à Juppé puis à Jospin de faire passer en coulisse l’ensemble des autres mesures du Plan, à savoir la réforme du financement de la sécurité sociale et l’institution d’un nouvel impôt appliqué à tous les revenus.
A partir de 1997, le gouvernement Jospin n’avait donc aucune raison de revenir, même partiellement, sur des mesures que son parti avait très largement contribué à instaurer. Au contraire ! Au pouvoir, les socialistes ont poursuivi le sale boulot en préparant le terrain à des nouvelles mesures anti-ouvrières. Ainsi, Jospin avait envisagé et élaboré pour l’après-2002 un ensemble de "réformes progressives" visant tout le secteur public et destinées à allonger jusqu’à 42,5 ans la durée nécessaire de cotisation ! Mais Chirac étant sorti vainqueur des urnes, c’est à la droite qu’est revenue la responsabilité de mener ce nouveau train d’attaques.
Ainsi, en 2003, l’équipe Raffarin, avec Fillon en figure de proue, s’attela à faire trinquer à leur tour les ouvriers du public. Toujours au nom de l’égalité et de la justice sociale. Toujours en divisant et en dressant les ouvriers les uns contres les autres. A ce stade, les fonctionnaires furent désignés une fois encore comme des privilégiés refusant de faire les mêmes "efforts" que les autres. Finalement, le nouveau gouvernement de droite ne fit ici qu’appliquer les mesures préparées quelques mois auparavant par les socialistes. D’ailleurs, dans le cadre confidentiel de l’université d’été du Medef, Jean-Pierre Raffarin a rendu fort justement un bel hommage au gouvernement socialiste de Lionel Jospin : "Sans le travail préparatoire qu’il avait engagé, je n’aurais pas pu faire la réforme des retraites." 1
Aujourd’hui, c’est au tour des ouvriers d’EDF, de GDF, de la SNCF ou de la RATP d’être dans le collimateur. Mais ce qui était une mesure provocatrice en 1995 est aujourd’hui appliquée progressivement et inexorablement. Le régime spécial dont bénéficiaient les postiers a été totalement démantelé dès 2003 par la loi Fillon. En août 2004, le parlement a voté une loi remettant déjà partiellement en cause le régime spécial des agents d'EDF et GDF. Depuis, le régime spécial des chambres de commerce a été aboli comme celui de La Poste et la réforme de celui de la RATP est quasiment bouclée. Quant à celui de la Banque de France, il est déjà tout prêt sur le bureau de Thierry Breton. Et une chose est certaine, tous les partis bourgeois vont continuer à se donner la main pour mener la poursuite de ces attaques. S’il revient au pouvoir, le PS fera comme il a toujours fait : il enrobera ces mesures d’une phraséologie doucereuse pour mieux poignarder dans le dos la classe ouvrière. Il suffit de lire les déclarations. Pour Ségolène Royal, "il y a un chantier d’harmonisation à conduire dans le système de réforme des retraites". Pour Lionel Jospin, "Il faudra prendre ce problème" par le biais du "dialogue". Dans la bouche de Laurent Fabius, "Il faut rouvrir le dossier des régimes spéciaux". Et pour François Hollande, "Bien sûr qu’il faudra réformer ces régimes" mais "ça se fera dans le cadre concerté". Bref, le PS tapera autant sur la classe ouvrière que l’UMP mais en lui faisant croire que c’est pour son bien et avec son accord !
Dans le capitalisme, l’avenir est à la paupérisation de toute la classe ouvrière
Après les régimes spéciaux, il est prévu de faire passer la durée de cotisation à 41 annuités en 2012 pour tous, puis 42 en 2016, 43 en 2020... Les objectifs du "Livre Blanc" de Rocard seront alors atteints et largement dépassés. En planifiant ces attaques, l’Etat avoue d’ailleurs qu’il ne croit pas lui-même à tous ses mensonges sur les perspectives de croissance économique car en réalité ce rythme d'attaques planifiées par les lois de 2003 seront forcément revues à la hausse, compte tenu de l'aggravation catastrophique de la crise et du niveau de l'endettement de l'Etat.
Ici, une absurdité manifeste saute aux yeux. Pourquoi repousser toujours plus loin l’âge de la retraite alors qu’il n’y a déjà pas assez de boulot pour tout le monde ? Pourquoi augmenter les trimestres de cotisation quand les boîtes licencient à tour de bras les plus de cinquante ans ? C’est tout simplement que le principal but visé n’est pas de faire trimer jusqu’à 65 ans (ou plus) les ouvriers usés. Non, c’est en réalité de diminuer les pensions.
Les premiers régimes de retraites sont nés au 19e siècle dans les mines, les chemins de fer puis pour les électriciens ou les gaziers. Il s’agissait à l’époque pour la bourgeoisie d’attirer vers ces secteurs de pointe une main d’œuvre qualifiée et de l’encourager à ne pas aller voir ailleurs. Bien plus tard, après la Seconde Guerre mondiale, le régime des retraites fut généralisé à l’ensemble de la classe ouvrière pour inciter les ouvriers à retrousser leurs manches pour la reconstruction de l’économie nationale. La classe dominante avait en effet besoin d’ouvriers au maximum productifs et donc en bon état physique.
Aujourd’hui, compte tenu de la profondeur de sa crise économique, le capitalisme n’a même plus les moyens de cette politique, il n’a que faire de la santé de sa main d’œuvre. C’est pourquoi la retraite, dans tous les pays et sous tous les gouvernements, est peu à peu repoussée à des âges canoniques et donne lieu à des pensions de plus en plus maigres. Tant pis si ces ouvriers sexagénaires ne peuvent plus assumer leur tâche. Et surtout, tant pis s’ils sont malades et épuisés, ou plutôt, tant mieux. Car c’est bien là le calcul de la classe dominante : que les ouvriers qui n’ont pas été licenciés en cours de route soient contraints à laisser tomber leur emploi, résignés et au bout du rouleau, sans avoir obtenu leur nombre de trimestres. Qu’ils crèvent à la tâche ou qu’ils partent avec leur pension de misère !
Aujourd’hui déjà, plus d’un million de retraités vivent avec moins de 600 euros par mois. Et cette situation de misère ne va cesser de croître au fur et à mesure que toutes ces réformes vont s’appliquer aux nouveaux retraités.
La seule réponse est la lutte ! En refusant d’être attaquée paquets par paquets, la classe ouvrière doit répondre par une mobilisation la plus unie et solidaire possible.
Pawel (25 septembre)
1 Marianne n°491 du 16 septembre 2006.