Courrier de lecteur : le mouvement contre le CPE n'était pas un feu de paille

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Nous publions ci-dessous, suivi de notre réponse, un extrait d’un courrier de lecteur qui exprime certains désaccords avec notre analyse du mouvement des étudiants contre le CPE.

 

"Tant que les secteurs centraux de la classe ouvrière ne bougeront pas massivement leur cul en tant que tels, dans les assemblées, dans des meetings, des manifs de rue, sur des mots d’ordre unitaires, politiques donc et internationalistes, il n’y aura de perspective pour personne, pour aucune partie du prolétariat ou assimilée, aussi bien jeune que vieille, et encore moins de la part et pour celles qui sont à la périphérie, c’est-à-dire soit en partie noyées, influencées dans et par la petite bourgeoisie dans les lycées et les universités, soit en partie gangrenées et influencées par les éléments du lumpen prolétariat dans les cités (…) ‘la jeunesse scolarisée et cultivée’, qui à mon sens, a été très bien et très intelligemment encadrée par les syndicats, s’est montrée combative et solidaire, mais aussi plutôt massivement légaliste et démocratique dans ses actes et ses propos (…) ‘cette jeunesse exemplaire’ a été opposée à la ‘jeunesse violente et inculte’ qui a manifesté il y a peu - et manifestera encore – sa révolte, son manque de foi dans le passé, le présent et l’avenir, en brûlant des écoles, des gymnases, des entrepôts, des entreprises (…). Ces deux ‘mobilisations’ étant à mes yeux :

  • symptomatiques, annonciatrices de grands mouvements ;
  • anti-capitalistes, ouvrières par certains côtés, mais fortement limitées, chacune à leur manière, et ceci tant que le gros des rangs ouvriers ne se bougera pas, ne montrera pas sa force, ne tracera pas une autre voie… quelque part en Europe… Mais je peux me tromper et donc… je reste ouvert pour me laisser détromper."

 


Notre réponse

Bien que ce lecteur affirme à la fin de sa lettre que le mouvement des étudiants contre le CPE était anti-capitaliste et de nature ouvrière, il tend néanmoins à en minimiser l’importance du point de vue de la contribution remarquable qu’il a apportée à la dynamique de la lutte de classe.

La différence entre le mouvement contre le CPE et les émeutes des banlieues

Notre lecteur affirme à juste raison que la lutte des étudiants et lycéens contre le CPE, tout comme les émeutes des jeunes des banlieues en novembre dernier, étaient "symptomatiques, annonciatrices de grands mouvements". Elles sont avant tout symptomatiques de l’absence de perspective que porte en lui le capitalisme. Elles sont le produit de l’impasse historique d’un système qui n’a aucun avenir à offrir aux enfants de la classe ouvrière. En ce sens, ces "deux mobilisations" étaient tout à fait légitimes. Néanmoins, leur nature de classe ne peut se comprendre à partir d’une démarche sociologique consistant à opposer la jeunesse "scolarisée et cultivée" et la "jeunesse inculte et violente". Le problème ne se situe pas sur le plan du niveau "culturel" des nouvelles générations mais sur le plan des méthodes que ces "deux mobilisations" ont employé pour manifester leur colère contre le "no future" que leur impose le capitalisme. Ainsi, les méthodes utilisées par les jeunes des cités ouvrières consistant à incendier les voitures de leurs voisins, les écoles, les gymnases des quartiers populaires sont une illustration du désespoir dans lequel ils sont plongés, un désespoir qui sape toute prise de conscience d’appartenir à la même classe que ceux qui ont été les principales victimes de leur violence aveugle. Ces émeutes ne pouvaient déboucher sur aucun mouvement de solidarité de la part de la classe ouvrière. Ces explosions de colère n’ont pas été en mesure de créer des lieux de discussion et de réflexion ouverts à toute la classe ouvrière. Au contraire, les méthodes désespérées des jeunes émeutiers ont créé un sentiment de peur et de repli sur soi de la part de la grande majorité des travailleurs. Même si de nombreux ouvriers pouvaient "comprendre" la colère de ces jeunes exclus, à aucun moment, ils ne se sont reconnus dans de telles méthodes parce qu’elles n’appartiennent pas à la lutte de classe. Et c’est bien parce que le mouvement de la jeunesse scolarisée contre le CPE s’est approprié les véritables méthodes de lutte de la classe ouvrière (notamment les assemblées générales et les manifestations de rue) qu’il a pu bénéficier de la sympathie et de la solidarité active d’un nombre croissant de prolétaires. C’est justement parce que le mouvement contre le CPE était basé non pas sur la destruction des quartiers ouvriers mais sur la solidarité entre les générations, entre tous les secteurs de la classe ouvrière contre les attaques de la bourgeoisie qu’il a pu constituer une force sociale capable de faire reculer le gouvernement. En ce sens, si Monsieur Sarkozy a pu affirmer : "je fais une différence entre les étudiants et les émeutiers car ce sont des voyous", ce n’est nullement parce qu’il serait plus sensible au niveau "culturel" de la jeunesse scolarisée (contre laquelle il n’a pas hésité à envoyer ses flics !). C’est uniquement parce qu’il redoutait que les méthodes de lutte utilisées par les étudiants et lycéens ne fassent tache d’huile et ne débouchent sur un gigantesque mouvement de solidarité incontrôlable de toute la classe ouvrière.

 

Les doutes sur le mouvement des étudiants contre le CPE

En mettant sur le même plan la révolte des jeunes émeutiers et la mobilisation des étudiants et lycéens, notre lecteur tend à sous-estimer la profondeur du mouvement de la jeunesse scolarisée contre le CPE. Son courrier avance plusieurs arguments :

  • cette jeunesse scolarisée a été "très bien et très intelligemment encadrée par les syndicats" ;
  • elle s’est montrée "massivement légaliste et démocratique".
  • elle a été en partie noyée et influencée "dans et par la petite bourgeoisie dans les lycées et les universités".

 

Ces critiques aux limites et faiblesses du mouvement sont pour le moins exagérées et peu conformes à la réalité. Ce que nous avons pu constater, c’est d’abord que les syndicats ont été surpris et débordés par la situation. Ainsi, dès le 7 mars, ce sont les étudiants qui prennent la tête des cortèges dans les manifestations et obligent les syndicats à se mettre à la queue du mouvement. C’est pour cela que les grandes centrales syndicales ont développé toutes sortes de manœuvres pour empêcher les travailleurs de se mobiliser massivement en solidarité avec les étudiants. Ce qu’on a vu également, ce sont des délégations massives d’étudiants qui, face aux tergiversations des syndicats, sont allées elles-mêmes étendre la lutte dans les gares, les bureaux de postes, les entreprises. Et si la bourgeoisie a fini par reculer ce n’est certainement pas grâce aux syndicats (même si ces derniers ont été obligés de radicaliser leurs discours et ont tenté de récupérer le mouvement). C’est justement parce que les syndicats risquaient de perdre le contrôle de la situation, notamment dans les entreprises du secteur privé, que le gouvernement est allé à leur rescousse en retirant le CPE le plus rapidement possible après la grande manifestation du 4 avril.

Ce que révèlent les critiques de notre lecteur aux limites du mouvement, c’est une vision "puriste" de la lutte de classe. Le combat de la classe ouvrière contre la bourgeoisie est un rapport de force permanent. C’est un combat qui se mène sur le long terme contre les institutions de l’Etat démocratique, contre les illusions qui pèsent sur l’ensemble de la classe ouvrière. Parce que les idées dominantes sont celles de la classe dominante, le prolétariat devra, jusqu’à la révolution, mener le combat contre l’idéologie démocratique sous toutes ses formes ("légalistes", réformistes, électoralistes, syndicalistes). Si la classe ouvrière n’a pas encore été capable de renverser le capitalisme, c’est à cause de toutes ses illusions qui pèsent encore sur sa conscience. Et ce n’est qu’à travers la multiplication de ses expériences, dans la lutte elle-même, que la classe ouvrière peut forger ses propres armes en se heurtant à celles de la bourgeoisie (notamment à travers la confrontation répétée aux pièges et aux manoeuvres de sabotage des syndicats). C’est dans et par la lutte que le prolétariat dans son ensemble pourra progressivement prendre confiance en lui-même et briser tout le carcan idéologique qui entrave le développement de ses combats.

On ne peut donc reprocher à la jeunesse scolarisée d’avoir été "massivement légaliste et démocratique". Ce qu’a montré cette première expérience menée par cette nouvelle génération de la classe ouvrière, c’est surtout le rejet massif des lois scélérates de la bourgeoisie telle que la loi sur "l’égalité des chances". Il est évident que ce mouvement a eu ses propres limites et ne pouvait déboucher immédiatement sur l’ouverture d’une période révolutionnaire. Mais il a eu le mérite de dévoiler ouvertement à l’ensemble de la classe ouvrière le vrai visage de l’Etat démocratique avec ses flics armés jusqu’aux dents et ses médias aux ordres. En ce sens, on peut affirmer sans hésitation que le mouvement des étudiants et lycéens a constitué un jalon dans la prise de conscience du prolétariat sur la barbarie de la démocratie capitaliste.

Le scepticisme de notre lecteur s’exprime également à travers l’argument suivant lequel les lycéens et étudiants sont noyés et influencés par la petite bourgeoisie. La première chose que nous devons affirmer, c’est que, avec l’aggravation considérable de la crise économique, il est de plus en plus évident que la perspective du chômage est la principale préoccupation de la jeunesse scolarisée (ce qui n’était pas le cas dans les décennies précédentes où de nombreux étudiants avaient encore l’ illusion de pouvoir trouver un emploi durable à la fin de leurs études). Le mouvement contre le CPE a montré que malgré l’ "influence" de l’idéologie de la petite-bourgeoisie (surtout dans les universités), il a été capable de se situer d’emblée sur un terrain de classe, contre une attaque économique. Ainsi, les étudiants ont montré leur capacité à mettre de côté leurs revendications spécifiques (telle la réforme LMD) au profit de revendications unificatrices dans lesquelles toute la classe ouvrière pouvait se reconnaître. Par ailleurs, on a pu voir dans les manifestations une multitude de banderoles affichant le slogan : " Etudiants, lycéens, chômeurs, travailleurs, précaires, TOUS UNIS contre le CPE !". Et c’est justement ce qui fait la différence entre le mouvement d’aujourd’hui et les mouvements précédents de la jeunesse estudiantine (tel celui contre la loi Devaquet en 1986) marqués par des revendications interclassistes. L’approfondissement de la crise du capitalisme a balayé les illusions sur l’ ""avenir radieux" que nous promettait le capitalisme après l’effondrement des régimes staliniens. C’est pour cela que la grande majorité des étudiants et lycéens, en tant que travailleurs précaires et futurs chômeurs, sont aujourd’hui capables de se reconnaître comme partie intégrante de la classe ouvrière.

 

Une nouvelle perspective pour la lutte de classe

 

En ne voyant que les faiblesses et limites du mouvement, notre lecteur élude la question : pourquoi la bourgeoisie a-t-elle été obligée de reculer ? Il finit par affirmer que ce mouvement contre le CPE ne pouvait pas montrer une perspective puisque les secteurs centraux de la classe ouvrière n’ont pas bougé "massivement leur cul en tant que tels, dans des assemblées, dans des meetings, des manifs de rue…".

Pour notre lecteur, il n’y a aura pas de perspective "tant que le gros des rangs ouvriers ne se bougera pas, ne montrera pas sa force, ne tracera pas une autre voie… quelque part en Europe."

S’il est vrai que lors du mouvement contre le CPE, on n’a pas vu les travailleurs se mobiliser massivement dans les entreprises (du fait du black-out des médias et des manœuvres de sabotage des syndicats), il faut néanmoins reconnaître que de plus en plus de travailleurs se sont "bougé le cul" dans les manifs. C’est justement parce qu’un nombre croissant de travailleurs sont descendus dans la rue en solidarité avec les étudiants que le gouvernement a été obligé de retirer le CPE.

Mais la question la plus fondamentale est celle de la perspective historique qui ne peut se comprendre qu’en examinant la dynamique de la lutte de classe à l’échelle internationale. C’est dans le cadre de la reprise générale des combats de classe (notamment depuis les luttes du printemps 2003) que s’inscrit le mouvement des jeunes générations contre le CPE. Face à l’aggravation du chômage et des licenciements, cette dynamique internationale a été marquée par une tendance croissante vers la recherche de la solidarité entre les différents secteurs de la classe ouvrière et entre les générations. C’est bien ce qu’on a vu dans toutes les luttes qui se sont développées dans les principaux pays industrialisés : à Daimler-Chrysler en Allemagne, à l’aéroport d’Heathrow à Londres, dans les transports de New York, à l’usine Seat de Barcelone, etc. Bien plus que les émeutes des banlieues, tous ces mouvements de la classe ouvrière internationale étaient annonciateurs de grands mouvements tels que celui des étudiants en France qui a constitué une référence pour l’ensemble du prolétariat dans tous les pays. Ainsi, quelques semaines après la fin du mouvement contre le CPE, c’est un des "secteurs centraux" de la classe ouvrière en Europe, celui de la métallurgie en Espagne, qui se mobilisait en reprenant le flambeau de la lutte des étudiants en France. A Vigo, des milliers d’ouvriers sont descendus manifester dans la rue et sont allés chercher la solidarité de toute la classe ouvrière. Ils sont sortis de l’usine pour organiser des assemblées massives dans la rue en invitant toute la population à y participer (voir Internationalisme n° 326). Et c’est justement parce que la bourgeoisie sait pertinemment que la classe ouvrière mondiale est en train de tracer "une autre voie … quelque part en Europe" (suivant les termes de notre lecteur) qu’elle a fait le black-out total sur la grève des ouvriers métallurgistes de Vigo tout comme elle avait fait le black-out sur les assemblées générales massives des étudiants en France.

La grève des travailleurs de Vigo, leur volonté d’entraîner dans la lutte les autres secteurs de la classe ouvrière à travers la tenue d’assemblées générales ouvertes à tous, est une nouvelle confirmation de la dynamique de la lutte de classe depuis trois ans.

La dynamique de la solidarité au sein de la classe ouvrière a donc ouvert une nouvelle perspective à l’échelle internationale (y compris dans les pays périphériques tels que les Emirats arabes où les ouvriers de l’aéroport de Dubaï se sont mis en grève fin mai en solidarité avec les travailleurs immigrés victimes de la répression de leur mouvement de révolte contre la misère et l’exploitation féroce qu’ils subissent).

Il est vrai que l’ouverture de cette nouvelle perspective n’est pas encore visible pour toute la société en bonne partie du fait du black-out de la bourgeoisie sur les luttes les plus significatives. Et c’est précisément pour cela que le rôle des organisations révolutionnaires consiste aujourd’hui à combattre plus que jamais les mensonges, les falsifications et le silence des médias bourgeois sur la réalité des luttes ouvrières. C’est ce que le CCI, pour sa part, s’est efforcé de faire dans sa presse en rétablissant la vérité sur le mouvement des étudiants en France.

 

Sofiane

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