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Pendant des semaines, chaque jour a apporté son lot de révélations nouvelles sur l'affaire Clearstream. Cette hyper-médiatisation outrancière a permis à la classe dominante de masquer que ce nouveau scandale se situait dans la continuité d'une véritable crise politique au sein de la bourgeoisie ouvertement révélée par la lutte contre le CPE. Car l'affaire a éclaté au grand jour dans un contexte bien précis : juste après le recul du gouvernement sur le CPE. En ce sens, si la bourgeoisie a polarisé l'attention sur ce feuilleton, c'est que cela lui a permis de déployer un rideau de fumée pour brouiller les consciences, pour empêcher les prolétaires de tirer les leçons de leur lutte contre le CPE.
Cela démontre une fois de plus quelle est la réelle nature de la "solidarité" de la bourgeoisie. Celle-ci n'a pas cessé de mettre en avant la "solidarité gouvernementale" pendant la lutte anti-CPE. En effet, toute la bourgeoisie, syndicats compris, s'est retrouvée bel et bien unie pour faire face à la classe ouvrière, mais dès que le mouvement est retombé, elle a pu donner libre cours aux règlements de comptes entre ses fractions concurrentes.
La bourgeoisie est une classe de truands et de "ripoux"
Il n'y a rien pour nous surprendre dans l'épisode Clearstream. Cette affaire, comme les autres scandales qui l'ont précédée, est avant tout un révélateur des mœurs de gangsters, des pratiques mafieuses et "barbouzardes" de toute la classe bourgeoise, et d'abord de sa classe politique. Ce n'est nullement un phénomène nouveau : les scandales n'ont cessé d'éclabousser les principaux partis bourgeois en France au cours de ces dernières décennies, à gauche comme à droite. Les hauts cris effarés des partis de gauche ne peuvent faire oublier leurs propres turpitudes. L'affaire Urba mouillait naguère aussi bien le PC que le PS, le scandale du sang contaminé a été couvert pendant des années par les ministres du PS, certains notables sociaux-démocrates sont allés jusqu'à puiser dans la caisse de cotisations des étudiants (la MNEF) ou des retraites de la fonction publique (le CREF). Tous ont trempé dans les financements occultes. Tous les scandales sont le produit de "fuites" plus ou moins savamment orchestrées par un clan contre un autre. Et ce phénomène n'est pas spécifique à la France : la corruption généralisée au sein de l'Etat italien dans les années 1980 avait conduit la classe politique à mener l'opération "mani pulite" (mains propres). Mais cette vaste opération publicitaire "d'assainissement" n'a été que de la poudre aux yeux et une couverture pour poursuivre les mêmes trafics et les mêmes magouilles : elle a permis par exemple l'institutionnalisation du système Berlusconi, mêlant ouvertement ses intérêts privés aux intérêts de l'Etat. Aux Etats-Unis, des scandales financiers à répétition n'ont pas empêché la continuité des liens bien connus des hommes politiques et des dirigeants syndicaux avec la mafia, ni les liens de Bush avec les lobbies.
D'ailleurs, on sait que le point de départ de l'affaire Clearstream est l'enquête sur les pots-de-vin ayant servi de moyen de pression pour permettre la vente des frégates françaises à Taiwan, malgré l'opposition de la Chine. La "banque des banques" Clearstream et une de ses concurrentes, Eurostream représentent à elles seules 40% des transactions financières mondiales alors qu'elles permettent essentiellement de blanchir anonymement l'argent sale et notamment les trafics d'armement ou l'argent de la drogue. Ainsi, la portée internationale de ces réseaux et de ces pratiques ne fait aucun doute. La pourriture généralisée des mœurs de la classe dominante n'est qu'une des expressions de la décadence de ce système.
Cependant, les "bavures" à répétition du clan Chirac discréditent l'Etat français sur la scène internationale, en particulier au sein de l'Europe.
C'est à un autre niveau que l'affaire Clearstream revêt une importance particulière. L'avalanche des coups tordus et les affrontements sans merci entre la bande à Sarkozy et le clan Chirac-de Villepin témoignent de la violence exceptionnelle des règlements de compte entre les hommes et les clans rivaux au sommet de l'Etat.
L'affaire Clearstream constitue une profonde crise politique paralysante dont la bourgeoisie s'inquiète parce qu'elle s'avère de plus en plus incapable d'en maîtriser les conséquences. Le discrédit croissant de l'appareil d'Etat affecte l'ensemble de la classe politique. La bourgeoisie tente toutefois d'utiliser cette crise pour tenter de masquer ses attaques derrière la mise en vedette de l'affaire Clearstream :
- pour relancer la mystification démocratique et électorale en braquant déjà les projecteurs sur les élections de 2007. Il s'agit de semer un maximum d'illusions sur la possibilité "d'assainir la politique", de jouer la carte des promesses "de transparence" et "d'honnêteté" ;
- pour couvrir partout les attaques antiouvrières qui continuent de pleuvoir : lois répressives et anti-immigrés de Sarkozy, poursuite des plans de licenciements (1100 chez Sogerma-EADS à Mérignac, plus de 400 chez Dim, par exemple).
La bourgeoisie continue à cogner et les syndicats sabotent la riposte des ouvriers
Les journaux comme Libération ou Le Monde ont clairement exprimé par rapport aux gesticulations de Villepin envers la Sogerma que le retour de la question sociale au premier plan de l'actualité n'était qu'une opération de diversion par rapport à l'affaire Clearstream alors que la réalité est inverse. Contrairement aux vœux de la bourgeoisie, les prolétaires ne sauraient oublier les attaques du capitalisme et de la bourgeoisie dont ils sont tous les jours les victimes ! Ce qui les préoccupe, c'est précisément leur situation sociale, les fins de mois de plus en plus difficiles, les licenciements, le développement du chômage et de la précarité, leur angoisse pour leur avenir et ceux de leurs enfants.
Cette situation est la même sur toute la planète. Partout, les gouvernements et la bourgeoisie adoptent des mesures similaires, partout les licenciements pleuvent. En Allemagne, Volkswagen a annoncé une réduction d'effectifs de 20 000 salariés et Siemens a décidé de supprimer un millier d'emplois. En Grande-Bretagne ont été annoncés en moins de deux mois près de 60 000 suppressions d'emplois chez les postiers et les fonctionnaires, 10 000 dans les hôpitaux et des dizaines de milliers d'autres dans le secteur privé (notamment 6000 chez le n°1 du câble NTL, 2300 dans le groupe chimique ICI, 2000 à Orange-Wanadoo, 1200 aux magasins Littlewoods, 1100 chez Vauxhall et 2300 à Peugeot). En même temps, le gouvernement Blair vient de lancer une nouvelle attaque féroce contre le régime des retraites. Aux Etats-Unis, 1300 licenciements sont annoncés chez AOL. Whirlpool se prépare à supprimer 4500 emplois aux Etats-Unis, au Canada et au Mexique.
Face à cette situation, on assiste à un véritable partage du travail au sein de la bourgeoisie. Pendant que le gouvernement cogne à tour de bras, les syndicats occupent le terrain social pour saboter et pourrir la riposte des prolétaires. Ainsi, en France, la CFDT et FO encadrent la lutte à la Sogerma, la CFDT est à la pointe des grèves sporadiques dans les bureaux de poste tandis que Sud-Rail a lancé une grève des contrôleurs à la SNCF qui a perturbé le trafic ferroviaire plusieurs jours de suite. La CGT n'est pas en reste et tente de mettre sur pied un encadrement syndical destiné aux travailleurs précaires. Partout les méthodes syndicales sont les mêmes, visant à enfermer et isoler les travailleurs dans le secteur, dans l'entreprise, en les poussant à se battre par catégorie particulière. Leur but est d'émietter, d'éparpiller la colère et la combativité des ouvriers. C'est exactement l'antithèse de ce qu'on fait les étudiants face à l'attaque du CPE. Ces derniers ont constamment affiché leur volonté d'ouvrir leurs AG à tous les travailleurs, ils ont tenté d'aller chercher leur solidarité active et ont multiplié les appels à étendre la lutte. La lutte des étudiants et des lycéens en France trouve aujourd'hui un certain écho en Allemagne : une partie d'entre eux s'est mobilisée contre la hausse des droits d'inscription dans les universités, et une centaine d'étudiants sont allés apporter leur solidarité avec des éboueurs en lutte à Hambourg. En Espagne, ce sont les grévistes de la métallurgie qui ont poussé plus loin les sentiments d'unité et de solidarité de la classe ouvrière en organisant les AG dans la rue (lire notre article en page 5).
La mobilisation contre le CPE a ouvert la voie au mûrissement de la conscience de classe et au surgissement d'autres luttes.
La classe ouvrière n'a rien à attendre du capitalisme. C'est lui qui constitue le véritable scandale permanent de cette société.
W. (25 mai)