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Pour chaque prolétaire, il n'est guère possible d'avoir la moindre illusion sur les "solutions" proposées par le gouvernement pour "combattre" et "résorber le chômage" comme pour "améliorer" ses conditions de vie et de travail, alors que chaque mois, des dizaines de milliers d'emplois disparaissent réduisant au chômage et à la misère de nouvelles dizaines de milliers de familles ouvrières. Ainsi, plus de 7 millions de personnes vivent en France en dessous du seuil de pauvreté, les demandes de RMI ont augmenté de plus de 5% en un an, 51 000 entreprises ont déposé leur bilan depuis le 1er janvier 2005 (5,8% de plus que l'an dernier). Il est clair que le pouvoir d'achat dégringole, que les salaires stagnent, que les conditions de vie et de travail se détériorent, que les prestations sociales (pensions, retraites, remboursement des dépenses de santé, indemnités chômage) sont rognées ou remises en cause. Il ne fait aucun doute que les jeunes générations ont de plus en plus de difficulté à s'insérer sur le marché du travail, contrats nouvelle embauche ou pas.
Les prolétaires ne peuvent se résigner à cette situation. Plus ou moins confusément, ils savent qu'ils n'ont pas d'autre choix que de se battre, de résister aux attaques massives et incessantes du gouvernement et de toute la bourgeoisie.
Mais, dans leurs hésitations à s'engager résolument dans la lutte, ils sont aujourd'hui confrontés aux manœuvres de la bourgeoisie pour les empêcher de se poser les véritables questions qui sont l'enjeu de ce combat : autour de quelles revendications ? Comment ? Avec qui se battre?
L'Etat "protecteur" : une pure mystification
D'emblée, les syndicats, les partis de gauche, les organisations gauchistes leur "offrent" de prétendues alternatives. Après la journée d'action du 4 octobre, où ils se sont assurés d'un contrôle général de la situation, et le rassemblement spécifique sur la défense du service public le 19 novembre, les syndicats ont ensuite organisé un feu roulant de journées d'action ou de grèves d'abord avec la grève des 21 et 22 novembre à la SNCF où 3600 postes ont été supprimés en 2005 (conducteurs, agents d'équipement et d'entretien, guichetiers), le 23 à la RATP, le 24 chez les enseignants, le 29 pour les agents des impôts, une "semaine d'action" du 21 au 26 novembre à La Poste, le 1er décembre à la Banque de France contre la réforme des retraites de ce secteur. Enfin, les syndicats ont promis une grande journée d'action nationale contre la privatisation d'EDF en janvier 2006.
Dans les principales grèves qui ont marqué ces derniers mois, dans leurs manifestations et leurs journées d'action, les uns et les autres n'ont cessé d'appeler à se mobiliser largement autour de "la défense du service public", contre la privatisation d'un certain nombre d'entreprises publiques. Ce combat leur est d'abord présenté comme un bon moyen de résister aux menaces de licenciements, de suppressions d'emploi, d'une précarisation grandissante. Le secteur public est présenté comme la meilleure garantie de l'emploi tandis que le privé serait assimilé au libéralisme, à l'insécurité de l'emploi, à la déréglementation et à la recherche effrénée de profits. Ce serait la faute de la logique libérale des entreprises privées qui recourent systématiquement à des plans de licenciements massifs bénéficiant des dérives d'un gouvernement de droite, qui privatiserait à tour de bras par complaisance envers le patronat privé.
Cette argumentation s'appuie sur une part de réalité. Ainsi, la privatisation de France Télécom en 2002 a été suivie par la suppression de 13 100 postes en 2003 (dont 7800 en France), 12 500 postes en 2004 et 8500 en 2005 ("compensés" par 3000 recrutements cette année dont plus de la moitié par des temps partiels). De même, la récente privatisation d'EDF et sa cotation en bourse qui a permis la vente record de 5 millions d'actions par le gouvernement a été suivie par l'annonce de 6000 suppressions d'emploi (non compensation de postes de départs en pré-retraite). Elle est donc venu relancer la campagne sur ce thème.
Mais il s'agit pourtant d'une gigantesque escroquerie idéologique. Par exemple, les 6000 postes supprimés à EDF ont été programmés par l'Etat lui-même avant la privatisation. Il n'est pas vrai non plus que les suppressions d'emploi soient réservées aux privatisations et que l'Etat traite mieux ses salariés. Chez les fonctionnaires, les suppressions de postes durent depuis des années et le projet à partir de 2006 est de ne plus remplacer les départs en retraite d'une personne sur deux. En trois ans, l'Education nationale a déjà supprimé 17 000 emplois contractuels, le nombre d'enseignants non titulaires embauchés s'est accru. Ce recrutement est passé d'un équivalent de 18 000 "plein temps" en 2004 à 8000 cette année. L'exemple dramatique de la réduction de postes dans le secteur hospitalier public est connu depuis des années. L'Etat-patron donne l'exemple en matière de précarité d'emploi : toujours dans l'Education nationale, 15 000 personnes sont employées avec des salaires inférieurs ou égaux au SMIC, sans couverture sociale ni congés payés. La Loi d'Orientation de la Loi des Finances (LOLF) mise en place et généralisée à tous les fonctionnaires début 2006 découpe le budget en "missions" dans une logique de gestion de la dépense publique axée sur "le résultat et la performance", et les économies réalisées sur les salaires (décès, décompte de journées de grève,…) serviront à augmenter les investissements de chaque centre gestionnaire. De même, l'Etat "délocalise" à tour de bras dans le même but : depuis plusieurs années, on assiste au "transfert" de budgets de gestion, d'emploi et de postes vers les départements ou des collectivités territoriales et locales de pans entiers de la fonction publique (notamment dans les secteurs les plus coûteux et prioritaires comme la santé et l'éducation justement pour faciliter les mesures de "déréglementation" sur l'emploi du personnel (baisse de subventions, de salaires, possibilité de licenciements, multiplication des emplois précaires). C'est justement parce que l'Etat participe au premier chef à la concurrence capitaliste sur le marché mondial qu'il s'attaque à l'hypertrophie d'un secteur public qui pèse lourd sur la compétitivité du capital national. Ainsi, la privatisation d'EDF n'est pas une "lubie" d'un gouvernement "trop libéral", c'est un enjeu dans un secteur essentiel qui vise à améliorer la compétitivité nationale de cette entreprise en Europe (en alignant ses tarifs sur ceux de ses concurrents) comme sur le plan international. La privatisation ou la nationalisation d'EDF n'est pas un enjeu pour la classe ouvrière, elle l'est seulement du point de vue du capitalisme et de la classe bourgeoise.
Le mythe d'un Etat protecteur est un pur instrument de propagande idéologique, véhiculé par toute la gauche et particulièrement "instrumentalisé" par les organisations gauchistes. Ainsi les appels de "Lutte Ouvrière" (LO) à se mobiliser "pour la défense du service public" sont particulièrement édifiants d'une argumentation "radicale" perverse. Dans son mensuel "théorique" Lutte de Classe n°92 (novembre 2005), LO écrit : "même 'à 100% service public', propriété d'Etat, EDF était avant tout au service des grands consommateurs d'électricité, des grandes entreprises, de la classe capitaliste. Elle remplissait cependant un rôle utile vis-à-vis de l'ensemble de la population. Idem pour la poste qui (…) répondait aux besoins de ceux qui s'en servaient le plus massivement en l'occurrence la bourgeoisie (…) Or, depuis bien des années, l'Etat se désengage des services publics (…) au nom de la recherche de la rentabilité (…) L'Etat abandonne ce qui dans ses fonctions, correspond un tant soit peu à l'intérêt de l'ensemble de la société pour consacrer une part croissante de ses ressources et de ses immenses possibilités aux intérêts privés (…)" pour conclure "Le recul de tous les services publics se traduit par une dégradation des conditions de vie de la classe ouvrière". C'est un véritable tour de passe-passe : la critique du "service public" ne sert qu'à endormir la méfiance des ouvriers envers l'Etat que LO ne nomme jamais pour ce qu'il est : un Etat bourgeois entièrement dévolu aux intérêts de la classe dominante et il est glissé sournoisement l'idée que la mission de cet Etat serait aussi la défense de l'intérêt général (et non plus de la classe dominante). A partir de là, LO a beau jeu de tirer un trait d'égalité entre privatisation et abandon de l'intérêt général et de faire croire que le véritable rôle de cet Etat serait de "protéger les populations". Cela permet d'appeler les ouvriers à rejoindre la lutte pour la défense des services publics à côté de toute la gauche et de tous les syndicats.
Le "service public", c'est toujours l'exploitation capitaliste !
L'autre type de propagande est de présenter cette "défense du service public" comme un thème "unificateur" pour la classe ouvrière assurant à la fois la défense des salariés du secteur public contre les méfaits d'une société libérale et d'un gouvernement de droite qui cherche à privatiser des pans entiers de l'activité économique dans une pure logique de profit et les "usagers" qui auraient tout intérêt à assurer cette défense pour bénéficier de meilleurs services au moindre coût. Ce discours est totalement mensonger : en fait d'unité, on l'a vu en particulier avec les grèves dans les transports, la défense du service public est utilisée pour entretenir et exacerber la division entre ouvriers : la paralysie (souvent artificiellement entretenue par les syndicats qui bloquent les dépôts au moyens d'actions commandos même quand la grève est minoritaire) de transports en commun est essentiellement pénalisante pour les "usagers" autrement dit les autres secteurs de la classe ouvrière et nourrit le caractère impopulaire de la grève. C'est d'ailleurs cette hostilité envers les grévistes qui permet au gouvernement et aux élus de chercher à faire passer l'instauration d'un service minimum, voire la réquisition comme lors de la grève dans les transports marseillais. La bourgeoisie en a profité pour discréditer la grève récente des conducteurs sur les lignes D et B du RER à Paris, alors qu'il s'agit pourtant véritablement d'une lutte contre la dégradation des conditions de travail (un "service d'hiver" qui représente une surcharge de travail supplémentaire de 147 heures journalières avec l'embauche de seulement 11 personnes nouvelles). Le battage organisé autour de la défense du "service public" et l'entreprise de discrédit auprès des usagers désignés comme des nantis ou des privilégiés ont pour objectif d'isoler les salariés de la fonction publique et des entreprises d'Etat du reste de la classe ouvrière comme de masquer la réalité et la profondeur des attaques que la bourgeoisie est en train de porter contre eux.
En fait, le type d'unité dont peut se targuer ce genre de mobilisation s'illustre clairement à travers la manifestation du 19 novembre où une grande manifestation a rassemblé 30 000 personnes à Paris à l'appel de toutes les fractions de gauche, PS, PC, Verts, altermondialistes d'Attac de même que diverses organisation trotskistes (LCR, PT, LO). Organisé par une "Fédération des collectifs de défense des services publics" réclamant "des services publics de qualité partout et pour tous", ce rassemblement se voulait pour certains la continuation de celui de Guéret l'été dernier qui avait mobilisé 7000 personnes. "C'est un succès car on a réussi à construire les convergences entre les syndicats, les associations citoyennes, les forces politiques et les élus, ce qui est assurer la meilleure défense de l'emploi essentiel pour que les services publics se développent", commentait le président de cette association, Bernard Defaix. Belle "convergence" en effet à travers laquelle on fait passer l'unité circonstancielle entre les forces politiques et syndicales, les associations citoyennes et les élus pour une manifestation de l'unité ouvrière ! Il s'agit au contraire d'un rassemblement destiné à noyer les ouvriers dans un vaste mouvement interclassiste et à dévoyer la conscience de classe sur un terrain qui n'est pas celui du prolétariat dans un fatras démocratique, antilibéral citoyen, altermondialiste, réseaux associatifs qui sont de vulgaires appendices des partis de gauche et des syndicats.
Les luttes menées contre les privatisations, au nom de la défense du service public, comme à la SNCM puis à la STM de Marseille ont permis de faire passer les attaques et les licenciements, conduisant ces grèves à l'isolement le plus complet et à la plus cuisante des défaites (voir RI n°362 et 363). La "défense du service public" n'est qu'une mystification idéologique et ces journées d'actions défouloirs sans lendemain ne sont que des manœuvres visant à renvoyer à la classe ouvrière un sentiment d'impuissance. La répétition des journées d'action sectorielles ou nationales organisées par les syndicats sont autant de manœuvres destinées à désamorcer, stériliser la colère des ouvriers et à faire passer les attaques du gouvernement, de l'Etat et du patronat. Le mot d'ordre de "défense du service public" ne sert qu'à mieux diviser et isoler les ouvriers derrière la défense d'intérêts sectoriels, et les empêcher de se battre tous ensemble. La classe ouvrière n'a pas à se mobiliser pour choisir un "meilleur" exploiteur, l'Etat, contre les "méchants" patrons privés. Elle doit se battre dans le public comme dans le privé et unifier ses luttes autour de ses propres revendications de classe : contre les licenciements, contre les suppressions de postes, contre l'augmentation des cadences, contre la baisse des salaires et du pouvoir d'achat. Pour mener une lutte efficace contre les attaques de la bourgeoisie, elle doit refuser de se laisser entraîner sur le terrain pourri des syndicats, des partis de gauche et des gauchistes. Défendre le service public, c'est toujours accepter et défendre l'exploitation et la misère capitalistes !
Wim (16 décembre)