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Les manœuvres de la bourgeoisie pour dévoyer la colère ouvrière dans des impasses
La bourgeoisie française sait qu'elle a face à elle une classe ouvrière au sein de laquelle se développe un questionnement de plus en plus profond, devant une situation inquiétante : guerres et attentats à répétition dans le monde, désastres écologiques, diminution drastique du niveau de vie, etc. En même temps, ce questionnement ne donne pas naissance à des expressions de combativité clairement exprimées de façon massive, comme ce fut le cas lors des grèves contre la réforme du système des retraites en mai et juin 2003. Il existe même un certain déboussolement et une difficulté à entrer en lutte qui traversent les rangs ouvriers.
Il est donc important pour la bourgeoisie d’exploiter au maximum ce déboussolement pour dévoyer le mécontentement de la classe ouvrière sur les terrains pourris du nationalisme, de la défense du secteur public ou de l'entreprise, derrière les syndicats et pour enfermer la réflexion dans les impasses "citoyennes".
Hewlett-Packard, un sabotage exemplaire de la lutte de classe
Courant septembre, plusieurs milliers de suppressions d’emploi sont annoncés chez Hewlett-Packard (HP), dont 1460 en France. Toute la presse monte l'affaire en épingle tandis que les syndicats jouent à fond sur l’anti-américanisme ambiant pour dénoncer les vilains patrons d'outre-Atlantique. Parallèlement, les syndicats insistent sur la rentabilité de l'entreprise dans son ensemble et mettent en avant que le site de Grenoble, le plus touché par les menaces de licenciements, fait des profits.
La grève s'est donc ainsi trouvée enfermée sur la question de la viabilité de l'entreprise et sur le terrain de la défense du site de Grenoble, alors que des menaces de licenciements étaient annoncés chez ST-Microelectronics et dans d'autres usines de la région. Le sale travail des syndicats a donc été de poser d'emblée les questions en termes de gestion de l'entreprise de façon à tuer dans l'œuf toute réflexion sur le fait que les problèmes sont les mêmes partout et afin de miner toute possibilité de mise en œuvre d'actions solidaires et de rencontres entre les différents ouvriers des entreprises concernées dans une zone géographique durement frappée par les licenciements.
Pour mieux enfoncer le clou de la défense de l'entreprise, on a pu voir le maire de Grenoble se déplacer en Californie, à grands renforts de médias, pour aller "discuter" avec les dirigeants de HP. Ce "combat exemplaire" et "citoyen" du maire de Grenoble s'est soldé par une grande "victoire" : la direction américaine de HP a revu (momentanément) ses licenciements à la baisse – 1240 au lieu des 1640 initialement prévus -pour le site de Grenoble, mais avec la remise en cause des accords passés sur les 35 heures en contrepartie.
L'idée principale que devaient retenir les ouvriers de HP, mais surtout toute la classe ouvrière, en France et ailleurs, c'est que lutter derrière les syndicats et derrière les représentants de l’Etat paie, puisque le plan de licenciements prévu initialement a été modifié. Il s'agit en fait d'une véritable arnaque : d'une part, les conditions de travail et l'exploitation vont s'aggraver pour ceux qui ne seront pas licenciés à Grenoble et, d’autre part, les licenciements y sont quand même maintenus dans leur plus grande partie comme dans les autres usines du groupe en France.
Nous avons là encore un exemple caractéristique de ces défaites que la bourgeoisie et ses syndicats s'efforcent de faire passer pour des victoires ouvrières. Et parmi les aspects les plus nocifs de cette défaite, non seulement les ouvriers se sont fait avoir en s'en remettant à un représentant de l’Etat pour la défense de leurs intérêts, mais cela a eu pour résultat de provoquer une division au sein des ouvriers. Ainsi, certains à Grenoble vont "sauver leur place" au détriment d'autres ouvriers du même site et des autres sites du groupe !
La manifestation du 4 octobre, une opération publicitaire pour les syndicats
Au lendemain de la journée d'action du 4 octobre, les syndicats et la gauche se sont félicités du "succès" de cette mobilisation nationale qui a vu défiler environ un million de personnes dans les rues des principales villes de l'Hexagone : 100 000 à Paris, 15 000 à Lyon, 30 000 à Marseille et Toulouse, 20 000 à Grenoble, et à Lille, etc.
Une telle présence de nombreux salariés dans les secteurs les plus divers et les plus importants est révélateur du questionnement et de l'inquiétude qui se développe dans l'ensemble de la classe ouvrière. Cependant, malgré le nombre de grévistes, peu de combativité s'est exprimée dans ces manifestations, où une certaine morosité et une certaine passivité prédominaient,.
Pour autant, les syndicats, avec à leur tête la présence massive de la CGT, se sont félicités d'avoir amené dans les rues autant de salariés pour dire "non" à la politique du gouvernement et défendre l'emploi et les salaires. Les organisations syndicales pouvaient en effet être satisfaites car cette journée d'action avait pour objectif essentiel d'être une opération de recrédibilisation de syndicats qui étaient restés particulièrement discrets depuis le printemps dernier, alors que les attaques ne cessaient de pleuvoir sur la classe ouvrière.
Le discours du premier ministre le soir même à l'Assemblée nationale, proclamant qu'il avait "écouté le message des Français", était une réponse en contrepoint venant donner de la "valeur ajoutée" au battage syndical. Autrement dit : suivez les syndicats, avec eux, vous serez écoutés car ce sont des interlocuteurs valables, responsables !
En plein développement de la grève jusqu'au-boutiste des marins de la SNCM (voir notre article ci-dessus), il fallait justement pour la bourgeoisie opposer ceux qui savent diriger des négociations et les mener à bien dans l'intérêt des salariés et de leur outil de travail, les centrales syndicales, alors que ceux de la SNCM prenaient le risque majeur de tout perdre.
Tout d'abord, il faut être clair sur le fait qu'une journée d'action comme celle du 4 octobre, encadrée et ficelée par les forces syndicales, à coups de flonflons et de fumigènes rendant toute discussion difficile sinon impossible, ne peut être un réel moment de solidarité ouvrière. Même si des ouvriers de HP étaient présents en tête de la manifestation grenobloise ou parisienne du 4 octobre, aucune solidarité concrète ne pouvait s'y manifester. La vraie solidarité, celle qui peut mener à une véritable unité dans la classe ouvrière, on l'a vu lors de la grève d'Heathrow (voir RI n°360 et notre site Internet sur la question). Défiler passivement, isolément derrière les banderoles syndicales ou celles de "son" entreprise, ne mène qu'à l'impuissance.
La lutte ouvrière ne peut être forte que si elle est solidaire au-delà de l'usine, au-delà de l'entreprise et du secteur, lorsqu'elle se développe sur le terrain de la défense des intérêts de toute la classe ouvrière, au-delà des fausses différences que veulent nous imposer les syndicats entre le privé et le public.
Suivre les syndicats et leurs discours mensongers, bien loin de renforcer l'identité de la classe ouvrière, sa solidarité et son unité, ne peut que réduire les prolétaires à une somme d'individus faibles et impuissants qui ne pourront que continuer à subir de plein fouet les attaques de la bourgeoisie.
Mu (21 octobre)