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Fin avril dernier, en Thaïlande, des affrontements ont opposé les forces de sécurité du pays à des groupes de jeunes musulmans armés qui ont lancé des attaques contre des postes de police dans trois provinces du pays. Ces affrontements violents se sont soldés par la mort de tous les assaillants armés de quelques fusils, de machettes et d'épées, armes pour le moins rudimentaires face à tout l'arsenal des forces de l'ordre étatique ! Celles-ci n'ont pas fait de quartier : lorsque certains des assaillants se sont retranchés dans une mosquée, l'armée a donné l'assaut et les a tous liquidés. Au total, 107 morts chez ces jeunes musulmans : pas de survivant.
Même si la situation internationale et la guerre impérialiste en Irak restent la toile de fond pour comprendre la radicalisation de nombreuses fractions islamistes ou terroristes comme l'organisation indonésienne Jemaah Islamiyah, à l'origine supposée de l'attentat de Bali, il n'y a ici aucune "logistique" terroriste chez ces jeunes fanatisés, aucun plan machiavélique préconçu pour tuer un maximum de civils, aucune préparation ou structure de type militaire, comme ce fut le cas à Madrid dernièrement ou en septembre 2001 à New-York. Cette révolte ressemble beaucoup plus à un suicide collectif qu'à une opération commando destinée à infliger le plus de dégâts possibles à l'adversaire désigné.
Pour la bourgeoisie thaïlandaise elle-même, les objectifs
et les instigateurs de la révolte restent mystérieux :
de terroristes islamistes séparatistes supposés, le gouvernement
est passé à l'accusation de "trafiquants d'armes",
de "simples bandits" à la solde de politiciens véreux.
Ainsi, pour d'autres spécialistes bourgeois, "ces événements
s'expliquent entièrement par des paramètres locaux"
(Libération du 28 avril). Sans nier ces paramètres locaux
de minorités musulmanes au sein d'une population thaïe majoritairement
bouddhiste au Sud du pays, il n'y a pas vraiment besoin de remonter
à la fin du XVIIe siècle pour chercher les racines culturelles
ou religieuses de cette révolte, que ce soit ici ou ailleurs
dans le monde. Derrière tous les sentiments nationalistes, religieux,
communautaires, on trouve souvent une population en proie à une
misère permanente. Cette misère s'est accentuée
au fil de l'aggravation de la crise économique, en Thaïlande
comme ailleurs. D'autant plus dans des provinces excentrées,
délaissées le plus souvent par l'Etat, réprimées
régulièrement par la dictature militaire dès que
s'exprimait le moindre souffle de révolte. C'est encore le cas
aujourd'hui sous le règne de la démocratie. Pour fuir
cette misère, beaucoup tentèrent d'émigrer vers
la Malaisie, pays plus "prospère". Les traitements
n'y furent pas meilleurs.
Depuis quelques années, la situation n'a fait que s'aggraver.
Après l'effondrement du mythe de l'économie florissante
des "dragons asiatiques" comme la Thaïlande et la Corée
en 1997, des pans entiers de la population sont à l'abandon,
avec comme seule perspective soit de se prostituer dès le plus
jeune âge dans les zones urbaines du pays ou sur les sites touristiques
où se concentrent le "marché" du tourisme sexuel,
soit survivre de trafics divers, enrôlés par les diverses
cliques mafieuses ou fondamentalistes.
Ces révoltes sont des révoltes sans perspective qui illustrent
tout le degré de désespoir de ces jeunes. Elles illustrent
surtout la décomposition grandissante de la société
capitaliste.
Ce que montre cette révolte en Thaïlande, c'est que le degré
de décomposition et d'incohérence de ce monde devient
tel que, pour des secteurs entiers d'une population exclue, déclassée
ou laissée à l'abandon, penser à une autre perspective
de vie apparaît comme une illusion : seule la mort apparaît
réaliste et libératrice.
Cette décomposition spectaculaire est aussi marquée en
Cisjordanie ou à Gaza où ce sont des files entières
de jeunes musulmans qui font la queue pour s'enrôler comme candidats
au "martyr" pour le Hamas ou le Hezbollah. De jeunes candidats
à l'attentat-suicide ont souvent exprimé le fait qu'ils
n'avaient pas peur de mourir puisqu'ils étaient déjà
morts !
Au fond, le désespoir et la misère sociale sont les mêmes.
Par contre, au Moyen-Orient, la logistique et la manipulation guerrière,
impérialiste sont d'un autre niveau : la bourgeoisie palestinienne
et ses diverses fractions utilisent à leurs propres fins impérialistes
cette chair à canon désespérée qui n'a plus
d'autre envie que de mourir "pour la cause". La bourgeoisie
sait se servir de ce désespoir, comme au Moyen-Orient, et cherche
en permanence à l'utiliser pour mener sa guerre inter-impérialiste.
Mais, en l'occurrence, le désespoir de ces jeunes musulmans thaïlandais
est devenu tel qu'il échappe même au contrôle et
à l'utilisation, pour des fins politiques ou militaires, de telle
ou telle fraction de la bourgeoisie, qu'elle soit islamiste, séparatiste
ou démocratique. Voilà la conséquence ultime de
ce monde en putréfaction qui n'offre plus de perspective viable
ni même d'illusion alternative dans le cadre de son système.
Et cela n'est pas cantonné aux seuls pays du "tiers-monde".
Déjà, cette irrationalité s'exprime à des
degrés divers dans tous les aspects de la vie sociale, politique
et économique du monde capitaliste.
Sans le renouveau de la lutte prolétarienne sur un terrain de
classe à l'échelle internationale, sans l'affirmation
de sa perspective révolutionnaire pour elle-même et en
définitive pour l'ensemble de l'humanité, la pourriture
du monde capitaliste, sa décomposition sur pied ne peut que continuer
à apporter la mort et l'enfoncement dans une barbarie sans limite.