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A l'occasion du trentième anniversaire du coup d'Etat sanglant de Pinochet au Chili le 11 septembre 1973 qui a mis fin au gouvernement de l'Unité Populaire d'Allende, toute la bourgeoisie "démocratique" a mis à profit la célébration de cet événement pour tenter une fois encore de dévoyer la classe ouvrière de son propre terrain de lutte. A cette occasion, la classe dominante cherche à faire croire aux ouvriers que le seul combat dans lequel ils doivent s'engager, c'est celui de la défense de l'Etat démocratique contre les régimes dictatoriaux dirigés par des voyous sanguinaires. C'est bien le sens de la campagne orchestrée par les médias consistant à faire le parallèle entre le coup d'Etat de Pinochet le 11 septembre 1973 et l'attentat contre les Tours jumelles à New York (voir le titre du journal Le Monde du 12 septembre : "Chili 1973 : l'autre 11 septembre"). Et dans ce chœur unanime de toutes les forces démocratiques bourgeoises, on trouve au premier plan les partis de gauche et les officines gauchistes (notamment les trotskistes de LO et de la LCR) qui avaient pleinement participé, aux côté du MIR chilien, à embrigader la classe ouvrière derrière la clique d'Allende, les livrant ainsi pieds et poings liés au massacre (voir notre article dans RI nouvelle série n° 5 : "Le Chili révèle la nature profonde de la gauche et des gauchistes"). Face à cette gigantesque mystification consistant à présenter Allende comme un pionnier du "socialisme" en Amérique latine, il appartient aux révolutionnaires de rétablir la vérité en rappelant les faits d'armes de la démocratie chilienne. Car les prolétaires ne doivent jamais oublier que c'est le "socialiste" Allende qui a envoyé l'armée pour réprimer les luttes ouvrières et a permis ensuite à la junte militaire de Pinochet de parachever le travail.
En considérant la coalition d'Allende comme celle de la classe
ouvrière, en l'appelant "socialiste", toute la "gauche"
a essayé de cacher ou de minimiser le rôle réel
d'Allende et aidé à perpétuer les mythes créés
par le capitalisme d'État au Chili.
La nature capitaliste du régime d'Allende
Toute la politique de l'Unité Populaire consistait à
renforcer le capitalisme au Chili. Cette large fraction du capitalisme
d'État, qui s'est appuyée sur les syndicats (aujourd'hui
devenus partout des organes capitalistes) et sur les secteurs de la
petite bourgeoisie et de la technocratie s'est scindée depuis
quinze ans dans les partis communiste et socialiste. Sous le nom de
Front des Travailleurs, FRAP ou Unité Populaire, cette fraction
voulait rendre le capital arriéré chilien compétitif
sur le marché mondial. Une telle politique, appuyée sur
un fort secteur d'État, était purement et simplement capitaliste.
Recouvrir les rapports de production capitalistes d'un vernis de nationalisations
sous "contrôle" ouvrier n'aurait rien changé
à la base : les rapports de production capitalistes sont
restés intacts sous Allende, et ont même été
renforcés au maximum. Sur les lieux de production des secteurs
public et privé, les travailleurs devaient toujours suer pour
un patron, toujours vendre leur force de travail. Il fallait satisfaire
les appétits insatiables de l'accumulation du capital, exacerbés
par le sous-développement chronique de l'économie chilienne
et une insurmontable dette extérieure surtout dans le secteur
minier (cuivre) dont l'État chilien tirait 83% de ses revenus
dans l'exportation.
Une fois nationalisées, les mines de cuivre devaient devenir
rentables. Dès le début, la résistance des mineurs
contribua à détruire ce plan capitaliste. Au lieu d'accorder
crédit aux slogans réactionnaires de l'Unité Populaire
:"Le travail volontaire est un devoir révolutionnaire",
la classe ouvrière industrielle du Chili, particulièrement
les mineurs, a continué à lutter pour l'augmentation des
salaires, et a brisé les cadences par l'absentéisme et
les débrayages. C'était la seule façon de compenser
la chute du pouvoir d'achat pendant les années précédentes,
et l'inflation galopante sous le nouveau régime qui avait atteint
300% par an à la veille du coup d'État.
La résistance de la classe ouvrière à Allende a
débuté en 1970. En décembre 1970, 4000 mineurs
de Chuquicamata se mirent en grève réclamant des augmentations
de salaires. En juillet 1971, 10 000 mineurs du charbon se mirent en
grève à la mine de Lota Schwager. Dans les mines d'El
Salvador, El Teniente, Chuquicamata, La Exotica et Rio Blanco, de nouvelles
grèves s'étendirent à la même époque,
réclamant des augmentations de salaire.
Allende déchaîne la répression contre les ouvriers
La réponse d'Allende fut typiquement capitaliste : alternativement,
il calomnia puis cajola les travailleurs. En novembre 1971 Castro vint
au Chili pour renforcer les mesures anti-ouvrières d'Allende.
Castro tempêta contre les mineurs, et les traita d'agitateurs
"démagogues" ; à la mine de Chuquicamata, il
dit que "cent tonnes de moins par jour signifiait une perte de
36 millions de dollars par an".
Peu nombreux (les mineurs représentaient 4% de la force de travail,
c'est-à- dire environ 60 000 ouvriers) mais très puissants
et conscients de l'être, les mineurs obtinrent de l'État
l'échelle mobile des salaires et donnèrent le signal de
l'offensive sur les salaires qui surgit dans toute la classe ouvrière
chilienne en 1971. Toute la presse bourgeoise était d'accord
pour affirmer que "la voie chilienne au socialisme" était
une forme de "socialisme" qui a échoué. Les
staliniens et les trotskistes bien sûr ont acquiescé, en
conservant leurs différences talmudiques. De ces derniers, le
capitalisme d'Allende a reçu un "soutien critique".
Les anarchistes n'ont pas été en reste : "La seule
porte de sortie pour Allende aurait été d'appeler la classe
ouvrière à prendre le pouvoir pour elle-même et
de devancer le coup d'État inévitable" écrivait
le Libertarian Struggle (octobre 1973). Ainsi Allende n'était
pas seulement "marxiste". C'était aussi un Bakounine
raté. Mais ce qui est vraiment risible, c'est d'imaginer qu'un
gouvernement capitaliste puisse jamais appeler les travailleurs à
détruire le capitalisme !
En mai-juin 1972, les mineurs ont recommencé à bouger
: 20 000 se mirent en grève dans les mines d'El Teniente et Chuquicamata.
Les mineurs d'El Teniente revendiquèrent une hausse des salaires
de 40%. Allende plaça les provinces d'O Higgins et de Santiago
sous contrôle militaire, parce que la paralysie d'El Teniente
"menaçait sérieusement l'économie". Les
managers "marxistes", membres de l'Unité Populaire
ont vidé des travailleurs et envoyé des briseurs de grève.
500 carabiniers attaquèrent les ouvriers avec des gaz lacrymogènes
et des canons à eau. 4000 mineurs firent une marche sur Santiago
pour manifester le 14 juin, la police les chargea sauvagement. Le gouvernement
traita les travailleurs "d'agents du fascisme". Le PC organisa
des défilés à Santiago contre les mineurs, appelant
le gouvernement à être ferme. Le MIR, "opposition
loyale" extraparlementaire à Allende, critiqua l'utilisation
de la force et prit parti pour la "persuasion". Allende nomma
un nouveau ministre des mines en août 1973 : le général
Ronaldo Gonzalez, le directeur des munitions de l'armée.
Le même mois, Allende alerta les unités armées dans
les 25 provinces du Chili. C'était une mesure contre la grève
des camionneurs, mais aussi contre quelques secteurs d'ouvriers qui
étaient en grève, dans les travaux publics et les transports
urbains. Pendant les derniers mois du régime d'Allende, la politique
à l'ordre du jour devint celle des attaques généralisées
et des meurtres contre les travailleurs et les habitants des bidonvilles,
par la police, l'armée et les fascistes. En décembre 1971,
Allende avait déjà laissé Pinochet, l'un des nouveaux
dictateurs du Chili, se déchaîner dans les rues de Santiago.
L'armée avait imposé des couvre-feux, la censure de la
presse, et des arrestations sans mandat. En octobre 1972, l'armée
(la chère "armée populaire" d' Allende) fut
appelée à participer au cabinet. Allende avouait par là
l'incapacité de la coalition à mater et écraser
la classe ouvrière. Il avait durement essayé mais avait
échoué. Le travail dût être continué
par l'armée sans fioritures parlementaires. Mais au moins l'Unité
Populaire avait aidé à désarmer les travailleurs
idéologiquement : cela facilita la tâche des massacreurs
le 11 septembre 1973.
La gauche et l'extrême gauche mystifient la classe ouvrière
En réalité, Allende a pris le pouvoir en 1970 pour sauver
la démocratie bourgeoise dans un Chili en crise. Après
avoir renforcé le secteur d'État d'une façon qui
rentabilise la totalité de l'économie chilienne en crise,
après avoir mystifié une grande partie de la classe ouvrière
avec une phraséologie "socialiste" (ce qui était
impossible aux autres partis bourgeois) son rôle était
terminé. Exit the King. L'aboutissement logique de cette évolution,
un capitalisme totalement contrôlé par I'État, n'était
pas possible au Chili qui restait dans la sphère d'influence
de l'impérialisme américain et devait commercer avec un
marché mondial hostile dominé par cet impérialisme.
La "gauche" et tous les libéraux, humanistes, charlatans
et technocrates se sont lamentés sur la chute d'Allende. Ils
ont encouragé le mensonge du "socialisme" d'Allende
pour tenter de mystifier la classe ouvrière. Ils ont ressorti
le slogan pourri de l'anti-fascisme, pour détourner la lutte
de classe, pour cacher que les prolétaires n'ont rien à
gagner en luttant et mourant pour une quelconque cause bourgeoise ou
"démocratique". En France, Mitterrand et le "Programme
Commun de la Gauche", tous les curés progressistes et les
canailles bourgeoises ont entonné le chœur antifasciste.
Sous couvert de "l'antifascisme" et de soutien à l'Unité
Populaire, les divers secteurs de la classe dirigeante ont tenté
de mobiliser les travailleurs pour leur replâtrage parlementaire.
Face à cette nouvelle "brigade internationale" de la
bourgeoisie, la classe ouvrière ne peut que montrer du mépris
et de l'hostilité.
Les fractions de "l'extrême gauche" du capitalisme d'État
ont joué le même rôle dans ce concert que le MIR
dans celui d'Allende. Mais, leur soutien était "critique".
Or, la question n'est pas "parlement contre lutte armée",
mais capitalisme contre communisme, antagonisme entre la bourgeoisie
du monde entier et les travailleurs du monde entier. Les prolétaires
n'ont qu'un seul programme : l'abolition des frontières, l'abolition
de l'État et du parlement, l'élimination du travail salarié
et de 1a production marchande par les producteurs eux-mêmes, la
libération de l'humanité tout entière amorcée
par la victoire des conseils ouvriers révolutionnaires. Tout
autre programme est celui de la barbarie, la barbarie et la duperie
de la "voie chilienne au socialisme".
D'après RI "Nouvelle série" n°6
(4 novembre 1973)