La Solidarité ouvrière ne passe pas par l'action syndicale

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Fin janvier, une contrôleuse est agressée et violée dans un train express régional (TER) du réseau Sud-Ouest. La réaction est immédiate : le personnel de la SNCF se met spontanément en grève et le trafic ferroviaire français est totalement paralysé pendant 48 heures.

Quand il est évoqué dans la presse nationale, l'événement est minimisé, réduit à un entrefilet et relaté comme un simple fait divers.

Le 1er février, une hôtesse de l'air chute mortellement d'une passerelle d'accès à bord des avions à Orly. Aussitôt, le personnel d'Air France déclenche une "grève sauvage". Le black-out n'est rompu, deux semaines plus tard, que par les répercussions de cette grève qui perturbe toujours gravement le trafic des aéroports internationaux parisiens.

Le 23 février, le rapport de l'inspection du travail et les déclarations du ministre des transports, Gilles de Robien, qui mettent en avant "l'erreur humaine" et la responsabilité du personnel au sol, rallument la colère des salariés, vite jugulée cette fois par les syndicats qui parviennent à opposer les différentes catégories de personnel entre elles.

Ces réactions sporadiques d'indignation et de "ras-le-bol" tendent à émerger de plus en plus face à une détérioration grandissante des conditions de travail, souvent suite à des agressions ou à des accidents de travail. Elles constituent en même temps un début d'expression de solidarité ouvrière entre salariés. Des fractions de plus en plus larges de la classe ouvrière (notamment dans le secteur des transports en commun, sur les chantiers) sont quotidiennement exposées à une insécurité permanente dans leur travail, et à des risques multipliés par la diminution ou les suppressions d'effectifs, par le surcroît des charges de travail, par les exigences de la productivité, par les matériaux de travail au moindre coût, par le non-respect des règles de sécurité les plus élémentaires. La colère est d'autant plus forte chez les ouvriers que la bourgeoisie, ses institutions et ses médias mettent chaque fois en cause des comportements de tel ou tel salarié sur lequel ils font retomber la responsabilité de la faute individuelle.

En même temps, on assiste à une multiplication de petites grèves disséminées aux quatre coins de l'hexagone. De même, la mobilisation importante suscitée par les journées d'action syndicales et leurs manifestations, dès qu'elles ont une portée nationale et touchent aux questions les plus sensibles comme les salaires et la chute du pouvoir d'achat, les conditions de vie et de travail, témoignent d'un mécontentement profond et d'une remontée de la combativité ouvrière encore très diffuse, inégale et variable selon les secteurs.

La crise du capitalisme a atteint un stade marqué par la fin brutale de l’ère de " l’Etat-Providence" partout dans le monde (voir article page 5). Pour la classe ouvrière, le minimum vital qui lui permettait de reproduire sa force de travail : se loger, se nourrir, se soigner, n’est plus assuré. Derrière les "réformes ", ce qui est demandé aux prolétaires c'est toujours plus de "sacrifices", c'est toujours sur leur dos qu'il s'agit de faire des économies pour la défense de la compétitivité du capital national. Toute la classe ouvrière est sous la menace des fléaux permanents révélateurs de la crise : le chômage et la précarité. L'abandon de toute protection sociale est lui aussi un des signes le plus caractéristiques de la faillite du système capitaliste.

Partout, la classe ouvrière est prise à la gorge, confrontée à la même dégradation insupportable de ses conditions de vie et de travail, à la réduction dramatique de son pouvoir d'achat avec le cumul de la précarisation du travail, de la diminution des prestations sociales, de l'érosion des salaires et des pensions, de la hausse des tarifs des produits de première nécessité, des services publics, des taxes.

Les prolétaires et leurs enfants (voir l’article sur le mouvement des lycéens en page 2) connaissent l’angoisse d'un avenir qui s’assombrit de jour en jour… Ils sont de plus en plus poussés à développer une réflexion sur leur surexploitation dans un monde qui fonctionne exclusivement sur des critères de profit, de concurrence, de rentabilité, et un questionnement sur une planète de plus en plus insécure, barbare, démentielle et déshumanisée.

Les manœuvres de la bourgeoisie face à la montée du mécontentement social

C'est parce qu'elle est consciente de la tension du climat social, de ce mécontentement général qui pousse les ouvriers à s'interroger sur le monde dans lequel ils vivent, que la bourgeoisie prend les devants en occupant massivement le terrain social. C'est le rôle que remplissent les syndicats qui assument leur fonction d'encadrement des ouvriers pour les diviser et les isoler en s'attachant aujourd'hui à bloquer et à dévoyer les efforts de prise de conscience qui se manifestent confusément au sein de la classe ouvrière. Les syndicats utilisent ainsi de plus en plus le besoin d'unification des luttes en organisant de prétendues manifestations unitaires, comme le 5 février et le 10 mars entre secteur privé et secteur public, pour empoisonner et pourrir la réflexion. En effet, ils polarisent l'attention sur une série de thèmes idéologiques qui permettent de fausser et de détourner sur un terrain bourgeois les questionnements en gestation au sein de la classe ouvrière :

- Face aux chantages du patronat qui menace de plus en plus d'ouvriers de licenciements et de délocalisations s'ils n'acceptent pas de travailler plus longtemps pour le même salaire, la gauche, les syndicats et les organisations gauchistes nous proposent ainsi de lutter pour "défendre les 35 heures" des lois Aubry. Leur battage cherche à masquer que les attaques d'aujourd'hui sur l'allongement du temps de travail ne sont que le prolongement de l'attaque du gouvernement de gauche précédent, que ce sont ces lois du "gouvernement socialiste" sur les 35 heures qui ont introduit la flexibilité dans l'entreprise, permis la chasse au "gaspillage" (suppression des temps de pause) et l’intensification de la productivité, l’annualisation du temps de travail, le blocage des salaires et qui permettent aujourd’hui à la bourgeoisie d'intensifier partout l'exploitation. Ils servent à fausser la compréhension de la nature de l'attaque du gouvernement, qui entreprend aujourd'hui de rallonger quasiment sans limite le temps de travail, en rendant la droite responsable de cette attaque alors qu'elle est en fait commandée par les besoins de la défense du capital national dont hier, la gauche était un gestionnaire aussi zélé que la droite.

- Face à la poursuite des attaques massives et à de nouvelles dizaines de milliers de suppressions d'emploi, notamment dans la fonction publique mais également à la SNCF, à la Poste, à EDF-GDF, à France Telecom, la gauche et les syndicats poussent aussi les prolétaires à se battre en même temps, non pour la défense de leurs intérêts communs de prolétaires mais pour la "défense du service public". Depuis des années, à longueur de journées d'action, de manifestations, on nous chante cette même rengaine alors que les réductions d'effectifs, le blocage des salaires, la perte du pouvoir d'achat, les restrictions budgétaires et la détérioration accélérée des conditions de travail ont lieu depuis des années, dans le secteur privé comme dans le secteur public, sous tous les gouvernements qui se sont succédé, de gauche comme de droite. Pour l'Education nationale, secteur particulièrement soumis aujourd'hui à une aggravation des conditions de travail avec les attaques contre les ATOS, les suppressions des auxiliaires d'enseignement, les suppressions de classes et d'effectifs, c'est le ministre socialiste Allegre qui avait annoncé "qu'il fallait dégraisser le mammouth". Fermetures de classe, fermetures d'hôpitaux, de lignes SNCF, de bureaux de poste sont de même nature et suivent la même logique capitaliste que les fermetures d'usines, les délocalisations, l'abandon de tel ou tel site, de tel ou tel secteur industriel : la "rentabilité", la concurrence, la loi du profit à tous les niveaux. Et partout, c'est une même classe, la classe ouvrière qui en fait les frais, qui subit une exploitation de plus en plus féroce avec l'Etat-patron comme avec un patron privé.

La gauche et les syndicats nous demandent de nous en remettre à l'Etat pour nous défendre. Ils voudraient en particulier faire croire que l'Etat au lieu de se mettre au service des patrons pourrait défendre les ouvriers, qu'il pourrait être un Etat-protecteur des salariés et non plus "au service du patronat"… Rien n'est plus faux ! C'est en fait l'Etat qui est le chef d'orchestre de toutes les attaques de la bourgeoisie, c'est lui qui mène les attaques les plus générales qui touchent l'ensemble de la classe ouvrière : sur les retraites, sur la Sécurité sociale, contre les chômeurs. C'est lui qui décide quels secteurs économiques doivent être "restructurés". C'est l'Etat-patron qui donne l'exemple de la brutalité des attaques en réduisant massivement le nombre des ses fonctionnaires et en bloquant leurs salaires depuis des années. L'Etat ne peut être que le défenseur par excellence des intérêts de la classe bourgeoise et assurer en toutes circonstances la défense des intérêts du capital national contre la classe ouvrière.

On voudrait nous faire croire qu'une autre façon de gérer le capitalisme serait meilleure pour les ouvriers. On voudrait nous faire croire que le responsable de tous ces maux, c'est le libéralisme économique, et qu'il y aurait d'autres voies possibles comme "l'altermondialisme", qu'il suffirait par exemple de taxer les revenus du capital pour répartir les richesses autrement. Ce n'est qu'une mystification : non seulement les rapports de concurrence et d'exploitation seraient les mêmes mais cela n'atténuerait en rien la crise de surproduction du capitalisme sur le marché mondial qui pousse chaque bourgeoisie nationale à pressurer toujours plus la classe ouvrière.

L'appareil politique de la bourgeoisie et les syndicats cherchent à nous persuader que l'Europe est un enjeu majeur. Pour les uns, elle permettrait d'imposer un cadre social plus large. Pour les autres, elle serait la grande responsable de l’aggravation de tous les maux et des attaques. La bataille entre défenseurs et pourfendeurs de la Constitution européenne qui divise partis et syndicats est un problème pour la bourgeoisie. L'enjeu n'est pas d'aller vers une Europe plus libérale ou vers une Europe plus sociale. Du point de vue de la classe ouvrière, les débats sur l'élargissement de l'Europe comme le référendum sur la Constitution européenne ne sont qu'une arme idéologique pour chercher à diviser les ouvriers et pour finalement mieux les ramener derrière le terrain bourgeois de la défense de l'Etat et du capital national. Tout ce cirque ne sert en effet qu'à amener les ouvriers à se prononcer sur un choix qui n'est pas le leur, mais celui de son ennemi de classe : qu'est ce qui sert le mieux l'intérêt national ? La bourgeoisie ne cesse ainsi de mettre en avant de fausses réponses à de vraies questions pour dévoyer la réflexion et la conscience des ouvriers.

Comment la classe ouvrière doit-elle se battre ?

La seule réponse possible des prolétaires, c'est le développement de leurs luttes sur un terrain de classe.

Les prolétaires n'ont pas d'autre choix que de se battre, sinon ils subiront toujours plus de sacrifices et d'attaques de la part de la bourgeoisie. Le développement de leurs luttes est la seule façon pour les prolétaires de résister aux attaques toujours plus fortes de la bourgeoisie qui en s’enfonçant dans une crise irréversible, n’a pas d’autre choix que d’exploiter toujours plus les prolétaires.

Cependant, la classe ouvrière est en même temps poussée à comprendre que son combat n'est pas celui que la gauche et les syndicats lui proposent : contre le libéralisme ou pour une autre gestion de l’exploitation mais contre le système capitaliste dans son ensemble qui révèle de plus en plus ouvertement sa faillite.

Elle est aussi amenée à prendre conscience comment elle doit se battre. Il n'est pas possible d'imposer un rapport de force susceptible de faire reculer la bourgeoisie tant qu'on reste divisés, isolés dans le cadre d'un site, d'une corporation, d'une entreprise, tant qu'on ne reconnaît pas que les ouvriers de telle ou telle usine ou de tel ou tel secteur ont les mêmes revendications et mènent le même combat et qu'il s'agit de lutter le plus nombreux possible de façon unitaire. Il existe déjà une volonté de se regrouper, de discuter ensemble de leurs conditions de travail, afin de sortir de leur isolement, de développer la question de comment se battre et résister aux attaques de la bourgeoisie. Les réactions actuelles de la classe ouvrière témoignent déjà de façon encore très embryonnaire mais réelle de la solidarité naturelle de classe qui est amenée à s'exprimer et à s'affirmer de plus en plus dans le développement des luttes. C'est une dimension indispensable, incontournable et déterminante de la lutte. La classe ouvrière est amenée à faire l'expérience que lorsqu'une partie d'entre elle subit une attaque, c'est la classe tout entière qui est visée et qui subira demain la même attaque si elle ne réagit pas. Le soutien à une lutte, ce n'est pas une question de solidarité financière à laquelle les syndicats la réduisent, mais c'est ne pas la laisser isolée, c'est d'en être partie prenante, d'y participer activement, d'entrer dans la lutte, de l'élargir et de se donner les moyens d'entraîner à son tour de nouveaux secteurs dans le combat au-delà des barrières corporatistes. C'est en renouant avec de telles expériences, c'est en participant le plus nombreux possible au combat de classe, que les prolétaires pourront renforcer leur confiance dans leur capacité d'imposer un rapport de force à la bourgeoisie et leur sentiment d'appartenir à une même classe qui est la seule force sociale porteuse d’une perspective d’un renversement de ce système et d’un futur pour l’humanité.

W (24 février)



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