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Avec la Macédoine, c'est une nouvelle partie des Balkans qui est à son tour au bord de l'implosion et du chaos. Après la Croatie, la Bosnie et le Kosovo, ce nouveau foyer de guerre risque de déstabiliser et d'embraser une fois de plus cette région mise à feu et à sang depuis dix ans. Et une fois de plus, les populations locales sont exposées aux massacres et à la barbarie guerrière à travers le déchaînement des affrontements de cliques nationalistes.
Le conflit oppose la police et l'armée macédoniennes à la guérilla séparatiste et nationaliste de l'UCK, nouveau bras armé de la même mafia albanaise qui sévissait déjà au Kosovo avant d'être officiellement dissout.
Les ingrédients d'une nouvelle poudrière
La Serbie s'est également mise sur pied de guerre contre d'autres milices pro-albanaises, après un an d'escarmouches sporadiques qui menaçaient le sud de la Serbie dans la vallée de Presevo et à Tanusevci, village frontalier entre la Macédoine et le Kosovo. L'OTAN et en premier lieu la Maison Blanche a même autorisé l'armée serbe à faire une incursion à l'intérieur de la zone de sécurité (zone d'exclusion terrestre) mise en place depuis juin 1999 autour de la frontière kosovare. Cette concession vise à empêcher les miliciens pro-albanais d'agir directement contre la Serbie. En contrepartie, la Serbie a présenté une "plate-forme" de négociations qui s'est conclue par un accord de cessez-le-feu sous l'égide de l'OTAN le 12 mars avec une autre fraction de la guérilla pro-albanaise (l'UCPMB). La zone de combats s'est alors déplacée et concentrée sur la Macédoine autour de Tetovo, la deuxième ville du pays, proche du Kosovo abritant une population à 80% albanophone (alors que la population d'origine albanaise compose près d'un tiers de la population de la Macédoine).
Dix ans après la proclamation de son indépendance en 1991, suite à l'éclatement de la Yougoslavie, la Macédoine se retrouve au coeur des conflits dans les Balkans alors qu'elle avait déjà été à l'origine de la plupart des guerres bal-kaniques au tournant du 19e et du 20e siècles. Elle fut d'abord le théâtre d'un soulèvement des peuples de la région contre la domination ottomane, provoquant la guerre entre la Grèce et la Turquie en 1897. Puis, après sa "libération" qui signait une étape décisive dans la désagrégation et le dépeçage de l'empire ottoman à l'issue de la première guerre balkanique en 1912, la question du partage de la Macédoine fut l'enjeu impérialiste majeur d'un second conflit meurtrier qui opposa notamment la Serbie et la Grèce à la Bulgarie. Ce fut l'un des prémices de la première boucherie mondiale. Les mêmes antagonismes que par le passé sont prêts à resurgir à la première occasion, non seulement la vieille rivalité entre Serbes et Albanais, ravivée par la guerre au Kosovo, mais le territoire macédonien est également revendiqué par la Bulgarie et par la Grèce.
Le rôle des grandes puissances
Face à la récente évolution de la situation, on a assisté à un revirement spectaculaire des positions de la plupart des grandes puissances par rapport à la Serbie. Depuis le départ de Milosevic et son remplacement par Kostunica, cet Etat est devenu beaucoup plus "présentable" pour les démocraties occidentales qui ont entrepris la "normalisation" progressive de leurs relations avec la Serbie. On essaie de nous faire croire que les grandes puissances au sein de l'OTAN (avec le mandat et la présence de 42 000 soldats de la KFOR) agiraient en garants de la paix et de la démocratie et en gendarmes du monde comme grands défenseurs de la civilisation contre les déchaînements nationalistes et les abus des "méchants" quels qu'ils soient. Hier, c'étaient les Serbes qui auraient été sous l'emprise d'un dictateur accusé de vouloir restaurer une "grande Serbie", aujourd'hui ce sont les Serbes et les populations slaves de Macédoine que l'on prétend protéger et les Albanais qu'on montre du doigt en soupçonnant leur gouvernement de vouloir constituer une "grande Albanie". La "communauté internationale" prétendait pourtant il y a deux ans à peine défendre la population albanophone du Kosovo et voler à son secours. Ce prétexte humanitaire était même la justification essentielle de l'intervention meurtrière de l'OTAN. Ce prétexte n'était que pur mensonge. En déclenchant leurs opérations militaires, les forces alliées savaient très bien qu'elles poussaient ainsi Milosevic à intensifier et généraliser sa politique de déportation massive de populations locales. De plus, les bombardements au Kosovo ont transformé la région en un véritable champ de ruines. Et la partition sectorielle du Kosovo sous le contrôle de l'OTAN qui était censée porter un coup d'arrêt à l'épuration ethnique de Milosevic n'a fait que parquer les populations locales vivant toujours dans la même misère dans des ghettos barbelés en entretenant en permanence un climat de haine interethnique.
Comme dans tous les conflits balkaniques depuis dix ans, ce n'est nullement pour les raisons qu'elles avancent que les grandes puissances se mêlent de la situation et s'interposent aujourd'hui en Macédoine mais pour défendre chacune leurs propres intérêts et leurs propres positions impérialistes dans la région. Le même appétit impérialiste anime tous les Etats, des plus petits aux plus grands. Actuellement, les grandes puissances soutiennent pour l'instant toutes ouvertement le gouvernement macédonien et l'OTAN a demandé l'envoi de renforts de troupes pour faire face aux mouvements de maquisards pro-albanais entre les frontières serbes et macédoniennes. Mais, derrière l'unité de façade des grandes puissances, se dissimulent les mêmes clivages et les mêmes intérêts impérialistes particuliers qui se sont déjà affirmés dans les différents conflits qui se sont succédés depuis dix ans dans les Balkans. Chacune d'entre elles s'appuie sur des cliques et des gangs nationalistes locaux. Comme en Croatie, en Bosnie ou au Kosovo, les intérêts des grandes puissances divergent profondément et si tous apparaissent soucieux de ne pas jeter ouvertement d'huile sur le feu, au sein de la KFOR, chacun entend tirer profit de la situation au mieux de ses intérêts stratégiques. Et si l'occasion s'en présente, ces divergences d'intérêts ne manqueront pas de s'affirmer également par rapport à la Macédoine.
Ainsi, la France, après avoir été contrainte l'an dernier de participer en première ligne aux bombardements de l'OTAN sur la Serbie pour pouvoir maintenir sa présence dans les Balkans (sous la forme de troupes d'occupation d'une partie du Kosovo au sein de la KFOR), retrouve ici l'occasion de pouvoir rejouer à fond sa carte d'alliances plus traditionnelles, d'une part en se rapprochant à nouveau de son ex-alliée, la Serbie, d'autre part en apportant son soutien empressé à la Macédoine. Elle se retrouve d'ailleurs comme par le passé associée à la Grande-Bretagne dans cette entreprise. Au début des affrontements, c'est à Paris qu'a accouru le président macédonien pour réclamer de l'aide et huit jours après, le ministre des affaires étrangères faisait escale à Skopje pour annoncer : "Nous ne voulons pas laisser des groupes terroristes remettre en cause la stabilité de la Macédoine et de toute la région" tandis qu'un autre porte-parole du Quai d'Orsay déclarait "nous soutenons la politique de modération et de retenue du gouvernement macédonien".
Quant à l'Allemagne qui a poussé activement il y a dix ans la Croatie et la Slovénie vers l'indépendance encourageant ainsi dès l'origine l'éclatement de l'ex-Yougoslavie et qui a soutenu déjà activement l'UCK kosovar, son objectif ne peut qu'être toujours le même dans les Balkans : celui d'accroître l'isolement de la Serbie et surtout de tisser autour de cette dernière un réseau d'Etats germanophiles dont elle compte tirer profit ultérieurement. Car l'objectif impérialiste majeur de l'Allemagne est plus lointain, il est de déposséder la Serbie d'un accès à la Méditerranée en provoquant la sécession du Monténégro.
Le principal intérêt des Etats-Unis est de préserver au maximum l'ordre et le statu quo sur le terrain comme à la tête des forces de l'OTAN pour contenir les initiatives intéressées des autres puissances européennes et rester les maîtres du jeu dans les Balkans qu'ils ont de plus en plus de mal à contrôler.
Enfin, la Russie, en réclamant à cor et à cri une intervention militaire musclée contre les " terroristes albanais ", vise toujours à se poser en parrain impérialiste le plus sûr de la Serbie.
C'est pourquoi compter sur la "communauté internationale" et sur l'OTAN pour éviter la spirale du chaos dans les Balkans comme le mettent en avant tous les gouvernements et tous les médias relève d'une illusion complète. Déjà, les uns et les autres cherchent à tirer profit d'affrontements limités pour jouer chacun leurs propres cartes. Mais c'est aussi jouer avec le feu. Il est évident que l'extension du conflit à toute la Macédoine et son risque d'éclatement pousseraient d'autres Etats directement intéressés à son sort comme la Bulgarie ou la Grèce à intervenir plus activement. Ce serait alors une nouvelle étape dans l'escalade guerrière, le conflit débordant pour la première fois depuis 1991 des frontières de l'ex-Yougoslavie. La conscience des dangers d'un tel dérapage possible ressortait d'ailleurs dans un article du Monde daté des 18 et 19 mars : "Si la flambée de violence s'étendait à l'ensemble de la communauté albanaise et si l'intégrité de la Macédoine était menacée, il serait alors bien difficile de contenir les appétits des uns et des autres et surtout d'empêcher que (...) ne se déclenchent des réactions en chaîne." Pourquoi ? Parce que l'enfoncement inexorable du capitalisme dans la spirale de la barbarie guerrière ne connaît pas de limites. C'est une des manifestations de la faillite de ce système pour toute l'humanité. Mais cela, la presse bourgeoise ne le dira jamais.
CB (20 mars)