Au crépuscule de l’ancienne Rome, les empereurs fous étaient davantage la règle que l’exception. Peu d’historiens doutent désormais que c’était le signe de la décrépitude générale de l’Empire. Aujourd’hui, un clown effrayant a été fait roi de l’État le plus puissant du monde, et pourtant personne ne semble comprendre que c’est le signe que la civilisation capitaliste a également atteint un stade avancé de décadence. Le surgissement du populisme dans les épicentres du système, qui nous a apporté en un court laps de temps à la fois le Brexit et la victoire de Donald Trump, exprime le fait que la classe dominante est en train de perdre le contrôle de la machine politique qu’elle a durant des décennies utilisée pour contrôler la tendance naturelle du capitalisme à son propre effondrement. Nous assistons à une énorme crise politique, produite par la décomposition qui s’accélère de tout l’ordre social, du fait de la complète incapacité de la classe dominante à offrir à l’humanité une quelconque perspective pour le futur. Mais le populisme est aussi un produit de l’incapacité du prolétariat, la classe exploitée, à mettre en avant une alternative révolutionnaire, avec pour résultat qu’il existe un grave danger d’être entraîné dans une réaction basée sur la rage impuissante, la peur, la transformation de minorités en boucs émissaires, et l’illusoire recherche d’un retour à un passé qui n’a jamais vraiment existé. Cette analyse des racines du populisme en tant que phénomène global est développée plus profondément dans notre article : “Contribution sur le problème du populisme”, et nous encourageons tous nos lecteurs à examiner le cadre qu’offre ce texte, ainsi que notre réponse initiale au résultat du Brexit et à l’émergence de la candidature Trump : “Brexit, Trump : des revers pour la bourgeoisie qui ne présagent rien de bon pour le prolétariat”. Ces deux textes sont parus dans la Revue internationale no 157.
Nous avons également publié un article de notre sympathisant américain Henk (article disponible sur le site internet du CCI) : “Trump ou Clinton : aucun des deux n’est un bon choix, ni pour la bourgeoisie, ni pour le prolétariat”. Cet article écrit début octobre examinait les efforts frénétiques des fractions les plus “responsables” de la bourgeoisie américaine, aussi bien démocrates que républicaines, pour empêcher Trump d’accéder à la Maison Blanche 1. Ces efforts ont évidemment échoué, et l’une des causes les plus immédiates de cet échec restera l’incroyable intervention du directeur du FBI, James Comey, juste au moment où Clinton semblait prendre l’avantage dans les sondages. Le FBI, le véritable cœur de l’appareil d’État américain, a lourdement obéré les chances de Clinton de l’emporter en annonçant qu’elle pourrait faire l’objet d’une enquête criminelle du FBI, lequel menait des investigations sur l’usage qu’elle avait fait d’un serveur de mail privé, ce qui allait à l’encontre des principes les plus élémentaires de la sécurité de l’État. Une semaine plus tard, Comey tentait de revenir en arrière en annonçant qu’il n’y avait rien de bien fâcheux dans les éléments que le FBI avait examinés. Mais le mal était fait, et le FBI apportait une contribution majeure à la campagne de Trump, dont les soutiens ont chanté à tue-tête le slogan : “Enfermez-la” 2. L’intervention du FBI n’est qu’une nouvelle expression de la croissante perte de contrôle politique de l’appareil d’État central.
L’article “Trump ou Clinton” commence par réaffirmer clairement la position communiste sur la démocratie bourgeoise et les élections dans la période historique que nous vivons : elles ne sont qu’une gigantesque escroquerie qui n’offre aucun choix pour la classe ouvrière. Peut-être est-ce au cours de cette élection que l’absence de choix a été la plus remarquable, un combat entre le bateleur Trump, arrogant, ouvertement raciste et misogyne, et Clinton qui personnifie l’ordre “néo-libéral”, la forme dominante de capitalisme d’État qui règne depuis trois décennies. Confrontée à un choix entre la peste et le choléra, une part importante de l’électorat, comme c’est toujours le cas dans les élections américaines, n’est pas allée voter du tout ; une estimation initiale de la participation donnait un chiffre d’un peu plus de 54 %, en-dessous de celui de 2012 malgré toutes les pressions pour aller voter. En même temps, beaucoup de ceux qui étaient critiques vis-à-vis des deux camps, notamment de celui de Trump, ont voulu voter Hillary pour choisir le moindre mal. Nous savons quant à nous que s’abstenir d’aller voter aux élections bourgeoises juste parce qu’on n’a aucune illusion sur le choix proposé n’est que le début de la sagesse : il est essentiel, bien que ce soit très difficile lorsque la classe n’agit pas en tant que classe, de montrer qu’il existe une autre façon d’organiser la société, et qu’elle passe par la destruction de l’État capitaliste. Et dans cette période post-électorale, ce rejet de la politique et de l’ordre social existants, cette insistance sur la nécessité pour la classe ouvrière de se battre pour ses intérêts propres en dehors et contre la prison que constitue l’État bourgeois, ne sont pas moins pertinents, parce que beaucoup iront plus loin que le simple réflexe anti-Trump, qui n’est qu’une sorte d’antifascisme revu et corrigé (3 et ne pourra à terme que s’aligner sur l’une ou l’autre faction “démocratique” de la bourgeoisie, très probablement avec celles qui parleront le plus de classe ouvrière et de socialisme, comme Bernie Sanders l’a fait au cours des primaires démocrates 4.
Il n’est pas ici question d’analyser en détail les motifs et la composition sociale de l’électorat de Trump. Il n’y a aucun doute que la misogynie, la rhétorique anti-femmes qui a été si centrale dans sa campagne, a joué un rôle et devrait faire l’objet d’une étude particulière, notamment en tant qu’élément du “retour du masculin” en réaction aux changements sociaux et idéologiques dans les relations de genres au cours de la dernière décennie. De la même façon, nous avons assisté à un sinistre développement du racisme et de la xénophobie dans tous les pays centraux du capitalisme, et cela a joué un rôle clé dans la campagne de Trump. Il existe cependant des éléments particuliers au racisme aux États-Unis qui doivent être analysés : à court terme, la réaction à la présidence d’Obama et la version américaine de la “crise des migrants”, à long terme tout l’héritage de l’esclavagisme et de la ségrégation. Au vu des premiers résultats électoraux, on peut entrevoir la longue histoire de la division raciale aux États-Unis dans le fait que le vote pro-Trump était très largement blanc (même s’il a mobilisé un nombre très significatif d’Hispaniques) alors qu’autour de 88 % des électeurs noirs ont choisi le camp Clinton. Nous reviendrons sur ces questions dans de futurs articles.
Mais ainsi que nous le disons dans notre contribution sur le populisme, nous pensons que l’élément peut-être le plus important de la victoire de Trump a été la rage contre l’“élite” néo-libérale, elle-même identifiée à la globalisation et à la financiarisation de l’économie, des processus macro-économiques qui ont enrichi une petite minorité aux dépends de la majorité, et avant tout aux dépends de la classe ouvrière des vieilles industries manufacturières et minières. “Globalisation” a signifié démantèlement des industries manufacturières et leur transfert vers des pays comme la Chine où la main-d’œuvre est beaucoup moins chère et le profit par conséquent bien plus élevé. Cela a également signifié la “liberté de circulation du travail”, ce qui pour le capitalisme est un autre moyen de faire baisser les coûts de la main-d’œuvre à travers la migration des pays “pauvres” vers les pays “riches”. La financiarisation a signifié pour la majorité la domination de lois du marché toujours plus mystérieuses dans la vie économique. Plus concrètement cela a signifié le krach de 2008 qui a ruiné tant d’investisseurs et d’aspirants propriétaires.
Encore une fois, il faudrait des études statistiques plus détaillées, mais il apparaît que la base électorale de la campagne de Trump était le soutien de blancs peu éduqués et notamment d’ouvriers de la “Rust Belt”, les nouveaux déserts industriels qui ont voté Trump pour protester contre l’ordre politique établi, personnifié par la soi-disant “élite libérale métropolitaine”. Beaucoup de ces mêmes ouvriers ou régions avaient voté pour Obama lors des précédentes élections, et ont soutenu Bernie Sanders lors des primaires démocrates. Leur vote était avant tout un vote contre ; contre l’inégalité de plus en plus grande, contre un système dont ils considèrent qu’il les a privés, eux et leurs enfants, de tout futur. Mais cette opposition avait surtout pour arrière-plan l’absence totale de tout mouvement réel de la classe ouvrière, et elle a donc nourri la vision populiste qui reproche aux élites d’avoir vendu le pays à des investisseurs étrangers, d’avoir donné des privilèges particuliers aux migrants, aux réfugiés et aux minorités ethniques, aux dépends de la classe ouvrière “native”, et aux ouvrières aux dépends des ouvriers masculins. Les éléments racistes et misogynes du trumpisme marchent main dans la main avec les attaques rhétoriques contre les “élites”.
Nous n’allons pas spéculer sur ce que sera la présidence Trump ou quelle politique il va essayer de mener. Ce qui caractérise Trump avant tout est son imprévisibilité, il ne sera donc pas facile de prévoir les conséquences de son règne. Cependant, si Trump pouvait raconter tout et son contraire à tout bout de champ sans que cela ne semble aucunement affecter ses soutiens, ce qui a marché pendant la campagne risque de ne pas fonctionner aussi bien une fois aux affaires. Ainsi Trump s’est-il présenté lui-même comme l’archétype du self-made-man, et il parle de libérer le businessman américain de la bureaucratie, mais il a aussi parlé d’un programme massif de restauration des infrastructures dans les centres-villes, de constructions de routes, d’écoles et d’hôpitaux, et de revitalisation de l’industrie des carburants fossiles en abolissant les limites imposées par la protection environnementale, et tout cela implique une intervention lourde de l’État capitaliste dans l’économie. Il s’est engagé à expulser des millions d’immigrants illégaux, alors même qu’une grande part de l’économie américaine dépend de cette main-d’œuvre bon marché. En matière de politique étrangère, il a combiné le langage de l’isolationnisme et du retrait (par exemple en menaçant de réduire l’engagement américain dans l’OTAN) à celui de l’interventionnisme, comme lorsqu’il menaçait de “bombarder le diabolique État islamique”, tout en promettant d’augmenter les budgets militaires.
Ce qui semble certain, c’est que la présidence de Trump sera marquée par des conflits, aussi bien au sein de la classe dominante qu’entre l’État et la société. Il est vrai que le discours de victoire de Trump était un modèle de réconciliation : il sera le “président de tous les Américains”. Et Obama, avant de le recevoir à la Maison Blanche, a expliqué qu’il souhaitait que la transition soit la plus douce possible. De plus, le fait qu’il y a maintenant une large majorité républicaine au Sénat et au Congrès peut signifier, si l’establishment républicain réussit à dépasser sa profonde antipathie envers Trump, qu’il sera capable d’avoir leur soutien pour un certain nombre de décisions, même si les plus démagogiques pourraient bien être mises en attente. Mais les signes de tensions et d’éclats futurs ne sont pas difficiles à voir. Une partie de la hiérarchie militaire, par exemple, est très hostile à certaines options de politique étrangère, si Trump persiste dans son scepticisme envers l’OTAN, ou s’il traduit son admiration de Poutine en tentatives de saper les efforts américains pour contrer la dangereuse résurgence de l’impérialisme russe en Europe de l’Est ou au Proche-Orient. Certaines de ses options de politique intérieure pourraient bien entraîner une opposition de l’appareil sécuritaire, de la bureaucratie fédérale et de certaines parties de la grande bourgeoisie, lesquels pourraient décider de s’assurer que Trump ne les mène pas au suicide. Entre-temps, la disparition politique de la “dynastie Clinton” permettra à de nouvelles oppositions d’émerger, et entraînera peut-être des scissions au sein du Parti démocrate, avec l’émergence probable d’une aile gauche autour de personnalités comme Bernie Sanders qui vont chercher à capitaliser sur l’atmosphère d’hostilité envers l’establishment économique et politique.
Au niveau social, si la Grande-Bretagne de l’après-Brexit peut donner un aperçu, nous verrons probablement une sinistre floraison de xénophobie “populaire” et de groupes ouvertement racistes qui vont se sentir encouragés à réaliser leurs fantasmes de violence et de domination ; en même temps, la répression policière contre les minorités ethniques pourrait bien atteindre de nouveaux sommets. Et si Trump commence sérieusement à réaliser sont programme d’emprisonnement et d’expulsion des “illégaux”, cela pourrait provoquer des résistances de rues, en continuité avec des mouvements que nous avons vus se développer ces dernières années à la suite des meurtres de Noirs par la police. De même, depuis que le résultat de l’élection a été proclamé, on a vu toute une série de manifestations de colère dans différentes villes à travers tous les États-Unis, auxquelles ont participé des jeunes absolument écœurés par la perspective d’un gouvernement mené par Trump.
Au niveau international, la victoire de Trump ressemble, comme il l’a dit lui-même, à un “Brexit plus plus plus”. Elle a déjà donné une impressionnante impulsion aux partis populistes de droite en Europe occidentale, déjà au Front national en France alors que se profilent les élections présidentielles de 2017. Ces partis veulent se retirer des organisations multilatérales du commerce et mettre en place un protectionnisme économique. Les déclarations les plus agressives de Trump ont été dirigées contre la compétition économique chinoise, et cela peut signifier que nous sommes embarqués dans une guerre économique, ce qui, comme dans les années 30, contracterait encore un marché mondial déjà saturé. Le modèle néo-libéral a bien servi le capitalisme mondial au cours des deux dernières décennies, mais il approche maintenant de ses limites, et ce qui nous attend ensuite est porteur du danger que la tendance au “chacun pour soi” que nous avons vue se développer au niveau impérialiste ne soit transférée à la sphère économique, où jusqu’à présent elle a été plus ou moins tenue en échec. Trump a ainsi déclaré que le réchauffement climatique est un mensonge inventé par les Chinois pour soutenir leur exportations, et qu’il a l’intention de dénoncer tous les accords internationaux actuels sur le changement climatique. Nous savons déjà combien ces accords sont limités, mais les ruiner signifierait nous plonger encore plus profondément dans le désastre écologique mondial qui s’annonce.
Nous le répétons : Trump symbolise une bourgeoisie qui a véritablement perdu toute perspective pour la société actuelle. Sa vanité et son narcissisme ne signifient pas qu’il soit lui-même fou, mais il personnifie la folie d’un système qui a usé toutes ses options, sauf celle de la guerre mondiale. Malgré sa décadence, la classe dominante depuis un siècle a été capable d’utiliser ses propres appareils politique et militaire – en d’autres termes, son intervention consciente en tant que classe – pour empêcher une complète perte de contrôle, un dernier effort face à la tendance inhérente au capitalisme de se précipiter vers le chaos. Nous allons maintenant montrer les limites de ce contrôle, même s’il ne faut pas sous-estimer la capacité de notre ennemi de trouver de nouvelles solutions temporaires. Le problème pour notre classe est que l’évidente banqueroute de la bourgeoisie à tous les niveaux – économique, politique, moral – ne génère pas, à l’exception du tout petit groupe de révolutionnaires, de critique révolutionnaire du système, mais est plutôt dévoyée dans la rage et le poison de la division dans nos rangs. Cela entraîne une sérieuse menace pour la possibilité future de remplacer le capitalisme par une société humaine.
Cependant, l’une des raisons pour lesquelles la guerre mondiale n’est pas possible aujourd’hui, malgré la sévérité de la crise du capitalisme, est que la classe ouvrière n’a pas été défaite dans des combats ouverts et porte toujours des capacités intactes de résistance, ainsi que nous l’avons vu au cours de différents mouvements de masse au cours de la dernière décennie, comme la lutte des étudiants français en 2006 contre le CPE ou la révolte des Indignados en Espagne en 2011, ou encore le mouvement des Occupy aux Etats-Unis la même année. En Amérique, on peut distinguer les hérauts de cette résistance dans les manifestations contre les meurtres commis par la police et dans les manifestations anti-Trump qui ont suivi son élection, même si ces mouvements n’ont pas pris de réel caractère de classe et sont très vulnérables à la récupération par des politiciens professionnels de gauche, par différentes catégories de nationalistes ou par l’idéologie démocratique. Pour que la classe ouvrière puisse dépasser à la fois la menace populiste et la fausse alternative offerte par l’aile gauche du capital, il faut quelque chose de plus profond, un mouvement d’indépendance prolétarienne qui soit capable de se comprendre lui-même comme mouvement politique et qui puisse se réapproprier les traditions communistes de notre classe. Ce n’est pas pour l’immédiat, mais les révolutionnaires ont aujourd’hui un rôle à jouer pour préparer un tel mouvement, avant tout en combattant pour la clarté politique et théorique qui peut éclairer le chemin à travers le brouillard de l’idéologie capitaliste sous toutes ses formes.
Amos, 13 novembre 2016
1 Un exemple pour montrer à quel point l’opposition républicaine à Trump est développée : l’ancien président George W. Bush lui-même, pourtant pas vraiment membre de la gauche du parti, a annoncé qu’il voterait blanc plutôt que Trump.
2 Lock her up en anglais.
3 Notre rejet de la politique d’alliances “antifascistes” avec quelque secteur de la classe dominante que ce soit est un héritage de la Gauche communiste d’Italie, qui a très correctement compris que l’antifascisme n’était qu’un moyen d’embrigader la classe ouvrière dans la guerre. Lire : “Antifascisme : une expression de confusion”, un texte de la revue Bilan republié dans la Revue internationale no 101.
4 Pour aller plus loin sur Sanders, lire l’article : “Trump ou Clinton”.
Le 19 décembre dernier, un terroriste fonçait en camion sur une foule déambulant au marché de Noël de Berlin, causant 12 morts et environ 50 blessés. Le conducteur, Anis Amri, un jeune migrant embrigadé par l’État islamique (EI), était abattu quatre jours plus tard par la police milanaise.
Ce carnage n’est évidemment pas sans rappeler l’horreur de l’attentat de Nice et confirme le fait que les attaques sanguinaires deviennent une réalité quotidienne et sordide pour les populations des principales puissances capitalistes, comme elles le sont depuis plusieurs années dans de nombreuses autres régions du monde 1. Ces derniers jours, la vie de dizaines de personnes a aussi été fauchée en Turquie et en Irak. En 2016, on dénombre pas moins de quatre attentats et attaques revendiqués par l’EI rien qu’en Allemagne ; l’organisation terroriste cherchait visiblement à frapper un grand coup au cœur de la première puissance européenne, symbole d’une certaine stabilité et prospérité. La barbarie d’un monde capitaliste putréfié, où des régions entières pataugent dans les trafics les plus glauques, les guerres les plus sales et la terreur permanente, se répand désormais dans une Europe jusqu’alors présentée comme un “havre de paix” depuis 1945. Non seulement le chaos impérialiste mondial, auquel les bourgeoisies occidentales contribuent grandement, frappe à présent le cœur historique du capitalisme, mais nous assistons également à l’explosion de la violence accumulée et intériorisée par une partie de la population locale, comme l’ont attesté les précédents attentats en France ou en Belgique, par exemple.
Cet effroyable événement pourrait, par ailleurs, être un facteur supplémentaire de fragilisation de l’appareil politique allemand. En campagne pour, selon toute vraisemblance, conserver la chancellerie fédérale, Angela Merkel est néanmoins contestée jusque dans son propre camp pour sa politique d’accueil des migrants en 2015. Le parti populiste Alternative für Deutschland (AfD) et les factions les plus droitières de la coalition autour de la CDU ont cherché à se renforcer en brandissant le parcours de migrant d’Anis Amri qui confirmerait, selon eux, que des djihadistes se sont bel et bien infiltrés dans les flux migratoires et représenteraient un danger pour le pays. Au-delà des frontières allemandes, l’attentat pourrait contribuer à déstabiliser un peu plus le jeu démocratique des États européens, d’autant plus que le terroriste a pu tranquillement circuler dans plusieurs pays avant d’être abattu.
L’acte barbare perpétré par Anis Amri exprime ainsi par bien des aspects la déliquescence du capitalisme que la bourgeoisie a néanmoins su exploiter pour renforcer l’encadrement totalitaire de la population et justifier la fuite en avant militariste, mal nommée “lutte contre le terrorisme”.
Derrière les élans de solidarité hypocrite des chefs d’État du monde entier, l’attentat du 19 décembre a surtout permis de justifier partout le renforcement de la surveillance généralisée de la population et de l’appareil répressif. Alors que le terroriste n’était pas encore arrêté, la presse du monde entier n’a ainsi pas trouvé de mots assez durs pour incriminer les “failles de l’antiterrorisme allemand”, dénonçant, pêle-mêle, la faible présence de la police dans les rues de Berlin, l’inertie des services de renseignement ou les défaillances de la coopération internationale en la matière. Il est vrai que le traumatisme du nazisme et des méthodes de la Stasi contraint la police à une certaine discrétion, mais l’Allemagne compte, comme ses voisins européens, plusieurs centaines de milliers de policiers et dépenses des dizaines de milliards d’euros pour maintenir l’ordre et assurer la “sécurité nationale”. Les services secrets connaissaient d’ailleurs parfaitement la menace que représentait Anis Amri, déjà fiché et surveillé.
La méfiance de la population en Allemagne sur les mesures sécuritaires n’a néanmoins pas suffi à empêcher l’État d’instrumentaliser l’émotion et les peurs. Angela Merkel déclarait ainsi : “Nous allons à présent examiner de manière intensive ce qui doit être changé dans l’arsenal des mesures dont dispose l’État”. Aussitôt, au nom de “la défense de notre mode de vie et de nos libertés”, les forces de l’ordre étaient massivement déployées dans tout le pays sous l’œil des caméras des journaux de télévision du monde entier.
Le renforcement spectaculaire des services de renseignement et de la surveillance généralisée était également mis ouvertement à l’ordre du jour. Initiée par les États-Unis et leur Patriot Act, suite aux attentats du 11 septembre 2001, la mise en place de dispositifs sécuritaires exceptionnels a fait école dans l’ensemble des grandes démocraties. Ces mesures, qui font souvent passer la Stasi ou le KGB pour une bande d’amateurs, n’ont finalement jamais freiné le développement du terrorisme. En réalité, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une expansion du contrôle totalitaire de l’État confronté au pourrissement sur pied de la société où n’importe quel paumé peut se transformer en boucher, n’importe quelle bande de supporters en horde ultra-violente, n’importe quelle frustration littéralement exploser dans les lieux publics.
Toutefois, si le renforcement sécuritaire ne répond aujourd’hui à aucune menace révolutionnaire immédiate, il n’en constitue pas moins un coup porté à l’avenir de la classe ouvrière. A terme, outre leur banalisation dans les esprits, ces mesures auront pour effet d’intimider, criminaliser et réprimer toute expression sérieuse de remise en cause des rapports sociaux capitalistes, et même toute forme de révolte contre la dégradation toujours plus insoutenable des conditions de vie.
Les gouvernements des grandes puissances ont par ailleurs profité des attentats pour rajouter une couche sur la prétendue nécessité d’intervenir militairement contre l’EI au nom de la “protection de la population”.
Quel grossier mensonge ! Les grandes puissances impérialistes jouent elles-mêmes un rôle absolument central dans la descente de la planète dans l’enfer guerrier permanent ; elles instrumentalisent n’importe quel seigneur de guerre pour la défense de leurs intérêts impérialistes (comme en Syrie où au moment des “révolutions arabes” les puissances occidentales ont soutenu ou armé des groupes islamistes opposants), sont prêtes à s’adjoindre les services du premier groupuscule fondamentaliste venu, et il faudrait soutenir leur “croisade contre le terrorisme” parce qu’elles n’ont rien d’autre à offrir que la fuite en avant guerrière pour tenter vainement de freiner la dynamique chaotique qu’elles ont largement contribué à créer ? Les ancêtres de Al-Qaïda, qui vient de se prendre une raclée par l’armée russe à Alep, n’étaient-ils pas des alliés choyés par les États-Unis dans leur lutte contre l’URSS ? L’EI n’a-t-il pas émergé grâce au soutien actif de l’Arabie saoudite à qui la France n’a pas hésité à vendre armes et avions de guerre pour 10 milliards ? En réalité, la bourgeoisie n’ignore pas que toutes les interventions militaires “contre le terrorisme” continueront à engendrer plus de chaos, plus de terroristes et de bigots fanatiques. Elles sont prises au piège d’un machine infernale, celle de la logique meurtrière du capitalisme, que seule la révolution prolétarienne pourra briser !
EG, 3 janvier 2016
1 Pour mieux comprendre le contexte dans lequel s’inscrit cette vague d’attentats au cœur des grandes puissances capitalistes, nous conseillons la lecture des articles suivants :
Le 25 novembre dernier, Fidel Castro, le dictateur aux cinquante années de pouvoir, le dernier héraut du stalinisme, disparaissait à l’âge de 90 ans. Malgré des tonalités différentes, les hommages des représentants des principales puissances capitalistes, d’Obama à Poutine, de Hollande à Assad, montrent à quel point le champion du stalinisme caribéen fut un agent actif de la bourgeoisie contre le prolétariat mondial durant des décennies. Les hommages les plus élogieux sont bien évidemment venus de la gauche du capital. A commencer par Jean-Luc Mélenchon qui le 26 novembre au soir, devant la statue de Simón Bolivar, s’est laissé aller à une apologie sans bornes de l’ancien dictateur, louant le “défenseur des opprimés”, soulignant les prouesses des médecins cubains auprès des peuples américains, mais passant sous silence les milliers de victimes et de persécutés ayant péri dans les prisons de l’île pour avoir dit ou écrit un mot de travers ou pour avoir eut le “malheur” d’avoir une orientation sexuelle “déviante” comme le raconta Reynaldo Arenas dans son ouvrage : Avant la nuit. Le leader de “la France insoumise” réduit ces faits à de simples “erreurs” et masque le macabre derrière un lyrisme de bas étage : “Fidel ! Fidel ! Mais qu’est-ce qui s’est passé avec Fidel ? Demain était une promesse. Fidel ! Fidel ! L’épée de Bolivar marche dans le ciel.” La classe dominante a toujours su reconnaître la valeur de ses chiens de garde. D’un autre côté, le futur président américain Donald Trump a “condamné” “le dictateur brutal qui a opprimé son peuple” et s’est engagé “à faire tout” pour libérer le peuple cubain. Pure hypocrisie dans la bouche d’un homme qui n’a que faire du sort des Cubains. En réalité, Trump n’a fait que s’opposer à la ligne politique de l’administration Obama tout en restant indécis sur la position qu’il adoptera sur la question cubaine, même si pour le moment, il s’est dit hostile à la levée de l’embargo commercial.
Même mort, Castro n’en finit pas de servir la falsification de la révolution et du communisme sous les traits du capitalisme d’État stalinien. Derrière les hommages plus ou moins bienveillants, les médias et le monde politique en profitent pour enfoncer le clou et drainer une nouvelle fois l’idée du caractère illusoire de la perspective révolutionnaire et du communisme. Car, prétend la bourgeoisie, tous les régimes apparus au xxe siècle en Russie et dans une partie de l’Est de l’Europe, en Chine ou bien encore à Cuba à partir de 1961, et qui, comme chacun sait, ont maintenu dans l’oppression des millions de personnes, prouveraient l’incapacité des hommes à dépasser l’exploitation et la domination d’une classe sociale sur une autre. La disparition de Fidel Castro serait donc une confirmation de la mort de ce “communisme” après la chute du mur de Berlin en 1989 et la disparition de l’URSS en 1991. Au cours des années 1990, la bourgeoisie nous avait déjà servi la même soupe en claironnant la fin de l’histoire et la marche triomphale de l’humanité vers la démocratie et l’économie de marché. Bref, le bonheur à l’état pur ! Il va sans dire que l’histoire récente est venue bousculer quelque peu cet optimisme.
La bourgeoisie sait pertinemment que le régime castriste ne fut en rien communiste, que les classes sociales n’ont pas été abolies, que les moyens de production n’ont jamais été aux mains des producteurs mais ont servi à enrichir et entretenir une cour d’apparatchiks aux ordres du lider máximo, à la table duquel rien ne manquait à l’inverse de celle des habitants de Cuba. Comme l’URSS ou la République populaire de Chine en leur temps, Cuba reste un régime où les moyens de production sont concentrés presque totalement entre les mains de l’État. Ainsi, la “révolution” cubaine n’a jamais mis fin à la loi de la valeur ni à l’exploitation salariale. De même, Castro n’a jamais eu la volonté d’abolir l’État bourgeois. Au contraire, il l’a utilisé pour maintenir sa clique au pouvoir. Ainsi, derrière le mythe de “l’État ouvrier” se cache la réalité du capitalisme d’État, cette tendance propre à la décadence capitaliste identifiée au début du xxe siècle par d’authentiques révolutionnaires et qui n’a cessée de s’affirmer par la suite.
En réalité, le parcours de Fidel Castro n’a rien à voir avec le mouvement révolutionnaire. Fils illégitime d’un riche propriétaire terrien, il suivit une scolarité religieuse chez les maristes puis chez les jésuites et obtint les doctorats de droit et de sciences sociales en 1950. Durant ces années, il devient membre de la Fédération des étudiants de l’université, le syndicat gérant l’établissement. Puis en 1947, il adhéra au parti du peuple cubain, un parti ouvertement nationaliste. Il entama ensuite une carrière d’aventurier politique et de putschiste : tentative de renversement du dictateur Trujillo en Équateur en 1948, attaque de la caserne de la Moncada, le 26 juillet 1953, après s’être vu refuser le recours en justice qu’il avait déposé contre Batista pour viol de la Constitution. Après presque deux ans de prison, il est libéré et s’exile au Mexique où il rencontre Ernesto Guevara. Il part ensuite aux États-Unis où il récolte des fonds et crée le Mouvement du 26 juillet (M26). Il débarque à Cuba en décembre 1956 avec 82 hommes et engage une lutte armée contre le régime de Batista. Ce dernier était soutenu par les États-Unis, soucieux pour leurs intérêts commerciaux sur l’île et qui considéraient que le danger que pouvait faire peser le M26 sur le contrôle de cette région était maigre. Après trois ans de guérilla, Castro et ses partisans prennent le pouvoir au nom du “peuple cubain” sans que celui-ci n’ait joué un véritable rôle dans cette prétendue révolution. D’ailleurs, le Mouvement du 26 juillet ne s’est jamais revendiqué du marxisme et de la révolution communiste. Cette clique d’aventuriers agissait au nom du nationalisme et en cela, ils ne luttaient guère pour l’émancipation des travailleurs mais uniquement contre une dictature répressive et corrompue, étroitement liée à la mafia américaine et qui n’avait fait qu’accroître les inégalités sociales. En cela, le M26 ne mettait pas en péril la viabilité de l’État cubain mais visait uniquement à le remodeler sous une apparence plus “démocratique”.
Ainsi, le putsch castriste se distingue nettement de la prise du palais d’Hiver en Octobre 1917 en Russie qui eut au sein des soviets l’assentiment et l’adhésion de milliers d’ouvriers impliqués dans le combat révolutionnaire qui, dépassant le cadre de la Russie, se considéraient comme un premier assaut de la révolution à l’échelle mondiale. C’est une légère différence que les idéologues bourgeois ne jugent pas utile de souligner lorsqu’ils font de la “révolution cubaine” un héritage du mouvement ouvrier. Ainsi, même si quelques éléments du mouvement du 26 juillet se revendiquaient, comme Guevara, d’un prétendu marxisme, la grande majorité, à commencer par Castro lui-même, en était ouvertement très éloignée. D’ailleurs, une fois au pouvoir, Castro reçut l’aide des États-Unis qui, voyant en lui un “humaniste”, ne semblait pas au départ gêner leurs prétentions impérialistes sur l’île cubaine. Les relations furent de courte durée puisque Castro refusa de mettre l’île sous perfusion américaine. Mais dans un contexte de renforcement des blocs, toute véritable indépendance d’un pays tiers était impossible. Très rapidement, Castro dû se ranger dans le camp soviétique afin de s’assurer un appui économique et militaire. La conversion de l’État au socialisme et l’adhésion soudaine au “marxisme-léninisme” consacrait en fait le mécanisme d’absorption de chaque État par l’un des deux camps impérialistes. C’est ainsi que Fidel Castro devint un chef stalinien parmi tant d’autres à cette époque.
La légende de Castro se forgea avec la guerre froide. Depuis les années 1950, le stalinisme se présentait comme le bloc “progressiste” et “anti-impérialiste” en soutenant les “luttes de libération nationale”, prétendu passage direct vers le socialisme. En réalité, il s’agissait d’affirmer une politique strictement impérialiste. Ainsi, dès 1961-1962, Cuba devient un pion de l’URSS dans le jeu impérialiste qui opposait les deux blocs. En échange d’une aide économique et d’une reconnaissance diplomatique en Amérique centrale et du sud, Cuba servit de sergent et d’ambassadeur impérialiste de l’URSS en Afrique. Des contingents cubains furent enrôlés en Éthiopie, au Mozambique, au Yémen, en Zambie et surtout en Angola ou près de 40 000 soldats cubains assurèrent l’arrivée au pouvoir du MPLA et l’instauration d’un régime pro-soviétique. Pendant que Castro devenait le héraut de la lutte anti-impérialiste, l’URSS continuait à placer sous son aile une partie de l’Afrique.
Mais le mythe de Castro ne serait peut-être pas ce qu’il est sans la figure tutélaire d’Ernesto Guevara. Ce dernier est très souvent présenté comme un révolutionnaire, un internationaliste et un marxiste. En réalité, sa trajectoire est assez proche de son acolyte cubain. Même si Ernesto Guevara a pu se montrer critique ou distant vis-à-vis de l’URSS (au profit de la Chine maoïste), il n’en demeure pas moins qu’à travers ses épopées guerrières, le “Che” a toujours servi non pas l’internationalisme mais “l’anti-impérialisme” américain. Dans le monde bipolaire de la guerre froide, cela ne pouvait que l’amener à défendre les intérêts du camp soviétique. En effet, l’action politique du “Che” n’allait pas plus loin que la lutte à mort contre l’Amérique, ce qui ne pouvait que l’amener à théoriser la lutte nationale comme nec plus ultra du combat révolutionnaire. Lors de son fameux message à la Tricontinentale 1, il fit de la libération nationale “l’élément fondamental” de la lutte contre l’impérialisme. Or, depuis le début de la guerre froide, l’histoire nous a prouvé que ces mouvements, dans différents pays sous-développés, n’ont servi à rien d’autre qu’à la passation du pouvoir d’une clique bourgeoise à une autre. L’impérialisme est une nécessité vitale pour chaque État, petit ou grand. Ainsi, sa négation réside dans la lutte internationale contre le capitalisme dans son ensemble. A ce jour, aucune autre force sociale que le prolétariat conscient de ses buts n’a la potentialité de réaliser cette énorme tâche.
Les aficionados du lider máximo n’ont pas hésité à saluer les “bienfaits” du régime pour la population cubaine, une population qui serait bien soignée et bien éduquée. Certes, les services médicaux ont été un des piliers de la politique du régime et les médecins et infirmiers de l’île sont connus pour leur savoir-faire en la matière. De même, Cuba présente l’un des taux d’alphabétisation les plus élevés du monde. Mais, en fait, derrière ces “avancées” se cache la réalité d’une population qui vit toujours dans la terreur et la pauvreté. Jusqu’en 1990, le pays recevait des subventions de l’URSS. La chute de la puissance protectrice et le blocus américain ont montré la supercherie de “l’économie socialiste planifiée”. Sans son argent de poche, le régime dût faire face à de gros problèmes budgétaires qu’il fit peser sur la population par la hausse des impôts et la restriction en biens alimentaires. Aujourd’hui, le livret de fourniture mensuel se résume à cinq œufs, 460 grammes de haricots, 2 kilos de sucre, 225 grammes d’huile, 450 grammes de poulet, 3 kilos de riz, 115 grammes de café, un paquet de pâtes et 225 grammes de “viande” de soja. Cela ne cesse de diminuer et tout autre approvisionnement s’effectue au marché noir. Voilà à quoi en est réduit le régime : contraindre drastiquement ses exploités à la pénurie alimentaire et à la débrouille (pour ceux qui peuvent échanger en dollars) afin ne pas perdre la face.
En fait, l’économie cubaine est fortement dépendante du tourisme, du pétrole vénézuélien et des subsides envoyés par les exilés cubains. Par ailleurs, la production de canne à sucre, principal secteur d’exportation, connaît une crise sans précédent. On voit bien là que les espoirs de “l’économie socialiste” sont loin d’avoir tenus leurs promesses et l’impasse de l’économie cubaine ne fait que le confirmer. Le successeur de Fidel Castro (son frère Raúl) a amorcé une libéralisation progressive de l’économie du pays. Mais cela ne peut qu’encourager la corruption, déjà prégnante dans plusieurs secteurs de l’État, ainsi que le développement d’un “capitalisme sauvage” qui soumettra la classe ouvrière à des conditions de travail et d’existence encore plus difficiles.
Le régime cubain doit gérer la succession de Castro face à une population jeune qui s’identifie peu à “l’héritage socialiste”. Raúl Castro a annoncé qu’il quitterait le pouvoir en 2018 et prévoit de mettre aux commandes Miguel Díaz-Canel qui incarne la jeune génération. Face au risque de naufrage économique, la bourgeoisie cubaine ne peut faire que s’ouvrir au marché mondial et alléger le poids de l’État dans le marché interne. Mais sur le long terme, cela pourrait amener à remettre en cause des décennies de propagande et prendre le risque de mettre en péril le “régime socialiste” à parti unique.
Joffrey, 1er décembre 2016
1 La Conférence de solidarité avec les peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine eut lieu du 3 au 15 janvier 1966 à La Havane. Elle incarne le fameux mouvement tiers-mondiste. Mais les différentes décisions prises lors de cette conférence ne visaient qu’à soutenir le camp soviétique en désignant l’impérialisme américain comme le principal ennemi.
Nous publions ci-dessous de larges extraits d’un article de notre section en Espagne, disponible sur notre site en version originale [12].
PSOE signifie Parti socialiste ouvrier espagnol, mais ce parti n’a plus rien d’ouvrier ni de socialiste. C’est un parti de l’aile gauche du capital. Comme nous le disions lors du mouvement du 15-M (le mouvement des Indignés né le 15 mai 2011) : “PSOE et PP, c’est la même merde” ou “Entre les roses et les mouettes 1 on nous prend pour des gens bêtes”. Nous partageons cet effort de prise de conscience que des milliers de jeunes ouvriers ont exprimé sur les places et dans les rues. Le PSOE est un parti essentiel pour le capital espagnol ; en 40 années de démocratie, il a été plus de la moitié du temps à la tête du gouvernement. Le PSOE est responsable des attaques féroces que les travailleurs ont subies contre leurs conditions de vie pendant le long gouvernement de Felipe Gonzalez (1982-1996) et qui, entre autres souffrances, entraînèrent la destruction d’un million d’emplois. De la même manière, le gouvernement de Zapatero (2004-2011) entama la lourde et cruelle politique de coupes budgétaires sur tous les plans que l’actuel gouvernement [de droite] a poursuivit avec encore plus d’acharnement.
Ces derniers temps, la crise du PSOE est au centre de la scène politique. Il perd des voix à la pelle, ses dirigeants se déchirent dans une bagarre à mort, son Secrétaire général, Pedro Sanchez, a démissionné, ce qui l’a amené à perdre son siège de député… (…)
Le PSOE est un parti très expérimenté. Tout au long de son histoire, il a dû affronter de profondes divisions en son sein, qui n’ont pas entravé son unité ni sa capacité à rendre de grands services au capital espagnol. Dans les temps proches, il a pu supporter avec habilité le choc frontal entre Alfonso Guerra et Felipe Gonzalez ou entre Borrell et Almunia. Le PSOE a donc une grande capacité pour gérer ses différentes fractions, autant pour mettre en avant des alternatives différentes pour le capital espagnol et ainsi mystifier le prolétariat que, plus prosaïquement, pour régler des conflits d’intérêt.
Ce savoir-faire du PSOE n’est pas dû à ses mérites particuliers, il le partage avec les autres partis socialistes. Le PS français semblait sur le point de disparaître dans les années 1960 mais, avec Mitterrand, il a su se redresser et conquérir le pouvoir de 1981 à 1995. Entre 2007 et 2011, il a aussi traversé une forte crise qui aurait pu, selon certains, creuser sa tombe, mais en 2012 il a repris le pouvoir avec Hollande.
Dans beaucoup de pays, les partis socialistes constituent la colonne vertébrale de l’État. Ils sont plus capables que d’autres partis de comprendre les intérêts communs de leur capital national et ils sont les plus aptes à contrôler les impulsions particulières de leurs différentes fractions.
Aussi ne doit-on pas négliger tout cela lorsqu’il s’agit d’analyser la fracture la plus récente au sein du PSOE, qui a produit des spectacles lamentables comme celui du Comité fédéral du 1er octobre 2. Nous sommes là face à une crise très grave, sans doute la pire des quarante dernières années, mais il faut aussi tenir compte de la capacité de résistance dont dispose l’appareil socialiste.
Une des analyses fondamentales que nous défendons et qui concerne toute la société mondiale, est celle de la décomposition du capitalisme. En 1990 nous avons publié les “Thèses sur la décomposition” que nous pensons être toujours pleinement valables. Nous n’allons pas les expliquer ici. Nous insisterons simplement sur le fait que la décomposition est un processus général qui affecte l’ensemble des rapports sociaux capitalistes ainsi que la vie politique au sein de ce système.
On ne peut pas se contenter de parler de décomposition en général, nous devons aussi nous efforcer de comprendre lesquels de ses effets concrets jouent un rôle dans la situation politique du capital espagnol et plus concrètement du PSOE. Ceci nous amène à approfondir les points no 9 et 10 des “Thèses”, qui mettent en avant “la difficulté croissante de la bourgeoisie à contrôler l’évolution de la situation sur le plan politique”, ce qui se traduit, d’un côté, par un désordre croissant dans la cohésion et le fonctionnement des différents partis bourgeois, tiraillés par des tendances centrifuges et la mise en avant d’intérêts de faction. Et, d’un autre côté, par la difficulté pour piloter correctement les mécanismes électoraux ; plus globalement, de tout le jeu politique que la bourgeoisie n’arrive pas toujours à faire correspondre à ce dont elle a besoin 3.
Le spectacle d’intrigues, de chocs frontaux, de défis et de rebellions en abondance que le PSOE nous offre dernièrement peut s’expliquer en grande partie par trois phénomènes qui donnent une idée de l’impact de la décomposition capitaliste sur les partis bourgeois : la fragmentation des partis secoués par de puissantes tendances centrifuges ; l’assaut du parti par toute sorte d’aventuriers politiques ; l’appel à un “pouvoir de la base” par des politiciens ambitieux qui l’utilisent comme levier dans la lutte fractionnelle contre leurs adversaires.
En premier lieu, le PSOE souffre aujourd’hui d’un processus évident de balkanisation, chaque baron régional devient non seulement maître de son fief (échappant ainsi de plus en plus à la discipline imposée par le sommet du parti), mais, en outre, veut se payer le luxe de devenir un agent actif dans la recomposition de la politique nationale.
Ceci est vraiment du jamais vu. Dans les années 1930, face à la prolifération de tendances centrifuges, surtout en Catalogne, le PSOE fut en mesure de mettre en place une cohésion ferme contre ces dernières. Du temps de Gonzalez, les barons régionaux obéissaient avec discipline à ce qui était dicté par l’appareil et au-delà de quelques velléités localistes, il ne leur passait même pas par la tête l’idée de mener une politique propre. C’est ce que Guerra expliquait très graphiquement avec sa sentence : “celui qui bouge n’apparaîtra pas sur la photo”.
C’est Zapatero qui a commencé à jouer avec le feu, en faisant un pacte avec le PSC (le parti en Catalogne) vers le “catalanisme politique” qui n’a fait que nourrir les tendances centrifuges régionales. La direction nationale, avec pas mal de difficultés, réussit cependant à les contenir en remplaçant les petits chefs trop ambitieux comme Chaves (en Andalousie) et Rodriguez Ibarra (Estrémadure) ou en les propulsant vers le haut, comme avec Bono (Castille-La Manche).
Aujourd’hui, chaque fédération régionale du PSOE est entre les mains d’un “baron” qui fait ce qui lui plaît sur son domaine, conditionnant la politique centrale avec des alliances, des chantages et des manœuvres en tout genre. L’emprise de la baronne andalouse (Susana Diaz) et de ses alliés est écrasante et cette mainmise n’est pas menée avec une vision nationale unitaire mais comme une somme d’alliances régionales. (...)
Un deuxième facteur de dislocation et de désordre est le poids de l’aventurisme politique dans le parti. En général, les partis socialistes sont capables d’élire comme secrétaire général des politiciens obéissant aveuglement aux impératifs de l’appareil, même si, bien entendu, ces élus ont leurs propres aspirations. Mais cela a commencé à changer avec les exemples de Blair en Grande-Bretagne et de Schroeder en Allemagne, des outsiders qui se sont emparés du commandement en imposant leur charisme et en déstabilisant l’appareil en plaçant leurs affidés. Le même phénomène est flagrant du côté de la droite : Trump a échappé au contrôle du parti républicain, soulignant ainsi l’impuissance de ses dirigeants traditionnels.
Ce phénomène s’est aussi manifesté en Espagne avec Zapatero, lequel, aidé par une bande d’inconnus hors du noyau central de la vieille garde, surent le hisser au sommet en écartant Bono, choisi par le parti, lequel n’était pas non plus très fiable à cause de ses propres ambitions localistes.
Et cela vient de se répéter avec Pedro Sanchez. Celui-ci n’était pas du tout connu, pas seulement sur la scène politique, mais même au sein de son propre parti. Sanchez réussit à se présenter au secrétariat général du PSOE comme un “homme de paille” pour Susana Diaz et la vieille garde. Dans une espèce de jeu de coquins, tous ont cru qu’il allait être facilement manipulable. Mais dès qu’il a pris les rênes, il a commencé à jouer ses propres cartes, en déclenchant des tensions autant au niveau des leaders régionaux que du noyau central.
Le fait que, d’abord Zapatero et Sanchez par la suite, arrivent à s’imposer contre l’appareil par des coups de main habiles, de façon improvisée et sans la moindre orientation politique propre (si ce n’est celle de se maintenir au pouvoir à tout prix) est révélateur du degré de fracture et de désorientation qui règne au sein des partis socialistes. Autant l’incapacité de l’appareil lui-même que le poids de ces arrivistes portent tous deux la marque de la décomposition.
Sanchez a introduit un troisième élément de perturbation de la politique et d’organisation du parti.
Malgré son anarchie apparente (il y a toujours des “familles” et des “tendances” qui se chamaillent), le PSOE (comme la plupart des partis socialistes) a fonctionné comme un engrenage bien huilé depuis le sommet jusqu’au groupement local le plus éloigné. Sanchez a mis en place un précédent très dangereux qui pourrait avoir des conséquences bien fâcheuses. Pendant deux ans, il s’est consacré à un travail presque clandestin de visites aux regroupements de base de tout le territoire national, de telle sorte que cette “mobilisation de la base” a été le fondement de son pouvoir au sein du parti et le moyen qu’il a employé à répétition pour faire du chantage à ses rivaux. Le problème c’est qu’une telle structure de pouvoir est très dangereuse parce qu’elle modifie en profondeur l’équilibre d’un appareil qui impose une subordination rigoureuse du syndicat (UGT) et des regroupements locaux aux impératifs du centre. Avec Sanchez, ce sont trois structures de pouvoir qui mettent en péril de tous les côtés la fragile cohésion du parti : le groupe de la vieille garde (Gonzalez et Rubalcaba), les baronnies régionales (avec Diaz à leur tête) et “le pouvoir de la base”, nouveau facteur d’anarchie.
Qu’est-ce que tout cela montre ? L’expression au sein du PSOE de phénomènes de plus en plus généralisés dans la société : le chacun pour soi, la prédominance de l’intérêt particulier sur l’intérêt général, l’enfermement endogamique dans des particularismes locaux, raciaux, de bande, etc. Cela se concrétise dans les partis politiques bourgeois par la rupture de la soumission aveugle aux impératifs du centre. Une telle tendance rend difficile pour les partis leur travail de gestion et de défense de l’intérêt national du capital, en semant encore plus de chaos et de désordre dans la vie politique et sociale.
Le PSOE, comme l’ensemble des partis socialistes, a souffert d’une profonde usure. La cause en est l’engagement sans faille de ce parti dans l’application des mesures anti-ouvrières brutales dont nous avons parlé plus haut. Le mouvement du 15-M montra une prise de conscience de ce fait, en dénonçant le PSOE comme parti “du régime” complément indispensable du PP. Le PSOE a perdu des milliers de voix et cette saignée est particulièrement forte dans les villes : il a perdu 55% du vote urbain. Chez les jeunes aussi, lors des dernières élections, il est arrivé à peine à obtenir le vote de 4% des nouveaux électeurs. Un deuxième facteur de cette usure est le fait que les socialistes, malgré leur souplesse, sont trop reliés aux politiques keynésiennes classiques, ce qu’on pourrait appeler la “deuxième phase historique de capitalisme d’État” (1930-80) 4, caractérisée par le protectionnisme du marché national et les politiques “sociales”. Le passage, depuis les années 1980, à ce qu’on peut appeler “troisième phase du capitalisme d’État”, qui se définit, d’une façon schématique, par la “libéralisation” et la “globalisation”, les a pris à contre-pied et cela a été difficile pour eux de justifier la suite implacable des attaques que ces orientations impliquent en psalmodiant des discours truffés de mesures de “politique sociale ou sociétale”. Cela les a piégés dans un dilemme avec une solution plus que difficile qui leur a fait perdre de leur influence. D’un autre côté, les socialistes ne peuvent pas renoncer au contrôle de la classe ouvrière (étant responsables des syndicats les plus importants), ce qui les oblige à maintenir un discours de “politique sociale” en lien avec le keynésianisme. Et ce sont, en même temps, des partis de gouvernement, indispensables dans le bipartisme des pays démocratiques. Ils risquent de manquer de cohérence dans leur discours, autant pour gouverner que pour être dans l’opposition.
(...) Le PSOE occupe deux espaces difficilement compatibles. C’est un parti avec des responsabilités gouvernementales, mais, en même temps, il doit ‘‘être la voix de ceux qui n’en ont pas”. S’il renonce à celle-ci et se consacre exclusivement à la gestion gouvernementale en apparaissant comme le canal des intérêts économiques du capital, il se place sur un terrain où la droite gagnera toujours. Mais si, pour défendre son deuxième espace, qui est vital pour lui, il essaye d’ouvrir les portes à certaines rengaines populistes du genre de celles utilisées par Podemos, avec un certain succès 5, il va à l’encontre de l’intérêt général de la bourgeoisie espagnole qui cherche à barrer le plus possible le passage aux populismes qui frappent aujourd’hui des pays centraux comme le Royaume-Uni ou les États-Unis. Iglesias, leader de Podemos, et sa suite ont une habilité certaine dans le maniement des thèmes populistes, mais il n’est pas évident que ce soit le cas pour Sanchez et les siens, ce qui l’amène à créer des problèmes graves au sein du PSOE.
Pendant plus d’un demi-siècle, les principales démocraties ont organisé la tendance au parti unique, qui est le propre du capitalisme d’État, par le biais du bipartisme, en tenant les commandes à tour de rôle, avec un parti penchant vers la droite et l’autre vers la gauche.
Le mécanisme bipartite est très usé un peu partout. Ce n’est pas le lieu ici de faire une analyse des causes de cette usure, mais ce qui est certain c’est que, ces dernières années, la bourgeoisie espagnole a mis en route une opération politique pour affronter la crise du bipartisme. Un facteur qui sans doute a influencé cette mise en route est la prise de conscience que le 15-M a exprimée et qui avait amené à une critique très dure du PSOE.
Cette opération politique consistait à faire émerger, à partir de pratiquement rien, deux partis, l’un à droite, Ciudadanos, et l’autre à gauche, Podemos 6, appelés à renouveler l’appareil politique, peut-être en servant d’aiguillon aux deux de toujours, peut-être pour les remplacer s’il le fallait. Mais l’opération n’a pas eu le succès escompté et est en train de causer des ravages importants. Ceci met en évidence le fait que les manœuvres d’ingénierie politique et électorale ne sont pas si faciles que cela en ces temps de décomposition.
Les élections de décembre 2015 n’ont pas produit l’option souhaitée. Il a fallu les répéter en juin 2016. Celles-ci n’ont pas produit non plus le résultat qu’on en attendait et, qui plus est, elles menaçaient d’affaiblir tous les partis, excepté le PP, un parti que pourtant on essayait de “reformer” en se débarrassant du fardeau d’une corruption qui a atteint des niveaux infamants. Au contraire, si on avait continué à répéter les élections, le PP aurait pu obtenir une écrasante majorité absolue.
En fait, le ravage le plus important a été la crise du PSOE. Le résultat électoral de juin a mis uniquement sur ses épaules la responsabilité “d’assurer la gouvernabilité du pays” en livrant le pouvoir au PP. Cela signifie lancer un missile sur un PSOE déjà très affaibli pour toutes les raisons que nous avons mis en avant.
(…) La “rénovation du bipartisme” est en train de finir en fiasco pour le capital espagnol. Elle a fini par poser un sérieux problème au sein de PSOE. Le problème du bipartisme s’est même aggravé, de sorte que sa prétendue rénovation n’a pas servi à endiguer un populisme qui, probablement, tôt ou tard, va en tirer bénéfice.
Il est difficile de savoir comment vont répondre à cet échec le capital espagnol et le PSOE lui-même. Il ne s’agit pas pour nous de faire de prédictions ou des spéculations hasardeuses, mais de partager l’analyse que nous venons d’exposer pour aider à comprendre la situation. Ceci dit, il nous parait nécessaire de rappeler que la bourgeoisie n’est pas seulement victime des effets de la décomposition, mais qu’elle est aussi capable d’y opposer des contre-tendances. Comme nous les disions au début de cet article, l’expérience accumulée par le PSOE en est une.
L’usure du bipartisme est en partie due au développement de la lutte de classe depuis 1968. Cependant, l’incapacité du prolétariat pour avancer dans la politisation de sa lutte a engendré l’un des thèmes le plus importants que le populisme de droite utilise : l’idée d’une caste politique, corrompue et qui ne jouerait que pour ses propres intérêts. Voilà une vision superficielle qui n’a rien de prolétarien et qui est radicalement réactionnaire.
D’abord parce qu’une telle idée n’analyse pas ce qui se passe en termes historiques et globaux, mais sous le prisme mesquin d’une sociologie de groupes isolés, considérés en tant que tels : la “classe politique”, “l’oligarchie financière”, les “immigrants”… Une telle absolutisation démoniaque des catégories sociales abstraites s’est déjà vue dans le fascisme et le stalinisme, expressions extrêmes de la dégénérescence de la pensée capitaliste.
Ensuite, parce qu’elle n’en recherche pas les causes dans les rapports sociaux de production : elle ne recherche que des coupables en personnalisant et en fabriquant des boucs émissaires. Et c’est ainsi que le chômage et la misère seraient dus à cette caste politique et à ces sinistres financiers, et aux émigrants et autres minorités “indésirables”.
Enfin, une telle analyse ne met pas en cause, bien au contraire, l’intérêt de la nation et de l’État, mais fait tout pour les défendre avec encore plus de ferveur patriotarde contre ces forces obscures “d’en haut” et “d’en bas”.
Ces postulats idéologiques, sont certes gênants pour la politique globale de la bourgeoisie, mais sont surtout extrêmement nuisibles pour le prolétariat. La première racine de la crise du bipartisme a été prolétarienne, mais dans le contexte de la décomposition elle possède un élément dominant réactionnaire et très dangereux pour le prolétariat. Ce ne sera que lorsque celui-ci commencera à mettre en avant son alternative, qu’il pourra se greffer à nouveau sur cette racine initiale en la développant.
C.Mir, 9 novembre 2016
1 La rose est le symbole du PSOE et la mouette celui du PP (parti de droite).
2 Lors de ce comité, Pedro Sanchez, mis en minorité, a quitté la tête du Parti socialiste espagnol [NdT].
3 Dans les pays à démocratie consolidée, les secteurs dominants du capital national arrivent, en général, à faire que le “vote citoyen” décide ce qu’ils veulent. Tout cela est le fait d’une manipulation très sophistiquée et parfaitement organisée par les enquêtes et sondages divers, par le découpage variable des districts électoraux, les scandales sortis à propos, les déclarations des uns et des autres, les interventions “opportunes” des “prescripteurs” de ce qu’on appelle “l’opinion publique”, etc. Ceci, qu’on nomme le “jeu politicien”, devient de plus en plus difficile à manipuler de la part de la bourgeoisie : les résultats du Brexit au Royaume-Uni en sont un exemple éloquent.
4 Dans sa décadence, le capitalisme survit grâce à l’intervention omniprésente de l’État, aussi bien dans sa forme dite “libérale” (qui combine la bureaucratie étatique avec la grande bourgeoisie classique) que sous la forme totalement étatisée (celle qu’on nomme, avec ce grand mensonge du siècle, “socialisme” quand ce n’est pas… “communisme”). Voir le point IV de notre plateforme : https ://fr.internationalism.org/plateforme [13]
5 Il nous parait important de clarifier le fait que Podemos n’est pas un parti populiste. C’est un parti avec une indéniable responsabilité capitaliste qui sait utiliser certains thèmes du populisme pour sa politique globale.
6 Podemos a été fondé en 2014 en s’appuyant sur la structure squelettique d’un groupuscule gauchiste (Izquierda Anticapitalista, Gauche anticapitaliste) et quelques restes rancis et dispersés du 15-M. En un temps record de deux ans, Podemos a obtenu 70 députés. De son côté, Ciudadanos a été propulsé depuis sa structure limitée à la Catalogne à un développement partout en Espagne en une année à peine.
Ces derniers mois, des scènes incroyables et révoltantes se sont déroulées dans toutes les écoles de France. Tous les élèves (ceux de maternelle également, même si sous la forme “soft” de “jeux” en apparence inoffensifs et anodins) ont dû subir la simulation d’une attaque terroriste. Et le sadisme a dépassé toutes les bornes. Face à l’intrusion d’assaillants imaginaires, les enfants ont été systématiquement séparés en deux groupes : ceux qui parvenaient à s’échapper et ceux qui devaient s’enfermer et attendre. Ces derniers, cachés de quelques minutes à plusieurs heures, par exemple sous des tables, devaient faire silence. Ceux qui faisaient du bruit étaient alors accusés d’être responsables de faire repérer leurs camarades et donc potentiellement de leur mort. Dans certains établissements, le GIGN et les hélicoptères ont même été déployés pour faire plus vrai ! Comble de l’horreur, à la fin de ces exercices “Attentats-Intrusion”, un bilan humain fictif était à chaque fois dressé, le nombre d’enseignants et élèves otages tués variant selon l’imaginaire malades des autorités organisatrices.
Il ne s’agit nullement de dérapages locaux, mais d’une campagne pensée à l’échelle nationale. Le document commun du ministère de l’Intérieur et de l’Éducation nommé : Sécurité des écoles, des collèges et des lycées, en est une preuve affligeante. En voici quelques lignes, mais l’ensemble est de la même eau croupie : “Dans nos écoles, nos collèges et nos lycées, des familles nous confient leurs enfants, des femmes et des hommes travaillent quotidiennement. Leur sécurité à tous constitue un impératif majeur pour le Gouvernement et une priorité pour toute la communauté éducative. Nous devons la vérité aux Français. Nous n’avons donc cessé de le dire, et nous le rappelons encore aujourd’hui : le niveau de menace terroriste est très élevé. Les événements tragiques auxquels notre pays a dû faire face au cours des derniers mois en témoignent. (…) Savoir réagir, c’est former et informer. C’est favoriser l’acquisition d’une culture commune de gestion des risques. Savoir réagir, cela s’apprend. Cela passe par des exercices adaptés à l’âge des élèves, pour les préparer au mieux aux situations de crise. (…) Cette nouvelle culture de la sécurité change notre quotidien, y compris à l’école. Ces nouveaux gestes, ces contrôles, cette vigilance de chaque instant peuvent parfois paraître contraignants. Ils sont cependant absolument nécessaires. (…) La vigilance de tous, y compris de la part des parents d’élèves, est indispensable : (…) il est demandé à chacun de signaler tout comportement ou objet suspect. (…) Comment développer une culture commune de la sécurité ? La menace terroriste impose un renforcement des mesures de sécurité dans les écoles et les établissements scolaires. La mise en place de ces mesures nécessite la coopération de l’ensemble des membres de la communauté éducative. La sécurité et la vigilance sont l’affaire de tous. (…) Toute l’école n’a pas la même conduite à tenir puisqu’elle dépend de la situation vécue : une partie peut s’échapper, l’autre se cacher-s’enfermer.”
L’objectif du gouvernement par ce type de campagne est très clair : que les élèves, les parents et les enseignants se surveillent, qu’ils aient peur et se dénoncent les uns les autres. Pourquoi ? Dans son roman d’anticipation 1984, George Orwell faisait tenir à ses protagonistes cet échange :
“– Comment un homme s’assure-t-il de son pouvoir sur un autre, Winston ?
Winston réfléchit :
– En le faisant souffrir répondit-il.
– Exactement. En le faisant souffrir. L’obéissance ne suffit pas. Comment, s’il ne souffre pas, peut-on être certain qu’il obéit, non à sa volonté, mais à la vôtre ? Le pouvoir est d’infliger des souffrances et des humiliations. Le pouvoir est de déchirer l’esprit humain en morceaux que l’on rassemble ensuite sous de nouvelles formes que l’on a choisies. Commencez vous à voir quelle sorte de monde nous créons ? C’est exactement l’opposé des stupides utopies hédonistes qu’avaient imaginées les anciens réformateurs. Un monde de crainte, de trahison, de tourment. Un monde d’écraseurs et d’écrasés, un monde qui, au fur et à mesure qu’il s’affinera, deviendra plus impitoyable. Le progrès dans notre monde sera le progrès vers plus de souffrance. L’ancienne civilisation prétendait être fondée sur l’amour et la justice, la nôtre est fondée sur la haine. Dans notre monde, il n’y aura pas d’autres émotions que la crainte, la rage, le triomphe et l’humiliation. Nous détruirons tout le reste, tout” 1. Par ces lignes, sont soulignées magistralement deux idées centrales :
– l’un des principaux piliers de la domination d’une classe sur l’ensemble de la société est la terreur d’État.
– cette terreur ne fait que croître quand le système n’a plus de réel avenir à offrir à l’humanité.
En effet, quel futur promet le capitalisme quand les enfants de trois ans sont dressés à ramper sous les tables et à avoir peur de l’étranger, de l’autre, de tous les autres ? Aucun. Seulement la barbarie.
Maurice, 15 décembre 2016
1 Ed. Folio, trad. Amelie Audiberti.
Suite à l’agression des participants à la réunion publique du 28 octobre au local de l’association Mille bâbords à Marseille (1) par une bande de fanatiques se réclamant du racialisme, le CCI tient à apporter toute sa solidarité.
Voici les faits relatés par les agressés eux-mêmes : “Vendredi 28 octobre se tenait sur Marseille, dans le local militant Mille bâbords, une réunion publique autour du texte “Jusqu’ici tout va bien ?” (2). La discussion n’avait pas encore commencé lorsqu’un groupe d’une trentaine de personne a fait irruption dans le lieu. Ce groupe entendait empêcher la discussion prévue (…). Après l’encerclement de l’assistance sous forme de happening, dans un simulacre de nasse, des cris et slogans divers ont fusé : “Notre race existe”, “Ce débat n’aura pas lieu”, “Pas l’histoire vous ne referez”, “Votre avis on s’en fout”, “Regardez vos privilèges”, (…) Aux insultes ont succédé les boules puantes, et des coups répétés, dont certains au visage avec arme, des chaises ont été jetées sur l’assistance, les tables ont été systématiquement jetées au sol, y compris sur une personne en béquille, du gaz lacrymogène a été répandu dans le local et des personnes ont été gazées au visage (yeux et bouche). Les tables de presse, la bibliothèque de Mille bâbords ont été saccagées, des revues et des livres jetés et piétinés. Et pour terminer, ils ont défoncés la vitrine du local. (…) Malgré cette attaque, une intéressante discussion a finalement pu se tenir, comme ce sera le cas partout et à chaque fois que cela s’avérera nécessaire. Face à ces actes extrêmement graves, dont le but avoué est d’empêcher toute discussion critique sur le racialisme, chacun, politiquement et pratiquement, est appelé à prendre ses responsabilités. N’hésitez pas à contacter Mille bâbords pour leur apporter tout votre soutien (3). Des organisateurs et des participants à la soirée” (in “Marseille : Descente racialiste à Mille bâbords. Tentative de mise à sac, coups, gazage et vitrine détruite”).
Les agresseurs ont durant l’attaque distribué un tract intitulé “Anti-racialistes et anti-racialisatrices, stay et protect your home” 4 dans lequel ils crachaient toute leur haine : “Anti-racialisateurs et anti-racialisatrices vous n’aurez jamais la parole, vous n’aurez jamais notre écoute parce que : le capitalisme se fonde sur le pillage, l’esclavage et le colonialisme. “L’abolition de l’esclavage” et les “décolonisations” n’ont pas démoli le racisme structurel et ses répercussions pour le moins d’actualité. Les privilèges des pays occidentaux impérialistes demeurent à un niveau international. Nous refusons votre vision européano-centrée et réactionnaire de la lutte des classes. Il vous suffirait de sortir de votre entre-soi confortable pour voir la réalité dans les rues de Marseille. Nous refusons votre course à l’opprimé et votre incapacité à reconnaître vos privilèges de petits gauchistes blancs de classe moyenne. Nous n’avons pas de temps à perdre avec les négationnistes. Nous saboterons toutes vos initiatives. Nous revendiquons notre autodétermination, notre émancipation, notre libération par nous-mêmes et pour nous-mêmes. Nous n’avons pas besoin de votre validation quant aux termes que nous utilisons pour définir qui nous sommes, ce que nous sommes et ce pour quoi nous luttons. En somme on vous chie dessus bande de racistes réactionnaires négationnistes néo-colons... Finalement il va vous falloir assumer : vous n’êtes qu’un des bras armé (de vos claviers) de la république laïcarde qui nous fait gerber !” 5.
Durant les jours qui avaient précédé cette réunion, de nombreux appels à casser du “gouaire” 6 avaient été lancés sur les réseaux sociaux. Il s’agit donc d’un acte prémédité et concerté.
Ces agresseurs appartiennent à un courant particulier du racialisme principalement représenté par le Mouvement des indigènes de la République, dont Houria Bouteldja est l’une des personnalités la plus visible. Le titre de son dernier livre résume à lui seul l’axe central de ce courant de non-pensée : Les Blancs, les juifs et nous. Un ouvrage immonde qui tente de nier la lutte des classes pour la remplacer par une guerre des races (“Je vous le concède volontiers, vous n’avez pas choisi d’être Blancs. Vous n’êtes pas vraiment coupables. Juste responsables” affirme ainsi Madame Bouteldja.). Nous reprenons à notre compte cette idée défendue dans le texte publié sur le site de Mille babords “Jusqu’ici tout va bien ?” : “le racialisme ne peut mener qu’à la guerre de tous contre tous”. Ceci d’autant plus que “la guerre de tous contre tous” est déjà une réalité et que la violence ne fait que s’accroître. Dans ce sens, il est nécessaire de s’y préparer et important d’en débattre.
Pourquoi les participants lors de cette réunion à Mille babords ont-ils été la cible de ce déchaînement de haine et de violence ? Simplement pour ce qu’ils représentent, un effort pour comprendre le monde capitaliste et son évolution, pour se rassembler, débattre et s’organiser, pour participer au développement de la conscience et se réapproprier l’histoire du prolétariat 7, son identité, son combat pour l’émancipation de toute l’humanité. Dans la période actuelle difficile, de telles tentatives sont rares et précieuses.
Alors que l’atonie, la division, l’atomisation et le désespoir exercent un poids dans la société, ceux qui se sont rassemblés ce 28 octobre dans le local de Mille bâbords et qui ont maintenu le débat malgré les coups, eux qui n’ont pas cédé aux provocations, à la peur, aux intimidations et à la répression, révèlent par leur courage et leur ténacité la véritable nature profonde de la classe ouvrière, une classe associée, désintéressée et solidaire.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si une partie de ceux qui gravitent autour ou à l’intérieur de l’association Mille bâbords est issue du mouvement des étudiants contre le CPE de 2006, car ce mouvement avait justement réussi à organiser de véritables débats dans des assemblées générales ouvertes et à mettre au cœur de sa dynamique la question de la solidarité de la classe ouvrière tout entière, de tous les secteurs, de toutes les générations, de tous les quartiers, de toutes les origines, de toutes les couleurs ! A l’époque de ce mouvement contre le CPE, la bourgeoisie avait réagi par la violence policière organisée de l’État et en laissant de jeunes “casseurs” agresser les étudiants dans les manifestations.
Aujourd’hui, les racialistes aussi se chargent de ce sale boulot. Les éléments qui luttent pour le débat ouvert et qui font l’effort de se rassembler et réfléchir ensemble, ont été, ce 28 octobre, la proie d’une attaque haineuse qui préfigure bel et bien les dangers croissants et le caractère protéiforme de la répression bourgeoise. Car oui cette agression planifiée est un acte de répression. La violence et la haine abjectes de ce commando de racialistes, leur promotion de la “lutte des races” comme leur volonté de détruire tout lieu de débat réel révèlent leur no-future, l’idéologie du nihilisme des couches sociales qui ne portent aucun avenir pour l’humanité. Ils sont un pur produit de la décomposition de la société et in fine ils apportent leur petite contribution à la dynamique morbide du capitalisme. Certains de ces éléments n’hésiteront pas à assouvir leur pulsions criminelles par des meurtres si le contexte leur est favorable et si l’occasion se présente.
Aux victimes de ces actes de violences inadmissibles, nous tenons à témoigner notre soutien et toute notre solidarité. Le débat est d’une importance vitale pour le combat révolutionnaire et il est impératif de défendre tout lieu de débat prolétarien !
Le CCI, 4 décembre 2016
1) Sur son site, l’association Mille bâbords située à Marseille se présente ainsi : “Mille bâbords est une médiathèque alternative, un lieu dédié à la promotion et à la connaissance des différents mouvements de luttes sociales. C’est un lieu ouvert, où le public peut se rencontrer, se mettre au courant, découvrir et échanger, sur des pratiques, des interrogations, des points de vues, [...] et voire passer à l’action... Partant du constat d’un manque d’espaces pour que les mouvements sociaux puissent, dans leur diversité, échanger entre eux, et avec un large public, nous avons créé ce lieu, telle une vitrine animée des idées alternatives à une société trop barbare...”.
2) https ://tuttovabene.noblogs.org/ [16] Ce texte dénonce le racialisme comme un poison idéologique nauséabond.
3) Contact : batlarace chez riseup.net.
4) Reste et protège ta maison.
6) Terme raciste anti-Blanc signifiant “porc”.
7) Un débat a récemment eu lieu sur Le Manifeste du Parti communiste de 1848 et un autre sur la Révolution russe est prévu dans les mois à venir.
Links
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/pdf/ri462.pdf
[2] https://fr.internationalism.org/files/fr/trump-clinton.jpg
[3] https://fr.internationalism.org/en/tag/30/475/donald-trump
[4] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/elections-aux-etats-unis
[5] https://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201501/9166/attentats-sanglants-a-paris-terrorisme-manifestation-putrefact
[6] https://fr.internationalism.org/icconline/201511/9277/attentats-a-paris-a-bas-terrorisme-a-bas-guerre-a-bas-capitalisme
[7] https://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201609/9428/attentats-france-allemagne-etats-unis-capitalisme-porte-lui-te
[8] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/38/allemagne
[9] https://fr.internationalism.org/en/tag/7/287/terrorisme
[10] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/52/amerique-centrale-et-du-sud
[11] https://fr.internationalism.org/en/tag/30/523/fidel-castro
[12] https://es.internationalism.org/revista-internacional/201611/4182/que-le-pasa-al-psoe
[13] https://fr.internationalism.org/plateforme
[14] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/41/espagne
[15] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/36/france
[16] https://tuttovabene.noblogs.org/
[17] https://nantes.indymedia.org/posts/36052/