Published on Courant Communiste International (https://fr.internationalism.org)

Home > Revue Internationale, les années 2010: n°140 - 163 > Revue Internationale 2014 > Revue Internationale n°153 - août 2014

Revue Internationale n°153 - août 2014

  • 1410 reads
[1]

Conférence internationale extraordinaire du CCI: la "nouvelle" de notre disparition est grandement exagérée!

  • 2809 reads
[2]

En mai dernier, le CCI a tenu une conférence internationale extraordinaire. Une crise s'était développée depuis un certain temps dont l'épicentre s'est situé dans notre plus vieille section, la section en France. La convocation d'une conférence extraordinaire, en plus des congrès internationaux réguliers du CCI, a été jugée nécessaire face au besoin vital de comprendre pleinement la nature de cette crise et de développer les moyens de la surmonter. Le CCI a déjà convoqué des conférences internationales extraordinaires dans le passé, en 1982 et en 2002, en accord avec nos Statuts qui prévoient leur tenue lorsque les principes fondamentaux du CCI sont dangereusement mis en question. 1

Toutes les sections internationales du CCI ont envoyé des délégations à cette troisième Conférence extraordinaire et ont participé très activement aux débats. Les sections qui n'ont pu s'y rendre (du fait de la forteresse Schengen) ont adressé à la Conférence des prises de positions sur les différents rapports et résolutions soumis à la discussion.

Les crises ne sont pas nécessairement mortelles

Nos contacts et sympathisants peuvent être alarmés par cette nouvelle ; de même les ennemis du CCI auront certainement un frisson de jubilation. Certains d'entre eux sont déjà convaincus que cette crise est notre crise "ultime" et le signe annonciateur de notre disparition. Mais ce genre de prédictions avait déjà été fait lors de précédentes crises de notre organisation. Au lendemain de la crise de 1981-82 – il y a 32 ans – nous avions répondu à nos détracteurs, comme nous le faisons aujourd'hui, en rappelant ces mots de Mark Twain : "La nouvelle de notre mort est grandement exagérée !"

Les crises ne sont pas nécessairement le signe d'un effondrement ou d'un échec imminent ou irrémédiable. Au contraire, l'existence de crises peut être l'expression d'une saine résistance à un processus sous-jacent qui s'était paisiblement et insidieusement développé jusque-là et qui, laissé à son libre cours, risquait de mener au naufrage. Ainsi, les crises peuvent être le signe d'une réaction face au danger et de la lutte contre de graves faiblesses conduisant à l'effondrement. Une crise peut aussi être salutaire. Elle peut constituer un moment crucial, une opportunité d'aller à la racine de graves difficultés, d'en identifier les causes profondes pour pouvoir les surmonter. Ce qui permettra, en fin de compte, à l'organisation de se renforcer et de tremper ses militants pour les batailles à venir.

Dans la Deuxième Internationale (1889-1914), le Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR) était connu pour avoir traversé une série de crises et de scissions et, pour cette raison, était considéré avec mépris par les partis plus importants de l'Internationale, comme le Parti social-démocrate d'Allemagne (SPD) qui semblait voler de succès en succès et dont le nombre de membres ainsi que les résultats électoraux s'amplifiaient régulièrement. Cependant, les crises du parti russe et la lutte pour surmonter ces crises et en tirer les leçons menée par l'aile bolchevique, ont renforcé la minorité révolutionnaire et l'ont préparée à se dresser contre la guerre impérialiste en 1914 et à se porter à l'avant-garde de la révolution d'octobre en 1917. En revanche, l'unité de façade et le "calme" au sein du SPD (qui n'étaient remis en question que par des troublions comme Rosa Luxemburg) a conduit ce parti à s'écrouler complètement et irrévocablement en 1914 avec la trahison totale de ses principes internationalistes face à la Première Guerre mondiale.

En 1982, le CCI a identifié sa propre crise (provoquée par un développement de confusions gauchistes et activistes qui avait permis à l'élément Chénier 2 de faire des dégâts considérables dans notre section en Grande-Bretagne) et en a tiré des leçons pour rétablir plus profondément ses principes concernant sa fonction et son fonctionnement (voir la Revue internationale n° 29 : "Rapport sur la fonction de l'organisation révolutionnaire" et la Revue n° 33 : "Rapport sur la structure et le fonctionnement de l'organisation révolutionnaire"). C'est d'ailleurs à l'issue de cette crise que le CCI a adopté ses Statuts actuels.

Le Parti Communiste International "bordiguiste" (Programme communiste) qui était à l'époque le groupe le plus important de la Gauche communiste a connu, de façon plus grave encore, des difficultés similaires, mais ce groupe n'a pas été en mesure d'en tirer les leçons et a fini par s'effondrer comme un château de cartes avec la perte de la presque totalité de ses sections et de ses membres (Voir la Revue internationale n°32 : "Convulsions dans le milieu révolutionnaire").

En plus d'identifier ses propres crises, le CCI s'est appuyé sur un autre principe enseigné par l'expérience bolchevique : faire connaître les circonstances et les leçons de ses crises internes afin de contribuer à la clarification la plus large (contrairement aux autres groupes révolutionnaires qui cachent au prolétariat l'existence de leurs crises internes). Nous sommes convaincus que les combats pour surmonter les crises internes des organisations révolutionnaires permettent de faire ressortir plus clairement des vérités et des principes généraux concernant la lutte pour le communisme.

Dans la Préface de Un pas en avant, deux pas en arrière, en 1904, Lénine écrivait : "[Nos adversaires] exultent et grimacent à la vue de nos discussions : évidemment, ils s'efforceront, pour les faire servir à leurs fins, de brandir tels passages de ma brochure consacrée aux défauts et aux lacunes de notre Parti. Les social‑démocrates russes sont déjà suffisamment rompus aux batailles pour ne pas se laisser troubler par ces coups d'épingle, pour poursuivre, en dépit de tout, leur travail d'autocritique et continuer à dévoiler sans ménagement leurs propres lacunes qui seront comblées nécessairement et sans faute par la croissance du mouvement ouvrier. Que messieurs nos adversaires essaient donc de nous offrir, de la situation véritable de leurs propres "partis", une image qui ressemblerait même de loin à celle que présentent les procès-verbaux de notre Deuxième Congrès ! 3

A l'instar de Lénine, nous pensons que malgré le plaisir superficiel que nos ennemis éprouvent face à nos difficultés (en les interprétant avec leurs propres lunettes déformantes), les révolutionnaires authentiques apprendront de leurs erreurs et en ressortiront renforcés.

C'est pourquoi nous publions ici, même brièvement, une présentation de l'évolution de cette crise dans le CCI et du rôle qu'a joué notre Conférence extraordinaire pour y faire face.

La nature de la crise actuelle du CCI

L'épicentre de la crise actuelle du CCI a été l'existence au sein de sa section en France de la résurgence d'une campagne de dénigrement, dissimulée à l'ensemble de l'organisation, d'une camarade qui a été diabolisée (à tel point qu'un militant considérait même que sa présence dans l'organisation constituait une entrave au développement de celle-ci). Évidemment, l'existence d'une telle pratique de stigmatisation d'un bouc-émissaire – censé porter la responsabilité de tous les problèmes rencontrés par l'ensemble de l'organisation – est absolument intolérable dans une organisation communiste qui se doit de rejeter le harcèlement endémique existant dans la société capitaliste et résultant de la morale bourgeoise du chacun pour soi et Dieu pour tous. Les difficultés de l'organisation sont de la responsabilité de toute l'organisation. La campagne dissimulée d'ostracisme envers un membre de l'organisation met en question le principe même de solidarité communiste sur lequel le CCI est fondé.

Nous ne pouvions nous contenter de mettre un terme à cette campagne une fois qu'elle était apparue au grand jour suite à sa mise en évidence par l'organe central du CCI.

Ce n'était pas le genre de fait qu'on pouvait balayer comme quelque chose de simplement malencontreux. Il nous fallait aller à la racine et expliquer pourquoi et comment un tel fléau, une remise en cause si flagrante d'un des principes communistes fondamentaux, avait pu se développer de nouveau dans nos rangs. La tâche de la Conférence extraordinaire était de dégager un accord commun sur cette explication et de développer des perspectives pour éradiquer de telles pratiques dans l'avenir.

L'une des tâches de la Conférence extraordinaire était d'entendre et de se prononcer sur le rapport final du Jury d'Honneur qui avait été demandé début 2013 par la camarade diffamée à son insu. Il ne suffisait pas que chacun soit d'accord sur le fait que des calomnies et des méthodes de stigmatisation aient été employées contre la camarade ; il fallait le prouver dans les faits. Il fallait examiner de façon minutieuse la totalité des accusations portées contre cette camarade et identifier leur origine. Les allégations et les dénigrements devaient être dévoilés à l'ensemble de l'organisation afin d'éliminer toute ambiguïté et d'empêcher toute répétition des calomnies à l'avenir. Après un an de travail, le Jury d'Honneur (composé de militants de quatre sections du CCI) a réfuté systématiquement, comme dénuées de tout fondement, toutes les accusations (et particulièrement certaines calomnies honteuses développées par un militant). 4 Le Jury a pu mettre en évidence que cette campagne d'ostracisme était, en réalité, fondée sur l'infiltration dans l'organisation de préjugés obscurantistes véhiculés par l'esprit de cercle (et par une certaine "culture du ragot" héritée du passé et dont certains militants ne s'étaient pas encore débarrassés). En dédiant des forces à ce Jury, le CCI mettait en application une autre leçon du mouvement révolutionnaire : tout militant faisant l'objet de soupçons, d'accusations non fondées ou de calomnies a le devoir de faire appel à un Jury d'Honneur. Refuser de faire cette démarche conduit à reconnaître implicitement la validité des accusations.

Le Jury d'Honneur est un moyen aussi de "préserver la santé morale des organisation révolutionnaires" (comme l'affirmait Victor Serge) 5 puisque la méfiance entre ses membres est un poison qui peut rapidement détruire une organisation révolutionnaire.

C'est d'ailleurs quelque chose de bien connu par la police qui, comme le révèle l'histoire du mouvement ouvrier, a utilisé de façon privilégiée la méthode consistant à entretenir ou provoquer la méfiance pour tenter de détruire de l'intérieur les organisations révolutionnaires. On l'a vu, notamment dans les années 1930 avec les agissements de la Guépéou de Staline contre le mouvement trotskiste, en France et ailleurs. En fait, cibler des militants pour les soumettre à des campagnes de dénigrement et à la calomnie a constitué une arme de premier plan de l'ensemble de la bourgeoisie pour fomenter la méfiance envers le mouvement révolutionnaire et en son sein.

C'est pourquoi les marxistes révolutionnaires ont toujours dédié tous leurs efforts pour démasquer de telles attaques contre les organisations communistes.

À l'époque des procès de Moscou dans les années 1930, Léon Trotski en exil a demandé un Jury d'Honneur (connu sous le nom de Commission Dewey) pour réfuter les calomnies répugnantes portées contre lui par le procureur Vychinski dans ces procès. 6 Marx a interrompu ses travaux sur Le Capital pendant un an, en 1860, pour préparer un livre entier de réfutation systématique des calomnies portées contre lui par Herr Vogt.

En même temps qu'étaient menés les travaux du Jury d'Honneur, l'organisation a cherché les racines profondes de la crise en s'armant d'un cadre théorique. Après la crise du CCI de 2001-2002, nous avions déjà engagé un effort théorique prolongé pour comprendre comment avait pu apparaître au sein de l'organisation une prétendue fraction qui s'était distinguée par des comportements de voyous et de mouchards : circulation secrète de rumeurs accusant une de nos militantes d'être un agent de l'État, vol de l'argent et du matériel de l'organisation (notamment le fichier d'adresses de nos militants et de nos abonnés), chantage, menaces de mort à l'égard d'un de nos militants, publication vers l'extérieur d'informations internes favorisant délibérément le travail de la police, etc. Cette ignoble fraction aux mœurs politiques de gangsters (rappelant celles de la tendance Chénier lors de notre crise de 1981) est connue sous le nom de FICCI (Fraction interne du CCI).7

À la suite de cette expérience, le CCI a commencé à examiner sous un angle historique et théorique le problème de la morale. Dans les Revue internationale n°111 et 112, nous avons publié le "Texte d'orientation sur la confiance et la solidarité dans la lutte du prolétariat", et dans les Revue n°127 et 128 a été publié un autre texte sur "Marxisme et éthique". En lien avec ces réflexions théoriques, notre organisation a mené une recherche historique sur le phénomène social du pogromisme – cette antithèse totale des valeurs communistes qui était au cœur de la mentalité de la FICCI dans ses basses œuvres en vue de détruire le CCI. C'est sur la base de ces premiers textes et du travail théorique sur des aspects de la morale communiste que l'organisation a élaboré sa compréhension des causes profondes de la crise actuelle. La superficialité, les dérives opportunistes et "ouvriéristes", le manque de réflexion et de discussions théoriques au profit de l'intervention activiste et gauchisante dans les luttes immédiates, l'impatience et la tendance à perdre de vue notre activité sur le long terme, ont favorisé cette crise au sein du CCI. Cette crise a donc été identifiée comme une crise "intellectuelle et morale" et a été accompagnée par une perte de vue et une transgression des Statuts du CCI. 8

Le combat pour la défense des principes moraux du marxisme

La Conférence extraordinaire est revenue plus en profondeur sur une compréhension marxiste de la morale dans le but de préparer le cœur théorique de notre activité dans la période à venir. Nous allons poursuivre notre débat interne et explorer cette question comme principal outil de notre régénérescence face à la crise actuelle. Sans théorie révolutionnaire, il ne peut y avoir d'organisation révolutionnaire.

Contenue dans le projet communiste et inséparable de lui se trouve une dimension éthique. Et c'est cette dimension qui est particulièrement menacée par la société capitaliste qui a prospéré sur l'exploitation et la violence, "suant le sang et la boue par tous les pores", comme l'écrivait Marx dans Le Capital. Cette menace s'est particulièrement développée dans la période de décadence du capitalisme où, progressivement, la bourgeoisie a abandonné même ses propres principes moraux qu'elle défendait dans sa période libérale d'expansion du capitalisme. La phase finale de la décadence capitaliste – la période de décomposition sociale – dont l'effondrement du bloc de l'Est en 1989 a constitué la première grande manifestation – accentue encore plus ce processus. Aujourd'hui, la société bourgeoise est de plus en plus ouvertement, fièrement même, barbare. Nous le voyons dans tous les aspects de la vie sociale : la prolifération des guerres et la bestialité des méthodes utilisées dont le principal objectif semble être d'humilier et de dégrader les victimes avant de les massacrer ; l'accroissement du gangstérisme – et sa célébration au cinéma et dans la musique ; le développement des pogroms à la recherche de boucs-émissaires désignés comme responsables des crimes du capitalisme et de la souffrance sociale ; la montée de la xénophobie envers les immigrés et du harcèlement sur les lieux de travail (le "mobbing") ; le développement de la violence à l'égard des femmes, du harcèlement sexuel et de la misogynie (y compris dans les écoles et parmi les bandes de jeunes des cités ouvrières). Le cynisme, les mensonges et l'hypocrisie ne sont plus considérés comme répréhensibles mais sont enseignés dans les écoles de "management". Les valeurs les plus élémentaires de toute vie sociale –sans parler des valeurs de la société communiste – sont profanées au fur et à mesure que le capitalisme se putréfie.

Les membres des organisations révolutionnaires ne peuvent échapper à l'influence de cet environnement social de pensée et de comportement barbares. Ils ne sont pas immunisés contre cette atmosphère délétère de la décomposition de la société bourgeoise, en particulier quand la classe ouvrière, comme c'est encore le cas aujourd'hui, reste relativement passive et désorientée et, de ce fait, incapable d'offrir une alternative de masse à l'agonie prolongée de la société capitaliste. D'autres couches de la société, pourtant proches du prolétariat dans leurs conditions de vie, constituent un vecteur actif de cette putréfaction. L'impuissance et la frustration traditionnelles de la petite bourgeoisie – cette couche intermédiaire sans avenir historique se situant entre le prolétariat et la bourgeoisie – augmentent de façon démesurée et trouvent une issue dans les comportements pogromistes, dans l'obscurantisme et la "chasse aux sorcières", qui lui procurent la lâche illusion d' "accéder au pouvoir" en pourchassant et persécutant des individus ou des minorités (ethniques, religieuses, etc.) stigmatisés comme "fauteurs de troubles".

Il était particulièrement nécessaire de revenir sur le problème de la morale à la Conférence extraordinaire de 2014. En effet, le caractère explosif de la crise de 2001-2002, les agissements répugnants de la FICCI, les comportements d'aventuriers nihilistes de certains de ses membres, avaient tendu à obscurcir, au sein du CCI, les incompréhensions sous-jacentes plus profondes qui avaient fourni le terreau de la mentalité pogromiste à l'origine de la constitution de cette prétendue "fraction". 9 Du fait de la brutalité de la secousse provoquée par les agissements ignobles de la FICCI il y a une décennie, il a existé par la suite une forte tendance dans le CCI à vouloir revenir à la normale – à chercher un illusoire moment de répit. Il s'est développé un état d'esprit tendant à se détourner d'une démarche théorique et historique envers les questions organisationnelles au bénéfice d'une focalisation sur des questions plus pratiques d'intervention immédiate dans la classe ouvrière et d'une construction régulière mais superficielle de l'organisation. Bien qu'un effort considérable ait été dédié au travail de réflexion théorique en vue du dépassement de la crise de 2001, ce travail était de plus en plus vu comme une question annexe, secondaire, et non comme une question cruciale, de vie et de mort, pour l'avenir de l'organisation révolutionnaire.

La lente et difficile reprise de la lutte de classe en 2003 et la plus grande réceptivité du milieu politique à la discussion avec la Gauche communiste ont tendu à renforcer cette faiblesse. Certaines parties de l'organisation ont commencé à oublier les principes et les acquis organisationnels du CCI et à développer un dédain pour la théorie. Les Statuts de l'organisation qui contiennent les principes de centralisation internationaliste ont tendu à être ignorés au profit des habitudes du philistinisme local et de cercle, du bon sens commun et de la "religion de la vie quotidienne" (comme le disait Marx dans le livre 1 du Capital). L'opportunisme a commencé à se répandre, de façon insidieuse.

Cependant, il y eut une résistance à cette tendance au désintérêt pour les questions théoriques, à l'amnésie politique et à la sclérose. Une camarade en particulier a critiqué ouvertement cette dérive opportuniste et a été, de ce fait, considérée de plus en plus comme "semeur de trouble" et un obstacle au fonctionnement normal, routinier de l'organisation. Au lieu de présenter une réponse politique cohérente aux critiques et arguments de la camarade, l'opportunisme s'est exprimé par de la diffamation personnelle sournoise. D'autres militants (notamment dans les sections du CCI en France et en Allemagne) qui partageaient le point de vue de la camarade contre ces dérives opportunistes, ont été également les "victimes collatérales" de cette campagne de diffamation.

Ainsi, la Conférence extraordinaire a mis en évidence qu'aujourd'hui, comme dans l'histoire du mouvement ouvrier, les campagnes de dénigrement et l'opportunisme vont main dans la main. En fait, les premières apparaissent dans le mouvement ouvrier comme une expression extrême du second. Rosa Luxemburg qui, comme porte-parole de la gauche marxiste, était impitoyable dans ses dénonciations de l'opportunisme, fut systématiquement diffamée par les dirigeants et bureaucrates de la social-démocratie allemande. La dégénérescence du Parti bolchevique et de la Troisième Internationale fut accompagnée par la calomnie et la persécution sans fin de la vieille garde bolchevique, et en particulier de Léon Trotski.

L'organisation se devait donc de revenir au concept classique d'opportunisme organisationnel dans l'histoire du mouvement ouvrier qui inclut les leçons de la propre expérience du CCI.

La nécessité de mener le combat contre l'opportunisme (et son expression conciliatrice sous la forme du centrisme) a constitué un axe central des travaux de la Conférence extraordinaire : la crise du CCI requérait une lutte prolongée contre les racines des problèmes qui avaient été identifiées et qui se trouvent dans une certaine tendance à rechercher un cocon au sein du CCI, à transformer l'organisation en "club d'opinions" et à s'installer dans la société bourgeoise en décomposition. En fait, la nature même du militantisme révolutionnaire est le combat permanent contre le poids de l'idéologie dominante et de toutes les idéologies étrangères au prolétariat qui s'infiltrent insidieusement au sein des organisations révolutionnaires. C'est ce combat qui doit être la norme de la vie interne de l'organisation communiste et de chacun de ses membres.

La lutte contre tout accord superficiel, l'effort individuel de chaque militant pour exprimer ses positions politiques face à l'ensemble de l'organisation, la nécessité de développer ses divergences avec des arguments politiques sérieux et cohérents, la force d'accepter les critiques politiques – telles sont les insistances mises en avant par la Conférence extraordinaire. Comme le souligne la Résolution d'Activités qui a été adoptée à la Conférence : "6d) Le militant révolutionnaire doit être un combattant, pour les positions de classe du prolétariat et pour ses propres idées. Ceci n'est pas une condition optionnelle du militantisme, c'est le militantisme. Sans cela, il ne peut pas y avoir de lutte pour la vérité, qui ne peut apparaître qu'à partir de la confrontation des idées et du fait que chaque militant se lève pour défendre son point de vue. L'organisation a besoin de connaître les positions de tous les camarades, l'accord passif est inutile et contre-productif (…) Prendre sa responsabilité individuelle, être honnête est un aspect fondamental de la morale prolétarienne."

La crise actuelle n'est pas la crise "ultime" du CCI

A la veille de la Conférence extraordinaire, la publication sur Internet d'un "Appel au Camp prolétarien et aux militants du CCI" annonçant "la crise ultime" du CCI a pleinement souligné l'importance de cet esprit de combat pour la défense de l'organisation communiste et de ses principes, en particulier face à tous ceux qui cherchent à la détruire. Cet "appel" particulièrement nauséabond émane d'un soi-disant "Groupe International de la Gauche Communiste" (GIGC), en réalité un déguisement de l'infâme ex-FICCI grâce à son mariage avec des éléments de Klabastalo de Montréal. C'est un texte transpirant la haine et l'appel au pogrom contre certains de nos camarades. Ce texte annonce de façon tapageuse que ce "GIGC" est en possession de documents internes du CCI. Son intention est claire : tenter de saboter notre Conférence extraordinaire, de semer le trouble et la zizanie au sein du CCI en répandant la suspicion généralisée dans nos rangs juste à la veille de cette Conférence internationale (en faisant passer le message : il y a un traître dans le CCI, un complice du "GIGC" qui lui communique nos bulletins internes 10).

La Conférence extraordinaire a pris immédiatement position sur cet "Appel" du GIGC : aux yeux de tous les militants, il a été clair que l'ex-FICCI est en train de faire encore une fois (et de façon encore plus pernicieuse) le travail de la police à la manière que Victor Serge décrit de façon si éloquente dans son livre Ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression (rédigé sur la base des archives de la police tsariste découvertes après la révolution d'Octobre 1917). 11

Mais au lieu de monter les militants du CCI les uns contre les autres, le dégoût unanime engendré par les méthodes du "GIGC", dignes de la police politique de Staline et de la Stasi, a servi à mettre en lumière les plus grands enjeux de notre crise interne et a tendu à renforcer l'unité des militants derrière le mot d'ordre du mouvement ouvrier : "Tous pour un et un pour tous !" (rappelé dans le livre de Joseph Dietzgen, que Marx appelait le "philosophe du prolétariat", "L'essence du travail intellectuel humain"). Cette attaque policière du GIGC (ex-FICCI) a fait prendre conscience de façon encore plus claire à tous les militants que les faiblesses internes de l'organisation, le manque de vigilance face à la pression permanente de l'idéologie dominante au sein des organisations révolutionnaires, l'avait rendue vulnérable aux machinations de ses ennemis dont les intentions destructrices sont indubitables.

La Conférence extraordinaire a salué le travail extrêmement sérieux et gigantesque du Jury d'Honneur. Elle a salué également le courage de la camarade qui en a fait la demande et qui avait été ostracisée pour ses divergences politiques 12. Car seuls les lâches et ceux qui se savent coupables refusent de faire la clarté devant ce type de commission qui est un héritage légué par le mouvement ouvrier. Le nuage suspendu au-dessus de l'organisation a été dissipé. Et il était temps.

La Conférence extraordinaire ne pouvait mettre un terme à la lutte du CCI contre cette crise "intellectuelle et morale" – cette lutte continue nécessairement – mais elle a doté l'organisation d'une orientation sans ambiguïté : l'ouverture d'un débat théorique interne sur les "Thèses sur la morale" proposées par l'organe central du CCI. Bien évidemment, nous répercuterons ultérieurement dans notre presse les éventuelles positions divergentes lorsque notre débat aura atteint un niveau suffisant de maturité.

Certains de nos lecteurs penseront peut-être que la polarisation du CCI sur sa crise interne et sur le combat contre les attaques de type policier dont nous sommes la cible, est l'expression d'une "folie narcissique" ou d'un "délire paranoïaque collectif". Le souci de la défense intransigeante de nos principes organisationnels, programmatiques et éthiques serait, selon ce point de vue, une diversion par rapport à la tâche immédiate, pratique et "de bon sens" de développer le plus possible notre influence dans les luttes immédiates de la classe ouvrière. Ce point de vue ne fait que répéter, sur le fond mais dans un contexte différent, l'argument des opportunistes sur le fonctionnement sans à-coups du Parti social-démocrate allemand contre le Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie secoué par les crises au cours de la période ayant précédé la Première Guerre mondiale. La démarche consistant à escamoter les divergences, à refuser la confrontation des arguments politiques, pour "préserver l'unité", et ceci à n'importe quel prix, ne fait que préparer la disparition, tôt ou tard, des minorités révolutionnaires organisées.

La défense des principes communistes fondamentaux, aussi éloignée qu'elle puisse sembler des besoins et de la conscience actuels de la classe ouvrière, est, néanmoins, la tâche première des minorités révolutionnaires. Notre détermination à engager un combat permanent pour la défense de la morale communiste – qui est au cœur du principe de la solidarité – est une clé pour préserver notre organisation face aux miasmes de la décomposition sociale capitaliste qui s'infiltrent inévitablement au sein de toutes les organisations révolutionnaires. Seul l'armement politique, le renforcement de notre travail d'élaboration théorique, peut nous permettre de faire face à ce danger mortel. De plus, sans la défense implacable de l'éthique de la classe porteuse du communisme, la possibilité que le développement de la lutte de classe mène à la révolution et à la construction future d'une véritable communauté mondiale unifiée, serait continuellement étouffée.

Une chose est apparue clairement à la Conférence extraordinaire de 2014 : il n'y aura pas de retour à la normale dans les activités internes et externes du CCI.

Contrairement à ce qui était advenu lors de la crise de 2001, nous pouvons déjà nous réjouir que les camarades qui ont été embarqués dans une logique de stigmatisation irrationnelle d'un bouc émissaire aient pris conscience de la gravité de leur dérive. Ces militants ont décidé librement de rester loyaux au CCI et à ses principes et sont aujourd'hui engagés dans notre combat de consolidation de l'organisation. Comme l'ensemble du CCI, ils sont désormais impliqués dans le travail de réflexion et d'approfondissement théorique qui avait été largement sous-estimé par le passé. En s'appropriant la formule de Spinoza "ne pas rire, ne pas pleurer, ne pas désespérer mais comprendre", le CCI s'est attelé à la tâche de réappropriation de cette idée fondamentale du marxisme : la lutte du prolétariat pour la construction du communisme n'a pas seulement une dimension "économique" (comme se l'imaginent les matérialistes vulgaires) mais également et fondamentalement une dimension "intellectuelle et morale" (comme le mettaient en avant, notamment, Lénine et Rosa Luxemburg).

Nous sommes donc au regret d'apprendre à nos détracteurs de tous bords qu'il n'y a, au sein du CCI, aucune perspective immédiate d'une nouvelle scission parasitaire, comme cela fut le cas lors de nos crises précédentes. Il n'y a aucune perspective de constitution d'une nouvelle "fraction" susceptible de rejoindre l'"Appel" au pogrom du GIGC contre nos propres camarades ("Appel" frénétiquement relayé par différents "réseaux sociaux" et un dénommé Pierre "Hempel", qui se prend pour le représentant du "prolétariat universel"). Bien au contraire : les méthodes policières du GIGC (sponsorisé par une tendance "critique" au sein d'un parti réformiste bourgeois, le NPA ! 13) n'ont fait que renforcer l'indignation générale des militants du CCI et leur détermination à mener le combat pour le renforcement de l'organisation.

La "nouvelle" de notre disparition est donc grandement exagérée et prématurée !

Courant Communiste International


1 Comme lors de la conférence extraordinaire de 2002 (voir notre article de la Revue Internationale n° 110 "Conférence extraordinaire du CCI : Le combat pour la défense des principes organisationnels" [https://fr.internationalism.org/french/rint/110_conference.html] [3]), celle de 2014 s'est tenue en remplacement partiel du congrès régulier de notre section en France. Ainsi certaines séances ont été consacrées à la conférence internationale extraordinaire et d'autres au congrès de la section en France dont notre journal Révolution Internationale rendra compte ultérieurement.

2 Chénier était un membre de la section en France qui a été exclu durant l'été 1981 pour avoir mené une campagne secrète de dénigrements des organes centraux de l'organisation, de certains de ses militants les plus expérimentés et visant à dresser les militants les uns contre les autres, des agissements qui rappelaient étrangement ceux des agents du Guépéou au sein du mouvement trotskiste au cours des années 1930. Quelques mois après son exclusion, Chénier a pris des fonctions de responsabilité au sein de l'appareil du Parti Socialiste alors au gouvernement.

3 https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1904/05/vil19040500_pref.htm [4]

 

4 Parallèlement à cette campagne, s'était développés aussi, dans des discussions informelles au sein de la section en France, des ragots colportés par certains militants de la "vieille" génération dénigrant de façon scandaleuse notre camarade Marc Chirik, membre fondateur du CCI et sans lequel notre organisation n'existerait pas. Ces ragots ont été identifiés comme une manifestation du poids de l'esprit de cercle et de l'influence de la petite bourgeoisie décomposée qui avait profondément marqué la génération issue du mouvement estudiantin de Mai 68 (avec toutes ses idéologies anarcho-moderniste et gauchisantes).

5 Ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression

6 Le Jury d'Honneur du CCI s'est appuyé sur la méthode scientifique d'investigation et de vérification des faits de la Commission Dewey. L'ensemble de ses travaux (documents, procès-verbaux, enregistrements d'entretiens et de témoignages, etc.) est précieusement conservé dans les archives du CCI.

 

7 Voir notamment à ce sujet nos articles XVe Congrès du CCI, Renforcer l'organisation face aux enjeux de la période [5] dans la Revue internationale n° 114 (https://fr.internationalism.org/french/rint/114_xv_congress.html [5]), Les méthodes policières de la FICCI dans Révolution internationale n° 330 (https://fr.internationalism.org/ri330/ficci.html [6]) et Calomnie et mouchardage, les deux mamelles de la politique de la FICCI envers le CCI (https://fr.internationalism.org/icconline/2006_ficci [7])

8 L'organe central du CCI (de même que le Jury d'Honneur) a clairement démontré que ce n'est pas la camarade ostracisée qui n'avait pas respecté les Statuts du CCI, mais au contraire les militants qui se sont engagés dans cette campagne de dénigrement.

9 Les résistances dans nos rangs à développer un débat sur la question de la morale trouvent leur origine dans une faiblesse congénitale du CCI (et qui affecte, en réalité, l'ensemble des groupes de la Gauche communiste) : la première génération de militants rejetaient majoritairement cette question qui n'a pas pu être intégrée à nos Statuts, comme le souhaitait notre camarade Marc Chirik. La morale était vécue par ces jeunes militants de l'époque comme un carcan, un "produit de l'idéologie bourgeoise", à tel point que certains d'entre eux, issus du milieu libertaire, revendiquaient de vivre "sans tabou" ! Ce qui révélait une ignorance affligeante de l'histoire de l'espèce humaine et du développement de sa civilisation.

10 Voir notre "Communiqué à nos lecteurs : Le CCI attaqué par une nouvelle officine de l'État bourgeois" [https://fr.internationalism.org/icconline/201405/9079/communique-a-nos-l... [8].

11 Comme pour confirmer la nature de classe de cette attaque, un certain Pierre Hempel a publié sur son blog d'autres documents internes que l'ex-FICCI lui avait remis. Il a même froidement et publiquement affirmé sur son blog :,"Si la police m'avait fait parvenir un tel docu[ment], je l'en aurais remerciée au nom du prolétariat." ! La "sainte alliance" des ennemis du CCI (constituée, pour une bonne part, par une "amicale d'anciens combattants du CCI" recyclés) sait très bien à quel camp elle appartient !

12 Ce qui avait déjà été le cas au début de la crise de 2001 : lorsque cette même camarade a émis un désaccord politique avec un texte rédigé par un membre du Secrétariat International du CCI (sur la question de la centralisation), ce fut une levée de bouclier de la part de la majorité de ses membres qui, au lieu d'ouvrir un débat pour répondre aux arguments politique de la camarade, ont étouffé ce débat et ont engagé une campagne de calomnie contre elle, dans des réunions secrètes et en colportant des rumeurs dans les section en France et au Mexique, suivant lesquelles cette camarade, du fait de ses désaccords politiques avec des membres de l'organe central du CCI, était une "fouteuse de merde" et même un "flic", selon les dires des deux éléments de l'ex-FICCI (Juan et Jonas) qui sont à l'origine de la fondation du "GIGC".

13 Il faut constater qu'à ce jour, le "GIGC" n'a toujours pas donné d'explication sur ses relations et convergences avec cette tendance qui milite au sein du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) d'Olivier Besancenot. Qui ne dit mot consent !

 

Vie du CCI: 

  • Défense de l'organisation [9]
  • Prises de position du CCI [10]

Rubrique: 

Vie du CCI

Les guerres de l'été 2014 illustrent l'avancée de la désintégration du système

  • 1041 reads

Durant l'été 2014, alors que la classe dirigeante nous régalait avec les "commémorations" bruyantes de l'éclatement de la Première Guerre mondiale, l'intensification des conflits militaires a encore une fois confirmé ce que les révolutionnaires avaient déjà compris en 1914 : la civilisation capitaliste est devenue un obstacle au progrès, une menace pour la survie même de l'humanité. Dans la Brochure de Junius, écrite de prison en 1915, Rosa Luxemburg avertissait que si la classe ouvrière ne renversait pas ce système, celui-ci entrainerait nécessairement l'humanité dans une spirale de plus en plus destructrice de guerres impérialistes. L'histoire des 20e et 21e siècles a tragiquement vérifié cette prédiction et, aujourd'hui, après un siècle de déclin du capitalisme, la guerre est de plus en plus omniprésente, plus chaotique et irrationnelle que jamais. Nous avons atteint un stade avancé de la désintégration du système, une phase qui peut être décrite comme la décomposition du capitalisme.

Tous les grands conflits de l'été illustrent les caractéristiques de cette phase :

- La "guerre civile" en Syrie a réduit en ruines une grande partie du pays, détruisant la vie économique et le travail accumulé par les cultures passées, tandis que l'opposition au régime Assad était de plus en plus dominée par les djihadistes de "l'État islamique", dont le sectarisme brutal va au-delà de ce qui était imaginable, même avec Al-Qaïda ;

- Initialement soutenu par les États-Unis contre le régime d'Assad, lui-même soutenu par la Russie, "l'État islamique" a maintenant clairement échappé au contrôle de ses anciens partisans avec, pour résultat, la propagation à l'Irak de la guerre en Syrie, menaçant le pays de désintégration et obligeant les États-Unis à intervenir par des frappes aériennes contre la progression des forces islamiques, et à armer les Kurdes, bien que cette option comporte à son tour le risque de créer une nouvelle entité kurde qui serait un facteur supplémentaire de déstabilisation de toute la région ;

- En Israël / Palestine, une nouvelle campagne de bombardements israéliens, encore plus meurtrière, a fait 2 000 tués, des civils en majorité, sans aucune perspective réelle de faire cesser les tirs de roquettes du Hamas et du Jihad islamique ;

- En Ukraine, le nombre de morts a également augmenté, après le bombardement de zones résidentielles par le gouvernement de Kiev, tandis que la Russie est de plus en plus entraînée dans le conflit avec son soutien à peine déguisé aux "rebelles" pro-russes. En retour, ce conflit a visiblement aiguisé les tensions entre la Russie et les puissances occidentales.

Toutes ces guerres expriment la marche du capitalisme vers la destruction. Elles ne constitueront pas la base d'un nouvel ordre mondial ou d'une phase de prospérité comme après la Seconde Guerre mondiale. Elles sont, comme Rosa Luxemburg l'a écrit à propos de la Première Guerre mondiale, l'expression la plus concrète de la barbarie. Dans le même temps, elles ont un coût terrible pour la classe exploitée, la seule force qui peut stopper la chute dans la barbarie et affirmer la seule alternative possible : le communisme. À nouveau dans la Brochure de Junius, Rosa Luxemburg s'exprime en ces termes : "La guerre est un meurtre méthodique, organisé, gigantesque. En vue d'un meurtre systématique, chez des hommes normalement constitués, il faut cependant d'abord produire une ivresse appropriée. C'est depuis toujours la méthode habituelle des belligérants. La bestialité des pensées et des sentiments doit correspondre à la bestialité de la pratique, elle doit la préparer et l'accompagner".

En Israël, le cri de "Mort aux Arabes" est scandé contre les manifestants pacifistes ; à Paris, des manifestations "antisionistes" y font écho avec le slogan "Mort aux Juifs" ; en Ukraine, les forces pro et anti-gouvernementales sont mues par le nationalisme le plus enragé ; en Irak, les djihadistes menacent les chrétiens et les Yézidis, leur laissant le choix entre la conversion à l'islam ou la mort. Cette ivresse de guerre, cette atmosphère de pogrom, sont une atteinte à la conscience du prolétariat et, dans les zones de conflit, le livrent pieds et poings liés à ses exploiteurs et à leurs mobilisations guerrières.

Ces éléments, ces dangers pour l'unité et la santé morale de notre classe, nécessitent une réflexion approfondie et nous reviendrons sur cette question dans de prochains articles qui analyseront plus en profondeur les conflits impérialistes actuels et l'état de la lutte de classe. En attendant, nous renvoyons le lecteur à notre site Internet et à notre presse territoriale pour les articles sur les affrontements impérialistes actuels.

(15/08/2014)

 

Sur la nature et la fonction du parti politique du prolétariat (Internationalisme n° 38 – octobre 1948)

  • 1517 reads
 
 
 

Introduction du CCI

Le document que nous publions ci-dessous est paru pour la première fois en 1948 dans les pages d’Internationalisme, la presse du petit groupe Gauche Communiste de France, dont le CCI se réclame depuis sa formation en 1975. Il a été reproduit, au début des années 1970, dans le Bulletin d’études et de discussion publié par le groupe français Révolution internationale qui allait par la suite devenir la section en France du nouveau Courant Communiste International. Le Bulletin était lui-même le précurseur de l’organe théorique du CCI, la Revue internationale, et son but était d’ancrer plus solidement le nouveau groupe RI - et ses très jeunes militants - à travers une réflexion théorique et une meilleure connaissance de l’histoire du mouvement ouvrier, y compris l’histoire de ses confrontations avec les nouvelles questions théoriques posées par l’histoire. 1

Le principal objet de ce texte est d’examiner les conditions historiques qui déterminent la formation et l’activité des organisations révolutionnaires. L’idée même de “détermination” est fondamentale. Bien que la création et le maintien d’une organisation révolutionnaire soient le fruit d’une volonté militante cherchant à être facteur actif de l’histoire, la forme que cette volonté se donne n’existe pas indépendamment de la réalité sociale et surtout indépendamment du niveau de combativité et de conscience dans les larges masses de la classe ouvrière. La conception selon laquelle la création d’un parti de classe ne dépend que de la “volonté” des militants était celle du trotskisme dans les années 1930 mais aussi, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, du nouveau Partito Comunista Internazionalista, le précurseur des multiples groupes bordiguistes et de l’actuelle Tendance Communiste Internationale (ex-BIPR). L’article d’Internationalisme souligne, à juste raison selon nous, qu’il s’agit ici de deux conceptions fondamentalement différentes de l’organisation politique : l’une volontariste et idéaliste, l’autre matérialiste et marxiste. Au mieux, la conception volontariste ne pouvait mener qu’à un opportunisme congénital - comme ce fut le cas pour le PCInt et ses descendants ; au pire à la conciliation avec l’ennemi de classe et au passage dans le camp de la bourgeoisie.

L’importance de la réflexion théorique et historique sur cette question, pour la jeune génération de l’après-68, est évidente. Elle devait préserver le CCI (même si elle ne l’a pas immunisé, loin s’en faut) des pires effets de l’activisme effréné et de l’impatience typiques de cette période, et qui ont mené tant de groupes et de militants vers le néant politique.

Ce texte reste, nous en sommes profondément convaincus, tout autant d’actualité aujourd’hui pour une nouvelle génération de militants et, plus particulièrement, dans son insistance sur ce fait que la classe ouvrière n’est pas une simple catégorie sociologique mais une classe avec un rôle spécifique à jouer dans l’histoire : celui de renverser le capitalisme et d’édifier la société communiste 2. Le rôle des révolutionnaires dépend aussi des périodes historiques : lorsque la situation de la classe ouvrière fait qu’il lui est impossible d’influer sur le cours des évènements, le rôle des révolutionnaires n’est pas d’ignorer cette réalité et de s'illusionner sur le fait que leur intervention immédiate pourrait changer le cours des évènements, mais de s’atteler à une tâche bien moins spectaculaire, celle de préparer les conditions théoriques et politiques pour l’intervention déterminante dans les luttes de classes du futur.

Introduction d’Internationalisme

Notre groupe s’est donné comme tâche le réexamen des grands problèmes que pose la nécessité de reconstituer un nouveau mouvement ouvrier révolu­tionnaire. Il devait considérer 1’évolution de la société capitaliste vers le capitalisme d’État, et ce qui subsiste de 1ancien mouvement ouvrier, servant depuis un certain temps, d’appui à la classe capitaliste peur en­traîner le prolétariat derrière elle, il devait aussi examiner ce qui, dans cet ancien mouvement ouvrier, sert de matériel à cette classe dans ce but, et comment. Puis nous avons été amenés à reconsidérer ce qui, dans le mou­vement ouvrier, restait acquis et ce qui était dépassé depuis le Manifeste Communiste.

Enfin, il était normal que nous tendions à étudier les problèmes po­sés par la révolution et par le socialisme. C’est dans ce but que nous avons présenté une étude sur l’État après la révolution et que nous présentons aujourd’hui à la discussion une étude sur le problème du parti révolutionnaire du prolétariat.

Cette question est, rappelons-le, une des questions les plus importan­tes du mouvement ouvrier révolutionnaire. C’est elle qui opposa Marx et les marxistes aux anarchistes, à certaines tendances socialistes-démocratiques et ensuite, aux tendances syndicalistes-révolutionnaires. Elle est au centre des préoccupations de Marx qui a gardé surtout une attitude critique à l’égard des différents organismes qui se sont nommés partis “ouvriers”, “socialistes”, Internationales et autres. Marx, quoique participant acti­vement, dans des moments donnés, à la vie de certains de ces organismes, ne les considéra jamais que comme des groupes politiques au sein desquels, selon la phrase du Manifeste, les communistes peuvent se manifester comme “avant-garde du prolétariat”. Le but des communistes était de pousser plus loin 1’action de ces organismes et de garder en leur sein toute possibilité de critique et d’organisation autonome. Ensuite, c’est la scission au sein du parti ouvrier social-démocrate russe entre tendance menchevik et bolche­vik sur l’idée développée par Lénine dans Que faire ? C’est le problème qui opposa, dans les groupes marxistes ayant rompu avec la social-démocratie, Raden-kommunisten et le KAPD à la troisième Internationale. C’est aussi dans cet ordre de pensée que s’inscrit la divergence entre le groupe de Bordiga et Lénine au sujet de la politique de “front unique” préconisée par Lénine et Trotsky et adoptée par l’IC. C:est enfin sur ce problème que subsiste une des divergences essentielles entre différents groupes, au sein de l’op­position : entre “trotskystes”, “bordiguistes” et c’est ce problème qui fit l’objet des discussions de tous les groupes qui se manifestèrent à cette époque.

Aujourd’hui, nous avons à refaire 1’examen critique de toutes ces mani­festations du mouvement ouvrier révolutionnaire. Nous devons dégager dans son évolution - c!’est-à-dire dans la manifestation de différents courants d’idées à ce sujet - un courant qui, selon nous, exprime le mieux l’attitu­de révolutionnaire, et essayer de poser le problème pour le futur mouvement ouvrier révolutionnaire.

Nous devons également reconsidérer d’une façon critique les points de vue d’où l’on a abordé ce problème, voir ce qu’il y a de constant dans l’ex­pression révolutionnaire du prolétariat, mais aussi ce qu’il y a de dépassé et les problèmes nouveaux qui se posent.

Or, il est bien évident qu’un tel travail ne peut porter des fruits que s’il constitue un objet de discussion entre groupes et au sein des grou­pes qui se proposent de reconstituer un nouveau mouvement ouvrier révolu­tionnaire.

L’étude présentée aujourd’hui constitue donc une participation à cette discussion ; elle s’inscrit dans cet ordre de préoccupations et n’a donc pas d’autre prétention, quoique présentée sous la forme de thèses. Elle a sur­tout comme but de susciter la discussion et la critique, plus que d’appor­ter des solutions définitives. C’est un travail de recherche et qui vise moins à l’approbation ou au rejet pur et simple qu’à susciter d’autres tra­vaux de ce genre.

Cette étude a comme objet de préoccupation essentielle “la manifestation de la conscience révolutionnaire” du prolétariat. Mais il y a nombre de ques­tions qui s’inscrivent au programme de ce problème du parti et qui ne sont qu’effleurées : des problèmes organisationnels, des problèmes sur les rapports entre le parti et des organismes tels que les conseils d’ouvriers, des pro­blèmes concernant 1’attitude des révolutionnaires devant la constitution de plusieurs groupes se réclament DU parti révolutionnaire et œuvrant à sa construction, les problèmes que posent les tâches pré et postrévolutionnaires, etc. …

Il convient donc que les militants qui comprennent que la tâche de l’heure est l’examen de ces divers problèmes interviennent activement dans cette discussion, soit au travers de leurs propres journaux ou bulletins, soit dans ce bulletin, pour ceux qui ne disposent pas momentanément d’une telle possibilité d’expression.

Le rôle décisif de la conscience pour la révolution prolétarienne

1. L’idée de la nécessité d’un organisme politique agissant du prolétariat, pour la révolution sociale, semblait être acquise dans le mouvement ouvrier socialiste.

Il est vrai que les anarchistes ont toujours protesté contre le terme “politique” donné à cet organisme. Mais la protestation anarchiste prove­nait du fait qu’ils entendaient le terme de l’action politique dans un sens très étroit, synonyme pour eux, d’une action pour des réformes législatives : participation aux élections et au parlement bourgeois, etc... Mais ni les anarchistes, ni aucun autre courant dans le mouvement ouvrier ne nient la nécessité du regroupement des révolutionnaires socialistes dans des asso­ciations qui, par l’action et la propagande, se donnent pour tâche d’inter­venir et d’orienter la lutte des ouvriers. Or, tout groupement qui se donne pour tâche d’orienter dans une certaine direction les luttes sociales est un groupement politique.

Dans ce sens, la lutte d’idée autour du caractère politique ou non po­litique à donner à ces organisations n’est qu’un débat de mots, cachant au fond, sous des phrases générales, des divergences concrètes sur l’orienta­tion, sur les buts à atteindre et les moyens pour y parvenir. En d’autres termes, des divergences précisément politiques.

Si aujourd’hui surgissent à nouveau des tendances qui remettent en question la nécessité d’un organisme politique pour le prolétariat, c’est une conséquence de la dégénérescence et du passage au service du capi­talisme des partis qui furent autrefois des organisations du prolétariat : les partis socialistes et communistes. Les termes de politique et de partis politiques subissent actuellement un discrédit, même dans des milieux bour­geois. Cependant, ce qui a conduit à des faillites retentissantes n’est pas la politique mais CERTAINES politiques. La politique n’étant rien d’autre que l’orientation que se donnent les hommes dans l’organisation de leur vie sociale ; se détourner de cette action, c’est renoncer à vouloir orienter la vie sociale et par conséquent à vouloir la transformer, c’est subir et accepter la société présente.

2. La notion de classe est essentiellement une notion historico-politique, et non simplement une classification économique. Économiquement, tous les hommes font partie d’un et même système de production dans une période his­torique donnée. La division basée sur les positions distinctes que les hommes occupent dans un même système de production et de répartition et qui ne dépasse pas le cadre de ce système, ne peut devenir le postulat de la nécessité historique du dépassement de celui-ci. La division en catégo­ries économiques n’est alors qu’un moment de la contradiction interne cons­tante se développant avec le système, mais restant circonscrite à l’inté­rieur des limites de celui-ci. L’opposition historique est en quelque sorte extérieure, dans le sens qu’elle s’oppose à l’ensemble du système pris comme un tout, et cette opposition se réalise dans la destruction du système social existant et son remplacement par un autre basé sur un nouveau mode de produc­tion. La classe est la personnification de cette opposition historique en même temps qu’elle est la force sociale-humaine la réalisant.

Le prolétariat n’existe en tant que classe dans le plein sens du terme que dans l’orientation qu’il donne à ses luttes, non en vue de l’aménage­ment de ses conditions de vie à l’intérieur du système capitaliste, mais dans son opposition à l’ordre social existant. Le passage de la caté­gorie à la classe, de la lutte économique à la lutte politique, n’est pas un processus évolutif, un développement continu immanent, de façon que 1’opposition historique de classe émerge automatiquement et naturellement après avoir été longtemps contenue dans la position économique des ouvriers. De l’une à l’autre, il y a un bond dialectique qui s’effectue. Il consiste dans la prise de conscience de la nécessité historique de la disparition du système capitaliste. Cette nécessité historique coïncide avec l’aspiration du prolétariat à la libération de sa condition d’exploité et la contient.

3. Toutes les transformations sociales dans l’histoire avaient pour con­dition fondamentale déterminante le développement des forces productives devenues incompatibles avec la structure par trop étroite de l’ancienne société. C’est aussi dans l’impossibilité de dominer plus longtemps les forces productives qu’il a développées que le capitalisme accuse sa propre fin et la raison de son effondrement et apporte ainsi la condition et la justification historique de son dépassement par le socialisme.

Mais hormis cette condition, les différences dans le déroulement entre les révolutions antérieures (y compris la révolution bourgeoise) et la ré­volution socialiste, restent décisives et nécessitent une étude approfondie de la part de la classe révolutionnaire.

Pour la révolution bourgeoise, par exemple, les forces de production incompatibles avec le féodalisme, trouvent encore la condition de leur dé­veloppement dans un système de propriété d’une classe possédante. De ce fait, le capitalisme développe économiquement ses bases lentement et longtemps à l’intérieur du monde féodal. La révolution politique suit le fait économi­que et le consacre. De ce fait également, la bourgeoisie n’a pas un besoin impérieux d’une conscience du mouvement économique et social. Son action est directement propulsée par la pression des lois du développement écono­mique qui agissent sur elle comme des forces aveugles de la nature et dé­terminent sa volonté. Sa conscience demeure un facteur de second ordre. El1e retarde sur les faits. Elle est plus enregistrement qu’orientation. La révolution bourgeoise se situe dans cette préhistoire de l’humanité où les forces productives encore peu développées dominent les hommes.

Le socialisme au contraire est basé sur un développement des forces productives incompatible avec toute propriété individuelle ou sociale d’une classe. De ce fait le socialisme ne peut fonder des assises économiques au sein de la société capitaliste. La révolution politique est la première condition d’une orientation socialiste de l’économie et de la société. De ce fait également, le socialisme ne peut se réaliser qu’en tant que cons­cience des finalités du mouvement, conscience des moyens de leur réalisa­tion et volonté consciente de l’action. La conscience socialiste PRECEDE ET CONDITIONNE l’action révolutionnaire de la classe. La révolution socia­liste est le début de l’histoire où l’homme est appelé à dominer les forces productives qu’il a déjà fortement développées et cette domination est pré­cisément l’objet que se pose la révolution socialiste.

4. Pour cette raison, toutes les tentatives d’asseoir le socialisme sur des réalisations pratiquées au sein de la société capitaliste sont par la nature même du socialisme vouées à l’échec. Le socialisme exige, dans le temps un développement avancé des forces productives, pour espace la terre entière, et pour condition primordiale la volonté consciente des hommes. La démonstration expérimentale du socialisme au sein de la société capita­liste ne peut pas dépasser, dans le meilleur des cas, le niveau d’une utopie. Et la persistance dans cette-voie mène de l’utopie à une position de conservation et de renforcement du capitalisme 3. Le socialisme en régime capitaliste ne peut être qu’une démonstration théorique, sa matérialisation ne peut prendre que la forme d’une force idéologique, et sa réalisation que la lutte révolutionnaire du prolétariat contre l’ordre social existant.

Et puisque l’existence du socialisme ne peut se manifester d’abord que dans la conscience socialiste, la classe qui le porte et le personnifie n’a d’existence historique que par cette conscience. La formation du prolétariat en tant que classe historique n’est que la formation de sa conscience socia­liste. Ce sont là deux aspects d’un même processus historique inconcevables séparément parce qu’inexistants l’un sans l’autre.

La conscience socialiste ne découle pas de la position économique des ouvriers, elle n’est pas un reflet de leur condition de salariés. Pour cette raison, la conscience socialiste ne se forge pas simultanément et spontané­ment dans les cerveaux de tous les ouvriers et uniquement dans leurs cerveaux. Le socialisme en tant qu’idéologie apparaît séparément et parallèlement aux luttes économiques des ouvriers, tous les deux ne s’engendrent pas l’un l’au­tre quoique s’influençant réciproquement et se conditionnant dans leur déve­loppement, tous les deux trouvent leurs racines dans le développement histo­rique de la société capitaliste.

La formation du parti de classe dans l’histoire

5. Si les ouvriers ne deviennent “classe par elle-même et pour elle-même” (selon l’expression de Marx et Engels) que par la prise de conscience socialiste, on peut dire que le processus de constitution de la classe s’identi­fie au processus de formation des groupes de militants révolutionnaires so­cialistes. Le parti du prolétariat n’est pas une sélection, pas davantage une “délégation” de la classe, mais c’est le mode d’existence et de vie de la classe elle-même. Pas plus qu’on ne peut saisir la matière en dehors du mouvement, on ne peut saisir la classe en dehors de sa tendance à se consti­tuer en organismes politiques. “L’organisation du prolétariat en classe, donc en parti politique” (Manifeste Communiste) n’est pas une formule du ha­sard, mais exprime la pensée profonde de Marx-Engels. Un siècle d’expérience a magistralement’’ confirmé la validité de cette façon de concevoir la notion de classe.

6. La conscience socialiste ne se PRODUIT pas par génération spontanée mais se REPRODUIT sans cesse, et une fois apparue elle devient dans son opposition au monde capitaliste existant, le principe actif déterminant et accélérant, dans et par l’action, son propre développement. Toutefois ce développement est conditionné et limité par le développement des con­tradictions du capitalisme. Dans ce sens la thèse de Lénine de la “cons­cience socialiste injectée aux ouvriers” par le parti en opposition à la thèse de Rosa de la “spontanéité” de la prise de conscience engendrée au cours d’un mouvement partant de la lutte économique pour aboutir à la lutte socialiste révolutionnaire, est certainement plus exact. La thèse de la “spontanéité”, aux apparences démocratiques, a quant au fond, une tendance mécaniste d’un déterminisme économique rigoureux. Elle part d’une relation de cause à effet : la conscience socialiste ne serait que la résultante, l’effet d’un mouvement premier, à savoir, la lutte économique des ouvriers qui l’engendrerait. Elle serait en outre d’une nature fondamentalement passive par rapport aux luttes économiques, qui seront 1’élément actif. La conception de Lénine restitue à la conscience socia­liste et au Parti qui la matérialise leur caractère de facteur et de principe essentiellement actifs. Elle ne la détache pas mais l’inclut dans la vie et dans le mouvement.

7. La difficulté fondamentale de la révolution socialiste réside dans cette situation complexe et contradictoire : d’une part la révolution ne peut se réaliser qu’en tant quaction CONSCIENTE de la GRANDE MAJORITE de la classe ouvrière, d’autre part cette prise de conscience se heurte aux conditions qui sont faites aux ouvriers dans la société capitaliste, conditions qui empêchent et détruisent sans cesse la prise de conscience par les ouvriers de leur mission historique révolutionnaire. Cette difficulté ne peut abso­lument pas être surmontée uniquement par la propagande théorique indépen­damment de la conjoncture historique. Mais moins encore que dans la propa­gande pure, la difficulté ne saurait trouver la condition de sa solution par les luttes économiques des ouvriers. Laissées à leur propre développe­ment interne, les luttes des ouvriers contre les conditions d’exploitation capitaliste peuvent mener tout au plus à des explosions de révolte, c’est- à-dire à des réactions négatives mais qui sont absolument insuffisantes pour leur action positive de transformation sociale, uniquement possible par la conscience des finalités du mouvement. Ce facteur ne peut être que cet élé­ment politique de la classe qui tire sa substance théorique, non des con­tingences et du particularisme de la position économique des ouvriers, mais du mouvement des possibilités et des nécessités historiques. Seule 1’intervention de ce facteur permet à la classe de passer du plan de la réaction négative au plan de 1’action positive, de la révolte à la révolu­tion.

8. Mais il serait absolument erroné de vouloir substituer ces organismes, manifestations de la conscience et de 1’existence de la classe, à la classe elle-même et ne considérer la classe que comme une masse informe destinée à servir de matériau à ces organismes politiques. Cela serait substituer une conception militariste à la conception révolutionnaire du rapport entre la conscience et l’être, entre le parti et la classe. La fonction histori­que du parti n’est pas d’être un État-Major dirigeant 1!’action de la classe considérée comme une armée, et comme elle ignorant le but final, les objec­tifs immédiats des opérations, et le mouvement “d’ensemble des manœuvres”. La révolution socialiste n’est en rien comparable à l’action militaire. Sa réalisation est conditionnée par la conscience qu’ont les ouvriers eux-mêmes dictant leur décision et actions propres.

Le Parti n’agit donc pas à la place de la classe. Il ne réclame pas la “confiance” dans le sens bourgeois du mot, c’est-à-dire d’être une délégation à qui est confié le sort - et la destinée - de la société. Il a uniquement pour fonction historique d’agir en vue de permettre à la classe d’acquérir elle- même la conscience de sa mission, de ses buts et des moyens qui sont les fon­dements de son action révolutionnaire.

9. Avec la même vigueur que doit être combattue cette conception du Parti État-Major, agissant pour le compte et à la place de la classe, doit égale­ment être rejetée cette autre conception qui, partant du fait que “l’émanci­pation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes” (Adresse Inaugurale de la première Internationale) prétend nier le rôle du militant et du parti révolutionnaire. Sous le prétexte très louable de ne pas imposer leur volonté aux ouvriers, ces militants s’esquivent de leur tâche, fuient leur propre responsabilité et mettent les révolutionnaires à la queue du mouvement ouvrier.

Les premiers se mettent en dehors de la classe, en la niant et en se substituant à elle, les seconds se mettent non moins en dehors d’elle, en niant la fonction propre à l’organisation de classe qu’est le parti, en se niant comme facteur révolutionnaire et en s’excluant par l’interdiction qu’ils jettent sur leur propre action.

10. Une correcte conception des conditions de la révolution socialiste doit partir des éléments suivants et les englober :

a. Le socialisme n’est une nécessité que du fait que le développement atteint par les forces de production n’est plus compatible avec une société divisée en classes.

b. Cette nécessité ne peut devenir réalité que par la volonté et l’ac­tion consciente de la classe opprimée, dont la libération sociale se confond avec la libération de l’humanité de son aliénation aux forces de production auxquelles elle a été assujettie jusqu’à ce jour.

c. Le socialisme étant à la fois nécessité objective et volonté sub­jective, il ne peut s’exprimer que dans L’ACTION révolutionnaire consciente de sa finalité.

d. L’action révolutionnaire est inconcevable en dehors d’un programme révolutionnaire. De même l’élaboration du programme est inséparable de l’ac­tion. Et c’est parce que le Parti révolutionnaire est un “corps de doctrine et une volonté d’action” (Bordiga) qu’il est la concrétisation la plus ache­vée de la conscience socialiste, et l’élément fondamental de sa réalisation.

11. La tendance à la constitution du Parti du prolétariat se fait dès la naissance de la société capitaliste. Mais tant que les conditions histori­ques pour le socialisme ne sont pas suffisamment développées, l’idéologie du prolétariat comme la construction du Parti ne peuvent que rester au sta­de embryonnaire. Ce n’est qu’avec la “Ligue des Communistes” qu’apparaît pour la première fois un type achevé d’organisation politique du prolétariat.

Quand on examine de près le développement de la constitution des par­tis de classe, il apparaît immédiatement le fait que l’organisation en par­tis ne suit pas une progression constante, mais au contraire enregistre des périodes de grand développement alternant avec d’autres pendant lesquelles le Parti disparaît. Ainsi l’existence organique du Parti ne semble pas dé­pendre uniquement de la volonté des individus qui le composent. Ce sont les situations objectives qui conditionnent son existence. Le parti étant es­sentiellement un organisme d’action révolutionnaire de la classe, il ne peut exister que dans des situations où l’action de la classe se fait jour. En absence de conditions d’action de classe des ouvriers (stabilité économi­que et politique du capitalisme, ou à la suite de défaites profondes des luttes ouvrières), le parti ne peut subsister. Il se disloque organiquement ou bien il est obligé pour subsister, c’est-à-dire pour exercer une influ­ence, de s’adapter aux conditions nouvelles qui nient l’action révolution­naire, et alors le Parti inévitablement se remplit d’un contenu nouveau. Il devient-conformiste, c1est-à-dire qu’il cesse d’être le parti de la dévolution.

Marx, mieux que tout autre a compris le conditionnement de l’existen­ce du Parti. A deux reprises, il se fait l’artisan de la dissolution de la grande organisation, en 1851- au lendemain de la défaite de la révolution et du triomphe de la réaction en Europe, une seconde fois en 1873 après la défaite de la Commune de Paris, il se prononce franchement pour la disso­lution. La première fois, de la Ligue des Communistes, et la seconde fois, de la première Internationale.

La tâche de l’heure pour les militants révolutionnaires

12. L’expérience de la deuxième Internationale confirme l’impossibilité de maintenir au prolétariat son parti dans une période prolongée d’une situation non révolutionnaire. La participation finale des partis de la deuxième Internationale à la guerre impérialiste de 1914 n’a fait que révéler la longue corruption de 1’organisation. La perméabilité et pénétrabilité, toujours possibles, de l’organisation politique du prolétariat par l’idéologie de la classe capitaliste régnante, prennent dans des pé­riodes prolongées de stagnation et de reflux de la lutte de classe, une ampleur telle que l’idéologie de la bourgeoisie finit par se substituer à celle du prolétariat, qu’inévitablement le parti se vide de son contenu de classe primitif pour devenir l’instrument de classe de l’ennemi.

L’histoire des partis communistes de la troisième Internationale a de nou­veau démontré l’impossibilité de sauvegarder le parti dans une période de reflux révolutionnaire et sa dégénérescence dans une telle période.

13. Pour ces raisons, la constitution de partis, celle d’une Internationale par les trotskystes depuis 1935 et la constitution récente d’un Parti Commu­niste Internationaliste en Italie, tout en étant des formations artificiel­les, ne peuvent être que des entreprises de confusion et d’opportunisme. Au lieu d’être des moments de la constitution du futur Parti de classe, ces formations sont des obstacles et le discréditent par la caricature qu’elles présentent. Loin d’exprimer une maturation de la conscience, et un dépassement de 1’ancien programme qu’elles transforment en dogmes, elles ne font que reproduire l’ancien programme et se font prisonnières de ces dogmes. Rien d’étonnant que ces formations reprennent les positions arriérées et dépassées de 1:ancien Parti en les aggravant encore, comme la tactique du parlementarisme, syndicalisme, etc. ...

14. Mais la rupture de l’existence organisationnelle du Parti ne signifie pas une rupture dans le développement de l’idéologie de classe. Les reflux révolutionnaires signifient en premier lieu l’immaturité du programme révo­lutionnaire. La défaite est le signal de la nécessité de réexamen critique de positions programmatiques antérieures, et l’obligation de son dépassement sur la base de l’expérience vivante de la lutte.

Cette œuvre critique positive d’élaboration programmatique se poursuit au travers des organismes émanant de l’ancien Parti. Ils constituent l’élé­ment actif dans la période de recul pour la constitution du futur parti dans une période d’un nouveau flux révolutionnaire. Ces organismes, ce sont les groupes ou fractions de gauche issus du parti après sa dissolution or­ganisationnelle ou son aliénation idéologique. Telles furent : la Fraction de Marx dans la période allant de la dissolution de la Ligue à la constitu­tion de la première Internationale, les courants de gauche dans la deuxième Internatio­nale (pendant la Première Guerre mondiale) et qui ont donné naissance aux nouveaux partis et Internationale en 1919 ; tels sont les fractions de gau­che et les groupes qui poursuivent leur travail révolutionnaire depuis la dégénérescence de la troisième Internationale. Leur existence et leur dévelop­pement sont la condition de l’enrichissement du programme de la révolution et de la reconstruction du parti de demain.

15. L’ancien parti une fois happé et passé au service de la classe ennemie cesse définitivement d’être un milieu où s’élabore et chemine la pensée ré­volutionnaire, et où peuvent se former des militants du prolétariat. Aussi c’est ignorer le fondement de la notion de parti que d’escompter sur des courants venant de la social-démocratie ou du stalinisme, pour servir de matériaux de construction du nouveau parti de classe. Les trotskystes adhé­rant aux partis de la deuxième Internationale ou poursuivant 1’hypocrite pratique du noyautage en direction de ces partis, afin de susciter dans ces milieux anti-prolétariens des courants “révolutionnaires” avec qui ils veu­lent constituer le nouveau parti du prolétariat, montrent par là qu’eux-mêmes ne sont qu’un courant mort, expression d’un mouvement passé et non d’avenir.

De même que le nouveau Parti de la révolution ne peut se constituer sur la base d’un programme dépassé par les événements, de même il ne peut se construire avec des éléments qui restent organiquement attachés à des organismes qui ont cessé à jamais d’être de la classe ouvrière.

16. L’histoire du mouvement ouvrier n’a jamais connu de période plus sombre et un recul plus profond de la conscience révolutionnaire que la période pré­sente. Si l’exploitation économique des ouvriers apparaît comme condition absolument insuffisante pour la prise de conscience de leur mission histo­rique, il s’avère que cette prise de conscience est infiniment plus diffi­cile que ne 1e pensaient les militants révolutionnaires. Peut-être faut-il pour que le prolétariat puisse se ressaisir, que l’humanité connaisse le cau­chemar de la Troisième Guerre mondiale et l’horreur du monde en chaos, et que le prolétariat se trouve d’une façon tangible placé dans le dilemme : mourir ou se sauver par la révolution, pour qu’il trouve la condition de son ressai­sissement et de sa conscience.

17. Il ne nous appartient pas dans le cadre de cette thèse de rechercher les conditions précises qui permettront la prise de conscience du prolé­tariat, ni quelles seront les données de groupement et d’organisation unitaire que se donnera le prolétariat pour son combat révolutionnaire. Ce que nous pouvons avancer à ce sujet, et que l’expérience des trente dernières années nous autorise à affirmer, d’une façon catégorique, c’est que ni les revendications économiques, ni toute la gamme des revendications dites “démocratiques” (parlementarisme, droit des peuples à disposer d’eux- mêmes, etc...) ne peuvent servir de fondement à l’action historique du pro­létariat. Pour ce qui concerne les formes d’organisation, il apparaît avec encore plus d’évidence que ce ne pourront pas être les syndicats, avec leur structure verticale, professionnelle, corporatiste. Toutes ces formes d’or­ganisation devront être reléguées au musée de l’histoire et appartiennent au passé du mouvement ouvrier. Mais dans la pratique elles doivent être absolument abandonnées et dépassées. Les nouvelles organisations devront être unitaires, c’est-à-dire englober la grande majorité des ouvriers et dépasser le cloisonnement particulariste des intérêts professionnels. Leur fondement sera le plan social, leur-structure la localité. Les conseils ouvriers, tels qu’ils ont surgi en 1917 en Russie et en 1918 en Allemagne, apparaissent comme le type nouveau d’organisation unitaire de la classe, c’est dans ce type de conseils ouvriers et non dans un rajeunissement des syndicats que les ouvriers trouveront le forme la plus appropriée de leur organisation.

Mais quelles que soient les formes nouvelles d’organisation unitaire de la classe, elles ne changent en rien le problème de la nécessité de l’organisme politique qu’est le Parti, ni le rôle décisif qu’il a à jouer. Le parti restera le facteur conscient de l’action de classe. Il est la for­ce motrice idéologique indispensable à 1’action révolutionnaire du prolé­tariat. Dans l’action sociale il joue un rôle analogue à l’énergie dans la production. La reconstruction de cet organisme de classe est à la fois conditionnée par une tendance se faisant jour dans la classe ouvrière de rupture avec l’idéologie capitaliste et s’engageant pratiquement dans une lutte contre le régime existant en même temps que cette reconstruction est une condition d’accélération et d’approfondissement de cette lutte et la condition déterminante de son triomphe.

18. On ne saurait déduire du fait de l’inexistence, dans la période pré­sente, des conditions requises pour la construction du parti, à l’inutilité ou à l’impossibilité de toute activité immédiate des militants révolution­naires. Entre “l’activisme” creux des faiseurs de partis, et l’isolement individuel, entre un aventurisme et un pessimisme impuissants, le militant ne saurait faire un choix, mais les combattre comme étant également étran­gers à l’esprit révolutionnaire et nuisibles à la cause de la révolution. Rejetant également la conception volontariste de l’action militante qui se présente comme l’unique facteur déterminant le mouvement de la classe et la conception mécaniste du parti, simple reflet du passif du mouvement, le militant doit considérer son action comme un des facteurs qui, dans l’interaction avec les autres facteurs, conditionne et détermine l’action de la classe. C’est en partant de cette conception que le militant trouve le fondement de la nécessité et de la valeur de son activité, en même temps que la limite de ses possibilités et de sa portée. Adapter son activité aux conditions de la conjoncture présente, c’est le seul moyen de la rendre efficiente et féconde.

19. La volonté de construire, en toute hâte et à tout prix, le nouveau parti de classe, en dépit des conditions objectives défavorables et en les violentant, relève à la fois d’un volontarisme aventuriste et infantile et d’une fausse appréciation de la situation et de ses perspectives immé­diates, et finalement d’une totale méconnaissance de la notion de parti et des rapports entre le parti et la classe. Aussi, toutes ces tentatives sont fatalement vouées à l’échec, ne réussissant dans les meilleurs des cas qu’à créer des groupements opportunistes se traînant dans les sillages des grands partis de la deuxième et de la troisième Internationales. La seule raison qui justifie alors leur existence n’est plus que le développement en leur sein d’un esprit de chapelle et de secte.

Ainsi toutes ces organisations sont non seulement happées dans leur positivité par leur “activisme” immédiat dans 1’engrenage de l’opportunisme mais encore produisent dans leur négativité un esprit borné propre à des sectes, un patriotisme de clocher, un attachement craintif et superstitieux à ses “chefs”, à la reproduction caricaturale du jeu des grandes organisa­tions, à la déification de règles d’organisation et à la soumission a une discipline “librement consentie” d’autant plus tyrannique et plus intoléra­ble qu’elle est en proportion inverse du nombre.

Dans son double aboutissement, la construction artificielle et préma­turée du parti conduit à la négation de la construction de l’organisme poli­tique de la classe, à la destruction des cadres et à la perte, à échéance plus ou moins brève mais certaine, du militant, usé, épuisé, dans le vide et complètement démoralisé.

20. La disparition du Parti, soit par son rétrécissement et sa dislocation organisationnelle comme ce fut le cas pour la première Internationale, soit par son passage au service du capitalisme comme ce fut le cas pour les par­tis des deuxième et troisième Internationales, exprime dans l’un et l’autre cas la fin d’une période dans la lutte révolutionnaire du prolétariat. La disparition du parti est alors inévitable et aucun volontarisme ou la pré­sence d’un chef plus ou moins génial ne saurait l’en empêcher.

Marx et Engels ont vu à deux reprises l’organisation du prolétariat, à la vie de laquelle ils ont pris part de façon prépondérante, se briser et mourir. Lénine et Luxembourg ont assisté impuissants à la trahison des grands partis sociaux-démocrates. Trotsky et Bordiga n’ont rien pu trans­former de la dégénérescence des partis communistes et leur transformation en une monstrueuse machine du capitalisme que nous connaissons depuis.

Ces exemples nous enseignent, non pas l’inanité du Parti comme le pré­tend une analyse superficielle et fataliste, mais seulement que cette néces­sité qu’est le Parti de la classe n’a pas une existence basée sur une ligne uniformément continue et ascendante, que son existence même n’est pas toujours possible, que son développement et son existence sont en correspondance et étroitement liés à la lutte de classe du prolétariat, qui lui donne naissance et qu’il exprime. C’est pourquoi la lutte des militants ré­volutionnaires au sein du parti au cours de sa période de dégénérescence et avant sa mort en tant que parti ouvrier a un sens révolutionnaire, mais non celui vulgaire que lui ont donné les diverses oppositions trotskystes. Pour ces dernières, il s’agissait de redressements, et pour redresser il fallait avant tout que l’organisation et son unité ne soient pas mises en péril. Il s’agissait pour eux de maintenir 1’organisation dans sa splendeur passée alors que précisément les conditions objectives ne le permettaient pas et que la splendeur de l’organisation ne pouvait se maintenir qu’au prix d’une altération constante et croissante, de sa nature révolutionnaire et de classe. Ils cherchaient dans des mesures organisationnelles les remèdes pour sauver l’organisation, sans comprendre que l’effondrement organisationnel est toujours l’expression et le reflet d’une période de reflux révolutionnaire et souvent la solution de loin préférable à sa survivance et qu’en tout cas ce que les révolutionnaires avaient à sauver c’était non 1’organisation mais l’idéologie de la classe risquant de sombrer dans l’ef­fondrement de l’organisation.

Ne comprenant pas les causes objectives de l’inévitable perte de l’an­cien parti, on ne pouvait comprendre la tâche des militants dans cette pé­riode. De l’échec de la sauvegarde de l’ancien parti à la classe, on con­cluait à la nécessité de construire dans l’immédiat un nouveau parti. L’in­compréhension ne faisait que se doubler d’un aventurisme, le tout basé sur une conception volontariste du parti.

Une étude correcte de la réalité fait comprendre que la mort de 1’an­cien parti implique précisément l’impossibilité immédiate de construire un nouveau parti ; elle signifie l’inexistence dans la période présente des conditions nécessaires pour 1’existence de tout parti, aussi bien ancien que nouveau.

Dans une telle période, seuls peuvent subsister des petits groupes révolutionnaires assurant une solution de continuité moins organisationnelle qu’idéologique, condensant en leur sein l’expérience passée du mouvement et de la lutte de la classe, présentant le trait d’union entre le parti d’hier et celui de demain, entre le point culminant de la lutte et de la maturité de la conscience de classe dans la période de flux passé vers son dépassement dans la nouvelle période de flux dans l’avenir. Dans ces groupes se poursuit la vie idéologique de la classe, l’autocritique de ses luttes, le réexamen critique de ses idées antérieures, l’éla­boration de son programme, la maturation de sa conscience et la formation de nouveaux cadres de militants pour la prochaine étape de son assaut ré­volutionnaire.

21. La période présente que nous vivons est le produit, d’une part de la défaite de la première grandiose vague révolutionnaire du prolétariat in­ternational qui a mis fin à la Première Guerre impérialiste et qui a atteint son point culminant dans la révolution d:Octobre 1917 en Russie et dans le mouvement spartakiste de 1918-19, d’autre part par des transformations pro­fondes opérées dans la structure économico-politique du capitalisme évoluant vers sa forme ultime et décadente, le capitalisme d’État. Au surplus, un rapport dialectique existe entre cotte évolution du capitalisme et la dé­faite de la révolution.

Malgré leur combativité héroïque, malgré la crise permanente et insurmontable du système capitaliste et l’aggravation inouïe et croissante des conditions de vie des ouvriers, le prolétariat et son avant-garde ne purent tenir tête à la contre-offensive du capitalisme. Ils ne trouvèrent pas face à eux le capitalisme classique et furent surpris par ses transformations posant des problèmes auxquels ils n’étaient pas préparés ni théoriquement ni politiquement. Le prolétariat et son avant-garde qui, longtemps et couramment, avaient confondu capitalisme et possession privée des moyens de production, socialisme et étatisation, se sont trouvés déroutés et désempa­rés devant les tendances du capitalisme moderne à la concentration étati­que de l’économie et à sa planification. Dans leur immense majorité, les ouvriers se sont laissé gagner à l’idée que cette évolution présentait un mode de transformation original de la société du capitalisme vers le socialisme. Ils se sont associés à cette œuvre, ils ont abandonné leur mission historique et sont devenus les artisans les plus surs de la conser­vation de la société capitaliste.

Ce sont là les raisons historiques qui donnent au prolétariat sa phy­sionomie actuelle. Tant que ces conditions prévaudront, tant que l’idéolo­gie de capitalisme d’État dominera le cerveau des ouvriers, il ne saurait être question de reconstruction du parti de classe. Ce n’est que lorsqu’au travers des cataclysmes sanglants qui jalonnent la phase du capitalisme d’État, le prolétariat aura saisi tout 1’abîme qui sépare le socialisme libérateur du monstrueux régime étatique actuel, quand il se manifestera en son sein une tendance croissante à se détacher de cette idéologie qui 1’emprisonne et 1’annihile, que la voie sera à nouveau ouverte à “l’organi­sation du prolétariat en classe, donc en parti politique”. Cette étape sera d’autant plus vite franchie et facilitée par le prolétariat que les noyaux révolutionnaires auront su faire l’effort théorique nécessaire pour répon­dre aux problèmes nouveaux posés par le capitalisme d’État et aider le prolétariat à retrouver sa solution de classe et les moyens pour sa réa­lisation.

22. Dans la période présente, les militants révolutionnaires ne peuvent subsister qu’en formant des petits groupes se livrant à un travail patient de propagande forcément limité dans son étendue, en même temps qu’à un effort acharné de recherches et de clarification théorique.

Ces groupes ne s’acquitteront de leur tâche que par la recherche de contacts avec d’autres groupes sur le plan national et international, sur la base des critères délimitatifs des frontières de classe. Seuls de tels contacts et leur multiplication en vue de la confrontation des positions et la clarification des problèmes permettront aux groupes et militants de résister physiquement et politiquement à la terrible pression du capitalisme dans la période présente et permettre à ce que tous les efforts soient une contribution réelle à la lutte émancipatrice du prolétariat.

Le Parti de demain

23. Le Parti ne saurait être une simple reproduction de celui d’hier. Il ne pourra être reconstruit sur un modèle idéal tiré du passé. Aussi bien que son programme, sa structure organique et le rapport qui s’établit entre lui et l’ensemble de la classe sont fondés sur une synthèse de l’expérience passée et des nouvelles conditions plus avancées de l’étape présente. Le Parti suit l’évolution de la lutte de classe et à chaque étape de l’histoire de celle-ci correspond un type propre de l’organisme politique du proléta­riat.

À l’aube du capitalisme moderne, dans la première moitié du 19è Siècle, la classe ouvrière encore dans sa phase de constitution menant des luttes locales et sporadiques ne pouvait donner naissance qu’à des écoles doctri­naires, à des sectes et des ligues. La Ligue des Communistes était l’expres­sion la plus avancée de cette période en même temps que son Manifeste et son Appel de “prolétaires de tous les pays, unissez-vous”, elle annonçait la période suivante.

La première Internationale correspond à l’entrée effective du prolé­tariat sur la scène des luttes sociales et politiques dans les principaux pays d’Europe. Aussi groupe-t-el1e toutes les forces organisées de la clas­se ouvrière, ses tendances idéologiques les plus diverses. La première Internationale réunit à la fois tous les courants et tous les aspects de la lutte ouvrière contingente : économiques, éducatifs, politiques et théoriques. Elle est au plus haut point L’ORGANISATION UNITAIRE de la classe ouvrière, dans toute sa diversité.

La deuxième Internationale marque une étape de différenciation entre la lutte économique des salariés et la lutte politique sociale. Dans cette période de plein épanouissement de la société capitaliste, la deuxième In­ternationale est l’organisation de la lutte pour des réformes et des conquê­tes politiques, l’affirmation politique du prolétariat, en même temps qu’elle marque une étape supérieure dans la délimitation idéologique au sein du prolétariat, en précisant et élaborant les fondements théoriques de sa mission historique révolutionnaire.

La Première Guerre mondiale signifiait la crise historique du capita­lisme et l’ouverture de sa phase de déclin. La révolution socialiste passa dès lors du plan de la théorie au plan de la démonstration pratique. Sous le feu des événements, le prolétariat se trouvait en quelque sorte forcé de construire hâtivement son organisation révolutionnaire de combat. L’apport programmatique monumental des premières années de la troisième Internationale s’est avéré cependant insuffisant et inférieur à l’immensité des problèmes à résoudre posés par cette phase ultime du capitalisme et de sa transition révolutionnaire. En même temps, l’expérience a vite démontré l’immaturité idéologique générale de l’ensemble de la classe. Devant ces deux écueils, et sous la pression des nécessités surgies des événements et de leur rapi­dité, la troisième Internationale était amenée à répondre par des mesures organisationnelles : la discipline de fer des militants, etc...

L’aspect organisationnel devant suppléer 1’inachèvement programmati­que et le parti à l’immaturité de la classe aboutissaient à la substitution du parti à l’action de la classe elle-même et à l’altération de la notion du parti et des rapports de celui-ci avec la classe.

24. Sur la base de cette expérience, le futur parti aura pour fondement le rétablissement de cette vérité que : la révolution si elle contient un problème d’organisation n’est cependant pas une question d’organisation. La révolution est avant tout un problème idéologique de maturation de la conscience dans les larges masses du prolétariat.

Aucune organisation, aucun parti ne peut se substituer à la classe elle-même, car plus que jamais il reste vrai que “l’émancipation des tra­vailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes”. Le parti qui est la cristallisation de la conscience de la classe n’est ni différent ni syno­nyme de la classe. Le parti reste nécessairement une petite minorité ; son ambition n’est pas la plus grande force numérique. À aucun moment il ne peut ni se séparer, ni remplacer l’action vivante de la classe. Sa fonction reste celle d’inspiration idéologique au cours du mouvement et de l’action de la classe.

25. Au cours de la période insurrectionnelle de la révolution, le rôle du parti n’est pas de revendiquer le pouvoir pour lui, ni de demander aux mas­ses de lui faire “confiance”. II intervient et développe son. activité en vue de l’auto-mobilisation de la classe à l’intérieur de laquelle il tend à fai­re triompher les principes et les moyens d’action révolutionnaires.

La mobilisation de la classe autour du parti à qui elle “confie” ou plutôt abandonne la direction est-une conception reflétant un état d’immaturité de la classe. L’expérience a montré que, dans de telles conditions, la révolution se trouve finalement dans l’impossibilité de triompher et doit rapidement dégénérer en entraînant un divorce entre la classe et le parti. Ce dernier se trouve rapidement dans 1’obligation de recourir de plus en plus à des moyens de coercition pour s’imposer à la classe et devient ain­si un obstacle redoutable pour la marche en avant de la révolution.

Le parti n’est pas un organisme de direction et d’exécution, ces fonc­tions appartenant en propre à l’organisation unitaire de: la classe. Si les militants du parti, participent à ces fonctions, c’est en tant que mem­bres de la grande communauté du prolétariat.

26. Dans la période postrévolutionnaire, celle de la dictature du prolé­tariat, le parti n’est pas le parti unique, classique des régimes totali­taires. Ce dernier se caractérise par son identification et son assimila­tion avec le pouvoir étatique dont il détient le monopole. Au contraire, le parti de classe du prolétariat se caractérise en ce qu’il se distingue de l’État en face de qui il présente l’antithèse historique. Le parti unique totalitaire tend à s’enfler et à incorporer des millions d’individus pour en faire l’élément physique de sa domination et de son oppression. Le parti du prolétariat au contraire, de par sa nature, reste une sélection idéologique sévère, ses militante n’ont pas d’avantages à conquérir ou à défendre. Leur privilège est d’être seulement les combattants les plus clairvoyants et les plus dévoués à la cause révolutionnaire. Le parti ne vise donc pas à incorporer en son sein de larges masses car, au fur et à mesure que son idéologie deviendra celle des larges masses, la nécessité de son existence tendra à disparaître et l’heure de sa dissolution com­mencera à sonner.

Régime intérieur du parti

27. Les problèmes concernant les règles d’organisation qui constituent le régime intérieur du parti occupent une place aussi décisive que son contenu programmatique. L’expérience passée et plus particulièrement celle des par­tis de la troisième Internationale ont montré que la conception du parti constitue un tout unitaire. Les règles organisationnelles sont un aspect et une manifestation de cette conception. Il n’y a pas une question d’or­ganisation séparée de l’idée qu’on a sur le rôle et la fonction du parti et du rapport de celui-ci avec la classe. Aucune de ces questions n’existe en soi, mais constitue des éléments constitutifs et expressifs du tout.

Les partis de la troisième Internationale avaient telles règles ou tels régimes intérieure parce qu’ils se sont constitués dans une période d’imma­turité évidente de la classe, ce qui les a amenés à substituer le parti à la classe, 1’organisation a la conscience, la discipline à la conviction.

Les règles organisationnelles du futur parti devront donc être fonction d’une conception renversée du rôle du parti, dans une étape plus avancée de la lutte, reposant sur une maturité idéologique plus grande de la classe.

28. Les questions du centralisme démocratique ou organique qui occupèrent une place prépondérante dans la troisième Internationale perdront de leur acuité pour le futur parti. Quand l’action de la classe reposait sur l’ac­tion du parti, la question de l’efficacité pratique maxima de cette dernière devait nécessairement dominer le parti, qui d’ailleurs ne pouvait apporter que des solutions fragmentaires.

L’efficacité de l’action du parti ne consiste pas dans son action pra­tique de direction et d’exécution, mais dans son action idéologique. La force du parti ne repose donc pas sur la soumission disciplinaire des militants mais sur leur connaissance, leur développement idéologique plus grand, leurs convictions plus sures.

Les règles de l’organisation ne découlent pas des notions abstraites, hissées à la hauteur des principes immanents et immuables, démocratie ou centralisme. De tels principes sont vides de sens. Si la règle de décisions prises à la majorité (démocratie) apparaît, à défaut d’une autre, plus appropriée, être la règle à maintenir, cela ne signifie nullement que par définition la majorité possède la vertu d’avoir le monopole de la vérité et des positions justes. Les positions justes découlent de la plus grande connaissance de l’objet, de la plus grande pénétration et du serrement plus étroit de la réalité.

Aussi les règles intérieures de l’organisation sont fonction de l’objectif que se donne et qui est celui du parti. Quelle que soit l’importance de l’efficacité de son action pratique immédiate, qui peut lui donner l’exercice d’une discipline plus grande, elle demeure toujours moins importante que l’épanouissement maxima de la pensée des militants et en conséquence lui est subordonnée.

Tant que le Parti reste le creuset où s’élabore et s’approfondit 1’idéologie de la classe, il a pour règle, non seulement la liberté la plus grande des idées et des divergences dans le cadre de ses principes programmatiques, mais a pour fondement le souci de favoriser et d’entretenir sans cesse la combustion de la pensée, en fournissant les moyens pour la discussion et la confrontation des idées et des tendances en son sein.

29. Vue sous cet angle, rien n’est aussi étranger à la conception du Parti  que cette monstrueuse conception d’un parti homogène monolithique et monopoliste.

L’existence de tendances et de fractions au sein du parti n’est pas tolérance, un droit pouvant être accordé, donc sujet à discussion.

Au contraire, l’existence des courants dans le Parti - dans le cadre des principes acquis et vérifiés - est une des manifestations d’une conception saine de la notion du Parti.

Juin 1948, Marco.

 

1. Aujourd’hui encore nous partageons le fond de l’ensemble des idées présentes dans ce texte et souvent même nous les soutenons à la lettre. C’est le cas en particulier du rôle politique fondamental et irremplaçable du parti du prolétariat pour la victoire de la révolution, mais l’expression suivante du texte ne permet pas au mieux de rendre compte de la dynamique de développement de la lutte de classe et des relations entre la classe et le parti : "Laissées à leur propre développe­ment interne, les luttes des ouvriers contre les conditions d’exploitation capitaliste peuvent mener tout au plus à des explosions de révolte". En effet, le rôle des révolutionnaires doit ici être précisé. Il n'est pas d’apporter la conscience aux ouvriers mais d’approfondir et accélérer le développement de celle-ci dans ses rangs. Pour d’avantage d’éléments concernant notre position sur le sujet, nous renvoyons le lecteur aux articles suivants : "Le communisme n’est pas un bel idéal, il est à l’ordre du jour de l’histoire [1° partie]" dans la Revue internationale n° 90 ; "Question d’organisation ; sommes-nous devenus "léninistes"?" dans les n° 96 et 97 de la Revue internationale ; "1903-1904 : la naissance du bolchevisme (III). La polémique entre Lénine et Rosa Luxembourg" dans la Revue internationale n° 118.

Par ailleurs, nous signalons que nous avons tenté d’améliorer la lisibilité de la republication de cet article d’Internationalisme en corrigeant des coquilles ou des petites erreurs grammaticales et en introduisant des intertitres.

2. La même réflexion théorique sous-tend un autre article, “Les tâches de l’heure”, publié dans Internationalisme en 1946 et réédité dans la Revue internationale n°32 (https://fr.internationalism.org/rinte32/Internationalisme_1947_parti_ou_... [11])

3. C’est ce qu’il est advenu de tous les courants du socialisme utopique qui, devenus des écoles, ont perdu leur aspect révolutionnaire pour se transformer en forces conservatives actives. Voir le Proudhonisme, le Fouriérisme, le coopérativisme, le réformisme et le socialisme d’État.

 

 

Conscience et organisation: 

  • La Gauche Communiste de France [12]

Questions théoriques: 

  • Parti et Fraction [13]

Rubrique: 

Histoire du mouvement ouvrier

La guerre d'Espagne met en évidence les lacunes fatales de l'anarchisme (I)

  • 1519 reads

Première partie : Programme et pratique

L'article précédent de la série nous a conduits dans le travail du mouvement révolutionnaire alors que celui-ci sortait de la catastrophe de la Seconde Guerre mondiale. Nous avons montré comment, malgré cette catastrophe, les meilleurs éléments du mouvement marxiste ont continué à se maintenir sur la perspective du communisme. Leur conviction dans cette perspective n'avait pas disparu même si la Guerre mondiale n'avait pas, contrairement à ce que beaucoup de révolutionnaires avaient prédit, provoqué un nouveau surgissement du prolétariat contre le capitalisme et malgré aussi le fait que celle-ci avait aggravé la défaite déjà terrible qui s'était abattu sur la classe ouvrière dans les années 1920 et 1930. Nous nous sommes concentrés en particulier sur les travaux de la Gauche Communiste de France, qui était probablement la seule organisation à comprendre que les tâches de l'heure demeuraient celles d'une fraction, pour préserver et approfondir les acquis théoriques du marxisme afin de construire un pont vers les futurs mouvements prolétariens qui créeraient les conditions pour la reconstitution d'un réel parti communiste. Cela avait été le projet des fractions de gauche italienne et belge avant la guerre, même si une partie importante de cette gauche communiste internationale avait perdu de vue cela avec l'euphorie de courte durée suite à la reprise des luttes ouvrières en Italie en 1943 et la fondation du parti communiste internationaliste en Italie.

Dans le cadre de cet effort pour développer le travail des fractions de gauche avant la guerre, la GCF avait poursuivi le travail consistant à tirer les leçons de la révolution russe et à examiner les problèmes de la période de transition : la dictature du prolétariat, l'État de transition, le rôle du parti et l'élimination du mode de production capitaliste. Nous avons réédité et présenté la thèse de la GCF sur le rôle de l'État, destinée à servir de base pour des débats futurs sur la période de transition au sein du milieu révolutionnaire renaissant du début des années 1970.

Mais avant de procéder à une étude de ces débats, nous avons besoin de faire un retour en arrière sur une étape historique décisive de l'histoire du mouvement ouvrier : l'Espagne 1936-37. Comme nous allons l'argumenter, nous ne sommes pas de ceux qui voient dans ces événements un modèle de révolution prolétarienne étant allé beaucoup plus loin que n'importe point atteint en Russie en 1917-21. Mais cela ne fait aucun doute que la guerre en Espagne nous a appris beaucoup de choses, même si la plupart de ses leçons sont en négatif. En particulier, elle nous offre un aperçu très important des insuffisances de la vision anarchiste de la révolution et une réaffirmation frappante de la vision qui a été préservée et développée par les traditions authentiques du marxisme. Ceci est particulièrement important à souligner compte tenu du fait que, durant les dernières décennies, ces traditions ont souvent été décriées comme étant obsolètes et démodées et que, parmi la minorité politisée de la génération actuelle, les idées anarchistes sous diverses formes ont acquis une influence indéniable.

Cette série a toujours été basée sur la conviction que seul le marxisme fournit une méthode cohérente pour comprendre ce qu'est le communisme et sa nécessité et, en s'appuyant sur l'expérience historique de la classe ouvrière, qu'il est aussi une possibilité réelle et pas seulement le souhait d'un monde meilleur. C'est pourquoi une grande partie de cette série a été reprise avec l'étude des avancées et des erreurs de l'aile marxiste du mouvement ouvrier dans son effort pour comprendre et élaborer le programme communiste. Pour la même raison, elle s'est penchée à certains moments sur les tentatives du mouvement anarchiste pour développer sa vision de la future société. Dans l'article "Anarchisme ou communisme" 1, nous soulignons que la vision anarchiste puise ses origines historiques dans la résistance des couches de la petite bourgeoisie, comme les artisans et petits paysans, au processus de prolétarisation, qui était un produit inévitable de l'émergence et de l'expansion du mode de production capitaliste. Bien qu'un certain nombre de courants anarchistes fassent clairement partie du mouvement ouvrier, aucun d'entre eux n'a réussi à effacer entièrement ces marques de naissance petites-bourgeoises. L'article en question montre comment, dans la période de la Première internationale, cette idéologie essentiellement tournée vers le passé sous-tendait la résistance du clan autour de Bakounine aux avancées théoriques du marxisme à trois niveaux cruciaux : dans la conception de l'organisation des révolutionnaires, qui a été profondément infectée par les méthodes conspiratrices des sectes dépassées ; dans le rejet du matérialisme historique en faveur d'une conception volontariste et idéaliste des possibilités de la révolution ; et dans la conception de la future société, considérée comme un réseau de communes autonomes reliées entre elles par l'échange des marchandises.

Néanmoins, avec le développement du mouvement ouvrier dans la dernière partie du XIXe siècle, les tendances les plus importantes de l'anarchisme tendent à s'intégrer plus fermement dans la lutte du prolétariat et la perspective d'une nouvelle société, et c'est particulièrement vrai du courant anarcho-syndicaliste (bien que, dans le même temps, la dimension de l'anarchisme en tant qu'expression de la révolte de la petite bourgeoisie ait continué de vivre à travers les "actes exemplaires" de la bande à Bonnot et autres) 2. La réalité de cette tendance prolétarienne a été démontrée dans la capacité de certains courants anarchistes à prendre des positions internationalistes face à la Première Guerre mondiale (et, dans une moindre mesure, la Seconde) et dans la volonté d'élaborer un programme plus clair pour leur mouvement. Ainsi, la période de la fin du XIXe siècle aux années 1930 a vu plusieurs tentatives visant à élaborer des documents et des plates-formes à même d'orienter la mise en place du "communisme libertaire" au moyen de la révolution sociale. Un exemple évident en a été La conquête du pain de Kropotkine qui, d'abord, est paru comme une œuvre intégrale en Français en 1892 et a été publié, plus d'une décennie plus tard, en anglais 3. Malgré l'abandon par Kropotkine de l'internationalisme en 1914, cet écrit et d'autres dont il est l'auteur font partie des classiques de l'anarchisme et méritent une critique beaucoup plus développée qu'il n'est possible de le faire dans cet article.

En 1926 Makhno, Arshinov et d'autres publient la plateforme de l'Union générale des anarchistes 4. Il s'agit de l'acte fondateur du courant "plate-formiste" de l'anarchisme, et il appelle aussi à un examen plus approfondi, ainsi qu'à une analyse de sa trajectoire historique depuis la fin des années 1920 à nos jours. Son principal intérêt réside dans les conclusions qu'il tire de l'échec du mouvement anarchiste dans la révolution russe, en particulier l'idée que les révolutionnaires anarchistes doivent se regrouper dans leur propre organisation politique, basée sur un programme clair pour la mise en place de la nouvelle société. C'est cette idée en particulier qui a attiré les foudres d'autres anarchistes – pas moins que Voline et Malatesta - qui l'ont vue comme une expression d'une sorte d'anarcho-bolchevisme.

Dans cet article, cependant, nous nous intéressons d'avantage à la théorie et à la pratique de la tendance anarcho-syndicaliste durant les années 1930. Et ici encore il n'y aucune pénurie de matériel. Dans notre série la plus récente sur la décadence du capitalisme, publiée dans cette revue, nous avons mentionné le texte de l'anarcho-syndicaliste russe exilé Gregory Maximoff, Mon Credo Social. Écrit dans la profondeur de la grande dépression, il témoigne d'un degré remarquable de clarté sur la décadence du système capitaliste, un thème qui n'est presque jamais traité par les anarchistes d'aujourd'hui 5. Le texte contient également une section qui décrit les idées de Maximoff sur l'organisation de la nouvelle société. Durant cette période, il y avait aussi des débats importants dans l'anarcho-syndicalisme "International" créé en 1922 – l'Association Internationale des Travailleurs (AIT) - sur la façon de passer du capitalisme au communisme libertaire. Et sans doute l'écrit le plus pertinent a été la brochure d'Isaac Puente, Communisme libertaire. Publiée en 1932, elle était destinée servir de base à la plate-forme de la CNT lors du Congrès de Saragosse de 1936 et peut donc être considérée comme ayant influencé la politique de la CNT au cours de la "révolution espagnole" qui a suivi. Nous y reviendrons mais, tout d'abord, nous voulons examiner certains des débats de l'AIT, qui sont mis en évidence dans le travail très instructif de Vadim Damier, L'Anarcho-syndicalisme au XXe siècle 6.

Un des principaux débats – sans doute en réaction à la montée spectaculaire des techniques fordistes/tayloristes de production de masse dans les années 1920 – était centré sur la question de savoir si, oui ou non, ce type de rationalisation capitaliste, et bien sûr aussi l'ensemble du processus d'industrialisation, constituaient une expression du progrès, faisant ainsi de la société communiste libertaire une perspective plus tangible, ou simplement une intensification de l'asservissement de l'humanité par la machine. Différentes tendances ont apporté différentes nuances à cette discussion, mais grosso modo les anarchocommunistes se démarquaient en faveur de cette deuxième analyse et articulaient leur position avec un appel à un passage immédiat au communisme ; cela était considéré comme possible même - ou peut-être surtout – dans une société essentiellement agraire. La position alternative était plus généralement défendue par les tendances reliées à la tradition syndicaliste révolutionnaire, qui a eu une vision plus "réaliste" des possibilités offertes par la rationalisation capitaliste tout en faisant valoir, dans le même temps, qu'il y aurait la nécessité d'un certain type de régime de transition économique dans lequel les formes monétaires continueraient d'exister.

Ces divergences ont traversé diverses sections nationales (comme la FAUD allemande), mais la FORA 7 Argentine semble avoir eu une vision plus homogène qu'elle a défendue avec conviction, et elle a été à l'avant-garde des perspectives "anti-industrielles". Elle a rejeté ouvertement les prémices du matérialisme historique, au moins telles qu'elle les avait comprises (pour la plupart des anarchistes, le "marxisme" était un terme fourre-tout définissant quiconque se situait entre, d'une part, le stalinisme, la social-démocratie et, d'autre part, le trotskisme et la gauche communiste) en faveur d'une vision de l'histoire dans laquelle l'éthique et les idées n'avaient pas moins d'importance que le développement des forces productives. Elle a rejeté catégoriquement l'idée selon laquelle la nouvelle société pourrait être formée sur la base de l'ancienne, c'est pourquoi elle a critiqué non seulement le projet de construction du communisme libertaire sur les fondations de la structure industrielle existante, mais aussi le projet syndicaliste d'organiser les ouvriers dans les syndicats industriels qui, une fois venue la révolution, prendraient en charge cette structure et la dirigeraient au nom du prolétariat et de l'humanité. Elle a envisagé une nouvelle société organisée en une fédération de communes libres ; la révolution serait une rupture radicale avec toutes les formes anciennes et procéderait immédiatement au passage à l'étape de la libre association. Une déclaration du 5ème Congrès de la FORA en 1905 – qui, selon le récit d'Eduardo Columbo, allait devenir la base politique pour de nombreuses années – a mis en avant les critiques de la FORA à la forme syndicale : "Nous ne devons pas oublier qu'un syndicat n'est qu' un sous-produit économique du système capitaliste, né des besoins de cette époque. Le maintenir après la révolution impliquerait de maintenir le système qui l'a produit. La doctrine dite du syndicalisme révolutionnaire est une fiction. Nous, en tant qu'anarchistes, nous acceptons les syndicats comme des armes dans la lutte et nous essayons de faire en sorte qu'ils soient aussi proches que possible de nos idéaux révolutionnaires... C'est-à-dire, nous n'entendons pas être dominés au niveau des idées par les syndicats. Nous avons l'intention de les dominer. En d'autres termes, mettre les syndicats au service de la diffusion, de la défense et de l'affirmation de nos idées au sein du prolétariat" 8

Toutefois, les différences entre les "Foristes" et les syndicalistes à propos de la forme syndicale restaient plutôt obscures à bien des égards : d'une part, la FORA se concevait comme une organisation de travailleurs anarchistes plutôt que comme un syndicat "de tous les travailleurs" mais, d'autre part, elle avait émergé et se concevait comme une formation de type syndical organisant des grèves et autres formes d'action de classe.

Malgré la nature incertaine de ces divergences, celles-ci ont donné lieu à des confrontations animées lors du 4e Congrès de la CNT à Madrid en 1931, avec deux approches défendues principalement par la CGT-SR 9 française d'une part et par la FORA, d'autre part. Damier fait les remarques suivantes sur les visions de la FORA : "Les conceptions de la FORA contiennent une critique, brillante pour l'époque, du caractère aliénant et destructeur du système industriel-capitaliste : les propositions de la FORA anticipaient d'un demi-siècle les recommandations et les prescriptions du mouvement écologique contemporain. Néanmoins, leur critique présentait une faiblesse importante : un refus catégorique d'élaborer des notions plus concrètes sur la société de l'avenir, comment y accéder et comment s'y préparer. Selon la pensée des théoriciens argentins, cela aurait porté atteinte à la spontanéité révolutionnaire et à la créativité des masses elles-mêmes. Les ouvriers anarchistes argentins insistaient sur le fait que la réalisation du socialisme n'était pas une question de préparation technique et organisationnelle, mais plutôt la diffusion des sentiments de liberté, d'égalité et de solidarité" (Vadim Damier, "l'Anarcho-syndicalisme au XXe siècle" pp 110-11).

La perspicacité de la FORA concernant la nature des rapports sociaux capitalistes – comme ceux qui s'expriment dans la forme syndicale - sont certes intéressants, mais ce qui frappe une grande partie de ces débats est leur point de départ erroné, leur manque de méthode qui découle de leur rejet du marxisme ou même de l'absence de volonté pour discuter avec les courants marxistes authentiques de l'époque. La critique du matérialisme historique par la FORA ressemble plus à une critique d'une version rigidement déterministe du marxisme, typique de la deuxième Internationale et des partis staliniens. Encore une fois, elle a eu raison d'attaquer la nature aliénée de la production capitaliste et de récuser l'idée que le capitalisme était progressiste en lui-même - surtout dans une période où les relations sociales capitalistes avaient déjà prouvé qu'elles-mêmes étaient devenues un obstacle fondamental au développement humain ; mais leur rejet apparent de l'industrie en tant que telle était tout aussi abstrait et a abouti à une nostalgie passéiste pour les communes rurales locales.

Peut-être plus important a été l'absence de tout lien entre ces débats et des expériences parmi les plus importantes de la lutte de classes dans la nouvelle époque inaugurée par les grèves de masse en Russie en 1905 et la vague révolutionnaire internationale de 1917-23. Ces développements mondiaux et historiques, qui bien sûr incluent également la Première Guerre impérialiste, avaient déjà démontré l'obsolescence des formes anciennes d'organisation ouvrière (partis de masses et syndicats) et donné naissance à de nouvelles : d'un côté les soviets ou conseils ouvriers, constitués dans la chaleur de la lutte et non pas mis en place comme une structure préexistante à celle-ci ; de l'autre côté, l'organisation de la minorité communiste qui n'est plus considérée comme un parti de masse agissant principalement sur le terrain de la lutte pour les réformes. La formation des syndicats révolutionnaires ou industriels dans la dernière partie du XIXe siècle et dans les décennies qui suivirent a été en grande partie une tentative de la part d'une fraction radicale du prolétariat pour s'adapter à la nouvelle époque sans renoncer aux vieilles conceptions syndicalistes (et même sociale-démocrates) prônant la mise en place progressive d'une organisation de masse des travailleurs à l'intérieur du capitalisme, dans le but ultime de prise de contrôle de la société dans une phase de crise aiguë. La suspicion de la FORA envers l'idée de construire la nouvelle société dans la coquille de l'ancienne était justifiée. Cependant, sans aucune référence sérieuse à l'expérience de la grève de masse et de la révolution, dont la dynamique essentielle avait été brillamment analysée par Rosa Luxemburg dans "Grève de masse, parti et syndicats", écrit en 1906, ou aux nouvelles formes d'organisation que Trotsky, par exemple, avait reconnues comme étant un produit de la révolution de 1905 en Russie et d'une importance cruciale, la FORA retomba dans un espoir diffus d'une transformation soudaine et totale et semblait incapable d'examiner les liens réels entre les luttes défensives du prolétariat et la lutte pour la révolution.

La brochure Communisme libertaire de Isaac Puente

Dans les débats de 1931, la majorité de la CNT espagnole se rangea du côté des anarchosyndicalistes plus traditionnels. Mais les idées "communautaires" ont persisté et le programme de Saragosse de 1936, basé sur la brochure de Puente, contenait des éléments des deux.

La brochure de Puente 10 exprime clairement un point de vue prolétarien et son but ultime, le communisme "libertaire", est ce que nous appellerions simplement le communisme, une société fondée sur le principe, comme le dit Puente, "de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins". Dans le même temps, elle constitue une manifestation assez claire de la pauvreté théorique au cœur de la vision anarchiste du monde.

Un longue partie au début du texte est consacrée à argumenter contre tous les préjugés qui font valoir que les travailleurs sont ignorants et stupides, incapables de s'émanciper eux-mêmes, ayant du mépris pour la science, l'art et la culture, qu'ils ont besoin d'une élite intellectuelle, un architecte "social" ou un pouvoir policier, pour administrer la société en leur nom. Cette polémique est parfaitement justifiée. Et pourtant quand il écrit que "ce que nous appelons le sens commun, une compréhension rapide des choses, la capacité intuitive, l'initiative et l'originalité ne sont pas des choses qui peuvent être achetées ou vendues dans les universités", nous nous souvenons que la théorie révolutionnaire n'est pas simplement le bon sens, que ses propositions, étant dialectiques, sont généralement considérés comme outrageuses et absurdes du point de vue du "bon vieux sens commun" que Engels ridiculise dans Socialisme utopique et socialisme scientifique . La classe ouvrière n'a pas besoin d'éducateurs au-dessus d'elle pour s'affranchir du capitalisme, mais elle a absolument besoin d'une théorie révolutionnaire qui permet aller au-delà de la simple apparence et de comprendre les processus plus profonds à l'œuvre dans la société.

Les insuffisances de l'anarchisme à ce niveau se révèlent dans toutes les thèses principales présentées dans le texte de Puente. Au sujet des moyens qu'utilise la classe ouvrière pour confronter et renverser le capitalisme, Puente, à l'image des débats de l'AIT à l'époque, ne tient pas compte de toute la dynamique de la lutte des classes à l'époque de la révolution, qui émerge avec la grève de masse et le surgissement de la forme Conseil. Au lieu de voir que les organisations qui effectueront la transformation communiste expriment une rupture radicale avec les vieilles organisations de classe qui ont été incorporés dans la société bourgeoise, Puente insiste sur le fait que "le communisme libertaire repose sur les organisations qui existent déjà, grâce auxquelles la vie économique dans les villes et villages peut être développée à la lumière des besoins particuliers de chaque localité. Ces organismes sont le syndicat et la municipalité libre". C'est ici où Puente allie syndicalisme et communautarisme : dans les villes, les syndicats prendront le contrôle de la vie publique, à la campagne ce sera les assemblées traditionnelles de village. Les activités de ces organes sont envisagées principalement en termes locaux : ils peuvent également fédérer et former des structures nationales là où c'est nécessaire, mais selon Puente le produit en excédent d'unités économiques locales doit être échangé avec celui des autres. En d'autres termes, ce communisme libertaire peut coexister avec des relations de valeur, et on ne sait pas si c'est une mesure transitoire ou quelque chose qui va exister à perpétuité.

Pendant ce temps, cette transformation se déroule au moyen de "l'action directe" et non à travers l'engagement dans la sphère politique, laquelle est entièrement identifiée avec l'État actuel. Au moyen d'un comparatif entre "organisation basée sur la politique, qui est une caractéristique commune à tous les régimes basés sur l'État, et les organisations basées sur l'économie, dans un régime qui évite l'État", Puente dessine le caractère hiérarchique et exploiteur de l'État et lui oppose la vie démocratique des syndicats et des municipalités libres, basée sur les décisions prises par les assemblées et sur des besoins communs. Il y a deux problèmes fondamentaux dans cette approche : tout d'abord, elle échoue complètement à expliquer que les syndicats – y inclus les syndicats anarcho-syndicalistes comme la CNT - n'ont jamais été des modèles d'auto-organisation ou de démocratie mais sont soumis à une forte pression pour s'intégrer dans la société capitaliste et à devenir eux-mêmes des institutions bureaucratiques qui tendent à se fondre avec l'État. Et deuxièmement, il ignore la réalité de la révolution, dans laquelle la classe ouvrière est nécessairement confrontée à une conjonction de problèmes qui sont inévitablement politiques : l'autonomie organisationnelle et théorique de la classe ouvrière vis-à-vis des partis et des idéologies de la bourgeoisie, la destruction de l'État capitaliste et la consolidation de ses propres organes du pouvoir. Ces lacunes profondes dans le programme libertaire devaient être brutalement mises en lumière par la réalité de la guerre qui a éclaté en Espagne peu après le Congrès de Saragosse.

Mais il y a un autre problème non moins décisif : l'incapacité du texte à prendre en compte la dimension internationale, ce qui explique sa perspective strictement nationale. Il est vrai que le premier parmi les nombreux "préjugés" réfutés dans le texte est "la conviction que la crise n'est que temporaire". Comme ce fut le cas pour Maximoff, la grande dépression des années 30 semble avoir convaincu Puente que le capitalisme est un système en déclin, et le paragraphe suivant le sous-titre a au moins une dimension plus globale, mentionnant la situation de la classe ouvrière en Italie et en Russie. Mais il n'y a pas de tentative d'aucune sorte pour évaluer le rapport de force entre les classes, une tâche primordiale pour les révolutionnaires après une période de 20 ans à peine qui avait connu la Guerre mondiale, une vague révolutionnaire internationale et la série de défaites catastrophiques pour le prolétariat. Et, quand il s'agit d'examiner le potentiel pour le communisme libertaire en Espagne, c'est presque comme si le monde extérieur n'existait pas : il y a une longue partie consacrée à estimer les ressources économiques de l'Espagne, jusqu'aux oranges et pommes de terre, au coton, au bois et à l'huile. Tout l'objectif de ces calculs est de montrer que l'Espagne pourrait exister comme un îlot autosuffisant de communisme libertaire. Bien sûr, Puente estime que "l'introduction du communisme libertaire dans notre pays, isolé parmi les nations de l'Europe, apportera avec lui l'hostilité des nations capitalistes. Prétextant la défense des intérêts de ses sujets, l'impérialisme bourgeois tentera d'intervenir par la force des armes pour écraser notre système à sa naissance". Mais cette intervention sera être entravée par la menace ou bien d'une révolution sociale dans le pays de l'agresseur ou bien de la guerre mondiale contre les autres puissances. Les capitalistes étrangers pourront toutefois préférer employer des armées de mercenaires plutôt que leur propre armée, comme ils l'ont fait en Russie : dans les deux cas, les travailleurs devront être prêts à défendre la révolution les armes à la main. Mais les autres États bourgeois pourraient également chercher à imposer un blocus économique, soutenu par des navires de guerre. Et cela pourrait être un vrai problème car l'Espagne ne dispose pas de certaines ressources essentielles, en particulier du pétrole, et serait obligée de l'importer. La solution à un blocus sur les importations, cependant, n'est pas difficile à trouver : "il est vital que nous rassemblions toutes nos énergies dans la prospections de nouveaux puits de pétrole... le pétrole peut (aussi) être obtenu en distillant de l'Anthracite et de la lignite, dont nous disposons en abondance dans ce pays".

En résumé : pour créer le communisme libertaire, l'Espagne doit devenir autarcique. C'est une pure vision de l'anarchie dans un seul pays 11. Cette incapacité à partir du point de vue du prolétariat mondial allait s'avérer constituer une autre erreur fatale quand l'Espagne est devenue le théâtre d'un conflit impérialiste mondial.

Les événements de 36-37 : révolution sociale ou guerre impérialiste ?

Le modèle anarcho-syndicaliste de la révolution tel qu'exposé dans le texte de Puente et le programme de Saragosse devaient être définitivement mis en lumière et réfutés par les événements historiques importants, déclenchés par le coup d'État franquiste en juillet 1936.

Ce n'est certainement pas l'endroit pour écrire un récit détaillé de ces événements. Nous pouvons nous limiter en rappelant leur schéma général, dans le but de réaffirmer la vision de la gauche communiste à l'époque, à savoir : l'incohérence congénitale de l'idéologie anarchiste était devenue un véhicule pour la trahison de la classe ouvrière.

Il n'y a pas de meilleure analyse des premiers instants de la guerre en Espagne que l'article publié dans le journal de la Fraction de gauche italienne, Bilan n° 34, octobre-novembre 1936 et republié dans la Revue Internationale n° 6 12. Il a été écrit presque immédiatement après les événements par les camarades de Bilan, sans doute après avoir trié une masse d'informations très confuses et déroutantes. C'est remarquable la façon dont ces camarades sont parvenus à dissiper le brouillard dense des mystifications entourant la "révolution espagnole", que ce soit dans la version la plus médiatisée à l'époque par les puissants médias contrôlés par les démocrates et les staliniens, c’est-à-dire une sorte de révolution démocratique bourgeoise contre la réaction féodale-fasciste ; ou bien dans la version des anarchistes et trotskistes qui, tout en présentant la lutte en Espagne comme une révolution sociale étant allé beaucoup plus loin que n'importe quel moment atteint en Russie en 1917, a également servi à renforcer l'opinion dominante selon laquelle la lutte constituait une barrière populaire contre l'avancée du fascisme en Europe.

L'article de Bilan reconnaît sans hésitation que, face à l'attaque de la droite, la classe ouvrière, surtout dans son fief de Barcelone, a répondu avec ses propres armes de classe : la grève spontanée de masse, les manifestations de rue, la fraternisation avec les soldats, l'armement général des travailleurs, la formation de comités de défense et des milices basés sur les quartiers, l'occupation des usines et l'élection des comités d''usine. Bilan a également reconnu que c'était les militants de la CNT-FAI qui avaient partout joué un rôle de premier plan dans ce mouvement qui, par ailleurs, avait embrassé la majorité de la classe ouvrière de Barcelone.

Et pourtant, c'est précisément à ce moment, alors que la classe ouvrière était au bord de la prise du pouvoir politique dans ses propres mains, que les faiblesses programmatiques de l'anarchisme, son insuffisance théorique, devaient s'avérer un handicap mortel.

Tout d'abord, l'échec de l'anarchisme à comprendre le problème de l'État a conduit non seulement à laisser échapper la possibilité d'une dictature prolétarienne – parce que l'anarchisme est "contre tous les types de dictature" – mais peut-être plus important encore, à désarmer totalement les ouvriers face à des manœuvres de la classe dirigeante qui a réussi à reconstituer un pouvoir d'État avec des formes nouvelles et "radicales", étant donné que ses forces traditionnelles avaient été paralysées par le soulèvement prolétarien. Des instruments clés de ce processus ont été le Comité Central des milices contre le fascisme et le Conseil Central de l'économie :

"La constitution du Comité Central des milices devait donner l'impression de 1'ouverture d’une phase de pouvoir prolétarien et la constitution du Conseil Central de l'Economie l'illusion que l'on entrait dans la phase de la gestion d'une économie prolétarienne.

Pourtant, loin d'être des organismes de dualité des pouvoirs, il s'agissait bien d'organismes ayant une nature et une fonction capitalistes, car au lieu de se constituer sur la base d'une poussée du prolétariat cherchant des formes d'unité de lutte afin de poser le problème du pouvoir, ils furent, dès l'abord, des organes de collaboration avec l'État capitaliste.

Le C.C. des milices de Barcelone sera d'ailleurs un conglomérat de partis ouvriers et bourgeois et de syndicats et non un organisme du type des soviets surgissant sur une base de classe, spontanément, et où puisse se vérifier une évolution de la conscience des ouvriers. Il se reliera à la Généralité pour disparaître avec un simple décret lorsque sera constitué, en octobre, le nouveau gouvernement de la Catalogne.

Le C.C. des milices représentera l'arme inspirée par le capitalisme pour entraîner, par l'organisation des milices, les prolétaires en dehors des villes et de leurs localités, vers les fronts territoriaux où ils se feront massacrer impitoyablement, il représentera l'organe qui rétablira l'ordre en Catalogne, non avec les ouvriers, mais contre ceux-ci, qui seront dispersés sur les fronts. Certes, l'armée régulière sera pratiquement dissoute, mais elle sera reconstituée graduellement avec les colonnes de miliciens dont l'État-major restera nettement bourgeois, avec les Sandino, les Villalba et consorts. Les colonnes seront volontaires, elles pourront le rester jusqu'au moment où finiront la griserie et l'illusion de la révolution et réapparaîtra la réalité capitaliste. Alors on marchera à grands pas vers le rétablissement officiel de l'armée régulière et vers le service obligatoire."

La participation immédiate de la CNT et du POUM (Parti Ouvrier d'Unification Marxiste", situé quelque part entre la gauche de la social-démocratie et le trotskisme) dans ces institutions bourgeoises a été un grand coup contre la possibilité pour les organes de classe créés dans les rues et les usines pendant les jours de juillet de se centraliser et d'établir un authentique double pouvoir. Au contraire, ces derniers ont été rapidement vidés de leur contenu prolétarien et incorporés dans les nouvelles structures du pouvoir bourgeois.

Deuxièmement, une question politique brûlante n'était pas confrontée et, faute d'une analyse des tendances historiques au sein même de la société capitaliste, les anarchistes n'avaient aucune méthode pour y faire face : la nature du fascisme et de ce que Bordiga appelait son "pire produit", l'antifascisme. Si la montée du fascisme a été l'expression d'une série de défaites historiques de la révolution prolétarienne, préparant ainsi la société bourgeoise pour un deuxième massacre inter-impérialistes, l'antifascisme n'était pas moins un cri de ralliement pour une guerre impérialiste, pas moins un appel aux travailleurs pour abandonner la défense de leurs propres intérêts de classe au nom d'une "union sacrée" nationale. C'est surtout cette idéologie de l'unité contre le fascisme qui a permis à la bourgeoisie d'écarter le danger de la révolution prolétarienne en détournant la lutte de classe dans les villes vers un conflit militaire à l'avant, sur le front. L'appel à sacrifier tout pour la lutte contre Franco a conduit même les plus passionnés défenseurs du communisme libertaire, comme Durruti, à accepter cette grande manœuvre. Les milices, en étant incorporées dans un organe comme le Comité Central des Milices Antifascistes, dominé par les partis et syndicats tels que la gauche républicaine et nationaliste, les socialistes et les staliniens, qui se sont ouvertement opposés à la révolution prolétarienne, sont devenus des instruments dans une guerre entre deux factions capitalistes, un conflit qui presque immédiatement s'est transformé en un champ de bataille inter-impérialiste général, une répétition pour la prochaine Guerre mondiale. Leurs formes démocratiques, telles que l'élection des officiers, n'y a fondamentalement pas changé quoi que ce soit. C'est vrai que les principales forces bourgeoises de commandement – les staliniens et les républicains – n'ont jamais été à l'aise avec ces formes et, plus tard, insistèrent pour qu'elles se fondent complètement dans une armée bourgeoise traditionnelle, comme l'avait prédit Bilan. Mais également comme Bilan l'a compris, le coup fatal avait déjà été porté dans les premières semaines après le coup d'État militaire.

Il en a été de même avec l'exemple le plus évident de la faillite de la CNT, la décision de quatre de ses dirigeants les plus connus, y compris l'ancien radical Garcia Oliver, de devenir ministres dans le gouvernement central de Madrid, acte de trahison aggravé par leur infâme déclaration selon laquelle, grâce à leur participation au sein du ministère, l'État républicain "avait cessé d'être une force oppressive contre la classe ouvrière, tout comme l'État ne représente plus l'organisme qui divise la société en classes. Et les deux tendront encore moins à opprimer le peuple du fait de l'intervention de la CNT" 13. Il s'agissait de la dernière étape d'une trajectoire qui avait été préparée longtemps à l'avance par la lente dégénérescence de la CNT. Dans une série d'articles sur l'histoire de la CNT, nous avons montré que la CNT, malgré ses origines prolétariennes et les convictions profondément révolutionnaires d'un grand nombre de ses militants, n'a pas pu résister au sein du capitalisme, dans son époque du totalitarisme d'État, à la tendance sans merci pour les organisations ouvrières permanentes de masse à être intégrées à l'État. Cela avait déjà été démontré bien avant les événements de juillet, comme lors des élections de février 1936, quand la CNT a abandonné son abstentionnisme traditionnel en faveur de l'appui tactique à un vote pour la République 14. Et dans la période immédiatement après le coup d'État de Franco, quand le gouvernement républicain était à la dérive totale, le processus de la participation des anarchistes dans l'État bourgeois s'est accéléré à tous les niveaux. Ainsi, bien avant le scandale des quatre ministres anarchistes, la CNT avait déjà rejoint le gouvernement régional de Catalogne, la Generalidad, et au niveau local – sans doute conformément à sa notion plutôt vague de 'municipalités libres' – des militants anarchistes étaient devenus des représentants et des responsables des organes de l'administration locale, c'est-à-dire les unités de base de l'État capitaliste. Comme pour la trahison de la social-démocratie en 1914, ce n'était pas seulement une question de quelques mauvais chefs, mais le produit d'un processus graduel d'intégration de l'ensemble de l'appareil organisationnel dans la société bourgeoise et son État. Bien sûr, au sein de la CNT-FAI et dans le mouvement anarchiste plus large, à l'intérieur et en dehors de l'Espagne, il y eut des voix prolétariennes contre cette trajectoire, même si, comme nous le verrons dans la deuxième partie de cet article, peu d'entre elles ont réussi à remettre en cause les racines théoriques sous-jacentes de la trahison.

Ah, mais qu'en est-il des collectivisations ? Les anarchistes les plus dévoués et courageux, comme Durruti, n'ont-ils pas insisté sur le fait que l'approfondissement de la révolution sociale était la meilleure façon de vaincre Franco ? Est-ce que ce ne sont pas avant tout les exemples des usines et fermes autogérées, les tentatives de se débarrasser de la forme salariale dans de nombreux villages dans toute l'Espagne, qui en ont convaincu beaucoup, voire des marxistes comme Grandizo Munis 15, que la révolution sociale en Espagne avait atteint des sommets inconnus en Russie, avec sa descente rapide dans le capitalisme d'État ?

Mais Bilan rejetait toute idéalisation des occupations d'usine :

"Lorsque les ouvriers reprirent le tra­vail, là où les patrons avaient fui ou fu­rent fusillés par les masses, se consti­tuèrent des Conseils d'Usine qui furent 1'expression de 1'expropriation de ces entre­prises par les travailleurs. Ici intervin­rent rapidement les syndicats pour établir des normes tendant à admettre une représentation proportionnelle là où se trouvaient des membres de la CNT et de l'UGT. Enfin, bien que la reprise du travail s’ef­fectua avec la demande des ouvriers de voir appliquées la semaine de 36 heures, l'aug­mentation des salaires, les syndicats in­tervinrent pour défendre la nécessité de travailler à plein rendement pour l'orga­nisation de la guerre sans trop respecter une réglementation du travail et des salai­res.

Immédiatement étouffés, les comités d’usine, les comités de contrôle des entre­prises où l'expropriation ne fut pas réa­lisée (en considération du capital étran­ger ou pour d'autres considérations) se transformèrent en des organes devant acti­ver la production et, par-là, furent déformés dans leur signification de classe. Il ne s'agissait pas d'organismes créés pendant une grève insurrectionnelle pour renverser l'État, mais d'organismes orien­tés vers l'organisation de la guerre, con­dition essentielle pour permettre la survivance et le renforcement de cet État." (Ibid)

Damier ne s'appesantit pas trop sur les conditions dans les usines "contrôlées par les travailleur". Il est significatif qu'il passe plus de temps à examiner les formes démocratiques des sociétés des collectifs villageois, leur profonde préoccupation pour le débat et l'auto-éducation par le biais des assemblées de comités régulières et élues, leurs tentatives d'en finir avec le salariat. Il s'agissait d'efforts héroïques en effet mais les conditions de l'isolement rural avaient rendu moins urgent un assaut – par la ruse ou la force ouverte – de la part de l'État capitaliste sur les collectivités villageoises. En somme, ces changements dans la campagne n'ont pas altéré le processus général de récupération bourgeoise qui se concentrait sur les villes et les usines, où la discipline au travail pour l'économie de guerre de l'État capitaliste a été imposée rapidement et de façon impitoyable et n'aurait pas pu l'être sans la fiction d'un "contrôle syndical" par l'intermédiaire de la CNT :

"Le fait le plus intéressant dans ce domaine est le suivant : à l'expropriation des entreprises en Catalogne, à leur coordination effectuée par le Conseil de l'Economie en août, au décret d'octobre du gouvernement donnant les normes pour passer à la "collectivisation", succéde­ront, chaque fois, de nouvelles mesures pour soumettre les prolétaires à une dis­cipline dans les usines, discipline que jamais ils n'auraient toléré de la part des anciens patrons. En Octobre, la CNT lancera ses consignes syndicales où elle interdira les luttes revendicatives de toute espèce et fera de l'augmentation de la production le devoir le plus sacré du prolétaire. A part le fait que nous avons déjà rejeté la duperie Soviétique qui consiste à assassiner physiquement les pro­létaires au nom "de la construction d'un socialisme", que personne ne distingue en­core, nous déclarons ouvertement qu'à no­tre avis, la lutte dans les entreprises ne cesse pas un seul moment tant que sub­siste la domination de l'État capitaliste. Certainement, les ouvriers devront faire des sacrifices après la révolution prolétarienne, mais jamais un révolutionnai­re ne pourra prêcher la fin de la lutte revendicative pour arriver au socialisme. Même pas après la révolution, nous n'enlèverons l'arme de la grève aux ouvriers et il va de soi que lorsque le proléta­riat n'a pas le pouvoir - et c'est le cas en Espagne - la militarisation de 1’usine équivaut à la militarisation des usines de n'importe quel État capitaliste en guerre." (Bilan, op. cit.)

Bilan s'appuie ici sur l'axiome que la révolution sociale et la guerre impérialiste sont des tendances diamétralement opposées dans la société capitaliste. La défaite de la classe ouvrière – idéologique en 1914, physique et idéologique dans les années 1930 - ouvre la voie à la guerre impérialiste. La lutte de classe en revanche ne peut être menée qu'au détriment de l'économie de guerre. Grèves et mutineries ne renforcent pas l'effort de guerre national. Ce furent les irruptions révolutionnaires de 1917 et 1918 qui ont obligé les impérialismes belligérants à mettre immédiatement fin aux hostilités.

Il en va de même pour la guerre révolutionnaire. Mais elle peut uniquement être menée lorsque la classe ouvrière est au pouvoir, ce sur quoi Lénine et ceux qui se sont ralliés à lui dans le parti bolchevique ont été très clairs dans la période de février à octobre 1917. Et même dans ce cas, les exigences d'une guerre révolutionnaire menée sur les fronts territoriaux ne créent pas les meilleures conditions pour l'épanouissement de la puissance de la classe et pour une transformation sociale radicale, loin s'en faut. Ainsi entre 1917 et 1920, l'État soviétique a défait les forces contre-révolutionnaires internes et externes au niveau militaire, mais à un prix très élevé : l'érosion du contrôle politique de la classe ouvrière et l'autonomisation de l'appareil d'État.

Cette opposition fondamentale entre guerre impérialiste et révolution sociale a été doublement confirmée par les événements de mai 37.

Ici à nouveau, mais cette fois face à une provocation des staliniens et autres forces de l'État, qui ont tenté de s'emparer du central téléphonique alors contrôlé par les travailleurs, le prolétariat de Barcelone a répondu massivement et avec ses propres méthodes de lutte : grève de masse et barricades. Le "défaitisme révolutionnaire" prôné par la Gauche italienne, fustigé par pratiquement toutes les tendances politiques, des libéraux à des groupes comme Union Communiste, comme étant de la folie et une traîtrise a été mis en pratique par les travailleurs de Barcelone. C'était essentiellement une réaction de défense à une attaque par les forces répressives de l'État républicain mais, une fois de plus, elle a opposé les travailleurs à l'ensemble de la machine d'État, dont les porte-paroles les plus éhontés n'ont pas hésité à les dénoncer comme des traîtres, comme les saboteurs de l'effort de guerre. Et, implicitement, c'était en effet un défi direct à la guerre contre le fascisme, pas moins que la mutinerie de Kiel de 1918 avait été un défi à l'effort de guerre de l'impérialisme allemand et, par extension, au conflit inter-impérialiste dans son ensemble.

Les défenseurs ouverts de l'ordre bourgeois devaient répondre par la terreur brutale contre les travailleurs. Des révolutionnaires ont été arrêtés, torturés, tués. Camillo Berneri, l'anarchiste italien qui avait ouvertement exprimé ses critiques à la politique de collaboration de la CNT a été parmi les nombreux militants enlevés et tués, dans la majorité des cas par les voyous du parti "communiste". Mais la répression ne s'est vraiment abattue sur les travailleurs qu'une fois avoir été persuadés de déposer les armes et de retourner travailler par les porte-paroles de la "gauche", de la CNT et du POUM, qui étaient surtout terrifiés par une fracture dans le front antifasciste. La CNT – comme le SPD dans la révolution allemande de 1918 – était indispensable à la restauration de l'ordre bourgeois.

Dans la deuxième partie de cet article, nous examinerons certaines des tendances anarchistes qui ont dénoncé les trahisons de la CNT au cours de la guerre en Espagne – telles que les amis de Durruti en 1937-38, ou un représentant plus récent de l'anarcho-syndicalisme, comme Solidarity Federation en Grande-Bretagne. Nous essaierons de montrer que, bien qu'il se soit agi de saines réactions prolétariennes, celles-ci ont rarement remis en question les faiblesses sous-jacentes du "programme" anarchiste.

C D Ward

1. Dans la série "Le communisme n'est pas un bel idéal, mais une nécessite matérielle [10e partie]". Volume I. Revue Internationale n° 79. https://fr.internationalism.org/rinte79/comm.htm [14].

2. Dans notre article de la Revue Internationale n° 120, "L'anarcho-syndicalisme face à un changement d'époque : la CGT jusqu'à 1914" (https://fr.internationalism.org/rint/120_cgt [15]), nous avons souligné que cette orientation de certains courants anarchistes vers les syndicats reposait plus sur la recherche d'un public plus réceptif à leur propagande que sur une réelle compréhension de la nature révolutionnaire de la classe ouvrière.

3. https://kropot.free.fr/Kropotkine-pain.htm [16]

4. https://nefac.net/node/677 [17]

5. "Pour les révolutionnaires, la Grande Dépression confirme l'obsolescence du capitalisme". https://fr.internationalism.org/rint146/pour_les_revolutionnaires_la_gra... [18].

6. En anglais, Black Cat Press, Edmonton, 2009 et initialement publié en russe en russe en 2000. Damier est un membre du KRAS, la section russe de l'AIT. Le CCI a publié un certain nombre de ses déclarations internationalistes sur les guerres dans l'ex-URSS.

7. Fédération Ouvrière Régionale Argentine

8. Traduit de l'anglais par nos soins, à partir de l'ouvrage suivant Anarchism in Argentina and Uruguay in Anarchism Today, édité par David Apter and James Joll Macmillan, 1971. Également accessible sur Internet à l'adresse suivante https://www.libcom.org/files/Argentina.pdf [19].

9. Cette organisation – le SR signifie "Syndicaliste Révolutionnaire" – a été le résultat d'une scission en 1926 avec la CGT "officielle" qui, à l'époque, était dominée par le parti socialiste. Elle est restée un groupe relativement petit et a disparu sous le régime de Pétain pendant la Seconde Guerre mondiale. Son principal porte-parole lors du Congrès de Saragosse était Pierre Besnard.

10. Accessible en anglais sur le lien https://www.libcom.org/library/libertarian-communism [20]

. "Si ce mode de penser nous paraît au premier abord tout à fait évident, c'est qu'il est celui de ce qu'on appelle le bon sens. Mais si respectable que soit ce compagnon tant qu'il reste cantonné dans le domaine prosaïque de ses quatre murs, le bon sens connaît des aventures tout à fait étonnantes dès qu'il se risque dans levaste monde de la recherche ; et la manière de voir métaphysique, si justifiée et même si nécessaire soit elle dans de vastes domaines dont l'étendue varie selon la nature de l'objet, se heurte toujours, tôt ou tard, à une barrière au-delà de laquelle elle devient étroite, bornée, abstraite, et se perd en contradictions insolubles: la raison en est que, devant les objets singuliers, elle oublie leur enchaînement; devant leur être, leur devenir et leur périr : devant leur repos, leur mouvement; les arbres l'empêchent de voir la forêt". Chapitre II. https://www.marxists.org/francais/marx/80-utopi/utopi-2.htm [21]

11. Notre article sur la CGT, cité à la note 2, soulève la même question à propos d'un livre produit par deux leaders de l'organisation anarcho-syndicaliste française en 1909: "La lecture du livre de Pouget et Pataud Comment nous ferons la révolution, que nous avons déjà cité, est très instructive à cet égard, dans le sens que celui-ci décrit une révolution purement nationale. Les deux auteurs anarcho-syndicalistes n'ont pas attendu Staline pour envisager la construction de "l'anarchisme dans un seul pays" : la révolution ayant réussi en France, tout un passage du livre est consacré à la description du système de commerce extérieur qui continue de s'opérer selon le mode commercial, alors qu'à l'intérieur des frontières nationales, on produit selon un mode communiste".

12. Revue Bilan : "Leçons d'Espagne 1936 (2eme partie)". https://fr.internationalism.org/rinte6/bilan2.htm [22]

13. Traduit de l'anglais par nos soins à partir de Vernon Richards, Lessons of the Spanish Revolution, chapter VI, p 69.

14. Voir à ce sujet la série sur l'histoire de la CNT dans les n° 129 à 133 de la Revue Internationale, en particulier l'article "L'antifascisme, la voie de la trahison de la CNT (1934-1936)". https://fr.internationalism.org/rint133/l_antifascisme_la_voie_de_la_tra... [23]

15. Munis a été une figure de proue du groupe bolchévique-léniniste en Espagne qui était lié à la tendance de Trotsky. Plus tard, il rompt avec le trotskisme sur la question de son soutien à la Seconde Guerre mondiale et évolue vers de nombreuses positions de la gauche communiste. https://fr.internationalism.org/rinte58/Munis_militant_revolutionnaire.htm [24].

Nous avons publié des polémiques avec le groupe fondé plus tard par Munis, Fomento Obrero Revolucionario, sur sa vision de la guerre d'Espagne : https://fr.internationalism.org/rinte29/corresp.htm [25] https://fr.internationalism.org/rinte52/for.htm [26]

 

Courants politiques: 

  • Anarchisme officiel [27]

Rubrique: 

Histoire du mouvement ouvrier

Source URL:https://fr.internationalism.org/en/node/9117

Links
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/pdf/rint_153_fr.pdf [2] https://fr.internationalism.org/files/fr/hammer.gif [3] https://fr.internationalism.org/french/rint/110_conference.html] [4] https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1904/05/vil19040500_pref.htm [5] https://fr.internationalism.org/french/rint/114_xv_congress.html [6] https://fr.internationalism.org/ri330/ficci.html [7] https://fr.internationalism.org/icconline/2006_ficci [8] https://fr.internationalism.org/icconline/201405/9079/communique-a-nos-lecteurs-cci-attaque-nouvelle-officine-l-etat-bourgeois] [9] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/defense-lorganisation [10] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/prises-position-du-cci [11] https://fr.internationalism.org/rinte32/Internationalisme_1947_parti_ou_cadres.htm [12] https://fr.internationalism.org/en/tag/conscience-et-organisation/gauche-communiste-france [13] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/parti-et-fraction [14] https://fr.internationalism.org/rinte79/comm.htm [15] https://fr.internationalism.org/rint/120_cgt [16] https://kropot.free.fr/Kropotkine-pain.htm [17] https://nefac.net/node/677 [18] https://fr.internationalism.org/rint146/pour_les_revolutionnaires_la_grande_depression_confirme_l_obsolescence_du_capitalisme.html [19] https://www.libcom.org/files/Argentina.pdf [20] https://www.libcom.org/library/libertarian-communism [21] https://www.marxists.org/francais/marx/80-utopi/utopi-2.htm [22] https://fr.internationalism.org/rinte6/bilan2.htm [23] https://fr.internationalism.org/rint133/l_antifascisme_la_voie_de_la_trahison_de_la_cnt.html [24] https://fr.internationalism.org/rinte58/Munis_militant_revolutionnaire.htm [25] https://fr.internationalism.org/rinte29/corresp.htm [26] https://fr.internationalism.org/rinte52/for.htm [27] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/anarchisme-officiel