Ce texte écrit après la guerre, met en question la notion classique d’un “État ouvrier” en se basant sur la critique de l’expérience russe, et défend la nécessité de l’autonomie du prolétariat dans la défense de ses intérêts de classe pendant la période de transition.
(Adoptées. par la gauche communiste de France, Mars 1946).
1- L’État apparaît dans l’histoire sur la base de l’existence des intérêts antagoniques divisant la société humaine. II est le produit, le résultat des rapports antagoniques économiques. Tout en jouant un rôle en tant que facteur réagissant au cours de l’histoire, il est avant tout un objet directement déterminé par le processus économique et au cours de celui-ci.
En apparence placé au dessus des classes, il est en réalité l’expression juridique de la domination économique, la superstructure, le revêtement politique du règne économique d’une classe donnée dans la société.
Les rapports économiques entre les hommes, la formation des classes, et la place qu’elles occupent dans la société sont déterminés par l’évolution, le développement des forces productives à un moment donné. La raison être de l’État est exclusivement dans la fonction de codifier, de légaliser un état économique déjà existant, de le sanctionner, de lui donner force de loi dont l’acceptation est obligatoire pour tous les membres de la société. Ainsi, l’État veille au maintien de l’équilibre, à la stabilisation des rapports entre les membres et les classes, rapports issus du processus économique même, en empêchant toute manifestation des classes opprimées contre toute remise en question qui se traduirait par la perturbation et l’ébranlement de la société. Ainsi, l’État remplit une fonction importante dans la société assurant la sécurité, l’ordre indispensable à la continuation de la production, mais il ne peut le faire que par son caractère essentiellement conservatif. Au cours de l’histoire, l’État apparaît comme un facteur conservateur et réactionnaire de premier ordre, il est une entrave à laquelle s’heurtent constamment l’évolution et le développement des forces productives.
2- Pour remplir son rôle double d’agent de sécurité et d’agent de réaction, l’État s’appuie sur une force matérielle, sur la violence. Son autorité réside dans la force de coercition. II possède en monopole exclusif toutes les forces de violence existantes la police, l’armée, les prisons.
De par le jeu de la lutte entre les classes, tout en étant le représentant de la classe dominante, l’État tend à acquérir une certaine indépendance. Avec le développement, la bourgeoisie déterminant des formations nationales, de vastes concentrations d’unités économiques, politiques, par le développement des antagonismes et des luttes des classes sur les échelles toujours plus grandes, par l’opposition aggravée contre les grands États capitalistes, l’État sera amené à pousser au paroxysme le développement de sa force coercitive afin de maintenir l’ordre à l’intérieur, en forçant le prolétariat et les autres classes travailleuses à subir et à accepter l’exploitation capitaliste tout en reconnaissant juridiquement et formellement la liberté de l’individu à l’extérieur, en garantissant les frontières des champs d’exploitation économique, contre la convoitise des autres groupes capitalistes et en tendant à les élargir au dépens des autres États.
Ainsi, à l’époque capitaliste où la division horizontale et verticale de la société, et la lutte engendrée par cette division atteint le point culminant de l’histoire humaine, l’État atteindra également le point le plus haut de son développement et de son achèvement en tant qu’organisme de coercition et de violence.
Ayant son origine dans la nécessité historique de la violence, trouvant dans l’exercice de la coercition, la condition de son épanouissement, l’État deviendra un facteur indépendant et supplémentaire de la violence dans l’intérêt de son autoconservation, de sa propre existence. La violence en tant que moyen deviendra un but en soi, entretenu et cultivé par l’État, répugnant de par sa nature même à toute forme de société tendant à se passer de violence en tant que régulateur des rapports entre hommes.
3- Dans la complexité des contradictions enchevêtrées et inextricables s’épanouissant avec le développement de l’économie capitaliste, l’État est appelé à s’immiscer à chaque instant dans tous les domaines de la vie: économique, social, culturel, politique, aussi bien dans la vie privée de chaque individu que dans ses rapports avec la société sur le terrain local, national et mondial.
Pour faire face à toutes ses obligations sociales immenses, l’État fera appel à une masse toujours plus grande de personnes, les enlevant à toute activité, à toute participation à la production, en créant ainsi un corps social à part, aux intérêts propres, ayant pour spécialité et pour charge d’assurer le fonctionnement de la machine étatique et gouvernementale.
Une fraction importante (10% et peut- être plus) de la société constitue ainsi une couche sociale indépendante (les politiciens, les hauts fonctionnaires, la bureaucratie, le corps juridique, la police et le militarisme ayant des intérêts économiques propres vivant en parasites de la société, ayant pour patrimoine et champ d’exploitation, réservé à eux, l’appareil étatique.
De serviteur de la société, au service de la classe dominante, ce corps social, de par sa masse et surtout de par sa place dans la société, à la direction du gouvernail étatique, tend à s’affranchir de plus en plus pour se poser en maître de la société, et en associé de la classe dominante. II possède en commun et en monopole exclusif les finances publiques, le droit de dicter les lois et de les interpréter, et la force matérielle de la violence pour les appliquer dans son intérêt.
Ainsi naît et surgit une couche sociale privilégiée nouvelle qui tire son existence matérielle de l’existence de l’État, couche parasitaire et essentiellement réactionnaire, intéressée à la perpétuation de l’État, relativement indépendante, mais toujours associée à la classe dont le système économique est basé sur l’exploitation de l’homme par l’homme, et dont le principe est le maintien et la perpétuation de l’exploitation humaine ainsi que la sauvegarde des privilèges économiques et sociaux.
4- Le développement de la technique et des forces productives ne peut plus être enfermé dans le principe bourgeois de la possession privée des moyens de production. Même la production capitaliste est obligée de porter atteinte à son principe sacro-saint de la possession privée des moyens de production, et de recourir à une nationalisation capitaliste de certaines branches de son économie, comme les Chemins de Fer, les PTT et, partiellement, l’aviation, la marine marchande, la métallurgie et les mines. L’immixtion de l’État se fera de plus en plus sentir dans toute la vie économique, évidemment et dans l’intérêt et pour la sauve garde du régime capitaliste dans son ensemble. D’autre part, dans la lutte de classe entre les forces antagoniques de la société, classes et groupes économiques, l’État ne pourrait assumer son rôle de représentant et de “médiateur” qu’en s’appuyant lui-même sur une base matérielle, économique, indépendante et solide.
Dans cette évolution historique de la société capitaliste, l’État acquerra une figure de plus en pins nouvelle, un caractère nouveau, économique, d’État Patron. Tout en gardant sa fonction politique d’État capitaliste et en l’accentuant, il évoluera sur le terrain économique vers un capitalisme d’État. L’État prélèvera une masse de plus- value en tant que part d’associé dans les branches et secteurs où subsiste la possession privée des moyens de production, au même titre que tout autre capital (bancaire ou foncier), où il exploitera directement les branches ou secteurs étatisés en unique patron collectif, en vue de la création de la plus-value. La répartition de cette plus-value
La période de Transition du Capitalisme au Socialisme se fera entre les membres le composant, (mise à part de la partie qu’il capitalisera en la réinvestissant dans la production) d’après le rang et place privilégiés acquis.
La tendance économique vers le capitalisme d’État tout en ne pouvant pas s’achever dans une socialisation et une collectivisation dans la société capitaliste, reste néanmoins une tendance très réelle affranchissant en quelque sorte l’État d’un rôle strictement instrumental, le fait apparaître dans son caractère nouveau économique d’un patron collectif anonyme exploitant et extirpant collectivement la plus-value.
La possession privée des, moyens de production, tout en ayant été la base fondamentale du système économique du capitalisme et en subsistant encore aujourd’hui, peut parfaitement subir des modifications profondes à la phase finale du capitalisme sans pour cela mettre en danger les principes même de l’économie capitaliste. L’étatisation plus ou moins grande des moyens de production, loin de signifier la fin du système, s’accorde parfaitement avec ce système et peut être même la condition de son maintien, à condition que le principe fondamental du capitalisme persiste, à savoir l’extirpation toujours plus grande de plus- value aux ouvriers se poursuivant au bénéfice d’une minorité privilégiée et puissante. L’opposition fondamentale entre l’économie capitaliste et l’économie socialiste ne réside donc pas dans la possession privée des moyens de production. Si le socialisme est incompatible avec la possession privée des moyens de production, l’absence de cette dernière (tout en étant une condition indispensable pour l’instauration de l’économie socialiste) n’est pas forcément du socialisme, puisque la réalité nous démontre l’accommodation du capitalisme avec l’étatisation des moyens de production en s’acheminant vers le capitalisme d’État.
L’opposition fondamentale entre l’économie capitaliste et socialiste réside :
La partie des valeurs produites directement consommables doit tendre à s’accroître par rapport à la partie destinée à être investie dans la production en vue d’une reproduction.
Ainsi la tendance grandissante de l’État à l’indépendance au sein du capitalisme, tendance non seulement politique mais aussi économique, loin de présenter un affaiblissement de la société capitaliste ne fait que transférer la puissance économique du capitalisme à l’État en l’érigeant en la puissance, l’essence même du capitalisme. Face au prolétariat et à sa mission historique d’instauration de la société socialiste, l’État se présente comme le Goliath historique. De par sa nature, il présente toute l’histoire passée de l’humanité, toutes les classes exploiteuses, toutes les forces réactionnaires. Sa nature étant comme nous l’avons démontré conservatisme, violence, bureaucratisme, maintien des privilèges et exploitation économique, il incarne le principe d’oppression irréductiblement opposé au principe de libération, incarné par le prolétariat et le socialisme.
5- Toutes les classes jusqu’à ce jour, n’ont fait que substituer leur domination, dans l’intérêt de leur privilège, à la domination des autres classes. Le développement économique des classes nouvelles se faisait lentement et longtemps avant d’instaurer leur domination politique au sein de l’ancienne société. Parce que leurs intérêts économiques coïncidant avec le développement des forces productives n’étant que les intérêts d’une minorité, d’une classe, leur force s’accroissait au sein de l’ancienne société, économiquement d’abord. Ce n’est qu’à un certain degré de ce développement économique, après avoir économiquement supplanté, en partie résorbé l’ancienne classe dominante, que le pouvoir politique, l’État, la domination juridique, viennent consacrer le nouvel état de fait. La bourgeoisie s’est développée longuement économiquement, le capital marchand s’est affermi, et ce n’est que lorsque la bourgeoisie a dominé économiquement l’ancienne société féodale qu’elle a accompli sa révolution politique. La révolution bourgeoise doit briser la résistance des féodaux, la superstructure idéologique, le droit féodal devenus des entraves au développement des forces productives, mais elle ne brisa pas l’État. Le principe de l’État étant la sauvegarde de l’exploitation de l’homme par l’homme, la bourgeoisie n’a fait que s’emparer et continuer à faire fonctionner la machine de l’État pour son propre intérêt de classe. Le processus des révolutions des autres classes dans l’histoire se présente donc de façon suivante :
6- Le prolétariat à l’encontre des autres classes dans l’histoire, ne possède aucune richesse, aucune propriété matérielle. Il ne peut édifier aucune économie, aucune assise économique dans l’enceinte de la société capitaliste. Sa position de classe révolutionnaire réside dans le déroulement objectif de l’évolution, rendant l’existence de la propriété privée incompatible avec le développement des forces productives, d’une part, et de l’impossibilité de la production de la plus-value, d’autre part. Elle se heurte ainsi à l’absence du marché susceptible de réaliser cette plus-value. La nécessité objective de la société socialiste en tant que solution dialectique aux contradictions internes du système capitaliste trouve en le prolétariat la seule classe dont les intérêts s’identifient avec l’évolution historique. La dernière classe de la société ne possédant rien, n’ayant aucun privilège à défendre se rencontre avec la nécessité historique de supprimer tout privilège. Le prolétariat est la seule classe qui peut remplir cette tâche révolutionnaire de suppression de tout privilège, de toute propriété privée, pouvant développer les forces productives libérées des entraves du système capitaliste, au bénéfice et dans l’intérêt de toute l’humanité. Le prolétariat n’a et ne peut avoir, une politique économique au sein du régime capitaliste.
Il n’a aucune économie de classe à édifier avant ou après la révolution. A l’encontre des autres classes, et pour la première fois dans l’histoire, c’est une révolution politique qui précède et crée les conditions d’une transformation sociale et économique. La libération économique du prolétariat est la libération économique de toute entrave d’intérêt de classe, la disparition des classes. II se libère en libérant toute l’humanité, et en se dissolvant dans son sein.
L’État, principe de domination et d’oppression économique de classe, ne peut être conquis dans le sens classique par le prolétariat. Au contraire, les premiers pas vers son émancipation consistent dans la destruction révolutionnaire de cet État. N’ayant aucune assise économique, aucune propriété, le prolétariat puise sa force dans la conscience qu’il acquiert des lois historiques, objectives du processus économique. Sa force est exclusivement sa conscience et son organisation. Le parti de classe cristallisant la conscience de la classe, présente la condition indispensable pour l’accomplissement de la mission historique au même titre que ses organisations unitaires de lutte représentent sa capacité matérielle et pratique de l’action.
Les autres classes dans l’histoire, parce qu’ayant une assise économique au sein de la société, pouvaient plus ou moins se passer d’un parti; elles étaient elles-mêmes à peine conscientes de l’aboutissement de leur action, et elle s’identifiaient avec l’État, principe de privilèges et d’oppression. Le prolétariat se heurte à chaque moment de son action, en tant que classe, à l’État; il est l’antithèse historique de l’État.
La conquête de l’État par une classe exploiteuse dans un pays donné marquait le terme historique, le dernier acte révolutionnaire de cette classe. La destruction de l’état par le prolétariat n’est que le premier acte révolutionnaire de classe ouvrant pour lui et son parti tout un processus révolutionnaire en vue de la révolution mondiale d’abord et ensuite sur le terrain économique en vue de l’instauration de la société socialiste.
7- Entre le degré atteint par les forces productives entrant en opposition avec le système capitaliste, et qui font sauter les cadres de ce système, et le degré de développement nécessaire pour l’instauration de la société socialiste, de la pleine satisfaction des besoins de tous les membres de la société, existe un décalage historique très grand. Ce décalage ne peut être effacé par une simple affirmation programmatique comme le croyaient les anarchistes, mais doit être comblé sur le terrain économique, par une politique économique du prolétariat. C’est en cela que réside la justification théorique de l’inévitabilité d’une phase historique transitoire entre le capitalisme et le socialisme. Phase transitoire ou la domination politique, et non économique, appartient à la classe révolutionnaire qui est la dictature du prolétariat.
La maturation des conditions économiques en vue du socialisme est l’oeuvre politique du prolétariat, de son parti et ne peut être solutionnée sur le terrain national, mais exige des assises mondiales. Le capitalisme, s’il est un système mondial, ne l’est que dans la mesure de la domination mondiale du capital et le développement économique des différents secteurs de l’économie mondiale, de même que celui des différentes branches industrielles ne se fait que dans la limite compatible avec l’intérêt du Capital.
Autrement dit, le développement de différents secteurs et branches de l’économie mondiale a été profondément entravé. Le socialisme, par contre, trouve ses assises dans un très haut degré de développement économique de tous les secteurs de l’économie mondiale. La libération des forces productives des entraves capitalistes dans tous les pays par la révolution prolétarienne sur l’échelle mondiale est donc la première condition d’une évolution économique de la société vers le socialisme.
La politique économique du prolétariat se développe sur la base de la généralisation de la révolution à l’échelle mondiale et est contenue, non dans l’affirmation unilatérale de développement de la production, mais essentiellement dans le rythme harmonieux de développement de la production avec la progression proportionnelle du niveau de vie des producteurs.
La phase transitoire exprime sa filiation économique avec l’ère historique présocialiste, en ce sens qu’elle ne peut satisfaire tous les besoins de la société et contient la nécessité de la poursuite de l’accumulation. Toute politique qui misera sur la plus haute accumulation en vue de l’élargissement de la production n’exprimera pas une tendance prolétarienne, mais ne serait que la suite d’une économie capitaliste. Tandis que la politique économique du prolétariat s’exprimera par l’accumulation nécessaire, compatible et conditionnée avec l’amélioration des conditions de vie des ouvriers, avec l’augmentation relative et progressive du “capital variable”.
Après sa victoire sur la bourgeoisie, le prolétariat, d’une part, devient la classe dominante politiquement, qui à travers son parti de classe assure pendant toute la phase transitoire la dictature de sa classe en vue d’acheminer la société vers le socialisme et, d’autre part, conserve sa position de classe dans la production ayant des intérêts économiques particuliers immédiats à défendre et à faire prévaloir au travers de ses organisations économiques propres, les syndicats et ses moyens de lutte: la grève durant toute la phase transitoire.
8- La destruction révolutionnaire de l’État capitaliste, instrument de la domination de classe est loin de signifier la destruction des positions économiques de l’ennemi, et sa disparition. L’expropriation et la socialisation des principales branches clés de la production sont des mesures premières et indispensables de la politique économique du prolétariat. L’existence des secteurs économiques arriérés dans l’espace comme dans diverses branches de la production, et particulièrement l’agriculture, ne permet pas de passer immédiatement à une économie socialiste et à la disparition totale de la propriété privée. L’édification socialiste ne pouvant surgir d’une affirmation programmatique, est le fruit d’un long processus économique sous la direction politique du prolétariat durant lequel la gestion socialiste doit battre et vaincre la gestion capitaliste sur le terrain économique.
L’existence de ces secteurs économiques arriérés, la subsistance inévitable de la propriété privée présentent un danger redoutable, un terrain économique de conservation, de consolidation et de renaissance des forces sociales s’opposant à la marche vers le socialisme
La phase transitoire est la phase d’une lutte acharnée entre le capitalisme et le socialisme avec l’avantage pour le prolétariat d’avoir conquis une position politique dominante mais non définitive pouvant automatiquement assurer la victoire finale.
L’issue de la lutte, la garantie de la victoire finale réside pour le prolétariat exclusivement dans la force de sa conscience idéologique et dans l’aptitude à la traduire dans la politique pratique.
Toute faute politique, toute erreur tactique devient une position de renforcement de l’ennemi de classe. L’anéantissement des formations politiques de l’ennemi de classe, de ses organes, de sa presse, est une mesure indispensable pour briser sa force. Mais cela ne suffit pas. Le prolétariat doit avant tout veiller à l’indépendance de ses organismes de classe qui lui sont propres et empêcher leur altération en les exposant à des tâches et à des fonctions étrangères à leur nature. Le parti représentant la conscience de la mission historique de la classe et du but final à atteindre exercera la dictature au nom du prolétariat; le syndicat, organisation unitaire de la classe exprimant sa position économique et ses intérêts immédiats qu’il est appelé à défendre ne peuvent s’identifier à l’État, ni s’intégrer à ce dernier.
9- L’État, dans la mesure ou il est reconstitué après la révolution, exprime l’immaturité des conditions de la société socialiste, Il est la superstructure politique d’une structure économique non encore socialiste. Sa nature reste étrangère et opposée au socialisme. De même que la phase transitoire est une inévitabilité historique objective par laquelle passe le prolétariat, de même l’État est un instrument de violence inévitable -pour le prolétariat- dont il se sert contre les classes dépossédées mais avec lequel il ne peut s’identifier et le moins qu’on puisse dire c’est qu’il (l’état) est un fléau dont le prolétariat hérite dans sa lutte pour arriver à sa domination de classe. (Engels, préface à la “Guerre civile en France”)
Dans sa nature en tant qu’institution sociale, l’État instauré après la victoire de l’insurrection prolétarienne, reste une institution étrangère et hostile au socialisme.
L’expropriation et la nationalisation, l’exclusivité de la gestion de l’économie, l’impréparation historique des classes travailleuses et du prolétariat à la direction de l’économie, la nécessité de recourir à des spécialistes techniciens, à des hommes venant des couches et des classes exploiteuses et de leurs serviteurs séculaires, l’état désastreux de l’économie à la sortie de la guerre civile, sont autant de faits historiques concourant à renforcer la machine d’État et ses caractères fondamentaux de conservatisme, de coercition. L’obligation historique pour le prolétariat de s’en servir ne doit nullement entraîner l’erreur théorique et politique fatale, d’identifier cet instrument avec le socialisme. L’État, comme les prisons, n’est pas le symbole du socialisme, ni de la classe appelée à l’instaurer: le prolétariat.
La dictature du prolétariat exprimant la volonté de la classe révolutionnaire de briser les forces et les classes hostiles, et d’assurer la marche vers la société socialiste, exprime également son opposition fondamentale à la notion et à l’institution de 1’État. L’expérience russe a mis particulièrement en évidence l’erreur théorique de la notion de “l’État ouvrier’, de la nature de classe prolétarienne de l’État et de l’identification de la Dictature du prolétariat avec l’utilisation, par le prolétariat, de l’instrument de coercition qu’est l’État.
10- En se rendant maître de la société par la révolution victorieuse contre la bourgeoisie, le prolétariat hérite d’un état social nullement mûr pour le socialisme, et qui ne peut atteindre cette maturité que sous sa direction. Il hérite dans tous les domaines, économique, politique, culturel, sociale, des États et des nations, des structures et des superstructures, des institutions et des idéologies extrêmement variés, arrières qu’il ne peut effacer de par sa simple volonté, avec lesquels il doit compter, dont il doit combattre et atténuer les effets les plus nuisibles. La violence n’est pas le moyen essentiel et ne doit être employée que strictement dans la limite de la violence employée par l’ennemi de classe, et pour la briser. La violence doit être absolument et catégoriquement exclue des rapports du prolétariat avec les classes laborieuses, et dans son sein. D’une manière générale, les moyens employés pour aller vers le socialisme relèvent et découlent du but à atteindre, c’est-à-dire du socialisme même.
Dans les premiers temps de la phase transitoire, le prolétariat sera obligé d’utiliser les instruments qui lui ont été légués par toute l’histoire passée, histoire de violence et de domination de classe. L’État est un des instruments de la force et le plus haut symbole de violence, de spoliation et d’oppression dont le prolétariat hérite, et dont il ne peut se servir qu’à la double condition:
L’expérience russe nous prouve que la conscience qu’ils avaient du danger à repré senter l’État dans les mains du prolétariat, et les mesures nécessaires à prendre à son égard, préconisées par nos maîtres, n’étaient pas vaines.
Ces mesures: élection de représentants par les masses laborieuses révocables à tout moment; destruction de la force armée détachée du peuple et son remplacement par l’armement général du prolétariat et des classes laborieuses; démocratie la plus large pour la classe et ses organisations; contrôle vigilant et permanent de toute la classe sur le fonctionnement de l’État; un salaire limité et ne dépassant pas celui de l’ouvrier qualifié pour les fonctionnaires de l’État doivent cesser d’être des formules, mais être appliquées à la lettre et renforcées autant que possible par des mesures politiques et sociales complémentaires.
L’histoire et l’expérience russe ont dé montré qu’il n’existe pas d’État prolétarien proprement dit, mais un État entre les mains du prolétariat, dont la nature reste antisocialiste et qui, dès que la vigilance politique du prolétariat s’affaiblit, devient la place forte, le centre de ralliement et l’expression des classes dépossédées du capitalisme renaissant.
11- Les syndicats, organismes unitaires et de défense des intérêts économiques du prolétariat, ont leur racine dans le mécanisme de la production. Ils surgissent de la nécessité ou se trouve le prolétariat d’opposer une résistance à son exploitation économique, à l’extirpation d’une masse toujours plus grande de plus-value, c’est-à-dire à l’augmentation du temps de travail non payé.
Le développement de la technique, en augmentant la productivité diminue le temps de travail nécessaire à l’entretien des producteurs. En régime capitaliste la plus grande productivité n’entraîne pas la diminution du temps de travail ni l’amélioration proportionnelle du niveau de vie des ouvriers, Au contraire le développement de la productivité poursuivi par les capitalistes est fait dans le but unique d’accroître la production de la plus-value.
L’opposition entre Capital et travail, entre le capital constant et le capital variable, entre le capitalisme et le prolétariat, autour du problème économique: la part de chacun dans la production est une opposition fonda mentale engendrant une lutte de classe constante. C’est dans cette lutte contre le capital que le prolétariat donne le sens à son organisation de classe de défense de ses intérêts économiques immédiats, par l’association de tous les exploités: le Syndicat.
Quelle que soit l’influence des agents de la bourgeoisie, c’est-à-dire de la bureaucratie réformiste dans le syndicat et la politique qu’elle fait prévaloir, sabotant et dévoyant la fonction des syndicats, elle ne peut changer sa nature de classe qui reste telle tant que cet organisme reste indépendant, non rattaché à l’État capitaliste.
12- La révolution prolétarienne ne détruit pas d’emblée l’existence des classes dans la société, et les rapports de production entre les différentes classes. La révolution victorieuse n’est que “l’organisation du prolétariat en classe dominante” qui au travers de son Parti ouvre un cours historique, imprime une tendance économique partant de l’existence de classes et de leur exploitation vers une société sans classe.
Cette phase transitoire du capitalisme au socialisme sous la dictature politique du prolétariat se traduit sur le terrain des rap ports post-économiques par une politique énergique tendant à diminuer l’exploitation des classes, d’augmenter constamment la part du prolétariat dans le revenu national, du capital variable par rapport au capital constant. Cette politique ne peut être donnée par une affirmation programmatique du Parti et encore moins être dévolue à l’État, organe de gestion et de coercition. Cette politique trouve sa condition, sa garantie et son expression dans la classe elle-même et exclusivement en elle, dans la pression qu’exerce la classe dans la vie sociale, dans son opposition et sa lutte contre les autres classes.
L’organisation syndicale en régime capitaliste est une tendance au groupement d’ouvriers contre leur exploitation, tendance qui est constamment empêchée, entravée par la pression et la répression de la bourgeoisie dominante. C’est seulement après la révolution que l’organisation syndicale devient réellement l’organisation unitaire groupant tous les ouvriers sans exception, et peut réellement prendre et imposer pleinement la défense des intérêts immédiats du prolétariat.
13- Le rôle de l’organisation syndicale après la révolution ne réside pas seulement dans le fait qu’elle est la seule organisation pouvant assurer la défense des intérêts immédiats du prolétariat, ce qui à lui seul suffirait à justifier la pleine liberté et l’indépendance totale des syndicats, le rejet de toute tutelle et immixtion de L’État, mais encore l’organisation syndicale est un baromètre vivant extrêmement sensible, reflétant instantanément la tendance qui prédomine dans la gestion et émane dans le sens du socialisme (augmentation proportionnelle du capital variable) ou dans le sens capitaliste (accroissement proportionnel plus grand du capital constant).
Dans l’oscillation de la gestion économique vers une politique capitaliste (déterminée par la pression économique de l’immaturité relative et par les classes non prolétariennes subsistantes) le prolétariat, au travers de l’existence de son organisation syndicale indépendante et de sa lutte spécifique, intervient, réagit et représente le facteur social exerçant la contre-pression dans le mécanisme économique en vue d’une gestion socialiste.
Attribuer aux syndicats la fonction de la gestion économique ne fait nullement disparaître les difficultés essentielles issues de la situation économique ni son immaturité réelle, et ne résout aucunement ses difficultés. Par contre, on aliène la liberté du prolétariat et de son organisation, on annihile la capacité de son organisation d’exercer la pression nécessaire dans le processus économique en vue d’assurer simultanément la défense de ses intérêts immédiats et la garantie d’une politique socialiste dans l’économie.
14- En régime capitaliste, l’organisation syndicale reflète très imparfaitement le degré de la conscience de classe. Cette conscience, le prolétariat ne peut l’acquérir pleinement qu’après la révolution, une fois libéré de toute entrave de la bourgeoisie et de ses agents: les chefs réformistes.
Les syndicats après la révolution, reflètent au mieux le degré de conscience atteint par l’ensemble de la classe et présentent le milieu, le terrain de classe où se fait l’éducation politique de la masse. Les communistes s’inspirent de ce postulat: le maintien de la révolution et l’édification du socialisme ne sont pas le fait de la volonté d’une élite mais trouvent uniquement leur force dans le degré de maturité politique des masses prolétariennes. La violence exercée contre ou sur les masses prolétariennes, même si elle a pour but de garantir la marche vers le socialisme, n’offre nullement cette garantie. Le socialisme n’est pas le résultat du viol sur le prolétariat, il est exclusivement conditionné par sa conscience et sa volonté.
Les communistes rejetteront la méthode de violence au sein du prolétariat comme étant en opposition avec la marche vers le socialisme, qui obscurcit et empêche la classe d’atteindre la conscience de sa mission historique. Au sein des syndicats, les communistes s’efforceront de maintenir la plus grande liberté d’expression, de critique, de vie politique. C’est devant le prolétariat organisé dans les syndicats qu’ils tenteront de faire triompher leur politique face aux autres tendances existantes, et traduisant l’influence bourgeoise, petite bourgeoise subsistant encore dans le prolétariat et dans certaines couches arriérées. La liberté de fraction, de tendance au sein des syndicats, la liberté de parole et de presse pour tous les courants à l’intérieur des syndicats, sont les conditions permettant au Parti de la classe de connaître, de mesurer le degré d’évolution de la conscience de la masse, d’assurer la marche vers le socialisme Par l’élévation de cette conscience au travers de l’éducation politique des masses, de vérifier sa propre politique et de la corriger. Le rapport entre le Parti et la classe n’est que le rapport entre le Parti et les syndicats.
15- Toute tendance à diminuer le rôle des syndicats après la révolution, qui sous prétexte de l’existence de “l’État ouvrier” interdirait la liberté d’action syndicale et la grève, qui favoriserait l’immixtion de l’État dans les syndicats, qui, au travers de la théorie en apparence révolutionnaire de remettre la gestion aux syndicats incorpore rait en fait ces derniers dans la machine étatique, qui préconiserait l’existence de la violence au sein du prolétariat et de son organisation, sous le couvert et avec la meilleure intention révolutionnaire du but final, qui empêcherait l’existence de la plus large démocratie ouvrière par le libre jeu de la lutte politique et des fractions au sein des syndicats, exprimerait une politique anti-ouvrière faussant les rapports du Parti et de la classe, affaiblissant la position du prolétariat dans la phase transitoire. Le devoir communiste serait de dénoncer et de combattre avec la plus grande énergie toutes ces tendances et d’oeuvrer au plein développe ment et à l’indépendance du mouvement syndical, indispensable pour la victoire de l’économie socialiste.
16 - La gestion économique après la guerre civile est le problème le plus difficile, le plus complexe, auquel doit faire face le prolétariat et son Parti. II serait puéril de vouloir donner la solution a priori de tous les aspects pratiques que présentent ces problèmes. Ce serait transformer la doctrine marxiste en un système de préceptes définitifs, valables et applicables à tout moment, et cela sans tenir compte des situations concrètes, circonstancielles, variées se présentant différemment dans divers pays, et dans divers secteurs de la vie économique.
C’est exclusivement dans l’étude pratique que nous dégagerons des situations, au fur et à mesure qu’elles se présenteront, la solution nécessaire contenue et donnée par les situations elles-mêmes. A l’instar de nos maîtres, nous pouvons seulement indiquer aujourd’hui, dans les grandes lignes, les principes généraux devant présider à la gestion économique dans la phase transitoire, et cela à la lumière de la première expérience donnée par la révolution russe.
17- L’avènement du socialisme exige un très haut développement de la technique et des forces productives. Le prolétariat, au lendemain de la révolution victorieuse ne trouve pas achevé le développement de la technique. Il ne résulte nullement de cette affirmation que la révolution soit prématurée, mais au contraire, le degré atteint par le développement se heurte à l’existence du capital isolé, justifiant l’affirmation de la maturité des conditions objectives de la révolution, c’est-à-dire de la nécessite de la destruction du capitalisme devenu une entrave au développement des forces productives. Il appartient au prolétariat de présider à une politique de plein développement des forces productives permettant au socialisme de devenir une réalité économique.
Le développement de la technique et des forces productives est la base de la politique du prolétariat nécessitant l’accumulation d’une partie de la valeur produite en vue d’améliorer, d’intensifier et d’assurer une reproduction élargie. Mais le socialisme n’est pas donné par la vitesse du développe ment des forces productives; le rythme est subordonné et limité aux possibilités concrètes issues de l’état politique et économique existant.
18- La gestion économique ne peut à aucun instant être séparée du développement de la lutte politique de la classe, et cela sur la scène internationale. La révolution victorieuse dans un seul pays ne peut s’assigner comme tâche le développement de son économie, indépendamment de la lutte du prolétariat dans les autres pays. La révolution russe a donné la démonstration historique que la poursuite séparée d’un développement économique de la Russie en dehors de la marche ascendante de la révolution dans les autres pays, a amené la Russie à une politique de compromission avec le capitalisme mondial, politique de pactes et d’accords économiques à l’extérieur qui se sont avérés autant de moyens de renforcement économique du capitalisme en pleine situation de crise, le sauvant de l’écroulement, et d’autre part apportant un trouble profond dans les rangs du prolétariat en pleine lutte révolutionnaire (Accord de Rapallo).
Les accords économiques qui devaient avoir pour seul résultat la recherche du renforcement économique partiel du pays de la révolution, ont en réalité abouti à un renforcement économique et politique du capitalisme, à un renversement du rapport de forces dans la lutte de classes en faveur du capitalisme contre le prolétariat. Ainsi, le pays de la révolution victorieuse a accentué son isolement et perdait sa seule alliée, garantie du développement ultérieur: la Révolution Internationale, et devient une force économique et politique dévoyée et résorbée sous la pression grandissante de son ennemi historique: le capitalisme.
La politique économique du prolétariat dans un pays ne peut donc s’assigner comme but de résoudre les difficultés et de résorber le retard du développement de la technique dans le cadre étroit d’un pays. Le sort de l’économie et son développement sont indissolublement liés et directement subordonnés à la marche de la révolution internationale et doit consister dans une politique en vue de l’attente provisoire à l’intérieur, et d’aide à la révolution internationale.
19- La poursuite du rythme accéléré non en proportion du développement de la capa cité de la consommation aboutit, comme l’a démontré l’expérience russe, au développe ment de la production d’articles destinés à la destruction, suivant sur ce plan la tendance générale du capitalisme mondial qui, dans sa phase décadente, ne peut assurer la poursuite de la production que par l’instauration de l’économie de guerre.
En opposition à cette politique ayant pour but le plus grand rythme de développe ment industriel, sacrifiant les intérêts immédiats du prolétariat culbutant dans l’économie de guerre, la politique prolétarienne consistera dans un rythme proportionnel au développement de la capacité d’absorption des producteurs, et déterminant la production des articles de consommation immédiatement nécessaires pour satisfaire les besoins des travailleurs.
L’accumulation ne suivra pas le critère d’un plus grand rythme de développement industriel, mais exclusivement celui compatible avec la satisfaction progressive des besoins immédiats. La gestion économique aura pour base et pour principe, avant tout, la production des articles de première nécessité, l’harmonisation graduelle des diverses branches de la production, ensuite et particulièrement entre la ville et la campagne, entre l’industrie et l’agriculture.
20- Tant que les forces productives et la technique n’ont pas atteint un développe ment suffisamment haut, supplantant, partout dans toutes les branches de la production, la petite production, il ne pourra être question de la disparition complète des classes moyennes, de l’artisanat et de la petite paysannerie.
Le prolétariat après la révolution ne pourra collectiviser que la grande industrie développée et concentrée, les industries-clés, les transports et les banques, la grande propriété foncière. II expropriera la grande bourgeoisie. Mais la petite propriété privée subsistera et ne sera résorbée que par un long processus économique. A côté du secteur socialiste (collectif) dans l’économie, subsistera un secteur privé de petits producteurs, et les relations économiques entre ces divers secteurs se présenteront d’une façon variée, multiple, allant du socialisme au coopérativisme et à l’échange des marchandises entre l’État et les particuliers, aussi bien qu’entre les producteurs individuels et isolés. Comme dans la production le problème de l’échange, des prix, du marché et de la monnaie aura une grande diversité, la politique économique du prolétariat consistera à tenir compte de cette situation, à rejeter la violence bureaucratique comme moyen de régulariser la vie économique et se basant seulement sur le terrain des possibilités réelles de résorption et de supplantation par le développement de la technique et tendra à liquider progressivement la petite propriété et la production isolée en incorporant ces couches de travailleurs dans la grande famille du prolétariat.
21- La vie et la gestion économique de la société exigent un organisme centralisé. La théorie consistant à laisser à chaque groupe de producteurs le souci de sa propre gestion est le rêve utopique d’un idéal petit bourgeois, réactionnaire. Le développement de la technique exige la participation des grandes masses de travailleurs, leur coopé ration dans la production.
La production de chaque branche est étroitement liée à l’ensemble de la production nationale. Elle exige la mise en mouvement de grandes forces, de grandes puissances, de plans d’ensemble que seule une administration centralisée peut assurer. D’autre part, c’est vouloir transformer chaque membre et chaque groupe de la société en autant de petits propriétaires aux intérêts propres et opposés, et revenir à l’époque marchande que la grande industrie a depuis longtemps rayée de l’histoire. La société socialiste engendrera l’organe de l’administration sociale et de la gestion économique. A l’époque transitoire, cette fonction de gestion économique ne peut être assumée que par le pouvoir issu de la révolution, qui, sous le contrôle de toute la population travailleuse, dirige et gère l’économie de la société.
La participation la plus large, effective, directe de tous les travailleurs à tous les échelons du nouveau pouvoir parait être le seul mode assurant la gestion de l’économie par les travailleurs eux-mêmes. La Commune de Paris nous a donné une première indication de ce nouveau type d’État, et la révolution russe en reprenant et reproduisant cette première ébauche lui a donné sa forme définitive par les organisations de représentants de tous les travailleurs sur leur lieu de travail et de localité: l’organisation des Conseils (Soviets).
22- Dans les élections aux organes de direction et de gestion, dans les conseils, participe tout homme qui travaille, et ne sont exclus que ceux qui ne travaillent pas ou vivent du travail d’autrui. Dans les Conseils se trouve l’expression des intérêts de tous les travailleurs, c’est-à-dire aussi des couches non prolétariennes. Le prolétariat de par sa conscience, sa force politique, la place qu’il occupe au coeur de l’économie de la société, dans l’industrie moderne, par sa concentration dans les villes et les usines, ayant acquis un esprit d’organisation et de discipline, joue le rôle prépondérant dans toute la vie et l’activité de ces Conseils, entraînant, sous sa direction et son influence, les autres couches de travailleurs.
C’est au travers de ces Conseils que les prolétaires, pour la première fois, apprennent, en tant que membres de la société, l’art d’administrer et de diriger eux-mêmes la vie de la société. Le Parti n’impose pas aux Conseils sa politique de gestion de l’économie par décrets ou en se réclamant du droit divin. II fait prévaloir ses conceptions, sa politique en la proposant, la défendant, la soumettant à l’approbation des masses travailleuses s’exprimant dans les Conseils (Soviets), et en s’appuyant sur les Conseils ouvriers et les délégués ouvriers au sein des Conseils supé rieurs pour faire triompher sa politique de classe.
23- De même que les rapports du Parti avec la classe s’expriment au travers de l’organisation syndicale, de même les rapports entre le prolétariat et son Parti avec les autres classes travailleuses s’expriment au travers des Conseils (Soviets). De même que la violence au sein de la classe ne fait que fausser les rapports de celle-ci avec le Parti, de même la violence doit être rejetée dans les rapports entre le prolétariat et les autres classes ou couches travailleuses. Ces rap ports devraient être assurés par la pleine liberté d’expression et de critique au sein des Conseils des députés ouvriers et paysans. D’une façon générale, la violence en tant que moyen d’action entre les mains du prolétariat sera indispensable pour briser la domination du capitalisme et de son État, et pour garantir par la force la victoire du prolétariat contre la résistance et la violence des classes contre-révolutionnaires pendant la guerre civile.
Mais en dehors de cela, la violence n’est d’aucun secours dans l’oeuvre constructive d’édification socialiste et de la gestion économique. Au contraire elle risque de dévoyer l’action du prolétariat, de fausser ses rap ports avec les autres couches laborieuses, et de déformer sa vision des solutions de classe qui sont contenues et garanties exclusive ment par la maturation politique des masses, et de leur développement.En période de décadence où la bourgeoisie privée fait place à la bourgeoisie d’État, l’affrontement de la classe ouvrière avec l’État-patron est toujours direct. Et après la guerre de 14-18, pendant les périodes révolutionnaires dans les pays développés de l’Occident, les marxistes ne purent concevoir aucun compromis tactique pour le prolétariat avec les classes moyennes car soit le développement capitaliste les avait prolétarisées, soit en tant que fractions restantes comme propriétaires ou marchands, ils n’étaient que les piliers -comme couches- de la contre- révolution.
Internationalement, au sortir de la guerre impérialiste, la seule alternative était “Dictature du Capital”. II n’y avait pas de place pour la soi-disant troisième voie de l’État démocratique du peuple tout entier. Ce fut la principale erreur de Lénine de théoriser de façon universelle le cas particulier de la Russie. Dans ce pays, si les ouvriers avaient bénéficié de la neutralité -plus que du soutien d’ailleurs- des paysans au moment de l’insurrection d’octobre, c’est uniquement vis-à-vis du problème de la paix que le gouvernement bourgeois de Kerenski s’obstinait à ne pas réaliser.
En effet, dès que les bolcheviks prélevèrent par nécessité l’impôt en nature en vue de ravitailler les ouvriers et l’année rouge, les paysans -en tant que classe- furent les principaux soutiens de la réaction (les armées blanches et l’Entente) ou d’un régionalisme archaïque (le mouvement Makhnoviste). Le remplacement de la dictature du prolétariat par la dictature démocratique des paysans et des ouvriers fut le premier acte de l’abandon de toute extension de la révolution internationale.
Le prolétariat laissait son pouvoir politique se compromettre par les intérêts économiques immédiatistes de la paysannerie, en particulier en concrétisant le mot d’ordre des bolcheviks “la terre aux paysans”. Devant tous ces faux-pas du Parti communiste russe, Gorter au nom de la Gauche européenne, eut raison d’écrire dans sa “Réponse à Lénine”:
“Les ouvriers en Europe occidentale sont tout seuls. Car d’autre part, c’est seulement une couche toute mince de la petite bourgeoisie pauvre qui les aidera. Et celle-ci est économiquement insignifiante. Les ouvriers devront porter tout seuls le poids de la révolution. Voilà la grande différence avec la Russie.”
Si le prolétariat pressé de prendre des mesures économiques (telles que l’impôt en nature) doit évidemment expliquer ses raisons aux représentants des classes moyennes dans les Soviets et tout faire pour trouver des mesures de conciliation, il ne peut être question à aucun moment pour lui de partager ou même de concéder une parcelle de son pouvoir politique garanti par sa majorité et sa conscience au sein des organismes de gouvernement (Soviets) et par organisation propre en Conseils d’usine et Parti. C’est seulement ainsi que la dictature du prolétariat s’exercera pleinement grâce au moyen d’un État “prolétarien”, mais toujours orienté vers les tâches historiques primordiales, donc d’un “demi-État”.
Toutes les clarifications théoriques sur la dictature du prolétariat et la nature de L’État sont nécessaires car il y a une grande confusion actuelle dans les rangs des révolutionnaires en ce qui concerne les rapports dictature prolétarienne-État. Et ce texte se veut une contribution dans la mesure où celui qui fut présenté par des camarades à la réunion de février 1972 n’était pas satisfaisant, et comportait des contradictions. En effet, bien que la reprise de la lutte des classes est certaine depuis Mai 68, le poids idéologique de la contre-révolution pèse encore sur nous. A plus forte raison le texte de la Gauche Communiste de 1946 publié dans “Internationalisme”, scission de la fraction bordiguiste française, fait dans cette période de pleine idéologie stalinienne, ne bénéficiait pas du renouveau prolétarien. C’est là, d’une part, reconnaître toute la valeur historique et révolutionnaire de cet essai de réflexion théorique vu les conditions défavorables, mais c’est aussi, d’autre part, en souligner les erreurs et les faiblesses.
Ainsi le texte a un axe principal de dé monstration qui repose sur l’expérience de la Révolution russe : ce qui en tant que référence historique sur le problème de l’État est bien sur de la plus haute importance politique. Cependant cette référence en dehors des leçons de classe que l’on peut en tirer, est absolutisée avec l’examen de la dégénérescence de la contre-révolution qui s’ensuit. Tout éclairage du texte, toute argumentation souffre du traumatisme causé aux révolutionnaires par l’échec du prolétariat en Russie et par l’installation du capitalisme d’État sous le couvert du socialisme. L’analyse globale s’en ressent donc, et les explications des camarades qui défendent ce texte ont été souvent confuses lors des exposés ou des discussions de la réunion de février.
Par exemple le texte dit : “L’histoire et l’expérience russe ont démontré qu’il n’existe pas d’État prolétarien proprement dit mais un État entre les mains du prolétariat, dont la nature reste anti-socialiste et qui, dès que la vigilance politique du prolétariat s’affaiblit, devient la place-forte, le centre de ralliement et l’expression des classes dépossédées, du capitalisme renaissant”.
Si l’on peut admettre la première constatation par tout ce que nous venons d’expliquer (a savoir que le prolétariat par son but final ne peut pas s’identifier à un instrument fait pour perpétuer la division de la société en classes), il est difficile de comprendre ce que les camarades appellent “un État entre les mains du prolétariat, dont la nature reste anti-socialiste”! En effet, à part la formule qui le nomme “anti-socialiste”, le texte ne nous renseigne pas sur la nature de classe de cet État. Les germes du pouvoir politique de la bourgeoisie ayant été extirpés, on peut se demander sur quoi repose l’existence réelle de cet État, de cette nouvelle forme de gouvernement de la société ?
Il semblerait que le texte penche pour un État représentant plusieurs classes c’est-à-dire pour un abandon de fait de toute expression de la domination politique du prolétariat ! Le terme de “vigilance” par la suite est significatif d’une conception teintée d’anarchisme ou en tout cas, issue d’une analyse ici singulièrement subjective de la contre-révolution. On a l’impression que l’État est presque considéré comme un mal en soi, une malédiction et que l’on oublie sa nécessité historique. C’est en réalité l’identification du Parti bolchevik et de l’État russe et des monstrueuses conséquences qui en découlèrent pour le prolétariat qui joue ici le rôle d’une “épée de Damoclès”, qui provoque des troubles dans l’analyse de nos camarades. L’erreur léniniste et les crapuleries staliniennes ou trotskystes en tous genres sont la cause de ce manque de clarté, de cette confusion théorique.
S’il faut condamner l’identification Parti/État, ou même État/Prolétariat, il s’agit cependant de dire clairement que : le prolétariat pour exercer sa dictature de classe est obligé, par la résistance de l’ancienne classe dominante de créer de nouvelles formes centralisées de “gouvernement des personnes” au sein desquelles il sera majoritaire. Ainsi il dirigera la vie de la société réellement, c'est-à-dire sans partage de son pouvoir politique avec d’autres classes et en imprimant la voie du communisme pendant toute la période de transition à chaque décision prise.
En conséquence, tout en créant une nouvelle forme “d’État” (dans le sens de “gouvernement des personnes”!) qui sera l’expression de la domination politique de la nature prolétarienne et de la nécessité du développement du mode de production socialiste, le prolétariat de par sa nature historique est poussé à transformer la vie politique toute entière (extension de la démocratie, négation de son existence, fin des classes,...) au fur et à mesure de la réalisation économique du communisme à travers la phase de transition. On peut donc parler d’une extinction de toute forme de gouvernement, de l’État.
Ainsi, dès la prise du pouvoir, la domination du prolétariat s’exprime à travers un demi-État; c’est pour cela qu’il est de la plus grande importance de saisir la signification théorique et pratique de ces deux mots, comme le disait Lénine dans l’État et la Révolution avant son assimilation “dictature du prolétariat/dictature du Parti”.
Le danger essentiel provient de l’accaparement au sein du prolétariat par une couche de spécialistes, d’intellectuels du pouvoir politique en s’appuyant sur les tendances non prolétariennes au sein des organismes de gouvernement des travailleurs La dictature du prolétariat en tant que classe s’affaiblit alors et c’est à ce moment là que l’État perd son caractère de forme de gouvernement de la société transitoire, et se renforce pour servir aux mains de la nouvelle bourgeoisie à maintenir fermement la division de la société en classes. La dictature du Parti représente alors la structure politique du capitalisme d’État.
La formation de cette bureaucratie, extension de l’emprise de l’État, sont conditionnées par le recul du développement de la révolution à l’échelle internationale et donc des conditions objectives qui favorisent ce développement (en particulier rôle de l’idéologie bourgeoise dans les pays occidentaux) qui, malgré l’exacerbation de la crise économique aboutissant à 1929, va pousser les ouvriers dans le frontisme, le syndicalisme, le parlementarisme. (Cf. texte de Pannekoek 1920 Révolution mondiale et Tactique communiste)
Ceci était à préciser pour se démarquer des courants “communistes de Conseils” (Mattik, Korsch, puis Socialisme ou Barbarie et Pannekoek lui-même) qui tombèrent dans l’erreur en attribuant à l’intelligentsia toutes les causes de la bureaucratisation. En effet, ils nièrent les conditions favorables offertes par la guerre impérialiste de 1914-18 et donc toute possibilité d’établir une dictature du prolétariat.
Ainsi il y a passage du demi-État prolétarien à un nouvel État capitaliste dans la mesure où le pouvoir détenu par le prolétariat lui est arraché par la force (répression de Petrograd en 1918, “Armée rouge”, militarisation du travail, Cronstadt 1921), dans la mesure où les organisations qui représentaient ce pouvoir et qui garantissaient sa forme transitoire pour la phase du “socialisme inférieur” (Soviets = demi-État) sont détruits ou, réduits au rôle de chambre d’enregistrement. (“Résolution sur le rôle du Parti communiste dans la Révolution prolétarienne” 2ème Congrès de l’I.C., puis constitution stalinienne de 1936).
L’État devient ouvertement l’instrument de domination de la classe possédante : sa force de coercition complète son exploitation “collectivisée” du prolétariat, sa police et ses bandes armées peuvent exterminer physiquement tout germe révolutionnaire en son sein. L’expérience russe nous montre donc le contraire de ce qu’affirme la fin de la citation des camarades. À aucun moment ce n’est parce que simplement “la vigilance politique du prolétariat s’affaiblit”, que brusquement par ce manque de surveillance, l’État qui “était entre ses mains”, devient l’expression des classes dépossédées, du capitalisme renaissant ! II faut donc tout un processus, une lutte interne au sein du prolétariat, dont le danger existera jusqu’à la prise du pouvoir à l’échelle de la planète, pour que l’expression gouvernementale de la classe (le demi-État) se transforme en un État contre le prolétariat.
Ce processus prend deux aspects : d’une part un arrêt de l’homogénéisation de la conscience de classe au sein des Soviets (qui au début comportent des éléments d’hétérogénéité par la présence de couches travailleuses mais non ouvrières), d’autre part un renforcement du pouvoir du Parti communiste -fraction théoriquement la plus consciente- qui de simple fraction se veut être le représentant de toute la classe.
Les thèses “bolcheviques” au 2ème Congrès de l’I.C. sur le rôle du Parti sont particulièrement significatives de l’existence de ce processus : “L’apparition des Soviets, forme historique principale de la Dictature du prolétariat ne diminue nullement le rôle dirigeant du Parti communiste dans la révolution prolétarienne”. Quand les communistes allemands de “gauche” (voir leur Manifeste au prolétariat allemand du 14 avril 1920 signé par le K.A.P.D.) déclarent que : “le Parti doit lui aussi s’adapter de plus en plus à l’idée soviétiste et se prolétariser”. (Arbeiterzeitung n°54), nous ne voyons là qu’une expression insinuante de cette idée que le Parti communiste doit se fondre dans les Soviets et que les Soviets peuvent le remplacer... l’histoire du Parti communiste russe, qui détient depuis trois ans le pouvoir, montre que le rôle du Parti communiste, loin de diminuer depuis la conquête du pouvoir, s’est considérablement accru.
Nous avons dans cette citation l’illustration parfaite non seulement de ce qu’est la substitution du pouvoir du Parti à celui du Prolétariat, mais surtout de ce qu’est l’identification Parti/État aux dépens de l’expression révolutionnaire du pouvoir prolétarien: Soviets demi-État. En effet le K.A.P.D. ne défendait pas l’idée d’une disparition du Parti, mais celle d’un rôle de ce parti équivalent à la praxis et à l’organisation de la classe elle-même (Comités d’usines). C’est pour cela que parallèlement à l’évolution de la conscience dans les Soviets (et à cette seule condition) le Parti devait se prolétariser garantissant ainsi le passage de toute forme gouvernementale transitoire ou demi-État) à une disparition pure et simple de tout gouvernement, de tout État.
En conclusion de cette première partie de notre contribution, nous citons un extrait du texte des camarades que nous estimons en contradiction totale avec leur thèse générale “les Soviets ne sont pas le seul gouvernement de la période de transition : État “entre les mains du prolétariat”.
Nous le revendiquons dans toute sa formulation ce qui montre encore une fois, malgré toutes les erreurs et contradictions, les éléments de valeur historique et révolutionnaire que recèle ce texte de 1946.
“Dans les élections aux organes de direction et de gestion, dans les Conseils participe tout homme qui travaille et ne sont exclus que ceux qui ne travaillent pas ou vivent du travail d’autrui. Dans les Conseils se trouve l’expression des intérêts de tous les travailleurs. C'est-à-dire aussi des couches non prolétariennes
Le prolétariat, de par sa conscience, sa force politique, la place qu ‘il occupe au coeur de l’économie de la société, dans l’industrie moderne, par sa concentration dans les villes et les usines ayant acquis un esprit d’organisation et de discipline, joue le rôle prépondérant dans toute la vie et l’activité de ces Conseils entraînant sous sa direction et son influence les autres couches de travailleurs.
C’est au travers de ces conseils que les prolétaires pour la première fois apprennent en tant que membres de la société, l’art d’administrer et de diriger eux-mêmes la société. Le Parti n’impose pas aux Conseils sa politique de gestion de l’économie par décrets ou en se réclamant de droit divin, Il fait prévaloir ses conceptions, sa politique en la proposant, la défendant, la soumettant à 1’aprobation des masses travailleuses s’exprimant dans les Conseils (Soviets) et en s’appuyant sur les Conseils ouvriers et les délégués ouvriers au sein des Conseils Supérieurs pour faire triompher sa politique de classe”. (Souligné et en gros caractères par nous).
Les Soviets sont donc l’expression à la fois d’un gouvernement (d’une forme d’État) et de la préparation au dépérissement de tout gouvernement: nous devons les qualifier de “demi-État prolétarien” (car le prolétariat est la force dominante et la dernière classe révolutionnaire qui en s’affirmant, prépare sa négation).
Une prise de position sur l’État, dans la perspective prolétarienne ne serait pas complète, et donc éventuellement cohérente, si on n’examinait pas les problèmes du processus d’internationalisation de la Révolution et du contenu économique de la période de transition conditionné par l’état d’arriération des 2/3 de l’humanité qui est le lot de la décadence capitaliste.
G Sabatier Septembre 1972 - BED n°2-Un résumé de la pensée de l’organisation en 19 72-73 sur le cadre historique général de la période de Transition les problèmes matériels et politiques[1] [1] qui peuvent se poser au sein de cette société instable, complexe et souvent contradictoire.
Le texte qui suit est un compte-rendu d’une rencontre nationale du groupe R.I. en février 72, dont le sujet de discussion était “le contenu du socialisme”. C’était la première fois, que le groupe dans son ensemble, abordait un tel sujet et que l’objet de la rencontre n’était nullement d’en sortir avec une théorie toute faite, immuable, sur ce que devrait être le contenu du socialisme, mais bien plutôt d’ouvrir la discussion sur ce sujet, de commencer à cerner les problèmes grâce à l’étude des expériences des révolutions passées et des théories énoncées par les révolutionnaires tout au long de l’histoire du mouvement ouvrier. Ce texte reprend dans les grandes lignes les idées principales qui sont apparues dans la discussion.
Deux tendances se sont dégagées :
Il est bien évident que sur cette discussion, le débat reste ouvert et qu’on ne saurait faire d’un sujet aussi difficile à cerner, une “position de principe” du groupe en ce moment. Le débat se situe tout de même à l’intérieur d’un certain cadre ; il n’existe pas -et on ne saurait admettre dans ce groupe- de théories léninistes/capitalistes d’État qui prétendent solutionner les problèmes de la période transitoire à travers un Parti-État.
Afin de cerner les problèmes qui se poseront pendant la “phase transitoire”, c’est-à-dire la période qui se situe entre le lendemain de la révolution (prise du pouvoir par la classe ouvrière internationale) et l’avènement définitif du communisme -la société sans classe- il convient de faire un bref rappel de l’évolution qu’a suivi la théorie du socialisme depuis le début du capitalisme.
En effet, l’idée que les révolutionnaires se sont fait du contenu du socialisme a suivi l’évolution de la lutte de classe elle-même. Il n’existe pas pour les révolutionnaires de “théorie immuable” ni de “vérité absolue” ; les théories révolutionnaires ont, par conséquent, évolué grâce à la confrontation constante de ces théories avec la réalité, et l’enrichissement que lui ont apporté chaque pas, chaque expérience de la classe ouvrière.
Ainsi, au début du XIXe siècle, à cause de “l’extrême jeunesse” de la classe ouvrière, et son absence d’expérience, les révolutionnaires pouvaient avoir une conception tout à fait idéaliste du socialisme, qu’ils se représentaient comme un idéal de justice et d’harmonie auquel on pourrait atteindre par une évolution pacifique.
Malgré la justesse de leurs critiques de la société bourgeoise, celles-ci n’étaient portées que sur un plan éthique et moral. La révolution n’étant pour eux qu’une question de “bonne volonté” et de principes moraux, ils croyaient à une évolution harmonieuse du capitalisme au communisme par la création de petites communes ou phalanstères qui se multiplieraient (théories de Owen, Fourier, Cabet, etc., “socialisme utopique”). Par la force des choses, ces théories ont abouti à une impasse, de même que les théories de Proudhon qui voyait l’émancipation des ouvriers de leur exploitation comme pouvant commencer à s’effectuer au sein même de la société capitaliste par des associations de producteurs libres qui produiraient et échangeraient leurs produits “à leur juste prix”. Ces théories se sont révélées utopiques, car elles voyaient le passage du capitalisme comme pouvant être effectué immédiatement parla simple volonté des hommes.
Pour les socialistes “utopiques”, le socialisme restait dans le domaine des idées, une abstraction puisqu’ils ne voyaient pas le sujet réel de la transformation socialiste : la classe ouvrière. Proudhon, en voulant épargner au prolétariat l’esclavage salarié, ne voyait pas le chemin vers l’émancipation : la lutte de classe. Toutes ces théories niaient tout simplement tout problème d’une “période de transition” vers le socialisme.
Pour la première fois, le matérialisme historique pose le problème de la NÉCESSITE de la disparition du capitalisme et de l’instauration du communisme. Le socialisme cesse d’être considéré comme une simple question de morale et de volonté, pour être conçu et compris comme une NÉCESSITE historique, comme la dernière et inévitable étape de l”histoire des luttes de classes”. Le matérialisme historique a donné une explication et une base scientifique aux “bons voeux” des socialistes utopiques ; pour Marx et les marxistes, ce ne sont pas les idées et la pure volonté des hommes qui déterminent le cours de l’histoire, mais le développement des forces productives : une société ne peut jamais faire autre chose que ce que ses forces productives lui permettent. C’est le développement des forces productives sous la société capitaliste, qui en entrant en conflit avec les rapports de production et les superstructures capitalistes, pose non seulement les bases de la possibilité du surgissement d’une nouvelle société mais aussi sa nécessité.
Avec le matérialisme historique, il devient clair aussi que ce ne sont pas les “hommes de bonne volonté” qui détruiront le capitalisme, mais que c’est une classe, la classe ouvrière, qui sera appelée à accomplir cette tâche, qui sera le sujet de l’histoire, car c’est seulement elle qui aura intérêt à -et la possibilité de- libérer les forces productives de leur carcan capitaliste et instaurer une société qui ne sera plus dominée par les rapports marchands, une société qui éliminera la domination de l’homme par l’homme. Il n’y a pas de continuité entre les sociétés passées et le communisme (celui-ci étant la fin du règne de la nécessité pour le règne de la liberté) et, pour cette raison, le passage du capitalisme au communisme ne pourra se faire du jour au lendemain. La révolution prolétarienne n’instaure pas tout de suite une nouvelle société, mais ouvre une période de transformation économique et sociale et de maturation de la classe : la période de transition -que déjà Marx avait qualifié comme “phase inférieure” du communisme, ou “socialisme”, qui précéderait la “phase supérieure”, le communisme.
Depuis Marx, la théorie sur le contenu du socialisme s’est trouvée enrichie, en particulier par Lénine (l’État et la révolution) par l’expérience russe, par les essais des camarades de la Gauche hollandaise qui ont essayé de faire une étude sérieuse du problème, mais qui ont limité le problème au plan d’un pays industriel isolé, alors que, en fait, les conditions pour la révolution ne peuvent exister et mûrir que sur le plan international.
L’objet de notre discussion aujourd’hui, est de cerner quels sont les problèmes qu’aura à affronter le prolétariat au lendemain de la révolution, pendant la période de transition; nous disons bien cerner les problèmes, car il est évident que nous ne faisons ici qu’essayer de contribuer à la discussion et l’étude de ce problème, qui s’est posé de tous temps aux révolutionnaires, et qui continuera de se poser jusqu’à ce que l’histoire elle-même ait tranché.
Dans la discussion qui anime les révolutionnaires sur la société future, la phase ultime de celle-ci, la société sans classe, soulève peu de discussions; nous ne pouvons, en effet, avec notre vision aliénée, arriver même à imaginer quels seront les problèmes qui se poseront alors ; nous ne savons que quelques lignes générales qui nous servent de phare, de guide :
La société transitoire, celle qui doit aboutir à l’instauration de cette “société idéale”, par contre, soulève pour nous une quantité innombrable de problèmes; c’est à elle qu’incombera la tâche de mettre fin au capitalisme et préparer le communisme; et cela, le prolétariat devra le faire en suivant une démarche qui est à l’encontre de tout ce que l’on a pu voir dans l’histoire passée, car comme son nom l’indique, la société transitoire, n’est pas une société fixe, que l’on instaure, mais qui devra subir des transformations permanentes, afin de résoudre les énormes contradictions dont sera la proie la société au lendemain de la révolution.
Principaux problèmes et contradictions au lendemain de la révolution
Comme nous l’avons déjà dit, la prise du pouvoir elle-même par le prolétariat ne fait qu’ouvrir une période pendant laquelle il s’agira pour celui-ci de préparer les conditions en vue d’amener une société sans classe.
Prétendre que la prise du pouvoir par le prolétariat amène immédiatement l’instauration d’une nouvelle société, ou que tous les problèmes seront résolus, -comme le font beaucoup de “révolutionnaires” actuels- c’est s’imaginer qu’en fermant les yeux devant les problèmes on les élimine. C’est ne pas tenir compte des réalités qui se poseront, et, par là même, laisser libre cours aux mille dangers qui guetteront la bonne marche de la révolution.
La classe ouvrière au pouvoir dans un pays donné aura comme tâche primordiale de hâter et aider le processus révolutionnaire dans d’autres pays comme condition sine qua non de sa propre existence. La transformation sociale n’est possible que sur l’échelle internationale et on ne pourrait avoir des “économies socialistes” ou “l’autogestion” dans un seul pays. La tâche fondamentale dans les premiers temps de la guerre civile mondiale sera d’étendre la révolution à d’autres secteurs et pays.
Au lendemain de la révolution, la classe ouvrière se trouve dans une situation pour le moins précaire : il s’agit pour elle de se maintenir au pouvoir alors que :
Toutes ces transformations ne peuvent pas aboutir du jour au lendemain. Il y aura toute une période avant que ces couches puissent s’intégrer au prolétariat et par là même, éliminer la société de classes. C’est la définition même de la période de transition. Tant que ces classes n’ont pas disparu, persistent des rapports d’échange et le danger du retour en arrière menace la marche de la révolution.
IL faudra résoudre le problème de coordination de la production et la distribution dans la société. Il y aura besoin d’une planification sur une échelle autre que simplement locale.
IL faudra résoudre le problème des deux tiers de l’humanité qui souffre de la famine et de sous-alimentation chronique. IL faudra, en somme, que la révolution soit mondiale, alors que sur le plan mondial la classe ouvrière est minoritaire.
IL ne faut pas non plus négliger le fait que nous ne pouvons pas savoir dans quel état se trouvera l’économie au lendemain de la guerre civile. On sera peut-être dans une période de pénurie à la suite des grandes destructions.
Ceux-ci ne sont que quelques uns des problèmes qui se poseront. Notre but est d’opposer à une tendance utopique de la révolution, une tendance réaliste.
A cause de cette position de faiblesse dans laquelle se trouvera la classe ouvrière au lendemain de la révolution, en proie à des menaces extérieures (situation économique, rapports de force avec les autres classes...), aussi bien qu’internes (poids de l’idéologie du passé, absence d’homogénéité politique...), les dangers d’un retour au capitalisme se trouvent décuplés. Il s’agit pour nous, révolutionnaires, de cerner le mieux possible ces problèmes pour ne pas être pris au dépourvu et tenter d’en éviter les dégâts.
Nous savons que la difficulté essentielle de la période de transition est que nous nous trouverons dans une situation où la classe ouvrière aura manifesté dans les faits sa volonté de détruire le système capitaliste sous toutes ses formes et qu’elle se trouvera dans l’impossibilité de le faire immédiatement, du jour au lendemain, pour les raisons que nous avons énumérées plus haut. C’est là le noeud du problème de la période transitoire : c’est une phase ou la société se verra constamment tiraillée entre une tendance vers l’immobilisme, la conservation du statu-quo ou le retour en arrière, et une tendance -celle que seule une classe ouvrière consciente et organisée dans des organes vivants qui lui sont propres, peut assurer- vers le dépasse ment constant de la situation, vers l’achèvement de la société sans classe.
Le propre de la classe ouvrière révolutionnaire n’est nullement d’assurer la survie de cette société hybride, divisée, que nous hériterons de la société capitaliste. Sa mission va bien au delà et ce serait lui couper les mains que de lui assigner ce rôle qui n’est pas le sien. Cependant Cette tâche d’assurer la survie et la marche de la société doit tout de même être assurée.
Au lendemain de la révolution et de la guerre civile, un État surgira qu’on le veuille ou non, car la société transitaire sera encore une société ou il existera des classes (paysannerie, petite bourgeoisie). Le prolétariat doit mener une lutte de classe pour la transformation de cette société, mais en même temps, il est impossible de priver ces couches de toute expression sociale, de toute représentation dans la vie de la société. L’État sera l’expression même des contradictions au sein de la société de transition. Comme tous les États, il consacrera les acquis de la lutte passée (les acquis de la révolution contre la bourgeoisie) et son rôle sera de maintenir la lutte des classes de la société transitoire dans un cadre qui ne mette pas en danger l’existence même de la société. Mais contrairement aux États dans le passé, il ne sera pas un organe pour consacrer une nouvelle domination économique de classe; la classe ouvrière n’est pas une classe exploiteuse et n’a pas d’intérêts économiques privilégiés à défendre.
L’État de la période de transition disparaîtra quand les classes auront disparu. Il est fort possible que le prolétariat doive être vigilant à cet égard pour assurer, par la force si nécessaire, que l’État ne s’autonomise pas par rapport au reste de la société. La classe doit être consciente que le danger du retour au capitalisme viendra en partie de cet État même, ce fléau hérité d’un monde divisé en classes, une arme à double tranchant dont nous devrons nous servir comme on se sert du cobalt pour soigner le cancer.
L’État de la société transitoire n’est en aucune manière le porteur de la révolution, il naît en tant que produit d’une certaine situation et d’un certain rapport de force entre la classe ouvrière et les autres classes qui, elles, ne partagent pas les intérêts de la classe ouvrière dans la révolution (n’oublions pas que nous parlons toujours sur un plan international). Puisqu’il est produit de cet état de fait existant, sa tendance sera à vouloir conserver, perpétuer cette situation, à freiner ou empêcher toute marche en avant vers l’élimination des autres classes. Contrairement à ce qu’en pensait Lénine, sa nature est antinomique à la lutte pour la libération de l’homme.
L’histoire nous a montré qu’au moment même de l’insurrection, l’État s’identifie avec les organes unitaires de la classe ouvrière, les Conseils Ouvriers. C’est lors de la deuxième phase -quand les problèmes de gestion de la société et de maintien de l’ordre public se posent- que le problème État/Conseils Ouvriers se pose : il s’agit de faire vivre tous les membres de la société, alors que dans les Conseils Ouvriers il n’y a que des ouvriers. Si l’on identifie, comme le font les conseillistes et les léninistes, Conseils Ouvriers et État, on ne voit pas que :
Comme nous le disions plus haut, la grande difficulté de la période de transition réside en ce qu’elle est justement une période de transition. C’est-à-dire qu’elle sera constamment la proie aux plus grandes contradictions à une évolution constante -évolution qui, si elle s’arrêtait, ne manquerait pas d’indiquer une dégénérescence et un retour pur et simple vers le capitalisme. On pourrait dire que la période transitoire se trouvera pendant longtemps dans une distance constamment modifiée entre le capitalisme et le communisme, et cela tant que l’État n’aura pas complètement disparu. Si les révolutionnaires ne saisissent pas bien la dynamique de cette période, ils seront passibles des plus néfastes erreurs.
Bien que l’État de la société transitoire ne soit là que pour accomplir les tâches les plus pratiques afin d’assurer la survie de la société, cela ne l’empêchera pas d’avoir les tendances les plus “immobilistes” et réactionnaires; il peut à tout moment devenir l’organe actif de la contre-révolution ; c’est justement pour lutter contre les tendances contre-révolutionnaires de celui-ci qu’il est absolument nécessaire que la classe ouvrière ne s’“endorme” pas, que son mûrissement, sa radicalisation, son homogénéité, son renforcement, continuent à s’effectuer au sein de ses conseils ouvriers ; c’est à elle d’être en alerte afin de guetter et parer le moindre signe de contre-révolution, c’est à elle de s’assurer que la révolution est en bonne voie, à elle d’être prête, s’il le faut à reprendre les armes contre ce même État.
Afin de s’assurer la soumission de cet État, il semble évident qu’un certain nombre de mesures doivent être prises :
Cette destruction des autres couches de la société pourra se faire d’autant plus rapidement que les forces productives seront développées. Le premier souci de la classe ouvrière sera d’intégrer le plus rapidement possible toutes les couches de la société dans le processus de la production socialisée. Il va de soi que cette intégration ne consiste pas à obliger tout le monde à travailler dans les usines telles qu’elles existent actuellement, mais que dès le lendemain de la prise du pouvoir, de profonds changements devront être effectués quant à la nature, les buts, les formes de la production.
Aussi, bien qu’il ne soit pas possible d’instaurer la société sans classe au lendemain de la révolution, qu’il faudra composer avec les classes non révolutionnaires, il sera possible -et nécessaire- de prendre des mesures socialistes, assurant le chemin vers le communisme, immédiatement. Il s’agira de marquer, le plus rapidement possible, autant de “points de non-retour” que la situation le permettra. Par exemple, il se pourra qu’on soit forcé, dans un premier stade, d’effectuer la distribution des produits partiellement sous une forme monétaire quelconque -tant qu’il existera des secteurs extra-socialistes- le premier souci sera de tendre vers la collectivisation de la distribution, vers la suppression des marchés, des salaires et, évidemment, de la loi de la valeur.
Nous critiquons le système des “bons du travail”[2] [2] (forme de “monnaie’ représentant une certaine quantité d’heures de travail avec laquelle un individu se procurerait autant de biens de consommation, calculés également en heures de travail) en ce sens que ce système tend à perpétuer la notion de la classe ouvrière comme une somme d’individus qui reçoivent de quoi vivre en fonction de leur travail individuel. Or, quelles que soient les mesures qui seront prises pendant la période de transition, ce qui importe surtout c’est l’orientation de ces mesures, leur rupture avec le système passé.
L’orientation qui doit guider toutes les mesures prises doit être de tendre vers la production pour la satisfaction des besoins et pas pour l’accumulation comme dans le système capitaliste, vers la hausse constante du niveau de vie de la classe ouvrière, vers la réduction des heures de travail en assimilant d’autres couches dans le travail associé. Le travail doit perdre son caractère de fléau, d’“achat de sa propre vie”, et doit au contraire encourager des rapports de solidarité au sein des ouvriers. Nous pensons qu’il faut au plus vite assurer la gratuité et la collectivisation de tous les biens de consommation qui sont nécessaires à la vie d’un homme (nourriture, habits, etc...) surtout dans les secteurs où la classe ouvrière est forte, des secteurs industrialisés, ou la socialisation de la consommation peut forcément aller plus vite.
Les meilleures garanties contre une éventuelle dégénérescence de la révolution sont des mesures économiques et politiques tendant à asservir chaque fois davantage l’économie, les forces productives, aux besoins immédiats des hommes. C’est le phare qui doit orienter constamment la période de transition, le seul qui puisse nous guider vers le “règne de la liberté”, vers la société de l’homme.
Taly
C’est toujours avec une grande prudence que les révolutionnaires ont abordé la question de la période de transition. Le nombre, la complexité et surtout la nouveauté des problèmes que devra résoudre le prolétariat empêche toute élaboration de plans détaillés de la future société, et toute tentative en ce sens risque de se convertir en carcan pour l’activité révolutionnaire de la classe. Marx, par exemple, s’est toujours refusé à donner des “recettes pour les marmites de l’avenir” Rosa Luxembourg, de son côté, insiste sur le fait que sur la société de transition, nous ne disposons que de “poteaux indicateurs et encore de caractère essentiellement négatif’.
Si les différentes expériences révolutionnaires de la classe (Commune de Paris, 1905, 1917-23) et l’expérience même de la contre-révolution ont pu permettre de préciser un certain nombre de problèmes que posera la période de transition, c’est essentiellement sur le cadre général de ces problèmes que portent ces précisions et non sur la façon détaillée de les résoudre. C’est ce cadre qu’il s’agira de dégager ici.
A- L’histoire humaine se compose de différentes sociétés stables liées à un mode de production et donc à des rapports sociaux stables. Ces sociétés sont basées sur des lois économiques dominantes inhérentes à celles-ci, se composent de classes sociales fixes, et s’appuient sur des superstructures appropriées. L’histoire écrite connaît comme sociétés fixes la société esclavagiste, la société “asiatique”, la société féodale et la société capitaliste.
B- Ce qui distingue les périodes de transition de ces périodes de sociétés stables, c’est la décomposition des anciennes structures sociales, et la formation de nouvelles structures, toutes deux liées à un développement des forces productives et qu’accompagnent l’apparition et le développement de nouvelles classes, idées et institutions correspondant à ces nouvelles classes.
C- La période de transition n’a pas de mode de production propre mais un enchevêtrement de deux modes, l’ancien et le nouveau. C’est la période pendant laquelle se développent lentement, au détriment de l’ancien, les germes du nouveau mode de production jusqu’au point de le supplanter et de constituer le nouveau mode de production dominant.
D- Entre deux sociétés stables, et cela sera aussi vrai entre le capitalisme et le communisme que cela était vrai dans le passé, la période de transition est une nécessité absolue. Cela est dû au fait que l’épuisement des conditions de l’ancienne société ne signifie pas nécessairement et automatiquement la maturation et l’achèvement des conditions de la nouvelle société. En d’autres termes, le dépérissement de l’ancienne société n’est pas automatiquement maturation de la nouvelle, mais seulement condition de sa maturation.
E- Décadence et période de transition sont deux choses bien distinctes. Toute période de transition présuppose la décomposition de l’ancienne société dont le mode et les rapports de production ont atteint la limite extrême de développement. Par contre, toute décadence ne signifie pas nécessairement période de transition, qui est un dépassement vers un mode de production plus évolué.
Par exemple, la stagnation du mode asiatique de production n’a pas ouvert la voie au dépassement vers un nouveau mode de production. De même pour la Grèce antique qui ne disposait pas des conditions historiques au dépassement de l’esclavagisme. De même pour l’ancienne Égypte.
Décadence signifie épuisement de l’ancien mode de production social. Transition signifie surgissement des forces et des conditions nouvelles permettant de dépasser et de résoudre les contradictions anciennes.
Pour pouvoir faire ressortir la nature de la période de transition qui va du capitalisme au communisme et ce qui distingue cette période de toutes les précédentes, il faut s’appuyer sur une idée fondamentale : toute période de transition relève de la nature même de la nouvelle société qui va surgir. Il faut donc d’abord mettre en relief les différences fondamentales qui distinguent la société communiste de toutes les autres.
1) Toutes les sociétés antérieures (à l’exception du communisme primitif qui ap partient à la préhistoire) ont été des sociétés divisées en classes.
2) Les autres sociétés sont basées sur la propriété et l’exploitation de l’homme par l’homme.
3) Les autres sociétés dans l’histoire ont pour fondement l’insuffisance du développement des forces productives par rapport aux besoins des hommes. Ce sont des sociétés de pénurie. C’est pour cela qu’elles sont dominées par des forces naturelles et économico-sociales aveugles. L’humanité est aliénée à la nature, et par suite, aux forces sociales qu’elle-même a engendré dans son parcours.
4) Toutes les sociétés traînent avec elles des vestiges anachroniques des systèmes économiques, des rapports sociaux, des idées et des préjugés des sociétés passées. Cela est dû au fait que toutes sont fondées sur la propriété privée et l’exploitation du travail d’autrui. C’est pour cela que la nouvelle société de classes peut et doit naître et se développer au sein de l’ancienne. C’est pour cette même raison qu’elle peut, une fois triomphante, contenir et s’accommoder des vestiges de l’ancienne société défaite, des anciennes classes dominantes et même associer celles-ci au pouvoir.
C’est ainsi que dans le capitalisme il peut encore subsister des rapports esclavagistes ou féodaux, et que la bourgeoisie partage, pendant une longue période, le pouvoir avec la noblesse.
5) Toutes les sociétés antérieures, en même temps que fondées sur la division en classes, sont nécessairement basées sur des divisions géographiques régionales ou politiques nationales. Cela est dû surtout aux lois du développement inégal qui veulent que l’évolution de la société, tout en suivant par tout une même orientation, se fasse de façon relativement indépendante et séparée dans ses différents secteurs avec des décalages de temps pouvant atteindre plusieurs siècles. Ce développement inégal est lui-même dû au faible développement des forces productives : il existe un rapport direct entre ce degré de développement et l’échelle sur laquelle il se réalise. Seules les forces productives développées par le capitalisme à son apogée permettent pour la première fois dans l’histoire, une réelle interdépendance entre les différentes parties du monde.
6) Pour être fondée sur la propriété privée, l’exploitation, la division en classes et en zones géographiques différentes, la production des sociétés antérieures tend nécessairement vers la production de marchandises avec tout ce qui s’ensuit de concurrence et d’anarchie dans la distribution et la consommation seulement régulées par la loi de la valeur et l’argent.
7) Pour être des sociétés divisées en classes et en intérêts antagoniques, toutes les sociétés antérieures ne peuvent exister et survivre que par la constitution d’un organe spécial, en apparence au-dessus des classes dans le cadre de sa conservation et des intérêts de la classe dominante : l’ÉTAT.
La période de transition vers le communisme est constamment imprégnée de la société d’où elle sort (la préhistoire de l’humanité) et de celle vers quoi elle tend (l’histoire toute nouvelle de la société humaine). C’est ce qui va la distinguer de toutes les périodes de transition antérieures.
Les périodes de transition jusqu’à ce jour ont en commun leur déroulement dans l’ancienne société, en son sein. La reconnaissance et la proclamation définitive de la nouvelle société sanctionnée par le bond que constitue la révolution, se situent à la fin du processus transitoire proprement dit. Cette situation à deux causes essentielles:
1) Les sociétés passées ont toutes un même fondement économico-social, la division en classes et l’exploitation qui font que la période de transition se réduit à un simple changement ou transfert de privilèges et non à la suppression des privilèges.
2) Toutes ces sociétés, et ceci est à la base de la caractéristique précédente, subissent aveuglément les impératifs des lois basées sur la pénurie des forces productives ‘(règne de la nécessité). La période de transition entre deux d’entre elles connaît par conséquent un développement économique aveugle.
1) C’est parce que le communisme constitue une rupture totale de toute exploitation et de toute division en classes que la transition vers cette société exige une rupture radicale dans l’ancienne société et ne peut se dérouler qu’en dehors d’elle.
2) Le communisme n’a pas un mode de production soumis à des lois économiques aveugles opposées aux hommes mais est basé sur une organisation consciente de la production que permet l’abondance des forces productives que l’ancienne société capitaliste ne peut atteindre.
Comme conséquence de ce qui vient d’être vu, on peut tirer les conclusions sui vantes :
“Pour convertir la production sociale en un large et harmonieux système de travail coopératif: il faut des changements sociaux généraux, changements dans les conditions générales de la société qui ne peuvent être réalisés que par le moyen de la puissance organisée de la société -le pouvoir d ‘État arraché aux mains des capitalistes et des propriétaires fonciers et transféré aux mains des producteurs eux-mêmes.”
A- La généralisation mondiale de la révolution est la condition première de l’ouverture de la période de transition. A cette généralisation est subordonnée toute la question des mesures économiques et sociales dans lesquelles il faut particulièrement se garder de “socialisations” isolées dans un pays, une région, une usine ou un groupe d’hommes quelconque. Même après un premier triomphe du prolétariat, le capitalisme poursuit sa résistance sous forme de guerre civile. Dans cette période, tout est subordonné à la destruction de la force du capitalisme. C’est ce premier objectif qui conditionne toute évolution ultérieure.
B- Une seule classe est intéressée au communisme: le prolétariat. D’autres classes peuvent être entraînées dans la lutte que le prolétariat livre au capitalisme, mais ne peu vent jamais, en tant que classes, devenir les protagonistes et porteurs du communisme. C’est pour cela qu’il faut mettre en valeur une tâche essentielle : la nécessité pour le prolétariat de ne pas se confondre ou dissoudre avec les autres classes. Dans la période de transition, le prolétariat, comme classe révolutionnaire investie de la tâche de créer une nouvelle société sans classe, ne peut assurer cette marche en avant uniquement qu’en s’affirmant comme classe autonome et politiquement dominante de la société. Lui seul a un programme du communisme qu’il tente de réaliser et comme tel, il doit conserver entre ses mains toute la force politique et toute la force année : il a le monopole des armes.
Pour ce faire, il se donne des structures organisées, les Conseils Ouvriers basés sur les usines, et le parti révolutionnaire.
La dictature du prolétariat peut donc se résumer dans les termes suivants :
C- Les rapports entre le prolétariat et les autres classes de la société sont les suivantes :
1) Face à la classe capitaliste et aux anciens dirigeants de la société capitaliste (députés, hauts fonctionnaires, année, police, église), suppression totale de tout droit civique et exclusion de toute vie politique.
2) Face à la paysannerie et le petit artisanat, constitué de producteurs indépendants et non salariés, et qui constitueront la majeure partie de la société, le prolétariat ne pourra pas les éliminer totalement de la vie politique, ni d’emblée de la vie économique. II sera nécessairement amené à trouver un modus vivendi avec ces classes tout en pour suivant à leur égard une vie politique de dissolution et d’intégration dans la classe ouvrière.
Si la classe ouvrière doit tenir compte de ces autres classes dans la vie économique et administrative, elle ne devra pas leur donner la possibilité d’une organisation autonome (presse, partis, etc.). Ces classes et couches nombreuses seront intégrées dans un système d’administration soviétique territorial. Elles seront intégrées dans la société comme citoyens et non comme classes.
A l’égard des couches sociales qui dans le capitalisme actuel occupent une place particulière dans la vie économique comme les professions libérales, les techniciens, les fonctionnaires, les intellectuels (ce qu’on appelle la “nouvelle classe moyenne”), l’attitude du prolétariat sera basée sur les critères suivants :
D- La société transitoire est encore une société divisée en classes et comme telle, elle fait surgir nécessairement en son sein cette institution propre à toutes les sociétés divisées en classes: l’ÉTAT.
Avec toutes les amputations et mesures de précautions dont on peut entourer cette institution (fonctionnaires élus et révocables, rétributions égales à celle d’un ouvrier, unification entre le délibératif et l’exécutif, etc.) qui font de cet état un demi-État, il ne faut jamais perdre de vue sa nature historique anticommuniste et donc anti-prolétarienne et essentiellement conservatrice. L’État reste le gardien du statu quo.
Si nous reconnaissons l’inévitabilité de cette institution dont le prolétariat aura à se servir comme d’un mal nécessaire
Nous devons rejeter catégoriquement l’idée de faire de cet état le drapeau et le porteur du communisme. Par sa nature d’état (“nature bourgeoise dans son essence” - Marx), il est essentiellement un organe de conservation du statu quo et un frein au communisme. A ce titre, il ne saurait s’identifier ni au communisme, ni à la classe qui le porte avec elle : le prolétariat qui, par définition, est la classe la plus dynamique de l’histoire puisqu’elle porte la suppression de toutes les classes y compris elle-même. C’est pourquoi, tout en se servant de l’État, le prolétariat exprime sa dictature non pas par l’État, mais sur l’État. C’est pourquoi également, le prolétariat ne peut reconnaître aucun droit à cette institution à intervenir par la violence au sein de la classe ni à arbitrer de la classe : Conseils et parti révolutionnaire.
E- Sur le plan économique, la période de transition consiste en une politique économique (et non plus une économie politique) du prolétariat en vue d’accélérer le processus de socialisation universelle de la production et de la distribution. Ce programme du communisme intégral à tous les niveaux, tout en étant le but affiné et poursuivi par la classe ouvrière, sera encore dans la période de transition, sujet dans sa réalisation à des conditions immédiates, conjoncturelles, contingentes, qu’il serait du pur volontarisme utopique de vouloir ignorer. Le prolétariat tentera immédiatement d’obtenir le maximum de réalisations possibles tout en reconnaissant la nécessité d’inévitables concessions, qu’il sera obligé de supporter. Deux écueils menacent une telle politique :
Sans vouloir établir un plan détaillé de ces mesures, nous pouvons dès maintenant en établir les grandes lignes:
(Avril 1975)
Également une contribution à la Conférence Internationale de 1975, ce texte reprend des citations de Marx et Engels et critique la position qui refuse d’identifier totalement la dictature du Prolétariat avec l’État.
Nous considérons ce texte comme un outil de travail et non comme quelque chose de complet ou d’achevé. Certaines positions sont seulement affirmées, d’autres esquissées. Cependant nous sommes convaincus qu’il pourra constituer une base pour une discussion correcte sur la ‘période de transition’.
Dans l’Idéologie Allemande Marx écrivait : “La révolution n’est pas nécessaire uniquement parce que la classe dominante ne peut pas être abattue autrement, mais aussi parce que c’est seulement dans une révolution que la classe qui l’abat peut réussir à se débarrasser de toute la saleté qu’elle hérite et devenir capable de jeter les bases de la société nouvelle”.
Cependant l’insurrection prolétarienne, l’affrontement et l’attaque armée contre le pouvoir bourgeois, nécessités indispensables, ne sont que les premiers pas inévitables d’un processus dynamique qui doit conduire, en fin compte, au triomphe du communisme de la société sans classe dans laquelle “le libre épanouissement de chacun est la condition du libre épanouissement de tous”.
La révolution prolétarienne est une “révolution politique à âme sociale. La révolution est un acte politique. Le socialisme ne peut être réalisé sans révolution. Il nécessite cet acte politique dans la mesure où il a besoin de détruire et de dissoudre. Mais il se débarrasse de son enveloppe politique dès le début de son activité organisatrice, dès qu’il poursuit son but propre, dès que se révèle son âme”.
L’acte politique est donc l’irruption victorieuse d’une classe née et forgée dans les entrailles même du capitalisme, l’affirmation de cette classe qui en s’émancipant émancipera toute l’humanité.
Le prolétariat, en s’érigeant en nouvelle classe dominante à travers la révolution, ne vise pas à instaurer un nouveau rapport d’oppression d’une classe sur une autre mais à supprimer “toutes les conditions inhumaines de vie de la société actuelle et qu’elle résume dans sa propre condition.”
L’abattement du pouvoir bourgeois n’est pas déjà le communisme, mais est uniquement le premier pas d’un processus plus ou moins long et difficile.
“Entre la société capitaliste et la société communiste il y a la période de la transformation révolutionnaire de l’une en l’autre. Il lui correspond aussi une période politique transitoire dont l’État ne peut être autre que la dictature révolutionnaire du prolétariat”.
(Marx, Critique du Programme de Gotha
Dans l’histoire du mouvement communiste, le prolétariat est parvenu à deux reprises à abattre l’État bourgeois, à mettre sa dictature à l’ordre du jour: la Commune de Paris et la révolution russe.
Ces deux expériences ont été défaites, la première directement par la force des armes dans un massacre généralisé, la seconde dans des bains de sang non moins importants, mais moins “visibles”, dans une lente dégénérescence des objectifs initiaux, étouffée dans sa potentialité par l’absence de la révolution en Occident, condamnée à assumer des tâches qui n’étaient pas les siennes, la combativité prolétarienne se voyant réduite à une résistance toujours plus passive : dans le cas de la Russie, ce fut un recul lent (et donc moins évident que pour la Commune de Paris), réalisée au nom du communisme (et ce fut là la pire tragédie), qui conduisit à la honte du stalinisme. “Il était facile de faire la révolution en Russie. Il était difficile de la continuer”. (Lénine).
La résolution de l’“énigme” russe, des motifs de sa dégénérescence ont amené des groupes de révolutionnaires à tenter de résoudre les problèmes posés par la “période de transition”, mais ils étaient trop liés à l’expérience russe où la question du pouvoir prolétarien et de la voie au communisme ne pouvait être que posée, jamais résolue.
Contrairement à ce que pensaient, en révolutionnaires, Lénine et Trotsky, il était impossible de résister seuls pendant des décennies et des décennies dans les tranchées de la révolution : la dictature du prolétariat est la manifestation de sa combativité ou elle ne représente rien.
Kronstadt et les agitations de Petrograd montrent les premiers signes de la scission qui s’établissait entre les exigences immédiates de la classe et un pouvoir encore prolétarien qui cherchait à résister.
Le drame de la révolution russe ne peut être compris en dehors de ce cadre qui condamnait à l’impuissance le parti bolchevik et un Lénine (qui avait pourtant écrit L’État et la Révolution qui devait maintenant admettre :
“La machine fuit des mains de celui qui la conduit: on dirait qu ‘il y a quelqu’un d’assis au volant et qui conduit cette machine, mais que cette dernière suit une di rection différente à celle voulue, comme si elle était guidée par une main secrète, illégale. Dieu seul sait à qui elle appartient, peut-être à un spéculateur ou à un capitaliste privé, ou à tous les deux ensemble. Le fait est que la machine ne va pas dans la direction voulue par celui qui est au volant, quelque fois elle va plutôt dans le sens contraire.” (Rapport politique du C.C. au parti, 1922)
“Seule la lutte décidera (en fin de compte) de combien nous pourrons avancer, seule elle décidera de quelle part de cette très haute tâche, de quelle part de nos victoires nous pourrons définitivement consolider. Qui vivra, verra.” (1921, Pour le IVe anniversaire de la Révolution d’octobre)
Tout le déroulement des événements en Russie a conduit à parler d’“État Ouvrier” ou d’“État prolétarien”.
Il faut préciser que dans les années 20 ces expressions étaient synonymes de “dictature du prolétariat”. L’État prolétarien dont on parlait alors était un : “…nouvel appareil tout à fait différent de celui actuel, non seulement parce qu’il n’y aura plus besoin de la distinction existante dans l’État bourgeois entre appareil représentant et appareil exécutif, mais surtout du fait des différences fondamentales de structures, conséquences elles-mêmes de l’opposition dans les tâches historiques à accomplir et sur lesquelles les révolutions prolétariennes depuis la Commune de Paris Jusqu’à la république russe des soviets, ont jeté une lumière décisive”. (Il Communista février 1921)
Par la suite, ces “synonymes” sont allés en s’autonomisant jusqu’à ce qu’on parle de “faire à la place de la classe” et d’une classe qui ne “comprenait” pas que “tout était fait dans ses intérêts”.
Les écrits sur le dépérissement de l’État/commune prenaient une résonance sinistre face à la croissance de cette force anonyme représentante du capital.
Marx a laissé, après la Commune de Paris, des écrits mémorables dans lesquels il exprimait, de la meilleure façon possible, l’essence et la nature de la révolution communiste et de la dictature du prolétariat. Nous devons revenir à lui pour fonder sur ces bases notre perspective.
Marx, en corrigeant ce qu’il avait écrit 25 ans auparavant, écrivait: “La classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre la machine de l’État telle qu’elle est, pour la faire fonctionner à son profit. En fait l’appareil d’État est bourgeois en tant que tel et non uniquement parce que ses rouages sont aux mains de la bourgeoisie. L’État n’est pas un instrument neutre, mais de classe, Cependant, ce qui en fait un appareil bourgeois ce n’est pas l’origine bourgeoise du personnel qui le dirige, mais bien sa propre nature d’appareil opposé au reste de la société”.
La révolution communiste donne vie, au cours de son affirmation, à des institutions qui diffèrent de celles de la bourgeoisie de par leurs principes mêmes : telles sont la Commune et les soviets.
La Commune a été: “La forme politique enfin trouvée dans laquelle pouvait s’accomplir l’émancipation économique du travail”.
La lutte de classe ne finit pas avec la victoire politique de la classe :
“La Commune ne supprime pas la lutte des classes […] Elle crée le climat le plus rationnel dans lequel cette lutte peut se dé rouler à travers diverses phases de la façon la plus rationnelle et la plus en accord avec l’essence humaine […] Elle ouvre la porte à l’émancipation du travail, sa grande finalité”.
La classe à qui on a ôté le pouvoir ne peut pas être abolie par décret; elle survit, elle cherche à se réorganiser politiquement. Le prolétariat ne partagera le pouvoir avec personne, il exercera sa dictature pour combattre tous ceux qui s’opposent aux mesures qui minent le privilège économique.
Le premier pas de la dictature du prolétariat vers l’abolition du salariat consistera dans l’obligation pour tous de travailler (généralisation de la condition du prolétariat) et dans l’action, simultanée, pour une réduction sensible du temps de travail. C’est déjà la fin de la séparation entre travail manuel et travail intellectuel.
L’avancement de ce processus en termes réels, matériels, est vital pour le pouvoir prolétarien ; le renforcement de ce dernier est simultanément prémisse et garantie du progrès vers le but final: le communisme.
“Le communisme, abolition positive de cette aliénation de l’homme par lui-même que constitue la propriété privée, donc conquête effective de l’essence humaine par l’homme et pour l’homme; donc retour complet conscient, atteint à travers l’entière richesse du développement passé, de l’homme pour lui-même en tant qu’homme social, c’est-à-dire en tant qu’homme humain. Ce communisme est [… la véritable solution de la contradiction entre existence et essence, entre réalité objective et conscience subjective, entre liberté et nécessité, entre individu et espèce. Le communisme c’est la solution de l’énigme de l’histoire et il se considère comme tel”.
Sur la base de ce que nous venons d’exposer nous critiquons:
- Aussi bien la position d’après laquelle c’est le parti qui prend le pouvoir, dirige et se confond avec l’État du fait qu’il posséderait une claire vision de la perspective révolutionnaire, etc., etc.
- Que la position qui parle de l’État prolétarien comme d’un instrument, expression de la classe, mais qui conserve toutes les caractéristiques de l’État, et où seul le nom et la direction changent.
- Que la position d’après laquelle, à côté de la dictature du prolétariat est nécessaire un État, compromis provisoire dans une société divisée en classes antagonistes.
Nous revendiquons, après la destruction du pouvoir bourgeois, la dictature du prolétariat, dictature de la classe ouvrière victorieuse qui ôte par la force tout droit aux autres classes et n’admet aucune sorte de médiation, moment politique et social qui vit et s’alimente dans la prise de conscience de masses toujours plus larges.
Rivoluzione Internazionale -Italie (Décembre 1974)
Revue Internationale N°1 (Avril 1975)Cet article aussi refuse les mises en garde contre l’État de la Période de Transition , considérant que l’État est forcément révolutionnaire si la classe qui l’utilise est révolutionnaire; il n’accepte pas la position selon laquelle l’identification État-Prolétariat a contribué à la dégénérescence des la révolution russe.
Le texte qui suit à pour but d’énoncer une conception générale de l’État et de la dictature sans intention démonstrative. Ceci pour contribuer à la discussion en cours sur la période de transition qui pose la question fondamentale des formes et du contenu de la dictature prolétarienne. De plus amples explications, notamment sur les points d’achoppement feront l’objet d’une contribution ultérieure.
1- Engels dans les pages désormais classiques de Origines de la famille, de la propriété privée et de l’État dégage la signification et le rôle de l’État. Celui-ci est un produit de la société à un stade déterminé de son développement. Il est le résultat et la manifestation de contradictions de classes inconciliables. L’État surgit afin que les classes aux intérêts économiques opposés ne s’épuisent pas, et avec elles la société, dans une lutte stérile.
2- Si l’État naît pour estomper les conflits de classes, les maintenir dans des limites déterminées, est-il une structure de dialogue entre classes, par l’intermédiaire duquel elles arrivent à des compromis ? Est-il un organisme neutre, extérieur à la société, qui arbitre des antagonismes ? Bien évidemment, non. Encore une fois, l’État ne pourrait surgir, ni se maintenir, si la conciliation de classes était possible. On ne peut se demander dès lors quelle fonction remplit exactement l’État ? Les classes opprimées de toutes les époques ont la réponse à cette question imprimée dans leur longue histoire de misère, d’exploitation et de déportation : l’État est donc, en règle générale[1] [5] l’État de la classe la plus puissante, de celle qui s’est imposée politiquement et militairement dans le rapport de force historique. L’État est l’instrument que la classe dominante utilise en vue d’instaurer et garantir sa dictature.
3- Un principe essentiel du marxisme est que le heurt des classes se décide non sur le terrain de droit, mais sur celui de la force. L’État est un organe spécial de répression : c’est l’exercice centralisé de la violence par une classe contre une autre. L’État politique, même et surtout démocratique et parlementaire, est un outil de domination violente. L’appareil d’État utilise en permanence des moyens coercitifs pour mater la classe dominée, même si apparemment ils constituent non dans l’usage implacable d’une force matérielle, policière ou autre, mais dans la simple menace de sanctions violentes, dans un simple article de loi (même non codifié), sans le fracas des armes et sans effusion de sang.
4- Organe de violence, l’État se caractérise par l’institution d’une force publique. Cette force publique particulière est indispensable parce qu’une organisation armée de la population dans son ensemble est devenue impossible depuis la scission en classes. Chaque État, dès sa formation, crée une force de coercition des ‘détachements spéciaux d’hommes armés’ disposant de prisons etc. Les diverses révolutions nous montrent comment la classe renversée s’efforce de reconstituer ses anciens organismes de domination (ou de les reconquérir) et la force armée qui lui était arrachée, et comment la classe nouvellement dominante se dote d’une nouvelle organisation de ce genre ou perfectionne l’ancienne afin d’empêcher toute restauration de la classe renversée et toute remise en cause des nouveaux rapports dominants.
5- Pour synthétiser ce que nous venons de dire: dans toute société divisée en classes, la classe dominante exerce une dictature ouverte ou camouflée sur les autres classes de la société, en vue de préserver ses intérêts de classe et de garantir ou de développer les rapports de production qui lui sont liés.
II est nécessaire de bien mettre en évidence le fondement de la dictature; une classe déterminée domine par son intermédiaire et s’en sert pour défendre ses intérêts contre les intérêts antagoniques des autres classes (déterminisme économique), pour assurer l’extension, le développement, la conservation de rapports de production spécifiques contre les dangers de restauration ou de destruction. Il est donc faux de considérer que tout État doit être haï et constitue un “fléau dévastateur” (nous ne sommes pas des petits-bourgeois anarchistes). En effet, même l’État bourgeois est, à un moment historique donné, un instrument progressif aux yeux des marxistes : lorsqu’il représente la force organisée contre la réaction féodale intérieure et ses alliés de l’extérieur et favorise la mise en place de structures modernes sur les débris des sociétés pré-capitalistes. II était non seulement utile mais indispensable que la bourgeoisie, au moyen de décrets étatiques et de l’usage de la violence, abattit les obstacles institutionnels qui retardaient l’apparition de grandes fabriques et d’une méthode plus moderne d’exploitation du sol. Si le marxisme a cette vision DIALECTIQUE de l’État, révolutionnaire à certaines époques, conservateur ou contre-révolutionnaire à d’autres, c’est qu’il en fait le PROLONGEMENT et INSTRUMENT des classes sociales qui prennent naissance, mûrissent et disparaissent. L’État est étroitement lié au CYCLE de la classe et s’avère donc PROGRESSIF ou CONTRE-RÉVOLUTIONNAIRE selon l’action historique de la classe sur le développement des forces productives de la société (selon qu’elle concourt à favoriser ou à freiner leur développement).
6- Nous avons relié l’existence de l’État à la division en classes de la société. De la même façon que cette dernière n’est pas la caractéristique immanente des sociétés humaines, l’État n’existe pas de toute éternité. Il y eut des formes sociales sans classe et sans État, et le développement de la production, auquel l’existence des classes est devenue un obstacle, ôtera à l’État toute nécessité et le fera disparaître progressivement. Comme dit Engels: “La société qui réorganisera la production sur la base d’une association libre et égalitaire des producteurs reléguera toute la machine de l’État là où sera dorénavant sa place : au musée des antiquités, à côté du rouet et de la hache de bronze.’
Cependant avant la société sans classe et sans État, entre capitalisme et communisme s’insère une période de transition, une phase de transformation économique de la société. La société transitoire est encore une société divisée en classes et comme telle, elle fait surgir inévitablement un État et une dictature.
7- L’État est l’organisation spéciale d’un pouvoir, c’est l’organisation de la violence destinée à tenir en laisse une certaine classe. Le prolétariat a besoin de l’État pour réprimer la résistance de la bourgeoisie. Or, orienter cette répression, l’effectuer pratiquement, il n’y a que le prolétariat qui puisse le faire, en tant que seule classe révolutionnaire jusqu’au bout, seule classe capable d’unir sous les drapeaux de la révolution tous les travailleurs et tous les exploités. L’intelligence de l’action révolutionnaire du prolétariat doit donc aller jusqu’à la reconnaissance de sa domination politique, de sa dictature, c’est-à-dire D’UN POUVOIR QU’IL NE PARTAGE AVEC PERSONNE et qui s’appuie directement sur la force année de la classe elle-même. La bourgeoisie ne peut être balayée que si le prolétariat est transformé en classe dominante à même de noyer la résistance inévitable des classes possédantes, et d’organiser pour la transformation socialiste de l’économie toutes les masses travailleuses et exploitées. Le prolétariat a BESOIN d’un appareil d’État, d’une organisation centralisée de la violence, aussi bien pour RÉPRIMIER la résistance désespérée de la bourgeoisie que pour DIRIGER la grande masse de la population -paysannerie, petite bourgeoisie, “nouvelles couches moyennes”, semi-prolétaires- dans la mise en place du communisme.
8- Si l’État est né parce que les contra dictions de classes sont inconciliables, s’il est un pouvoir qui est devenu “de plus en plus étranger” à la société, il est clair que l’affranchissement de la classe opprimée est impossible, non seulement sans une révolution violente, mais aussi sans la suppression de l’appareil du pouvoir d’État, qui a été crée par la classe dominante et dans lequel est matérialisé ce caractère “étranger”. Il en résulte ceci : la lutte prolétarienne n’est pas une lutte à l’intérieur de l’État et de ses organismes, mais une lutte extérieure à l’État, contre l’État, contre toutes ses manifestations et toutes ses formes. La révolution prolétarienne passe par l’anéantissement de l’État bourgeois. Cependant une forme d’État politique est nécessaire après cette destruction. C’est une des formes nouvelles de la domination prolétarienne, nécessaire à la classe ouvrière placée devant la nécessité de diriger l’emploi de la violence pour extirper les privilèges de la bourgeoisie et organiser de manière nouvelle les forces de production libérées des entraves capitalistes. La révolution russe a démontré, qu’entre les anarchistes qui, tout en ayant l’indéniable mérite de proposer la destruction de l’État bourgeois, s’imaginent pouvoir se passer après cette destruction de toute forme de pouvoir organisé, la nécessité d’un état politique, c’est-à-dire d’une structure de violence sociale, Comme la transformation communiste de la société est un processus de longue durée et non une réalisation immédiate, la suppression de la classe non travailleuse et l’intégration à la production socialisée de l’ensemble des classes et couches travailleuses non prolétariennes ne peu vent l’être non plus et on ne peut réaliser cette suppression et cette intégration par l’intermédiaire d’un massacre physique. Dès lors, pendant la période de transition, l’État révolutionnaire doit fonctionner, ce qui signifie, comme Lénine eut la franchise de dire aux pacifistes et autres petits bourgeois romantiques nostalgiques de la démocratie, avoir une année, des forces de police et des prisons. Ce qui exclut bien évidemment toute confusion quant à la caractérisation de l’État pendant la phase transitoire qui ne peut dé fendre les intérêts de plusieurs classes, mais d’UNE SEULE, et qui ne peut servir d’instrument à un agrégat indifférencié de classes et couches sociales, mais constitue un outil spécifique d’UNE SEULE CLASSE, de la classe dominante. C’est en ce sens qu’on peut et doit parler d’un État prolétarien, ce dernier étant l’UNE DES formes indispensable de la dictature du prolétariat. Avec la réduction progressive du domaine de l’économie privée et mercantile, se réduit celui où il est nécessaire d’appliquer la contrainte politique et l’État prolétarien tend à disparaître progressivement.
9- II reste à examiner les formes déterminées de l’État prolétarien, Il se marque certains traits de similitude entre l’État prolétarien et les États qui le précèdent dans la suite des époques historiques -traits qui permettent dans divers cas de parler d’État et d’autre part, des traits qui le distinguent où se marque la transition vers la suppression de l’État. Nous avons vu que l’État prolétarien est l’instrument dont se dote le prolétariat en vue de réprimer la classe antagonique. L’État du prolétariat donne également à la société le cadre administratif adéquat dont elle ne peut se doter spontané ment du fait de la division en classes. L’État révolutionnaire permet encore, d’une manière ou d’une autre qui n’en fasse pas une structure interclassiste, aux classes et couches prolétariennes de la société d’exprimer leurs intérêts immédiats, à l’exclusion de la bourgeoisie privée de tout droit et de tout moyen d’expression. Ces tâches qui supposent l’existence de détachements armés et de fonctionnaires identifient formellement les tâches de l’État prolétarien aux tâches des États précédents. Cependant, des différences SUBSTANTIELLES distinguent l’État du prolétariat des États des anciennes sociétés divisées en classes, différences qui résultent de l’action spécifique du prolétariat sur les rapports sociaux. Le prolétariat n’exerce pas sa dictature en vue de bâtir une nouvelle société d’oppression et d’exploitation, dans le but de préserver des privilèges économiques. Le prolétariat n’a pas de privilèges économiques et son seul intérêt de classe est la socialisation réelle de la production et l’avènement du communisme. Ces caractéristiques influent sur la forme et le contenu de l’État :
10- Les cris d’alarme que poussent anarchistes et conseillistes dès qu’ils entendent le mot “État”, en invoquant une prétendue impossibilité à freiner “l’appétit de pouvoir” et de nouveaux privilèges des fonctionnaires, présentés comme “nouvelle classe dominante”, relèvent d’une incompréhension des mécanismes historiques et des phénomènes économiques et sociaux. La société et l’État ne sont pas autant d’entités abstraites. Le marxisme démonte magistralement la mystique bourgeoise de l’“essence éternelle” de l’État en analysant cette forme sociale dans le cadre matériel des déterminations économiques et des transformations résultant des confrontations de classes. Ainsi, se dé gage une conception dialectique de l’État révolutionnaire lorsque la classe qui l’utilise l’est également; contre-révolutionnaire s’il est l’instrument de préservation d’une classe décadente. L’État prolétarien, par sa forme et son contenu, directement déterminés par les tâches et le programme du prolétariat, est essentiellement un organe de la classe dominante qui s’en sert en vue d’abolir les contradictions de classes, et par là l’État prolétarien lui-même. Il n’est pas un organisme de statu-quo, pas plus qu’une structure visant à concilier des intérêts de classes antagoniques. il est un instrument de violence sociale utilisé par le prolétariat contre la bourgeoisie et les rapports de production qu’elle personnifie. L’État prolétarien est également un organe dont le prolétariat se sert pour diriger l’ensemble des classes et couches exploitées de la société.
11- Il reste à envisager l’éventuelle dégénérescence de l’État. Il est bien évident qu’en dernière instance, aucune mesure formelle ne peut contrer la dégénérescence de l’État, d’ailleurs de tout autre organe prolétarien. Mais la dégénérescence ne pro vient jamais de soi-disant tares formelles intrinsèques à l’appareil étatique. Une telle conception métaphysique et subjectiviste de l’histoire est étrangère au marxisme. En ce qui concerne la révolution russe, avec les diverses substitutions qui se sont produites au cours d’un processus où s’entrecroisaient étroitement révolution et contre-révolution, les identifications Parti-État, État-prolétariat, Parti-prolétariat, ne sont pas à l’origine d’une dégénérescence de la révolution, MAIS EN CONSTITUENT LA CONSÉQUENCE. S’il est nécessaire de lutter avec énergie contre toutes les tendances substitutionnistes qui identifient diverses formes de la dictature du prolétariat (qui toutes remplissent des fonctions spécifiques), il serait illusoire de croire éviter par ce biais tout risque de dégénérescence. Le mécanisme des Conseils lui-même peut tomber sous des influences contre-révolutionnaires. Il n’existe aucune immunisation formelle ou constitutionnelle contre ce danger, qui se trouve UNIQUEMENT dépendre du développement intérieur et MONDIAL du rapport des forces sociales. La décomposition interne de l’État prolétarien suppose qu’au préalable l’organisation centralisée du prolétariat ait commencé à se disloquer et à se vider du contenu révolutionnaire. Ainsi que le CCI le répète inlassablement, la SEULE garantie réelle contre les risques de recul réside dans la conscience de classe prolétarienne, liée aux progrès de la Révolution.
Sam/Belgique : Revue Internationale N°6 (juillet 1976)[1] [6] Exceptionnellement il se présente pourtant des périodes où les classes en lutte sont si près de s’équilibrer que le pouvoir de I ‘État, comme pseudo médiateur, garde pour un temps une certaine indépendance vis à vis de l’une et de l’autre. [...] telle la monarchie absolue des XVIIème et XVIIIème siècles, tel le bonapartisme du Premier et du Second Empire en France, tel Bismarck en Allemagne. » Engels
Ce texte traite du problème du rapport classe-État dans le mouvement ouvrier, pour montrer que la position du CCI à savoir la non identification du Prolétariat et de son but -le Socialisme- avec le “demi-État” de la Période de Transition est fondée sur l’expérience de la lutte, et n’est pas une trouvaille du CCI
Dans la plate-forme du CCI, adoptée au premier congrès du CCI de Janvier 1976, le point concernant les rapports entre prolétariat et État dans la période de transition est resté ouvert :
C’est dans le cadre de cet effort que s’inscrit la décision du deuxième congrès de RI d’aborder cette question et de tenter de parvenir à une résolution faisant le point de l’état de ces discussions sur ce problème.
Mais la question abordée est d’ordre programmatique. La plate-forme du CCI étant depuis le premier congrès la seule base programmatique pour toutes les sections du Courant, il va de soi que seul le congrès général du CCI a compétence pour décider de l’opportunité et du contenu d’un éventuel changement de la plate-forme.
En se prononçant sur une résolution sur la période de transition, le deuxième congrès de RI ne modifie donc pas les bases programmatiques de RI (pas plus que n’importe quelle section du CCI, RI n’a pas de bases programmatiques distinctes de celles du CCI).
Le congrès ne fait que faire le point sur l’effort réalisé au sein de RI dans la tâche de l’approfondissement de cette question afin de mieux l’inscrire dans l’effort global de l’ensemble du Courant.
Afin de mieux pouvoir se repérer dans la complexité des problèmes de la période de transition, on peut regrouper ces derniers autour de trois sujets de préoccupation, distingués ici uniquement pour tenter de rendre plus commode la présentation de l’analyse :
Le travail d’analyse des révolutionnaires ne saurait manquer à la tâche d’apporter des réponses à l’ensemble de ces problèmes. Ce pendant, depuis que Marx et Engels jetèrent les basés du ‘matérialisme scientifique’, les révolutionnaires savent que, sous peine de se perdre dans des spéculations à la recherche de ce que Marx appelait avec mépris “des recettes pour les marmites de l’avenir” ils doivent être conscients des limites immenses que leur imposent les limites mêmes de l’expérience prolétarienne dans ce domaine. C’est l’ampleur de ces limites que Marx soulignait en 1875 dans sa Critique du programme de Gotha en écrivant:
C’est la même conscience que R. Luxembourg exprimait dans sa brochure sur la révolution russe :
Outre cette limite d’ordre général, la résolution est consciemment limitée par l’objet qu’elle se donne. Elle ne prétend pas faire une synthèse de tout ce qui a pu être dégagé par les révolutionnaires sur la période de transition. En particulier, la résolution n’aborde pas la question des mesures économiques de transformation de la production sociale. Elle regroupe d’une part des positions acquises de longue date par le mouvement ouvrier (avant l’expérience de la révolution russe) et qui se sont confirmées comme de véritables frontières de classe; d’autres part des positions concernant les rapports entre la dictature du prolétariat et l’État de la période de transition, dégagées principalement de la révolution russe, et qui, si elles ne constituent pas des frontières de classe, n’en reposent pas moins sur une base historique suffisamment développée pour être partie intégrante des bases programmatiques d’une organisation révolutionnaire.
Toutes ces positions constituent déjà par elles-mêmes un rejet catégorique de toutes conceptions social-démocrates, anarchistes, autogestionnaires et modernistes qui, si elles ont sévi dans le mouvement ouvrier depuis ses premiers temps, ne servent pas moins aujourd’hui de piliers idéologiques de la contre-révolution.
C’est sur la base de ces positions de classe fondamentales que la résolution dégage, principalement à partir de l’expérience de la révolution russe, des indications sur le problème entre prolétariat et État dans la période de transition au cours de la dictature du prolétariat :
Ces indications affirment un rejet des conceptions qui ont pu servir de base mystificatrice à la “contre-révolution qui se développe en Russie sous la direction du parti bolchevik dégénérant” et sont reprises aujourd’hui par l’ensemble des courants staliniens et trotskystes comme fondement théorique de la présentation du capitalisme d’État comme synonyme de socialisme.
Elles constituent donc un véritable garde-fou contre un ensemble de conceptions erronées que devra rencontrer demain le prolétariat dans son assaut mondial contre le capitalisme.
Cependant, aussi importantes que puissent être demain les conséquences de ces positions dans la lutte prolétarienne, il est nécessaire de comprendre les limites réelles de cet apport :
Les expériences historiques sur lesquelles sont fondées ces positions, concernant les rapports classe-État de transition, demeurent encore trop peu nombreuses, trop peu spécifiques, pour que les conclusions qui en sont tirées puissent être considérées aujourd’hui par les révolutionnaires comme des frontières de classe, c’est-à-dire des positions qui constituent des parties clairement définies de la ligne de démarcation qui sépare le camp bourgeois du camp prolétarien. Les frontières de classe ne peuvent être appréhendées et définies par les révolutionnaires en fonction d’une expérience historique insuffisante ou de leur appréciation de l’avenir, mais sur une base expérimentale, fournies par l’histoire même des luttes prolétarienne, qui soit suffisamment nette et claire pour permettre d’en dégager des enseignements indiscutables.[1] [7]
II faut donc souligner ici le caractère expressément limité des points que nous pouvons considérer acquis sur cette question : le rejet de l’identification du prolétariat ou de son parti avec l’État de transition, la définition de la dictature du prolétariat par rapport à l’État comme une dictature de classe sur l’État et en aucun cas de l’État sur la classe ouvrière; la mise en avant de l’autonomie des organisations propres du prolétariat par rapport à l’État comme condition première d’une véritable autonomie et d’un véritable épanouissement de la dictature du prolétariat. Ces points restent abstraits et généraux. Ils ne constituent que “quelques poteaux indicateurs montrant la direction dans laquelle les mesures à prendre doivent être recherchées, indicateurs d’un caractère souvent négatif”. Les formes précises dans lesquelles ils pourront se concrétiser, restent encore “terre vierge” que seule l’expérience permettra de défricher.
C’est une condition d’efficacité de l’organisation révolutionnaire que de savoir appréhender non seulement ce qu’elle sait et peut savoir, mais aussi ce qu’elle ne sait ni ne peut encore savoir. Il y va de sa capacité à savoir élaborer une véritable rigueur programmatique ainsi qu’à savoir faire siens à temps, dans l’action de la classe, les apports fondamentaux que seule la pratique vivante de la classe ouvrière peut fournir.
La méconnaissance généralisée du mouvement ouvrier, aggravée par la rupture organique qui sépare les révolutionnaires aujourd’hui des anciennes organisations politiques de la classe, ont pu faire apparaître, dans certains cas, l’analyse sur laquelle nous nous prononçons aujourd’hui comme une “trouvaille”, une “originalité” du CCI. Un rappel, même extrêmement bref et sommaire de la façon dont le problème a été abordé (il faudrait presque dire découvert) par les révolutionnaires depuis Marx et Engels suffira à démontrer la fausseté d’une telle vision.
Dans le Manifeste Communiste de Marx et Engels, qui n’emploie pas encore la formule “dictature du prolétariat”, on trouve : “le premier pas dans la révolution ouvrière est défini comme la montée du prolétariat au rang de la classe dominante”. Cette conquête n’est autre, en fait, que celle de l’appareil d’État bourgeois que le prolétariat devrait utiliser pour “arracher peu à peu toute espèce de capital à la bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de la production dans les mains de l’État -du prolétariat organisé en classe dominante- et pour accroître le plus rapidement possible la masse des forces productives”. Même si l’idée de l’inévitable disparition de tout État est déjà établie depuis Misère de la Philosophie même si l’inévitabilité dé l’existence d’un État pendant les “premiers pas de la révolution ouvrière” est présente, le problème même du rapport entre classe ouvrière et État de la période de transition n’est qu’à peine entre vu.
C’est avec la Commune de Paris et son expérience que le problème commence à être perçu réellement au travers des leçons que Marx et Engels en dégagent: nécessité de la destruction de l’appareil d’État bourgeois par le prolétariat, mise en place d’un appareil tout différent qui “n’est plus un État au sens propre du mot” (Engels) dans la mesure où il n’est plus un organe d’oppression de la majorité par la minorité. Un appareil dont le caractère de poids hérité du passé est claire ment souligné par Engels qui en parle comme d’un “fléau dont le prolétariat hérite dans sa lutte pour arriver à sa domination de classe mais dont il devra, comme l’a fait la Commune et dans la mesure du possible atténuer les effets, jusqu ‘au jour où une génération élevée dans une société d’hommes libres et égaux pourra se débarrasser de tout ce fatras gouvernemental”. (Préface de La Guerre Civile en France)
Cependant, malgré l’intuition de la nécessité pour le prolétariat de développer toute sa méfiance envers cet appareil hérité du passé (le prolétariat, écrivait Engels “avait des précautions à prendre contre ses propres subordonnés et ses propres fonctionnaires en les déclarant en tout temps et sans exception amovibles”) et du fait de la très courte et circonscrite expérience de la Commune de Paris ne pouvait pas poser le problème des rapports entre le prolétariat, l’État et les autres classes non-exploiteuses de la société, Une des idées majeures qui fut dégagée de la Commune fut celle de l’identification du prolétariat avec l’État de la période de transition. Ainsi trois ans après la Commune de Paris, Marx écrivait dans sa Critique du Programme de Gotha
C’est sur une base théorique que Lénine reformulera dans le concept de “l’État prolétarien” dans l’État et la Révolution c’est sur elle que les bolcheviks et le prolétariat russe instaurèrent la dictature du prolétariat en 1917.
Les conditions dans lesquelles dut se dérouler cette tentative prolétarienne, par le fait même qu’elles cumulaient les plus grandes difficultés pour le maintien d’un pouvoir prolétarien, (écrasante majorité de paysans dans la société, nécessité de soutenir immédiatement une guerre civile impitoyable, isolement international de la Russie, faiblesse extrême de l’appareil productif détruit par la première guerre sociale, puis par la guerre civile), toutes ces conditions eurent pour résultats de faire éclater dans toute son ampleur le problème entre dictature du prolétariat et État.
La dure réalité des faits devait démontrer qu’il ne suffisait pas de baptiser l’État “prolétarien” pour que celui-ci agisse en fonction des intérêts révolutionnaire du prolétariat; qu’il ne suffisait pas de placer le parti prolétarien à la tête de l’État (au point de s’identifier complètement avec lui) pour que la machine étatique suivit le cours que les révolutionnaires les plus dévoués voulaient lui imprimer.
L’appareil d’État, la bureaucratie d’État ne pouvait pas être l’expression des seuls intérêts de la classe prolétarienne. Appareil chargé de la survie de la société, il ne pouvait exprimer que les intérêts de la survie de l’économie russe moribonde. Ce que les marxistes répètent depuis les premiers temps se vérifiait dans toute sa puissance: les impératifs de la survie économique s’imposaient impitoyablement à la politique de l’État. Et l’économie était loin de pouvoir être influencée en quoi que ce soit dans un sens prolétarien.
Lénine devait constater cette impuissance clairement lors du 11ème congres du parti, un an après le début de la NEP :
L’identification du parti prolétarien avec l’État n’aboutit pas à la soumission de l’État aux intérêts révolutionnaires du prolétariat, mais au contraire à la soumission du parti aux intérêts de l’État russe. C’est ainsi que sous la pression des impératifs de la survie de l’État russe (dans lequel les bolcheviks voyaient l’incarnation même de la dictature du prolétariat- il s’agissait de la sauvegarde du “bastion prolétarien”), le parti finit par soumettre la tactique de l’IC aux intérêts de la Russie (alliances avec les grands partis social-chauvins européens en vue de tenter de faire relâcher le “cordon sanitaire” qui étouffait la Russie; c’est sur cette pression que fut signé le traité de Rapallo avec l’impérialisme allemand; c’est aussi pour éviter l’affaiblissement du pouvoir de l’appareil d’État “prolétarien” (et en son nom) que furent écrasés les insurgés de Kronstadt par l’armée rouge.
Quant aux masses ouvrières, si l’identification de leur parti avec l’État avait aboutit à les amputer de leur avant-garde, au moment même où elles en avaient le plus besoin, l’idée de l’identification de leur pouvoir avec l’État ne servit qu’à les rendre impuissantes et confuses devant l’oppression croissante de la bureaucratie étatique.[2] [8]
La contre-révolution qui réduisait en cendres la dictature du prolétariat avait surgi de l’organe même que les révolutionnaires avaient pendant des décennies cru pouvoir identifier avec le prolétariat.
Le long processus de dégagement des leçons de l’expérience russe commence dès le début de la révolution elle-même.
Dans une confusion inévitable, en s’attaquant à des aspects parcellaires, sans pouvoir toujours saisir le fond même des problèmes au milieu des tourbillons d’une révolution dont les traits de dégénérescence se développaient à tous ses débuts, surgirent les premières réactions théoriques. Les critiques de Rosa Luxembourg dès 1918 dans sa brochure sur la Révolution Russe contre l’identification de la dictature du prolétariat avec celle du parti, tout comme sa critique de toute limitation par l’État de la vie politique de la classe ouvrière portaient en elles des bases de la critique de l’identification du prolétariat avec l’État de la période de transition. Rosa Luxembourg, malgré le fait de considérer toujours l’État de transition comme un “État prolétarien” malgré la subsistance de l’idée de “la conquête du pouvoir par le parti socialiste” dégage ce qui constitue le seul moyen réel d’atténuer les fâcheux effets du fléau dont parlait Engels:
En Russie et au sein même du parti bolchevik, le développement de la bureaucratisation de l’État et donc de l’antagonisme entre prolétariat et pouvoir étatique provoqua dès les premières années la naissance de réactions telles celles du groupe d’Ossinsky ou plus tard “du groupe ouvrier” de Miasnikov qui, en mettant en question la bureaucratie soulevait déjà, même de façon confuse, le problème de la nature entre classe et État de la période de transition.
Mais c’est probablement dans la polémique qui opposa Lénine et Trotsky au Xème congrès du Parti sur la question des syndicats, que la question sur la nature de L’État fut posée de la façon la plus aiguë. En effet, contre Trotsky qui défendait l’idée d’une plus grande intégration des syndicats ouvriers dans l’appareil d’État afin de mieux affronter les difficultés économiques, Lénine opposa la nécessité de sauvegarder l’autonomie de ces organisations de classe afin que les ouvriers puissent se défendre “des abus néfastes de la bureaucratie étatique”, Lénine en arriva jusqu’à affirmer que l’État n’était pas “ouvrier, mais ouvrier et paysan avec de nombreuses déformations bureaucratiques”. Même s’il est certain que ces débats étaient menés au milieu d’une confusion généralisée (pour Lénine, les divergences avec Trotsky ne portaient pas sur des questions de principe mais résultaient de considérations contingentes), ils n’en étaient pas moins d’authentiques expressions de la recherche dans le prolétariat de réponses au problème des rapports entre sa dictature et l’État.
Les Gauches hollandaise et allemande après avoir réagi dans le prolongement de Rosa Luxembourg au développement de la bureaucratie d’État contre le prolétariat en Russie et ayant eu à affronter les problèmes de la dégénérescence de la politique internationale de l’IC, furent aussi amenées à développer la critique de ce qu’elles appelèrent : le socialisme d’État. Cependant le travail d’Appel fait en collaboration avec la gauche hollandaise sur les Principes de Base de la Distribution Communiste aborda surtout la question de la période de transition d’un point de vue économique, les développements sur l’aspect politique demeurant essentiellement une réaffirmation des idées fondamentales de R. Luxembourg.
C’est surtout avec les travaux de la Gauche italienne en Belgique et en particulier les articles de Mitcheli publiés à partir du numéro 28 de mars-avril 1936 de la revue que les bases théoriques pour une compréhension plus profonde du problème ont été posées : tout en restant sur la base théorique “léniniste” de la quasi identité entre parti et classe, Bilan fut le premier à affirmer nettement le caractère néfaste de toute identification de la dictature du prolétariat avec l’État de la période de transition et à souligner parallèlement l’importance de l’autonomie de classe et de son parti par rap port à cet État :
L’analyse de Bilan porte encore des hésitations et des faiblesses, en particulier en ce qui concerne l’analyse de la nature de classe de 1’État de la période de transition, considéré comme “État prolétarien”.
Ces hésitations et ces insuffisances normales seront dépassées par les analyses d’Internationalisme en 1945 (voir article La nature de l’État et la révolution prolétarienne republié dans le n°1 du bulletin d’études et de discussions de RI, janvier 1973). Internationalisme affirme déjà de façon nette en se fondant sur des critères d’analyse objective de la nature économique et politique de la période de transition, la nature non prolétarienne et anti-socialiste de l’État de la période de transition :
Internationalisme dégage de l’expérience de la révolution russe la nécessité vitale pour le prolétariat de savoir exercer un contrôle strict et permanent sur cet appareil d’État toujours prêt à devenir au moindre recul la force principale de la contre-révolution :
Encore imprégné de certaines des conceptions de la gauche italienne dont il est issu, notamment en ce qui concerne la question du parti et des syndicats, mais se plaçant déjà dans la vision claire de la classe ouvrière comme véritable sujet de la révolution, Internationalisme affirme enfin la nécessité de la plus totale liberté politique de la classe et de ses organes unitaires (qu’il considère encore comme pouvant être les syndicats) par rapport à l’État, soulignant la condamnation de toute violence de ce dernier sur les premiers. II est le premier aussi à établir une véritable cohérence entre les problèmes politiques et les problèmes économiques qui se posent pendant cette période :
Il revient à Internationalisme d’avoir su définir le cadre théorique général dans lequel la question des rapports entre la dictature du prolétariat et l’État dans la période de transition pouvait enfin être posée sur des bases solides et cohérentes.
C’est en s’inscrivant entièrement dans ce processus que la résolution présentée au congrès de R.I. se conçoit comme une tentative de réappropriation des principaux acquis du mouvement ouvrier sur cette question et un effort pour continuer l’oeuvre permanente d’approfondissement des bases programmatiques de la lutte révolutionnaire du prolétariat.
C’est dire à quel point cette résolution n’a rien a voir avec une quelconque “trouvaille du CCI”. Mais c’est dire aussi le poids de la responsabilité historique que fait peser sur les épaules de l’organisation révolutionnaire le fait d’assumer cet héritage.
[1] [9] Les “bases programmatiques” d’une organisation révolutionnaire sont constituées par l’ensemble des positions principales et des analyses qui définissent le cadre général de son action. Les positions “frontières de classe” en font partie et en représentent inévitablement le squelette de base. Mais l’action d’une organisation révolutionnaire ne peut être définie par les seules frontières de classe. La nécessité de la plus grande cohérence de son intervention la contraint à chercher la plus grande cohérence dans ses conceptions et donc à définir le plus profondément possible le cadre général qui relie entre elles les différentes positions de classe en les plaçant dans une vision cohérente et globale des buts et des moyens de la lutte révolutionnaire du prolétariat.
[2] [10] Ces deux éléments expliquent en partie la confusion, parfois extrême, qui caractérise les soubresauts prolétariens contre la contre-révolution étatique (Kronstadt).
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[10] https://fr.internationalism.org/Brochure/pdt-textes6#_ftnref2