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Révolution Internationale n° 419 - février 2011

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Derrière les révoltes en Égypte et dans les états arabes,
le spectre du développement des combats de classe

à l’heure où nous mettons sous presse, la situation sociale en Égypte se révèle explosive. Des millions de personnes sont dans la rue, bravant les couvre-feux, le régime étatique et la répression sanglante. Au même moment, en Tunisie, le mouvement social perdure ; la fuite de Ben Ali, les remaniements gouvernementaux et les promesses d’élections prochaines ne suffisent pas à calmer la profonde colère de la population. En Jordanie, là aussi, des milliers de manifestants expriment leur ras-le-bol face à la pauvreté croissante alors que la contestation en Algérie a été purement et simplement étouffée.

Les médias et les politiciens de tous bords ne cessent de parler de la “révolte des pays du Maghreb et des États arabes”, focalisant ainsi l’attention sur les spécificités régionales, sur les mœurs “trop peu démocratiques” des dirigeants nationaux, sur l’exaspération des populations de voir depuis 30 ans les mêmes têtes au pouvoir…

Tout ceci est vrai ! Oui, les Ben Ali, Moubarak, Rifai et autres Bouteflika sont des gangsters, véritables caricatures de la dictature de la bourgeoisie. Mais avant tout, ces mouvements sociaux appartiennent aux exploités de tous les pays. Ces explosions de colère qui font aujourd’hui tâche d’huile ont pour toile de fond l’accélération de la crise économique mondiale qui, depuis 2007, est en train de plonger toute l’humanité dans la plus effroyable des misères. (1)

Après la Tunisie, l'Égypte ! La contagion de révoltes dans les États arabes, en particulier en Afrique du Nord comme celle qu’a connue la Tunisie que toutes les bourgeoisies redoutaient a déjà commencé. Là encore, des populations plongées dans la misère et le désespoir sous les coups de boutoir de la crise de l’économie mondiale sont livrées à l’horreur d’une répression sanguinaire. Face à la colère des exploités, les gouvernants et les dirigeants révèlent ce qu’ils sont tous : une classe d’affameurs et d’assassins. La seule réponse qu’ils puissent apporter, c’est le règne de la terreur et des balles dans la peau. Il ne s’agit pas là des seuls “dictateurs” désignés, les Moubarak, les Ben Ali, les Bouteflika, les Saleh au Yémen et consorts. Nos propres dirigeants “démocrates”, de gauche comme de droite, n’ont cessé de s’en faire des “amis”, des “alliés fidèles” et des complices, unis avec eux dans la même défense de l’ordre et de l’exploitation capitaliste. En feignant d’ignorer que la stabilité tant vantée de ces pays ou le prétendu rempart qu’ils représentaient contre l’islamisme radical n’était dus qu’au maintien depuis des décennies d’un régime cadenassé par la terreur policière, en détournant les regards de leurs tortures, de leur corruption, de leurs exactions, du climat de terreur et de peur qu’ils faisaient régner sur les populations. Ils les ont toujours pleinement soutenus dans le maintien de cette chape de plomb au nom de la stabilité, de l’amitié et de la paix entre les peuples, au nom de la non-ingérence, ne défendant ainsi rien d’autre que leurs sordides intérêts impérialistes nationaux.

La révolte sociale en Égypte..

Aujourd’hui, en Égypte, ce sont à nouveau des dizaines voire des centaines de morts, des milliers de blessés, des dizaines de milliers d’arrestations dans un climat survolté. Avec la chute de Ben Ali en Tunisie qui a servi de détonateur, le verrou a sauté. Cela a suscité un immense espoir dans la population de la plupart des États arabes où sévit la même terreur, seul moyen de museler la classe ouvrière et les couches exploitées. On a aussi assisté à maintes manifestations de désespoir avec une vague de tentatives d’immolation en Algérie, au Maroc, en Mauritanie, au Sahara occidental, en Arabie saoudite et jusqu’au Soudan qui a touché aussi bien des jeunes chômeurs que des ouvriers qui ne parviennent plus à subvenir aux besoins de leur famille. En Égypte, ce sont les mêmes revendications qu’en Tunisie qui sont scandées : “Du pain ! De la liberté ! De la dignité ! Plus d’humanité !”, face aux mêmes fléaux qui sévissent ailleurs dans le monde provoquée par la crise économique mondiale dans laquelle nous plonge partout le capitalisme : le chômage (qui touche en fait plus de 20  % de la population égyptienne), la précarité (4 Égyptiens sur 10 vivent en dessous du seuil de pauvreté et les fameux “chiffonniers du Caire” sont connus dans le monde entier à travers les reportages), les hausses de produits de première nécessité et la misère croissante. Le slogan “Moubarak, dégage !” est directement repris sur le modèle de la population tunisienne réclamant le départ de Ben Ali à l’encontre de celui qui dirige le pays d’une poigne de fer depuis trente ans. Des manifestants proclamaient au Caire : “Ce n’est pas notre gouvernement, ce sont nos ennemis”. Un journaliste égyptien déclare à un correspondant du Figaro : “Aucun mouvement politique ne peut revendiquer ces manifestations. C’est la rue qui s’exprime. Les gens n’ont rien à perdre. Ça ne peut plus durer.” Une phrase revient sur toutes les lèvres : “Aujourd’hui, on n’a plus peur”.

En avril 2008, les salariés d’une usine textile de Mahallah el-Koubra au nord du Caire s’étaient mis en grève pour réclamer de meilleurs salaires et conditions de travail. Pour appuyer les ouvriers et appeler à une grève générale le 6 avril, un groupe de jeunes s’était déjà organisé sur Facebook et Twitter. Des centaines de manifestants avaient été arrêtés. Cette fois, et contrairement à la Tunisie, le gouvernement égyptien a brouillé d’avance ces accès à Internet.

Le mardi 25 janvier, décrété “journée nationale de la police”, des dizaines de milliers de protestataires sont descendus dans les rues du Caire, d’Alexandrie, de Tanta, de Suez où ils se sont heurtés aux forces de l’ordre. Quatre jours d’affrontements quotidiens se succèdent où la violence de la répression n’a cessé d’alimenter la colère : pendant ces journées et ces nuits, la police anti-émeutes utilise à tour de bras gaz lacrymogène, tirs à balle en caoutchouc ou à balles réelles L’explosion de colère couvait depuis des semaines. La répression est toujours là : affrontements au Caire, à Suez, Alexandrie, dans le Sinaï. Déjà une dizaine de morts, une centaine de blessés, des milliers d’arrestations dans les premiers jours. L’armée forte de 500 000 hommes , suréquipée et très entraînée tient un rôle central de puissant soutien au régime, contrairement à la Tunisie. Le pouvoir bénéficie aussi d’hommes de main munis de bâtons et spécialisés comme casseurs de manifestations, les baltageyas ainsi que de nombreux flics en civil de la Sûreté d'État mêlés aux manifestants armés de chaînes métalliques, les flics contrôlent les rassemblements en groupe et quadrillent les sorties de métro dans la capitale. Le 28, jour de congé, vers midi, à l’heure de la sortie des mosquées, malgré l’interdiction de se rassembler, les manifestants affluent de toutes parts et s’affrontent avec la police dans plusieurs quartiers de la capitale. Ce sera la “jour de colère”. Dès la veille, le gouvernement a brouillé les sites internet comme les téléphones portables et coupé toutes les communications téléphoniques. Le pays s’embrase ; dans la soirée, les manifestants de plus en plus nombreux, bravent le couvre-feu décrété au Caire, à Alexandrie, à Suez. Des camions de police utilisant des canons à eau foncent sur la foule, surtout composée de jeunes. Au Caire, les chars et les troupes sont d’abord accueillis en héros libérateurs par les manifestants, et on assiste à quelques tentatives de fraternisations avec l’armée, largement médiatisées qui, ça et là, aboutissent à empêcher un convoi de blindés de rallier le gros des forces de l’ordre. De même quelques policiers jettent même leurs brassards et rejoignent le camp des manifestants. Mais très vite, à d’autres endroits au contraire, les blindés militaires ont ouvert le feu sur les manifestants venus à leur rencontre ou les fauchent. Le chef d’état-major égyptien, Sami Anan, qui conduisait une délégation militaire aux États-Unis pour des entretiens au Pentagone, est rentré précipitamment en Égypte vendredi. Des voitures de police, des commissariats, ainsi que le siège du parti gouvernemental sont incendiés, le ministère de l’information est mis à sac. Les blessés s’entassent dans les hôpitaux surchargés. A Alexandrie, le gouvernorat est aussi incendié. A Mansoura aussi, dans le delta du Nil, des affrontements violents ont eu lieu, faisant plusieurs morts. Quelques assiégeants tentent de s’emparer du siège de la télévision d'État, d’où ils sont repoussés par l’armée.

Vers 23 heures 20, Moubarak apparaît devant les écrans de télévision et prend la parole pour annoncer le remaniement de son équipe gouvernementale le lendemain et promet d’entreprendre des réformes politiques ainsi que de nouvelles mesures pour la démocratie tout en assurant de sa fermeté “pour assurer la sécurité et la stabilité de l'Égypte” contre les “entreprises de déstabilisation”. Ces propos n’ont fait qu’attiser la colère et renforcer la détermination des manifestants.

... fait irruption face aux enjeux impérialistes...

Mais si la Tunisie est un modèle pour les manifestants, les enjeux de la situation ne sont plus les mêmes pour la bourgeoisie. La Tunisie reste un pays de taille modeste qui pouvait revêtir un intérêt impérialiste important pour un pays “ami” de second ordre tel que la France2. Il en est tout autrement de l'Égypte qui est de loin l'État le plus peuplé (plus de 80 millions d’habitants) de la région et qui occupe surtout une place stratégique centrale et fondamentale au Proche- et au Moyen-Orient, en particulier pour la bourgeoisie américaine. L’enjeu est ici majeur. La chute du régime Moubarak pourrait provoquer un chaos régional lourd de conséquences. L'Égypte de Moubarak est le principal allié des États-Unis dans le conflit du Moyen-Orient, afin d’assurer la protection de l'État israélien, jouant un rôle clé et prépondérant dans les relations israélo-palestiniennes et même inter-palestiniennes entre le Fatah de Mahmoud Abbas et les islamistes du Hamas. Cet État était jusqu’ici considéré comme un facteur de stabilité au Proche-Orient. De même, l’évolution politique du Soudan qui se dirige vers une sécession du Sud du pays rend nécessaire un pouvoir égyptien fort. C’est donc une pièce maîtresse la stratégie américaine dans le conflit israélo-arabe depuis 40 ans dont la déstabilisation risquerait de faire basculer de nombreux pays voisins, en particulier la Jordanie, la Libye, le Yémen et la Syrie. Cela explique l’inquiétude des États-Unis qui, du fait de ses liens très étroits avec le régime, se retrouve dans une situation inconfortable ; Obama et la diplomatie américaine sont ainsi contraints de se mobiliser et de monter en première ligne pour multiplier les pressions directes sur Moubarak afin de tenter de préserver la stabilité du pays et d’abord de sauver le régime. C’est pourquoi Obama a déclaré publiquement qu’il s’est entretenu une demie-heure avec Moubarak, après l’allocution de ce dernier pour que celui-ci lâche davantage de lest. Auparavant, Hillary Clinton a ainsi déclaré que le “les forces de l’ordre devaient être incitées à plus de retenue” et que le gouvernement devait très rapidement remettre en service les réseaux de communication. Le lendemain, c’est probablement sous la pression américaine qu’un général, Omar Souleimane, chef du puissant service des Renseignements militaires, de surcroît chargé des dossiers de négociation avec Israël au Moyen-Orient, a été imposé comme vice-président. C’est d’ailleurs l’armée qui a profité de sa popularité auprès des manifestants pour être restée en retrait et avoir à maints endroits pactisé avec les manifestants pour pousser avec succès une grande partie de la foule amassée au centre-ville et qui bravait une nouvelle fois le couvre-feu à rentrer “à la maison” pour “se protéger des pillards”

... comme dans d’autres États arabes...

D’autres manifestations de révolte ont eu lieu en même temps aussi en Algérie, au Yémen, en Jordanie. Dans ce dernier pays, 4 000 manifestants se sont rassemblés à Amman pour la troisième fois en 3 semaines pour protester contre la vie chère et réclamer des réformes économiques et politiques, notamment le départ du premier ministre. Les autorités ont fait quelques gestes avec de petites mesures économiques et quelques consultations politiques. Mais les manifestations se sont étendues aux villes d’Irbid et de Kerak. La répression en Algérie a déjà fait 5 morts et plus de 800 blessés et au centre d’Alger, une manifestation a été durement réprimée le 22 janvier. En Tunisie aussi, la chute de Ben Ali n’a freiné ni la colère ni l’ampleur de la répression : dans les prisons, les exécutions sommaires depuis le départ de Ben Ali auraient fait plus de morts que les affrontements avec la police auparavant. La “caravane de la libération”, venue du centre ouest du pays d’où était parti le mouvement, a bravé le couvre-feu et campé plusieurs jours devant le siège du palais abritant un gouvernement dominé par d’anciens caciques et des séides du régime pour réclamer sa démission. La colère perdure car ce sont les mêmes hommes que du temps de Ben Ali qui tiennent les rênes du pays. Le remaniement gouvernemental, plusieurs fois repoussé, a eu lieu le 27 janvier, écartant les ministres les plus compromis avec l’ancien régime mais conservant toujours le même premier ministre, n’ a pas réussi à calmer les esprits. La répression féroce de la police continue et la situation reste confuse.

Ces explosions de révolte massives et spontanées révèlent le ras-le-bol des populations qui sont aujourd’hui déterminées à en finir avec la misère et la répression de ces régimes. Mais elles révèlent aussi le poids des illusions démocratiques et du poison nationaliste : dans les diverses manifestations, les drapeaux nationaux restaient fièrement brandis. En Égypte, comme en Tunisie, la colère des exploités a été immédiatement dévoyée sur le terrain du combat pour plus de démocratie. La haine de la population pour le régime et la focalisation sur Moubarak (comme en Tunisie pour Ben Ali) a permis quelques revendications économiques contre la misère et le chômage soient reléguées en arrière plan par tous les médias bourgeois. Cela permet évidemment à la bourgeoisie ds pays “démocratiques” de faire croire à la la classe ouvrière, notamment celle des pays centraux, que ces “soulèvements populaires” n’ont pas les mêmes causes fondamentales que les luttes ouvrières qui se déroulent ici : la faillite du capitalisme mondial..

Vers le développement des combats de classe

Cette irruption de plus en plus forte d’une très grande colère sociale engendrées par l’aggravation de la crise mondiale du capitalisme dans des États de la périphérie qui étaient jusqu’à présent le foyer permanent et exclusif de tensions impérialistes et de menées guerrières constitue un facteur politique nouveau avec lequel la bourgeoisie mondiale devra désormais de plus en plus compter. L’émergence de ces révoltes contre la corruption des dirigeants qui s’en mettent plein les poches alors que la grande majorité de la population crève de faim, ne peut apporter de solutions en elles-même dans ces pays. Mais ces mouvements sont le signe avant-coureur d’une maturation des futures luttes sociales qui ne vont pas manquer de surgir dans les pays les plus industrialisés face aux mêmes maux : la baisse du niveau de vie, la misère croissante, le chômage des jeunes.

C’est d’ailleurs la même révolte contre un système mondial en faillite qui couve chez les jeunes en Europe, comme on l’a vu avec les luttes des étudiants en particulier en France, en Grande-Bretagne, en Italie. Dernier exemple en date : aux Pays-Bas, le 22 janvier, 20 000 étudiants et enseignants se rassemblent dans la rue à La Haye devant le siège du parlement et le ministère de l’enseignement. Ils protestent contre la forte hausse des droits d’inscription à l’université visant en premier lieu les “redoublants” (ce qui est souvent le cas de beaucoup d’étudiants-salariés obligés de travailler pour payer leurs études) qui auront à payer 3000 euros supplémentaires par an, tandis que les prochaines coupes budgétaires prévoient la suppression de 7000 postes dans le secteur. C’est l’une des plus importantes manifestations d’étudiants depuis 20 ans dans le pays. Ils sont alors violemment et brutalement chargés par la police.

Ces mouvements sociaux sont le symptôme d’ une avancée importante dans le développement international de la lutte de classe dans tous les pays, même si la classe ouvrière n’apparaît pas en tant que telle, comme force autonome, dans les pays arabes et reste noyée dans un mouvement de protestation populaire.

Partout dans le monde, le fossé se creuse entre d’un côté une classe dominante, la bourgeoisie, qui étale avec une morgue et une arrogance de plus en plus indécente ses richesses, et de l’autre la masse des exploités qui plongent de plus en plus dans la misère et le dénuement. Ce fossé tend à rapprocher et unir dans un même combat contre le capitalisme les prolétaires de tous les pays quand la bourgeoisie ne peut plus répondre à l’indignation de ceux qu’elle exploite que par de nouvelles mesures d’austérité, par des coups de matraque et par des balles.

Les révoltes et les luttes sociales vont inévitablement prendre des formes différentes dans les années à venir et selon les régions du monde. Les forces et les faiblesses des mouvements sociaux ne seront pas partout identiques. Ici, la colère, la combativité et le courage seront exemplaires. Là, les méthodes et la massivité des luttes permettront d’ouvrir d’autres perspectives et d’établir un rapport de force en faveur de la classe ouvrière, seule force de la société capable d’offrir une perspective d’ avenir à l’humanité. En particulier, la concentration et l’expérience du prolétariat mobilisé dans ses combats dans les pays situés au cœur du capitalisme seront déterminantes. Sans la mobilisation massive des prolétaires des pays centraux, les révoltes sociales à la périphérie du capitalisme sont condamnées in fine à l’impuissance et ne pourront se dégager du joug de telle ou telle fraction de la classe dominante. Seule la lutte internationale de la classe ouvrière, sa solidarité, son unité, son organisation et sa conscience des enjeux de ses combats pourront entraîner dans son sillage toutes les couches de la société, afin de mettre à bas ce capitalisme agonisant et construire un autre monde !

W. (29 janvier)

 

1) Nous devons être ici prudents face à l’ampleur du black-out international de la situation algérienne. Il semble par exemple avoir encore des foyers de lutte en Kabylie.

2) La France qui après avoir soutenu Ben Ali avait fait son mea culpa pour avoir sous-estimé la situation et cautionné un autocrate se couvre quant à elle une nouvelle fois de ridicule en ménageant à son tour Moubarak et en se gardant bien de l’appeler à partir.

Marx et l'épanouissement de l'homme dans le communisme

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Dans Les Manuscrits économiques et philosophiques, après avoir exa­miné les diverses facettes de l’aliénation humaine, Marx s’est attaché à critiquer les conceptions du communisme, ru­dimentaires et inadéquates, qui prédominaient dans le mouvement prolétarien de son époque. Marx a rejeté les conceptions héritées de Babeuf que les adeptes de Blanqui ont continué à défendre, car elles ten­daient à présenter le communisme comme un nivellement général par le bas, une négation de la culture dans laquelle “la condition de tra­vailleur n’est pas abolie, elle est étendue à tous les hommes.” Dans cette conception, tout le monde devait devenir travailleur salarié sous la domination d’un capital collectif, de la “communauté en tant que capitaliste universel”. En rejetant ces conceptions, Marx an­ticipait déjà sur les arguments que les révolutionnaires venus après ont dû développer pour démontrer la nature capitaliste des régimes soi-disant “communistes” de l’ex-bloc de l’Est.

Marx avait à cœur de montrer, à l’encontre de ces définitions res­trictives et déformées, que le com­munisme ne signifiait pas la réduc­tion générale des hommes à un philistinisme inculte, mais l’élévation de l’humanité à ses plus hautes capacités créatrices.

Le communisme vulgaire avait compris assez correctement que les réalisations culturelles des sociétés antérieures étaient basées sur l’exploitation de l’homme par l’homme. Mais ce faisant, il les re­jetait de façon erronée alors que le communisme de Marx, au contraire, cherchait à s’approprier et à rendre vraiment fructueux tous les efforts culturels et, si l’on peut utiliser ce terme, spirituels anté­rieurs de l’humanité en les libérant des distorsions dont la société de classe les avait inévitablement marqués. En faisant de ces réalisa­tions le bien commun de toute l’humanité, le communisme les fu­sionnerait en une synthèse supé­rieure et plus universelle. C’était une vision profondément dialec­tique qui, même avant que Marx ait exprimé une claire compréhen­sion des formes communautaires de société ayant précédé la forma­tion des divisions de classe, recon­naissait que l’évolution historique, en particulier dans sa phase finale capitaliste, avait spolié l’homme et l’avait privé de ses rapports sociaux “naturels” originels. Mais le but de Marx n’était pas un simple re­tour à une simplicité primitive perdue mais l’instauration consciente de l’être social de l’homme, une accession à un niveau supérieur qui intègre toutes les avancées contenues dans le mouvement de l’histoire.

La production communiste en tant que réalisation de la nature sociale de l’homme

La critique par Marx du travail aliéné présentait plusieurs aspects :

• le travail aliéné séparait le producteur de son propre produit : ce que l’homme créait de ses propres mains devenait une force hostile écrasant son créateur ; il séparait le producteur de l’acte de production : le travail aliéné était une forme de torture, une activité totalement extérieure au travailleur. Et comme la caractéristique humaine la plus fondamentale, l’“être générique de l’homme” comme dit Marx, était la production créatrice consciente, transformer celle-ci en source de tourment, c’était sé­parer l’homme de son véritable être générique ;

• il séparait l’homme de l’homme : il y avait une profonde séparation non seulement entre l’exploiteur et l’exploité, mais aussi entre les exploités eux-mêmes, atomisés en des individus rivaux par les lois de la concurrence capitaliste.

Dans ses premières définitions du communisme, Marx traitait ces aspects de l’aliénation sous différents angles, mais toujours avec la même préoccupation de montrer que le communisme fournissait une solution concrète et positive à ces maux. Dans la conclusion des Extraits des éléments d’économie po­litique de James Mill, commentaire qu’il a écrit à la même époque que les Manuscrits, Marx explique pourquoi le remplacement du tra­vail salarié capitaliste (qui ne produit que pour le profit) par le tra­vail associé produisant pour les be­soins humains, constitue la base du dépassement des aliénations énumérées plus haut.

En opposition à cela, Marx nous demande de supposer “que nous produisions comme des êtres humains : chacun de nous s’affirmerait doublement dans sa production, soi-même et l’autre. 1° Dans ma production, je réaliserais mon identité, ma particularité ; j’éprouverais, en travaillant, la jouissance d’une manifestation individuelle de ma vie, et, dans la contemplation de l’objet, j’aurais la joie individuelle de reconnaître ma personnalité comme une puissance réelle, concrètement saisissable et échappant à tout doute. 2° Dans ta jouissance ou ton emploi de mon produit, j’aurais la joie spirituelle immédiate de satisfaire par mon travail un besoin humain, de réaliser la nature humaine et de fournir au besoin d’un autre l’objet de sa nécessité. 3° J’aurais conscience de servir de médiateur entre toi et le genre humain, d’être reconnu et ressenti par toi comme un complément à ton propre être et comme une partie nécessaire de toi-même ; d’être accepté dans ton esprit comme dans ton amour. 4° J’aurais, dans mes manifestations individuelles, la joie de créer la manifestation de ta vie, c’est-à-dire de réaliser et d’affirmer dans mon activité individuelle ma vraie nature, ma sociabilité humaine. Nos productions seraient autant de miroirs où nos êtres rayonneraient l’un vers l’autre. (...) Mon travail serait une manifestation libre de la vie, une jouissance de la vie.”.

Ainsi, pour Marx, les être humains ne produiraient de façon humaine que lorsque chaque individu serait capable de se réaliser pleinement dans son travail : accomplissement qui vient de la jouissance active de l’acte productif ; de la production d’objets qui non seulement aient une utilité réelle pour d’autres êtres humains mais qui méritent également d’être contemplés en eux-mêmes, parce qu’ils ont été produits, pour utiliser une expression des Manuscrits, “selon les lois de la beauté” ; du travail en commun avec d’autres êtres humains, et dans un but commun.

Pour Marx, la production pour les besoins n’a jamais constitué un simple mini­mum, une satisfaction purement quantitative des besoins élémen­taires de se nourrir, de se loger, etc. La production pour les besoins était également le reflet de la né­cessité pour l’homme de produire –  pour l’acte de production en tant qu’activité sensuelle et agréable, en tant que célébration de l’essence communautaire du genre humain. C’est une position que Marx n’a jamais modifiée. Comme l’écrit, par exemple, le Marx “mûr” dans la Critique du Programme de Gotha (1874), quand il parle d’une «phase supérieure de la société commu­niste, quand auront disparu l’asservissante subordination des individus à la division du travail, et, avec elle, l’antagonisme entre le travail intellectuel et le travail ma­nuel, quand le travail sera devenu non seulement un moyen de vivre, mais même le premier besoin de l’existence ; quand avec le dévelop­pement en tous sens des individus, les forces productives iront s’accroissant, et que toutes les sources de la richesse collective jail­liront avec abondance...”

Dans la société future, la principale moti­vation pour travailler sera que tra­vailler devient “le premier besoin de l’existence”, la jouissance de la vie - cœur de l’activité humaine et accomplissement des désirs les plus essentiels de l’homme.

Dépasser la division du travail

Dans le premier volume du Capital, Marx passe des pages et des pages à fulminer contre la façon dont le travail à l’usine réduit l’ouvrier à un simple fragment de lui-même ; contre la façon dont il transforme les hommes en corps sans tête, dont la spécialisation a réduit le travail à la répétition des actions les plus mé­caniques engourdissant l’esprit. Mais cette polémique contre la division du travail se trouve déjà dans ses premiers travaux, et il est clair dans ce qu’il dit que, pour Marx, il ne peut être question de dépasser l’aliénation implicite dans le sys­tème salarié sans qu’il y ait une profonde transformation de la divi­sion du travail existante. Un passage fameux de l’Idéologie alle­mande traite cette question :

“Enfin, et la division du travail nous en fournit d’emblée le premier exemple, aussi longtemps que les hommes se trouvent dans la société primitive, donc aussi longtemps que subsiste la division entre intérêt particulier et intérêt général, et que l’activité n’est pas divisée volontai­rement mais naturellement, le propre acte de l’homme se dresse devant lui comme une puissance étrangère qui l’asservit, au lieu que ce soit lui qui la maîtrise. En effet, du moment où le travail commence à être réparti, chacun entre dans un cercle d’activités déterminé et exclu­sif, qui lui est imposé et dont il ne peut s’évader ; il est chasseur, pê­cheur, berger ou “critique”, et il doit le rester sous peine de perdre les moyens qui lui permettent de vivre. Dans la société communiste, c’est le contraire : personne n’est enfermé dans un cercle exclusif d’activités et chacun peut se former dans n’importe quelle branche de son choix ; c’est la so­ciété qui règle la production géné­rale et qui me permet ainsi de faire aujourd’hui telle chose, demain telle autre, de chasser le matin, de pêcher l’après-midi, de m’occuper d’élevage le soir et de m’adonner à la critique après le repas, selon que j’en ai envie, sans jamais devenir chasseur, pêcheur, berger ou critique.”

Cette merveilleuse image de la vie quotidienne dans une société communiste pleinement dévelop­pée utilise évidemment une cer­taine licence poétique, mais elle traite le point essentiel : étant donné le développement des forces productives que le capitalisme a apporté, il n’y a absolument pas besoin que les êtres humains passent la plus grande partie de leur vie dans la prison d’un genre unique d’activité - par-dessus tout dans le genre d’activité qui ne permet l’expression que d’une minuscule part des capacités réelles de l’individu. De la même façon, nous parlons de l’abolition de l’ancienne division entre la petite minorité d’individus qui ont le privilège de vivre d’un travail réellement créatif et gratifiant, et la vaste majorité condamnée à l’expérience du tra­vail comme aliénation de la vie :

“Le fait que le talent artistique soit concentré exclusivement dans quelques individus, et qu’il soit, pour cette raison, étouffé dans la grande masse des gens, est une conséquence de la division du tra­vail. (...) dans une organisation communiste de la société, l’assujettissement de l’artiste à l’esprit borné du lieu et de la nation aura disparu. Cette étroitesse d’esprit est un pur résultat de la division du travail. Disparaîtra également l’assujettissement de l’individu à tel art déterminé qui le réduit au rôle exclusif de peintre, de sculpteur, etc., de sorte que, à elle seule, l’appellation reflète parfaitement l’étroitesse de son développement professionnel et sa dépendance de la division du travail. Dans une société communiste, il n’y a pas de peintres, mais tout au plus des êtres humains qui, entre autres choses, font de la peinture.”.

L’image héroïque de la société bourgeoise dans son aurore nais­sante est celle de 1’ “Homme de la Renaissance” –  d’individus tels que Léonard De Vinci qui a combiné les talents d’artiste, de scientifique et de philosophe. Mais de tels hommes ne sont que des exemples exceptionnels, des génies extraor­dinaires, dans une société où l’art et la science s’appuyaient sur le labeur éreintant de l’immense majo­rité. La vision du communisme de Marx est celle d’une société com­posée tout entière d’“Hommes de la Renaissance”.

L’émancipation des sens

Les descriptions par Marx des buts ultimes du communisme sont extrêmement hardies, bien plus que ne le soup­çonnent habituellement les
“réalistes”, car elles ne considè­rent pas seulement les profonds changements qu’implique la transformation communiste (production pour l’usage, abolition de la division du travail, etc.) ; elles fouillent aussi dans les changements subjectifs que le communisme apportera, permettant une transformation spectaculaire de la perception et de l’expérience sensitive mêmes de l’homme.

Là encore, la méthode de Marx est de partir du problème réel, concret posé par le capitalisme et de chercher la solution contenue dans les contradictions présentes de la so­ciété. Dans ce cas, il décrit la fa­çon dont le règne de la propriété privée réduit les capacités de l’homme de jouir véritablement de ses sens. D’abord, cette restriction est une conséquence de la simple pauvreté matérielle qui émousse les sens, réduit toutes les fonctions fondamentales de la vie à leur niveau animal, et empêche les êtres humains de réaliser leur puissance créatrice :

Au contraire, “les sens de l’homme social sont autres que ceux de l’homme non social. C’est seulement grâce à l’épanouissement de la richesse de l’être humain que se forme et se développe la richesse de la sensibilité subjective de l’homme : une oreille musicienne, un oeil pour la beauté des formes, bref des sens capables de jouissance humaine, des sens s’affirmant comme maîtrise propre à l’être hu­main... une fois accomplie (sa ges­tation), la société produit comme sa réalité durable l’homme pourvu de toutes les richesses de son être, l’homme riche, l’homme doué de tous ses sens, l’homme profond.”

Mais ce n’est pas seulement la pri­vation matérielle quantifiable qui restreint le libre jeu des sens. C’est quelque chose de plus profondé­ment incrusté par la société de propriété privée, la société d’aliénation. C’est la “stupidité” induite par cette société qui nous convainc que rien “n’est vraiment vrai” tant qu’on ne le possède pas :

“La propriété privée nous a rendus si sots et si bornés qu’un objet est nôtre uniquement quand nous l’avons, quand il existe pour nous comme capital, ou quand ils est immédiatement possédé, mangé, bu, porté sur notre corps, habité par nous, etc., bref quand il est utilisé par nous. Il est vrai que la propriété privée ne conçoit toutes ces réalisa­tions directes de la possession elle-même que comme des moyens de vivre, et la vie, à laquelle elles ser­vent de moyens, comme la vie de la propriété privée : le travail et le profit du capital. A la place de tous les sens physiques et intellectuels est apparue l’aliénation pure et simple des sens, le sens de l’avoir.”

Et de nouveau, en opposition à cela :

“...l’abolition positive de la pro­priété privée –  c’est-à-dire l’appropriation sensible par l’homme et pour l’homme de la vie et de l’être humains, de l’homme objectif, des oeuvres humaines - ne doit pas être comprise dans le seul sens de la jouissance immédiate, partiale, dans le sens de la posses­sion, de l’avoir. L’homme s’approprie sa nature universelle d’une manière universelle, donc en tant qu’homme total. Chacun de ses rapports humains avec le monde, voir, entendre, sentir, goûter, tou­cher, penser, contempler, vouloir, agir, aimer, bref, tous les actes de son individualité, aussi bien que, sous leur forme directe, ses organes génériques sont, dans leur comportement envers l’objet, l’appropriation de celui-ci (...) L’abolition de la propriété privée est l’émancipation de tous les sens et de toutes les qualités humaines ; mais elle est cette émancipation précisément parce que ces sens et ces qualités deviennent humains, tant sub­jectivement qu’objectivement. L’oeil devient l’oeil humain, tout comme son objet devient un objet social, humain, venant de l’homme et aboutissant à l’homme. Ainsi les sens sont devenus “théoriciens” dans leur action immédiate. Ils se rapportent à l’objet pour l’amour de l’objet et inversement, l’objet se rapporte humainement à lui-même et à l’homme. C’est pourquoi le be­soin et la jouissance perdent leur nature égoïste, tandis que la nature perd sa simple utilité pour devenir utilité humaine.”

Clairement, pour Marx, le rempla­cement du travail aliéné par une forme réellement humaine de pro­duction mènerait à une modifica­tion fondamentale de l’état de conscience de l’homme. La libéra­tion de l’espèce du tribut paraly­sant payé à la lutte contre la pénu­rie, le dépassement de l’association de l’anxiété et du désir imposée par la domination de la propriété pri­vée libèrent les sens de l’homme de leur prison et lui permettent de voir, d’entendre et de sentir d’une nouvelle façon. Il est difficile de discuter de telles formes de conscience parce qu’elles ne sont pas “simplement” rationnelles. Cela ne veut pas dire qu’elles ont régressé à un niveau antérieur au développement de la raison. Cela veut dire qu’elles sont allées au-delà de la pensée rationnelle telle qu’elle a été conçue jusqu’à présent en tant qu’activité séparée et iso­lée, atteignant une condition dans laquelle “non seulement dans le penser, mais avec tous ses sens, l’homme s’affirme dans le monde des objets.”

Une première approche pour com­prendre de telles transformations internes, c’est de se référer à l’état d’inspiration qui existe dans toute grande oeuvre d’art. Dans cet état d’inspiration, le peintre ou le poète, le danseur ou le chanteur entrevoit un monde transfiguré, un monde resplendissant de couleur et de musique, un monde d’une signi­fication élevée qui fait que notre état “normal” de perception appa­raît partiel, limité et même irréel –  ce qui est juste quand on se rap­pelle que la “normalité” est préci­sément la normalité de l’aliénation. L’analogie avec l’artiste n’est pas du tout fortuite. Lorsqu’il écrivait les Manuscrits, l’ami le plus estimé de Marx était le poète Heine et toute sa vie durant, Marx fut pas­sionné par les oeuvres d’Homère, Shakespeare, Balzac et autres grands écrivains. Pour lui, de tels personnages et leur créativité débridée constituaient des modèles durables du véritable potentiel de l’humanité. Comme nous l’avons vu, le but de Marx était une société où de tels niveaux de créativité deviendraient un attribut “normal” de l’homme ; il s’ensuit donc que l’état élevé de perception sensitive décrite dans les Manuscrits devien­drait de plus en plus l’état “normal” de conscience de l’humanité sociale.

Plus tard, l’approche de Marx dé­veloppera plus l’analogie avec l’activité créatrice du scientifique qu’avec celle de l’artiste, tout en conservant l’essentiel : la libéra­tion de la corvée du travail, le dépassement de la séparation entre travail et temps libre, produisent un nouveau sujet humain.

CDW

Questions théoriques: 

  • Communisme [2]

Derrière les révoltes en Egypte et dans les pays arabes, le spectre du développement des combats de classe

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A l’heure où nous mettons sous presse, la situation sociale en Égypte se révèle explosive. Des millions de personnes sont dans la rue, bravant les couvre-feux, le régime étatique et la répression sanglante. Au même moment, en Tunisie, le mouvement social perdure ; la fuite de Ben Ali, les remaniements gouvernementaux et les promesses d’élections prochaines ne suffisent pas à calmer la profonde colère de la population. En Jordanie, là aussi, des milliers de manifestants expriment leur ras-le-bol face à la pauvreté croissante alors que la contestation en Algérie a été purement et simplement étouffée.

Les médias et les politiciens de tous bords ne cessent de parler de la “révolte des pays du Maghreb et des États arabes”, focalisant ainsi l’attention sur les spécificités régionales, sur les mœurs “trop peu démocratiques” des dirigeants nationaux, sur l’exaspération des populations de voir depuis 30 ans les mêmes têtes au pouvoir…

Tout ceci est vrai ! Oui, les Ben Ali, Moubarak, Rifai et autres Bouteflika sont des gangsters, véritables caricatures de la dictature de la bourgeoisie. Mais avant tout, ces mouvements sociaux appartiennent aux exploités de tous les pays. Ces explosions de colère qui font aujourd’hui tâche d’huile ont pour toile de fond l’accélération de la crise économique mondiale qui, depuis 2007, est en train de plonger toute l’humanité dans la plus effroyable des misères. (1)

Après la Tunisie, l'Égypte ! La contagion de révoltes dans les États arabes, en particulier en Afrique du Nord comme celle qu’a connue la Tunisie que toutes les bourgeoisies redoutaient a déjà commencé. Là encore, des populations plongées dans la misère et le désespoir sous les coups de boutoir de la crise de l’économie mondiale sont livrées à l’horreur d’une répression sanguinaire. Face à la colère des exploités, les gouvernants et les dirigeants révèlent ce qu’ils sont tous : une classe d’affameurs et d’assassins. La seule réponse qu’ils puissent apporter, c’est le règne de la terreur et des balles dans la peau. Il ne s’agit pas là des seuls “dictateurs” désignés, les Moubarak, les Ben Ali, les Bouteflika, les Saleh au Yémen et consorts. Nos propres dirigeants “démocrates”, de gauche comme de droite, n’ont cessé de s’en faire des “amis”, des “alliés fidèles” et des complices, unis avec eux dans la même défense de l’ordre et de l’exploitation capitaliste. En feignant d’ignorer que la stabilité tant vantée de ces pays ou le prétendu rempart qu’ils représentaient contre l’islamisme radical n’était dus qu’au maintien depuis des décennies d’un régime cadenassé par la terreur policière, en détournant les regards de leurs tortures, de leur corruption, de leurs exactions, du climat de terreur et de peur qu’ils faisaient régner sur les populations. Ils les ont toujours pleinement soutenus dans le maintien de cette chape de plomb au nom de la stabilité, de l’amitié et de la paix entre les peuples, au nom de la non-ingérence, ne défendant ainsi rien d’autre que leurs sordides intérêts impérialistes nationaux.

La révolte sociale en Égypte..

Aujourd’hui, en Égypte, ce sont à nouveau des dizaines voire des centaines de morts, des milliers de blessés, des dizaines de milliers d’arrestations dans un climat survolté. Avec la chute de Ben Ali en Tunisie qui a servi de détonateur, le verrou a sauté. Cela a suscité un immense espoir dans la population de la plupart des États arabes où sévit la même terreur, seul moyen de museler la classe ouvrière et les couches exploitées. On a aussi assisté à maintes manifestations de désespoir avec une vague de tentatives d’immolation en Algérie, au Maroc, en Mauritanie, au Sahara occidental, en Arabie saoudite et jusqu’au Soudan qui a touché aussi bien des jeunes chômeurs que des ouvriers qui ne parviennent plus à subvenir aux besoins de leur famille. En Égypte, ce sont les mêmes revendications qu’en Tunisie qui sont scandées : “Du pain ! De la liberté ! De la dignité ! Plus d’humanité !”, face aux mêmes fléaux qui sévissent ailleurs dans le monde provoquée par la crise économique mondiale dans laquelle nous plonge partout le capitalisme : le chômage (qui touche en fait plus de 20 % de la population égyptienne), la précarité (4 Égyptiens sur 10 vivent en dessous du seuil de pauvreté et les fameux “chiffonniers du Caire” sont connus dans le monde entier à travers les reportages), les hausses de produits de première nécessité et la misère croissante. Le slogan “Moubarak, dégage !” est directement repris sur le modèle de la population tunisienne réclamant le départ de Ben Ali à l’encontre de celui qui dirige le pays d’une poigne de fer depuis trente ans. Des manifestants proclamaient au Caire : “Ce n’est pas notre gouvernement, ce sont nos ennemis”. Un journaliste égyptien déclare à un correspondant du Figaro : “Aucun mouvement politique ne peut revendiquer ces manifestations. C’est la rue qui s’exprime. Les gens n’ont rien à perdre. Ça ne peut plus durer.” Une phrase revient sur toutes les lèvres : “Aujourd’hui, on n’a plus peur”.

En avril 2008, les salariés d’une usine textile de Mahallah el-Koubra au nord du Caire s’étaient mis en grève pour réclamer de meilleurs salaires et conditions de travail. Pour appuyer les ouvriers et appeler à une grève générale le 6 avril, un groupe de jeunes s’était déjà organisé sur Facebook et Twitter. Des centaines de manifestants avaient été arrêtés. Cette fois, et contrairement à la Tunisie, le gouvernement égyptien a brouillé d’avance ces accès à Internet.

Le mardi 25 janvier, décrété “journée nationale de la police”, des dizaines de milliers de protestataires sont descendus dans les rues du Caire, d’Alexandrie, de Tanta, de Suez où ils se sont heurtés aux forces de l’ordre. Quatre jours d’affrontements quotidiens se succèdent où la violence de la répression n’a cessé d’alimenter la colère : pendant ces journées et ces nuits, la police anti-émeutes utilise à tour de bras gaz lacrymogène, tirs à balle en caoutchouc ou à balles réelles L’explosion de colère couvait depuis des semaines. La répression est toujours là : affrontements au Caire, à Suez, Alexandrie, dans le Sinaï. Déjà une dizaine de morts, une centaine de blessés, des milliers d’arrestations dans les premiers jours. L’armée forte de 500 000 hommes , suréquipée et très entraînée tient un rôle central de puissant soutien au régime, contrairement à la Tunisie. Le pouvoir bénéficie aussi d’hommes de main munis de bâtons et spécialisés comme casseurs de manifestations, les baltageyas ainsi que de nombreux flics en civil de la Sûreté d'État mêlés aux manifestants armés de chaînes métalliques, les flics contrôlent les rassemblements en groupe et quadrillent les sorties de métro dans la capitale. Le 28, jour de congé, vers midi, à l’heure de la sortie des mosquées, malgré l’interdiction de se rassembler, les manifestants affluent de toutes parts et s’affrontent avec la police dans plusieurs quartiers de la capitale. Ce sera le “jour de colère”. Dès la veille, le gouvernement a brouillé les sites internet comme les téléphones portables et coupé toutes les communications téléphoniques. Le pays s’embrase ; dans la soirée, les manifestants de plus en plus nombreux, bravent le couvre-feu décrété au Caire, à Alexandrie, à Suez. Des camions de police utilisant des canons à eau foncent sur la foule, surtout composée de jeunes. Au Caire, les chars et les troupes sont d’abord accueillis en héros libérateurs par les manifestants, et on assiste à quelques tentatives de fraternisations avec l’armée, largement médiatisées qui, ça et là, aboutissent à empêcher un convoi de blindés de rallier le gros des forces de l’ordre. De même quelques policiers jettent même leurs brassards et rejoignent le camp des manifestants. Mais très vite, à d’autres endroits au contraire, les blindés militaires ont ouvert le feu sur les manifestants venus à leur rencontre ou les fauchent. Le chef d’état-major égyptien, Sami Anan, qui conduisait une délégation militaire aux États-Unis pour des entretiens au Pentagone, est rentré précipitamment en Égypte vendredi. Des voitures de police, des commissariats, ainsi que le siège du parti gouvernemental sont incendiés, le ministère de l’information est mis à sac. Les blessés s’entassent dans les hôpitaux surchargés. A Alexandrie, le gouvernorat est aussi incendié. A Mansoura aussi, dans le delta du Nil, des affrontements violents ont eu lieu, faisant plusieurs morts. Quelques assiégeants tentent de s’emparer du siège de la télévision d'État, d’où ils sont repoussés par l’armée.

Vers 23 heures 20, Moubarak apparaît devant les écrans de télévision et prend la parole pour annoncer le remaniement de son équipe gouvernementale le lendemain et promet d’entreprendre des réformes politiques ainsi que de nouvelles mesures pour la démocratie tout en assurant de sa fermeté “pour assurer la sécurité et la stabilité de l'Égypte” contre les “entreprises de déstabilisation”. Ces propos n’ont fait qu’attiser la colère et renforcer la détermination des manifestants.

... fait irruption face aux enjeux impérialistes...

Mais si la Tunisie est un modèle pour les manifestants, les enjeux de la situation ne sont plus les mêmes pour la bourgeoisie. La Tunisie reste un pays de taille modeste qui pouvait revêtir un intérêt impérialiste important pour un pays “ami” de second ordre tel que la France2. Il en est tout autrement de l'Égypte qui est de loin l'État le plus peuplé (plus de 80 millions d’habitants) de la région et qui occupe surtout une place stratégique centrale et fondamentale au Proche et au Moyen-Orient, en particulier pour la bourgeoisie américaine. L’enjeu est ici majeur. La chute du régime Moubarak pourrait provoquer un chaos régional lourd de conséquences. L'Égypte de Moubarak est le principal allié des États-Unis dans le conflit du Moyen-Orient, afin d’assurer la protection de l'État israélien, jouant un rôle clé et prépondérant dans les relations israélo-palestiniennes et même inter-palestiniennes entre le Fatah de Mahmoud Abbas et les islamistes du Hamas. Cet État était jusqu’ici considéré comme un facteur de stabilité au Proche-Orient. De même, l’évolution politique du Soudan qui se dirige vers une sécession du Sud du pays rend nécessaire un pouvoir égyptien fort. C’est donc une pièce maîtresse la stratégie américaine dans le conflit israélo-arabe depuis 40 ans dont la déstabilisation risquerait de faire basculer de nombreux pays voisins, en particulier la Jordanie, la Libye, le Yémen et la Syrie. Cela explique l’inquiétude des États-Unis qui, du fait de ses liens très étroits avec le régime, se retrouve dans une situation inconfortable ; Obama et la diplomatie américaine sont ainsi contraints de se mobiliser et de monter en première ligne pour multiplier les pressions directes sur Moubarak afin de tenter de préserver la stabilité du pays et d’abord de sauver le régime. C’est pourquoi Obama a déclaré publiquement qu’il s’est entretenu une demie-heure avec Moubarak, après l’allocution de ce dernier pour que celui-ci lâche davantage de lest. Auparavant, Hillary Clinton a ainsi déclaré que le “les forces de l’ordre devaient être incitées à plus de retenue” et que le gouvernement devait très rapidement remettre en service les réseaux de communication. Le lendemain, c’est probablement sous la pression américaine qu’un général, Omar Souleimane, chef du puissant service des Renseignements militaires, de surcroît chargé des dossiers de négociation avec Israël au Moyen-Orient, a été imposé comme vice-président. C’est d’ailleurs l’armée qui a profité de sa popularité auprès des manifestants pour être restée en retrait et avoir à maints endroits pactisé avec les manifestants pour pousser avec succès une grande partie de la foule amassée au centre-ville et qui bravait une nouvelle fois le couvre-feu à rentrer “à la maison” pour “se protéger des pillards”

... comme dans d’autres États arabes...

D’autres manifestations de révolte ont eu lieu en même temps aussi en Algérie, au Yémen, en Jordanie. Dans ce dernier pays, 4 000 manifestants se sont rassemblés à Amman pour la troisième fois en 3 semaines pour protester contre la vie chère et réclamer des réformes économiques et politiques, notamment le départ du premier ministre. Les autorités ont fait quelques gestes avec de petites mesures économiques et quelques consultations politiques. Mais les manifestations se sont étendues aux villes d’Irbid et de Kerak. La répression en Algérie a déjà fait 5 morts et plus de 800 blessés et au centre d’Alger, une manifestation a été durement réprimée le 22 janvier. En Tunisie aussi, la chute de Ben Ali n’a freiné ni la colère ni l’ampleur de la répression : dans les prisons, les exécutions sommaires depuis le départ de Ben Ali auraient fait plus de morts que les affrontements avec la police auparavant. La “caravane de la libération”, venue du centre ouest du pays d’où était parti le mouvement, a bravé le couvre-feu et campé plusieurs jours devant le siège du palais abritant un gouvernement dominé par d’anciens caciques et des séides du régime pour réclamer sa démission. La colère perdure car ce sont les mêmes hommes que du temps de Ben Ali qui tiennent les rênes du pays. Le remaniement gouvernemental, plusieurs fois repoussé, a eu lieu le 27 janvier, écartant les ministres les plus compromis avec l’ancien régime mais conservant toujours le même premier ministre, n’ a pas réussi à calmer les esprits. La répression féroce de la police continue et la situation reste confuse.

Ces explosions de révolte massives et spontanées révèlent le ras-le-bol des populations qui sont aujourd’hui déterminées à en finir avec la misère et la répression de ces régimes. Mais elles révèlent aussi le poids des illusions démocratiques et du poison nationaliste : dans les diverses manifestations, les drapeaux nationaux restaient fièrement brandis. En Égypte, comme en Tunisie, la colère des exploités a été immédiatement dévoyée sur le terrain du combat pour plus de démocratie. La haine de la population pour le régime et la focalisation sur Moubarak (comme en Tunisie pour Ben Ali) a permis quelques revendications économiques contre la misère et le chômage soient reléguées en arrière plan par tous les médias bourgeois. Cela permet évidemment à la bourgeoisie des pays “démocratiques” de faire croire à la la classe ouvrière, notamment celle des pays centraux, que ces “soulèvements populaires” n’ont pas les mêmes causes fondamentales que les luttes ouvrières qui se déroulent ici : la faillite du capitalisme mondial..

Vers le développement des combats de classe

Cette irruption de plus en plus forte d’une très grande colère sociale engendrées par l’aggravation de la crise mondiale du capitalisme dans des États de la périphérie qui étaient jusqu’à présent le foyer permanent et exclusif de tensions impérialistes et de menées guerrières constitue un facteur politique nouveau avec lequel la bourgeoisie mondiale devra désormais de plus en plus compter. L’émergence de ces révoltes contre la corruption des dirigeants qui s’en mettent plein les poches alors que la grande majorité de la population crève de faim, ne peut apporter de solutions en elles-même dans ces pays. Mais ces mouvements sont le signe avant-coureur d’une maturation des futures luttes sociales qui ne vont pas manquer de surgir dans les pays les plus industrialisés face aux mêmes maux : la baisse du niveau de vie, la misère croissante, le chômage des jeunes.

C’est d’ailleurs la même révolte contre un système mondial en faillite qui couve chez les jeunes en Europe, comme on l’a vu avec les luttes des étudiants en particulier en France, en Grande-Bretagne, en Italie. Dernier exemple en date : aux Pays-Bas, le 22 janvier, 20 000 étudiants et enseignants se rassemblent dans la rue à La Haye devant le siège du parlement et le ministère de l’enseignement. Ils protestent contre la forte hausse des droits d’inscription à l’université visant en premier lieu les “redoublants” (ce qui est souvent le cas de beaucoup d’étudiants-salariés obligés de travailler pour payer leurs études) qui auront à payer 3000 euros supplémentaires par an, tandis que les prochaines coupes budgétaires prévoient la suppression de 7000 postes dans le secteur. C’est l’une des plus importantes manifestations d’étudiants depuis 20 ans dans le pays. Ils sont alors violemment et brutalement chargés par la police.

Ces mouvements sociaux sont le symptôme d’ une avancée importante dans le développement international de la lutte de classe dans tous les pays, même si la classe ouvrière n’apparaît pas en tant que telle, comme force autonome, dans les pays arabes et reste noyée dans un mouvement de protestation populaire.

Partout dans le monde, le fossé se creuse entre d’un côté une classe dominante, la bourgeoisie, qui étale avec une morgue et une arrogance de plus en plus indécente ses richesses, et de l’autre la masse des exploités qui plongent de plus en plus dans la misère et le dénuement. Ce fossé tend à rapprocher et unir dans un même combat contre le capitalisme les prolétaires de tous les pays quand la bourgeoisie ne peut plus répondre à l’indignation de ceux qu’elle exploite que par de nouvelles mesures d’austérité, par des coups de matraque et par des balles.

Les révoltes et les luttes sociales vont inévitablement prendre des formes différentes dans les années à venir et selon les régions du monde. Les forces et les faiblesses des mouvements sociaux ne seront pas partout identiques. Ici, la colère, la combativité et le courage seront exemplaires. Là, les méthodes et la massivité des luttes permettront d’ouvrir d’autres perspectives et d’établir un rapport de force en faveur de la classe ouvrière, seule force de la société capable d’offrir une perspective d’avenir à l’humanité. En particulier, la concentration et l’expérience du prolétariat mobilisé dans ses combats dans les pays situés au cœur du capitalisme seront déterminantes. Sans la mobilisation massive des prolétaires des pays centraux, les révoltes sociales à la périphérie du capitalisme sont condamnées in fine à l’impuissance et ne pourront se dégager du joug de telle ou telle fraction de la classe dominante. Seule la lutte internationale de la classe ouvrière, sa solidarité, son unité, son organisation et sa conscience des enjeux de ses combats pourront entraîner dans son sillage toutes les couches de la société, afin de mettre à bas ce capitalisme agonisant et construire un autre monde !

W. (29 janvier)

 

1) Nous devons être ici prudents face à l’ampleur du black-out international de la situation algérienne. Il semble par exemple avoir encore des foyers de lutte en Kabylie.

2) La France qui après avoir soutenu Ben Ali avait fait son mea culpa pour avoir sous-estimé la situation et cautionné un autocrate se couvre quant à elle une nouvelle fois de ridicule en ménageant à son tour Moubarak et en se gardant bien de l’appeler à partir.

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [3]

En 2010, l'inflation... des catastrophes

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2010 a été reconnue par la presse bourgeoisie elle-même comme l’année “record” des catastrophes. Pourtant, de tsunamis en ouragans, de pollutions massives en catastrophes écologiques, le siècle dernier et bien plus encore le début du xxie siècle n’ont pas été avares de morts comme de dégradations ahurissantes de l’environnement, aux côtés des massacres en tous genres dus aux “prodiges” des prétendus “faiseurs de paix” de par le monde. La première décennie de ce siècle qu’on nous promettait avec les festivités grandioses qui avaient ouvertes l’an 2000 comme une ère nouvelle, de modernité, de changements, etc., s’achève donc sur ce constat : le nombre invraisemblable de catastrophes, “naturelles” ou non, survenues un peu partout à travers le monde. Tremblements de terre, tempêtes, canicules, inondations… faire la listes de toutes ces catastrophes serait presque impossible. La liste déborde même déjà sur 2011 ! C’est le cas pour l’Australie par exemple, avec les deux vagues de tempêtes successives qui s’étaient abattues sur le pays, les 13 et 22 mars 2010, détruisant de nombreuses habitations et installations électriques. Et voici que depuis début janvier, ce même pays connait les pires inondations depuis 40 ans, qualifiées de “bibliques” par les autorités australiennes. On parle déjà d’une trentaine de morts, avec une surface inondée plus vaste que la France et l’Allemagne réunies. Au Brésil également, l’année commence très fort, avec des pluies torrentielles qui ont fait plus de 250 morts en 2 jours ([1]) !

Ainsi, pour ne rappeler que les grandes lignes des catastrophes 2010 :

– Le 12 janvier 2010 à Haïti, un séisme de magnitude 7.3 fait 230 000 morts, 300 000 blessés et 1,2 million de sans-abris, semant le chaos et la maladie dans un pays déjà en proie à la misère ([2]).

– A partir du 27 février, la tempête Xynthia sévit sur la côte atlantique, en France où elle fait 47 morts et détruit de nombreuses habitations. Elle laissera deux victimes au Portugal et trois en Espagne.

– Au Chili, le même jour, un séisme de magnitude 8.8 tue 521 personnes et détruit près de 500 000 logements.

– En juin, la Russie connaîtra une canicule sans précédent qui fera 15 000 victimes et ravagera de nombreuses forêts et champs de céréales.

– Le 4 septembre, c’est au tour de la Nouvelle Zélande de connaître un séisme d’une magnitude proche de celui d’Haïti (7,1) mais cette fois, les réglementations antisismiques permettent de limiter à deux blessés graves le nombre de victimes.

Tous ces évènements sont particulièrement dramatiques et l’on ne peut qu’en déplorer les terribles conséquences. Aussi, nous exprimons notre solidarité avec les victimes de ces catastrophes meurtrières. Toutefois, si des phénomènes “naturels”, qu’ils soient météorologiques, géologiques ou autre, en sont souvent à l’origine, les conséquences désastreuses qu’ils entraînent n’ont, quant à elles, rien de naturel ou de fatal. Comme nous le montrions dans notre article sur le drame d’Haïti, ce sont toujours les mêmes qui payent le plus cher les conséquences de ces catastrophes : la classe exploitée et ses couches les plus pauvres. On se rappelle encore le cynisme avec lequel l’administration Bush avait tardé à porter secours à la population de la Nouvelle-Orléans après le passage de l’ouragan Katrina en août 2005.

Hélas, le bilan 2010 ne s’arrête pas là. Nous devons encore dénoncer deux autres grandes catastrophes pour lesquelles le capitalisme est bien le seul responsable :

• L’explosion de la plateforme pétrolière “Deepwater” dans le golfe du Mexique, le 20 avril, qui a provoqué une marée noire d’une ampleur sans précédent dans l’histoire déjà “riche” de la pollution due à l’irresponsabilité des compagnies pétrolières et des Etats, producteurs ou non, qui tirent de phénoménaux bénéfices de l’or noir. Pendant près de 5 mois, 780 millions de litres de pétrole se sont déversés dans le golfe, sans compter les 11 employés tués lors de l’explosion ([3]).

• Puis, en octobre, la rupture d’un barrage d’une usine de bauxite-aluminium à proximité d’Ajka en Hongrie provoque la pire catastrophe écologique qu’ait connue le pays et fait de nombreuses victimes. 1,1 million de litres de boue toxique (alcaline) sont déversés dans la Marcal, transformant cette rivière en rivière morte. “Le taux alcalin très élevé a tout tué” déplore Tibor Dobson avant de poursuivre : “Tous les poissons sont morts et nous n’avons pas pu sauver la végétation non plus” ([4]).

Pour ces véritables désastres écologiques et humains, dont les effets restent par ailleurs encore à venir, la cause ne se trouve bien évidemment pas dans ce que la classe dominante aimerait faire passer pour des “méfaits” quasi-inéluctables de “Mère Nature”. Cette dernière est une victime directe des conséquences de la course au profit du capitalisme et des contradictions de plus en plus monstrueuses que cela génère, et avec elle les 6 milliards d’êtres humains qui peuplent la planète. Aujourd’hui, pour la classe dominante, plus rien ne compte que la survie du système capitaliste, qu’il se nomme “démocratie” ou bien “dictature”. Aucune région du monde n’est à l’abri, des plus “nanties” aux plus pauvres. A n’importe quel prix, il faut que le monstre fasse du profit, et donc qu’il produise, jusqu’à vomir sa propre surproduction. Qu’importe la vie de ceux qui produisent : les ouvriers. Qu’importe la vie des populations frappées de plein fouet par ce système en pleine décomposition. S’ils ne sont pas solvables, “qu’ils crèvent !” Voilà le discours clair et net que tiennent nos exploiteurs en voix off, quand ils ne sont pas devant les caméras, leurs larmes de crocodiles ne servant à peine qu’à masquer leur avide cupidité et à compléter leur costume de clown humanitaire dont ils font usage pour justifier les plus bas appétits ([5]).

Aujourd’hui, le capitalisme prend l’humanité dans son étau : d’un côté, il détruit la planète pour la plier aux lois de la concurrence, ce qui tend à augmenter les catastrophes naturelles, et de l’autre, il appauvrit l’immense majorité des exploités et nous rend tous plus vulnérables. “Les phénomènes naturels ne devraient jamais être que des phénomènes, aussi spectaculaires soient-ils. Mais ils resteront des catastrophes tant que les lois capitalistes régiront le monde.” ([6])

Maxime (18 janvier)

 

1.) Sur lemonde.fr, le 14/01/2011. Le bilan est aujourd’hui de plus de 500 morts.

2.) Lire RI n° 409 : “En Haïti, l’humanitaire comme alibi”.

3.) RI no 413 : “Marée noire dans le golfe du Mexique : le capitalisme est une catastrophe [4]”.

4.) Déclaration de Tibor Dobson, chef régional des services anti-catastrophes. Ses services avaient tenté de déverser du plâtre et de l’acide pour diminuer le taux alcalin de la Marcal. En vain.

5.) RI no 409 : “En Haïti, l’humanitaire comme alibi”.

6.) Voir notre article à propos d’une énième catastrophe : “Coulées de boues en Amérique latine : le capitalisme est une catastrophe meurtrière permanente”.

Récent et en cours: 

  • Catastrophes [5]

Les escadrons de la mort sont déjà à l'oeuvre en côte d'Ivoire

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Petit à petit les ballets diplomatiques et les tentatives de “médiation” cessent les uns et après les autres, l’heure est à la boucherie, bref les appels publics à la guerre fusent de toutes parts (1) :

“La communauté internationale gagnerait à ne pas laisser trop perdurer la situation actuelle en Côte d’Ivoire. Au-delà de janvier, les incertitudes sont grandes et les risques aussi. Barack Obama a indiqué qu’il était prêt à appuyer une intervention militaire de la CEDEAO. Les Britanniques aussi. Il reste à la CEDEAO de savoir se décider. Dans le projet d’intervention militaire effective, peu de pays seront prêts à franchir le pas. Il faut donc organiser sérieusement l’intervention pour lui donner toutes ses chances de réussir. Une bonne intervention ne devrait pas durer plus d’une semaine. Dans ce cas de figure, la France aura un rôle éminent à jouer”.

Et dans le même sens, le président nigérian de la CEDEAO demande officiellement l’autorisation du Conseil de sécurité de l’ONU pour l’usage de la force, pour sa part, le camp d’Ouattara décrète la fin des négociations et s’apprête à faire parler les armes pour “déloger” Gbagbo. De fait, les tueries ont déjà commencé sous forme d’enlèvements, d’assassinats ciblés et d’assauts sanglants perpétués par les sanguinaires des deux camps qui se disputent le pouvoir ivoirien. Depuis l’annonce des résultats du deuxième tour de l’élection présidentielle du 28 novembre dernier, on compte déjà 300 morts (sans doute plus avec les charniers non encore “décortiqués”) et pas un seul jour sans cadavres exposés en plein soleil sous les regards notamment des casques bleus de l’ONU. En effet :

“Jeudi 13 janvier, après deux jours de troubles et de tension croissante en Côte d’Ivoire, le bilan officiel fait état de 11 morts, dont 8 parmi les FDS(forces de défense et sécurité loyales au président sortant). Une source officielle française le juge sous-évalué. Il n’est qu’à voir le nombre de cargos calcinés, ces camions de transports de troupes, qui jalonnent la route vers Abidjan : 7 avant le premier carrefour d’Abobo. Plus loin vers le quartier PK 18, au milieu de l’artère à quatre voies, un cadavre torse nu est abandonné au soleil. Il ne fait bon de s’arrêter pour savoir s’il s’agit d’un mort civil ou militaire (…). A Abidjan le ton monte contre l’ONU et la France, accusées par Charles Blé Goudé, chef des jeunes patriotes et pilier du régime Gbagbo, de “préparer un génocide en Côte d’Ivoire (…) et les militants de l’opposition accusent des milices libériens (et autres escadrons de la mort) d’avoir été à la pointe de ces violence (2)”.

Et les grandes puissances de se cacher hypocritement derrière l’ONU qui, elle, gesticule et palabre beaucoup mais se contente d’établir le macabre bilan des morts. Et la France n’est pas moins au cœur de ces sombres manœuvres guerrières.

L’impérialisme français est en première ligne de la boucherie ivoirienne

“Tout en s’abritant derrière la communauté internationale et en travaillant avec les Etats-Unis qui préparent leurs propres sanctions, la France reste confrontée à un délicat problème en cas de nouvelle spirale de violence. La force de Licorne dont les effectifs ont été réduits depuis 2004 (5000 soldats à l’époque) aurait pour rôle prioritaire l’évacuation des ressortissants français, en cas de besoin. Tout pourrait se corser si le conflit s’envenime et que de nouvelles exactions sont commises contre des civils. La France peut-elle rester passive sur le terrain en cas de massacres ? Licorne a “un droit de légitime défense” mais “son rôle n’est pas de s’interposer”, a déclaré le 19 décembre le chef de la diplomatie française, Michèle Alliot-Marie (3)”.

Comme l’avoue froidement son ministre, la France est là pour faire la guerre. En effet, bien qu’acculée et sur la défensive depuis la perte de son pré carré ivoirien entraînant la perte de son autorité sur les acteurs locaux, elle ne s’avoue pas vaincue pour autant et se bat farouchement pour conserver ses positions (économiques) dans ce pays quitte à aggraver les souffrances que subissent les habitants depuis plus de 10 ans.

Les dirigeants ivoiriens sont les complices de toujours de l’impérialisme français

Ils se comportent comme leurs anciens maîtres coloniaux, c’est-à-dire pour gouverner ils ont toujours opté pour le fameux “diviser pour régner” en dressant les ethnies les unes contre les autres et c’est le “Père de la nation ivoirienne” (4) qui fut le grand initiateur du phénomène :

“Le président Houphouet Boigny a ouvertement favorisé son groupe ethnique. Il a même mobilisé les ressources de l’Etat pour aménager son village Yamoussoukro jusqu’en faire la capitale politique. Issu de son ethnie, et habilement imposé, M. Konan Bédié, poursuivra cette tradition. (…) Les Bétés seraient des “sauvages”, des gens “violents” (…) Les gens du Nord, quant à eux- et, sur ce point, bétés et Akans, gens du Sud, se rejoignent, seraient plus ou moins des “étrangers”. De même les 3 à 4 millions d’immigrés (25  % de la population) dont la force de travail assurait le “miracle économique ivoirien” et qui pouvaient voter jusqu’en 1994, ont été exclus en 1995 du processus électoral et désignés comme “étrangers” voire des criminels à abattre.

Il est clair aussi que cette politique criminelle n’a pu se faire qu’avec la complicité active de l’ex- puissance coloniale, c’est elle qui a “formé”, “éduqué” et “modelé” toute cette bande de racailles dans le seul but d’en faire les dociles défenseurs de ses intérêts en Afrique.

L’ONU, l’autre armée auxiliaire des grandes puissances

En dépit de ses 11 500 hommes en Côte d’Ivoire, l’ONU va probablement faire comme à son habitude : accompagner les tueurs ou fuir les combats et, là, on a en tête l’exemple rwandais, c’est ce que rappelle cet éditorialiste (5) :

“En 1994, lors du génocide rwandais, Roméo Dallaire commandait la mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR), la force de l’ONU qui été chargée de maintenir la paix dans ce pays, mais qui allait se déshonorer en laissant se perpétuer l’une des plus grandes tragédies contemporaines : le génocide des Tutsis et des Hutus modérés, qui fit plus de 800 000 morts. Traumatisé par cette expérience, ce général canadien, pour solder se comptes avec ses démons intérieurs, a publié un livre au titre choc : “J’ai serré la main du diable”.

Dans cet ouvrage sont mis à nu les atermoiements, les hésitations, le manque de compassion, bref, en un mot la lâcheté de la communauté internationale. Pour les puissances occidentales, ce qui se passait au Rwanda n’était qu’une guerre tribale ordinaire en Afrique. Pis, la complexité des règles d’engagement de l’ONU en fait une force peu dissuasive pour les boutefeux. En Côte d’Ivoire, la communauté internationale va-t-elle laisser une nouvelle fois un pays africain sombrer dans une guerre civile aux conséquences incalculables ?

Avec un pays coupé en deux blocs ethnico-religieux antagoniques qui font redouter le pire, la Côte d’Ivoire n’a jamais été aussi proche du Rwanda (souligné par nous)”.

En effet le climat qui règne en ce moment en Côte d’Ivoire ressemble à celui qui précédait le déclanchement du génocide rwandais, cela s’illustre plus particulièrement à travers les attitudes des maîtres de l’ONU qui aujourd’hui devant les médias jurent vouloir œuvrer “pour la paix” tout en se préparant en coulisse à se rejeter mutuellement les responsabilités des crimes en cours et à venir. C’est là le summum de cynisme, de barbarie dont font preuve nos éminents “humanistes démocrates” pour lesquels ce qui se prépare en Côte d’Ivoire (comme le précédent rwandais) n’est qu’affaire “tribale”.

Amina (25 janvier)

 

1) Courrier international, 20/26/01/11

2) Le Monde du 20/12/10.

3) Selon le Monde.

4) Tiemoko Coulibaly, le Monde diplomatique, mars 2005.

5) Cité in Courrier international du 05/01/11.

Géographique: 

  • Côte d'Ivoire [6]

Violente intervention policière au Centre Culturel Libertaire de Lille

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Le Centre Culturel Libertaire (CCL) de Lille est le point de ralliement incontournable des anarchistes lillois, qu'ils soient organisés ou autonomes. Le groupe le plus important rattaché à ce lieu est le Groupe Des Anarchistes de Lille et Environs (GDALE), autrefois affilié à la FA et aujourd'hui à la CGA.

Mais depuis quelques années, deux petits groupes autonomes se sont formés en dehors des organisations "traditionnelles" : l'un sous la forme d'une "organisation ouverte à tous"  nommée Turbulences Sociales (TS), l'autre sous la forme d'un collectif publiant le journal La Brique. Ces groupes rassemblent des éléments prolétariens à l'esprit très ouvert, dans une dynamique de prise de distance avec les organisations gauchistes, notamment sur la question nationale. Lors du mouvement social de cet automne, certains d'entre eux ont été des éléments moteurs de « l'AG de lutte de Lille », qui continue aujourd'hui de rassembler chaque semaine des éléments de tous horizons pour tirer le bilan de la lutte, des actions menées et tracer des perspectives.

C'est lors d'une soirée de soutien au journal La Brique qu'une violente intervention policière a eu lieu au CCL où se déroulait l'évènement. Vers 4h du matin, un « tagueur » poursuivi par la police s'est réfugié dans l'entrée du CCL. Les policiers ont alors pénétré brutalement dans les lieux, provoquant la réaction évidente des personnes présentes qui n'avaient aucun lien avec la course-poursuite extérieure. Les renforts du commissariat voisin n'ont pas tardé et c'est alors à une incroyable démonstration de force que les flics se sont livrés : 53 personnes interpellées et placées en garde à vue jusqu'au lendemain ; certains risquent peut-être des poursuites pour « bourre-pif » à agent. L'intervention s'est accompagnée de dégradations et de perquisition au CCL avec saisie de matériel politique.

Nous publions ci-dessous les deux communiqués de La Brique et de Turbulences Sociales publiés quelques jours après les événements, et nous nous associons à leur indignation face à cette violence démesurée qui sonne avant tout comme un avertissement à tous les prolétaires qui refusent aujourd'hui de subir les attaques incessantes de la bourgeoisie et s'engagent dans une réflexion collective pour mieux comprendre la dynamique du système et mieux s'y opposer.

Nous exprimons notre totale solidarité aux militants victimes de ces violences et saluons leur réaction responsable.

Le CCI.

Communiqué de La Brique à propos de la soirée du 14 janvier au CCL

Vendredi 14 janvier, au cours de la soirée de La Brique qui se déroulait au Centre Culturel Libertaire (CCL), une altercation a servi de prétexte à un exercice de harcèlement grandeur nature : 53 personnes arrêtées, plus de 15h de garde à vue, jamais on n’a autant « embarqué » d’un coup. Rétablissons la vérité face aux versions policière, journaliste et fasciste qui circulent à propos de cette soirée.

On organise une fête hip-hop. Le début de soirée se passe bien. Les DJ et les rappeurs assurent, l’ambiance est bonne. Au delà des habitué-e-s du lieu, plein de personnes viennent pour la première fois. À l’extérieur, une banale embrouille comme on en voit tous les week-ends dans n’importe quel bar ou discothèque débouche sur l’arrivée de deux flics qui, comme à leur habitude, font dégénérer la situation en voulant embarquer des gens au hasard. La lacrymo est utilisée une première fois. Tout le monde se retranche dans le CCL. En bas, la fête continue. Certains ne sont toujours pas au courant de ce qui se passe en haut.

Avec une étonnante rapidité, les flics se jettent comme des enragés sur les lieux et assiègent le local fébrilement barricadé. Pour nous faire sortir, ils envoient du gaz lacrymogène par les extrémités de la porte d’entrée et par une fenêtre qu’ils ont cassée. L’atmosphère devient irrespirable. Asphyxiées, les premières personnes tentent de sortir mais sont directement frappées à coups de tonfa, jetées à terre, insultées, menottées. Les flics regazent un coup alors que l’on continue de sortir. L’intervention est d’une brutalité hallucinante. Nous sommes ensuite embarqués dans les fourgons, et on se retrouve toutes et tous dans les geôles du commissariat central de Lille-Sud. À ce moment, l’incompréhension est totale. Les flics se défoulent. La violence atteint des sommets tristement ordinaires dans les geôles de France : injures racistes, sexistes, homophobes, humiliations, coups, mauvais traitements, pas d’eau ni d’alimentation pendant des dizaines d’heures, non assistance aux personnes évanouies ou suffocantes…

Au départ, le « pronostic vital » d’un flic serait engagé. Comme à leur habitude, les larbins de la presse régionale s’empressent de relayer la version policière, trop contents de semer le doute sur un graffiti « à caractère raciste et injurieux », et de taper sur notre journal et le CCL. Aucun policier n’« a été entraîné de force dans les locaux et molesté ». Au final, un flic serait en état de choc, sans même un ongle retourné. Conclusion : 53 arrestations, deux procès pour « jets de projectiles » et « violences sur agent »… pour rien.

Tous ces faits ne sont pas si exceptionnels. Surtout ici, à Wazemmes, dans ce quartier populaire et vivant, attaqué depuis quelques années par une entreprise de « nettoyage social » menée conjointement par les flics, les urbanistes, la mairie et ses supplétifs sociaux. Le Centre Culturel Libertaire (CCL) fait partie des indésirables qu’il convient de faire déguerpir. Tout comme le raid policier organisé rue Jules-Guesde il y a quelques mois, ce qui nous est arrivé vendredi soir est malheureusement récurrent à Wazemmes et dans les autres quartiers populaires lillois. Il s’ajoute à une présence policière continue dans le quartier et aux contrôles d’identité intempestifs…

Moins banal en revanche, c’est la rafle, le fichage, la rétention de plus de 50 personnes d’un seul coup, la réquisition d’affiches, brochures et littérature au sein d’un lieu politique. C’est dans un but politique, de contrôle et d’intimidation que cette opération a été menée. Bien évidemment, nous apportons tout notre soutien aux inculpés. Mais nous témoignons également notre soutien total aux personnes du quartier qui pourraient s’estimer blessées par des tags idiots1, pour lesquels le CCL et La Brique déclinent toute implication.

Pour finir, le collectif de La Brique aurait un conseil à donner à celles et ceux que ça ne dérange pas de colporter l’image d’un collectif qui ne prendrait pas la mesure, voire qui en rajouterait, dans le racisme ordinaire et la guerre entre les pauvres : apprenez à lire et demandez-vous à qui servent ces amalgames trop faciles. Bien sûr, et comme tout le monde, on n’est pas sauvé-e-s de certains déterminismes sociaux. Et on est prêt-e-s à en discuter. Mais surtout, vous observerez dans nos pages qu’on a toujours défendu les enfants de colonisés stigmatisés par l’État et une presse aux ordres, qu’on s’est toujours positionné du côté des femmes – voilées ou non, des quartiers populaires, des victimes de bavures, des émeutiers, des engeôlé-e-s, des vandales, des crève-la-dalle…

Encore une fois : plus de hip-hop et moins de flics – dans la rue des Postes comme dans toutes les autres.

Allez, salut.

Communiqué de Turbulences Sociales suite à la répression policière de vendredi soir au CCL

Turbulences Sociales affirme sa complète solidarité avec toutes et tous les interpellé-e-s dans la nuit de vendredi à samedi au Centre Culturel Libertaire lors de la soirée de soutien au journal La Brique. Profitant d’incidents ayant eu lieu aux alentours du CCL, la police a comme à son habitude tabassé, gazé, insulté et humilié nos camarades détenu-e-s dans des conditions dégradantes sans possibilité d’uriner, de boire ou de manger pendant de trop longues heures. Nous dénonçons les violences et les humiliations sexistes, racistes, antisémites et homophobes dont ont été victimes nos camarades. Nous voulons pointer du doigt le comportement de la police : dans les cellules lilloises, les inculpé-e-s ont subi une véritable torture physique et psychologique. Violences multiples, coups, insultes, la rage aveugle de la police s’est abattue sur les gardé-e-s à vue pendant 17h.

Turbulences Sociales dénonce la tentative de manipulation impulsée par la police et reprise sans retenue par la presse régionale visant à faire passer les libertaires lillois-es pour les auteurs de tags présentés comme islamophobes. Depuis sa création, le CCL accueille des organisations engagées dans les luttes antiracistes et agissant contre la stigmatisation des musulmans. La Voix du Nord et autre Nord Eclair, bien loin de la déontologie journalistique, préfèrent colporter, sans la vérifier, la parole des représentants policiers. Nous condamnons sans réserve leur volonté de faire de l’événementiel plutôt que de l’information.

Liberté pour tous et toutes les inculpé-e-s, ACAB !

1[Note de La Brique] Pour que les choses soient claires, un individu pose depuis plusieurs années « cochon » sur tous les murs de la métropole, y compris ceux de magasins tels que les kebabs ou autres épicerie arabes. Une signature salement inopportune dans une société raciste qui stigmatise sans relâche les musulman-e-s.

Une seule classe, un même combat ! (adresse de l'AG de la Gare de l'Est, Paris)

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Nous publions ci-dessous un texte de l’assemblée générale interprofessionnelle de la Gare de l’Est / Ile-de-France qui s’est constituée lors du dernier mouvement de lutte en France contre la réforme des retraites, à l’automne 2010, et qui continue encore aujourd’hui de se réunir régulièrement.

Cette AG, par cette “Adresse internationale aux ouvriers d’Europe” fait vivre une valeur fondamentale pour la classe ouvrière et son combat : l’internationalisme. Oui, exploités du monde entier, nous subissons aujourd’hui une brutale dégradation de nos conditions de vie ! Oui, nous sommes tous attaqués par la bourgeoisie ! Oui, dans tous les pays, les bourrasques de la crise économiques nous appauvrissent et, parfois même, nous affament !

Face à ce système d’exploitation de plus en plus inhumain, nous devons donc refuser de nous laisser diviser en nationalités, religions, couleurs de peau… Notre lutte doit d’étendre et s’unir par delà toutes les frontières.

Adresse aux salariés, chômeurs, étudiants et précaires d’Europe

Nous sommes un groupe de salariés de différents secteurs (cheminots, enseignants, informaticiens…), de chômeurs et de précaires. Pendant les récentes grèves en France, nous nous sommes réunis en Assemblée Générale Interprofessionnelle –  d’abord sur le quai d’une gare (Gare de l’Est, Paris), ensuite dans une salle d’une Bourse du Travail. Nous voulions regrouper plus largement possible des travailleurs d’autres villes de la région parisienne. Parce que nous en avions assez de la collaboration de classe des syndicats qui nous menaient une nouvelle fois à la défaite, nous avons voulu nous organiser par nous même pour tenter d’unifier les secteurs en grève, étendre la grève et que ce soit les grévistes eux mêmes qui contrôlent leur lutte.

A la guerre sociale des capitalistes, les travailleurs doivent opposer une lutte de classe

En Grande-Bretagne, en Irlande, au Portugal, en Espagne, en France… dans tous les pays, nous sommes tous durement attaqués. Nos conditions de vie se dégradent.
En Grande-Bretagne, le gouvernement Cameron a annoncé la suppression de 500 000 emplois dans la fonction publique, £7 milliards de coupes dans les budgets sociaux, le triplement des droits d’inscription à la fac, etc.
En Irlande, le gouvernement Cowen vient de baisser le salaire horaire minimum de plus d’un euro et les retraites de 9  %.
Au Portugal, les travailleurs font face à un taux de chômage record. En Espagne, le “très socialiste” Zapatero n’arrête pas de faire des coupes claires en tout genre dans les allocations chômages, les aides sociales et médicales…
En France, le gouvernement continue la casse de nos conditions de vie. Après les retraites, c’est le tour de la santé. L’accès aux soins devient de plus en plus difficile pour les travailleurs : toujours plus de médicaments payants, augmentation des mutuelles privées, suppressions de postes dans l’hôpital public. Comme l’ensemble des services publics (Poste, EDF-GDF, Telecom), l’Hôpital est démantelé et privatisé. Résultat : des millions de familles ouvrières ne peuvent déjà plus se soigner !

Cette politique est vitale pour les capitalistes. Face au développement de la crise et de l’effondrement de pans entiers de l’économie capitaliste, ces derniers trouvent de moins en moins de marchés sources de profits pour leurs capitaux. Aussi sont-ils d’autant plus pressés de privatiser les services publiques.
Cependant, ces nouveaux marchés sont plus restreints en terme de débouchés productifs que ne le sont les piliers de l’économie mondiale tels que le bâtiment, l’automobile, le pétrole…. Ils ne permettront pas, même dans le meilleur des cas, un nouvel essor économique salvateur.
Aussi, dans ce contexte d’effondrement, la lutte pour les marchés sera des plus acharnée pour les grands trusts internationaux. Autrement dit, ce sera une question de vie ou de mort pour les investisseurs de capitaux. Dans cette lutte, chaque capitaliste se retranchera derrière son Etat pour se défendre. Au nom de la défense de l’économie nationale, les capitalistes tenteront de nous enchaîner dans leur guerre économique.
De cette guerre, les victimes sont… les travailleurs. Car derrière la défense de l’économie nationale, chaque bourgeoisie nationale, chaque Etat, chaque patron essaie de réduire ses “coûts” pour maintenir sa “compétitivité”. Concrètement, ils n’auront de cesse que d’intensifier les attaques contre nos conditions de vie et de travail. Si nous les laissons faire, si nous acceptons de nous serrer encore la ceinture, ces sacrifices ne connaîtront pas de fin. Ils remettront en cause jusqu’à nos conditions d’existence !
Travailleurs, refusons de nous laisser diviser par corporation, secteur ou nationalité. Refusons de nous livrer cette guerre économique de part et d’autre des frontières. Battons-nous ensemble et unissons-nous dans la lutte ! Le cri lancé par Marx est d’autant plus d’actualité : “Prolétaires de tous les pays unissez-vous”.

C’est à nous les travailleurs de prendre nous-mêmes nos luttes en main

Aujourd’hui, ce sont les travailleurs de Grèce, d’Espagne, les étudiants d’Angleterre qui sont en lutte et sont en butte à des gouvernements qui, de gauche comme de droite, sont aux services des classes dirigeantes. Et comme nous en France, vous avez à faire à des gouvernements qui répriment violemment les travailleurs et les chômeurs, les étudiants, les lycéens.

En France, cet automne, nous avons voulu nous défendre. Nous étions des millions à descendre dans la rue pour refuser purement et simplement cette nouvelle attaque. Nous nous sommes battus contre cette nouvelle loi et contre toutes les mesures d’austérité qui nous touchent de plein fouet. Nous avons dit “Non !” à l’augmentation de la précarité et de la pauvreté.
Mais l’intersyndicale nous a menés volontairement à la défaite en combattant l’extension du mouvement gréviste :

– au lieu de briser les barrières de métier et de corporation pour unir le plus largement les travailleurs, elle a fermé les assemblées générales de chaque entreprises aux autres travailleurs.

– elle a fait des actions spectaculaires pour “bloquer l’économie” mais rien fait pour organiser des piquets de grève ou des piquets volants qui auraient pu attirer d’autres travailleurs dans la lutte. Ce que des travailleurs et précaires ont fait.

– elle a négocié notre défaite derrière notre dos, derrière les portes fermées des cabinets ministériels.
L’intersyndicale n’a jamais rejeté la loi sur les retraites, elle a même répété et répété encore qu’elle était “nécessaire” et “inévitable” ! A l’entendre, nous aurions dû nous contenter de demander à ses côtés “plus de négociations gouvernement-patrons-syndicats”, “plus d’aménagements de la loi pour une réforme plus juste et équitable”…

Pour lutter contre toutes ces attaques, nous ne pouvons compter que sur nous mêmes. En ce qui nous concerne nous avons défendu dans ce mouvement la nécessité pour les travailleurs de s’organiser sur leurs lieux de travail dans des AG souveraines, de se coordonner à l’échelle nationale pour diriger le mouvement gréviste en élisant des délégués révocables à tout moment. Seule une lutte animée, organisée et contrôlée par l’ensemble des travailleurs, tant dans ses moyens que dans ses objectifs, peut créer les conditions nécessaire afin d’assurer la victoire.

*
* *

Nous savons que ce n’est pas fini, les attaques vont continuer, les conditions de vie vont être de plus en plus difficiles et les conséquences de la crise du capitalisme ne vont qu’empirer. Partout dans le monde, nous devons donc nous battre. Pour cela, nous devons retrouver confiance dans notre propre force :

– nous sommes capables de prendre nos luttes en main et de nous organiser collectivement ;

– nous sommes capables de débattre ouvertement et fraternellement, en “libérant la parole” ;

– nous sommes capables de contrôler véritablement la tenue de nos débats et nos décisions.

Les assemblées générales ne doivent pas être dirigées par les syndicats mais par les travailleurs eux-mêmes.

Nous allons devoir nous battre pour défendre nos vies et l’avenir de nos enfants !
Les exploités du monde entier sont frères et sœurs d’une seule et même classe !
Seule notre union de par les frontières sera à même de jeter à bas ce système d’exploitation.

Des participants de l’AG interpro “Gare de l’Est et Île-de-France”

Pour nous contacter :
[email protected] [7]

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [8]

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [3]

"L'affaire Wikileaks" est un prétexte de plus pour fliquer les ennemis du système

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En fin d’année 2010, et pour une courte période, l’affaire Wikileaks fut au centre de tous les médias. Le soufflé est assez vite retombé, le battage a été tellement énorme qu’on peut légitimement se demander à qui il profitait réellement.

Les faits sont bien connus. Fin novembre, suite à une campagne médiatique à sensation et minutieusement préparée, Wikileaks a commencé à rendre publique une partie des centaines de milliers de câbles diplomatiques classés du gouvernement américain. Dans le même temps, plusieurs groupes de presse à travers le monde (The New York Times, le Monde, The Guardian, El Pais, et le magazine allemand Der Spiegel), à qui Wikileaks avait donné ces fichiers avant leur publication, ont commencé à publier des articles basés sur ces documents. Quiconque a cru que des “secrets d’État” des États-Unis étaient sur le point d’être publiés, a dû être bien déçu. Si l’on fait exception de quelques ragots amusants, ce qui a été rendu public jusqu’à présent n’apporte pas grand chose à ce qui est déjà largement connu de la politique des États-Unis dans le monde. Aussi embarrassant que soient ces câbles diplomatiques pour certains individus dont les opinions ont été diffusées (américains et étrangers), ils sont loin d’être une “bombe”, comme certains commentateurs de la gauche et de la bourgeoisie en général le prétendaient.

C’est finalement Robert Gates, secrétaire d’Etat américain à la défense, qui a peut-être fait la meilleure évaluation de l’importance de la publication de ces documents pour la bourgeoisie américaine :

“J’ai entendu dire que ces publications sur notre politique étrangère étaient une catastrophe, un bouleversement, etc. Je pense que ces descriptions sont assez nettement exagérées. Le fait est que les gouvernements traitent avec les États-Unis parce que c’est dans leur intérêt, non parce qu’ils nous aiment, non parce qu’ils nous font confiance, et non parce qu’ils croient que nous pouvons garder les secrets. Certains gouvernements traitent avec nous parce qu’ils nous craignent, d’autres parce qu’ils nous respectent, la plupart parce qu’ils ont besoin de nous. ... Est-ce gênant ? Oui. Est-ce délicat ? Oui. Les conséquences pour la politique étrangère des Etats-Unis ? Plutôt modeste, je pense.” Quoi qu’il en soit, malgré l’avis de ce représentant très apprécié de la classe dominante des États-Unis, il y a encore des opinions très polarisées sur Wikileaks et la publication de ces documents classés du gouvernement américain. Il y a notamment l’idée de considérer Wikileaks comme une sorte de “cyber” organisation terroriste. Le Département de la Justice lui-même a annoncé qu’il étudiait les poursuites possibles contre Wikileaks et son principal représentant Julian Assange, éventuellement en vertu de la loi sur l’espionnage de 1917, une loi draconienne adoptée dans le contexte de la Première Guerre mondiale, qui punit de la peine de mort ou de longues peines de prison ceux qui diffusent des informations préjudiciables à la sécurité des États-Unis.

Surfant sur cette assimilation avec le terrorisme, les bourgeoisies du monde entier ont commencé à mettre en avant les dangers de l’Internet, réseau décentralisé, sans contrôle, où des irresponsables vent mettre en péril la “liberté” et la “démocratie”. En d’autres termes, là où dans la presse dite traditionnelle, le journaliste un peu trop aventureux est vite bâillonné par ses dirigeants plus “responsables”, sur Internet tout le monde peut s’inventer rédacteur en chef et publier tout et surtout n’importe quoi.

Dans un sens, c’est vrai. Il n’est pas nécessaire de passer beaucoup de temps dans la “blogosphère” pour recevoir un flot d’informations pour la plupart sans intérêt, voire fausses. De même, Julian Assange, au risque de le décevoir, n’est pas le premier à avoir rendu public le fait que, par exemple, nombre de bourgeoisies dans le monde considèrent Nicolas Sarkozy comme un personnage autoritaire et agité.

Mais ce qui intéresse la bourgeoisie dans cette affaire, c’est surtout de pointer le prétendu danger d’une expression politique incontrôlée sur Internet. Derrière Wikileaks, la bourgeoisie fait l’amalgame avec tous les sites, forums, blogs qui, de plus en plus nombreux, portent une critique au système, qui expriment une réflexion et une analyse sur la société capitaliste et qui favorisent la discussion et la rencontre d’éléments qui partagent cette réflexion. Et qui de fait, et potentiellement, représentent bel et bien un danger pour elle. En prédisant pour bientôt une guerre nucléaire intergalactique parce que Wikileaks a révélé des informations aussi sensibles que le fait que les diplomates américains trouvaient Hugo Chavez quelque peu excentrique, la bourgeoisie s’autorise tous les flicages, toutes les intrusions, tous les blocages, au nom de la sécurité et de la défense de la “démocratie”.

Désormais, quiconque “révélera” que, par exemple, le capitalisme est la cause de toute la misère qui dévaste le monde, est susceptible d’être fiché comme “terroriste” et de ce fait, de subir la surveillance et la répression réservées à cette catégorie.

Cette affaire a pu sans aucun doute troubler le sommeil de quelques bourgeois mais, avant tout, le battage allait bien au-delà de la peur que la bourgeoisie a pu ressentir, pour au contraire légitimer toujours plus sa répression contre tous les ennemis de son système. Et il est particulièrement significatif que ce renforcement du flicage de tous et toutes s’effectue au nom de la “défense de la démocratie” ! Voilà effectivement ce qu’est la démocratie bourgeoise : sous une vitrine qu’elle s’efforce de rendre extérieurement polie et respectable, se cache toujours l’horrible visage d’une classe dominante viscéralement mensongère, exploiteuse et répressive !

GD (25 janvier)

Etat d’urgence en Espagne : aujourd’hui ce sont les contrôleurs aériens, demain n’importe quel autre groupe de travailleurs !

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Nous publions ci-dessous la traduction d'un article d'Accion Proletaria, organe de presse du CCI en Espagne. Il s'agit d'une prise de position réalisée à chaud lors de la grève des aiguilleurs du ciel début décembre 2010.

Nous venons d’assister, au moment de ce qui semblait être le début d’un long pont de vacances1, altéré seulement par le mauvais temps, au spectacle dramatique du « chaos aéroportuaire » et à sa conséquence : la déclaration, pour la première fois depuis la mort de Franco, de l’état d’urgence et de la militarisation des contrôleurs aériens. Ceux-ci, apeurés, ont finalement dû retourner au travail en devant supporter la surveillance de la Garde civile.

Les contrôleurs utilisés comme tête de turc

Trois ans après son début, nous continuons à vivre sous celle qu’on reconnaît comme la pire des crises de l’histoire du capitalisme. La guerre des monnaies et, plus spécifiquement, la crise de la dette souveraine qui touche l’Espagne de plein fouet, ont été les derniers jalons d’une dégradation jamais vue.

Le seul "remède" que le capitalisme a à sa disposition est celui de s’attaquer aux conditions de vie des tous les travailleurs, en leur déclarant une guerre sans quartier. Le symbole de cette dure et brutale réalité c’est que chaque fois que les fameux marchés l'exigent, le gouvernement, complaisant, adopte de nouvelles mesures contre les travailleurs. L’Irlande, le Portugal, la Grande-Bretagne, sont aujourd’hui, entre autres multiples pays, le théâtre de plans d’austérité draconiens qui, comme le dit le premier ministre britannique Cameron (si admiré par l’impassible Rajoy, chef de la droite espagnole) entraînent, pour la grande majorité, du sang, de la sueur et des larmes.

Ici, en Espagne, les mesures du mois de février 2010 ont ouvert le chemin aux baisses de salaire des fonctionnaires en juin, ce qui, à son tour, a ouvert la porte à la réforme du code du travail imposée en septembre. Pas de trêve cependant ! Le 1er décembre, Zapatero2 annonçait de nouvelles salves : l’élimination de l’allocation-aumône de 426 € aux chômeurs et la privatisation partielle d’AENA3 qui met en question 12 000 postes de travail. Et la reforme des retraites est annoncée pour janvier...

Voilà la réalité toute crue : la guerre d’une minorité de privilégiés et du gouvernement à leur service contre la grande majorité de la population. Mais, ne voilà-t-il pas que, grâce à la mise en œuvre d’une provocation sournoise du gouvernement et d’une violente campagne médiatique sans répit, on a mis la réalité sens dessus dessous : ce serait un collectif, celui des contrôleurs, qui partirait en guerre contre les citoyens en les prenant comme otages dans leur bras de fer avec le « gouvernement de la Nation ». On a voulu occuper nos esprits avec ce seul sujet, dans un tourbillon médiatique monomaniaque, pour qu’on oublie tout le reste pendant un temps, même les vrais faits préoccupants : 40% des chômeurs vivent dans des foyers où aucun des membres de la famille travaille.

Un des principes de la stratégie militaire consiste dans la division et la démoralisation de l’adversaire avant la bataille. Le gouvernement sait très bien que les coups de trique continuels qu’il assène aux travailleurs finiront par entraîner des ripostes. Aussi, il avait besoin au préalable de trouver une tête de turc pour semer la division, en lui adressant un avertissement exemplaire qui intimide et éradique toute tentative de protestation chez les autres travailleurs.

Pour ce rôle, les contrôleurs étaient les candidats parfaits. Les gouvernement de González [PS, 1982-1996] et surtout celui d’Aznar [droite, 1996-2004], avec la convention collective de 1999, avaient mis les contrôleurs aériens dans une cage dorée corporative, pas par bonté d’âme, mais à cause du rôle stratégique et indispensable qu’ils jouent dans le trafic aérien et, surtout, pour dévaluer le rôle des pilotes et du personnel de vol qui ont vu comment leurs salaires diminuaient sensiblement, en transférant aux contrôleurs le suivi des vols, l’écart des avions, le guidage de l’atterrissage et de décollage, qui se faisaient auparavant depuis les avions eux-mêmes. La convention de 1999 octroyait au syndicat des contrôleurs, l’USCA, des prérogatives très larges dans les embauches et l’organisation du travail, en renforçant ainsi l’état d’esprit de privilégié et de pouvoir corporatif.

En échange de ces « attentions », ces travailleurs réalisent un travail sur-spécialisé dans le plus grand isolement, subissant une très forte pression incluant l’engagement de responsabilité pénale, obligés à réaliser des heures supplémentaires sans arrêt pour couvrir les postes au moment de sur-trafic, et des mutations constantes d’un aéroport à un autre. Ce n'est donc pas un hasard si ces travailleurs détiennent le triste record, peu enviable, des maladies mentales, dépression, anxiété, stress, etc.

Dans le fracas de la bataille médiatique que nous venons de vivre, la presse, la radio, les TV ont soigneusement occulté ces faits pour insister sur les salaires élevés, la retraite à 52 ans, etc. Mais ils ont surtout étouffé le plus important : depuis février 2010, ce collectif est soumis à des mesures brutales qui servent de banc d’essai, pour les appliquer par la suite aux autres travailleurs. C’est à cette date-là que leur journée de travail a été augmentée de 33% et que les salaires étaient diminués de 30%.

Le 3 décembre, la veille du pont, le Gouvernement, soudainement, a allumé la mèche avec un décret-loi imprévisible : les congés-maladie ou autres permissions devaient être récupérés avec des heures de travail supplémentaires à ajouter aux 1670 heures signées. C’était un piège qui mettait les travailleurs sur le gril : ou se taire ou protester à un moment particulièrement sensible pour le public.

En vérité, ce ne sont pas les contrôleurs qui ont défié au bras de fer le gouvernement, mais celui-ci qui les a soumis à une manœuvre soigneusement orchestrée et préparée. Ce ne sont pas les contrôleurs qui ont été les protagonistes d’une « grève sauvage » tel que les médias l’ont exagéré, mais ils ont été poussés à faire une espèce de grève passive sur le tas, isolés les uns des autres. Ce qui est arrivé a été présenté comme une action des contrôleurs contre les nombreux passagers piégés dans les aéroports. Mais, en fait, c’est autant les uns que les autres qui ont été victimes d’une manœuvre de grande ampleur qui, en dernière instance, est dirigée contre l’ensemble des travailleurs.

Le ministre Blanco, vendredi, et aussi le vice-président Rubalcaba, samedi, ont déclaré qu’ils « savaient bien ce qui était en train de se préparer » ; bien plus, le ministre a dit que « Le PP en était informé ». Et le vice-président a « répondu » avec un silence assourdissant à la question, posée lors d’un point-presse samedi, de pourquoi le décret-loi qui allait pousser les contrôleurs à la révolte a été promulgué juste le jour précédent ce pont ?

Après le décret, les mesures se sont succédées avec une précision de montre suisse. À 20h30, ce même vendredi, Blanco annonce « qu’on va utiliser toute la force de la loi pour finir avec cette situation ». Une heure plus tard, le Roi d’Espagne4, qui assiste en Amérique Latine au « sommet ibéro-américain », signe un nouveau décret de contrôle militaire du trafic aérien. Et encore une heure plus tard, le président du gouvernement, Zapatero, qui, inexplicablement pour tous les médias, n’avait pas assisté à ce sommet-là, signe un nouveau décret de militarisation des contrôleurs. On convoque pour le matin suivant à 9h un conseil de ministres qui déclare l’état d’alarme. Trois décrets et une déclaration d’état d’alarme en moins de 24 heures ! Difficile de croire que tout cela a été une réaction à chaud contre le défi des contrôleurs !

Les résultats sont là : militarisation d’un collectif de travailleurs et déclaration de l’état d’alarme. Une mesure à laquelle était attaché le dictateur Franco a été reprise non pas par cette méchante droite d’Aznar mais par le « socialiste » Zapatero.

Ainsi, le précédent vient d’être mis en place. Dorénavant, face à des luttes ouvrières significatives, on brandira la menace de la militarisation et de déclaration d’état d’urgence. Avec le plus grand des cynismes, monsieur Rubalcaba, a déclaré qu’il est parfaitement constitutionnel de travailler avec l’haleine d’un garde civil derrière la nuque ou sous la surveillance de l’armée.

L’idéologie nauséabonde du bouc émissaire

La manœuvre orchestrée sur le dos des contrôleurs aériens n’est pas seulement une attaque politique et économique, mais elle comporte un coup moral aux conséquences profondes.

Avec la plus grande unanimité, depuis l’extrême droite néolibérale de l’Inter-Economía jusqu’à la « gauche modérée » d’El País, des radios, des chaînes de TV, des journaux de toute sorte, des partis, et de grands syndicats, tous ont rivalisé dans l’escalade d’insultes et des demi-vérités jetées sur des contrôleurs mis au pilori. On a soufflé sur les braises du plus mauvais esprit de chasse aux sorcières chez les citoyens et certains participants dans ces émissions de TV poubelle où l’on se crêpe le chignon, se sont permis de dire : « Si vous avez un voisin contrôleur, frappez à sa porte pour lui dire tout le mal que vous pensez de son ignoble comportement »5.

Au Moyen Age, les seigneurs féodaux organisaient des cérémonies sinistres où des individus ou des groupes sociaux étaient soumis à la raillerie et la vindicte publique. C’était là un avertissement servant d’exemple, à effet dissuasif et en même temps, ces malheureux servaient de bouc émissaire pour que le peuple, devenu populace pour l’occasion, décharge sur eux sa frustration et ses souffrances.

Ce serait une erreur de sous-estimer et de banaliser cette campagne contre les contrôleurs. Le préjudice moral causé, l’humiliation subie, engendrent des souffrances pires parfois qu’une bastonnade ou la torture. Quelle tête vont faire les contrôleurs quand ils vont aller faire leurs courses à la boutique du coin ou partager l’ascenseur avec un voisin ? Quel genre des railleries vont subir leurs enfants de la part des leurs camarades d’école ?

Aujourd’hui ce sont les contrôleurs, demain ça peut être n’importe quel autre groupe de travailleurs, nous sommes tous sous cette menace !

Peut-on penser que tout va rester limité aux contrôleurs ?

Absolument pas ! Rappelons-nous comment, en février, ces mêmes contrôleurs ont été utilisés comme cobayes pour imposer les réductions salariales, ce qui a préparé le terrain aux baisses salariales imposées en juin aux fonctionnaires. La compensation des congés maladie imposée aujourd’hui aux contrôleurs ouvre la voie à ce que, tôt ou tard, cette mesure soit appliquée à d’autres secteurs tel que celui de la Santé.

Peut-on affirmer que d’autres secteurs de travailleurs sont à l’abri de nouvelles campagnes de diffamation ?

Encore une fois, absolument pas ! Ces « légendes urbaines » qui circulent sur les chômeurs (« ce n’est que des fainéants qui ne veulent pas travailler », « ce sont des coquins qui touchent une allocation et, après, ils travaillent au noir ») peut-on croire qu’ils ne vont pas être bombardés par une campagne médiatique ?  Les clichés sur les fonctionnaires (« avec leur boulot à vie, ils s’arrangent pour laisser leur poste et se balader dans les grandes surfaces… ») ne pourraient-ils pas devenir, le moment venu, les flèches pour les accabler ? Est-ce qu’on doit oublier, comme si de rien n’était, la campagne agressive menée main dans la main par la dame Aguirre et le sieur Rubalcaba6, si distants en apparence, contre les travailleurs lors de la grève du métro de Madrid ?

Diviser pour mieux régner, disaient les Romains. Aujourd’hui, cela a été le tour des contrôleurs, demain ce sera contre les chômeurs ou les fonctionnaires ou les retraités. En vérité, c’est contre tous les travailleurs que cette offensive se prépare…. Qu’est-ce, sinon, la réforme du code du travail, la réforme des retraites, l’élimination des 426 € [donnés aux « fins de droits »] et un bon paquet de « réformes » que le pouvoir garde au chaud ?

Notre seule force possible est la solidarité. Laisser tomber les contrôleurs, c’est nous laisser tomber nous-mêmes, c’est permettre qu’on nous écrase et qu’on nous humilie paquet par paquet.

Comment une lutte peut-elle être forte ?

Les contrôleurs aériens ont été victimes d’un mirage qui a favorisé les agissements du gouvernement. Il leur semblait que leur capacité pour paralyser tout le trafic aérien leur permettrait, avec une simple grève sur le tas, de faire plier le dit gouvernement. Et on a vu justement le contraire : ce sont les contrôleurs qui ont dû plier. Pourquoi ?

En premier lieu parce que ces travailleurs avaient leur ennemi chez eux. Il s’agit de « leur » syndicat, l’USCA, qui les tenait enchaînés avec un corporatisme insensé et suicidaire, en même temps qu’il négociait en sous-main avec le gouvernement. La photo de ses dirigeants, au moment le plus aigu du conflit, prenant calmement quelques bières, a montré mieux que mille explications quel est le terrain qu’ils défendent.

En deuxième lieu, parce que la simple pression sur les transports ou la production ne fait pratiquement pas de mal aux capitalistes et à leur gouvernement. La crise et la décomposition sociale dominante, font que l’économie elle-même et la société capitaliste fonctionnent d’une façon de plus en plus chaotique et désordonnée. Dans beaucoup de cas, la simple paralysie du travail offre aux patrons une possibilité en or de réduire leurs stocks accumulés. Une action de pression d’un groupe isolé de travailleurs n’est pas seulement inefficace parce qu’elle ne fait qu’ajouter de l’huile sur le feu du désordre « normal », mais aussi parce qu’elle permet aux gouvernements, aux médias et aux capitalistes de les faire apparaître comme coupables du désordre existant.

Une lutte efficace ne peut pas emprunter ces chemins-là. Au minimum et comme point de départ, la lutte a besoin de deux conditions. La première : qu’elle soit organisée, contrôlée, suivie et menée par les travailleurs eux-mêmes, grâce à des assemblées générales ouvertes aux autres travailleurs. Sans la participation, l’initiative, l’engagement et l’enthousiasme des travailleurs, la lutte est condamnée à l’échec. Une lutte qui est confiée aux « mains expertes » des syndicats est un combat perdu d’avance.

La seconde consiste à gagner la solidarité, le soutien, la participation active des autres travailleurs. Ce qui peut vraiment mettre à genoux le pouvoir établi est une lutte qui s’étend, une lutte qui suscite l’estime de la majorité. Quand les travailleurs s’unissent, partagent les débats, les aspirations, les volontés communes, quand les barrières du secteur, de l’entreprise, de la corporation, sont détruites et apparaît une classe ouvrière unie, qui est, à son tour, l’embryon de l’unité générale de toute l’humanité, alors le rapport de force face au capital et son État change radicalement et ceux-ci apparaissent pour ce qu’ils sont en réalité : c’est eux la minorité de privilégiés qui vivent à nos dépends. Par contre, lorsqu’un groupe de travailleurs essaye à lui seul coincer le gouvernement par la simple pression économique, l’État et les médias à son service peuvent facilement les isoler et les défaire en les présentant comme une minorité qui essaye de prendre en otage la majorité. C’est l’État lui-même qui se renforce en se présentant comme garant des « droits de tous ».

CCI (5 décembre 2010)

 

1 De samedi 4 au mercredi 8 décembre inclus.

2 Chef du gouvernement espagnol (Parti socialiste)

3 Entreprise publique qui gère tous les aéroports espagnols.

4 Qui est, théoriquement, le chef de l’État espagnol.

5 Ceci est un exemple donné par nos camarades du CCI d’Espagne, mais il suffit de lire ou entendre la moindre interview dans n’importe quel journal ou émission espagnols au moindre spécialiste de n’importe quoi, à n’importe quelle célébrité genre people ou politicien, pour qu’il ajoute avec componction sa profonde exécration de ces « gangsters » de contrôleurs aériens. Même les banquiers en ont profité pour nettoyer les excréments qui leur collent aux souliers sur le dos des contrôleurs ! Sans oublier l’aspect principal de la campagne : montrer en long et en large la monstrueuse pagaille et les souffrances qui ont été le lot de beaucoup de gens, une souffrance qui ne pouvait que se retourner contre ces « privilégiés » de contrôleurs et qui a servi surtout à celui qui en été à l’origine : le gouvernement.

6 Aguirre est la présidente de droite de la région de Madrid et Rubalcaba était le vice-premier ministre socialiste du gouvernement espagnol.

Géographique: 

  • Espagne [9]

Mediator : la santé ne vaut pas cher... mais rapporte gros !

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Le scandale du Mediator est venu mettre en lumière les louches accointances qui unissent laboratoires pharmaceutiques, profit et partis politiques.

Le président Sarkozy nous a promis “la transparence la plus complète” sur la façon dont un médicament, soupçonné d’avoir tué entre 500 et 2000 personnes en France, interdit aux Etats-Unis depuis 1997, a été officiellement soutenu par l’Etat. Pendant 33 ans, ce “Terminator” médicamenteux a sévi malgré des rapports d’experts médicaux répétés signalant sa dangerosité.

Xavier Bertrand, re-ministre de la Santé, qui avait décidé de maintenir le remboursement à 65  % du Mediator en 2006, s’est lancé récemment à coups de flonflons dans ce qu’il voudrait faire passer pour un grand nettoyage des ces véritables écuries d’Augias grâce à une loi prémunissant contre “les conflits d’intérêts” au sein de l’Etat. Après le feuilleton Woerth-Bettancourt, il est l’heure pour la bourgeoisie française d’orchestrer une mascarade d’opération “main blanche” !

Tout cela n’est que du tape-à-l’œil, bien sûr, et n’empêchera pas les sales méthodes et les affaires de continuer comme avant. Rappelons les liens reconnus entre Sarkozy et Servier, qui a financé sa campagne électorale. Rappelons que Martine Aubry en 1999 et Kouchner en 1998 avaient eux aussi en leur temps ignoré les rapports et leurs avertissements sur le Mediator. Et si celui-ci est autant sur le devant de la scène, ce n’est pas parce que le gouvernement s’est décidé à jouer les “Monsieur Propre”, c’est pour mieux enterrer et masquer l’ensemble des pratiques hautement dangereuses et mortelles qui font le quotidien de cette partie du monde de la santé publique.

Ainsi, la France a continué jusqu’en 2004 à commercialiser le Vioxx (1), médicament anti-douleur et anti-inflammatoire, interdit aux Etats-Unis en 2004 : ce dernier serait responsable entre 1999 et 2004, selon la FDA (Food and Drug Administration, agence de régulation américaine des médicaments), de 160 000 attaques cardiaques ou cérébrales et de 40 000 décès. Dans l’Hexagone, il a fallu l’arrêt pur et simple du Vioxx par le laboratoire Merck pour que l’Afssaps (Agence française de sécurité des produits sanitaires) reconnaisse dans un discret communiqué 9 mois plus tard que ce médicament avait de graves conséquences sur le plan cardio-vasculaire. Silence radio sur le nombre de morts !

On se souvient du Tamiflu, hautement préconisé en cas de grippe A (porcine) par le gouvernement à l’automne 2009 et pendant l’hiver suivant, bien que de nombreuses sonnettes d’alarme aient retenti dans le monde médical. Une étude du British Medical Journal sortait le 8 décembre 2009 pour dénoncer le fait que le Tamiflu n’avait pas d’effet mesurable ni en prévention, ni sur l’intensité de la maladie, ni sur les complications, ni sur le nombre d’hospitalisations, ni sur la mortalité. En revanche, la Société scientifique de médecine générale et le Forum des associations de généralistes mettaient en garde sur les effets indésirables importants sur les enfants, et éventuellement sur les femmes enceintes. On sait que le laboratoire Roche avait totalement trafiqué les résultats de ses études : mais pour 33 millions de médicaments achetés par la France que ne ferait-on pas.

Evidemment, il ne s’agit pas d’une spécificité française. Jouer sans vergogne avec la vie humaine en faisant du profit et au nom du profit est un sport international pour la bourgeoisie. Cela fait partie de son être profond, dans le domaine de la santé comme dans tous les autres.

Pour ce qui concerne les laboratoires pharmaceutiques, le marché est juteux. Une étude de 2007 faite pour ces entreprises, intitulée “Pharma 2020 : The vision – What path will you take ?” projette que le marché mondial de l’industrie pharmaceutique sera de 1300 milliards de dollars en 2020. Les rédacteurs misent en particulier sur l’augmentation des maladies chroniques dans les pays “en voie de développement”. Il s’agit de “l’intérêt des patients”, on n’en doute pas. Patients auxquels il est reproché de ne pas prendre sérieusement leurs traitements, alors que s’ils montraient un plus grand sérieux dans ce suivi, grâce à des stratégies de “com” ad hoc, c’est un bonus de 30 milliards de dollars qui pourrait être gagné par les laboratoires. Il faut donc “innover” avec de nouvelles “molécules” et convaincre les gens qu’elles leur sont bénéfiques ; la preuve, c’est la caution scientifique. Et elle vaut son pesant de gélules ! 6 à 43  %, chiffre indéterminé dans l’opacité de la nébuleuse pharmaceutique, des résultats des essais ne sont pas fournis par les laboratoires. Mais il suffit qu’ils n’en fournissent que deux positifs, même si c’est au milieu d’une myriade de résultats négatifs. De plus, ils sont seuls habilités à les fournir, les autres se faisant au fil du temps et à l’usage. Alors, pourquoi se gêner ? Entre des instances sans moyens et des politiciens qui encouragent ces pratiques, au nom de la santé… de l’économie, c’est l’eldorado assuré.

Les laboratoires ne lésinent sur aucun moyen pour “aider à la guérison” de multiples maladies, comme le sida. Ils font ainsi des pieds et des mains aux différents sommets de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) pour empêcher la concurrence indienne ou chinoise de produire des génériques à bas prix et de les exporter vers les pays pauvres qui sont les plus frappés par le virus. Dans le même souci permanent d’œuvrer au bien-être des populations, ils expérimentent à tout va, galvanisés par la concurrence qui fait rage mondialement. A New York (2), les foyers de l’Aide à l’enfance de Harlem servent de plaque-tournante pour un immonde commerce d’enfants séropositifs servant de cobayes, sous la houlette du comité d’éthique de la ville. Ceux-ci proposent aux parents de ceux qui sont dans leur famille de toucher 25 dollars par mois en acceptant qu’ils servent de cobayes, avec de nombreuses souffrances à la clé sinon la mort. Et les services sociaux d’Aide à l’enfance sont, là encore, mis à contribution : les enfants sont donc enlevés à leur famille, pour “carence de soins” (sic !), pour être placés en foyer où les laboratoires pourront œuvrer à leur guise pendant des années.

Soigner les populations pour le bien-être de tous, par humanisme et bonté d’âme ? C’est pour la galerie. La bourgeoisie s’efforce d’extirper le moindre sou(ffle) de chaque être humain, malade ou en bonne santé. Il est significatif que, selon l’OMS (Organisation mondiale de la santé), 80  % des pathologies cardiaques, des accidents vasculaires cérébraux, des diabètes et 40  % des cancers pourraient être évités avec une réelle prévention. Or, cette dernière ne représente que 3  % des dépenses de santé des pays de l’OCDE… car elle n’est pas “rentable” !

Les choses ne peuvent être plus claires. Les larmes de crocodiles et les discours offensés que versent les représentants de la bourgeoisie ne peuvent pas masquer leur cynisme et l’incurie phénoménale de ce système capitaliste décadent.

Mulan (27 janvier)

 

1) Source www.lmous.com [10]

2) Dailymotion

Géographique: 

  • France [11]

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