Quel que soit le nombre réel (probablement près de 3 millions de personnes), les manifestations du 7 et du 23 septembre ont rassemblé chacune beaucoup de monde dans le pays. Toutes les générations de prolétaires étaient présentes dans la rue. Cela témoigne d’une vraie colère et d’une forte combativité.
Cette mobilisation face à la remise en cause du régime des retraites, mais aussi face à la violence et à l’ampleur de l’ensemble des attaques qui nous sont portées, est d’autant plus importante et remarquable que la bourgeoisie a mis un maximum de bâtons dans les roues pour dissuader les prolétaires de participer massivement au rassemblement du 23.
D’une part, les médias n’ont cessé de relayer le discours officiel :
– en martelant que rien de fondamental ne serait changé à la nouvelle loi sur les retraites : “le gouvernement ne reculera pas” , “les jeux sont faits”… ;
– en cherchant à persuader que ce serait une nouvelle “journée noire” et “de galère” dans les transports publics, de la SNCF à la RATP ;
– en lançant opportunément une grande campagne d’alerte aux attentats terroristes deux ou trois jours auparavant.
D’autre part, et surtout, nous sommes soumis presque tous les mois depuis deux ans à des “journées d’action” routinières qui ressemblent à des balades répétitives et stériles, rassemblant plus ou moins de monde mais où chacun reste finalement isolé derrière la banderole de “son” syndicat, de “sa” boîte ou de “sa” corporation, tout cela au milieu d’un vacarme de pétards ou de sonos assourdissantes poussées à fond. Ce bruit nous prive de toute réelle possibilité de discussion et de communication entre nous. Tout est fait pour que cela provoque à la longue un sentiment de résignation et d’impuissance. Dans le meilleur des cas, ce que nous ressentons, c’est une énorme frustration.
Ainsi, le soir du 7 septembre, alors que les salariés, les retraités, les chômeurs et les jeunes précaires étaient descendus massivement dans les rues, les syndicats ont repoussé la perspective d’une nouvelle mobilisation à… quinze jours plus tard ! Ce délai a permis au projet de loi sur les retraites de passer toutes les étapes de la négociation parlementaire, y compris le vote d’adoption alors que, pour beaucoup, il était clair qu’un appel à une manifestation le samedi ou le dimanche suivant (non pénalisant pour les salaires) aurait incontestablement permis une mobilisation massive d’une tout autre envergure. Il faut d’ailleurs se souvenir qu’au moment de la mobilisation victorieuse contre le CPE, les étudiants appelaient à de grandes manifestations tous les samedis pour permettre aux salariés, du privé comme du public, de les rejoindre dans la lutte sans que cela n’entraîne pour eux de perte de salaire. Et c’est cette solidarité intergénérationnelle qui fut l’une des clefs de la victoire et du retrait du CPE.
Les syndicats sentent bien aujourd’hui grandir cette insatisfaction et ce sentiment de frustration. C’est pour cela que certains comme SUD, Solidaires et une partie de la CGT ou même de FO préconisent des “actions” plus radicales, telles que des grèves reconductibles ou lancent des appels pour préparer une grève générale. C’est aussi pour cela qu’un syndicat particulièrement “modéré” et toujours prêt à négocier avec le gouvernement à la première occasion comme la CFDT est contraint de durcir son ton. Son secrétaire général Chérèque a évoqué ainsi le matin même du 23 septembre la possibilité d’organiser les manifestations futures au cours des week-ends. C’est la raison pour laquelle tous les syndicats sont tombés si rapidement d’accord dès le lendemain sur le samedi 2 octobre pour une nouvelle mobilisation (1). Mais il doit être clair qu’on ne peut pas compter sur eux et que comme en 2003 et 2007, ils continueront tôt ou tard à tout faire pour saboter cette mobilisation massive et pour diviser les prolétaires entre eux.
Pendant les manifestations, il faut refuser de se laisser parquer sous les banderoles syndicales, se laisser saucissonner par corporations et secteurs, il faut engager la discussion avec le plus grand nombre de participants venus d’horizons ou de secteurs divers, public ou privé, d’entreprises différentes, profiter de ce moment de rencontre pour échanger nos expériences, nos points de vue, nos revendications et discuter de la situation ici ou là, confronter les visions des perspectives de la lutte... Il faut aussi s’adresser à tous ceux, plus ou moins désabusés, qui “assistent” par sympathie ou par méfiance aux manifestations tout en restant “sur les côtés”, sur les trottoirs.
Après la manifestation, au lieu de rentrer chacun chez soi de son côté, il faut rester pour discuter les uns avec les autres, dresser un bilan, échanger des impressions, se donner des rendez-vous, improviser des assemblées générales. Cela a commencé à se réaliser de façon minoritaire et embryonnaire à la fin de la manifestation du 23 septembre. C’est aussi dans cette voie que se sont engagés un petit nombre d’éléments proches du communisme-libertaire qui ont appelé dans un tract diffusé le 23 septembre sur Paris à un rendez-vous “pour se rencontrer et discuter” de la suite à donner au mouvement actuel où ils déclarent : “On n’a pas à adhérer à des raisonnements qui visent à nous solidariser avec les logiques de cette exploitation. (...) Mais évidemment le dire ne suffit pas : il faudra l’imposer. C’est un rapport de forces. (...) Etre isolé contribue beaucoup à la résignation. Peut-être sommes nous quelques uns ici à attendre d’un mouvement social davantage qu’un recul du gouvernement sur la question des retraites... Peut-être sommes-nous même plus que quelques-uns à voir aussi la chose comme une “occasion” (...), c’est la possibilité de se rappeler qu’une force collective, venant briser le train-train de l’exploitation, de l’isolement et de la déprime généralisée, permet d’entrevoir des horizons où la réappropriation du monde n’est plus hors de portée (...)”.
Ceux-là montrent la voie vers laquelle nous devons tous aller parce que la déferlante d’attaques auxquelles nous sommes tous soumis rendent nos conditions d’exploitation de plus en plus insupportables. Nous n’avons pas d’autre choix pour résister aux attaques de la bourgeoisie et de son gouvernement, qu’il soit de droite ou de gauche, que de développer nos luttes.
Oui, c’est non seulement par l’ampleur de nos rassemblements, mais c’est aussi à travers la multiplication de réseaux de discussions, de débats, d’échanges sur nos préoccupations, nos réflexions, que nous représentons une force collective menaçante que craint par dessus tout la bourgeoisie !
Etendre et développer massivement la lutte suppose que nous la prenions en mains, que nous décidions nous-mêmes de sa conduite en mettant en avant, à l’encontre des pratiques syndicales, partout où se développe une lutte, la tenue d’assemblées générales ouvertes à toutes les catégories socio-professionnelles de travailleurs au-delà de l’entreprise ou du lieu de travail, comme aux étudiants, aux retraités, aux chômeurs. Elle suppose que nous élisions des délégués révocables à tout moment pour faire appliquer les décisions de ces assemblées générales souveraines.
Cela peut nous paraître effrayant, irréalisable, au-dessus de nos forces, tellement éloigné de nos habitudes où nous nous reposons sur les modes et les actions de luttes que nous dictent les syndicats. Mais c’est justement en commençant à se rassembler, à discuter, à débattre entre nous que nous pourrons peu à peu prendre confiance en nous et prendre conscience de l’efficacité des moyens dont nous disposons pour exercer notre solidarité de classe et du pouvoir collectif que nous avons pour construire un réel rapport de forces.
Face au capital, quand nous restons isolés, divisés, nous nous sentons forcément faibles et vulnérables. Mais regroupés, unis et solidaires, en tant que classe exploitée, nous sommes alors beaucoup plus forts qu’on ne le croit.
Wim (24 septembre)
1) Contrebalancé par l’appel simultané à un second jour de grève et de mobilisation en semaine le 12 octobre plus “classique” (et donc plus démobilisateur) qui vient couper l’herbe sous le pied des partisans d’une grève reconductible immédiate.
Tous les gouvernements, d’extrême droite, de droite, de gauche ou d’extrême gauche, mènent partout les mêmes attaques ignobles contre les conditions de vie et de travail, les mêmes vagues de licenciements, les mêmes coupes budgétaires… Résultat, dans tous les pays, les populations sont en train de plonger dans la misère.
Selon le dernier “document de référence” daté du 13 septembre du Fonds monétaire international et de l’Organisation internationale du travail, la crise financière mondiale a provoqué une flambée du chômage à travers le monde. Le nombre officiel de chômeurs est passé de 30 millions en 2007 à plus de 210 millions aujourd’hui. En Espagne, l’augmentation avoisine les 10 %. En Irlande, l’ex-”Tigre celtique”, la hausse sur un an est de 7 %. Aux Etats-Unis, la pauvreté là-aussi vient d’atteindre un nouveau record historique. Le dernier rapport annuel du Bureau américain du recensement a annoncé mi-septembre que 43,6 millions de personnes se situaient désormais sous le seuil de pauvreté. Concrètement, un Américain sur sept vit avec moins de 902 dollars par mois. Pour les seules années 2008 et 2009, 6,3 millions d’Américains ont rejoint les rangs des “nouveaux pauvres” ! Evidemment, face à cette “épidémie économique”, la bourgeoisie de la première puissance mondiale ne reste pas les bras ballants, sans réagir. A Las Vegas, par exemple, un mur a été construit… pour cacher aux yeux des touristes le quartier le plus “défavorisé ! Ceux qui vivent, où plutôt survivent, dans ce nouveau bidonville doivent maintenant faire plusieurs kilomètres de détour pour aller travailler, étudier ou se soigner. Les urgentistes, les ambulanciers et les pompiers perdent eux aussi des minutes précieuses qui parfois condamnent les victimes d’arrêts cardiaques ou d’accidents… Mais peu importe pour la classe dominante, si elle est impuissante à endiguer la vague de paupérisation, il lui reste son cynisme : “Cachez ce dénuement que je ne saurais voir.”
Comme un symbole de la dimension planétaire de la crise, à quelques kilomètres des côtes américaines, sur l’île de Cuba, le régime castriste vient d’annoncer la suppression d’un demi-million d’emplois publics en seulement six mois ! Les fonctionnaires en Russie vont d’ailleurs subir peu ou prou le même régime : 100 000 suppressions en trois ans.
Tous ces chiffres ne sont pas des abstractions, ils s’incarnent de façon dramatique dans la vie quotidienne de millions de familles ouvrières. Entre mille exemples, d’après le nouveau baromètre Cercle Santé-Europ Assistance, “un quart des Polonais, des Français et des Américains renoncent à se faire soigner à cause de la crise économique” (la Tribune du 21 septembre). La France est réputée pour avoir l’un des systèmes de soin les plus performants et égalitaires au monde. Et pourtant, sur “la terre des Droits de l’Homme”, la part des personnes “préférant différer leurs soins” a bondi de 11 % à 23 % en un an seulement ! (Idem)
La crise économique n’est pas un “mauvais moment à passer”. Tous ces dirigeants, ces politiques, ces docteurs es-sciences qui viennent sur les plateaux télé expliquer comment les sacrifices d’aujourd’hui vont nous permettre de “sortir du tunnel” demain sont de fieffés menteurs.
Depuis 1967, les récessions se succèdent les unes aux autres, entraînant toujours plus bas l’humanité. Et le rythme s’accélère. Aujourd’hui, deux ans seulement après le séisme financier de 2008, des nuages noirs et menaçants s’accumulent déjà à nouveau sur l’économie mondiale. Toutes les banques sont surendettées. Près de 120 établissements ont fait faillite aux Etats-Unis depuis le début de l’année 2010. En Irlande, la banque nationalisée Anglo Irish Bank vient d’annoncer une perte semestrielle de 8,2 milliards d’euros, ce qui est un record historique national. Les collectivités publiques locales sont dans la même situation. Harrisburg, la capitale de la Pennsylvanie, est au bord de la banqueroute. Cette ville de 47 000 habitants croule sous le poids de ses dettes ; elle n’a même pas pu rembourser ses créanciers en septembre. Les autorités locales ont donc annoncé un “plan de la dernière chance” : baisse drastique du salaire des fonctionnaires, hausse de toutes les taxes et ventes de biens communaux comme les parkings ou les bibliothèques. Et il ne s’agit pas là d’un cas isolé. La très grande majorité des capitales américaines ont des déficits comparables. Les Etats de l’Union eux-mêmes sont menacés par la banqueroute ; cela fait plusieurs mois déjà que la Californie paye ses fonctionnaires (ceux qu’elle n’a pas encore licenciés) non plus en dollars mais en IOU (1), sorte de nouvelle monnaie locale. Et les Etats nationaux suivent le même chemin. Selon l’avis même des experts économiques les plus sérieux (Roubini, Stiglitz, Jorion…), le sauvetage in extremis de la Grèce va faire long feu. L’Irlande, le Portugal, l’Espagne et l’Italie pourraient bien être à leur tour dans l’œil du cyclone très prochainement. Et les “fondamentaux économiques” (l’emploi et le chômage, l’endettement bancaire et étatique, l’immobilier…) aux Etats-Unis sont en train de se dégrader très rapidement.
Il est impossible d’annoncer avec certitude quel secteur de l’économie mondiale sera frappé le premier et à quel moment. Mais une chose est certaine, la crise va inexorablement s’aggraver et les tempêtes vont être de plus en plus violentes. Les exploités n’ont aucune illusion à se faire : le capital va se dresser de manière de plus en plus brutale face à eux.
Pawel (25 septembre)
1) I Owe Unto – Je dois sur une période indéterminée – contracté en langage courant en I Owe You – Je vous dois.
L’hebdomadaire Marianne est un habitué des “Unes” consacrées à Nicolas Sarkozy. En général, pas pour en parler gentiment. Dans son numéro du 7 août, il atteint même le point culminant en le présentant comme “le voyou de la République”.
Mais un mois après, le 4 septembre, le président revient en première page avec cette fois-ci un titre tout autre : “M. le Président, vous êtes formidable !”. Suit tout un dossier à la “gloire” du chef de l’Etat avec des articles comme “Hymne à un immense chef d’Etat”, “Un puits de culture”, “Il est si bien élevé”, “Un grand séducteur”, “Le sauveur de la presse”, “Les yeux de Carla” ou encore “Eloge du courtisan”.
Evidemment, la ligne éditoriale du journal de Jean-François Kahn n’a pas changé, et ce numéro spécial consacré au “sarkozysme primaire” est un savant mélange d’ironie et de satire, plutôt réussi. C’est vrai que la matière première est un pur cadeau pour cet exercice : entre ses sorties agressives en public, ses familiarités avec ses homologues étrangers, son sens de la formule plutôt déroutant et ses méthodes pour le moins étonnantes à ce niveau de responsabilités, il y avait de quoi faire et Marianne ne s’en est pas privé.
Alors qu’avec Mitterrand et ses écoutes sordides ou Chirac et ses emplois fictifs comme ses discours infâmes, on avait fini par se faire à l’idée que les chefs d’Etat pouvaient à peu près tout se permettre. Avec Sarkozy. On peut dire que le style est totalement renouvelé, et la barre placée beaucoup plus haut encore. Quand Chirac flattait la croupe d’une vache limousine au salon de l’agriculture, Sarkozy, lui, insulte son propriétaire. Quand Mitterrand cachait tant bien que mal sa fille illégitime, Sarkozy, lui, piquait ouvertement la femme de son copain dont il avait lui-même célébré le mariage en tant que maire. Quand Chirac évoquait le bruit et l’odeur subis par les voisins d’immigrés, Sarkozy, lui, les qualifie ouvertement de Français de deuxième catégorie et s’engage à les nettoyer au Kärcher. Et il y a tant d’autres exemples !
Mais c’est aussi là que réside le piège dans cette approche. Car on pourrait aisément en tirer la conclusion que c’est le style “Sarko” (car il n’appartient qu’à lui !) qui est la cause centrale de tout ce que nous subissons ces dernières années. Et finalement, on ne serait pas loin de penser qu’il serait plus que temps de fermer la parenthèse Sarkozy et retrouver une gestion plus sérieuse et saine du pays.
Hélas ! Non. Si bien sûr, en 2012, se présenteront face à lui beaucoup de candidats à la stature et au comportement plus en accord avec la fonction de chef d’Etat (tous, en fait), le fond ne changera pas. Ce ne sont pas les “casse-toi pauv’ con” et autres stigmatisations populistes des Roms qui sont au coeur du problème, mais ce sont bien les attaques portées sur les conditions de vie et de travail des exploités, comme les coupes claires dans les dépenses de santé, la réforme des retraites, les baisses de salaire, l’insuffisance de logements décents, le chômage galopant, etc. Et ces attaques sont portées en France depuis bien avant Sarkozy, et ailleurs dans le monde par des chefs d’Etat et de gouvernement bien plus “présentables” que le président français !
Derrière la critique centrée sur Sarkozy, aussi juste et drôle soit-elle, on essaie de faire passer l’espoir qu’avec un autre que lui les choses ne pourront qu’aller mieux. Non seulement cet espoir ne pourra qu’être déçu mais plus important encore, la combativité et l’envie d’en découdre du prolétariat risquent de se déporter sur cette illusion et l’enfermer dans un des pires pièges qui puissent lui être tendu : celui de l’alternance démocratique.
GD (24 septembre)
Le mécontentement et la colère se sont fortement accumulés dans les rangs ouvriers. Face à l’austérité, l’inquiétude est devenue palpable. Quelle est la réponse du gouvernement et des médias ?
La classe dominante sait très bien que polariser excessivement l’attention sur le dossier des retraites et sur les nombreuses attaques en général peut mettre de l’huile sur le feu. Ne pouvant pas passer le sujet sous silence, elle tente de faire diversion. Ainsi, encore une fois, “le problème de la sécurité” fait la Une des médias et des discours gouvernementaux.
Après les assauts xénophobes contre les Roms et la ligne politique nauséabonde du bouc émissaire, l’hystérie du gouvernement se poursuit donc impitoyablement. Brice Hortefeux continue sa croisade.
Peu après le moment où un attentat aurait été déjoué sous la Tour Eiffel, le ministre du clan présidentiel s’est ainsi jeté sur l’occasion pour immédiatement alerter tout le monde : “un faisceau d’indices datant de ces derniers jours et de ces dernières heures démontre que la menace terroriste est à un niveau élevé” (1). Il est intéressant de noter en passant l’avis d’un spécialiste qui s’interroge sur le sens de cette intervention en ces termes : “Les autorités déjouent en moyenne deux attentats par an. Quand le gouvernement évoque le risque d’une attaque terroriste, il a raison. Mais est-il plus élevé aujourd’hui qu’hier ? A ma connaissance, non” (2).
Si la menace terroriste existe, les déclarations subites du ministre Hortefeux ne peuvent rien y changer. Généralement, lorsqu’une menace est sensible, les services spécialisés œuvrent plutôt avec discrétion pour plus d’efficacité. En instrumentalisant grossièrement les questions de sécurité, les objectifs du gouvernement et du ministre sont donc ailleurs :
– occuper les esprits, tenter de détourner momentanément l’attention de la question sociale et du dossier des retraites en cours ;
– terroriser la population en essayant de briser momentanément la réflexion ouvrière, en cherchant à paralyser la combativité ;
– rendre plus méfiant à l’égard des transports en commun pour dissuader par exemple de se rendre aux manifestations ;
– créer un climat de suspicion favorisant la criminalisation de ceux qui protestent ou contestent l’ordre public.
Ce n’est pas la première fois que l’écran de fumée qu’est la menace terroriste est utilisé. Au même titre d’ailleurs que les réponses de l’opposition qui ne sont qu’autant de nuisances destinées à occuper la scène médiatique. A vrai dire, depuis 2003, avec le développement des luttes, l’alibi sécuritaire a été constamment mis à contribution pour essayer de paralyser les mouvements sociaux. Avec le maintien du plan Vigipirate renforcé, c’est au quotidien que l’Etat est parvenu à habituer les ouvriers au quadrillage policier et à la présence forte de militaires armés sur les lieux publics (comme dans les grandes gares). On a même droit maintenant aux flics à l’école !
En cela, il a commencé à préparer les esprits à la répression pour de futures grèves et les conflits sociaux d’ampleur qui seront inévitables. Mais les questions qui taraudent les prolétaires ne pourront s’effacer facilement. La bourgeoisie continuera bien à faire flèche de tout bois et utilisera encore tout l’arsenal classique de sa propagande : du mensonge à la calomnie, de l’hyper-médiatisation au black-out sournois ou total. Face à cela, le prolétariat ne doit pas se laisser intimider. Il doit comprendre que tous les politiciens gangstérisés et les charlatans qui paradent dans les médias ne cherchent qu’une chose essentielle à travers la propagande sécuritaire continuelle : soumettre, museler, apeurer. Un bon travailleur étant un exploité docile et obéissant aux yeux du capital.
WH (23 septembre)
1) http ://www.europe1.fr/France [5]
2) François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique et auteur d’Après al-Qaida (2009)
Le 13 septembre, la direction française de Continental a appelé les 2500 ouvriers des usines de Boussens, Foix et Toulouse, ainsi que d’une petite unité commerciale de Rambouillet, à participer à un référendum sur son “plan de maintien de l’emploi”, dont l’objectif affiché est la réduction des coûts pour “le maintien de la compétitivité” des sites concernés à l’horizon 2012-2013.
L’organisation de ce scrutin faisait suite à plusieurs mois de propagande en vue de mettre en concurrence, au niveau international, les ouvriers des différents sites du groupe entre eux ; et elle fut accompagnée de fortes pressions : “J’ai bien été obligé de voter, […] il y avait le chef qui me regardait, qui m’a obligé à le faire…” (1) Parmi les 83 % d’ouvriers ayant participé au scrutin, 52 % acceptèrent le plan de la direction. Malgré cela, les pressions exercées ne cessèrent pas, et dès le lendemain : “A six heures du matin, un “manager” est arrivé. Il nous a dit : “Vous avez compris ? Ceux qui ont voté non, s’ils veulent, ils peuvent aller à la comptabilité ! Maintenant, il y a ceux qui veulent travailler et les autres !” (2).
Mais au fait, en quoi consiste ce si prometteur “plan de maintien de l’emploi” pour nécessiter le recours au chantage et à la menace ? Pour les ouvriers, il signifie la perte de 1,4 % du salaire, la suppression de deux jours de RTT par an jusqu’en 2015, ainsi qu’une baisse de la prime d’intéressement. Pour la direction, la totalité de ces mesures signifie une économie d’environ 5000 euros par salarié ; ceci représente une réduction de 8 % des coûts salariaux de l’entreprise (soit environ 13 millions d’euros), qui viennent s’ajouter aux 150 “départs volontaires” et aux 200 suppressions d’emplois d’intérimaires récemment survenus. En échange, Continental promet le maintien des effectifs pendant cinq ans sur les sites concernés.
Ce n’est pas la première fois que la bourgeoisie utilise la menace du licenciement massif pour pouvoir renforcer l’exploitation du prolétariat ; ces dernières années fourmillent d’exemples similaires, avec à la clé une issue souvent funeste.
Ainsi, en juillet dernier, la General Motors Company, détenue à 60 % par l’Etat fédéral américain, proposait de reprendre l’activité sur le site de Strasbourg si les ouvriers acceptaient de “réduire de 10 % le coût de la main d’œuvre, sans réduction d’effectifs mais avec un gel des salaires sur deux ans et en renonçant à plus d’un tiers des 17 jours de RTT.” (3)
“Au total, 1150 emplois étaient menacés à Strasbourg. S’ils regardent du côté de leurs homologues de Peugeot Motocycles, ils pourront garder espoir. En effet, menacés d’une délocalisation de deux usines à Taïwan, les 1050 employés avaient consenti, en avril 2008, notamment à travailler plus (35h contre 30 à 32 auparavant), à prendre des pauses non payées et à voir diminuer leurs jours de RTT. Cependant, les autres plans similaires recensés ces dernières années ont tenu un certain temps avant d’échouer. Le pire exemple est celui du groupe volailler Doux qui, en 2004, a appliqué la même équation. Quatre ans plus tard, en juillet 2008, l’entreprise a fermé trois sites en Bretagne et dans le Cher, entraînant la suppression de plus de 600 emplois. […] Toujours en 2004, Bosch menaçait de fermer son site de Vénissieux (Rhône) où 300 emplois étaient en jeu. Les salariés ont alors accepté de passer de 35 à 36 h et de renoncer à six jours de RTT sur vingt. Sauf que six ans plus tard, l’activité s’est considérablement réduite à Vénissieux et l’avenir du site est à nouveau compromis. “Si fin 2011 nous n’avons pas de nouveaux contrats, nous n’avons plus de travail”, avait indiqué à 20minutes.fr un employé de l’usine en mai dernier. En 2005, Hewlett-Packard est bénéficiaire, mais annonce des licenciements partout dans le monde, dont plus d’un millier pour la filiale française. Il a fallu un an pour que le plan social s’opère avec au bout du compte 250 emplois sauvés contre une renonciation à douze jours de RTT. Trois ans plus tard, des centaines de suppressions de postes sont annoncées. […] Enfin, chez Continental, seule la durée de travail avait augmenté fin 2007 pour pérenniser le site de Clairoix (Oise) mais, peine perdue, le groupe allemand a annoncé la fermeture du site deux ans plus tard et le licenciement de ses 1120 salariés. Pas vraiment de bonne augure pour leurs homologues de General Motors !» (4)
Face à ce chantage au chômage et à la misère, ce n’est pas en déposant l’un après l’autre leur bulletin dans l’urne, qu’elle soit patronale ou étatique, que les prolétaires pourront faire face à l’intensification de leur exploitation, mais par la lutte massive, solidaire et internationale de la classe ouvrière. Et la bourgeoisie, comme l’illustrent la propagande et les pressions exercées par Continental sur ses ouvriers, en a pleinement conscience.
DM (21 septembre)
1) www.ladepeche.fr/article/2010/09/15/907195-baisser-son-salaire-pour-garder-son-emploi.html [7]
2) Idem.
3) www.20minutes.fr/article/585649/Economie-Les-salaries-de-General-Motors-... [8]
4) www.20minutes.fr/article/585711/Economie-Travailler-plus-et-renoncer-a-s... [9]
Une fois de plus, la classe dirigeante use de toutes les ruses pour tenter de masquer la faillite de son système. Depuis le début de cet été, sur un fond de discours optimiste et rassurant quant à l’état de la finance mondiale, l’Etat français, avec Christine Lagarde sur le devant de la scène, met tout en œuvre pour nous faire croire que la crise est derrière nous. En diverses occasions ces dernières semaines, nous l’avons vue se féliciter des chiffres “enthousiasmants” de la baisse du chômage. Et quelle baisse ! – 0.2 % au deuxième trimestre 2010, établissant ainsi un taux de chômage (9,7 %) juste sous la barre du seuil psychologique des 10 %. Ce chiffre, largement commenté par les médias, économistes et politiques de tous bords, est riche de sens. Non pas sur la réalité du marché de l’emploi, qui est autrement plus délabré en réalité, mais sur les manœuvres dont la bourgeoisie dispose pour nous faire avaler une fable merveilleuse : “il était une fois la relance du capitalisme” ! Dans un contexte où les inquiétudes sur l’avenir et la déception suscitée par l’attitude des politiques attisent un sentiment de colère qui grandit, il s’agit de calmer le mécontentement par tous les moyens.
La France comptabilise actuellement 4 574 000 inscrits sur les listes des “demandeurs d’emploi” – sans compter les 300 000 de plus de 58 ans dispensés de recherche d’emploi et les 217 000 chômeurs des départements d’outremer. Le nombre total de chômeurs a augmenté de 1 150 000 sur les deux dernières années. Dans le seul mois de juillet 2010, 505 000 hommes et femmes se sont retrouvés au chômage. Du jamais vu. Une question se pose alors : comment dans de telles conditions, la bourgeoisie française peut-elle parler de “stabilisation du marché de l’emploi” ? Eh bien, tout simplement parce que simultanément à cette augmentation, 495 000 personnes ont quitté… le Pôle emploi. Cela ne signifie aucunement que toutes ces personnes ont enfin trouvé un job. Seulement 104 000 d’entre elles ont eu le “privilège” de se faire activement exploiter, la plupart à coups d’emplois précaire ou à temps partiel par le capitalisme. La situation est donc “opaque” pour 100 000 d’entre eux. Le ministère est d’ailleurs bien forcé de reconnaître lui-même que “moins de 40 % de ceux qui quittent Pôle emploi retrouvent un emploi”. Cette manœuvre de la bourgeoisie pour arranger les chiffres à sa sauce n’a rien d’exceptionnel puisque le décalage entre les données réelles du chômage et les chiffres moins catastrophiques de l’été (liés notamment aux emplois saisonniers), est régulièrement utilisé pour masquer la réalité. C’est toujours la même farce ! En général, la majorité de ceux qui quittent le Pôle emploi sont en fin de droits. Concrètement, cela signifie que cette majorité se retrouve dans la précarité la plus totale, n’ayant plus que le RMI-RSA pour survivre. Une maigre allocation qui peut être refusée si le conjoint a un revenu jugé “correct”. En deux ans, le revenu de certains couples a été divisé par deux et l’INSEE estime que cette année 400 000 ménages vont être confrontés à cette situation. C’est cette politique de “radiation” généralisée qui attend les ouvriers mis sur le carreau, jetés comme des Kleenex par leur boîte.
Une étude publiée en juillet par l’ACOSS (organisme qui reçoit toutes les déclarations d’embauche), montre que celles et ceux qui parviennent à retrouver un emploi doivent de plus en plus se contenter d’un travail très précaire. Pour 60 % des embauches, il s’agit d’un CDD de moins d’un mois. Autant dire que le problème n’est que temporairement repoussé et qu’il se reposera quelques semaines plus tard seulement.
La jeune génération est particulièrement touchée par cette précarité grandissante. Pour bon nombre de jeunes prolétaires qui arrivent sur le marché du travail, il est extrêmement rare de trouver une situation stable. Il s’agit la plupart du temps d’enchaîner les contrats de courte durée, souvent en intérim, en étant sans cesse préoccupé par la recherche d’un nouvel emploi ou d’une nouvelle mission, parce que la fin du contrat se rapproche. C’est bien à cela qu’une bonne partie des jeunes travailleurs emploient le peu d’énergie que leur laisse le capitalisme après une dure journée d’exploitation. “Quel boulot vais-je retrouver ?”, “Dans quelles conditions et où ?”, “Combien d’heures par semaines ?”, telles sont les questions que la plupart des jeunes se posent de manière presque quotidienne. Une situation très angoissante et très pesante, qui donne même l’illusion que c’est une chance d’avoir décroché un contrat payé “normalement”, ne serait-ce que pour quelques semaines.
Voilà la triste réalité qui se cache derrière les chiffres et les statistiques officiels.
Legrand (24 septembre)
“Plus que toute autre classe dans l’histoire, le prolétariat est riche en belles figures révolutionnaires, en militants dévoués, en lutteurs infatigables, en martyrs, en penseurs et en hommes d’action. Cela est dû au fait que, contrairement aux autres classes révolutionnaires, qui ne luttaient contre les classes réactionnaires que pour substituer leur propre domination et l’asservissement de la société à leurs intérêts égoïstes de classe privilégiée, le prolétariat, lui, n’a pas de privilèges à conquérir” (“Les trois L : Lénine, Luxembourg, Liebknecht”, l’Etincelle, journal de la Gauche communiste de France, 1946) Le mouvement ouvrier compte tant de ces militants exemplaires qu’il est impossible de leur rendre hommage à tous. Certains incarnent cependant particulièrement la passion de la révolution et nous voulons saluer ici la mémoire de trois d’entre ceux qui ont traversé la difficile épreuve de la période de contre-révolution des années 1920 et 1930, puis de la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit de Léon Trotski, mort il y a 70 ans, d’Anton Pannekoek, disparu il y a 50 ans, et de Jan Appel, décédé il y a 25 ans. Au-delà de leurs parcours très différents et des divergences parfois très profondes qui les animaient, malgré leurs erreurs politiques, ces farouches combattants du prolétariat n’ont jamais cessé de vivre sincèrement que pour la défense des intérêts de leur classe.
Au début de la Seconde Guerre mondiale, Trotski, après une vie ardente de militant entièrement consacrée à la cause de la classe ouvrière, est mort en révolutionnaire et en combattant, d’un coup de piolet asséné par un agent de la Guépéou. Malgré de graves erreurs politiques, les apports de Trotski au mouvement ouvrier sont immenses. Arrêté de nombreuses fois durant toute sa vie, expulsé et exilé, il ne cessa jamais d’œuvrer pour la perspective révolutionnaire. Très jeune propagandiste actif dans le journal social-démocrate l’Iskra, orateur hors pair, il fut président du Soviet de Petrograd lors de la révolution de 1905. Bien que connaissant des divergences importantes avec Lénine, et bien qu’exilé de force aux Etats-Unis, il rejoint la Russie et le parti bolchevik en mai 1917. Son rôle dans la révolution d’Octobre sera déterminant, comme le sera également celui qu’il jouera dans la formation et l’organisation de l’Armée rouge, qui sera le rempart de la Russie révolutionnaire contre les attaques des armées blanches contre-révolutionnaires et des Alliés coalisés pour écraser “la peste communiste”(1).
Il joua encore le rôle particulièrement ingrat, car ultérieurement très critiqué, de négociateur principal de la paix de Brest-Litovsk avec l’Allemagne en mars 1918, qui permit à la population en Russie de souffler quelque temps. Trotski sera aussi aux côtés de Lénine un des maîtres d’œuvre de l’Internationale communiste dans laquelle il sera le rédacteur de nombreux textes fondamentaux. Son Histoire de la Révolution russe est une référence fondamentale pour comprendre et saisir toute l’importance de cet événement historique. Et l’héritage littéraire de Trotski, que ce soit sur le plan politique, historique, culturel ou théorique, est immense, faisant sien la devise de Marx : “Rien de ce qui est humain ne m’est étranger.”
Sa théorisation de la “révolution permanente”, et les erreurs d’analyse qui l’accompagnent (comme celle de la nécessité pour le prolétariat d’effectuer la révolution bourgeoise dans les pays où la bourgeoisie est elle-même trop faible pour vaincre le féodalisme), sera un des leviers de la haine précoce de Staline à son égard. En effet, cette théorie contient l’idée fondamentale que les révolutions du xxe siècle ne peuvent pas s’arrêter à des objectifs bourgeois et nationaux et s’oppose à la théorie du “socialisme dans un seul pays” puis de la “révolution par étapes” qui seront les bases du stalinisme dans les années 1920 et 1930.
Trotski, qui disait que “La réalité ne pardonne pas une seule erreur à la théorie”, a défendu dans ses dernières années de nombreuses positions opportunistes telles que la politique d’entrisme dans la social-démocratie, le front unique ouvrier, la question de la nature de l’URSS, etc., positions que la Gauche communiste avait critiquées, à juste titre, dans les années 1930 (2) ; mais il n’a jamais rejoint le camp ennemi, celui de la bourgeoisie, comme les trotskistes l’ont fait après sa mort. En particulier sur la question de la guerre impérialiste, il a défendu jusqu’au bout la position traditionnelle du mouvement révolutionnaire : la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile. Dans le Manifeste, dit d’Alarme, de la IVe Internationale qu’il a rédigé pour prendre position, sans ambiguïtés et du seul point de vue du prolétariat révolutionnaire, face à la guerre impérialiste généralisée, on peut lire ainsi :
“La IVe Internationale construit sa politique non sur les fortunes militaires des Etats capitalistes, mais sur la transformation de la guerre impérialiste en guerre d’ouvriers contre les capitalistes, pour le renversement des classes dirigeantes de tous les pays, sur la révolution socialiste mondiale” (Manifeste de la IVe Internationale du 29 mai 1940, p. 75, tome 24 des Oeuvres de Trotski). Voilà ce que les trotskistes ont oublié et trahi.
Plus la guerre impérialiste mondiale s’intensifiait et plus l’élimination de Trotski devenait un objectif crucial pour la bourgeoisie mondiale (3) comme pour Staline.
Pour asseoir son pouvoir et développer la politique qui a fait de lui le principal artisan de la contre-révolution, Staline a d’abord éliminé, en les envoyant dans les camps, de très nombreux révolutionnaires, d’anciens bolcheviks, notamment ceux qui avaient été les compagnons de Lénine, ceux qui avaient été les artisans de la révolution d’Octobre. Mais cela ne suffisait pas. Le plus dangereux des bolcheviks, bien qu’à l’extérieur, restait Trotski. Staline l’avait déjà atteint en faisant assassiner, en 1938, son fils Léon Sédov à Paris. Maintenant c’était Trotski lui-même qu’il fallait supprimer.
Son élimination avait une plus grande signification que celle des autres vieux bolcheviks et des membres de la Gauche communiste russe.
Le 28 avril 1960 disparaissait A. Pannekoek, après plus de 50 ans de combat pour la classe ouvrière. Il y apparut au début du 20e siècle comme défenseur des intérêts de la lutte ouvrière en s’engageant dans le combat contre les tendances révisionnistes, à l’intérieur du mouvement ouvrier néerlandais représenté par Troelstra. Avec Gorter, il a dénoncé toute collaboration avec des fractions libérales progressistes de la bourgeoisie au parlement. “Ni une attitude conciliante, ni la réflexion ou l’approche envers les partis bourgeois ou l’abandon de nos revendications ne sont les bons moyens d’obtenir quelque chose, mais le renforcement de nos organisations, en nombre et en connaissance et en conscience de classe, de façon à ce qu’elles apparaissent à la bourgeoisie comme des forces toujours plus menaçantes et terrifiantes.” Anton Pannekoek et Herman Gorter, Marxisme et révisionnisme, NieuwTijd, 1909)
Lorsqu’il se rendit en Allemagne en 1906, pour donner des cours à l’école du SPD, il entra rapidement en conflit avec la direction, entre autres avec Kautsky, sur l’importance d’une action de masse autonome des ouvriers. En 1911, il fut le premier parmi les socialistes à affirmer, à la suite de Marx après la défaite de la Commune de Paris, que la lutte des ouvriers contre la domination capitalise n’avait pas d’autre choix que la destruction de l’Etat bourgeois. “La lutte du prolétariat écrivait-il, n’est pas simplement une lutte contre la bourgeoisie pour le pouvoir d’Etat ; c’est aussi une lutte contre le pouvoir d’Etat.” (5) (Cité dans L’Etat et la révolution de Lénine)
A l’éclatement de la guerre mondiale en 1914, il prit fermement position contre la trahison des leaders sociaux-démocrates dans la Deuxième Internationale. Pendant la guerre, il devient sympathisant de l’ISD de Brême et du SPD aux Pays-Bas, en écrivant des articles contre la politique de guerre. Dans une lettre à Van Ravensteyn datée du 22 octobre 1915, il explique ce qui l’a poussé à se lier à l’initiative de la Gauche de Zimmerwald. Par la suite, il a exprimé sa solidarité inconditionnelle avec les ouvriers russes lorsque ceux-ci, organisés en Soviets, ont pris le pouvoir en 1917, et n’a cessé de propager la nécessité d’une révolution mondiale. “Ce que nous espérions est entretemps arrivé. Les 7 et 8 novembre, les ouvriers et les soldats de Petrograd ont renversé le gouvernement Kerenski. Et il est probable (…) que cette révolution va s’étendre à toute la Russie. Une nouvelle période commence, non seulement pour la révolution russe, mais pour la révolution prolétarienne en Europe.” (8) (Anton Pannekoek, La Révolution russe III, de Nieuwe Tijd, 1917, p. 560 ; La Révolution russe VIII, De Nieuwe Tijd, 1918, p. 125)
Lorsque la majorité exclue du KPD fonda en avril 1920 un nouveau parti, le KAPD, Pannekoek fut le grand inspirateur du programme de cette organisation politique. Dans ce programme étaient rassemblées les positions les plus importantes de la nouvelle période. Pannekoek était (exactement comme Rosa Luxembourg jusqu’à son assassinat en 1919) au début des années 1920, un défenseur critique, il est vrai, mais un défenseur acharné de la Révolution d’octobre.
Mais cela ne l’a pas empêché de tirer finalement des leçons erronées de la défaite de la Révolution d’octobre 1917 en Russie. Il arriva en effet à la conclusion que les bolcheviks avaient en fait dirigé une révolution bourgeoise. Pourquoi ? Non seulement parce que, selon lui, dans la Russie de 1917 subsistaient encore des restes de féodalisme, de formes dispersées de production petite-bourgeoise, mais aussi parce que Lénine n’aurait pas bien compris la distinction entre matérialisme prolétarien et matérialisme bourgeois. (voir John Harper - alias Anton Pannekoek , Lénine philosophe, 1938)
Pour tout révolutionnaire actuel, l’œuvre de Pannekoek reste, malgré ses erreurs ultérieures, une référence essentielle, ne serait-ce que parce qu’il a, avec d’autres communistes de gauche, jeté un pont entre la fin de la Deuxième Internationale social-démocrate et les débuts de la Troisième Internationale communiste, période qui s’étend de 1914 à 1919, et qu’il n’a par la suite jamais cessé le travail théorique. Comme il l’a répété par la suite : “…notre tâche est principalement une tâche théorique : trouver et indiquer, par l’étude et la discussion, le meilleur chemin d’action pour la classe ouvrière.” (Lettre de Pannekoek à Castoriadis - Socialisme ou Barbarie, 8 novembre 1953)
Le 4 mai 1985, la dernière grande figure de l’Internationale communiste, Jan Appel, s’est éteinte à l’âge de 95 ans. Le prolétariat n’oubliera jamais cette vie, une vie de lutte pour la libération de l’humanité.
La vague révolutionnaire du début de ce siècle a échoué. Des milliers de révolutionnaires marxistes furent tués en Russie et en Allemagne, certains même se suicidèrent. Mais, malgré cette longue nuit de contre-révolution, Jan Appel resta fidèle au marxisme, il resta fidèle à la classe ouvrière, convaincu que la révolution prolétarienne devait venir.
Jan Appel fut formé et trempé dans le mouvement révolutionnaire d’Allemagne et de Hollande au début de ce siècle. Il combattit côte à côte avec Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht, Lénine, Trotski, Gorter, Pannekoek. Il combattit dans la révolution en Allemagne, en 1919. Il fut de ceux qui ne trahirent jamais la cause du prolétariat. Il fut un représentant digne de cette masse anonyme des générations mortes du prolétariat. Leur lutte historique a toujours renoncé à la glorification des personnes ou à la recherche de titres de gloire. Tout comme Marx, Engels, Jan Appel n’avait pas de comptes à rendre à la presse à sensation capitaliste.
Mais il était aussi plus que cette masse anonyme de militants révolutionnaires courageux qui fut produite par la vague révolutionnaire du mouvement ouvrier du début de notre siècle. Il a laissé des traces qui permettent aux révolutionnaires d’aujourd’hui de reprendre le flambeau. Jan Appel était capable de reconnaître ceux qui, tout aussi anonymes et pour le moment encore réduits à une petite minorité, continueront le combat communiste. Avec fierté, nous avions ainsi accueilli Jan Appel au Congrès de fondation du Courant Communiste International en 1976 à Paris.
Né en 1890, Jan Appel a commencé très jeune à travailler dans les chantiers navals de Hambourg. Dès 1908, il est un membre actif du SPD. Dans les années tourmentées de la guerre, il participe aux discussions sur les questions nouvelles qui se posent à la classe ouvrière : l’attitude face à la guerre impérialiste et face à la révolution russe. C’est ce qui le conduisit, fin 1917, début 1918, à se joindre aux radicaux de gauche de Hambourg qui prirent une position claire contre la guerre pour la révolution. Il donna ainsi suite à l’appel de juillet 1917 des IKD de Hambourg demandant à tous les ouvriers révolutionnaires d’oeuvrer pour la constitution d’un USPD en opposition à la politique réformiste et opportuniste de la majorité du SPD. Poussé par les combats ouvriers de fin 1918, il adhérera aussi au Spartakusbund de Rosa Luxemburg et prendra, après l’unification dans le KPD(S), une position responsable dans le groupe du district de Hambourg.
Sur la base de sa participation active dans les combats depuis 1918 et de ses talents organisationnels, les participants au Congrès de fondation du KAPD désignèrent Appel et Franz Jung pour les représenter à Moscou auprès de l’Internationale Communiste. Ils devaient discuter et négocier sur l’adhésion à la Troisième Internationale et sur l’attitude traîtresse de la centrale du KPD pendant l’insurrection de la Ruhr. Pour parvenir à Moscou, ils durent détourner un navire. Une fois sur place, ils eurent des discussions avec Zinoviev, président de l’Internationale Communiste, et avec Lénine. Sur la base du manuscrit de Lénine Le gauchisme, maladie infantile du communisme, ils discutèrent longuement, réfutant entre autres les fausses accusations de syndicalisme (c’est-à-dire le rejet du rôle du parti) et de nationalisme.
Il fallut encore plusieurs voyages à Moscou pour que le KAPD fût admis comme organisation sympathisante de la Troisième Internationale et pût ainsi participer au 3e Congrès en 1921.
Appel fut actif là où le KAPD ou l’AAUD l’envoyèrent. Ainsi, il devint responsable de l’hebdomadaire Der Klassenkampf de l’AAU dans la Ruhr où il resta jusqu’en novembre 1923.
Au 3e Congrès de l’Internationale Communiste, en 1921, Appel, Meyer, Schwab et Reichenbach, furent délégués pour mener les négociations ultimes au nom du KAPD, contre l’opportunisme grandissant au sein de l’IC. Ils tentèrent vainement, avec des délégués de Bulgarie, de Hongrie, du Luxembourg, du Mexique, de l’Espagne, de la Grande-Bretagne, de Belgique et des Etats-Unis, de former une opposition de gauche. Fermement, en ignorant les sarcasmes des délégués bolcheviks ou du KPD, Jan Appel, sous le pseudonyme de Hempel, souligna à la fin du 3e Congrès quelques questions fondamentales pour la révolution mondiale d’aujourd’hui. Souvenons-nous de ses paroles : “Les camarades russes ne sont pas non plus des surhommes, et ils ont besoin d’un contrepoids, et ce contrepoids ce doit être une troisième internationale liquidant toute tactique de compromis, parlementarisme et vieux syndicats. “
Jusqu’à la fin, Jan Appel fut convaincu que “seule la lutte de classe est importante”. Nous poursuivons son combat.
MW
Nous publions ci-dessous l’exposé introductif qui a lancé les discussions de nos réunions publiques du mois de septembre.
Ce qui est frappant dans la situation actuelle, c’est le décalage énorme entre, d’une part, l’exaspération que provoque dans les rangs ouvriers un déluge d’attaques et, d’autre part, l’intérêt encore très minoritaire qui s’exprime pour les questions de la révolution. Les exploités voient de plus en plus clairement que le capitalisme est un système moribond qui mène toute l’humanité à sa perte, mais ils ne croient en la révolution. En 1968, la révolution semblait possible mais non nécessaire, c’est l’exact opposé aujourd’hui.
Ce sera une société sans pénurie, sans misère, sans frontière, sans guerre, où les besoins humains seront satisfaits. Ce sera la libre association des producteurs, c’est-à-dire de ceux qui, par leur travail associé, produisent les richesses. Ce sera le communisme où l’épanouissement de chacun est la condition de l’épanouissement de tous. Le travail cessera de constituer une souffrance et une source d’ennui intarissable, pour devenir un facteur d’épanouissement des êtres humains. Fini le sacrifice d’une vie prisonnière de la spécialisation à outrance dans une même activité, puisque comme le disait Marx : “Dans la société communiste, personne n’est enfermé dans un cercle exclusif d’activités et chacun peut se former dans n’importe quelle branche de son choix ; c’est la société qui règle la production générale et qui me permet ainsi de faire aujourd’hui telle chose, demain telle autre, de chasser le matin, de pêcher l’après-midi, de m’occuper d’élevage le soir et de m’adonner à la critique après le repas, selon que j’en ai envie, sans jamais devenir chasseur, pêcheur, berger ou critique” (L’Idéologie allemande ; partie sur Feuerbach ; chapitre division du travail et aliénation). Evidemment, c’est l’idée de fond qu’il faut retenir de cette citation, et non pas le fait qu’il y aura des chasseurs dans la société communiste. S’il y a en a, ils seront dans les musées.
L’abondance, alors que le règne de la pénurie avait jusqu’alors constitué le fondement des sociétés de classe et d’exploitation.
Depuis que l’homme ne produit plus selon les méthodes des communautés communistes primitives, la productivité du travail s’est considérablement accrue avec les sociétés de classes. Sous le capitalisme en particulier. Celui-ci a développé, bien plus que toutes les sociétés de classe qui l’ont précédé, tout ce qui concourt à la production des moyens de production et de consommation : les machines, la technologie, les sciences, etc. En fait, le niveau actuel de productivité du travail peut se mesurer à travers le fait que le travail d’un très petit pourcentage de la population mondiale peut suffire à nourrir l’ensemble de cette population.
Il est aujourd’hui patent que, si les capacités productives étaient orientées différemment, la faim dans le monde serait éradiquée et on aurait besoin de travailler beaucoup moins pour satisfaire nos besoins, etc. Une illustration de cela. En 2008, 100 000 personnes mouraient de faim par jour, dans une situation où, la planète comportant 6 milliards d’êtres humains, l’agriculture mondiale était en mesure d’en nourrir 12 milliards (selon un rapport de l’ONU – par Jean Ziegler, rapporteur spécial). Mais vouloir réaliser cela sous le capitalisme est utopique.
Certainement pas la bourgeoisie. Il n’y aura pas de transition harmonieuse du capitalisme vers le communisme. La classe dominante au sein de la société capitaliste, celle qui tire ses richesses de l’exploitation de la classe ouvrière, ne se résoudra jamais à abandonner le système d’exploitation qui lui permet sa position privilégiée dans la société. Individuellement, des bourgeois pourront soutenir ou embrasser le combat pour une autre société. Mais cela ne sera jamais le fait de la classe bourgeoise comme un tout.
Le moteur de la transformation sociale est le prolétariat : il est la classe de la société qui est exploitée selon les méthodes de production capitaliste ;
– il n’a aucun intérêt propre à défendre dans ce système ;
– il est porteur d’un projet de société, celui de la libre association des producteurs, permettant de dépasser les contradictions de l’actuel système ;
– pour renverser le capitalisme et mener à bien son projet de classe révolutionnaire, il dispose de la force nécessaire que lui donnent son nombre, sa concentration et le fait qu’il produit l’essentiel des richesses de la société.
Ainsi, non seulement le capitalisme a développé les forces productives permettant l’abondance, mais il a aussi créé la classe révolutionnaire qui sera son fossoyeur, la classe ouvrière.
Une telle transformation ne sera pas le fait de l’humanité comme un tout, même si celle-ci est victime de l’actuel système et qu’elle a tout intérêt à son renversement. C’est la classe révolutionnaire qui est le moteur de la révolution.
C’est en fait la nécessité qui constitue la base du changement révolutionnaire. Comme toutes les sociétés d’exploitation qui l’ont précédé, le capitalisme sera amené à périr de ses contradictions insurmontables s’il n’est pas remplacé par un autre système issu du dépassement des contradictions en question. Pour faire synthétique, ce système produit, non pas pour la satisfaction des besoins humains, mais pour le profit. Si bien que les richesses matérielles qu’il accumule à un pôle de la société fondent la possibilité de l’abondance pour tous. Le problème est que, dans le même temps, un tel phénomène s’accompagne d’un dénuement croissant imposé à une majorité toujours plus large. La classe ouvrière est ainsi poussée à se rebeller contre la condition qui lui est faite, avec en perspective la transformation de la société.
Ainsi donc, la révolution prolétarienne n’est pas le produit d’un impératif moral, mais de la nécessité, même s’il ne manque pas de bonnes raisons morales et humaines pour en finir avec ce système.
L’étape actuelle de la crise (qui sévit en fait depuis la fin de années 1960) constitue une illustration criante du caractère insurmontable des contradictions capitalistes.
Contrairement au capitalisme, le socialisme ne peut se développer progressivement d’un pays à l’autre. Il ne peut exister qu’à l’échelle du monde entier en mettant en œuvre l’ensemble des forces productives et des réseaux de circulation des biens crées par le capitalisme. C’est donc à cette échelle que la révolution prolétarienne doit intervenir pour permettre la transformation socialiste. Le pouvoir du prolétariat isolé dans un pays, ou même un ensemble de pays, continue à subir pleinement les lois du capitalisme, quelles que soient les mesures qu’il prenne.
Les autres classes révolutionnaires du passé ne sont pas devenues exploiteuses après avoir pris le pouvoir. Elles l’étaient déjà avant.
C’est à la classe révolutionnaire qu’il revient de renverser l’ancienne société, c’est à elle aussi qu’il échoit de diriger la transformation révolutionnaire en vue de construire la nouvelle. Cette classe révolutionnaire, à la différence de toutes les autres classes révolutionnaires du passé, est également, pour la première fois dans l’histoire, la classe exploitée. En abolissant son exploitation, elle abolit toute exploitation. Ainsi, elle n’a pas pour vocation de s’émanciper seulement elle même mais d’émanciper l’humanité tout entière.
Il n’existe aucune fatalité garantissant que la révolution puisse avoir lieu, qu’elle soit victorieuse, et ensuite que la transformation des rapports sociaux vers le communisme soit menée à son terme.
Si la révolution en Russie a dégénéré, ce n’est pas tant à cause de ses erreurs que de l’isolement international dans lequel elle s’est trouvée, avec le reflux et l’échec de la vague révolutionnaire mondiale dont elle avait été le produit. Non seulement la construction du socialisme est impossible dans un seul pays, mais même le pouvoir du prolétariat ne peut se maintenir longtemps en restant isolé dans un seul pays. Dans de telles conditions, il ne peut que tendre à dégénérer. En effet, s’il existe c’est pour assumer une fonction bien précise : étendre la révolution à l’échelle mondiale et entreprendre la transformation des rapports sociaux de production. Si ces objectifs ne sont pas réalisables, à cause d’un rapport de force défavorable à l’échelle internationale, alors ce pouvoir est soumis de façon croissante à la pression du capitalisme mondial : offensives militaires et diplomatiques pour l’asphyxier ; concurrence économique mondiale ; etc. C’est ce qui s’est passé dans la Russie des soviets.
Le pouvoir politique du prolétariat à l’échelle mondiale est exercé à travers son organisation mondiale en conseils ouvriers. Cette forme d’organisation, qui a vu le jour spontanément pour la première fois en Russie en 1905, est la seule forme d’organisation permettant à la classe ouvrière de penser et d’agir comme un tout uni, et cela malgré la très grande hétérogénéité pouvant exister en son sein. Sa force repose sur deux caractéristiques essentielles :
– les assemblées de base sont un lieu permanent de discussions où participe l’ensemble de la classe ouvrière ;
– elles élisent des délégués révocables, donnant ainsi naissance à des assemblées de délégués fonctionnant sur les mêmes principes que les assemblées de base et qui, à leur tour, élisent d’autres délégués. C’est ainsi que le mouvement se centralise permettant que les décisions, qui sont prises aux différents nivaux de centralisation, soient réellement l’expression de la classe ouvrière en mouvement.
C’est la seule forme d’organisation capable de prendre en compte l’évolution rapide de la conscience au sein de la classe ouvrière qui caractérise les phases révolutionnaires ou pré-révolutionnaires.
C’est cela la forme d’organisation de la dictature du prolétariat, après la prise du pouvoir.
De plus, le but du pouvoir prolétarien étant de diriger la transformation révolutionnaire en vue de construire une société sans classes sociales, sans Etat, sans pouvoir politique sur la société, il crée les bases de sa propre disparition. Il est d’ailleurs le seul pouvoir politique ayant jamais existé dans l’histoire qui ne vise pas à sa propre perpétuation.
Néanmoins, rien de ce qui précède ne constitue une garantie contre la dégénérescence, celle-ci survenant comme résultat obligé d’un recul durable de la révolution à l’échelle mondiale.
Si la révolution n’a pas lieu ou ne triomphe pas, ce n’est pas un simple bain de sang qui est devant nous, mais des milliers de bains de sang. En fait, l’incapacité du prolétariat à renverser ce système fera que la situation actuelle de crise historique du capitalisme, s’exprime par des guerres encore plus meurtrières, par une détérioration aggravée de l’environnement, et par une explosion et une généralisation de la misère sous toutes ses formes, tout cela rendant la vie sur terre un véritable enfer, voire même une impossibilité.
La révolution étant destinée à briser la dictature de classe de la bourgeoisie, elle sera nécessairement violente, mais ce sera une violence libératrice, en vue de permettre l’avènement d’un monde débarrassé de la barbarie. Lors de la révolution russe, le nombre de victimes qui a résulté de l’insurrection d’octobre 1917 a été dérisoire comparé au nombre de morts quotidiens de la Première Guerre mondiale, de la réaction blanche organisée par le capitalisme mondial contre la révolution russe ou encore de la répression de la contre-révolution stalinienne. De plus, c’est la première vague révolutionnaire mondiale, et en particulier la révolution en Allemagne, qui a contraint la bourgeoisie à mettre un terme à la première boucherie mondiale, dans la mesure où sa continuation constituait un terreau fertile à la radicalisation des masses et donc à la révolution.
Par ailleurs, pour diaboliser la révolution, la bourgeoisie utilise souvent comme épouvantail des évènements qui n’ont rien à voir avec celle-ci mais qui, au contraire, sont directement des expressions de l’action de fractions de la bourgeoisie : la contre-révolution stalinienne, la prétendue révolution maoïste, l’action de Pol Pot de Cambodge, etc.
Oui. Et ce n’est pas la défaite de la première tentative révolutionnaire mondiale qui est de nature à prouver le contraire.
En effet, le bastion prolétarien russe était l’expression le plus avancée d’une vague révolutionnaire mondiale. Etait également impliquée dans cette vague mondiale, rien de moins que le prolétariat allemand, la fraction la plus avancée du prolétariat mondial, et qui pendant trois années a mené une lutte sans merci contre la bourgeoisie.
Malheureusement il a été défait, sa défaite signifiant celle de la vague révolutionnaire mondiale et la dégénérescence de la révolution russe. Inversement, une victoire de la révolution en Allemagne ouvrait la possibilité de l’extension de la révolution en Europe centrale et, ensuite, en Europe occidentale et dans le monde.
En fait, pour conclure avec la question posée, ce dont il s’agit n’est pas de savoir si la révolution est possible mais de se rendre compte que continuer ainsi sans la révolution est une impossibilité réelle. La seule alternative est bien Socialisme ou barbarie.
CCI, septembre 2010
L’article qui suit a été écrit par James Connolly. Il a été adressé sur le forum de la Gauche Communiste www.revleft.com [13] par un camarade des Etats-Unis qui a commencé à la poster sous le nom de Stagger Lee. Nous avons suggéré qu’il soit publié sur notre site web et lui avons demandé d’écrire une courte introduction.
Cet article du socialiste irlandais James Connolly (1868-1916) a été publié pour la première fois dans le journal La République des ouvriers en 1899. Il s’appuie sur la défense marxiste, donc internationaliste, de la libération du prolétariat. Dans ce texte, Connolly présente les slogans de “libération” nationale, puis les juxtapose avec une courte remarque mettant en lumière les impasses du nationalisme comme voie pour la libération de la classe ouvrière. Il montre combien les appels romantiques à la “liberté” dans le contexte du nationalisme n’ont pas de caractère de classe et n’en auront jamais. Connolly finit par un appel à l’unité, pas en tant que nation, mais en tant que classe. Il n’appelle pas à la libération de la bourgeoisie irlandaise, mais à celle de la classe ouvrière. Les ouvriers n’ont pas de patrie, mais une lutte. Les mots de Connolly sonnent aussi vrai aujourd’hui qu’ils l’ont été à l’époque.
Libérons l’Irlande !
Peu importe une telle base, le matérialiste pense au travail et aux salaires, à des maisons propres, ou à des vies sans l’ombre de la pauvreté.
Libérons l’Irlande !
Le propriétaire foncier ; n’est-il pas aussi un Irlandais, et pourquoi devrions-nous le haïr ? Ah non, ne parlons pas durement de notre frère - ouais, même quand il augmente notre loyer.
Libérons l’Irlande !
Le capitaliste profiteur, qui nous vole les trois-quarts de notre labeur, qui suce la moelle même de nos os quand nous sommes jeunes, et nous jette ensuite à la rue, comme un outil usagé, quand nous avons vieilli prématurément à son service, n’est-il pas Irlandais, et peut-être patriote, alors pourquoi devrions-nous être sévères à son égard ?
Libérons l’Irlande !
“Le pays qui nous nourrit et nous porte.” Et le propriétaire foncier qui nous fait payer la permission d’y vivre.
Vive la liberté !
”Libérons l’Irlande”, dit le patriote qui ne touche pas au socialisme.
Rejoignons-nous tous ensemble et écrasons le brutal Saxon. Rejoignons-nous tous ensemble, dit-il, toutes classes et croyances confondues.
Et, dit l’ouvrier de la ville, après avoir écrasé le Saxon et libéré l’Irlande, que ferons-nous ?
Oh, vous retournerez ensuite dans vos taudis, comme avant.
Et vive la liberté !
Et, disent les ouvriers agricoles, après avoir libéré l’Irlande, quoi ensuite ?
Oh, alors vous pourrez aller grapiller les restes de la rente du propriétaire foncier ou tâter de l’intérêt des usuriers comme avant.
Vive la liberté !
Après que l’Irlande soit libre, dit le patriote qui ne touche pas au socialisme, nous protégerons toutes les classes et, si vous ne payez pas le loyer, vous serez éjecté tout comme avant. Mais ceux qui vous expulsent, sous la houlette du shérif, porteront les uniformes verts et la Harpe sous la Couronne, et l’officier qui vous jettera à la rue sera estampillé des armes de la République irlandaise. Alors, ne vaut-il pas le coup de se battre pour cela ?
Et quand vous ne trouverez pas de travail et, renonçant à la lutte pour une vie de désespoir, vous entrerez à l’asile des pauvres, la fanfare du régiment le plus proche vous escortera jusqu’à la porte au son du “St. Patrick’s Day” (1).
Oh, qu’il fera bon vivre dans ces jours-là !
“Avec le Drapeau Vert flottant au-dessus de nous” et une armée toujours grandissante de chômeurs marchant sous le Drapeau Vert, espérant qu’il y ait quelque chose à manger. Tout comme maintenant !
Oh, qu’il fera bon vivre dans ces jours-là !
Et vive la liberté !
Maintenant, mes amis, je suis aussi Irlandais, mais je suis un peu plus logique. Le capitaliste, dis-je, est un parasite de l’industrie, aussi inutile au stade présent de notre développement industriel qu’un autre parasite dans le monde végétal ou animal l’est pour la vie d’un animal ou d’un végétal sur lequel il se nourrit. La classe ouvrière est la victime de ce parasite – de cette sangsue humaine, et c’est le devoir et l’intérêt de la classe ouvrière d’utiliser tous les moyens en son pouvoir pour évincer ce parasite de classe de la position qui lui permet de faire sa proie des forces vitales du Travail.
Aussi, dis-je, organisons-nous en tant que classe pour rencontrer nos maîtres et détruire leur pouvoir ; organisons-nous pour les chasser de la position qu’ils détiennent sur la vie publique grâce à leur pouvoir politique ; organisons-nous pour arracher à leurs griffes de voleurs la terre et les usines où ils nous réduisent en esclavage ; organisons-nous pour laver notre vie sociale des tâches du cannibalisme social, de la prédation de l’homme sur son camarade humain.
Organisons-nous pour une vie pleine, libre et heureuse POUR TOUS OU POUR PERSONNE.
James Connolly
Cette série s’est donnée pour but de démontrer que les membres de la Gauche communiste et les anarchistes internationalistes ont le devoir de discuter et même de collaborer. La raison en est simple. Nous partageons au-delà de nos divergences, parfois importantes, les positions révolutionnaires essentielles : l’internationalisme, le rejet de toute collaboration et de tout compromis avec des forces politiques bourgeoises, la défense de “la prise en main des luttes par les ouvriers eux-mêmes”…(1)
Malgré cette évidence, depuis longtemps, les relations entre ces deux courants révolutionnaires ont été presque inexistantes. Nous commençons juste à voir depuis quelques années l’ébauche d’un débat et d’une collaboration. C’est le fruit de la douloureuse histoire du mouvement ouvrier. L’attitude de la majorité du Parti bolchevik dans les années 1918-1924 (l’interdiction de toute presse anarchiste sans distinction, l’affrontement à l’armée de Makhno, l’écrasement dans le sang des marins insurgés de Cronstadt…) a creusé un fossé entre les révolutionnaires marxistes et anarchistes. Mais surtout, le stalinisme, qui a massacré des milliers d’anarchistes (2) au nom du “communisme ”, a causé un véritable traumatisme pour des décennies (3).
Aujourd’hui encore, il existe de part et d’autre certaines craintes à débattre et à collaborer. Pour dépasser ces difficultés, il faut être persuadé d’appartenir bel et bien au même camp, celui de la révolution et du prolétariat, malgré les divergences. Mais cela ne peut suffire. Nous devons aussi faire un effort conscient pour cultiver la qualité de nos débats. “S’élever de l’abstrait au concret” est toujours l’étape la plus périlleuse. C’est pourquoi, par cet article, le CCI tient à préciser avec quel état d’esprit il aborde cette possible, et nécessaire, relation de la Gauche communiste et de l’anarchisme internationaliste.
Notre presse a maintes fois répété, sous différentes formes, l’affirmation suivant laquelle l’anarchisme portait la marque originelle de l’idéologie petite-bourgeoise. Cette critique, effectivement radicale, est souvent jugée comme inacceptable par les militants anarchistes, y compris les plus ouverts habituellement à la discussion. Et aujourd’hui encore, une nouvelle fois, ce qualificatif de “petit-bourgeois” accolé au mot “anarchisme” suffit à certains pour ne plus vouloir entendre parler du CCI. Récemment, sur notre forum Internet, un participant qui se réclame de l’anarchisme a même qualifié cette critique de véritable “injure”. Tel n’est pas notre point de vue.
Aussi profonds que soient nos désaccords réciproques, ils ne doivent pas nous faire perdre de vue que les militants de la Gauche communiste et ceux de l’anarchisme internationaliste débattent entre révolutionnaires. D’ailleurs, les anarchistes internationalistes adressent eux-aussi de nombreuses critiques au marxisme, à commencer par ses prétendus penchants naturels pour l’autoritarisme et le réformisme. Le site de la CNT-AIT en France, par exemple, contient de multiples passages de ce genre :
“Les marxistes devenaient progressivement [à partir de 1871] les endormeurs des exploités et signaient l’acte de naissance du réformisme ouvrier” (4).
“Le marxisme est responsable de l’orientation de la classe ouvrière vers l’action parlementaire […]. C’est seulement quand on aura compris cela que l’on verra que la voie de la libération sociale nous conduit vers la terre heureuse de l’anarchisme, en passant bien au-dessus du marxisme” (5).
Il ne s’agit pas là “d’injures” mais de critiques radicales… avec lesquelles nous sommes évidemment en total désaccord ! C’est aussi dans le sens de la critique ouverte que doit être considérée notre analyse de la nature de l’anarchisme. Cette analyse mérite d’ailleurs d’être rappelée ici en quelques mots. Dans un chapitre intitulé “Le noyau petit-bourgeois de l’anarchisme”, nous écrivions en 1994 : “Le développement de l’anarchisme dans la seconde moitié du xixe siècle était le produit de la résistance des couches petites-bourgeoises (artisans, commerçants, petits paysans) à la marche triomphante du capital, résistance au processus de prolétarisation qui les privait de leur “indépendance” sociale passée. Plus fort dans les pays où le capital industriel s’est développé tardivement, à la périphérie orientale et méridionale de l’Europe, il exprimait à la fois la rébellion de ces couches contre le capitalisme, et leur incapacité à voir plus loin que celui-ci, vers le futur communiste ; au contraire, il énonçait leur désir de retour à un passé semi-mythique de communautés locales libres et de producteurs strictement indépendants, débarrassés de l’oppression du capital industriel et de l’Etat bourgeois centralisé. Le “père” de l’anarchisme, Pierre-Joseph Proudhon, était l’incarnation classique de cette attitude, avec sa haine féroce non seulement envers l’Etat et les grands capitalistes, mais envers le collectivisme sous toutes ses formes, y compris envers les syndicats, les grèves et les expressions similaires de la collectivité de la classe ouvrière. A l’encontre de toutes les tendances profondes qui se développaient au sein de la société capitaliste, l’idéal de Proudhon était une société “mutualiste”, fondée sur la production artisanale individuelle, liée par le libre-échange et le libre-crédit” (6).
Ou encore, dans “Anarchisme et communisme”, daté de 2001 : “Dans la genèse de l’anarchisme, c’est le point de vue de l’ouvrier fraîchement prolétarisé et qui refuse de toutes ses fibres cette prolétarisation qui s’exprime. Issus récemment de la paysannerie ou de l’artisanat, souvent mi-ouvrier et mi-artisan (comme les horlogers du Jura suisse, par exemple), ces ouvriers exprimaient le regret du passé face au drame que constituait pour eux la chute dans la condition ouvrière. Leurs aspirations sociales consistaient à vouloir faire tourner la roue de l’histoire en arrière. Au centre de cette conception il y a la nostalgie de la petite propriété. C’est pourquoi, à la suite de Marx, nous analysons l’anarchisme comme l’expression de la pénétration de l’idéologie petite-bourgeoise au sein du prolétariat” (7).
Autrement dit, nous reconnaissons que, dès sa naissance, l’anarchisme est marqué par un profond sentiment de révolte contre la barbarie de l’exploitation capitaliste mais qu’il hérite aussi de la vision des “artisans, commerçants, petits paysans” qui l’ont constitué à sa naissance. Cela ne signifie absolument pas qu’aujourd’hui, tous les groupes anarchistes sont “petits-bourgeois”. Il est évident que la CNT-AIT, le KRAS (8) et d’autres sont animés du souffle révolutionnaire de la classe ouvrière. Plus largement, tout au long du xixe siècle et du xxe, de nombreux ouvriers ont épousé la cause anarchiste et ont lutté réellement pour l’abolition du capitalisme et l’avènement du communisme, de Louise Michel à Durruti en passant, entre autres, par Voline ou Malatesta. Lors de la vague révolutionnaire de 1917, une partie des anarchistes a même formé, dans les rangs ouvriers, des bataillons parmi les plus combatifs.
Il y a depuis toujours, au sein de la mouvance anarchiste, une bataille contre cette tendance originelle à être influencée par l’idéologie de la petite-bourgeoisie radicalisée. C’est en partie ce que recouvrent les profondes divergences entre les anarchistes individualistes, mutualistes, réformistes, communistes-nationalistes et communistes-internationalistes (seuls ces derniers appartenant réellement au camp révolutionnaire). Mais, même les anarchistes internationalistes subissent l’influence des racines historiques de leur mouvance. Telle est la cause de leur tendance à remplacer la “lutte de la classe ouvrière” par la “résistance populaire autonome”, par exemple.
Pour le CCI, il est donc de sa responsabilité d’exposer honnêtement, à la lumière du jour, tous ces désaccords, afin de contribuer de son mieux au renforcement général du camp révolutionnaire. Tout comme il est de la responsabilité des anarchistes internationalistes de continuer d’exprimer leurs critiques envers le marxisme. Cela ne doit en rien constituer un obstacle à la tenue fraternelle de nos débats ou être un frein à d’éventuelles collaborations, au contraire (9).
Toutes ces critiques, le CCI ne les adresse pas aux anarchistes tel un maître corrigeant son élève. Des interventions sur notre forum ont pourtant reproché à notre organisation son ton “professoral”. Au-delà du goût pour tel ou tel style littéraire, il se cache derrière ces remarques une véritable question théorique. Le CCI envers la CNT-AIT, et, plus généralement, la Gauche communiste envers l’anarchisme internationaliste ont-ils un rôle de “guide” ou de “modèle” ? Pensons-nous être une minorité éclairée devant insuffler la vérité, la bonne conscience ?
Une telle conception serait en totale contradiction avec la tradition même de la Gauche communiste. Et elle renvoie plus profondément encore au lien qui unit les révolutionnaires communistes à leur classe.
Marx affirme, dans les Annales franco-allemandes : “Nous ne nous présentons pas au monde en doctrinaires armés d’un nouveau principe : voici la vérité, agenouille-toi! Nous développons pour le monde des principes nouveaux que nous tirons des principes mêmes du monde. Nous ne lui disons pas : “renonce à tes luttes, ce sont des enfantillages ; c’est à nous de te faire entendre la vraie devise du combat”. Tout ce que nous faisons, c’est montrer au monde pourquoi il lutte en réalité ” (10).
Les révolutionnaires, marxistes ou anarchistes internationalistes, ne sont pas au-dessus de la classe ouvrière, ils en font intégralement partie, ils sont unis à elle par mille liens. Leur organisation est la sécrétion collective du prolétariat.
Jamais donc le CCI ne s’est considéré comme une organisation ayant la vocation d’imposer son point de vue à la classe ouvrière ou aux autres groupes révolutionnaires. Nous faisons pleinement nôtres ces lignes du Manifeste communiste de 1848 : “Les communistes ne forment pas un parti distinct opposé aux autres partis ouvriers. Ils n’ont point d’intérêts qui les séparent de l’ensemble du prolétariat. Ils n’établissent pas de principes particuliers sur lesquels ils voudraient modeler le mouvement ouvrier.” C’est ce même principe que Bilan, organe de la Gauche communiste italienne, fait vivre lors de la parution de son premier numéro en 1933 : “Certes, notre fraction se réclame d’un long passé politique, d’une tradition profonde dans le mouvement italien et international, d’un ensemble de positions politiques fondamentales. Mais elle n’entend pas se prévaloir de ses précédents politiques pour demander des adhésions aux solutions qu’elle préconise pour la situation actuelle. Bien au contraire, elle convie les révolutionnaires à soumettre à la vérification des événements les positions qu’elle défend actuellement aussi bien que les positions politiques contenues dans ses documents de base.”
Depuis sa naissance, notre organisation essaye de cultiver ce même état d’esprit d’ouverture et cette même volonté de débattre. Ainsi, dès 1977, nous écrivions :
“Dans nos rapports avec [les autres groupes révolutionnaires], proches du CCI mais extérieurs, notre but est clair. Nous essayons d’établir une discussion fraternelle et approfondie des différentes questions affrontées par la classe ouvrière.
“Nous ne pourrons réellement assumer notre fonction (…) à leur égard que si nous sommes en même temps capables :
– de nous garder de considérer que nous sommes le seul et unique groupement révolutionnaire existant aujourd’hui ;
– de défendre face à eux nos positions avec fermeté ;
– de conserver à leur égard une attitude ouverte à la discussion, laquelle doit se mener publiquement et non à travers des échanges confidentiels” (11).
Il s’agit là pour nous d’une règle de conduite. Nous sommes convaincus de la validité de nos positions (tout en étant ouverts à une critique raisonnée), mais nous ne les prenons pas comme “la solution aux problèmes du monde”. Il s’agit pour nous d’un apport au combat collectif de la classe ouvrière. C’est pourquoi nous attachons une importance toute particulière à la culture du débat. En 2007, le CCI a même consacré tout un texte d’orientation à cette seule question : “La culture du débat : une arme de la lutte de classe”. Nous y affirmions : “Si les organisations révolutionnaires veulent remplir leur rôle fondamental de développement et d’extension de la conscience de classe, la culture d’une discussion collective, internationale, fraternelle et publique est absolument essentielle” (12).
Pour autant, le lecteur attentif aura remarqué que toutes ces citations contiennent, en plus de l’idée de la nécessité de débattre, l’affirmation que le CCI doit aussi défendre fermement ses positions politiques. Il ne s’agit pas là d’une contradiction. Vouloir discuter ouvertement ne signifie pas croire que toutes les idées sont égales, que toutes les positions se valent. Comme nous le soulignions dans notre texte de 1977 : “Loin de s’exclure, fermeté sur les principes et ouverture dans l’attitude vont de pair : nous n’avons pas peur de discuter précisément parce que nous sommes convaincus de la validité de nos positions.”
Dans le passé comme à l’avenir, le mouvement ouvrier a eu et aura besoin de débats francs, ouverts et fraternels entre ses différentes tendances révolutionnaires. Cette multiplicité des points de vue et des approches sera une richesse et un apport indispensables à la lutte du prolétariat et au développement de sa conscience. Nous nous répétons, mais à l’intérieur du territoire commun des révolutionnaires, il peut y avoir de profondes divergences. Celles-ci doivent absolument s’exprimer et être débattues. Nous ne demandons pas aux anarchistes internationalistes qu’ils renoncent à leurs propres critères ni à ce qu’ils considèrent être leur patrimoine théorique. Au contraire, nous souhaitons vivement qu’ils les exposent avec clarté, en réponse aux questions qui se posent à tous, qu’ils acceptent la critique et la polémique de la même façon que nous ne considérons pas nos positions comme “le dernier mot”, mais comme une contribution ouverte à des arguments contradictoires. Nous ne disons pas à ces camarades : “rendez vos armes face à la supériorité proclamée du marxisme”.
Nous respectons profondément la nature révolutionnaire des anarchistes internationalistes, nous savons que nous combattrons côte à côte quand les mouvements de luttes massifs se feront jour. Mais nous défendrons aussi fermement, de façon convaincue (et, nous l’espérons, convaincante), nos positions sur la Révolution russe et le Parti bolchevique, la centralisation, la période de transition, la décadence du capitalisme, le rôle anti-ouvrier du syndicalisme… Ce n’est pas là nous poser dans un rapport de maître à élève ou espérer convertir quelques anarchistes pour les happer dans nos rangs mais participer pleinement au débat nécessaire entre les révolutionnaires.
Comme vous le voyez, camarades, ce débat risque fort d’être animé… et passionnant !
*
Pour conclure cette série de trois articles sur “La Gauche communiste et l’anarchisme internationaliste”, nous finirons par ces quelques mots de Malatesta :
“Si nous, anarchistes, pouvions faire la révolution tout seuls, ou bien si les socialistes (13) pouvaient la faire tout seuls, on pourrait se payer le luxe d’agir chacun de son côté, et peut-être d’en venir aux mains. Mais la révolution, c’est le prolétariat tout entier qui la fera, le peuple tout entier, dont les socialistes et les anarchistes ne sont numériquement qu’une minorité, même si le peuple semble avoir beaucoup de sympathie pour les uns et pour les autres. Nous diviser, même là où nous pouvons être unis, ce serait diviser le prolétariat, ou plus exactement, refroidir ses sympathies et le rendre moins enclin à suivre cette noble orientation socialiste commune, qu’ensemble les socialistes et les anarchistes pourraient faire triompher au sein de la révolution. C’est aux révolutionnaires d’y veiller, et particulièrement aux socialistes et aux anarchistes, en n’accentuant pas leurs motifs de dissensions et surtout en s’occupant des faits et des buts qui peuvent les unir et leur faire atteindre le plus grand résultat révolutionnaire possible” (Volontà, 1er mai 1920).
CCI, septembre 2010
1) Voir la première partie de cette série : “Ce que nous avons en commun [15] ”.
2) Comme des milliers de marxistes et des millions de prolétaires en général, d’ailleurs.
3) Lire la deuxième partie de cette série “Sur nos difficultés à débattre et comment les dépasser [16]”.
4) cnt-ait.info.
5) Il s’agit là plus précisément d’une citation de Rudolf Rocker que la CNT-AIT reprend à son compte.
6) In “Le communisme n’est pas un bel idéal, mais une nécessite matérielle [10 [17]e [17] partie] [17]”.
7) https://fr.internationalism.org/rinte102/anar.htm [18]
8) Il s’agit de la section en Russie de l’AIT avec qui nous entretenons de très bonnes relations de camaraderie et dont nous avons publié plusieurs prises de position dans notre presse.
9) Cela dit, au cours du débat qui a eu lieu ces derniers mois, des camarades (compagnons) anarchistes ont à juste titre protesté contre des formules outrancières prononçant une sentence définitive et injustifiée à l’égard de l’anarchisme. En nous replongeant à nouveau dans certains de nos anciens textes, nous avons trouvé à notre tour des passages que nous n’écririons plus aujourd’hui. Par exemple :
– “Des éléments ouvriers peuvent penser adhérer à la révolution à partir de l’anarchisme, mais pour adhérer à un programme révolutionnaire il faut rompre avec l’anarchisme” (https://fr.internationalism.org/rinte102/anar.htm [18]).
– “C’est pour cela que le prolétariat doit se détourner résolument de ces marchands d’illusions que sont les anarchistes” (https://fr.internationalism.org/ri321/anarchisme.htm [19]).
– Notre article “Anarchisme et communisme”, qui pourtant décortique méticuleusement la lutte des “Amis de Durruti” au sein de la CNT dans l’Espagne des années 1930, caricature au détour d’une phrase la vision de l’anarchisme qu’a le CCI en affirmant qu’il n’y avait plus “une flamme révolutionnaire” en 1936 au sein de la CNT. Notre série d’articles plus récents sur l’anarcho-syndicalisme, tout en dénonçant à nouveau l’intégration de la direction de la CNT aux rouages de l’État et sa contribution au désarmement politique des ouvriers anarchistes (ce qui a facilité le travail d’assassins du stalinisme), a montré à quel point la situation était complexe. Il y a eu au sein de la CNT, au niveau international, de vrais combats pour défendre des positions authentiquement prolétariennes et contre la trahison que constituait l’intégration de cette organisation à l’État espagnol (lire notre série [20] sur le syndicalisme révolutionnaire:).
10) Cité par Franz Mehring dans sa biographie de K. Marx.
11) In “Les groupes politiques prolétariens”, Revue internationale no 11, 4e trimestre 1977.
12) Cet article est disponible sur notre site Internet à l’adresse suivante : https://fr.internationalism.org/rint131/la_culture_du_debat_une_arme_de_la_lutte_de_classe.html [21]
13) Au moment où Malatesta écrit cet article, le Parti socialiste italien regroupe encore, à côté des réformistes, les éléments révolutionnaires qui vont fonder le PCI en janvier 1921 au Congrès de Livourne.
Links
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/pdf/RI_416.pdf
[2] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/crise-economique
[3] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/36/france
[4] https://fr.internationalism.org/en/tag/situations-territoriales/vie-bourgeoisie-france
[5] http://www.europe1.fr/France
[6] https://fr.internationalism.org/en/tag/situations-territoriales/situation-sociale-france
[7] https://www.ladepeche.fr/article/2010/09/15/907195-baisser-son-salaire-pour-garder-son-emploi.html
[8] http://www.20minutes.fr/article/585649/Economie-Les-salaries-de-General-Motors-Strasbourg-approuvent-le-plan-de-reprise.php
[9] http://www.20minutes.fr/article/585711/Economie-Travailler-plus-et-renoncer-a-ses-RTT-permet-rarement-de-sauver-son-emploi.php
[10] https://fr.internationalism.org/en/tag/situations-territoriales/lutte-classe-france
[11] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/gauche-communiste
[12] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/reunions-publiques
[13] http://www.revleft.com
[14] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/44/irlande
[15] https://fr.internationalism.org/ri414/gauche_communiste_et_anarchisme_internationaliste_ce_que_nous_avons_en_commun.html
[16] https://fr.internationalism.org/content/gauche-communiste-et-anarchisme-internationaliste-2eme-partie-nos-difficultes-a-debattre-et
[17] https://fr.internationalism.org/rinte79/comm.htm
[18] https://fr.internationalism.org/rinte102/anar.htm
[19] https://fr.internationalism.org/ri321/anarchisme.htm
[20] https://fr.internationalism.org/tag/approfondir/syndicalisme-revolutionnaire
[21] https://fr.internationalism.org/rint131/la_culture_du_debat_une_arme_de_la_lutte_de_classe.html
[22] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/lanarchisme-internationaliste