La situation est de plus en plus insoutenable. La crise économique frappe de plein fouet. Les tentes pullulent le long du périphérique parisien, la pauvreté explose, les associations caritatives sont débordées. Aujourd’hui, ce sont des familles entières, des travailleurs, des retraités qui se nourrissent à la soupe populaire. Et demain risque d’être encore plus noir. De nouvelles attaques orchestrées par l’Etat nous attendent. Aux licenciements et aux fermetures d’usines dans le privé font écho des dizaines de milliers de suppressions de postes dans le public. Partout les conditions de travail se dégradent. Une attaque symbolise à elle seule ces ravages qui touchent tous les secteurs de la classe ouvrière : la «réforme » des retraites. Nous ne savons pas encore exactement ce que la sainte trinité Etat-Patrons-Syndicats va nous concocter pour la rentrée de septembre mais une chose est d’ores et déjà certaine, tout va être fait pour diminuer considérablement les pensions. Jamais depuis les années 1930, la classe ouvrière n’avait été frappée aussi durement.
Face à cette situation dramatique, la colère est grande au sein du prolétariat. Il n’y a plus guère d’illusions sur l’avenir que réserve le capitalisme : une misère croissante, dans tous les pays, quelle que soit la couleur politique des gouvernements. L’abstention importante aux dernières élections régionales en est l’une des manifestations1. Les ouvriers ont bien conscience qu’en l’absence d’une lutte de grande ampleur, le capital va continuer d’asséner ses coups sans répit. Et pourtant, en France2, s’il y a de très nombreuses petites grèves, aucun mouvement d’ampleur ne se dégage. Pourquoi ? Parce que les syndicats font bien leur boulot ! Depuis le mouvement des étudiants contre le CPE, en 2006, qui avait fait trembler la bourgeoisie, les syndicats n’ont de cesse d’organiser des journées d’actions toutes plus stériles les unes que les autres. Officiellement, les syndicats clament œuvrer à l’unité de la lutte ouvrière. Mais sur le terrain, ils réalisent en réalité un véritable travail de sape. Prenons un seul exemple : la dernière journée d’action du 23 mars. Ce jour-là, cinq des principales confédérations (CFDT, CGT, SUD, FSU et UNSA) ont lancé un appel commun, public-privé, “pour la défense de l’emploi, du pouvoir d’achat et des retraites.” Mais en coulisse s’est jouée une toute autre partition. Les jours précédents, les syndicats ont en effet multiplié les manifestations sectorielles : la Justice (le 9 mars) puis la Protection Judiciaire de la Jeunesse (le 11 mars), les hôpitaux de Paris (où les salariés ont occupé le siège de leur direction le 11 et le 12), l’Education Nationale3 (le 12 et le 18 mars), les sans-papiers (le 18 mars aussi mais pas au même endroit), la Poste (le 19 mars)… Et pour enfoncer le clou, le jour de la «grande journée d’action unitaire » du 23, les syndicats ont organisé de multiples rassemblement à Paris : outre le cortège principal qui avait rendez-vous à 14h à République, Force Ouvrière a défilé séparément à 10h place Vauban, à la même heure une AG interprofessionnelle s’est tenue à la Bourse du Travail, les IUFM4 ont eu quant à eux “leur” propre AG à 12h aux Batignolles, les infirmières de l’EN ont défilé séparément à 13h, une AG spécifique aux enseignants s’est tenue à 18h, elle aussi à la Bourse du travail… Sous la bannière “Unité”, la journée du 23 mars fut donc une véritable caricature de la division syndicale !5
Dans les entreprises, les syndicats oeuvrent là-aussi jour après jour pour que jamais les luttes ne convergent. Lorsqu’une grève éclate, ils se gardent bien de proposer aux ouvriers en lutte d’aller massivement se rendre aux usines ou aux administrations voisines. Et si jamais cette idée vient spontanément à l’esprit des grévistes, ils s’empressent de la remplacer par une rencontre entre quelques chefs syndicaux et rédiger une belle mais platonique déclaration de soutien.
Ce sale boulot est d’ailleurs de plus en plus visible. La bourgeoisie la plus éclairée sent bien le danger d’une prise de conscience progressive du rôle profondément anti-ouvrier des syndicats. Des journaux commencent à tirer la sonnette d’alarme et à prévenir des risques de “débordement”. Le Monde diplomatique de mars finit ainsi l’un de ses articles : “Gageons que, pour calmer un peu le populo mécontent, les syndicats les plus institutionnels, faisant désormais partie, aux côtés de la droite et de la ‘gauche’ social-démocrate, d’un bloc de pouvoir unifié de fait […], organiseront quelques innocentes marches […] entre République et Nation […]. Il est cependant possible que l’option ‘promenade urbaine’ ne soit plus suffisante et que le populo […] finisse par trouver qu’il en a également assez de se sentir promené.” Avec la crise économique qui va encore s’aggraver et jeter à la rue des dizaines de milliers d’ouvriers et la ‘réforme’ des retraites qui est ostensiblement une attaque de TOUTE la classe ouvrière, les syndicats ne vont pas pouvoir continuer longtemps à éviter des manifestations relativement massives. Ils vont donc devoir changer de tactique. Probablement, ils vont nous faire le coup du “Tous dans la rue derrière les syndicats” pour soi-disant construire un rapport de force qui leur permettrait de mieux “négocier” les réformes. Il ne faudra pas ici se laisser berner. Quels que soient les masques qu’ils portent, ceux de la conciliation ou de la radicalité, du corporatisme ou de “l’unité interprofessionnelle”, les syndicats mènent toujours volontairement les ouvriers à la défaite. En décembre 1995, visiblement tous ‘unis et combatifs’ contre le plan Juppé, ils avaient crié victoire pour mieux laisser passer dans les mois qui ont suivi toutes les attaques que contenait ce même plan (en particulier celle qui lançait la casse de la Sécurité sociale). Au printemps 2003, sous ce même drapeau de l’union et de la combativité, ils ont en fait orchestré l’isolement et l’épuisement des ouvriers du secteur le plus décidé alors à lutter : les travailleurs de l’EN. En effet, en 2003, la bourgeoisie a mené simultanément deux attaques de front : une attaque générale contre les fonctionnaires (réforme des retraites) et une plus spécifique à l’EN (réforme des statuts des personnels administratifs ATOS). Les syndicats ont mobilisé les personnels de l’EN sur la question de cette attaque spécifique, les laissant ainsi se battre seuls pendant des mois. Lorsque, au printemps, la réforme des retraites a jeté dans la rue des centaines de milliers de fonctionnaires, l’attaque sur les ATOS a été retirée, entraînant de fait une démobilisation des enseignants, épuisés et à bout financièrement. La précedente réforme des retraites est alors passée et la bourgeoisie, grâce aux syndicats, a fait passer son message : “ce n’est pas la rue qui gouverne”6. Il est d’ailleurs tout à fait possible que ce piège soit à nouveau tendu dans les mois à venir. Pour faire passer la nouvelle réforme de retraites, le gouvernement va peut-être reculer un peu, au moment propice de l’éventuelle mobilisation, sur les suppressions de postes d’enseignants ou de surveillants à l’EN ou d’infirmières dans les hôpitaux.
Les syndicats sont les chiens de garde du capital. Ils sabotent les luttes, divisent, distillent le poison du corporatisme de l’intérieur. Pour faire face aux attaques, il faut que les ouvriers prennent en main leurs luttes, de façon autonome, qu’ils s’organisent en tant que classe, qu’ils tissent des liens au-delà des secteurs et des corporations, public-privé, chômeurs-travailleurs-retraités… Pour cela, lors des manifestations, il ne faut pas rester sous des banderoles à défiler entre collègues de la même boîte mais débattre, organiser des AG spontanées et ouvertes à tous, en fin de manifestation. Quand, sur un lieu de travail, une grève éclate, l’AG ne doit pas être aux mains des représentants syndicaux mais des travailleurs ; les mots d’ordre et d’action doivent s’y décider collectivement ; les représentants chargés de telle ou telle tâche doivent être mandatés et révocables à tout moment. Pour ne pas rester isolés, il faut aller chercher la solidarité en actes des autres travailleurs des usines ou des administrations voisines en allant à leur rencontre par délégations massives.
La lutte aux mains des syndicats mène toujours à la défaite !
Seule la lutte organisée par les ouvriers eux-mêmes permettra de développer la solidarité prolétarienne et de créer un rapport de force en faveur de notre classe !
Pawel (27 mars)
1) Lire notre article sur les élections régionales dans ce numéro.
2) Des luttes un peu plus importantes se déroulent en ce moment même en Grèce, Etats-Unis, Russie… Lire nos brèves sur “Les luttes dans le monde” dans ce numéro.
3) ‘EN’ dans la suite de l’article.
4) Institut universitaire de formation de maîtres.
5) Et le cirque va se poursuivre, car une nouvelle journée d’action est prévue le 30 mars pour… les infirmières !
6) Phrase lancée par l’ex-Premier ministre J.P. Raffarin à la fin du mouvement.
Un an et demi après la crise des subprimes, la classe ouvrière à l’échelle internationale reste encore sonnée et désemparée sous l’avalanche des coups que lui portent chaque bourgeoisie nationale et tous les gouvernements de gauche comme de droite. Elle n’est pourtant pas résignée ni restée sans réaction au cours de ces derniers mois comme en témoignent plusieurs luttes dont nous nous sommes fait l’écho dans de précédents articles : à la raffinerie de Lindsey en Grande-Bretagne, sur les chantiers navals de Vigo en Espagne ou à travers le combat des ouvriers de Tekel en Turquie[1]. Dans ces luttes, elle a démontré non seulement sa combativité mais aussi sa solidarité et sa capacité à contrer les campagnes idéologiques (en particulier xénophobes) de la classe dominante pour la diviser en unissant dans un même combat des ouvriers de différentes corporations, secteurs, ethnies ou nationalités. De même, il faut se souvenir que le soulèvement des jeunes prolétaires organisés en assemblées générales en décembre 2008 en Grèce a beaucoup effrayé la bourgeoisie, en lui faisant craindre la « contagion » de l’exemple grec aux autres pays européens parmi les jeunes générations scolarisées ; ce n’est pas un hasard si aujourd’hui encore les yeux de la bourgeoisie sont tournés vers les réactions des prolétaires en Grèce aux féroces plans d’austérité imposés par le gouvernement et les autres Etats de l’Union Européenne. Ces réactions ont encore valeur de test pour les autres Etats menacés par la faillite de leur économie nationale. D’ailleurs, l’annonce quasiment simultanée de plans similaires ont également précipité dans la rue pour manifester des dizaines de milliers de prolétaires en Espagne ou au Portugal. Cependant, même si les difficultés continuent à peser lourdement - notamment les plans de licenciements massifs qui ont contribué à accentuer le sentiment d’impuissance des travailleurs et à freiner les grèves et leur mobilisation - il se confirme aussi qu’un changement d’état d’esprit est en train de s’opérer. Partout dans le monde, l’exaspération et la colère s’approfondissent et se généralisent dans les rangs ouvriers. La bourgeoisie ne s’y trompe pas : elle organise un vaste black-out sur ces luttes qui se déroulent d’un bout à l’autre de la planète démontrant que nulle part, la classe ouvrière ne se résigne à son sort face à la misère et aux attaques grandissantes.
En Algérie[2], en Russie, au sein de la main-d’œuvre immigrée des Emirats surexploitée et privée de toute protection sociale, chez les prolétaires anglais comme pour les étudiants réduits à la misère dans l’ex-plus riche Etat de l’Amérique, la Californie, la situation actuelle témoigne d’un frémissement encourageant indiquant une tendance de fond vers la reprise de la lutte de classe à l’échelle internationale qui fournit les ingrédients pour l’explosion de luttes plus massives. C’est pour contribuer à rompre ce black-out - y compris sur les luttes en Grèce - que nous rapportons quelques exemples significatifs récents du développement de ce combat international de notre classe (lire page 3) et que nous encourageons nos lecteurs à nous envoyer sur notre site Web des informations que la bourgeoisie cherche à masquer sur les combats que mènent nos frères de classe.
En novembre-décembre 2008, la Grèce avait été secouée pendant plus d’un mois par un soulèvement social, mené principalement par la jeunesse prolétarienne, à la suite de l’assassinat par la police d’un jeune anarchiste. Cette année, les mesures d’austérité annoncées par le gouvernement socialiste menaçaient de déclencher une explosion non seulement parmi les étudiants et les chômeurs mais aussi parmi les bataillons principaux de la classe ouvrière.
Le gouvernement grec conduit par le PASOK (parti social-démocrate) élu l’an dernier avait annoncé le 3 mars un nouveau plan d’austérité, le troisième en trois mois.
Le précédent mouvement de grève générale le 24 février avait été largement suivi et une grève des fonctionnaires du gouvernement avait rassemblé autour de 40 000 manifestants, principalement dans le secteur public. Un grand nombre de retraités et de fonctionnaires avaient également manifesté le 3 mars dans le centre-ville d’Athènes.
Les événements qui ont suivi l’annonce des nouvelles attaques début mars ont montré encore plus clairement que le prolétariat était mobilisé : “Quelques heures seulement après l’annonce des nouvelles mesures, des travailleurs licenciés de l’Olympic Airways ont attaqué les brigades de la police anti-émeute gardant le siège de la compagnie et ont occupé le bâtiment, dans ce qu’ils appellent une occupation à durée indéterminée. L’action a conduit à la fermeture de la principale rue commerciale d’Athènes, pour de longues heures.” (blog sur libcom.org)
Dans les jours précédant la nouvelle grève générale du 11 mars, se produisirent une série de grèves et d’occupations : les travailleurs licenciés d’Olympic Airways ont occupé pendant 8 jours le siège de la Cour des Comptes tandis que les salariés de la compagnie d’électricité occupaient les agences pour l’emploi au nom du « droit des futurs chômeurs que nous sommes » selon l’un d’eux. Les ouvriers de l’Imprimerie nationale ont occupé leur lieu de travail et ont refusé d’imprimer les textes légaux des mesures d’économie au motif qu’avant que la loi ne soit imprimée, elle n’est pas valide... Les agents du fisc ont arrêté le travail pendant 48h, les salariés des auto-écoles dans le Nord de la Grèce ont effectué 3 jours de grève, alors que les juges et autres officiers de justice stoppaient toute activité pendant 4 h chaque jour. Aucune ordure n’a été ramassée pendant plusieurs jours à Athènes, à Patras et à Thessalonique car les éboueurs ont bloqué le les grands dépôts des trois grandes villes. Dans la ville de Komitini, les ouvriers du l’entreprise textile ENKLO ont mené un conflit social de plus en plus intense, avec des marches de protestation et des grèves : deux banques ont été occupés par les travailleurs.
Le climat de peur et de passivité qui tend à régner lorsque la crise économique a pris une tournure dramatique en 2008 commence à être remplacé par de l’indignation, et les travailleurs se demandent ouvertement : pourquoi devrions-nous payer pour la crise du capitalisme ? Le danger pour la bourgeoisie était que si cette combativité actuelle se poursuivait, les travailleurs risquaient de commencer à voir au-delà de ces “actions radicales” et de prendre leurs luttes en mains au-delà contrôles imposés par l’appareil syndical, en adoptant le modèle des “assemblées générales “ ouvertes et souveraines qui avait commencé à prendre forme en décembre 2008.
La bourgeoisie a pris les devants pour obscurcir cet enjeu et gommer cette expérience en détournant la colère et la combativité vers des impasses politiques et idéologiques en ne reprenant que les aspects les plus négatifs et superficiels des luttes de fin 2008 pour entraîner les ouvriers dans des actions faussement radicales qui ont évacué toutes les potentialités de prise en mains de la lutte et de solidarité ouvrières
Si la classe ouvrière se trouve beaucoup plus largement mobilisée que dans les luttes de novembre-décembre 2008, elle a reculé au profit de la bourgeoisie et de ses appareils d’encadrement idéologiques.
Le contrôle des partis et des syndicats a permis de détourner la colère dans des impasses et surtout de priver les ouvriers des assemblées générales ouvertes et le l’auto-organisation de la lutte qui faisaient la force du mouvement prolétarien de fin 2008. Ainsi les salariés d’Olympic Airways ne laissèrent entrer personne d’autre dans le bâtiment public qu’ils occupaient et les dirigeants syndicaux la firent évacuer sans la moindre décision d’une AG Quand d’autres ouvriers voulurent se rendre dans les locaux du Trésor public occupés par ceux de l’Imprimerie Nationale, ils furent sèchement refoulés sous prétexte “qu’ils n’appartenaient pas au ministère” !
La profonde colère des ouvriers en Grèce s’est exprimée contre le PASOK et les dirigeants syndicaux qui lui étaient inféodés. Le 5 mars, le leader de la GSEE, centrale syndicale du secteur privé, a été frappé à coups de poing après avoir été aspergé d’eau, de café et de yaourt alors qu’il tentait de prendre la parole devant la foule et a dû être secouru par la police anti-émeute et se réfugier dans le bâtiment du Parlement, sous les huées de la foule l’invitant ironiquement à aller où il est à sa place : dans le nid des voleurs, des assassins et des menteurs. C’’était la première fois qu’un leader syndical était attaqué lors d’une manif, à laquelle ce même syndicat avait appelé, et ce fait marque assurément le début d’une nouvelle ère dans l’histoire des syndicats en Grèce.
Mais la mise en avant du PC grec (KKE) et de son officine syndicale, le PAME est présentée comme une alternative “radicale” au PASOK tout en surfant sur une campagne pour focaliser la responsabilité de la crise sur les banquiers ou sur méfaits de l’économie “néo-libérale”.
En novembre-décembre 2008, le mouvement avait été largement spontané et souvent auto-organisé autour d’assemblées générales dans les écoles occupées et les universités. Le siège du Parti communiste (KKE), comme le siège de sa confédération syndicale du PAME avait été lui-même occupé, exprimant une claire méfiance envers les appareils syndicaux et les staliniens qui avaient dénoncé les jeunes manifestants à la fois comme des lumpen-prolétaires et des enfants gâtés de la bourgeoisie.
Mais aujourd’hui, le PC grec a montré qu’il est encore un instrument essentiel de la domination bourgeoise en se plaçant à l’avant-garde des grèves, manifestations et occupations les plus radicales aux côtés des gauchistes et des anarchistes. “Le matin du 5 mars, les travailleurs du PAME syndicat affilié au Parti communiste occupait le ministère des finances sur la place Syntagma ainsi que la mairie du district de Trikala. Plus tard, PAME a fait également occuper 4 émetteurs de TV dans la ville de Patra, et la station de télévision de l’Etat de Thessalonique, obligeant les radiodiffuseurs nouvelles à lire une déclaration contre les mesures gouvernementales.” d’après libcom.org: https://libcom.org/news/mass-strikes-greece-response-new-measures-04032010 [2]).
Beaucoup de grèves furent également prises à l’initiative du PC qui avait appelé dès le 3 mars à une « grève générale » et à une manifestation pour le 5, et dès le 4 dans d’autres villes. Le PAME intensifia ses actions spectaculaires, occupant tantôt le ministère des finances, tantôt investissant les locaux de la Bourse. Le PC grec et ses syndicats ont pu se présenter comme les grands instigateurs du mouvement.
Les plus récentes manifestations, notamment les 5 et 11 mars, ont été marquées par le fait que la bourgeoisie a favorisé le défoulement de la colère dans des affrontements stériles et sans perspective avec la police.
Mais ce brouillard idéologique est amené à se dissiper face à la réalité. Le 11 mars, toute la Grèce a été paralysée à 90% par le mouvement de colère de la population pour 24 h suite au second appel à la grève générale en moins d’un mois à l’appel des deux principaux syndicats. Au total, plus de 3 millions de personnes (sur une population totale de 11 millions) ont pris part à la grève générale En dépit de la campagne anti-grèves menée par les médias bourgeois, la manifestation du 11 mars a été la plus massivement suivie à Athènes depuis 15 ans et a montré la détermination de la classe ouvrière à riposter à l’offensive capitaliste
La crise est évidemment mondiale et partout les dirigeants appellent aux mêmes sacrifices pour sauver leur système moribond. En développant leur résistance à ces appels, les travailleurs dans tous les pays sont appelés à reconnaître leurs intérêts communs dans le conflit qui a commencé à s’exprimer massivement en Grèce.
W (27mars)
Des milliers de manifestants (3000 selon la police, 5000 selon les organisateurs) se sont rassemblés samedi 20 mars dans une cinquantaine de villes de Russie à l’appel de l’opposition, pour protester contre la politique économique du gouvernement de Vladimir Poutine et réclamer sa démission. Organisé par une kyrielle de partis politiques, de mouvements d’opposants et d’organisations de défense des droits de l’homme, encadré par le Parti communiste, le parti libéral « réformateur » Iabloko et le mouvement d’opposition Solidarnost, ce “jour de colère”, comme l’a baptisé l’opposition, a rassemblé notamment 1000 personnes à Saint-Pétersbourg, 1500 à Vladivostok, plusieurs milliers dans l’enclave de Kaliningrad. De nombreux participants demandaient la démission du gouvernement de Vladimir Poutine et voulaient que ce dernier soit reconnu coupable d’avoir fait considérablement baisser le niveau de vie. Le coup d’envoi de cette journée de protestation avait été donné en Extrême Orient, à Vladivostok, où plus de mille manifestants se sont réunis dans le centre-ville. Moscou, la manifestation, interdite, a quand même rassemblé 200 personnes dont 70 ont été interpelées par la police. Des manifestants ont aussi été interpellés dans les villes d’Arkhangelsk (Nord) et de Novossibirsk (Sibérie), selon le site du mouvement d’opposition Solidarité. Il y a eu également entre 500 et 700 personnes rassemblées pour une manifestation silencieuse à Kaliningrad, des masques chirurgicaux sur le visage, bien que les leaders de l’opposition aient un peu plus tôt décidé d’annuler le rassemblement et que la manifestation avait également été interdite. C’est d’ailleurs dans cette enclave au bord de la mer Baltique que les autorités russes s’étaient laissées surprendre en janvier par un mouvement similaire qui avait vu 10 000 personnes manifester, alors qu’une telle mobilisation est exceptionnelle en Russie.
La plupart des manifestants protestaient contre les difficultés de la vie quotidienne. La montée en flèche des prix et des factures depuis le Nouvel An a conduit les gens à sortir dans la rue et à braver la répression policière.
Les protestataires ont dressé une liste de revendications variées :
- la baisse des prix de l’électricité et du gaz qui ont grimpé en flèche alors que des milliards d’euros ont été débloqués pour soutenir l’industrie russe et ses patrons, touchés de plein fouet par la crise ;
- “Je suis venu car je suis inquiet. J’ai une petite retraite et je dois vivre avec”, a expliqué Ivan, 72 ans, un retraité qui faisait partie des mille personnes à manifester à Saint-Pétersbourg ;
- A Irkoutsk, ils étaient aussi un demi-millier à protester contre la décision approuvée par Vladimir Poutine de rouvrir une usine de fabrication de papier qui déversera ses déchets dans le lac Baïkal, plus grande réserve d’eau douce du monde ;
- A Vladivostock, outre des impôts trop élevés, c’est sur les taxes sur les voitures d’occasion étrangères que portaient les protestations. Ces taxes ont été augmentées en 2008 pour favoriser les constructeurs russes. Cette mesure inquiète les quelques 200 000 personnes de la région qui travaillent dans l’importation, la vente et la maintenance des modèles étrangers.
Les protestataires y brandissaient des pancartes proclamant “Non aux impôts !” ou “Assez de la protection accordée aux oligarques aux dépens du peuple !”.
Une banderole clamant “Poutine, tire-toi une balle dans la tête !” a dû être retirée à la demande d’un responsable local.
Les manifestants ont aussi demandé que le parti “Russie unie”, présidée par le Premier ministre, soit reconnu coupable d’avoir fait baisser le niveau de vie et d’avoir écarté le peuple des décisions sur l’avenir du pays.
“On ne peut pas respirer sous Poutine, rien ne marche, ni les médias, ni l’économie, ni la police.
Le pays se décompose”, a résumé une retraitée qui manifestait à Moscou.
La classe ouvrière en Russie, en se focalisant sur la personne réellement détestable de Poutine et en espérant trouver une alternative à travers l’autre fraction bourgeoise russe nommée “opposition”, témoigne de ses illusions démocratiques. Mais, en osant manifester, sous la menace de la répression, qui peut être sanglante, ces ouvriers révèle aussi et surtout l’ampleur de leur colère et de leur courage. Il s’agit d’un premier pas pour briser le carcan de fer qui les oppresse.
Le début du nouveau trimestre scolaire (4 mars) a été marqué, dans les universités en Californie et ailleurs aux Etats Unis, par une vague de protestations de la part des étudiants, des enseignants et des employés du secteur de l’éducation. En réalité, le mouvement avait déjà commencé l’année dernière à partir de septembre avec une série d’occupations des locaux sur les campus pour protester contre les plans d’austérité du gouvernement californien : ceux-ci prévoient des coupes de 1 milliard de dollars dans le financement du système universitaire (une réduction de 20% des subventions accordées par l’Etat californien par rapport à l’année dernière), ce à quoi les universités ont répondu par des augmentations des frais de scolarité de 32% et des réductions de salaire parmi le corps enseignant. Pour beaucoup d’étudiants, qui doivent cumuler plusieurs emplois pour financer leurs études et qui les terminent avec un fardeau écrasant de dettes pour pouvoir les rembourser, ces augmentations ont été la goutte d’eau qui a fait déborder la vase. De septembre à décembre des occupations, généralement très minoritaires, ont eu lieu à UCLA (Los Angeles), Berkeley (où plus de 2000 étudiants ont occupé le bâtiment principal, Wheeler Hall, pour exiger la suppression de la hausse de 32%, la réintégration de 38 gardiens congédiés, la démission du président de l’Université et qu’il n’y ait aucune sanction judiciaire, lorsque l’occupation aurait pris fin), Santa Cruz, Fresno et San Francisco State. Parti de la Californie, le mouvement a fait tâche d’huile en mars. Des manifestations ont eu lieu à travers une grande partie des Etats Unis : à Milwaukee, à Denver, à New York, dans le Maryland. A Chicago, des lycéens sont allés manifester devant le parlement de l’Etat d’Illinois. La Californie a également vu des manifestations d’enseignants des écoles publiques contre les licenciements imposés par le plan d’austérité.
Des milliers d’entreprises réalisent des profits annuels astronomiques, sur le dos de quatorze millions d’ouvriers qui travaillent nuit et jour, sans durée légale du travail, sans la moindre protection sociale, sans salaire minimum, dans des conditions aussi terribles qu’à l’aube du capitalisme. La police a attaqué le 27 février dernier un groupe de 150 travailleurs émigrés chinois de l’entreprise d’État China State Construction Engineering Corporation, en grève sauvage depuis la veille, qui avaient séquestré neuf de leurs cadres et contremaîtres pendant plusieurs heures près d’un site de construction à Zallaq, à 25 km au sud de la capitale Manama. Les grévistes protestaient contre les conditions de travail inhumaines, réclamaient des hausses de salaires dérisoires et le rapatriement en Chine des cadres séquestrés. Après six heures de négociations avec un diplomate chinois et le ministre de l’Intérieur de Bahreïn et un siège qui a duré plusieurs heures, ArabNews.com a annoncé que la police a fini par lancer l’assaut et a dévasté le baraquement leur servant de logement, libérant les cadres séquestrés tout en arrêtant 26 ouvriers, notamment ceux considérés comme les “meneurs”.
Malgré tous les efforts des syndicats comme de l’ensemble de la bourgeoisie pour les empêcher depuis la fin de l’année dernière, des grèves perlées ont commencé chez les hôtesses de l’air et les stewards de la compagnie British Airways contre les réductions d’effectifs (BA veut réduire le nombre de personnel à bord de tous les vols à long courrier). Plusieurs milliers d’entre eux étaient en grève le week-end du 20 mars. Quant au syndicat des cheminots RMT, il a été contraint sous la pression de la colère grandissante d’annoncer une grève nationale de quatre jours pour le week-end de Pâques – la première depuis 16 ans – contre un plan qui prévoit la suppression de 1500 postes chez Network Rail (le gestionnaire des voies ferrées).
1.) Lire notamment les articles suivants sur notre site Web : fr.internationalism.org :
-sur la lutte des ouvriers du bâtiment dans les raffineries de Lindsey : “Grèves en Angleterre : Les ouvriers du bâtiment au centre de la lutte [3]“ (publié également dans RI n°403, juillet-août 2009) ;
-sur la Turquie : “Solidarité avec la résistance des ouvriers de Tekel contre le gouvernement et les syndicats ! [4]“ ;
- sur l’Espagne : “A Vigo, l’action conjointe des chômeurs et des ouvriers des chantiers navals [5]” (publié dans RI n° 410, mars 2010).
2.) Lire l’article “En Algérie, le prolétariat exprime sa colère [6]”, RI n°409, février 2010.
Les dernières élections qui viennent de se dérouler en France ont été marquées, une fois de plus, par une abstention massive (53% des inscrits1 au premier tour, 49% au second tour). Ce record relève sans aucun doute de l’intérêt limité que les élections régionales représentent chez les électeurs potentiels2. Mais il n’y a pas que cela. Il existe de façon évidente une tendance grandissante à l’indifférence de la population pour le processus électoral. L’alternance gauche-droite a l’avantage pour la bourgeoisie de simuler un enjeu pour les échéances électorales, mais elle a aussi l’inconvénient de montrer, sur le terrain, que droite et gauche gèrent peu ou prou les affaires de la même façon. De fait, depuis trente ans que la gauche et la droite se succèdent au pouvoir ou y cohabitent dans un sens et dans l’autre, la condition ouvrière n’a fait que se dégrader toujours plus.
Il n’y a pas que la France qui subit cette érosion de la participation aux élections. Toutes les grandes démocraties du monde sont touchées. Il s’agit d’une réelle tendance historique. Quand les partis de gouvernement se décrédibilisent, il lui faut trouver le moyen de cultiver un certain attrait envers les élections. C’est donc afin d’essayer d’envoyer un maximum de gens dans les isoloirs que la gauche et les gauchistes, de concert avec le FN, ont entretenu l’idée centrale que l’enjeu de ces dernières élections régionales étaient d’adresser un “message fort” à Sarkozy. On a vu le résultat. Même la cible privilégiée des officines de gauche et d’extrême-gauche, les “classes populaires” et les “jeunes “se détournent le plus des urnes. Ces deux dimanches de mars, l’abstention moyenne dans les quartiers ouvriers a atteint les 70%, tandis que les trois-quarts des moins de 35 ans étaient “partis à la pêche”, selon l’expression consacrée, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas allés voter3. Le fait est que cette chute constante de la participation tient d’un phénomène de fond et est liée au sentiment, manifestement de plus en plus répandu, que les élections ne changent rien. Et il n’a pu être qu’avivé par la situation d’attaques et de tension sociale ouverte au sein de la classe ouvrière qui a prévalu toute la période d’avant et pendant ces élections.
Cet abstentionnisme est le produit d’un écoeurement généralisé envers les “politiques”, de droite comme de gauche, qui exhibent leurs magouilles, leur volonté d’aller à la soupe sans respect pour qui que ce soit et quoi que ce soit, etc., mais il est en même temps l’occasion de la part de ces mêmes politiques, quelle que soit leur couleur, pour culpabiliser la population et surtout la classe ouvrière. Cette pression récurrente et ce discours sont toujours aussi forts sur ceux qui font le choix de ne pas participer au cirque électoral. Combien s’entendent dire qu’ils n’ont pas le droit de critiquer, puisqu’ils ne sont pas allés voter ? Combien se voient montrer du doigt parce que si le Front national fait de si bons résultats, si le « danger fasciste » nous guette, c’est à cause d’eux ? Combien encore, lorsqu’ils se plaignent des attaques du gouvernement, s’entendent répondre : « La prochaine fois, va voter contre eux ! »
L’idéologie démocratique reste encore aujourd’hui extrêmement forte, et ne subit pas la même érosion que la participation électorale. Son message est simple, mais encore efficace : “On a le droit de ne plus croire en la politique, mais on n’a pas le droit de bafouer un droit fondamental, le droit de vote, qui symbolise le mieux le fait qu’on vit dans un pays où on peut encore s’exprimer librement ; il faut continuer malgré tout à aller voter pour défendre cette fragile liberté d’expression”. C’est ainsi que bon nombre d’abstentionnistes n’en sont pas encore à remettre en cause l’élection en tant que telle, mais simplement ceux qui s’y présentent. C’est d’ailleurs pour cela que la bourgeoisie modifie régulièrement les formules de ses élections, en ajoutant un peu de proportionnelle par exemple, ce qui permet l’apparition de nouvelles formations, moins marquées par une participation à des gouvernements passés. Si pour le moment, ces tentatives n’ont pas permis d’inverser la tendance à une chute de la participation, elles permettent de maintenir vivante l’idée que le principe électoral n’est pas mort et qu’il est même, malgré toutes ses faiblesses, le meilleur reflet des positions politiques de la population.
En étant promue emblème officiel de la démocratie, l’élection reste une arme centrale de l’emprise idéologique de la bourgeoisie, même sur les abstentionnistes. Au-delà de sa compréhension croissante de la futilité et de la stérilité du processus électoral, la classe ouvrière doit prendre conscience que c’est avant tout la question de la démocratie bourgeoise qui constitue un obstacle de premier ordre contre la pleine expression de sa force politique révolutionnaire.
GD (24 mars)
1) L’INSEE évalue à 90% les personnes en capacité de voter qui se sont inscrites sur les listes électorales.
2) Il relève aussi du retour de la droite française à son statut, qu’on nous annonçait un temps perdu avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy, de “droite la plus bête du monde”. Il est clair que la stratégie de la droite pour ces élections, celle des listes uniques (et donc sans réserve de voix) a été désastreuse et n’a pas permis une forte mobilisation de ce camp. Ce qui a été évidemment renforcé par l’abstention maintenue d’un tour à l’autre. La défaite de la droite est une vraie claque, qui va affaiblir l’autorité de l’Elysée et de Matignon. La bourgeoisie va devoir, face à la colère croissante de la classe ouvrière, compenser en mettant plus en avant ses syndicats et la gauche. Une gauche du coup bien embarrassée face à de telles responsabilités, engluée qu’elle est dans ses divisions et ses guerres de clans.
3) Source streetpress.com et lefigaro.fr
Fin février, la tempête qui a déferlé sur la Vendée et la Charente Maritime a fait 51 morts. La brutalité des inondations a été telle que de nombreuses personnes sont mortes noyées dans leur maison. Deux mois après le séisme en Haïti, au moment même où des centaines de gens mouraient au Chili, ce sont une fois de plus les « éléments naturels » qui étaient désignés comme les grands fautifs. Certains médias comme Libération dans son éditorial du 1er mars regrettait amèrement que, sur les côtes de l’Atlantique, “on” n’avait “manifestement pas assez mesuré la dureté de la mer”, mais que, heureusement, la population bénéficie “d’un Etat stable et compétent, qui prévient les aberrations architecturales”. C’est vraiment le moins qu’on puisse dire. Les territoires comme celui de la commune de La Faute-sur-Mer, qui a payé le plus lourd tribut en victimes, étaient interdits de construction depuis Napoléon, et pourtant de déréglementation en déréglementation, accordées par les pouvoirs publics régionaux et nationaux, les habitations ont poussé, comme des champignons, sachant que les digues, certaines vieilles de 200 ans (!), étaient insuffisantes et mal entretenues.
Dans une note datée d’octobre 2008, l’ancien chef du Service maritime et des risques de la Direction départementale de l’équipement (DDE), Stéphane Raison, rappelait que “sur le secteur littoral, la zone de l’estuaire du Lay (où se trouvent précisément les communes de La Faute-sur-Mer et de L’Aiguillon-sur-Mer, les plus frappées par la tempête) est la zone la plus dangereuse du département, le Lay étant un cours d’eau majeur drainant une surface représentant la moitié du département de la Vendée, exposée à des phénomènes marins extrêmes, amplifiés par l’effet de baie dans la baie de l’Aiguillon”. Il précise que “la commune de La Faute-sur-Mer (…) a été construite sur de vastes espaces gagnés sur la mer, ne tenant pas compte de la mémoire du risque (…). Plus de trois mille maisons sont construites derrière des digues en terre”.
Depuis 1986 existe la loi littoral, suite à la première inondation dans la région de Vaison-la-Romaine, les premiers « plans de prévention des risques » n’apparaissant qu’en 1995 après la deuxième catastrophe de Vaison-la-Romaine de septembre 1992. Et ce n’est pas le complément à cette loi littoral amené par la loi Bachelot en 2003, pour répondre à la tempête de 1999, qui aura fait changer quoi que ce soit. Au contraire, car la seule loi que connaissent l’Etat et la bourgeoisie, de droite comme de gauche, c’est celle du profit, avec tous les risques que cela comporte, et dont ils se contrefichent.
Exemple édifiant, Sarkozy s’est violemment insurgé contre ces inondations de 2010 et a demandé de nouveaux rapports, alors que, depuis 2005, plus de 16 digues en Vendée ont déjà été inspectées par les spécialistes, rapports dont aussi bien les politiques locaux que l’Etat n’ont tenu aucun compte. Rappelons que le même, le 20 avril 2009, à la Cité de l’architecture et du patrimoine, dans un discours sur le Grand Paris, expliquait qu’en matière d’urbanisme, “le problème c’est la réglementation”. Le chef de l’Etat, fin connaisseur car ancien avocat spécialisé en droit immobilier, expliquait ainsi : “Pour libérer l’offre il faut déréglementer, élever les coefficients d’occupation des sols et rétablir la continuité du bâti dans les zones denses, […] rendre constructible les zones inondables pour des bâtiments adaptés à l’environnement et au risque...”.
C’est de la prévention des risques… de ne pas faire assez de profit qu’il s’agit !
Wilma (26 mars)
Courant février, un “collectif de citoyens”, nommé “24h sans nous” et créé il y a six mois, appelait à “une journée sans les immigrés” le 1er mars, exhortant ces derniers à “agir” “en cessant de consommer et/ou de travailler”. Le but de cette “journée historique” était “la mise en valeur de l’apport de chacun d’entre nous [immigrés] à la prospérité générale”. Sur le forum de notre site en français, deux camarades ont publié une prise de position dénonçant cette mascarade de lutte qui provoque division et confusion dans la classe ouvrière, “française” ou “immigrée”. Au final, cette «journée sans nous» n’aura rassemblé que 7000 personnes dans tout l’hexagone, signe que la mystification aura eu globalement peu de prise, à l’heure où de plus en plus d’ouvriers, immigrés ou pas, se voient imposer des “journées sans travail” et des mois, des années au chômage.
Cependant, il était juste et nécessaire de faire cette mise au point que nous partageons entièrement et qui se place d’un véritable point de vue de classe.
Un groupe de personnes autoproclamées a décidé de faire de la journée du premier mars, un jour durant lequel les immigrés et leurs descendants cesseront toute activité (consommation, vente, travail, aller à l’école…) afin de montrer l’importance du travail des immigrants pour l’économie de l’Hexagone.
En lisant bien leur manifeste, on peut en tirer 4 idées essentielles :
1 – C’est un appel à tous les immigrés quel que soit leur statut : patrons ou travailleurs.
2- C’est un appel qui glorifie l’exploitation, et qui ne fait, à aucun moment, allusion aux dures conditions de travail et aux salaires de misères perçus par les immigrés.
3- C’est un appel qui emprisonne les immigrés dans la seule lutte anti-raciste, les rejetant ainsi de tout apport aux vrais débat d’avenir.
4- Aucune allusion aux sans-papier.
Pourquoi les immigrés ne doivent-ils pas participer à cette journée de mascarade ?
Les raisons sont multiples et aucun rapport ne peut les contenir étant donné les contradictions et les amalgames que comporte une telle action.
D’abord, les intérêts des immigrés sont différents selon le statut social qu’ils occupent, c’est pour dire que nous refusons l’alliance entre classe dominante et classe dominée. C’est affirmer que nous refusons la collaboration de classes, c’est pour dire aussi que nous refusons d’être assimiler à ces comiques d’Etat tels Djamal Debouz ou à ces pseudo-représentants de l’immigration telle Fadela Amara. Participer à cette journée, c’est accepter la surexploitation des travailleurs immigrées, avec ou sans papiers, par les patrons immigrés. Nous vous informons qu’un travailleur immigré, qui travaille chez un restaurateur, un vendeur de kebab ou un vendeur de pizza immigré, touche 20 euros pour 16 heures de travail (de 9 heures du matin jusqu’à 1 heure du matin). Un travailleur immigré qui travaille, de 9 heures du matin jusqu’à 22 heures le soir et sept jours sur sept, chez un patron immigré dans un taxiphone touche 450 euros par mois. Un travailleur immigré qui travaille, de 6 heures du matin jusqu’à 20 heures le soir, chez un patron immigré dans le bâtiment touche 60 euros tous les trois jours, de plus ils ne sont même pas déclarés et donc ne bénéficient même pas des avantages reconnus aux salariés par le code du travail (couverture maladie, cotisation retraite, congés payés…). La liste est longue.
Nous devons boycotter ce mouvement afin d’affirmer que nos intérêts sont liés à ceux des travailleurs ‘français’ et non à ceux des patrons immigrés. Que les travailleurs français sont nos frères mais les patrons étrangers sont nos ennemis au même titre que les patrons français. Pour réaffirmer enfin que les prolétaires n’ont pas de patrie.
On peut lire aussi dans le manifeste ceci : “montrer l’importance du travail des immigrants pour l’économie de l’Hexagone.” Voici un groupe de personne stupides (ou escrocs politiques) qui glorifie l’exploitation au lieu de la condamner. Le but recherché est obscur au même titre que l’interlocuteur à qui s’adresse cette action (patronat, Etat, français de base ?). En effet, aucune allusion n’est faite sur les véritables problèmes des immigrés, à savoir ; les salaires minables perçus, les retraites de misère (pour exemple un retraité algérien ayant travaillé 15 ans en France dans le bâtiment touche 100 euros de retraite, de quoi s’acheter une corde pour se pendre).
Boycotter ce mouvement, c’est dire également que nous refusons d’être enfermés dans des débats stériles tels que le racisme et la religion, que les travailleurs immigrés peuvent mener d’autres combats comme participer aux débats sur les questions fondamentales que l’humanité se pose, qu’ils sont parfaitement conscients de la faillite de ce système capitaliste et qu’ils peuvent mener un combat anti-capitaliste sur le terrain de la lutte de classe.
Comme vous pouvez le constater dans le manifeste, aucune allusion aux travailleurs sans-papier, ils n’ont manifesté aucune solidarité avec ces derniers. Mais on les comprend parfaitement, ces personnes autoproclamées cherchent une place au soleil dans le paysage politique français (à l’instar de Fadela Amara, de Rachida Dati, Karim Zeribi…), laissons le temps au temps pour nous apporter la preuve irréfutable.
Selon la mécanique quantique, si on se place au niveau nucléaire c’est-à-dire à l’échelle des particules élémentaires, un caillou et un papillon sont rigoureusement identiques. Cependant, au niveau des macromolécules, le papillon semble infiniment plus structuré et plus ordonné que le caillou. Cet exemple nous permet de saisir la seule différence entre l’inerte et le vivant : l’un est tout simplement plus riche en information que l’autre. Dés lors, nous laissons vos neurones chercher lequel du manifeste de la journée des immigrés ou de la critique présentée ici est le papillon et lequel représente le caillou.
L M / H H
Fin mars, la bourgeoisie américaine a finalement adopté la réforme du système de santé qui était au cœur des promesses du candidat Obama. Celui-ci n’a pas hésité à qualifier l’adoption de ce plan de réforme sociale d’équivalent au New Deal de Roosevelt dans les années 1930. Derrière cette “victoire personnelle”, il jouait en effet son crédit politique, déjà fort entamé par ses menées guerrières en Afghanistan, résolument à l’opposé de l’image qu’il voulait donner d’être un “homme de paix”. Pour la classe ouvrière, derrière ces beaux discours “d’accès à la santé pour tous” se cache en réalité une attaque brutale des conditions de vie et de soin comme le montrent les extraits publiés ci-dessous de l’article réalisé par Internationalism, section du CCI aux Etats-Unis.
Il y a, en réalité, deux versions de la crise du système de santé aux Etats-Unis : une pour la classe ouvrière et une autre pour la classe dominante. Pour la classe ouvrière, les attaques contre l’assurance maladie ont constitué un élément central dans pratiquement toutes les luttes sur le renouvellement des conventions collectives au cours de la dernière décennie. Par le passé, les grandes compagnies privées couvraient habituellement 100 % des cotisations d’assurance santé, mais le patronat a de plus en plus contraint les travailleurs à payer un pourcentage de ces coûts et, après avoir réussi à les faire payer, il a cherché, à l’occasion de chaque nouvelle convention, à augmenter cette part. En même temps, les ouvriers et leurs familles doivent faire face à la montée en flèche des frais médicaux ainsi qu’à une qualité de soins déclinante. De récentes décisions de justice permettent aux syndicats et aux compagnies d’écarter les retraités des systèmes d’assurance existants, les forçant ainsi à ne dépendre que de Medicare (système d’assurance maladie minimum pour les personnes âgées aux Etats-Unis) et à financer eux-mêmes la couverture des frais supplémentaires. Sans parler des quelque 50 millions de personnes qui n’ont aucune assurance pour les soins médicaux.
Pour la classe dominante, la crise du système de santé vient du fait que la classe dominante se trouve avec un système incroyablement inefficace et très coûteux qui affaiblit la compétitivité économique du capitalisme américain sur le marché mondial. Les coûts des assurances, les honoraires des médecins, les coûts dans les hôpitaux, les frais généraux et les dépenses administratives sont incontrôlables. Les Etats-Unis ont le système de santé le plus coûteux du monde ; les dépenses par tête se montent à plus du double de celles de la plupart des grandes nations industrialisées. Les dépenses de santé en pourcentage du PIB sont de 9,9% au Canada, 10,1 % en France et 8 % au Royaume Uni mais atteignent un 15,2% astronomique aux Etats-Unis. Et tout ce surplus de dépenses fournit une qualité de soins médicaux inférieure, qui fait que les Etats-Unis sont ridicules sur la scène internationale. Les résultats en termes de santé publique sont parmi les plus mauvais du monde industrialisé. En Australie, au Canada, en France, en Allemagne, au Japon, en Suède, et au Royaume Uni, l’espérance de vie est comprise entre 79,5 ans et 82,5 ans. Aux Etats-Unis, elle n’est que de 77 ans. Une étude de l’Organisation Mondiale de la Santé portant sur la qualité globale des systèmes de santé place les Etats-Unis au 37ème rang mondial, derrière la République dominicaine et le Costa Rica. “Les enfants nés aux Etats-Unis ont trois fois plus de chance de mourir dans leur premier mois que ceux nés au Japon et la mortalité des nouveaux nés est deux fois plus élevée aux Etats-Unis qu’en Finlande, en Islande ou en Norvège.”1
Avoir autant de gens sans assurance de santé nuit en plus à l’économie américaine, car les dépenses pour les soins d’urgence de ces patients sont couvertes par des fonds généraux provenant des impôts. Le besoin de «réformer» le système de santé et d’en contrôler les coûts croissants, en particulier avec la génération du «baby boom» qui arrive à la retraite, est considéré comme une nécessité politique urgente par les économistes et les politiciens de tout bord politique.
Pour la classe capitaliste, la réforme de la santé n’a pas pour but d’améliorer la santé des travailleurs mais de réduire les dépenses et d’améliorer sa compétitivité dans l’économie mondiale.
La loi ne va qu’aggraver la situation pour les travailleurs américains. Quel que soit le nombre de fois où l’administration Obama emploie le mot «réforme» dans sa propagande, cela ne peut masquer le fait que ce paquet de dispositions sur la santé est une attaque qui fait partie des mesures d’austérité prises contre la classe ouvrière. Certes, la propagande sur “l’assurance santé pour tous” a, pour la classe dominante, un pouvoir de mystification énorme. Pour ceux qui n’ont actuellement aucune assurance maladie, toute extension de la couverture santé peut sembler être mieux que rien, mais c’est une illusion. Pour la classe ouvrière dans son ensemble, ce qui se profile est une attaque contre l’assurance santé.
Bien sûr, plus de gens devraient être couverts par l’assurance santé, mais il y en aura toujours entre 26 et 32 millions sans assurance, selon la façon dont les dispositions prévues, par le Sénat ou par la Chambre, vont être intégrées dans la version finale de la loi. Dans tous les cas, ceux qui seront nouvellement couverts par l’assurance, seront forcés de la payer eux-mêmes. S’ils ne la paient pas, ils auront des amendes pouvant aller jusqu’à 2,5 % de leur revenu imposable. Certains ouvriers très mal payés pourront peut-être recevoir des subventions du gouvernement qui alimentera un fonds d’assurance, mais le financement de ce dernier sortira de la poche du reste de la classe ouvrière.
Les deux projets de financement, celui du Sénat et celui de la Chambre, proposent de réduire les aides Medicare et Medicaide, respectivement pour les retraités et les pauvres. Ce qui est prévu de plus onéreux, c’est une taxe spéciale (excise tax, sorte d’impôts indirects) sur les assurances santé appelées “Cadillac” - définies comme coûtant au moins 8500 $ par an et par personne ou 23 000 $ pour les familles- qui touchera environ 19 % des assurances santé existantes payées par les employeurs, y compris beaucoup de celles actuellement en vigueur pour les ouvriers des industries où les syndicats ont signé les conventions collectives. Cette proposition de taxe spéciale, indirecte, est soutenue par la Maison Blanche et les économistes. Elle sera prélevée auprès des compagnies d’assurance mais, par définition, sont coût sera répercuté sur les consommateurs, ce qui permettra aux compagnies d’assurance de récupérer leur argent. Les taxes indirectes sont généralement utilisées par l’Etat pour lutter contre certains comportements sociaux «indésirables» - comme les taxes sur l’alcool ou le tabac. Dans le cas qui nous intéresse, le «mal social» indésirable est ce que la bourgeoisie appelle les assurances santé «abusivement généreuses», que les économistes jugent trop coûteuses pour l’économie nationale. Cela va conduire soit à une brutale augmentation de la contribution des employés à l’assurance santé et des franchises, soit à une couverture santé sérieusement réduite. Comme l’a dit Beth Umland, directeur de la recherche sur la santé et les avantages de la compagnie consultante Mercer, “la majorité des employeurs réagira comme les politiciens l’espèrent, en réduisant les avantages”. Selon une récente étude des 465 plus grandes corporations, réalisée par les consultants de Mercer, 66 % des employeurs projettent de diminuer les remboursements ou d’augmenter les contributions des employés pour répondre à la législation, en supprimant les comptes flexibles de dépenses utilisés pour couvrir les frais médicaux non remboursés ou en supprimant la couverture pour les frais dentaires ou ophtalmologiques. Cela “tendrait à reporter plus de frais sur les travailleurs – mais pourrait aider à atteindre un des buts promus par les économistes et les politiciens qui soutiennent la taxe indirecte : diminuer les dépenses médicales”.
Si la réforme de la santé est de façon si évidente essentielle pour la bourgeoisie, comme le montre le fait que chaque candidat, démocrate ou républicain, aux primaires présidentielles de 2008 a fait des propositions pour réformer la politique de la santé, pourquoi les Républicains s’opposent-ils de façon si virulente à cette législation ? Pourquoi toutes ces déclarations ridicules sur le soi-disant «socialisme» d’Obama et ses «comités de la mort» ? Il y a plusieurs explications plausibles. La première, bien sûr, c’est la division politique du travail que la classe dominante utilise souvent pour renforcer les mystifications démocratiques, pour créer l’illusion d’un véritable débat politique. Avant l’élection du 19 janvier, avec 60 voix sous le contrôle des Démocrates, le passage de la réforme du système de santé, sous une forme ou une autre, était garanti et l’opposition républicaine ne menaçait en aucune manière de saper la mise en oeuvre de la rationalisation du système de santé nécessaire pour la bourgeoisie. Cependant, nous devons aussi reconnaître à cette opposition un aspect qui reflète l’impact de la décomposition sociale de la société capitaliste, affectant même les processus politiques au sein de la classe dominante. Ces dix dernières années, nous avons noté d’autres exemples des difficultés politiques de la bourgeoisie à agir de façon efficace et conforme à ses intérêts, comme dans le cas des élections ratées de 2000 et 2004, dans lesquelles la tendance au “chacun pour soi” a conduit les principaux partis politiques à rechercher leur avantage et la victoire électorale sans aucun souci de ce qu’étaient vraiment les meilleurs intérêts du capitalisme d’Etat américain. Dans ce contexte, sans aucun doute, le racisme qui imprègne l’extrême droite à l’égard du président afro-américain à la Maison Blanche, joue aussi un rôle. Ce racisme, profondément enraciné, anime les birthers (ceux pour qui on doit être né dans le pays) qui dénient la «légitimité» d’Obama parce qu’il n’est pas né aux Etats-Unis, ou ceux qui l’accusent d’être un «socialiste» ou un musulman caché. Même si Obama proposait que l’anniversaire de Ronald Reagan devienne une fête nationale, on peut imaginer que ces éléments dénonceraient la proposition comme étant un infâme complot socialo-islamique. Un autre aspect de cette décomposition peut se voir dans la résistance acharnée de l’industrie de l’assurance qui finance l’opposition de beaucoup de conservateurs de la Chambre et du Sénat. Nous y trouvons même les petites manœuvres ridicules des démocrates les plus conservateurs qui défendent des concessions spécifiques pour leur propre projet favori, ou pour leurs bailleurs de fonds. De telles difficultés à mettre en place une politique qui sert les intérêts vitaux du capitalisme américain ne sont pas des signes de bonne santé de la classe dominante.
Mais malgrè ces difficultés, la bourgeoisie est tout de même sur le point de “résoudre” sa crise du système de santé, d’imposer un changement qui ne sera pas une réforme, ni une extension de l’assurance maladie, ni une tentative d’améliorer la santé de la classe ouvrière, mais en fin de compte une mesure d’austérité supplémentaire prise contre la classe ouvrière dans son ensemble.
Jerry Grevin (23 janvier)
1) Selon l’ONG Save the Children, propos rapportés par CNN.
Nous avons reçu sur notre site en espagnol le 3 mars 2010, un comentaire relatif à la situation des habitants des quartiers ouvriers et populaires de l’agglomération de Concepción, à la suite du séisme de fin février. Contrairement à la propagande des médias à l’échelle internationale qui ont dénigré le comportement des populations locales en les désignant comme les auteurs de «scandaleux pillages», ce texte restitue la réalité des faits en mettant en avant l’esprit authentiquement prolétarien de solidarité et d’entraide qui a animé les ouvriers dans la redistribution des biens, tout en l’opposant à l’action prédatrice des gangs armés contre lesquels la population ouvrière a tenté de prendre en charge et d’organiser sa propre défense.
Il serait souhaitable que dans la mesure où vous [le CCI] avez ce moyen de diffusion [le site Internet], vous rendiez compte de ce qui est en train de se passer à Concepción et ses environs1, ainsi que dans d’autres régions du Chili qui viennent d’être lourdement touchées par le séisme. On sait que dès les premiers instants, les gens ont mis en pratique le bon sens le plus évident en se rendant aux magasins de denrées alimentaires pour y prendre tout ce dont ils avaient besoin. Ceci est si logique, si rationnel, si nécessaire et inévitable qu’il apparaît comme quelque peu absurde d’en faire la critique. Les gens ont créé une organisation spontanée (surtout à Concepción) pour distribuer le lait, les couches pour bébé et l’eau, en fonction des besoins de chacun, en tenant compte, entre autres, du nombre d’enfants par famille. Le besoin de prendre les produits disponibles apparaissait si évidente, et si puissante la détermination du peuple à mettre en pratique son droit à survivre, que même les policiers finirent par aider les gens à sortir les vivres du supermarché Leader à Concepción, par exemple. Et quand on a essayé d’empêcher que les gens fassent la seule chose raisonnable, les installations en question furent simplement incendiées, pour la simple et logique raison qui fait que si des tonnes de denrées alimentaires vont finir par pourrir au lieu d’être logiquement consommées, il vaut mieux que ces aliments soient brûlés, évitant ainsi le danger des foyers supplémentaires d’infection. Ces «pillage» ont permis à des milliers de personnes de subsister pendant quelque temps, dans le noir, sans eau potable et sans le moindre espoir qu’un quelconque secours arrive.
Or, au bout de quelques heures, la situation a changé du tout au tout. Sur toute l’agglomération du Grand Concepción des bandes bien armées et roulant dans des véhicules de bonne qualité, ont commencé à mettre à sac non seulement les petits commerces, mais aussi les logements particulières et des pâtées de maison entiers. Leur objectif est de s’accaparer le peu de biens que les gens auraient pu récupérer dans les supermarchés, ainsi que les outils domestiques, l’argent ou tout ce que ces bandes peuvent trouver. Dans certaines zones de Concepción, ces bandes ont saccagé les maisons, elles y ont mis le feu, prenant la fuite aussitôt après. Les habitants, qui se sont trouvés au début sans la moindre défense, ont commencé à s’organiser pour pourvoir se défendre, en faisant des rondes de surveillance, en levant des barricades pour protéger les accès aux quartiers, et dans quelques quartiers en mettant en commun les vivres pour assurer l’alimentation de tous les habitants. Avec ce bref rappel des faits survenus ces jours derniers, je ne prétends pas «compléter» les informations fournies par d’autres moyens. Je ne voudrais qu’attirer l’attention sur tout ce que cette situation critique contient d’un point de vue anticapitaliste. L’élan spontané des gens pour s’approprier de tout ce qui est nécessaire à leur subsistance, leur tendance au dialogue, au partage, à chercher des accords et à agir ensemble, a été présent depuis le début de cette catastrophe. Nous avons tous pu voir dans notre entourage cette tendance communautaire naturelle sous différentes formes. Au milieu de l’horreur vécu par des milliers de travailleurs et leurs familles, cet élan pour la vie en commun a surgi comme une lueur d’espoir au milieu des ténèbres, nous rappelant qu’il n’est jamais trop tard pour redevenir nous mêmes.
Face à cette tendance organique, naturelle, communiste, qui a animé le peuple pendant ces heures d’épouvante, l’État a blêmi et s’est montré pour ce qu’il est : un monstre froid et impuissant. De même, l’interruption brutale du cycle démentiel de production et de consommation, a laissé le patronat à la merci des événements, à attendre, tapi, que l’ordre soit rétabli. C’est ainsi que la situation a ouvert une vraie brèche dans la société, par laquelle pourraient sourdre les sources d’un monde nouveau qui est déjà dans les cœurs des gens du commun. Il devenait donc urgent et nécessaire de rétablir à tout prix le vieil ordre de la rapine, de l’abus et de l’accaparement. Mais ça a été fait non pas à partir des hautes sphères, mais à partir du sol même de la société de classe : ceux qui se sont chargés de remettre les choses à leur place, autrement dit, d’imposer par la force les rapports de terreur qui permettent l’existence de l’appropriation privée capitaliste, ont été les mafias des narcotrafiquants enkystées dans les quartiers populaires, des arrivistes entre les plus arrivistes, des enfants de la classe ouvrière alliés avec des bourgeois au prix de l’empoisonnement de leurs frères, du commerce sexuel de leurs sœurs, de l’avidité consommatrice de leurs propres enfants. Des maffieux, autrement dit des capitalistes à l’état pur, des prédateurs du peuple, bien calés dans leurs 4x4 et armés de fusils, disposés à intimider et à dépouiller leurs propres voisins ou les habitants d’autres quartiers pour essayer de monopoliser le marché noir et obtenir de l’argent facile, autrement dit : du pouvoir. Le fait que ces individus sont des alliés naturels de l’État et de la classe patronale, est démontré par le fait que leurs méfaits indignes sont utilisées par les media pour faire pénétrer la panique dans les têtes d’une population déjà démoralisée, justifiant ainsi la militarisation du pays. Quel autre scénario pourrait être plus propice à nos maîtres politiques et patronaux, qui ne voient dans cette crise catastrophique rien d’autre qu’une bonne occasion de faire de juteuses affaires et des profits redoublés en pressant une force de travail dominée par la peur et le désespoir ?
De la part des adversaires de cet ordre social, c’est un non-sens que de chanter de louanges aux pillages sans préciser le contenu social de telles actions. Ce n’est pas du tout la même chose une masse de gens plus ou moins organisée, mais du moins avec un objectif commun, qui prend et distribue des produits de première nécessité pour survivre... et des bandes armées qui dévalisent la population pour s’enrichir. Le séisme de samedi 27 n’a pas seulement frappé très durement la classe ouvrière et a détruit les infrastructures existantes. Mais il a aussi sérieusement bouleversé les rapports sociaux dans ce pays. En quelques heures, la lutte de classe a surgi avec toute sa force devant nos yeux, trop habitués peut-être aux images de la télévision pour pouvoir bien saisir l’essentiel des événements. La lutte de classe est ici, dans nos quartiers devenus des ruines dans la pénombre, crépitant et crissant sous nos pas, sur le sol même de la société, où s’affrontent dans un choc mortel deux types d’êtres humains qui se retrouvent enfin face à face : d’un coté, les femmes et les hommes à l’esprit collectif qui se cherchent pour s’entraider et partager ; de l’autre les antisociaux qui les pillent et leur tirent dessus pour ainsi commencer leur propre accumulation primitive de capital. Ici, c’est nous, les êtres invisibles et anonymes de toujours, pris dans nos vies d’exploités, de nos voisins et de nos parents, mais disposés à établir des liens avec tous ceux qui partagent la même dépossession. Là bas, c’est eux, peu nombreux mais disposés à nous dépouiller par la force le peu ou le presque rien que nous pouvons nous partager. D’un coté le prolétariat, de l’autre, le capital. C’est aussi simple. Dans beaucoup de quartiers de ce territoire dévasté, à ces heures-ci du petit matin, les gens commencent à organiser leur défense face à ces hordes armées. À cette heure a commencé à prendre une forme matérielle la conscience de classe de ceux qui se sont vus obligés, brutalement et en un clin d’œil, à comprendre que leurs vies leur appartiennent et que personne ne leur viendra en aide.
Message reçu le 3 mars 2010.
1) Le séisme a eu lieu le 27 février 2010 en pleine nuit, avec une magnitude de 8,8. Il provoqua la mort de près de 500 personnes, mais le tsunami qui l’a suivi en rajouta encore plus de morts. Il a touché beaucoup de villes chiliennes, dont la capitale, Santiago. Mais c’est dans la deuxième agglomération du pays, celle de Concepción (900 000 hab. pour l’agglomération), que les morts et les dégâts ont été les plus graves [NdT].
Un immense trou dans une terre rouge et desséchée, des dizaines de corps d’enfants, de femmes et d’hommes y sont ensevelis. Tout autour une foule pleure. Au Nigeria, l’horreur a encore frappé. Dans la nuit du 6 au 7 mars plusieurs centaines de personnes, toutes chrétiennes, ont été massacrées. Ces nouvelles atrocités ont eu lieu dans trois villages de l’Etat du Plateau, région du centre du Nigeria qui sépare le Sud à majorité chrétienne du Nord de celui-ci à majorité musulmane. Sur les cadavres encore chauds, les différentes fractions bourgeoises se disputent comme de véritables charognards, en fonction de leurs intérêts, le nombre de morts à afficher.
Ce nouveau massacre perpétré par un groupe extrémiste pro-musulman se dénommant Boro Haram ne fait en réalité que suivre un chemin de tueries qui dure depuis plusieurs dizaines d’années. En janvier dernier, plus de 300 personnes, essentiellement des musulmans, avaient été tuées par des chrétiens à Jos et dans sa région. En dix ans, dans ce pays martyrisé, il y a eu officiellement 10 000 personnes assassinées. Et c’est en millions qu’il faut les compter depuis son indépendance en 1960 ! Au-delà de la haine qui s’est développée entre une partie de la population musulmane et chrétienne, des questions se posent cruellement. Qui sont les véritables responsables de tous ces massacres ? Qui attise le feu en permanence entre les différentes communautés ? Qui arme et protège les bourreaux des deux camps ?
Le Nigeria est de très loin le pays le plus peuplé d’Afrique, 130 millions de personnes y survivent et y connaissent une situation de guerre permanente. De 1967 à 1970, il a connu une guerre qui fit à elle seule deux millions de morts. A cette époque, comme encore aujourd’hui, on a présenté cette guerre comme un simple conflit armé inter-ethnique et religieux, entre les Houassas musulmans du Nord et les Ibos chrétiens du Sud-Est. Ces derniers voulaient constituer un Etat indépendant dans le sud du pays en tentant de séparer la région du Biafra du reste du Nigeria. A cette époque, c’était encore l’impérialisme britannique qui gardait une influence majeure sur le pays et ceci malgré l’indépendance acquise quelques années plutôt. En encourageant la sécession biafraise, la France cherchait à affaiblir l’influence britannique en Afrique subsaharienne. La Côte d’Ivoire contrôlée par la France servit d’intermédiaire pour livrer des armes aux rebelles. Quand au Gabon et sa capitale Libreville, ils devinrent tout simplement la base arrière de l’aide politique et militaire de la France. Cette politique meurtrière et inhumaine n’a pas cessé depuis. A ce moment-là, l’impérialisme français n’est pas parvenu à contrôler le Nigeria, qui est resté un pays d’où partait la politique tentant de contrecarrer l’influence de la France dans toute région de l’Afrique de l’Ouest. Cette politique de la France a un nom tristement célèbre, on la nomme “Françafrique”. Elle concerne des pays comme : la Côte d’Ivoire, le Sénégal,, le Bénin, le Burkina-faso, le Mali ou encore le Niger. Elle n’est faite que de magouilles, turpitudes et massacres. C’est sous le règne de Sani Abacha de 1993 à 1998 que la France va effectuer un retour spectaculaire au Nigeria, venant ainsi contrarier l’influence de l’Angleterre et des Etats-Unis. Mais ces puissances ne vont pas non plus rester à leur tour inactives. Le retour au pouvoir d’Oluseguen Obansanjo en 1999 va permettre à l’impérialisme américain de reprendre pied dans ce pays.
Le nouveau président du Nigeria se présentait alors comme l’interlocuteur numéro un des Etats-Unis en Afrique de l’Ouest. Cette allégeance ne durera pas, car il se tournera vers le plus offrant, qui se révélera être à nouveau la France. Lors de sa visite à Paris en 2005 pour rencontrer Jacques Chirac, et chercher l’appui de l’Etat français pour l’annulation de sa dette, voilà ce qu’il déclarait : “La France peut faire preuve de leadership et de courage en la matière afin de récompenser un gouvernement qui réforme, un gouvernement qui dans une large mesure sécurise l’Afrique de l’Ouest et un gouvernement qui a montré du courage dans sa lutte contre la corruption.” Demande qui sera entendu cinq sur cinq. Le Club de Paris décidera alors, sous la pression du gouvernement français, l’annulation de la dette.
Le Nigeria ne sera pas ingrat et appuiera la France dans son soutien actif aux massacres au Togo pour y favoriser le coup d’Etat de Gnassingbe, ancien sergent de la coloniale. Au Nigeria, comme dans aucun autre pays d’Afrique, pas un de ces grands charognards impérialistes ne veut laisser la place à un de ses concurrents directs. De ce fait, après les derniers massacres du 6 et 7 mars, chacun des deux plus importants prédateurs impérialistes sur la scène nigériane ont tout naturellement réagi immédiatement en faisant réciproquement assaut de la plus belle hypocrisie. Le chef de la diplomatie guerrière française, Bernard Kouchner, ne pouvait être en reste :“La France condamne fermement les graves violences qui ont frappé les communautés villageoises au sud de la ville de Jos dans l’Etat du Plateau. J’adresse aux familles et aux proches mes plus sincères condoléances. J’exprime le soutien de la France aux autorités nigérianes dans leurs efforts pour ramener le calme et pour traduire les auteurs de ces violences devant la justice.” Son homologue et concurrente américaine Hillary Clinton lui faisait alors écho en ces termes : “J’appelle les Nigérians à la retenue et demande aux autorités de déférer les coupables à la justice.” Derrière ces paroles mielleuses se cachent la concurrence acharnée que se livrent la France et les Etats-Unis. La région du Nord, sous le poids de la montée de la décomposition, de la misère et de chaos, semble aller dans le sens d’une radicalisation de type talibans, faite d’un fanatisme religieux inhumain ; quant au Sud, par ailleurs zone possédant des ressources pétrolières non négligeables (estimées à 3% de celles de la planète), apparaît devoir continuer à être le théâtre des rivalités impérialistes et économiques les plus féroces. La population nigériane, comme celle de tant de pays d’Afrique et du tiers-monde, n’en a donc pas fini d’être la proie de la barbarie capitaliste.
P et T (22 mars)
Notre camarade Jerry Grevin, militant de longue date de la section américaine du CCI, est mort subitement d’une crise cardiaque le 11 février 2010. Sa mort prématurée est une perte énorme pour notre organisation et tous ceux qui le connaissaient: sa famille a perdu un mari, un père et un grand-père tendre et affectueux; ses compagnons de travail à l’université où il enseignait, ont perdu un collègue estimé; les militants du CCI, dans sa section et dans le monde entier, ont perdu un camarade très aimé et totalement dévoué.
Jerry Grevin est né en 1946 à Brooklyn, dans une famille ouvrière de la deuxième génération d’immigrants juifs. Ses parents avaient un esprit critique qui les mena à entrer au Parti communiste des Etats-Unis, puis à le quitter. Le père de Jerry avait été profondément choqué par la destruction d’Hiroshima et de Nagasaki à laquelle il avait assisté en tant que membre des forces américaines d’occupation à la fin de la Deuxième Guerre mondiale; bien qu’il n’ait jamais parlé de cette expérience et que son fils ne l’ait sue que bien plus tard, Jerry était convaincu qu’elle avait exacerbé l’état d’esprit anti-patriotique et anti-guerre qu’il avait hérité de ses parents.
L’une des grandes qualités de Jerry qui ne s’est jamais démentie, était son indignation brûlante et inébranlable contre toute forme d’injustice, d’oppression et d’exploitation. Dès sa jeunesse, il a énergiquement pris part aux grandes causes sociales de l’époque. Il participa aux grandes manifestations contre la ségrégation et l’inégalité raciale organisées par le Congress of Racial Equality (CORE) dans le Sud de l’Amérique. Cela nécessitait un courage certain puisque des militants et des manifestants subissaient quotidiennement de mauvais traitements, des bastonnades et étaient même assassinés; et Jerry étant juif, non seulement il combattait les préjugés racistes, il en était lui-même l’objet.1
Pour sa génération, aux Etats-Unis en particulier, l’autre question cruciale de l’époque était l’opposition à la guerre du Vietnam. Exilé à Montréal au Canada, il fut l’animateur d’un des comités qui faisait partie du “Second Underground Railroad”2 pour aider les déserteurs de l’armée américaine à fuir les Etats-Unis et à commencer une nouvelle vie à l’étranger. Il s’engagea dans cette activité non comme pacifiste mais avec la conviction que la résistance à l’ordre militaire pouvait et devait faire partie d’une lutte de classe plus large, contre le capitalisme, et il participa à la publication militante, de courte durée, Worker and Soldier. Plusieurs années après, Jerry eut la possibilité de consulter une partie –largement censurée- de son dossier au FBI: son épaisseur et les détails qu’il comportait –le dossier était régulièrement mis à jour dans la période où il militait dans le CCI- lui donnèrent pas mal de satisfaction et induisirent de sa part quelques commentaires caustiques envers ceux qui pensent que la police et les services de renseignements “ne s’occupent pas” des petits groupes insignifiants de militants aujourd’hui.
A son retour aux Etats-Unis dans les années 1970, Jerry travailla comme technicien des téléphones dans une des principales compagnies téléphoniques. C’était une période de bouillonnement de la lutte de classe avec la crise qui commençait à frapper et Jerry participa aux luttes à son travail, aux petites comme aux grandes, en même temps qu’il participait à un journal appelé Wildcat, prônant l’action directe et publié par un petit groupe du même nom. Bien qu’il ait été déçu par l’immédiatisme et l’absence d’une perspective plus large – c’est la recherche d’une telle perspective qui l’amena à rejoindre le CCI –cette expérience directe, à la base, couplée à ses grandes capacités d’observation et à une attitude humaine envers les travers et les préjugés de ses collègues de travail, lui apporta une vision profonde de la façon dont se développe concrètement la conscience dans la classe ouvrière. Comme militant du CCI, il illustrait souvent ses arguments politiques d’images vivantes tirées de son expérience.
Une de celles-ci décrivait un incident dans le Sud de l’Amérique où son groupe de techniciens du téléphone de New York avait été envoyé travailler. Un ouvrier du groupe, un Noir, était persécuté par la direction pour une prétendue faute mineure; les New-Yorkais prirent sa défense, à la grande surprise de leurs collègues du Sud: “Pourquoi s’en faire?”, demandèrent-ils “ce n’est qu’un nègre”. Ce à quoi un des New-Yorkais répondit vigoureusement que la couleur de la peau n’avait aucune importance, que les ouvriers étaient tous ouvriers ensemble et devaient se défendre mutuellement contre les patrons. “Mais le plus remarquable” concluait Jerry, “c’est que le type qui avait pris le plus fort la défense de l’ouvrier noir, était connu du groupe pour être lui-même raciste et avoir déménagé à Long Island pour ne pas habiter dans un quartier noir. Et cela montre comment la lutte et la solidarité de classe constituent le seul véritable antidote au racisme”.
Une autre histoire qu’il aimait raconter, concernait sa première rencontre avec le CCI. Pour citer l’hommage personnel d’un camarade : “Comme je l’ai entendu raconter un million de fois, c’est quand il rencontra pour la première fois un militant du CCI à une époque où il était, comme il le décrivait lui-même, “un jeune individualiste immédiatiste”, écrivant et diffusant ses articles seul, qu’il se rendit compte que la passion révolutionnaire sans organisation ne pouvait qu’être une flamme passagère de jeunesse. C’est quand le militant du CCI lui dit: “OK, tu écris et tu es marxiste, mais que fais-tu pour la révolution?”. Jerry racontait souvent cette histoire à la suite de quoi il ne dormit pas de toute la nuit. Mais ce fut une nuit blanche qui porta prodigieusement ses fruits”. Beaucoup auraient pu se décourager face au commentaire abrupt du CCI, mais pas Jerry. Au contraire, cette histoire (qu’il racontait en s’amusant de son état d’esprit de l’époque) révèle une autre facette de Jerry : sa capacité à accepter la force d’un argument et à changer de point de vue s’il était convaincu par d’autres idées – une qualité précieuse dans le débat politique qui est l’âme d’une véritable organisation prolétarienne.
La contribution de Jerry au CCI est inestimable. Sa connaissance du mouvement ouvrier aux Etats-Unis était encyclopédique ; sa plume alerte et son écriture colorée ont fait vivre cette histoire pour nos lecteurs dans les nombreux articles qu’il a écrits pour notre presse aux Etats-Unis (Internationalism) et pour la Revue internationale. Il avait aussi une maîtrise remarquable de la vie politique et de la lutte de classe aux Etats-Unis aujourd’hui et ses articles sur l’actualité, tant pour notre presse que pour nos bulletins internes, ont été des apports importants pour notre compréhension de la politique de la première puissance impérialiste mondiale.
Sa contribution à la vie interne et à l’intégrité organisationnelle du CCI a également été importante. Pendant des années, il a été un pilier de notre section américaine, un camarade sur qui on pouvait toujours compter pour être aux avant-postes quand des difficultés se présentaient. Pendant les difficiles années 1990, quand le monde entier –mais particulièrement peut-être les Etats-Unis- était inondé par la propagande sur “la victoire du capitalisme”, Jerry ne perdit jamais la conviction de la nécessité et de la possibilité d’une révolution communiste, il ne cessa jamais de communiquer avec ceux qui l’entouraient et avec les rares nouveaux contacts de la section. Sa loyauté à l’organisation et à ses camarades était inébranlable, d’autant plus que, comme il le disait lui-même, c’était sa participation à la vie internationale du CCI qui lui donnait du courage et lui permettait de “recharger ses batteries”.
Sur un plan plus personnel, Jerry était aussi extraordinairement drôle et doué pour raconter des histoires. Il pouvait –et cela arrivait souvent – faire rire pendant des heures une audience d’amis ou de camarades avec des histoires le plus souvent tirées de ses observations de la vie. Alors que ses histoires déployaient parfois des piques aux dépens des patrons ou de la classe dominante, elles n’étaient jamais cruelles ou méchantes. Au contraire, elles révélaient son affection et sa sympathie pour ses semblables, de même qu’une capacité bien trop rare à se moquer de ses propres faiblesses. Cette ouverture aux autres est sans doute ce qui a fait de Jerry un professeur efficace (et apprécié) – profession qu’il a embrassée tard, quand il était déjà dans la quarantaine.
Notre hommage à Jerry serait incomplet si nous ne mentionnions pas sa passion pour la musique Zydeco (un style de musique ayant pour origine les créoles de Louisiane et qui y est toujours jouée). Le danseur de Brooklyn était connu dans les festivals de Zydeco de l’arrière-pays de Louisiane, et Jerry était fier de pouvoir aider de jeunes groupes de Zydeco inconnus à trouver des lieux et une audience pour jouer à New York. C’était tout Jerry : enthousiaste et énergique dans tout ce qu’il entreprenait, ouvert et chaleureux avec les autres.
Nous ressentons d’autant plus vivement la perte de Jerry que ses dernières années ont été parmi les plus heureuses. Il était ravi de devenir le grand-père d’un petit-fils adoré. Politiquement, il y avait le développement d’une nouvelle génération de contacts autour de la section américaine du CCI et il s’était lancé dans le travail de correspondance et de discussion avec toute son énergie coutumière. Son dévouement avait porté ses fruits dans les Journées de Discussion tenues à New York quelques semaines seulement avant sa mort, qui avaient rassemblé de jeunes camarades de différentes parties des Etats-Unis, dont beaucoup se rencontraient pour la première fois. A la fin, Jerry était ravi et voyait cette réunion, et tout l’avenir qu’elle incarnait, comme l’un des couronnements de son activité militante. Il nous paraît donc juste de donner, pour finir, la parole à deux jeunes camarades qui ont participé aux Journées de Discussion : pour JK, “Jerry était un camarade de confiance et un ami chaleureux...Sa connaissance de l’histoire du mouvement ouvrier aux Etats-Unis; la profondeur de son expérience personnelle dans les luttes des années 1970 et 1980 et son engagement à maintenir la flamme de la Gauche communiste aux Etats-Unis pendant la difficile période qui a suivi la prétendue “mort du communisme” étaient incomparables”. Pour J, “Jerry a été une sorte de guide politique pour moi au cours des 18 derniers mois. Il était aussi un ami très cher (...)Il voulait toujours discuter et aider les camarades plus jeunes à apprendre comment intervenir et à comprendre les leçons historiques du mouvement ouvrier. Sa mémoire vivra dans chacun de nous, dans le CCI et à travers toute la lutte de classe.”
CCI
Nota Bene
Deux articles de ce journal ont été écrits et réalisés par notre camarade Jerry :
"L’immigration et le mouvement ouvrier” (2è partie) qui est constitué d’extraits de l’article théorique de la Revue Internationale n°140, 1er trimestre 2010.
"Etats-Unis : La «réforme» du système de santé est une attaque contre la classe ouvrière” qui est un article écrit au feu de l’actualité.
Nous conseillons aussi à nos lecteurs de parcourir sur notre site web l’un de ses derniers articles : “‘Capitalism : a love story’, un aperçu” qui est une critique du dernier film de Michael Moore.
Ces trois textes, par leur diversité, révèle que, tout comme Marx, Jerry avait fait sienne la maxime du poéte latin d’origine berbère Térence : “Rien de ce qui est humain ne m’est étranger”.
1) En 1964, il y eut une affaire tristement célèbre où trois jeunes militants des droits civiques (James Chaney, Andrew Goodma n et Michael Schwerner) furent assassinés par des officiers de police et des membres du Ku Klux Klan. Deux d’entre eux étaient des Juifs de New York.
2) Le nom “Underground Railroad” était une référence à un réseau, créé au 19e siècle avant la Guerre civile, de cachettes et de militants anti-esclavagistes qui aidaient les esclaves en fuite à gagner le Nord de l’Amérique et le Canada.
Links
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/RI_411_0.pdf
[2] https://libcom.org/news/mass-strikes-greece-response-new-measures-04032010
[3] https://fr.internationalism.org/book/export/html/3842
[4] https://fr.internationalism.org/content/9723/turquie-solidarite-resistance-des-ouvriers-tekel-contre-gouvernement-et-syndicats
[5] https://fr.internationalism.org/ri410/a_vigo_l_action_conjointe_des_chomeurs_et_des_ouvriers_des_chantiers_navals.html
[6] https://fr.internationalism.org/content/4136/algerie-proletariat-exprime-sa-colere
[7] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/luttes-classe
[8] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/elections
[9] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/36/france
[10] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/catastrophes
[11] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/immigration
[12] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/50/etats-unis
[13] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/52/amerique-centrale-et-du-sud
[14] https://fr.internationalism.org/en/tag/geographique/afrique
[15] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/jerry-grevin