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Aujourd'hui, le capitalisme a besoin de tout un arsenal de mystifications idéologiques pour survivre. Système économique et social ayant historiquement fait faillite, le capitalisme n'a plus rien d'autre à offrir à l'humanité que la misère, le déclin et la guerre. Pour la classe dominante, il est nécessaire de dissimuler cette réalité et d'empêcher la classe ouvrière de reconnaître ses responsabilités révolutionnaires historiques et de les mettre en acte. La dernière mystification en date sortie de l'arsenal de la bourgeoisie mondiale, c'est la green economy (l'économie verte). De plus en plus, les experts des médias, les politiciens, les économistes et les hommes d'affaires conçoivent l'expansion de l'économie verte comme une composante significative de la reprise économique. Certains comparent la green economy aux technologies hi tec et informatique du point de vue de ses potentialités de transformation de l'économie américaine. C'est presque comique de voir toutes les grandes entreprises sauter dans le wagon "vert", maintenant que l'écologie est "dans le vent". Même les pires pollueurs prêchent l'écologie maintenant, comme on le voit dans la publicité télévisée aux Etats-Unis qui prétend que le chauffage au fuel consomme peu d'énergie et est bon pour l'environnement !
Comme toutes les escroqueries idéologiques, l'économie verte a un certain rapport avec la réalité. Il existe une préoccupation véritable et largement partagée face au pillage de l'environnement et à la menace très réelle de changements climatiques et de leurs effets potentiellement catastrophiques sur le plan social. Par ailleurs, c'est un fait indéniable que le ralentissement économique détruit des emplois par millions dans le monde entier, aggrave la pauvreté et les privations. Ce lien avec la réalité rend le mythe de la green economy plus pernicieux qu'une banale campagne de propagande forgée de toute pièce.
La bourgeoisie mondiale a la prétention absurde de disposer d'une alternative politique pour sauver la situation, afin de court-circuiter le développement de la conscience de classe et la reconnaissance du fait que le désastre écologique et la crise économique mettent à nu le caractère anachronique du capitalisme et posent, en termes on ne peut plus clairs,la nécessité de son renversement. Ainsi, la bourgeoisie dénie le fait que la crise actuelle soit une crise du système et soutient l'idée que c'est un problème qui peut être traité par une autre politique. L'économie verte, nous dit-on, va révolutionner l'économie et ramener la prospérité.
Les preuves scientifiques du sérieux de la crise écologique sont abondantes. Selon un rapport réalisé par les conseillers scientifiques de la Maison blanche de Barack Obama, le réchauffement climatique a déjà causé des changements significatifs dans les tendances climatiques aux Etats-Unis, comportant des précipitations plus fortes, l'augmentation de la température et du niveau de la mer, le recul rapide des glaciers, l'allongement des saisons de culture, la modification des débits des rivières.1 Ce rapport prévoit que les températures aux Etats-Unis pourraient augmenter en moyenne de 11° Fahrenheit - ou environ 6° C - d'ici la fin du siècle. La Conférence internationale sur le changement climatique qui s'est tenue à Copenhague en mars 2009, a rapporté que "les sociétés contemporaines auraient beaucoup de difficultés à faire face à une augmentation de température de plus de 2°C et que cette dernière accroîtrait les bouleversements climatiques pendant le reste du siècle". Et aux dernières nouvelles, 6°, c'est trois fois plus que 2° !
L'une des principales conclusions de la Conférence de Copenhague était la suivante :
"Les dernières observations confirment que le pire des scénarios du GIEC est en train de se réaliser. Les émissions ont continué d’augmenter fortement et le système climatique évolue d’ores et déjà en dehors des variations naturelles à l’intérieur desquelles nos sociétés et nos économies se sont construites : la température moyenne à la surface de la planète, l'augmentation du niveau des mers, la dynamique des océans et des glaces, l'acidification de l'océan et des événements climatiques extrêmes. Il y a un risque significatif que beaucoup de tendances s'accélèrent, aboutissant à des changements climatiques abrupts ou irréversibles."2
En ce qui concerne la crise économique, il n'est pas nécessaire de présenter ici des preuves du sérieux de la récession actuelle. Les médias bourgeois eux-mêmes la considèrent comme la pire crise économique depuis la Grande Dépression. Comme la récession actuelle a lieu malgré la myriade de mesures de sauvegarde et de palliatifs capitalistes d'Etat mis en place après la Grande Dépression dans les années 1930, et qui étaient supposés empêcher qu'un tel désastre économique ne se reproduise, on peut dire que cette récession est même pire que celle de 1929. Elle a mis à genoux l'économie mondiale la plus grande et la plus puissante, les Etats-Unis ; elle a requis la quasi-nationalisation de l'industrie bancaire, le soutien de toute l'industrie financière et a vu la banqueroute de General Motors, entreprise la plus importante du monde. Il était d'usage de dire : "ce qui est bon pour General Motors est bon pour les Etats-Unis".
L'administration Obama a d'abord annoncé qu'aux Etats-Unis, le chômage allait augmenter jusqu'à 8% avant de se stabiliser. La réalité a déjà dépassé cette prédiction excessivement optimiste. Officiellement, le chômage a déjà atteint 9,4% et Obama lui-même reconnaît ouvertement maintenant que le taux de chômage doublera avant que les choses ne commencent à s'améliorer. Et même ces sinistres chiffres sont en dessous de la réalité. Aux Etats-Unis, on considère que quelqu'un est au chômage seulement s'il n'a pas de travail et en a cherché depuis 30 jours. Les chômeurs qui n'ont pas cherché de travail pendant cette période, ou qui sont trop démoralisés pour se mettre à la recherche d'emplois qui n'existent pas et ont renoncé à s'inscrire, sont considérés comme en dehors de la force de travail. Selon l'Etat américain, ces "travailleurs découragés" ne sont plus des travailleurs et ne sont donc pas des chômeurs !
Les travailleurs qui ont perdu leur emploi et ne peuvent en retrouver un à temps plein mais se bousculent pour accéder à un emploi subalterne à temps partiel rien que pour survivre – appelés "ouvriers à temps partiel involontaires" – ne sont pas considérés comme chômeurs ni même sous-employés. S'ils ont un travail à temps partiel d'au moins 10 heures par semaine, ils sont considérés comme "ayant du travail" et, mieux encore, chacun de leur emploi à temps partiel compte comme un "emploi" dans les statistiques qui comptabilisent le nombre d'empois dans l'économie. Ainsi par exemple, une assistante d'éducation spécialisée de 59 ans qui a été licenciée et a perdu son emploi il y a neuf mois, et qui en a maintenant quatre à temps partiels : pour le gouvernement, non seulement elle n'est pas chômeuse mais, à elle seule, elle comptabilise quatre emplois nouveaux dans l'économie. Travaillant comme professeur de gymnastique dans cinq classes par semaine, comme aide-soignante, comme infirmière à domicile pour un trisomique et comme professeur de gymnastique pour des clients privés, elle parvient à récolter la somme de 750 $ par mois, ce qui ne l'aide pas beaucoup puisque son remboursement immobilier mensuel est de 1000 $.3
Le Labor Departement américain (ministère du travail) reconnaît qu'il y avait 9,1 millions d'"ouvriers à temps partiel involontaires" en mai et que si les ouvriers découragés et les temps partiels involontaires étaient compris dans le calcul du chômage, ce n'est pas à 9,4% mais à 16,4% que ce dernier s'élèverait. Même les pronostiqueurs les plus optimistes prévoient que le "plein" emploi (défini à 6% de chômage) ne sera peut-être pas de retour aux Etats-Unis avant 2013 ou 2014.
La mystification de la green economy a été un élément central dans la campagne présidentielle d'Obama. Au cours du second débat présidentiel, en octobre 2008, Obama a dit : "si nous créons une économie d'énergies nouvelles, nous pouvons créer facilement cinq millions de nouveaux emplois". Plus précisément, son site web de campagne promettait de "créer cinq millions d'emplois nouveaux en investissant de façon stratégique 150 milliards de dollars au cours des dix prochaines années afin de catalyser les efforts de chacun pour construire l'énergie propre du futur".4 Dans son programme, l'économie verte proposée par Obama/Biden comprend les points suivants :
- d'ici dix ans, économiser plus de pétrole qu'il n'en est importé actuellement du Moyen-Orient et du Venezuela ;
- d'ici 2015, avoir plus d'un million de voitures à moteur hybride sur les routes ;
- assurer que 10% de l'électricité provienne de sources renouvelables d'ici 2012, 25% en 2025 ;
- mettre en place dans toute l'économie un programme cap-and-trade (de limitation et taxation de la pollution) afin de réduire l'émission de gaz à effet de serre de 80% d'ici 2050.5
En février 2009, le Congrès a adopté le plan de reprise économique d'Obama qui se distinguait par un budget de 80 millions pour stimuler les dépenses dans le développement de sources d'énergie alternatives et d'autres initiatives écologiques ; cela a été largement "revendu" aux groupes écologistes comme un acompte sur la green economy. Cependant, malgré le triomphalisme de ces groupes, ces piètres 80 millions signifient mathématiquement qu'Obama doit encore dépenser "de façon stratégique" 149,92 milliards6 dans les 9 ans à venir pour remplir sa promesse d'économie verte.
La mystification de l'économie verte n'est pas un phénomène simplement américain. Selon un militant écologiste européen, "l'économie propre est sur le point de s'envoler".7 L'Union européenne encourage activement l'investissement dans l'industrie verte. Les pays européens ont introduit leurs propres programmes cap-and-trade sur le dioxyde de carbone en 2005. L'Allemagne a promulgué la loi sur l'énergie renouvelable allemande et introduit un programme de feed-in tariffs (FITs)8 incitant à des investissements en énergie propre. Au Canada, la province de l'Ontario a adopté une mesure sur le modèle du FIT allemand. En Grande-Bretagne, les efforts pour promouvoir des investissements bons pour l'environnement sont au cœur des plans de reprise économique. L'Australie veut augmenter les emplois verts de 3000% dans les décennies à venir. L'Allemagne, l'Espagne et le Danemark ont favorisé des programmes d'énergie éolienne. L'Allemagne et l'Espagne ont aussi soutenu des entreprises d'énergie solaire.
La Green Economy n'est pas la potion magique qui sauvera le capitalisme de lui-même. Les comparaisons entre l'économie verte et ce qui était appelé "la révolution technologique" sont fausses. Ce n'est pas une révolution technologique qui transformera la société comme la révolution industrielle le fit en permettant de transcender la production naturelle et de développer l'industrie moderne, de baisser les coûts et d'augmenter la production, d'élever le niveau de vie. Quand le capitalisme était un système historiquement progressif, capable de développer les forces productives, quand de nouvelles technologies et de nouvelles industries naissaient, cela produisait des millions d'emplois nouveaux, même si les anciens emplois et les vieilles industries étaient détruits. Mais aujourd'hui, dans une crise globale de surproduction, la technologie informatique, pour autant qu'elle a été capable de réduire les coûts de production et d'augmenter la productivité, n'a pas révolutionné l'économie, n'a pas permis au système de surmonter sa crise économique mais a, au contraire, aggravé la crise de surproduction.
L'idée que réparer le gâchis que le capitalisme a créé au cours du siècle dernier, est la base du progrès économique, est une erreur totale. C'est comme si on disait que l'ouragan Katrina qui a dévasté La Nouvelle Orléans en 2004, était bon pour l'économie parce qu'il a créé des millions de nouveaux emplois dans la construction et rendu possible la croissance économique. Ce genre de tour de passe-passe idéologique ne marche que si on sort de l'équation toute la souffrance humaine (les morts, la pauvreté) et la destruction des forces productives, des habitations, des écoles, des hôpitaux, etc. que Katrina a provoquées. Réparer quelque chose de cassé ne constitue en rien une "révolution" de l'économie.
De toutes façons, tout le battage sur l'économie verte qui va créer de nouveaux emplois est un non sens. Une étude commandée par la Conférence américaine des Maires prévoit une augmentation des emplois verts d'environ 750 000 qu'ils sont aujourd'hui, à 2,5 millions en 2018, soit un accroissement de 1 750 000 emplois – bien plus modeste que les 5 millions prévus par Obama. Cependant, des chercheurs d'universités, comme le York College en Pennsylvanie, les universités d'Illinois et de Arlington Texas, ont contesté les prédictions des maires pour être largement surestimées, car elles ont gonflé le nombre d'emplois avec des postes de soutien administratif n'ayant aucun rapport direct avec la production d'énergie propre. Et même si les prétentions exagérées d'Obama étaient exactes, 5 millions de nouveaux emplois verts dans les dix années à venir sont loin de permettre de compenser le effets passés et à venir de la récession aux Etats-Unis. Depuis que la récession a commencé en décembre 2007, l'économie américaine a perdu presque 6 millions d'emplois pour cause de licenciements et elle a besoin de 125 000 à 150 000 nouveaux emplois par mois - soit 1 500 000 à 1 800 000 par an – rien que pour absorber les nouveaux travailleurs en âge d'entrer dans le monde du travail et maintenir un niveau stable de chômage. Ainsi les prétendus cinq millions de nouveaux emplois qui seront "facilement" créés dans les dix années à venir, ne compenseront même pas tous les emplois détruits au cours des 18 derniers mois de récession !
Les nouveaux emplois verts ne compenseraient pas non plus ceux qui seraient perdus dans les industries du pétrole, de l'essence, du charbon, du nucléaire et de l'automobile du fait de l'abandon à grande échelle des énergies fossiles. Le programme cap-and-trade tant vanté qui permet aux entreprises pollueuses de faire du commerce avec les autorisations de polluer, et qui est applicable en Europe depuis quatre ans, doit encore démontrer ses effets bénéfiques puisque les niveaux d'émissions ont augmenté dans ces pays.
Les entreprises capitalistes ne se convertiront à des pratiques et des investissements bons pour l'environnement que s'il y a des profits à faire. Ces nouvelles technologies comportant d'énormes investissements préliminaires, de recherche et de développement, elles doivent pouvoir rapporter beaucoup de profit. La seule façon dont les gouvernements peuvent promouvoir la green economy est d'introduire des mesures de dissuasion vis-à-vis de la poursuite de l'utilisation des énergies fossiles, et d'incitation des entreprises à investir dans l'économie verte. Les forces dites du "libre marché" ne permettront jamais que cela arrive, seule peut le permettre une politique d'intervention capitaliste d'Etat, laquelle signifie une augmentation des taxes sur l'utilisation des technologies d'énergie fossile, l'augmentation des coûts de production des marchandises selon les processus industriels classiques, et l'augmentation des prix pour les consommateurs. Cela suppose également des subventions des gouvernements et des baisses d'impôts pour les entreprises à technologie verte. Tout cela sera bien sûr financé sur le dos de la classe ouvrière qui devra payer plus cher les biens de consommation "propres" et plus d'impôts pour financer les subventions et compenser les revenus perdus du fait des baisses de taxes. En fin de compte, l'économie verte qui est supposée "révolutionner" l'économie et sauver le monde du désastre écologique n'est qu'une autre façon de faire porter le fardeau de l'austérité sur la classe ouvrière et de baisser encore plus son niveau de vie.
Le capitalisme mondial est totalement incapable de coopérer pour faire face à la menace écologique. En particulier dans la période de décomposition sociale, avec la tendance croissante de chaque nation à jouer sa propre carte sur l'arène internationale, dans la concurrence de tous contre tous, une telle coopération est impossible. Si les Etats-Unis ont été attaqués pour leur refus de participer au Protocole de Kyoto qui visait à réduire les émissions de carbone, pour leur part les nations qui ont participé avec enthousiasme au traité n'ont rien fait pour réduire les gaz à effet de serre dans la décennie passée. Même lorsque le capitalisme "essaie" de mettre en oeuvre des solutions à la crise environnementale, le motif du profit joue irrationnellement pour saper le bien-être social. L'exemple désastreux de ce qui est arrivé avec le passage, motivé par le profit, à la production d'éthanol comme énergie alternative à partir du maïs est édifiant : une grande partie de l'agroalimentaire a été poussé à produire du maïs pour l'éthanol et non plus pour l'alimentation, contribuant ainsi à la pénurie globale de nourriture. Face à cela, des émeutes de la faim éclatèrent aux quatre coins du monde. Nous avons là un avant-goût de ce que la green economy capitaliste réserve à l'humanité.
La green economy n'est qu'un rideau de fumée, une campagne idéologique pour donner un visage humain au capitalisme. Dans sa course au profit, le capitalisme a dénaturé l'environnement. La calamité écologique que le capitalisme a créée est une nouvelle preuve du fait qu'il est allé au-delà de son utilité, qu'il faut le mettre au rancart. Mais l'économie verte est une réponse cynique de la classe dominante qui prétend pouvoir régler un problème alors que celui-ci est l'émanation directe de la nature de son système. La distance qui sépare la promesse de la green economy de la réalité est si grande que c'en est risible. Et pas seulement sur le plan des emplois. Elle va mettre sur le marché des denrées alimentaires écologiques qui sont supposées être plus naturelles, plus biologiques, mais dont le prix est le plus souvent au-delà de ce que peut acheter un ouvrier moyen. Autre exemple : pour économiser l'énergie, il est édicté de remplacer les ampoules à incandescence par des lampes fluorescentes, mais celles-ci contiennent du mercure qui est désastreux pour l'environnement si on ne n'en sert pas de façon contrôlée.
Quel que soit l'emballage idéologique, le capitalisme est fait pour générer du profit, pas pour répondre aux besoins des hommes.
Le capitalisme n'a aucune porte de sortie pour échapper à la crise économique et à celle de l'environnement. Seul le prolétariat a la capacité de sauver l'avenir de l'humanité – de détruire ce système rapace d'exploitation capitaliste de l'homme par l'homme basé sur une course incessante au profit et de le remplacer par une société dans laquelle répondre au besoin social constituera le principe prépondérant de la vie économique et sociale. Tout ce bavardage sur l'économie verte ou noire est un non sens. Seule une économie rouge offrira un avenir à l'humanité.
J. Grevin
1. Selon la loi, la Maison blanche doit produire un rapport sur l'impact du réchauffement climatique, mais aucun rapport n'a été produit depuis 2000, quand l'administration Clinton/Gore était encore au pouvoir. L'administration Bush – avec ses liens étroits avec l'industrie de l'énergie et ses petits copains de droite anti-réglementation – a refusé de produire un tel rapport tout au long de ses huit ans en fonction. Jusqu'à ce que l'International Panel on Climate Change (IPCC) - Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat (GIEC) - ait remis son rapport affirmant le réchauffement climatique en tant que fait incontournable, l'administration Bush considérait la question comme un problème scientifique "ouvert", à la consternation des scientifiques professionnels de l'Environmental Protection Agency et de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) dont les rapports furent censurés ou supprimés durant les années Bush.
2. "Key messages from the Congress".
3. De Pass Dee, "More Workers Fall Back on Part-Time 'Survival' Jobs", Star Tribune, Minneapolis, MN), 21 juin 2009.
4. barackobama.com [1]
5. Ibid.
6. Les 150 milliards promis lors du débat électoral auxquels sont soustraits les 80 millions déjà alloués en février 2009
7. WWF : "Green Economy Creates Jobs".
8. Tarifs imposés aux compagnies pour l'achat d'électricité de source renouvelable
Depuis 1929, jamais une crise économique n’avait frappé avec une telle violence le prolétariat mondial. Partout, le chômage et la misère explosent. Cette situation dramatique ne peut que provoquer un fort sentiment de colère chez les ouvriers. Mais transformer cette colère en combativité est aujourd’hui très difficile. Que faire quand son usine ferme ? Comment lutter ? Quels types de grèves et d’actions mener ? Et pour tous ceux qui ont encore un travail, comment résister aux baisses de salaires, aux heures supplémentaires gratuites et à l’augmentation des cadences quand le patron exerce ce chantage odieux "c’est ça ou la porte, il y en a des milliers dehors qui attendent ta place" ? La brutalité de cette récession est une source d’angoisse terrible, voire paralysante, pour les familles ouvrières.
Et pourtant, ces derniers mois, d’importantes grèves ont éclaté :
Au Bangladesh, à Narayanganj, en mai dernier, 20 000 travailleurs impayés depuis des mois ont laissé exploser leur colère en saccageant des dizaines d’usines de textile et en allant s’affronter à l’armée au péril de leur vie.
En Chine, dans les villes de Daqing et de Liaoyang, au cœur du bassin industriel de Mandchourie, des dizaines de milliers d’ouvriers récemment licenciés descendent tous les jours dans les rues depuis le premier mars pour réclamer le versement de leurs allocations chômage et le maintien de leur sécurité sociale. Cette vague de luttes est représentative de la montée générale de la combativité du prolétariat de cette région du monde. D’après les agences de surveillance de la stabilité politique situées à Hong Kong, la Chine a connu 58 000 "incidents de masse" (grèves, manifestations,…) au cours des trois premiers mois de cette année. "Si cette tendance continue toute l’année, 2009 battrait tous les records précédents avec plus de 230 000 de ces dits "incidents de masse", comparés aux 120 000 en 2008 et aux 90 000 de 2006 " 1.
En Espagne, à la fin avril, les métallurgistes de Vigo sont à nouveau entrés en lutte. Après avoir mené une grève exemplaire en 2006 en organisant des assemblées générales dans la rue afin d’entraîner toute la population ouvrière de la ville, ces ouvriers ont dû faire face cette fois-ci à des syndicats préparés et aux armes aiguisées : assemblées générales bidons et sans débat, actions coups de poings stériles telles que le blocage des bateaux de croisière… Si les grévistes n’ont pas su cette fois-ci déjouer tous ces pièges, la prise de conscience de la nécessité de la lutte a franchi un nouveau cap comme en témoigne cette phrase d'un ouvrier en lutte : "Ça va très très mal. Ou on lutte ou on meurt" 2.
Mais c’est en Angleterre que des luttes expriment le plus nettement une avancée de la conscience au sein de la classe ouvrière. Au début de l’année, les ouvriers de la raffinerie de Lindsey avaient été au cœur d’une vague de grèves sauvages. Cette lutte, à ses débuts, avait été freinée par le poids du nationalisme, symbolisé par le slogan "des emplois anglais pour les ouvriers anglais". La classe dominante avait alors utilisé ces idées nationalistes à plein en présentant cette grève comme étant contre les ouvriers italiens et polonais employés sur le site. Cependant, la bourgeoisie a mis soudainement fin à cette grève quand ont commencé à apparaître des banderoles appelant les ouvriers portugais et italiens à rejoindre la lutte, affirmant "Ouvriers du monde entier, unissez-vous" et que les ouvriers polonais du bâtiment ont effectivement rejoint les grèves sauvages à Plymouth. Au lieu d’une défaite ouvrière, avec des tensions croissantes entre ouvriers de différents pays, les ouvriers de Lindsey ont obtenu la création de 101 emplois supplémentaires (les ouvriers portugais et italiens gardant le leur), gagné l’assurance qu’aucun ouvrier ne serait licencié et, surtout, sont rentrés unis au travail ! Quand, en juin, Total a annoncé le licenciement de 51 puis de 640 employés, les ouvriers ont ainsi pu s’appuyer sur cette récente expérience. La nouvelle vague de luttes a en effet éclaté d’emblée sur une base beaucoup plus claire : solidarité avec tous les ouvriers licenciés. Et rapidement, des grèves sauvages ont éclaté dans tout le pays. "Des ouvriers des centrales électriques, des raffineries, des usines dans le Cheshire, le Yorkshire, le Nottinghamshire, l’Oxfordshire, en Galles du Sud et à Teesside arrêtaient le travail pour montrer leur solidarité". (The Independent du 20 juin). "Il y avait aussi des signes que la grève s’étendait à l’industrie nucléaire, puisque EDF Energy disait que les ouvriers contractuels du réacteur de Hickley Point, dans le Somerset, avaient arrêté le travail." (Le Times). La fraction la plus ancienne du prolétariat mondial a montré à cette occasion que la force de la classe ouvrière réside avant tout dans sa capacité à être unie et solidaire.
Toutes ces luttes peuvent sembler peu de chose en comparaison de la gravité de la situation. Et, effectivement, l’avenir de l’humanité passe nécessairement par des combats prolétariens d’une tout autre ampleur et massivité. Mais si la crise économique actuelle a agi jusqu’à présent comme un coup de massue laissant le prolétariat quelque peu hébété, elle reste néanmoins le terreau le plus fertile au développement futur de la combativité et de la conscience ouvrières. En ce sens, ces exemples de luttes qui portent en eux le germe de l’unité, de la solidarité et de la dignité humaine, sont autant de promesses d’avenir.
Mehdi (8 juillet 2009)
1. Source : « Des nouvelles du front [3] ».
2. Pour de plus amples informations sur cette lutte, lire notre article en espagnol « Vigo : Los metodos sindicales conducen a la derrota [4] ».
L'article que nous publions ci-dessous est la seconde partie de la brochure d'Anton Pannekoek, "Marxisme et Darwinisme" dont nous avons publié les premiers chapitres dans le numéro précédent de la Revue Internationale. Ce texte explique ici l'évolution de l'Homme en tant qu'espèce sociale. Pannekoek se réfère à juste raison au second grand ouvrage de Darwin, La filiation de l'Homme (1871) et met clairement en évidence que le mécanisme de la lutte pour l'existence par la sélection naturelle, développée dans "L'origine des espèces", ne peut s'appliquer schématiquement à l'espèce humaine comme l'avait démontré Darwin lui-même. Chez tous les animaux sociaux, et plus encore chez l'Homme, la coopération et l'entraide sont la condition de la survie collective du groupe au sein duquel les plus faibles ne sont pas éliminés, mais au contraire protégés. Le moteur de l'évolution de l'espèce humaine n'est donc pas la lutte compétitive pour l'existence et l'avantage conféré aux êtres vivants les plus adaptés aux conditions de l'environnement, mais le développement de leurs instincts sociaux.
La brochure de Pannekoek montre que le livre de Darwin, La filiation de l'Homme, constitue un démenti cinglant à l'idéologie réactionnaire du "darwinisme social" préconisé notamment par Herbert Spencer (comme il tord le cou à l'eugénisme de Francis Galton), qui s'est appuyée sur le mécanisme de la sélection naturelle, décrit dans L'origine des espèces, pour donner une caution pseudo scientifique à la logique du capitalisme basée sur la concurrence, la loi du plus fort et l'élimination des "moins aptes". A tous les "darwinistes sociaux" d'hier et d'aujourd'hui (qu'il désigne sous le terme de "darwinistes bourgeois"), Pannekoek répond très clairement, en se basant sur Darwin, que : "Ceci jette un éclairage entièrement nouveau sur le point de vue des darwinistes bourgeois. Ces derniers proclament que seule l'élimination des faibles est naturelle et qu'elle est nécessaire afin d'empêcher la corruption de la race. D’autre part, la protection apportée aux faibles est contre la nature et contribue à la déchéance de la race. Mais que voyons-nous ? Dans la nature elle-même, dans le monde animal, nous constatons que les faibles sont protégés, qu'ils ne se maintiennent pas grâce à leur propre force personnelle, et qu'ils ne sont pas écartés du fait de leur faiblesse individuelle. Ces dispositions n'affaiblissent pas le groupe, mais lui confèrent une force nouvelle. Le groupe animal dans lequel l'aide mutuelle est la mieux développée, est mieux adapté pour se préserver dans les conflits. Ce qui, selon la conception étroite de ces darwinistes, apparaissait comme facteur de faiblesse, devient exactement l'inverse, un facteur de force, contre lequel les individus forts qui mènent la lutte individuellement ne font pas le poids."
Dans cette deuxième partie de sa brochure, Pannekoek examine également, avec une très grande rigueur dialectique, comment l'évolution de l'Homme a permis à ce dernier de se dégager de son animalité et de certaines contingences de la nature, grâce au développement conjoint du langage, de la pensée et des outils. Néanmoins, en reprenant l'analyse développée par Engels dans son article inachevé "Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme" (publié dans La dialectique de la nature), il tend à sous-estimer le rôle fondamental du langage dans le développement de la vie sociale de notre espèce.
Cet article de Pannekoek a été rédigé il y a un siècle et il ne pouvait donc intégrer les dernières découvertes scientifiques, notamment en primatologie. Les études récentes sur le comportement social des singes anthropoïdes nous permettent d'affirmer que le langage humain n'a pas été sélectionné en premier lieu pour la fabrication des outils (comme semblait le penser Pannekoek, à la suite d'Engels) mais d'abord pour la consolidation des liens sociaux (sans lesquels les premiers humains n'auraient pu communiquer notamment pour construire des abris, se protéger des prédateurs et des forces hostiles de la nature, puis transmettre leurs connaissances d'une génération à l'autre).
Bien que le texte de Pannekoek donne un tableau très bien argumenté du processus de développement des forces productives depuis la fabrication des premiers outils, il tend cependant à réduire ces dernières à la seule satisfaction des besoins biologiques de l'Homme (notamment la satisfaction de la faim) et à perdre ainsi de vue que l'émergence de l'art (qui a fait son apparition très tôt dans l'histoire de l'humanité) a constitué également une étape fondamentale dans le dégagement de l'espèce humaine du règne animal.
Par ailleurs, si comme on l'a vu, Pannekoek explique, de façon très synthétique mais avec une remarquable clarté et simplicité, la théorie darwinienne de l'évolution de l'Homme, il ne va pas suffisamment loin, à notre avis, dans la compréhension de l'anthropologie de Darwin. En particulier, il ne met pas en évidence qu'avec la sélection naturelle des instincts sociaux, la lutte pour l'existence a sélectionné des comportements anti-éliminatoires qui ont donné naissance à la morale1. En opérant une rupture entre morale naturelle et morale sociale, entre nature et culture, Pannekoek n'avait pas suffisamment compris la continuité évolutive existant entre la sélection des instincts sociaux, la protection des faibles par l'entraide, et ce qui a permis à l'Homme de s'engager dans la voie de la civilisation. C'est justement cet élargissement de la solidarité et de la conscience d'appartenir à la même espèce qui a permis à l'Humanité, à un certain stade de son développement, d'énoncer, sous l'Empire romain (comme le souligne d'ailleurs le texte de Pannekoek) cette formule du christianisme : "Tous les hommes sont frères".
Les conclusions fausses tirées par Haeckel et Spencer sur le socialisme ne sont nullement surprenantes. Le darwinisme et le marxisme sont deux théories distinctes, l’une s'appliquant au monde animal, l'autre à la société. Elles se complètent dans le sens où le monde animal se développe selon les lois de la théorie darwinienne jusqu'à l'étape de l'homme et, à partir du moment où celui-ci s’est extrait du monde animal, c'est le marxisme qui rend compte de la loi du développement. Quand on veut faire passer une théorie d'un domaine à l'autre, au sein desquels s'appliquent des lois différentes, on ne peut qu’en tirer des déductions erronées.
Tel est le cas quand nous voulons découvrir, à partir de la loi de la nature, quelle forme sociale est naturelle et la plus en conformité avec la nature, et c’est exactement ce que les darwinistes bourgeois ont fait. Ils ont déduit des lois qui gouvernent le monde animal, où la théorie darwinienne s'applique, que l’ordre social capitaliste, qui est en conformité avec cette théorie, est dès lors l’ordre naturel qui doit durer toujours. D'un autre côté, il y avait aussi des socialistes qui voulaient prouver de la même manière que le système socialiste est le système naturel. Ces socialistes disaient :
"Sous le capitalisme, les hommes ne mènent pas la lutte pour l'existence avec des armes identiques, mais avec des armes artificiellement inégales. La supériorité naturelle de ceux qui sont plus sains, plus forts, plus intelligents ou moralement meilleurs, ne peut aucunement prédominer tant que la naissance, la classe sociale ou surtout la possession de l'argent déterminent cette lutte. Le socialisme, en supprimant toutes ces inégalités artificielles, rend les conditions aussi favorables pour tous, et c'est alors seulement que la vraie lutte pour l'existence prévaudra dans laquelle l’excellence personnelle constituera le facteur décisif. D’après les principes darwiniens, le mode de production socialiste constituerait donc celui qui serait véritablement naturel et logique".
En tant que pendant critique des conceptions des darwinistes bourgeois, cette argumentation n’est pas mauvaise, mais elle est tout aussi erronée que cette dernière. Les deux démonstrations opposées sont également fausses car elles partent toutes les deux de la prémisse, depuis longtemps dépassée, selon laquelle il existerait un seul système social naturel ou logique.
Le marxisme nous a enseigné qu'il n'existe pas de système social naturel et qu'il ne peut y en avoir ou, pour le dire d’une autre manière, que tout système social est naturel, parce que chaque système social est nécessaire et naturel dans des conditions données. Il n'y a pas un seul système social défini qui puisse se revendiquer d’être naturel ; les différents systèmes sociaux se succèdent les uns aux autres en raison du développement des forces productives. Chaque système est donc le système naturel pour son époque particulière, comme le suivant le sera à une époque ultérieure. Le capitalisme n'est pas le seul ordre naturel, comme le croit la bourgeoisie, et aucun système socialiste mondial n'est le seul ordre naturel, comme certains socialistes essayent de le prouver. Le capitalisme était naturel dans les conditions du 19e siècle, tout comme le féodalisme l’était au Moyen-âge, et comme le sera le socialisme au stade de développement futur des forces productives. La tentative de promouvoir un système donné comme le seul système naturel est tout aussi futile que vouloir désigner un animal et dire que cet animal est le plus parfait de tous les animaux. Le darwinisme nous enseigne que chaque animal est également adapté et également parfait dans sa forme pour s’adapter à son environnement particulier. De la même manière, le marxisme nous enseigne que chaque système social est particulièrement adapté à ses conditions et que, dans ce sens, on peut le qualifier de bon et parfait.
C’est ici que réside la raison principale pour laquelle les tentatives des darwinistes bourgeois pour défendre le système capitaliste décadent sont vouées à l’échec. Les arguments basés sur la science de la nature, quand ils sont appliqués aux questions sociales, conduisent presque toujours à des conclusions erronées. En effet, alors que la nature ne change pas dans ses grandes lignes au cours de l'histoire de l’humanité, la société humaine, en revanche, subit des changements rapides et continus. Pour comprendre la force motrice et la cause du développement social, nous devons étudier la société comme telle. Le marxisme et le darwinisme doivent chacun s'en tenir à leur domaine propre ; ils sont indépendants l'un de l'autre et il n'existe aucun lien direct entre eux.
Ici surgit une question très importante. Pouvons-nous nous arrêter à la conclusion selon laquelle le marxisme s'applique uniquement à la société et le darwinisme uniquement au monde organique, et que ni l'une ni l'autre de ces théories n'est applicable à l'autre domaine ? D’un point de vue pratique, c’est très commode d'avoir un principe pour le monde humain et un autre pour le monde animal. En adoptant ce point de vue cependant, nous oublions que l'homme est aussi un animal. L'homme s'est développé à partir de l’animal, et les lois qui s'appliquent au monde animal ne peuvent pas, soudainement, perdre leur applicabilité à l’être humain. Il est vrai que l'homme est un animal très particulier, mais si c'est le cas il est nécessaire de trouver, à partir de ces particularités mêmes, pourquoi les principes applicables à tous les animaux ne s'appliquent pas aux hommes, ou pourquoi ils prennent une forme différente.
Ici, nous touchons à un autre problème. Les darwinistes bourgeois n'ont pas ce problème ; ils déclarent simplement que l'homme est un animal et ils se lancent sans réserve dans l'application des principes darwiniens aux hommes. Nous avons vu à quelles conclusions erronées ils arrivent. Pour nous, cette question n'est pas aussi simple ; nous devons d'abord avoir une vision claire des différences qui existent entre les hommes et les animaux, puis, à partir de ces différences, il doit découler la raison pour laquelle, dans le monde humain, les principes darwiniens se transforment en des principes totalement différents, à savoir en ceux du marxisme.
La première particularité que nous observons chez l’homme est qu’il est un être social. En cela, il ne diffère pas de tous les animaux car même parmi ces derniers, il y a beaucoup d'espèces qui vivent de façon sociale. Mais l'homme diffère de tous les animaux que nous avons observés jusqu'ici en parlant de la théorie darwinienne, de ces animaux qui vivent séparément, chacun pour soi et qui luttent contre tous les autres pour subvenir à leurs besoins. Ce n'est pas aux prédateurs, qui vivent de façon séparée et qui sont les animaux modèles des Darwiniens bourgeois, que l'homme doit être comparé, mais à ceux qui vivent socialement. La sociabilité est une force nouvelle, dont nous n'avons pas encore tenu compte jusqu’à présent ; une force qui fait appel à de nouveaux rapports et à de nouvelles qualités chez les animaux.
C'est une erreur de considérer la lutte pour l'existence comme la force unique et omnipotente donnant forme au monde organique. La lutte pour l'existence est la principale force qui est à l'origine de nouvelles espèces, mais Darwin lui-même savait très bien que d'autres forces coopèrent, qui façonnent les formes, les habitudes et les particularités du monde organique. Dans son livre plus tardif, La Filiation de l’homme, Darwin a minutieusement traité de la sélection sexuelle et a montré que la concurrence des mâles pour les femelles a donné naissance aux couleurs bariolées des oiseaux et des papillons et, également, aux chants mélodieux des oiseaux. Il a également consacré tout un chapitre à la vie sociale. On peut aussi trouver beaucoup d’exemples sur cette question dans le livre de Kropotkine, L'Entraide, un facteur d'évolution. Le meilleur exposé des effets de la sociabilité se trouve dans L'Éthique et la conception matérialiste de l'histoire de Kautsky.
Quand un certain nombre d'animaux vivent en groupe, en troupeau ou en bande, ils mènent en commun la lutte pour l'existence contre le monde extérieur ; à l’intérieur d’un tel groupe la lutte pour l'existence cesse. Les animaux qui vivent socialement n’engagent plus les uns contre les autres de combats où les faibles succombent ; c’est exactement l'inverse, les faibles jouissent des mêmes avantages que les forts. Quand quelques animaux ont l'avantage d’un odorat plus aiguisé, d’une plus grande force, ou de l’expérience qui leur permet de trouver le meilleur pâturage ou d’éviter l'ennemi, cet avantage ne bénéficie pas seulement à eux-mêmes, mais également au groupe entier, y compris aux individus les moins pourvus. Le fait pour les individus les moins pourvus de se joindre aux plus avantagés permet aux premiers de surmonter, jusqu’à un certain point, les conséquences de leurs propriétés moins favorables.
Cette mise en commun des différentes forces profite à l’ensemble des membres. Elle donne au groupe une puissance nouvelle et beaucoup plus importante que celle d'un seul individu, même le plus fort. C’est grâce à cette force unie que les herbivores sans défense peuvent contrer les prédateurs. C'est seulement au moyen de cette unité que certains animaux sont capables de protéger leurs petits. La vie sociale profite donc énormément à l’ensemble des membres du groupe.
Un deuxième avantage de la sociabilité vient du fait que, lorsque les animaux vivent socialement, il y a une possibilité de division du travail. Ces animaux envoient des éclaireurs ou placent des sentinelles dont la tâche est de s'assurer de la sécurité de tous, pendant que les autres sont tranquillement en train de manger ou de cueillir, en comptant sur leurs gardes pour les avertir du danger.
Une telle société animale devient, à certains égards, une unité, un seul organisme. Naturellement, les rapports restent beaucoup plus lâches que dans les rapports qui règnent entre les cellules d'un seul corps animal ; en effet les membres restent égaux entre eux – ce n’est que chez les fourmis, les abeilles et quelques autres insectes qu’une distinction organique se développe – et ils sont capables, dans des conditions certes plus défavorables, de vivre isolément. Néanmoins, le groupe devient un corps cohérent, et il doit y avoir une certaine force qui lie les différents membres entre eux.
Cette force n'est autre que les motifs sociaux, l'instinct qui maintiennent les animaux réunis et qui permettent ainsi la perpétuation du groupe. Chaque animal doit placer l'intérêt de l'ensemble du groupe au-dessus de ses intérêts propres ; il doit toujours agir instinctivement pour le bénéfice du groupe sans considération pour lui-même. Si chacun des faibles herbivores ne pense qu’à lui-même et s’enfuit quand il est attaqué par un fauve, le troupeau réuni s’éparpille à nouveau. C’est seulement quand le motif fort de l'instinct de conservation est contré par un motif encore plus fort d'union, et que chaque animal risque sa vie pour la protection de tous, c’est seulement alors que le troupeau se maintient et profite des avantages de rester groupé. Le sacrifice de soi, le courage, le dévouement, la discipline et la fidélité doivent surgir de cette façon, parce que là où ces qualités n'existent pas, la cohésion se dissout ; la société ne peut exister que là où ces qualités existent.
Ces instincts, tout en ayant leur origine dans l'habitude et la nécessité, sont renforcés par la lutte pour l'existence. Chaque troupeau animal se trouve toujours dans une lutte de concurrence avec les mêmes animaux d'un troupeau différent ; les troupeaux qui sont les mieux adaptés pour résister à l'ennemi survivront, alors que ceux qui sont plus pauvrement équipés disparaîtront. Les groupes dans lesquels l'instinct social est le mieux développé pourront le mieux se maintenir, alors que le groupe dans lequel l'instinct social est peu développé, soit va devenir une proie facile pour ses ennemis, soit ne sera pas en mesure de trouver les pâturages les plus favorables à son existence. Ces instincts sociaux deviennent donc les facteurs les plus importants et les plus décisifs qui déterminent qui survivra dans la lutte pour l'existence. C'est à cause de cela que les instincts sociaux ont été élevés à la position de facteurs prédominants dans la lutte pour la survie.
Ceci jette un éclairage entièrement nouveau sur le point de vue des darwinistes bourgeois. Ces derniers proclament que seule l'élimination des faibles est naturelle et qu'elle est nécessaire afin d'empêcher la corruption de la race. D’autre part, la protection apportée aux faibles est contre la nature et contribue à la déchéance de la race. Mais que voyons-nous ? Dans la nature elle-même, dans le monde animal, nous constatons que les faibles sont protégés, qu'ils ne se maintiennent pas grâce à leur propre force personnelle, et qu'ils ne sont pas écartés du fait de leur faiblesse individuelle. Ces dispositions n'affaiblissent pas le groupe, mais lui confèrent une force nouvelle. Le groupe animal dans lequel l'aide mutuelle est la mieux développée, est mieux adapté pour se préserver dans les conflits. Ce qui, selon la conception étroite de ces Darwinistes, apparaissait comme facteur de faiblesse, devient exactement l'inverse, un facteur de force, contre lequel les individus forts qui mènent la lutte individuellement ne font pas le poids. La race, prétendument dégénérescente et corrompue, remporte la victoire et s'avère dans la pratique la plus habile et la meilleure.
Ici nous voyons d'abord pleinement à quel point les affirmations des darwinistes bourgeois sont à courte vue, révèlent une étroitesse d’esprit et une absence d’esprit scientifique. Ils font dériver leurs lois naturelles et leurs conceptions de ce qui est naturel concernant une partie du monde animal à laquelle l'homme ressemble le moins, les animaux solitaires, alors qu'ils laissent de côté l'observation des animaux qui vivent pratiquement dans les mêmes circonstances que l'homme. On peut en trouver la raison dans leurs propres conditions de vie ; ils appartiennent à une classe où chacun est en concurrence individuelle avec l'autre. Par conséquent, ils ne voient chez les animaux que la forme de la lutte pour l'existence qui correspond à la lutte de concurrence bourgeoise. C'est pour cette raison qu'ils négligent les formes de lutte qui sont de la plus grande importance pour les hommes.
Il est vrai que les darwinistes bourgeois sont conscients du fait que tout, dans le monde animal comme dans l’humain, ne se réduit pas à l’égoïsme pur. Les scientifiques bourgeois disent très souvent que tout homme est habité par deux sentiments : le sentiment égoïste ou amour de soi, et le sentiment altruiste, ou amour des autres. Mais comme ils ne connaissent pas l'origine sociale de cet altruisme, ils ne peuvent comprendre ni ses limites ni ses conditions. L'altruisme, dans leur bouche, devient une idée très vague qu'ils ne savent pas manier.
Tout ce qui s'applique aux animaux sociaux s'applique également à l'homme. Nos ancêtres ressemblant à des singes et les hommes primitifs qui se sont développés à partir d’eux étaient tous des animaux faibles, sans défense qui, comme presque tous les singes, vivaient en tribus. Chez eux, ont dû apparaître les mêmes motifs et les mêmes instincts sociaux qui, plus tard, chez l’homme, se sont développés sous la forme de sentiments moraux. Le fait que nos coutumes et nos morales ne soient rien d’autre que des sentiments sociaux, des sentiments que nous rencontrons chez des animaux, est connu de tous ; Darwin aussi a déjà parlé des "habitudes des animaux en rapport avec leur attitudes sociales qui s'appelleraient morale chez les hommes". La différence réside seulement dans le degré de conscience ; dès que ces sentiments sociaux deviennent clairement conscients pour les hommes, ils prennent le caractère de sentiments moraux. Ici nous voyons que la conception morale - que les auteurs bourgeois considéraient comme la différence principale entre les hommes et les animaux - n'est pas propre aux hommes, mais est un produit direct des conditions existant dans le monde animal.
Le fait que les sentiments moraux ne s’étendent pas au-delà du groupe social auquel l'animal ou l'homme appartient, réside dans la nature de leur origine. Ces sentiments servent le but pratique de préserver la cohésion du groupe ; au delà, ils sont inutiles. Dans le monde animal, l’étendue et la nature du groupe social sont déterminées par les circonstances de la vie, et donc le groupe demeure presque toujours le même. Chez les hommes, en revanche, les groupes, ces unités sociales, sont toujours changeantes en fonction du développement économique, et ceci change également le domaine de validité des instincts sociaux.
Les anciens groupes, à l’origine des peuplades sauvages et barbares, étaient plus fortement unis que les groupes animaux non seulement parce qu’ils étaient en concurrence mais aussi parce qu’ils se faisaient directement la guerre. Les rapports familiaux et un langage commun ont renforcé plus tard cette unité. Chaque individu dépendait entièrement du soutien de sa tribu. Dans ces conditions, les instincts sociaux, les sentiments moraux, la subordination de l'individu au tout, ont dû se développer à l'extrême. Avec le développement ultérieur de la société, les tribus se sont dissoutes en des entités économiques plus larges et se sont réunies dans des villes et des peuples.
De nouvelles sociétés prennent la place des anciennes, et les membres de ces entités poursuivent la lutte pour l'existence en commun contre d'autres peuples. Dans une proportion égale au développement économique, la taille de ces entités augmente, au sein desquelles la lutte de chacun contre les autres faiblit et les sentiments sociaux s'étendent. À la fin de l'antiquité, nous constatons que tous les peuples connus autour de la Méditerranée forment alors une unité, l'Empire romain. A cette époque, surgit aussi la doctrine qui étend les sentiments moraux à l’humanité entière et formule le dogme que tous les hommes sont frères.
Quand nous considérons notre propre époque, nous voyons qu'économiquement tous les peuples forment de plus en plus une unité, même si c'est une unité faible. En conséquence, il règne un sentiment – il est vrai relativement abstrait – d’une fraternité qui englobe l’ensemble des peuples civilisés. Bien plus fort est le sentiment national, surtout chez la bourgeoisie, parce que les nations constituent les entités en lutte constante de la bourgeoisie. Les sentiments sociaux sont les plus forts envers les membres de la même classe, parce que les classes constituent les unités sociales essentielles, incarnant les intérêts convergents de ses membres Ainsi nous voyons que les entités sociales et les sentiments sociaux changent dans la société humaine, selon le progrès du développement économique. 2
La sociabilité, avec ses conséquences, les instincts moraux, constitue une particularité qui distingue l'homme de certains animaux, mais pas de tous. Il existe, cependant, des particularités qui n'appartiennent qu'à l’homme et qui le séparent de l’ensemble du monde animal. C’est, en premier lieu, le langage, ensuite, la raison. L'homme est également le seul animal qui se sert d’outils fabriqués par lui-même.
Les animaux présentent ces propriétés en germes, tandis que chez les hommes, elles se sont développées à travers de nouvelles caractéristiques spécifiques. Beaucoup d'animaux ont une sorte de voix et peuvent, au moyen de sons, communiquer leurs intentions, mais c’est seulement l'homme qui émet des sons tels que des noms qui lui servent de moyen pour nommer des choses et des actions. Les animaux ont également un cerveau avec lequel ils pensent, mais l’intelligence humaine révèle, comme nous le verrons plus tard, une orientation entièrement nouvelle, que nous désignons comme une pensée rationnelle ou abstraite. Les animaux, aussi, se servent d'objets inanimés qu'ils utilisent dans certains buts ; par exemple, la construction des nids. Les singes utilisent parfois des bâtons ou des pierres, mais seul l'homme utilise les outils qu'il fabrique lui-même délibérément dans des buts particuliers. Ces tendances primitives chez les animaux nous convainquent que les particularités que l'homme possède lui sont venues, non pas grâce au miracle de la création, mais par un lent développement. Comprendre comment ces premières traces de langage, de pensée et d’utilisation d’outils se sont développées en de telles propriétés nouvelles et de première importance chez l’homme implique la problématique de l’humanisation de l’animal.
Seul l’être humain en tant qu’animal social a été capable de cette évolution. Les animaux qui vivent en solitaires ne peuvent pas parvenir à un tel niveau de développement. En dehors de la société, le langage est aussi inutile que l'œil dans l'obscurité, et il est voué à s’éteindre. Le langage n'est possible que dans la société, et c'est seulement là qu'il est nécessaire comme moyen de délibération entre ses membres. Tous les animaux sociaux possèdent certains moyens pour exprimer leurs intentions, autrement ils ne pourraient pas agir selon un plan collectif. Les sons qui étaient nécessaires comme moyen de se comprendre lors du travail collectif pour l'homme primitif, ont dû se développer lentement jusqu’à des noms d’activités et ensuite de choses.
L'utilisation des outils aussi présuppose une société, parce que c'est seulement à travers la société que les acquis peuvent être préservés. Dans un état de vie solitaire, chacun aurait dû découvrir cet emploi pour lui seul et, avec la mort de l’inventeur, la découverte aurait disparu également, et chacun aurait dû tout recommencer depuis le début. Ce n'est qu'avec la société que l'expérience et la connaissance des anciennes générations peuvent être préservées, perpétuées et développées. Dans un groupe ou une tribu, quelques-uns peuvent mourir, mais le groupe, lui, est en quelque sorte immortel. Il subsiste. La connaissance de l'utilisation des outils n'est pas innée, elle est acquise plus tard. C'est pourquoi une tradition intellectuelle est indispensable, qui n’est possible que dans la société.
Alors que ces caractéristiques spécifiques à l'homme sont inséparables de sa vie sociale, elles sont également fortement reliées entre elles. Ces caractéristiques ne se sont pas développées séparément, mais ont toutes progressé en commun. Que la pensée et le langage peuvent exister et se développer seulement en commun est connu de tous ceux qui ont essayé de se représenter la nature de leur propre pensée. Lorsque nous pensons ou réfléchissons, en fait, nous nous parlons à nous-mêmes et nous observons alors qu'il nous est impossible de penser clairement sans employer des mots. Lorsque nous ne pensons pas avec des mots, nos pensées demeurent imprécises et nous n’arrivons pas à saisir les pensées spécifiques. Chacun d’entre nous peut comprendre cela par sa propre expérience. C'est parce que le raisonnement dit abstrait est une pensée perceptive et ne peut avoir lieu qu’au moyen de concepts. Or nous ne pouvons désigner et maîtriser ces concepts qu’au moyen de mots. Chaque tentative pour élargir notre pensée, chaque tentative pour faire avancer notre connaissance doit commencer par la distinction et la classification au moyen de noms ou en donnant aux anciennes appellations une signification plus précise. Le langage est le corps de la pensée, le seul matériel avec lequel toute science humaine est construite.
La différence entre l'esprit humain et l'esprit animal a été très pertinemment montrée par Schopenhauer dans une citation qui est aussi relevée par Kautsky dans L'Éthique et la Conception Matérialiste de l'Histoire (pages 139-40 de la traduction en anglais). Les actes de l'animal dépendent de motifs visuels, de ce qu'il voit, entend, sent ou observe. Nous pouvons presque toujours voir et dire ce qui pousse un animal à faire ceci ou cela car, nous aussi, nous pouvons le voir si nous faisons attention. Avec l'homme cependant, c’est totalement différent. Nous ne pouvons pas prévoir ce qu'il fera, parce que nous ne connaissons pas les motifs qui l'incitent à agir ; ce sont les pensées dans sa tête. L'homme réfléchit et, ce faisant, il fait entrer en jeu toute sa connaissance, résultat de ses anciennes expériences, et c'est alors qu'il décide comment agir. Les actes d'un animal dépendent d’une impression immédiate, alors que ceux de l'homme dépendent de conceptions abstraites, de pensées et de concepts. L'homme "est en quelque sorte mû par des fils invisibles et subtils. Ainsi tous ses mouvements donnent l'impression d’être guidés par des principes et des intentions qui leur donnent l'aspect de l'indépendance et les distinguent évidemment de ceux des animaux".
Parce qu’ils ont des exigences corporelles, les hommes et les animaux sont forcés de chercher à les satisfaire dans la nature environnante. La perception sensorielle constitue l'impulsion et le motif immédiat ; la satisfaction des besoins est l’objectif et le but de l'action appropriée. Chez l'animal, l'action intervient immédiatement après l'impression. Il voit sa proie ou sa nourriture et, immédiatement, il saute, saisit, mange, ou fait ce qui est nécessaire pour la saisir, et ceci est l’héritage de son instinct. L'animal entend un bruit hostile et, immédiatement, il s’enfuit si ses pattes sont suffisamment développées pour courir rapidement, ou bien il s’allonge et fait le mort pour ne pas être vu si sa couleur lui sert de protection. Chez l'homme, en revanche, entre ses perceptions et ses actes, passe dans sa tête une longue chaîne de pensées et de réflexions. Ses actes dépendront du résultat de ces réflexions.
D'où vient cette différence ? Il n'est pas difficile de voir qu'elle est étroitement associée à l'utilisation des outils. De la même manière que la pensée s’insère entre les perceptions de l'homme et ses actes, l'outil s’insère entre l'homme et l’objet qu'il cherche à saisir. En outre, puisque l'outil se glisse entre l'homme et les objets extérieurs, c’est aussi pour cela que la pensée doit surgir entre la perception et l'exécution. L'homme ne se jette pas les mains nues sur son objectif, que ce soit son ennemi ou le fruit à cueillir, mais il procède de façon indirecte, il prend un outil, une arme (les armes sont également des outils) qu'il utilise envers le fruit ou contre l'animal hostile. C’est pourquoi, dans sa tête, la perception sensorielle ne peut pas être suivie immédiatement de l’acte, mais l’esprit doit prendre un détour : il doit d’abord penser aux outils et ensuite poursuivre son objectif. Le détour matériel crée le détour mental ; la pensée supplémentaire est le résultat de l’outil supplémentaire.
Ici nous avons envisagé un cas extrêmement simple d'outils primitifs et les premières phases du développement mental. Plus la technique se complique, plus le détour matériel est grand et, par conséquent, l'esprit doit accomplir de plus grands détours. Quand chacun fabriquait ses propres outils, le souvenir de la faim et de la lutte devait orienter l'esprit humain vers l’outil et vers sa fabrication pour qu’il soit prêt à être utilisé. Ici nous avons une chaîne de pensées plus longue entre les perceptions et la satisfaction finale des besoins humains. Quand nous arrivons à notre époque, nous constatons que cette chaîne est très longue et très compliquée. L'ouvrier qui est licencié prévoit la faim qui l’attend ; il achète un journal pour voir s'il n’y a pas quelques offres d'emploi ; il va à la recherche d’offres, se présente et ne touchera que bien plus tard un salaire, avec lequel il pourra acheter de la nourriture et se protéger contre la famine. Tout cela sera d’abord délibéré dans sa tête avant que d'être mis en pratique. Quel long et tortueux chemin l'esprit doit suivre avant d'atteindre son but ! Mais celui-ci est conforme à l’élaboration complexe de notre société actuelle, au sein de laquelle l'homme ne peut satisfaire ses besoins qu’à travers une technique hautement développée.
C’est bien là-dessus que Schopenhauer attirait notre attention, le déroulement dans le cerveau du fil de la réflexion, qui anticipe l’action et qui doit être compris comme le produit nécessaire de l’emploi d’outils. Mais nous n’avons toujours pas accédé à l’essentiel. L’homme n’est pas le maître d'un seul outil, il en a de nombreux, qu'il utilise pour des objectifs différents et entre lesquels il peut choisir. L’homme, à cause de ces outils, n'est pas comme l'animal. L'animal ne va jamais au-delà des outils et des armes que la nature lui a offerts, alors que l'homme peut changer d’outils artificiels. C’est ici que se situe la différence fondamentale entre l’homme et l’animal. L’homme est en quelque sorte un animal aux organes modifiables et c’est pourquoi il doit avoir la capacité de choisir entre ses outils. Dans sa tête vont et viennent diverses pensées, son esprit examine tous les outils et les conséquences de leur application, et ses actes dépendent de cette réflexion. Il combine également une pensé avec une autre, et il retient rapidement l'idée qui convient à son but. Cette délibération, cette libre comparaison d’une série de séquences de réflexions individuellement choisies, cette propriété qui différencie fondamentalement la pensée humaine de la pensée animale doit directement être rattachée à l’utilisation d’outils choisis à volonté.
Les animaux n'ont pas cette capacité ; celle-ci leur serait inutile car ils ne sauraient pas quoi en faire. À cause de leur forme corporelle, leurs actions sont étroitement contraintes. Le lion peut seulement bondir sur sa proie, mais il ne peut pas penser l'attraper en lui courant après. Le lièvre est constitué de telle sorte qu’il peut fuir; il n'a aucun autre moyen de défense, même s’il aimerait en avoir. Ces animaux n'ont rien à prendre en considération, excepté le moment où il faut sauter ou courir, le moment où les impressions atteignent une force suffisante pour le déclenchement de l’action. Chaque animal est constitué de telle sorte qu’il s’adapte à un mode de vie défini. Leurs actions deviennent et sont transmises comme des habitudes, des instincts. Ces habitudes ne sont évidemment pas immuables. Les animaux ne sont pas des machines, quand ils sont soumis à des circonstances différentes, ils peuvent acquérir des habitudes différentes. Physiologiquement et en ce qui concerne les aptitudes, le fonctionnement de leur cerveau n’est pas différent du nôtre. Il l’est uniquement pratiquement au niveau du résultat. Ce n’est pas dans la qualité de leur cerveau, mais dans la formation de leur corps que résident les restrictions animales. L'acte de l'animal est limité par sa forme corporelle et par son milieu, ce qui lui laisse peu de latitude pour réfléchir. La raison humaine serait donc pour l’animal une faculté totalement inutile et sans objet, qu’il ne pourrait pas appliquer et qui lui ferait plus de mal que de bien.
D'un autre côté, l'homme doit posséder cette capacité parce qu'il exerce son discernement dans l'utilisation des outils et des armes, qu'il choisit en fonction des conditions particulières. S'il veut tuer le cerf agile, il prend l'arc et la flèche ; s'il rencontre l'ours, il utilise la hache, et s'il veut ouvrir un certain fruit en le cassant, il prend un marteau. Quand le danger le menace, l’homme doit décider s'il va s’enfuir ou s’il va se défendre en combattant avec des armes. Cette capacité de penser et de réfléchir lui est indispensable dans son utilisation d'outils artificiels, tout comme l’éveil de l’esprit en général appartient à la libre mobilité du monde animal.
Cette puissante connexion entre les pensées, le langage et les outils, chacun étant impossible sans les deux autres, montre qu'ils ont dû se développer en même temps. Comment ce développement a eu lieu, nous pouvons seulement le supposer. Ce fut, sans doute, un changement dans les circonstances de la vie qui a fait d’un animal simiesque l’ancêtre de l’homme. Après avoir émigré des bois, l'habitat original des singes, vers les plaines, l'homme a dû subir un total changement de vie. La différence entre les mains pour saisir et les pieds pour courir doit s'être développée alors. Cet être a apporté de ses origines les deux conditions fondamentales pour un développement vers un niveau supérieur : la sociabilité et la main simiesque, bien adaptée pour saisir des objets. Les premiers objets bruts, tels que les pierres ou les bâtons, utilisés épisodiquement dans le travail collectif, leurs arrivaient involontairement dans les mains et étaient ensuite jetés. Ceci a dû se répéter instinctivement et inconsciemment si souvent que cela doit avoir laissé une empreinte dans l'esprit de ces hommes primitifs.
Pour l'animal, la nature environnante est un tout indifférencié, dont il n’est pas conscient des détails. Il ne peut pas faire la distinction entre divers objets car il lui manque le nom des parties distinctes et des objets, qui nous permettent de différencier. Certes, cet environnement n’est pas immuable. Aux changements qui signifient ‘nourriture’ ou ‘danger’, l’animal réagit de manière appropriée, par des actions spécifiques. Globalement, néanmoins, la nature reste indifférenciée et notre homme primitif, à son niveau le plus bas, a dû être au même niveau de conscience. A partir de cette globalité, s’imposent par le travail lui-même, le contenu principal de l’existence humaine, progressivement ces choses qui sont utilisées pour le travail. L’outil, qui est parfois un élément mort quelconque du monde extérieur et qui parfois agit comme un organe de notre propre corps, qui est inspiré par notre volonté, se situe à la fois hors du monde extérieur et hors de notre corps, ces dimensions évidentes pour l’homme primitif qu’il ne remarque pas. Ces outils, qui sont des aides importantes, se sont vus attribuer une certaine désignation, ont été désignés par un son qui en même temps nommait l'activité particulière. Avec cette désignation, l'outil se dégage comme chose particulière du reste de l’environnement. L'homme commence ainsi à analyser le monde au moyen de concepts et de noms, la conscience de soi fait son apparition, des objets artificiels sont recherchés à dessein et utilisés en connaissance de cause pour travailler.
Ce processus – car c'est un processus très lent - marque le commencement de notre transformation en hommes. Dès que les hommes ont délibérément cherché et utilisé certains outils, nous pouvons dire que ceux-ci ont été ‘produits’; de cette étape à celle de la fabrication d'outils, il n’y a qu’un pas. Avec le premier nom et la première pensée abstraite, l’homme est fondamentalement né. Un long chemin reste alors à accomplir : les premiers outils bruts diffèrent déjà selon leur utilisation ; à partir de la pierre pointue nous obtenons le couteau, le coin, le foret, et la lance ; à partir du bâton nous obtenons la cognée. Ainsi, l’homme primitif est apte à affronter le fauve et la forêt et se présente déjà comme le futur roi de la terre. Avec une plus grande différentiation des outils, qui vont plus tard servir à la division du travail, le langage et la pensée prennent des formes plus riches et nouvelles et, réciproquement, la pensée conduit l'homme à mieux utiliser les outils, à améliorer les anciens et à en inventer de nouveaux.
Ainsi nous voyons qu'une chose en amène une autre. La pratique des relations sociales et du travail sont la source où la technique, la pensée, les outils et la science prennent leur origine et se développent continuellement. Par son travail, l'homme primitif simiesque s'est élevé à la vraie humanité. L'utilisation des outils marque la grande rupture qui va s'agrandir de façon croissante entre les hommes et les animaux.
C’est sur ce point que nous avons la différence principale entre les hommes et les animaux. L'animal obtient sa nourriture et vainc ses ennemis avec ses propres organes corporels ; l'homme fait la même chose à l'aide d’outils artificiels. Organe (organon) est un mot grec qui signifie également outil. Les organes sont les outils naturels de l'animal, rattachés à son corps. Les outils sont les organes artificiels des hommes. Mieux encore : ce que l'organe est à l'animal, la main et l'outil le sont à l’homme. Les mains et les outils remplissent les fonctions que l’organe animal doit remplir seul. De par sa structure, la main, spécialisée pour tenir et diriger divers outils, devient un organe général adapté à toutes sortes de travaux ; les outils sont les choses inanimées qui sont prises en main à tour de rôle et qui font de la main un organe variable qui peut remplir une diversité de fonctions.
Avec la division de ces fonctions, s'ouvre aux hommes un large champ de développement que les animaux ne connaissent pas. Puisque la main humaine peut utiliser divers outils, elle peut combiner les fonctions de tous les organes possibles que les animaux possèdent. Chaque animal est construit et adapté à un entourage et un mode de vie définis. L’homme, avec ses outils, s'adapte à toutes les circonstances et est équipé pour tous les environnements. Le cheval est bâti pour la prairie, et le singe pour la forêt. Dans la forêt, le cheval serait aussi désemparé que le singe qu'on amènerait dans la prairie. L'homme, pour sa part, utilise la hache dans la forêt et la bêche dans la prairie. Avec ses outils, l’homme peut se frayer un chemin dans toutes les régions du monde et s'établir partout. Alors que presque tous les animaux ne peuvent vivre que dans des régions particulières, là où ils peuvent subvenir à leurs besoins, et ne peuvent pas vivre ailleurs, l'homme a conquis le monde entier. Comme l’a exprimé une fois un zoologiste, chaque animal possède ses points forts grâce auxquels il se maintient dans la lutte pour l'existence, et des faiblesses propres qui font de lui une proie pour d'autres et l'empêchent de se multiplier. Dans ce sens, l'homme n'a que de la force et pas de faiblesse. Grâce à ses outils, l'homme est l'égal de tous les animaux. Comme ses outils ne sont pas figés mais s'améliorent continuellement, l'homme se développe au-dessus de tous les animaux. Avec ses outils, il devient le maître de toute la création, le Roi de la terre.
Dans le monde animal, il y a aussi un développement et un perfectionnement continus des organes. Mais ce développement est lié aux changements du corps de l'animal, qui rend le développement des organes infiniment lent, dicté par des lois biologiques. Dans le développement du monde organique, des milliers d'années comptent peu. L'homme, en revanche, en transférant son développement organique sur des objets extérieurs a pu se libérer de l’asservissement à la loi biologique. Les outils peuvent être transformés rapidement, et la technique fait des avancées si rapides par rapport au développement des organes animaux, qu’on ne peut que s’en émerveiller. Grâce à cette nouvelle voie, l'homme a pu, au cours de la courte période de quelques milliers d’années, s’élever au-dessus des plus évolués des animaux autant que ces derniers dépassent les moins évolués. Avec l'invention des outils artificiels, est mis fin en quelque sorte à l’évolution animale. L’enfant de singe s’est développé à une vitesse phénoménale jusqu’à une puissance divine, et il a pris possession de la terre en la soumettant à son autorité exclusive. L’évolution, jusqu’ici paisible et sans encombre, du monde organique, cesse de se développer selon les lois de la théorie darwinienne. C'est l'homme qui agit dans le monde des plantes et des animaux en tant que sélectionneur, dompteur, cultivateur ; et c'est l'homme qui défriche. Il transforme tout l'environnement, créant de nouvelles formes de plantes et d’animaux adaptées qui correspondent à ses objectifs et à sa volonté.
Ceci explique aussi pourquoi, avec l'apparition des outils, le corps humain ne change plus. Les organes humains demeurent ce qu’ils étaient, à l’exception notoire toutefois du cerveau. Le cerveau humain a dû se développer parallèlement aux outils ; et, en fait, nous voyons que la différence entre les races les plus évoluées de l’humanité et les plus inférieures réside principalement dans le contenu de leur cerveau. Mais même le développement de cet organe a dû s'arrêter à une certaine étape. Depuis le début de la civilisation, certaines fonctions sont continuellement retirées au cerveau par des moyens artificiels ; la science est précieusement conservée dans ces granges que sont les livres. Notre faculté de raisonnement d'aujourd'hui n'est pas tellement supérieure à celle qu'avaient les Grecs, les Romains ou même les Germains, mais notre connaissance s'est immensément développée, et c'est dû, en grande partie, au fait que le cerveau a été déchargé sur ses substituts, les livres.
Maintenant que nous avons établi la différence entre les hommes et les animaux, tournons à nouveau le regard sur la façon dont les deux groupes sont affectés par la lutte pour l'existence. Que cette lutte soit à l’origine de la perfection dans la mesure où ce qui est imparfait est éliminé, ne peut pas être nié. Dans ce combat, les animaux se rapprochent toujours plus de la perfection. Il est cependant nécessaire d'être plus précis dans l'expression et dans l'observation de ce en quoi consiste cette perfection. Ce faisant, nous ne pouvons plus dire que se sont les animaux dans leur totalité qui luttent et se perfectionnent. Les animaux luttent et se concurrencent au moyen d’organes particuliers, ceux qui sont déterminants dans la lutte pour la survie. Les lions ne combattent pas avec leur queue ; les lièvres ne se fient pas à leur vue ; et le succès des faucons ne vient pas de leur bec. Les lions mènent le combat à l'aide de leurs muscles (pour bondir) et de leurs dents ; les lièvres comptent sur leurs pattes et leurs oreilles, et les faucons réussissent grâce à leurs yeux et à leurs ailes. Si maintenant nous nous demandons qu'est-ce qui lutte et entre en compétition, la réponse est : les organes luttent et ce faisant, ils deviennent de plus en plus parfait. Les muscles et les dents pour le lion, les pattes et les oreilles pour le lièvre et les yeux et les ailes pour le faucon mènent la lutte. C'est dans cette lutte que les organes se perfectionnent. L'animal dans son ensemble dépend de ces organes et partage leur sort, celui des forts qui seront victorieux ou des faibles qui seront vaincus.
Maintenant, posons la même question à propos du monde humain. Les hommes ne luttent pas au moyen de leurs organes naturels, mais au moyen d'organes artificiels, à l'aide des outils (et des armes que nous devons considérer comme des outils). Ici, aussi, le principe de la perfection et de l’élimination par la lutte de ce qui est imparfait, s’avère vrai. Les outils entrent en lutte, et ceci conduit au perfectionnement toujours plus important de ces derniers. Les communautés tribales qui utilisent de meilleurs outils et de meilleures armes peuvent le mieux assurer leur subsistance et, quand elles entrent en lutte directe avec une autre race, la race qui est la mieux pourvue d’outils artificiels gagnera et exterminera les plus faibles. Les grandes améliorations de la technique et des méthodes de travail aux origines de l’humanité, comme l’introduction de l’agriculture et de l’élevage, font de l’homme une race physiquement plus solide qui souffre moins de la rudesse des éléments naturels. Les races dont le matériel technique est le mieux développé, peuvent chasser ou soumettre celles dont le matériel artificiel n’est pas développé, peuvent s’assurer des meilleures terres et développer leur civilisation. La domination de la race 3 européenne est basée sur sa suprématie technique.
Ici nous voyons que le principe de la lutte pour l'existence, formulé par Darwin et souligné par Spencer, exerce un effet différent sur les hommes et sur les animaux. Le principe selon lequel la lutte amène le perfectionnement des armes utilisées dans les conflits, conduit à des résultats différents chez les hommes et chez les animaux. Chez l'animal, il mène à un développement continu des organes naturels ; c'est la base de la théorie de la filiation, l'essence du darwinisme. Chez les hommes, il mène à un développement continu des outils, des techniques des moyens de production. Et ceci est le fondement du marxisme.
Il apparaît donc ici que le marxisme et le darwinisme ne sont pas deux théories indépendantes qui s'appliqueraient chacune à leur domaine spécifique, sans aucun point commun entre elles. En réalité, le même principe sous-tend les deux théories. Elles forment une unité. La nouvelle direction prise lors de l’apparition de l’homme, la substitution des outils aux organes naturels, fait se manifester ce principe fondamental de façon différente dans les deux domaines ; celui du monde animal se développe selon le principe darwinien alors que, pour l'humanité, c’est le marxisme qui détermine la loi de développement. Quand les hommes se sont libérés du monde animal, le développement des outils, des méthodes productives, de la division du travail et de la connaissance sont devenus la force propulsive du développement social. C’est cette force qui a fait naître les différents systèmes économiques, comme le communisme primitif, le système rural, les débuts de la production marchande, le féodalisme et, maintenant, le capitalisme moderne. Il nous reste à présent à situer le mode de production actuel et son dépassement dans la cohérence proposée et à appliquer sur eux de manière correcte la position de base du darwinisme.
La forme particulière que prend la lutte darwinienne pour l'existence comme force motrice pour le développement dans le monde humain, est déterminée par la sociabilité des hommes et leur utilisation des outils. Les hommes mènent la lutte collectivement, en groupes. La lutte pour l'existence, alors qu'elle se poursuit encore entre des membres de groupes différents, cesse néanmoins chez les membres du même groupe, et elle est remplacée par l’entraide et par les sentiments sociaux. Dans la lutte entre les groupes, l’équipement technique décide qui sera le vainqueur ; ceci a comme conséquence le progrès de la technique. Ces deux circonstances conduisent à des effets différents sous des systèmes sociaux différents. Voyons de quelle façon ils se manifestent sous le capitalisme.
Lorsque la bourgeoisie prit le pouvoir politique et fit du mode de production capitaliste le mode dominant, elle commença par briser les barrières féodales et à rendre les gens libres. Pour le capitalisme, il était essentiel que chaque producteur puisse participer librement à la lutte concurrentielle, sans qu'aucun lien n’entrave sa liberté de mouvement, qu’aucune activité ne soit paralysée ou freinée par des devoirs de corporation ou entravée par des statuts juridiques, car ce n’était qu’à cette condition que la production pourrait développer sa pleine capacité. Les ouvriers doivent être libres et ne pas être soumis à des contraintes féodales ou de corporation, parce que c’est seulement en tant qu’ouvriers libres qu’ils peuvent vendre leur force de travail comme marchandise aux capitalistes, et c’est seulement s’ils sont des travailleurs libres que les capitalistes peuvent les employer pleinement. C'est pour cette raison que la bourgeoisie a éliminé tous les liens et les devoirs du passé. Elle a complètement libéré les gens mais, en même temps, ceux-ci se sont trouvés totalement isolés et sans protection. Autrefois les gens n’étaient pas isolés ; ils appartenaient à une corporation ; ils étaient sous la protection d'un seigneur ou d’une commune et ils y trouvaient de la force. Ils faisaient partie d'un groupe social envers lequel ils avaient des devoirs et dont ils recevaient protection. Ces devoirs, la bourgeoisie les a supprimés ; elle a détruit les corporations et aboli les rapports féodaux. La libération du travail voulait aussi dire que l’homme ne pouvait plus trouver refuge nulle part et ne pouvait plus compter sur les autres. Chacun ne pouvait compter que sur lui-même. Seul contre tous, il devait lutter, libre de tout lien mais aussi de toute protection.
C'est pour cette raison que, sous le capitalisme, le monde humain ressemble le plus au monde des prédateurs et c'est pour cette raison même que les darwinistes bourgeois ont recherché le prototype de la société humaine chez les animaux solitaires. C’est leur propre expérience qui les guidait. Cependant leur erreur consistait dans le fait qu’ils considéraient les conditions capitalistes comme les conditions humaines éternelles. Le rapport qui existe entre notre système capitaliste concurrentiel et les animaux solitaires a été exprimé par Engels dans son livre, L'Anti-Dühring (Chapitre II : Notions théoriques) comme suit :
"La grande industrie, enfin, et l'établissement du marché mondial ont universalisé la lutte et lui ont donné en même temps une violence inouïe. Entre capitalistes isolés, de même qu'entre industries entières et pays entiers, ce sont les conditions naturelles ou artificielles de la production qui, selon qu'elles sont plus ou moins favorables, décident de l'existence. Le vaincu est éliminé sans ménagement. C'est la lutte darwinienne pour l'existence de l'individu transposée de la nature dans la société avec une rage décuplée. La condition de l'animal dans la nature apparaît comme l'apogée du développement humain." (marxists.org)
Qu'est-ce qui est en lutte dans la concurrence capitaliste, quelle chose, dont la perfection décidera de la victoire ?
Ce sont d'abord les outils techniques, les machines. Ici à nouveau s’applique la loi selon laquelle la lutte mène à la perfection. La machine qui est la plus perfectionnée surpasse celle qui l’est moins, les machines de mauvaise qualité et le petit outillage sont éliminés, et la technique industrielle fait des avancées colossales vers une productivité toujours plus grande. C'est la véritable application du darwinisme à la société humaine. La chose qui lui est particulière, c'est que, sous le capitalisme, il y a la propriété privée et que, derrière chaque machine, il y a un homme. Derrière la machine gigantesque, il y a un grand capitaliste et derrière la petite machine, il y a un petit-bourgeois. Avec la défaite de la petite machine, le petit-bourgeois périt, avec toutes ses illusions et espérances. En même temps la lutte est une course entre capitaux. Le grand capital est le mieux armé ; le grand capital vainc le petit et ainsi, il s'agrandit encore. Cette concentration de capital sape le capital lui-même, parce qu’elle réduit la bourgeoisie dont l'intérêt est de maintenir le capitalisme, et elle accroît la masse qui cherche à le supprimer. Dans ce développement, l'une des caractéristiques du capitalisme est graduellement supprimée. Dans ce monde où chacun lutte contre tous et tous contre chacun, la classe ouvrière développe une nouvelle association, l'organisation de classe. Les organisations de la classe ouvrière commencent par en finir avec la concurrence existant entre les ouvriers et unissent leurs forces séparées en une grande force pour leur lutte contre le monde extérieur. Tout ce qui s'applique aux groupes sociaux s'applique également à cette nouvelle organisation de classe, née de circonstances externes. Dans les rangs de cette organisation de classe, se développent de la façon la plus remarquable les motivations sociales, les sentiments moraux, le sacrifice de soi et le dévouement à l’ensemble du groupe. Cette organisation solide donne à la classe ouvrière la grande force dont elle a besoin pour vaincre la classe capitaliste. La lutte de classe qui n'est pas une lutte avec des outils mais pour la possession des outils, une lutte pour la possession de l’équipement technique de l’humanité, sera déterminée par la force de l’action organisée, par la force de la nouvelle organisation de classe qui surgit. A travers la classe ouvrière organisée transparaît déjà un élément de la société socialiste.
Considérons maintenant le système de production futur, tel qu’il existera dans le socialisme. La lutte pour le perfectionnement des outils, qui a marqué toute l’histoire de l’humanité, ne s’arrête pas. Comme précédemment sous le capitalisme, les machines inférieures seront dépassées et écartées par des machines supérieures. Comme auparavant, ce processus conduira à une plus grande productivité du travail. Mais, la propriété privée des moyens de production ayant été abolie, on ne trouvera plus un homme derrière chaque machine dont il revendique la propriété et dont il partage le sort. Leur concurrence ne sera plus qu’un processus innocent, mené consciemment à terme par l’homme qui après concertation rationnelle, remplacera simplement les mauvaises machines par de meilleures. C’est dans un sens métaphorique qu’on appellera lutte ce progrès. En même temps, la lutte réciproque des hommes contre les hommes cesse. Avec l’abolition des classes, l’ensemble du monde civilisé deviendra une grande communauté productive. Pour elle vaut ce qui vaut pour toute communauté collective. Au sein de cette communauté, la lutte qui opposait ses propres membres cesse et elle se fera uniquement en direction du monde extérieur. Mais à la place de petites communautés, nous aurons à présent une communauté mondiale. Cela signifie que la lutte pour l’existence dans le monde humain s’arrête. Le combat vers l’extérieur ne sera plus une lutte contre notre propre espèce, mais une lutte pour la subsistance, une lutte contre la nature 4. Mais, grâce au développement de la technique et de la science, on ne pourra pas appeler cela une lutte. La nature est subordonnée à l’homme et, avec très peu d’efforts de la part de celui-ci, elle le pourvoit en abondance. Ici, une nouvelle vie s’ouvre à l’humanité : la sortie de l’homme du monde animal et son combat pour l’existence au moyen d’outils atteignent leur terme. La forme humaine de la lutte pour l’existence prend fin et un nouveau chapitre de l’histoire de l’humanité commence.
Anton Pannekoek
1 Cette idée est présente, en revanche, dans l'ouvrage de Kautsky, évoqué et salué par Pannekoek, L'Éthique et la conception matérialiste de l'histoire, comme l'illustre la citation suivante : "La loi morale est une impulsion animale et rien d'autre. De là vient son caractère mystérieux, cette voix intérieure qui n'a de lien avec aucune impulsion extérieure, ni aucun intérêt apparent ; (…) La loi morale est un instinct universel, aussi puissant que l'instinct de conservation et de reproduction ; de là vient sa force, son pouvoir auquel nous obéissons sans réfléchir ; de là notre capacité de décider rapidement, dans certains cas, si une action est bonne ou mauvaise, vertueuse ou nuisible ; de là aussi la force de décision de notre jugement moral et la difficulté d’en démontrer le fondement rationnel lorsqu’on essaie de l’analyser." Par ailleurs, l'anthropologie de Darwin est très clairement expliquée dans la théorie de "l'effet réversif de l'évolution" que développe Patrick Tort, notamment dans son livre L'effet Darwin : sélection naturelle et naissance de la civilisation (Éditions du Seuil). Nos lecteurs pourront trouver une présentation de cet ouvrage dans l'article "A propos du livre de Patrick Tort, L'effet Darwin : Une conception matérialiste des origines de la morale et de la civilisation [6]".
2 Il faut noter que cette échelle croissante des sentiments de solidarité au sein de l'espèce humaine n'échappe pas à Darwin lorsqu'il écrit : "À mesure que l'homme avance en civilisation, et que les petites tribus se réunissent en communautés plus larges, la plus simple raison devrait aviser chaque individu qu'il doit étendre ses instincts sociaux et ses sympathies à tous les membres d'une même nation, même s'ils lui sont personnellement inconnus. Une fois ce point atteint, il n'y a plus qu'une barrière artificielle pour empêcher ses sympathies de s'étendre aux hommes de toutes les nations et de toutes les races. Il est vrai que si ces hommes sont séparés de lui par de grandes différences d'apparences extérieures ou d'habitudes, l'expérience malheureusement nous montre combien le temps est long avant que nous les regardions comme nos semblables." (La Filiation de l'Homme, chapitre IV.) (Note du CCI)
3 Scientifiquement parlant, il n'existe pas de race européenne. Cela étant dit, le fait que Pannekoek utilise le terme race pour distinguer tel sous-ensemble des êtres humains de tel autre ne constitue en rien une concession à un quelconque racisme de sa part. Sur ce plan également, il s'inscrit dans la continuité de Darwin qui se démarquait clairement des théories racistes de scientifiques de son temps tels qu'Eugène Dally. Par ailleurs, il faut rappeler que, à la fin du 19e siècle et au début du 20e, le terme race n'était pas connoté comme il l'est aujourd'hui comme en témoigne le fait que certains écrits du mouvement ouvrier parlent même (improprement il est vrai) de la race des ouvriers. (Note du CCI)
4 L'expression "lutte contre la nature" est inappropriée, il s'agit de lutte pour la maîtrise de la nature, l'établissement de la communauté humaine mondiale supposant que celle-ci soit capable de vivre en totale harmonie avec la nature. (Note du CCI)
A la fin du mois de mai, le CCI a tenu son 18e congrès international. Comme nous l'avons toujours fait jusqu'à présent, et comme il est de tradition dans le mouvement ouvrier, nous livrons aux lecteurs de notre presse les principaux enseignements de ce congrès dans la mesure où ces enseignements ne sont pas une affaire interne à notre organisation mais concernent l'ensemble de la classe ouvrière dont le CCI fait partie intégrante.
Dans la résolution sur les activités du CCI adoptée par le congrès il est dit :
"L’accélération de la situation historique, inédite dans l’histoire du mouvement ouvrier, est caractérisée par la conjonction des deux dimensions suivantes :
- l’extension de la plus grave crise économique ouverte dans l’existence du capitalisme, combinée avec l’exacerbation des tensions inter-impérialistes et d’une avancée lente mais progressive en profondeur et en extension de la maturation au sein de la classe ouvrière, engagée depuis 2003 ;
- et le développement d’un milieu internationaliste, qui est particulièrement perceptible dans les pays de la périphérie du capitalisme,
Cette accélération rehausse encore la responsabilité politique du CCI, lui pose des exigences plus élevées en termes d’analyse théorique/ politique et d’intervention dans la lutte de classe, et envers les éléments en recherche (…)"
Le bilan que l'on peut tirer du 18e congrès international de notre organisation doit donc se baser sur la capacité de celle-ci à faire face à ces responsabilités.
Pour une organisation communiste véritable et sérieuse, il est toujours délicat de proclamer haut et fort que telle ou telle de ses actions a été un succès. Et cela pour plusieurs raisons.
En premier lieu, parce que la capacité d'une organisation qui lutte pour la révolution communiste à être à la hauteur de ses responsabilités ne se juge pas à court terme mais à long terme puisque son rôle, s'il est en permanence ancré dans la réalité historique de son époque, consiste, la plupart du temps, non pas à influencer cette réalité immédiate, tout au moins à grande échelle, mais à préparer les événements futurs.
En second lieu, parce que, pour les membres d'une organisation, il existe toujours le danger "d'enjoliver les choses", de faire preuve d'une indulgence excessive vis-à-vis des faiblesses d'un collectif à la vie duquel ils consacrent leur dévouement et leurs efforts et qu'ils ont en permanence le devoir de défendre contre les attaques que lui portent tous les défenseurs de la société capitaliste, avoués ou cachés. L'histoire n'est pas avare d'exemples de militants convaincus et dévoués à la cause du communisme, qui par "patriotisme de parti" n'ont pas été capables d'identifier les faiblesses, les dérives, voire la trahison de leur organisation. Aujourd'hui encore, parmi les éléments qui défendent une perspective communiste, on en trouve qui considèrent que leur groupe, dont les effectifs peuvent souvent se compter sur les doigts d'une main, est le seul "Parti communiste international" auquel vont se rallier les masses prolétariennes un jour dans le futur et qui, réfractaires à toute critique ou a tout débat, considèrent les autres groupes du milieu prolétarien comme des faussaires.
C'est conscients de ce danger de se faire des illusions et avec la prudence nécessaire qui en découle, que nous n'avons pas peur d'affirmer que le 18e congrès du CCI s'est porté à la hauteur des exigences énoncées plus haut et a créé les conditions pour que nous puissions poursuivre dans cette direction.
Nous ne pouvons ici rendre compte de tous les éléments qui peuvent appuyer cette affirmation. Nous n'en soulignerons que les plus importants :
le fait que le congrès ait débuté ses travaux par la ratification de l'intégration de deux nouvelles sections territoriales, aux Philippines et en Turquie ;
la présence à celui-ci de quatre groupes du milieu prolétarien ;
la démarche d'ouverture de notre organisation envers l'extérieur illustrée notamment par cette présence ;
sa volonté de se pencher avec lucidité sur les difficultés et les faiblesses que doit surmonter notre organisation ;
l'ambiance fraternelle et enthousiaste qui a présidé aux travaux du congrès.
Notre presse a déjà rendu compte de l'intégration des nouvelles sections du CCI aux Philippines et en Turquie (la responsabilité du Congrès était de valider la décision d'intégration qui avait été adoptée par l'organe central de notre organisation au début 2009) 1.Comme nous l'écrivions à cette occasion : "L'intégration de ces deux nouvelles sections au sein de notre organisation élargit de façon importante l'extension géographique de celle-ci." Nous précisions aussi les deux faits suivants concernant ces intégrations :
elles ne relevaient pas d'un "recrutement" à la va-vite (comme c'est la mode chez les trotskystes et même, malheureusement, parmi certains groupes du camp prolétarien) mais résultaient, comme c'est la pratique du CCI, de tout un travail de discussions approfondies durant plusieurs années avec les camarades d'EKS en Turquie et d'Internasyonalismo aux Philippines dont nous avions rendu compte du travail dans notre presse ;
elles apportaient un démenti aux accusations "d'européocentrisme" qui ont souvent été portées contre notre organisation.
L'intégration de deux nouvelles sections n'est pas un fait fréquent pour notre organisation. La dernière intégration remontait à 1995 avec la section en Suisse. C'est dire si l'arrivée de ces deux sections (qui faisait suite à la constitution d'un noyau au Brésil en 2007) a été ressentie par l'ensemble des militants du CCI comme un événement très important et très positif. Elle vient confirmer à la fois l'analyse que notre organisation avait faite depuis plusieurs années sur les nouvelles potentialités de développement de la conscience de classe contenues dans la situation historique actuelle et la validité de la politique menée envers les groupes et éléments qui se tournent vers les positions révolutionnaires. Et cela d'autant plus qu'étaient présentes au congrès des délégations de quatre groupes du milieu internationaliste.
Dans le bilan que nous avons tiré du précédent congrès du CCI, nous avons souligné toute l'importance qu'avait donnée à ce congrès la présence, pour la première fois depuis des décennies, de quatre groupes du milieu internationaliste venant respectivement du Brésil, de Corée, des Philippines et de Turquie. Cette fois-ci étaient également présents quatre groupes de ce milieu. Mais ce n'était nullement une sorte de "sur-place" puisque deux des groupes présents lors du dernier congrès sont depuis devenus des sections du CCI et que nous avons eu la satisfaction d'accueillir deux nouveaux groupes : un deuxième groupe venu de Corée et un groupe basé en Amérique centrale (Nicaragua et Costa-Rica), la LECO (Liga por la Emancipación de la Clase Obrera) qui avait participé à la "Rencontre de communistes internationalistes" 2 tenue en Amérique latine au printemps dernier sur l'initiative du CCI et de OPOP, le groupe internationaliste du Brésil avec lequel notre organisation entretient des relations fraternelles et très positives depuis plusieurs années. Ce groupe était de nouveau présent à notre congrès. D'autres groupes ayant participé à cette rencontre avaient également été invités mais ils n'ont pu envoyer de délégation du fait que l'Europe se transforme de plus en plus en forteresse vis-à-vis des personnes qui ne sont pas nées dans le cercle très fermé des "pays riches".
La présence des groupes du milieu internationaliste a constitué un élément très important dans le succès du congrès et notamment dans l'ambiance des discussions de celui-ci. Ces camarades se sont tous montrés très chaleureux envers les militants de notre organisation, ont soulevé des questions, notamment à propos de la crise économique et la lutte ce classe, dans des termes auxquels nous ne sommes pas habitués dans nos débats internes ce qui ne pouvait que stimuler la réflexion de l'ensemble de notre organisation.
Enfin, la présence de ces camarades constituait un élément supplémentaire de la démarche d'ouverture que le CCI s'est fixé comme objectif depuis plusieurs années, une ouverture envers les autres groupes prolétariens mais aussi envers les éléments qui s'approchent des positions communistes. En particulier, face à des personnes extérieures à notre organisation, il devient très difficile de tomber dans le travers, évoqué plus haut, de "se raconter des histoires" ou d'en raconter aux autres. Une ouverture également dans nos préoccupations et réflexions, notamment en direction des recherches et découvertes du domaine scientifique 3 et qui s'est concrétisée par l'invitation d'un membre de la communauté scientifique à une séance du congrès.
Pour célébrer à notre façon "l'année Darwin" et manifester le développement au sein de notre organisation de l'intérêt pour les questions scientifiques, nous avons demandé à un chercheur spécialisé dans la question de l'évolution du langage (auteur notamment d'un ouvrage intitulé "Aux origines du langage") de faire une présentation devant le congrès de ses travaux, lesquels sont basés, évidemment, sur l'approche darwinienne. Les réflexions originales de Jean-Louis Dessalles 4 sur le langage, le rôle de celui-ci dans le développement des liens sociaux et de la solidarité dans l'espèce humaine ont un lien avec les réflexions et discussions qui se sont menées, et qui se poursuivent, dans notre organisation à propos de l'éthique et de la culture du débat. La présentation de ce chercheur a été suivie d'un débat que nous avons été obligés de limiter dans le temps du fait des contraintes de l'ordre du jour, mais qui aurait pu se poursuivre pendant des heures tant les questions abordées ont passionné la plupart des participants au congrès.
Nous tenons ici à remercier Jean-Louis Dessalles qui, bien que ne partageant pas nos idées politiques, a accepté de façon très cordiale de consacrer une partie de son temps pour enrichir la réflexion au sein de notre organisation. Nous tenons à saluer aussi le caractère très chaleureux et convivial des réponses qu'il a apportées aux questions et objections des militants du CCI.
Les travaux du congrès ont abordé les points classiques qui relèvent d'un congrès international :
l'analyse de la situation internationale ;
les activités et la vie de notre organisation.
La résolution sur la situation internationale, que nous publions dans ce même numéro de la Revue, constitue une sorte de synthèse des discussions du congrès concernant l'examen du monde actuel. Évidemment, elle ne peut rendre compte de tous les aspects abordés dans ces discussions (ni dans les rapports préparatoires). Elle se donne trois objectifs principaux :
comprendre les véritables causes et enjeux de l'aggravation actuelle et sans précédent de la crise économique du système capitaliste face à toutes les mystifications que les défenseurs de ce système ne manquent pas de colporter ;
comprendre l'impact que pourra avoir sur les conflits impérialistes l'accession au pouvoir de la première puissance mondiale du démocrate Barack Obama, lequel a été présenté comme apportant une nouvelle donne dans ces conflits et un espoir de leur atténuation ;
dégager les perspectives pour la lutte de classe, notamment dans les conditions créées par les brutales attaques qu'a commencé à subir le prolétariat du fait de la violence de la crise économique.
Sur le premier aspect, la compréhension des enjeux de la crise actuelle du capitalisme, il importe de souligner les aspects suivants :
"… la crise actuelle est la plus grave qu’ait connue ce système depuis la grande dépression qui a débuté en 1929. (…) … ce n’est pas la crise financière qui est à l’origine de la récession actuelle. Bien au contraire, la crise financière ne fait qu’illustrer le fait que la fuite en avant dans l’endettement qui avait permis de surmonter la surproduction ne peut se poursuivre indéfiniment. (…) En fait, même si le système capitaliste ne va pas s’effondrer comme un château de cartes… sa perspective est celle d’un enfoncement croissant dans son impasse historique, celle du retour à une échelle toujours plus vaste des convulsions qui l’affectent aujourd’hui."
Évidemment, le congrès n'a pu apporter de réponses définitives à toutes les questions que soulève la crise actuelle du capitalisme. D'une part, parce que chaque jour qui passe apporte de nouveaux rebondissements de celle-ci obligeant les révolutionnaires à apporter une attention soutenue et permanente à l'évolution de la situation et à poursuivre la discussion à partir de ces nouveaux éléments. D'autre part, parce que notre organisation n'est pas homogène sur un certain nombre d'aspects de l'analyse de la crise du capitalisme. Ce n'est nullement, à notre avis, une preuve de faiblesse du CCI. En fait, dans toute l'histoire du mouvement ouvrier, les débats se sont poursuivis, dans le cadre du marxisme, sur la question des crises du système capitaliste. Dès à présent, le CCI a commencé à publier certains aspects de ses débats internes sur cette question 5 dans la mesure où ces débats ne sont pas une "propriété privée" de notre organisation mais appartiennent à l'ensemble de la classe ouvrière. Et il est déterminé à poursuivre dans cette direction. Par ailleurs, la résolution sur les perspectives d'activité de notre organisation adoptée par le congrès demande explicitement que se développent les débats sur d'autres aspects de l'analyse de la crise actuelle afin que le CCI soit le mieux armé possible pour apporter des réponses claires aux questions que celle-ci pose à la classe ouvrière et aux éléments qui sont déterminés à s'engager dans son combat pour le renversement du capitalisme.
Concernant la "nouvelle donne" que constitue l'élection d'Obama, la résolution répond très clairement que :
" … la perspective qui se présente à la planète après l’élection d’Obama à la tête de la première puissance mondiale n’est pas fondamentalement différente de la situation qui a prévalu jusqu’à présent : poursuite des affrontements entre puissances de premier ou second plan, continuation de la barbarie guerrière avec des conséquences toujours plus tragiques (famines, épidémies, déplacements massifs) pour les populations habitant dans les zones en dispute."
Enfin, pour ce qui concerne la perspective de la lutte de classe, la résolution, tout comme les débats au congrès, essaie d'évaluer l'impact sur celle-ci de l'aggravation brutale de la crise capitaliste :
"L’aggravation considérable que connaît actuellement la crise du capitalisme constitue évidemment un élément de premier ordre dans le développement des luttes ouvrières. (…) Ainsi les conditions mûrissent pour que l’idée de la nécessité de renverser ce système puisse se développer de façon significative au sein du prolétariat. Cependant, il ne suffit pas à la classe ouvrière de percevoir que le système capitaliste est dans une impasse, qu’il devrait céder la place à une autre société, pour qu’elle soit en mesure de se tourner vers une perspective révolutionnaire. Il faut encore qu’elle ait la conviction qu’une telle perspective est possible et aussi qu’elle a la force de la réaliser. (…) Pour que la conscience de la possibilité de la révolution communiste puisse gagner un terrain significatif au sein de la classe ouvrière, il est nécessaire que celle-ci puisse prendre confiance en ses propres forces et cela passe par le développement de ses luttes massives. L’énorme attaque qu’elle subit dès à présent à l’échelle internationale devrait constituer la base objective pour de telles luttes. Cependant, la forme principale que prend aujourd’hui cette attaque, celle des licenciements massifs, ne favorise pas, dans un premier temps, l’émergence de tels mouvements. (…) C’est pour cela que si, dans la période qui vient, on n’assiste pas à une réponse d’envergure de la classe ouvrière face aux attaques, il ne faudra pas considérer que celle-ci a renoncé à lutter pour la défense de ses intérêts. C’est dans un second temps (…) que des combats ouvriers de grande ampleur pourront se développer beaucoup plus."
Un rapport a été présenté destiné à faire le point sur les principales positions en présence dans les discussions de fond en cours au sein du CCI. Un volet important de ces discussions a été consacré, au cours des deux dernières années, à la question économique, dont nous avons évoqué déjà au sein de cet article des divergences auxquelles elle a donné lieu.
Un autre volet de nos discussions a concerné la question de la nature humaine, donnant lieu à un débat animé, alimenté par des contributions nombreuses et riches. Ce débat, qui est loin d'être achevé, fait apparaître une convergence globale avec les textes d'orientations publiés dans la Revue internationale, La confiance et solidarité dans la lutte du prolétariat (n° 111), Marxisme et éthique (n° 127) ou La culture du débat, une arme de la lutte de classe (n° 131), avec encore de nombreuses interrogations ou réserves posées sur tel ou tel aspect. Dès que celles-ci seront suffisamment élaborées pour donner lieu à publication vers l'extérieur, le CCI, conformément à la tradition du mouvement ouvrier, ne manquera pas d'y procéder. Signalons enfin l'expression récente d'un désaccord profond avec les trois textes cités précédemment ("récente" relativement à la publication déjà ancienne de certains de ces textes), considérant ceux-ci comme non marxistes, de la part d'un camarade de la section de Belgique-Hollande ayant récemment quitté l'organisation (cf. ci-après).
Concernant les activités et la vie du CCI, le congrès a tiré un bilan positif de celles-ci pour la précédente période même s'il subsiste des faiblesses à surmonter :
"Le bilan des activités des deux dernières années montre la vitalité politique du CCI, sa capacité à être en phase avec la situation historique, à s'ouvrir, à être facteur actif dans le développement de la conscience de classe, sa volonté de s’investir dans des initiatives de travail commun avec d’autres forces révolutionnaires. (…) Sur le plan de la vie interne de l’organisation, le bilan des activités est également positif, malgré des difficultés réelles subsistant au premier chef au niveau du tissu organisationnel et, dans une moindre mesure, sur le plan de la centralisation." (Résolution sur les activités du CCI)
Effectivement, le congrès a consacré une partie de ses débats à examiner les faiblesses organisationnelles qui subsistent au sein du CCI. En fait, ces dernières ne relèvent aucunement d'une "spécificité" de celui-ci mais sont le lot de toutes les organisations du mouvement ouvrier qui sont en permanence soumises au poids de l'idéologie bourgeoise ambiante. La véritable force de ces organisations a toujours consisté à être en mesure, comme ce fut notamment le cas du parti bolchevique, de les affronter avec lucidité afin de pouvoir les combattre. C'est le même esprit qui a animé les débats du congrès sur cette question.
Un des points qui a été discuté est notamment celui des faiblesses qui ont affecté notre section en Belgique-Hollande dont un petit nombre de militants ont démissionné récemment, notamment suite aux accusations développées par le camarade M. Depuis un certain temps, celui-ci avait accusé notre organisation, et particulièrement la commission permanente de son organe central, de tourner le dos à la culture du débat dont le précédent congrès avait largement discuté 6 et qu'il avait considéré comme une nécessité pour la capacité des organisations révolutionnaires à se porter à la hauteur de leurs responsabilités. Le camarade M., qui défendait une position minoritaire sur l'analyse de la crise capitaliste, s'estimait victime "d'ostracisme" et considérait que ses positions étaient "discréditées" de façon délibérée afin que le CCI ne puisse pas en discuter. Face à ces accusations, l'organe central du CCI a décidé de constituer une commission spéciale dont les trois membres ont été désignés par le camarade M. lui-même et qui, après de nombreux mois de travail, d'entretiens et d'examen de centaines de pages de documents, est arrivée à la conclusion qu'elles n'étaient pas fondées. Le congrès n'a pu que regretter que le camarade M. de même qu'une partie des autres camarades qui l'ont suivi, n'aient pas attendu que cette commission livre ses conclusions pour décider de quitter le CCI.
En fait, le congrès a pu constater, notamment dans la discussion qu'il a menée au sujet de ses débats internes, qu'il existait aujourd'hui au sein de notre organisation une véritable préoccupation pour faire progresser sa culture du débat. Et là, ce ne sont pas seulement les militants du CCI qui ont pu le constater : les délégués des organisations invitées ont tiré les mêmes conclusions des travaux du congrès :
"La culture du débat du CCI, des camarades du CCI est très impressionnante. Quand je reviendrai en Corée, je vais partager mon expérience avec mes camarades." (un des groupes venus de Corée)
"C’est [le congrès] une bonne occasion de clarifier mes positions ; dans beaucoup de discussions, j’ai rencontré une véritable culture du débat. Je pense que je dois beaucoup faire pour développer les rapports entre [mon groupe] et le CCI et j’ai l’intention de le faire. J’espère que nous allons pouvoir travailler ensemble pour une société communiste un jour." (l'autre groupe de Corée) 7
Le CCI ne pratique pas la culture du débat une fois tous les deux ans à l'occasion de son congrès international mais, comme en témoigne l'intervention de la délégation de OPOP dans la discussion sur la crise économique, elle fait partie de la relation continue entre nos deux organisations. Cette relation est capable de se renforcer malgré des divergences sur différentes questions, dont l'analyse de la crie économique : "Je veux, au nom de OPOP, saluer l'importance de ce congrès. Pour OPOP, le CCI est une organisation-sœur, comme étaient frères le parti de Lénine et celui de Rosa Luxemburg. C'est-à-dire qu'il y avait entre eux, en divergence, toute une série de points de vue, d'opinions et aussi de conceptions théoriques, mais il y avait surtout une unité programmatique en ce qui concerne la nécessité du renversement révolutionnaire de la bourgeoisie et de l'instauration de la dictature du prolétariat, de l'expropriation immédiate de la bourgeoisie et du capital".
L'autre difficulté relevée dans la résolution d'activités concerne la question de la centralisation. C'est en vue de surmonter ces difficultés que le congrès avait également mis à son ordre du jour la discussion d'un texte plus général concernant la question de la centralisation. Cette discussion, si elle a été utile pour réaffirmer et préciser les conceptions communistes sur cette question auprès de la "vieille garde" de notre organisation, s'est révélée particulièrement importante pour les nouveaux camarades et les nouvelles sections qui ont récemment intégré le CCI.
En effet, un des traits significatifs du 18e congrès du CCI était la présence, que tous les "anciens" ont constatée avec une certaine surprise, d'un nombre élevé de "nouvelles têtes" parmi lesquelles la jeune génération était particulièrement représentée.
Cette présence importante de jeunes participants au congrès a été un facteur important du dynamisme et de l'enthousiasme qui a imprégné ses travaux. Contrairement aux médias bourgeois, le CCI ne cultive pas le "jeunisme" mais l'arrivée d'une nouvelle génération de militants au sein de notre organisation -et qui est le fait aussi des autres groupes participants si on en juge par la jeunesse de la plupart des délégués de ces derniers- est de la plus haute importance pour la perspective de la révolution prolétarienne. D'une part, comme pour les icebergs, elle constitue la "pointe émergée" d'un processus de prise de conscience en profondeur au sein de la classe ouvrière mondiale. D'autre part, elle crée les conditions d'une relève des forces communistes. Comme le dit la résolution sur la situation internationale adoptée par le congrès, "le chemin est encore long et difficile qui conduit aux combats révolutionnaires et au renversement du capitalisme (…) mais cela ne saurait en aucune façon être un facteur de découragement pour les révolutionnaires, de paralysie de leur engagement dans le combat prolétarien. Bien au contraire !". Même si les "vieux" militants du CCI conservent toute leur conviction et leur engagement, c'est à cette nouvelle génération qu'il appartiendra d'apporter une contribution décisive aux futurs combats révolutionnaires du prolétariat. Et, dès à présent, l'esprit fraternel, la volonté de rassemblement, de même que celle d'en découdre avec les pièges tendus par la bourgeoisie, le sens des responsabilités, toutes ces qualités amplement partagées par les éléments de cette nouvelle génération présents au congrès – militants du CCI ou des groupes invités – augurent positivement de la capacité de cette dernière à se porter à la hauteur de sa responsabilité. C'est bien cela qu'exprimait, entre autres, l'intervention du jeune délégué de la LECO à propos de la rencontre internationaliste qui s'est tenue en Amérique latine au printemps dernier : "Le débat que nous commençons à développer rassemble des groupes, des individus qui cherchent une unité sur des bases prolétariennes et nécessite des espaces de débat internationaliste, nécessite ce contact avec les délégués de la Gauche communiste. La radicalisation de la jeunesse et des minorités en Amérique latine, en Asie, permettront que ce pôle de référence soit identifié par plus de groupes encore qui grandissent numériquement et politiquement. Ceci nous donne des armes pour intervenir, pour affronter les issues que proposent le gauchisme, le "socialisme du XXIe siècle", le sandinisme, etc. …. La position atteinte dans la Rencontre latine est déjà une arme prolétarienne. Je salue les interventions des camarades qui expriment un véritable internationalisme, une préoccupation pour cette avancée politique et numérique de la Gauche communiste au niveau mondial"
CCI (12 juillet 09)
2 A propos de cette rencontre, voir notre article "Une rencontre de communistes internationalistes en Amérique latine [10]".
3 Comme nous l'avons déjà illustré dans les différents articles que nous avons publiés récemment sur Darwin et le darwinisme.
4 Le lecteur qui voudrait se faire une idée de ces réflexions peut se reporter au site [11] de J-L Dessales.
5 Voir notamment dans cette Revue l'article de discussion : En défense de la thèse 'Le Capitalisme d'Etat keynésiano-fordiste' [12].
6 Voir à ce sujet "17e congrès du CCI : un renforcement international du camp prolétarien [13]" et notre texte d'orientation "La culture du débat : une arme de la lutte de classe [14]".
7 Cette impression sur la qualité de la culture du débat qui s'est manifestée dans le congrès a été relevée également par le scientifique que nous avions invité. Il nous a adressé le message suivant : "Merci encore pour l'excellente interaction que j'ai eue avec la Marx communauté. J'ai passé vraiment un très bon moment."
1) Le 6 mars 1991, suite à l'effondrement du bloc de l'Est et de la victoire de la coalition en Irak, le Président George Bush père annonçait devant le Congrès des États-Unis la naissance d'un "Nouvel Ordre mondial" basé sur le "respect du droit international". Ce nouvel ordre devait apporter à la planète paix et prospérité. La "fin du communisme" signifiait le "triomphe définitif du capitalisme libéral". Certains, tel le "philosophe" Francis Fukuyama, prédisaient même la "fin de l'histoire". Mais l'histoire, la vraie et non celle des discours de propagande, s'est dépêchée de ridiculiser ces boniments de charlatan. En fait de paix, l'année 1991 allait connaître le début de la guerre dans l'ex Yougoslavie provoquant des centaines de milliers de morts au cœur même de l'Europe, un continent qui avait été épargné par ce fléau depuis presque un demi-siècle. De même, la récession de 1993, puis l'effondrement des "tigres" et des "dragons" asiatiques de 1997, puis la nouvelle récession de 2002 qui mit fin à l'euphorie provoquée par la "bulle Internet" ont égratigné sensiblement les illusions sur la "prospérité" annoncée par Bush senior. Mais, le propre des discours de la classe dominante aujourd'hui est d’oublier les discours de la veille. Entre 2003 et 2007, la tonalité des discours officiels des secteurs dominants de la bourgeoisie a été à l’euphorie, célébrant le succès du « modèle anglo-saxon » qui permettait des profits exemplaires, des taux de croissance vigoureux du PIB et même une baisse significative du chômage. Il n’existait pas de mots assez élogieux pour célébrer le triomphe de « l’économie libérale » et les bienfaits de la « dérégulation ». Mais depuis l’été 2007 et surtout l’été 2008, ce bel optimisme a fondu comme neige au soleil. Désormais, au centre des discours bourgeois, les mots « prospérité », « croissance », « triomphe du libéralisme » se sont éclipsés discrètement. A la table du grand banquet de l’économie capitaliste s’est installé un convive qu’on croyait avoir expulsé pour toujours : la crise, le spectre d’une « nouvelle grande dépression » semblable à celle des années 30.
2) Aux dires même de tous les responsables bourgeois, de tous les « spécialistes » de l’économie, y compris des thuriféraires les plus inconditionnels du capitalisme, la crise actuelle est la plus grave qu’ait connue ce système depuis la grande dépression qui a débuté en 1929. D’après l’OCDE : « L’économie mondiale est en proie à sa récession la plus profonde et la plus synchronisée depuis des décennies » (rapport intermédiaire de mars 2009). Certains même n’hésitent pas à considérer qu’elle est encore plus grave et que la raison pour laquelle ses effets ne sont pas aussi catastrophiques que lors des années 30 consiste dans le fait que, depuis cette époque, les dirigeants du monde, forts de leur expérience, ont appris à faire face à ce genre de situation, notamment en évitant un chacun pour soi généralisé : « Bien qu’on ait parfois qualifié cette sévère récession mondiale de ‘grande récession’, on reste loin d’une nouvelle ‘grande dépression’ comme celle des années 30, grâce à la qualité et à l’intensité des mesures que les gouvernements prennent actuellement. La ‘grande dépression’ avait été aggravée par de terribles erreurs de politique économique, depuis les mesures monétaires restrictives jusqu’à la politique du ‘chacun pour soi ‘, prenant la forme de protections commerciales et de dévaluations compétitives. En revanche, l’actuelle récession a généralement suscité les bonnes réponses. » (Ibid.).
Cependant, même si tous les secteurs de la bourgeoisie constatent la gravité des convulsions actuelles de l’économie capitaliste, les explications qu’ils donnent, bien que souvent divergentes entre elles, sont évidemment incapables de saisir la véritable signification de ces convulsions et la perspective qu’elles annoncent pour l’ensemble de la société. Pour certains, la responsable des difficultés aiguës du capitalisme est la « finance folle », le fait que se soient développée depuis le début des années 2000 toute une série de « produits financiers toxiques » permettant une explosion des crédits sans garantie suffisante de leur remboursement. D’autres affirment que le capitalisme souffre d’un excès de « dérégulation » à l’échelle internationale, orientation qui se trouvait au cœur des « reaganomics » mises en œuvre depuis le début des années 1980. D’autres enfin, les représentants de la Gauche du capital en particulier, considèrent que la cause profonde réside dans une insuffisance des revenus des salariés, obligeant ces derniers, notamment dans les pays les plus développés, à une fuite en avant dans des emprunts pour être en mesure de satisfaire leurs besoins élémentaires. Mais quelles que soient leurs différences, ce qui caractérise toutes ces interprétations, c’est qu’elles considèrent que ce n’est pas le capitalisme, comme mode de production, qui est en cause mais telle ou telle forme de ce système. Et justement, c’est bien ce postulat de départ qui empêche toutes ces interprétations d’aller au fond de la compréhension des causes véritables de la crise actuelle et de ses enjeux.
3) En fait, seule une vision globale et historique du mode de production capitaliste permet de comprendre, de prendre la mesure et de dégager les perspectives de la crise actuelle. Aujourd’hui, et c’est ce qui est occulté par l’ensemble des « spécialistes » de l’économie, se révèle ouvertement la réalité des contradictions qui assaillent le capitalisme : la crise de surproduction de ce système, son incapacité à vendre la masse des marchandises qu’il produit. Il n’y a pas surproduction par rapport aux besoins réels de l’humanité, lesquels sont encore très loin d’être satisfaits, mais surproduction par rapport aux marchés solvables, en moyens de paiement pour cette production. Les discours officiels, de même que les mesures qui sont adoptées par la plupart des gouvernements, se focalisent sur la crise financière, sur la faillite des banques, mais en réalité, ce que les commentateurs appellent « l’économie réelle » (par opposition à « l’économie fictive ») est en train d’illustrer ce fait : pas un jour ne se passe sans qu’on n’annonce des fermetures d’usines, des licenciements massifs, des faillites d’entreprises industrielles. Le fait que General Motors, qui pendant des décennies fut la première entreprise du monde, ne doive sa survie qu’à un soutien massif de l’État américain, alors que Chrysler est officiellement déclarée en faillite et est passée sous le contrôle de la FIAT italienne, est significatif des problèmes de fond qui affectent l’économie capitaliste. De même, la chute du commerce mondial, la première depuis la seconde guerre mondiale et qui est évaluée par l’OCDE à -13.2% pour 2009, signe l’incapacité pour les entreprises de trouver des acheteurs pour leur production.
Cette crise de surproduction, évidente aujourd’hui, n’est pas une simple conséquence de la crise financière comme essaient de le faire croire la plupart des « spécialistes ». C’est dans les rouages mêmes de l’économie capitaliste qu’elle réside comme l’a mis en évidence le marxisme depuis un siècle et demi. Tant que se poursuivait la conquête du monde par les métropoles capitalistes, les nouveaux marchés permettaient de surmonter les crises momentanées de surproduction. Avec la fin de cette conquête, au début du 20e siècle, ces métropoles, et particulièrement celle qui était arrivée en retard dans le concert de la colonisation, l’Allemagne, n’ont eu d’autre recours que de s’attaquer aux zones d’influence des autres provoquant la première guerre mondiale avant même que ne s’exprime pleinement la crise de surproduction. Celle-ci, en revanche, s’est manifestée clairement avec le krach de 1929 et la grande dépression des années 1930 poussant les principaux pays capitalistes dans la fuite en avant guerrière et dans une seconde guerre mondiale qui a dépassé de très loin la première en termes de massacres et de barbarie. L’ensemble des dispositions adoptées par les grandes puissances au lendemain de celle-ci, notamment l’organisation sous la tutelle américaine des grandes composantes de l’économie capitaliste comme celle de la monnaie (Bretton Woods) et la mise en place par les États de politiques néokeynésiennes, de même que les retombées positives de la décolonisation en termes de marchés ont permis pendant près de trois décennies au capitalisme mondial de donner l’illusion qu’il avait enfin surmonté ses contradictions. Mais cette illusion a subi un coup majeur en 1974 avec la survenue d’une récession violente, notamment dans la première économie mondiale. Cette récession ne constituait pas le début des difficultés majeures du capitalisme puisqu’elle faisait suite à celle de 1967 et aux crises successives de la livre et du dollar, deux monnaies fondamentales dans le système de Bretton Woods. En fait, c’est dès la fin des années 1960 que le néo keynésianisme avait fait la preuve de son échec historique comme l’avaient souligné à l’époque les groupes qui allaient constituer le CCI. Cela dit, pour l’ensemble des commentateurs bourgeois et pour la majorité de la classe ouvrière, c’est l’année 1974 qui marque le début d’une période nouvelle dans la vie du capitalisme d’après guerre, notamment avec la réapparition d’un phénomène qu’on croyait définitivement révolu dans les pays développés, le chômage de masse. C’est à ce moment-là aussi que le phénomène de la fuite en avant dans l’endettement s’est accéléré très sensiblement : à cette époque ce sont les pays du Tiers-Monde qui se sont trouvés aux avants postes de ce celui-ci et ont constitué, pour un temps, la « locomotive » de la relance. Cette situation a pris fin au début des années 1980 avec la crise de la dette, l’incapacité des pays du tiers-monde à rembourser les emprunts qui leur avaient permis pour un temps de constituer un débouché pour la production des grands pays industriels. Mais la fuite dans l’endettement n’a pas pris fin pour autant. Les États-Unis ont commencé à prendre le relais comme « locomotive » mais au prix d’un creusement considérable de leur déficit commercial et surtout budgétaire, politique qui leur était permise par le rôle privilégié de leur monnaie nationale comme monnaie mondiale. Si le slogan de Reagan était alors « l’État n’est pas la solution, c’est le problème » pour justifier la liquidation du néo keynésianisme, l’État fédéral américain, par ses énormes déficits budgétaires a continué de constituer l’agent essentiel dans la vie économique nationale et internationale. Cependant, les « reaganomics », dont la première inspiratrice avait été Margareth Thatcher en Grande-Bretagne, représentaient fondamentalement un démantèlement de « l’État providence », c’est-à-dire des attaques sans précédents contre la classe ouvrière qui ont contribué à surmonter l’inflation galopante qui avait affecté le capitalisme à la fin des années 1970.
Au cours des années 1990, une des « locomotives » de l’économie mondiale a été constituée par les « tigres » et les « dragons » asiatiques qui ont connu des taux de croissance spectaculaires mais au prix d’un endettement considérable qui les a conduits à des convulsions majeures en 1997. Au même moment, la Russie « nouvelle » et « démocratique », qui elle aussi s’est retrouvée en situation de cessation des paiements, a déçu cruellement ceux qui avaient misé sur la « fin du communisme » pour relancer durablement l’économie mondiale. A son tour, la « bulle Internet » de la fin des années 1990, en fait une spéculation effrénée sur les entreprises « high tech », a éclaté en 2001-2002 mettant fin au rêve d’une relance de l’économie mondiale par le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication. C’est alors que l’endettement a connu une nouvelle accélération, notamment grâce au développement faramineux des prêts hypothécaires à la construction dans plusieurs pays et notamment aux États-Unis. Ce dernier pays a alors accentué son rôle de « locomotive de l’économie mondiale » mais au prix d’une croissance abyssale des dettes, -notamment au sein de la population américaine- basées sur toutes sortes de « produits financiers » censés prévenir les risques de cessation de paiement. En réalité, la dispersion des créances douteuses n’a nullement aboli leur caractère d’épée de Damoclès suspendue au-dessus de l’économie américaine et mondiale. Bien au contraire, elle n’a fait qu’accumuler dans le capital des banques les « actifs toxiques » à l’origine de leur effondrement à partir de 2007.
4) Ainsi, ce n’est pas la crise financière qui est à l’origine de la récession actuelle. Bien au contraire, la crise financière ne fait qu’illustrer le fait que la fuite en avant dans l’endettement qui avait permis de surmonter la surproduction ne peut se poursuivre indéfiniment. Tôt ou tard, « l’économie réelle » se venge, c’est-à-dire que ce qui est à la base des contradictions du capitalisme, la surproduction, l’incapacité des marchés à absorber la totalité des marchandises produites, revient au devant de la scène.
En ce sens, les mesures qui ont été décidées en mars 2009 lors du G20 de Londres, un doublement des réserves du Fond monétaire international, un soutien massif des États au système bancaire en perdition, un encouragement à ces derniers à mettre en œuvre des politiques actives de relance de l’économie au prix d’un bond spectaculaire des déficits budgétaires, ne sauraient en aucune façon résoudre la question de fond. La fuite en avant dans l’endettement est un des ingrédients de la brutalité de la récession actuelle. La seule « solution » que soit capable de mettre en œuvre la bourgeoisie est… une nouvelle fuite en avant dans l’endettement. Le G20 n’a pu inventer de solution à une crise pour la bonne raison qu’il n’existe pas de solution à celle-ci. Il avait pour vocation d’éviter le chacun pour soi qui avait caractérisé les années 1930. Il se proposait aussi de tenter de rétablir un peu de confiance parmi les agents économiques, sachant que celle-ci, dans le capitalisme, constitue un facteur essentiel dans ce qui se trouve au cœur de son fonctionnement, le crédit. Cela dit, ce dernier fait, l’insistance sur l’importance de la « psychologie » dans les convulsions économiques, la mise en scène du verbe face aux réalités matérielles, signe le caractère fondamentalement illusoire des mesures que pourra prendre le capitalisme face à la crise historique de son économie. En fait, même si le système capitaliste ne va pas s’effondrer comme un château de cartes, même si la chute de la production ne va pas se poursuivre indéfiniment, sa perspective est celle d’un enfoncement croissant dans son impasse historique, celle du retour à une échelle toujours plus vaste des convulsions qui l’affectent aujourd’hui. Depuis plus de quatre décennies, la bourgeoisie n'a pas pu empêcher l’aggravation continue de la crise. Elle part aujourd'hui d'une situation bien plus dégradée que celle des années 60. Malgré toute l’expérience qu’elle a acquise au cours de ces décennies, elle ne pourra pas faire mieux mais pire encore. En particulier, les mesures d’inspiration néokeynésiennes qui ont été promues par le G20 de Londres (allant même jusqu’à la nationalisation des banques en difficulté) n’ont aucune chance de rétablir une quelconque « santé » du capitalisme puisque le début de ses difficultés majeures, à la fin des années 1960, résultait justement de la faillite définitive des mesures néokeynésiennes adoptées au lendemain de la seconde mondiale.
5) Si elle a grandement surpris la classe dominante, l’aggravation brutale de la crise capitaliste n’a pas surpris les révolutionnaires. Comme le mettait en avant la résolution adoptée par le précédent congrès international avant même le début de la panique de l’été 2007 : « Dès à présent (…) les menaces qui s'amoncellent sur le secteur des logements aux États-Unis, un des moteurs de l'économie américaine, et qui portent avec elles le danger de faillites bancaires catastrophiques, sème le trouble et l'inquiétude dans les milieux économiques. » (Point 4).
Cette même résolution tordait également le cou aux grandes expectatives suscitées par le « miracle chinois » : « … loin de représenter un "nouveau souffle" de l'économie capitaliste, le "miracle chinois" et d'un certain nombre d'autres économies du Tiers-monde n'est pas autre chose qu'un avatar de la décadence du capitalisme. En outre, l'extrême dépendance de l'économie chinoise à l'égard de ses exportations constitue un facteur certain de fragilité face à une rétractation de la demande de ses clients actuels, rétractation qui ne saurait manquer d'arriver, notamment lorsque l'économie américaine sera contrainte de remettre de l'ordre dans l'endettement abyssal qui lui permet à l'heure actuelle de jouer le rôle de "locomotive" de la demande mondiale. Ainsi, tout comme le "miracle" représenté par les taux de croissance à deux chiffres des "tigres" et "dragons" asiatiques avait connu une fin douloureuse en 1997, le "miracle" chinois d'aujourd'hui, même s'il n'a pas des origines identiques et s'il dispose d'atouts bien plus sérieux, sera amené, tôt ou tard, à se heurter aux dures réalités de l'impasse historique du mode de production capitaliste." (Point 6). La chute du taux de croissance de l’économie chinoise, l’explosion du chômage qu’elle provoque, notamment avec le retour forcé dans leur village de dizaines de millions de paysans qui s’étaient enrôlés dans les bagnes industriels pour tenter d’échapper à une misère intenable, viennent pleinement confirmer cette prévision.
En fait, la capacité du CCI à prévoir ce qui allait se passer ne s’appuie sur aucun « mérite particulier » de notre organisation. Son seul « mérite » consiste en sa fidélité à la méthode marxiste, en la volonté de la mettre en œuvre de façon permanente dans l’analyse de la réalité mondiale, en sa capacité de résister fermement aux sirènes proclamant la « faillite définitive du marxisme ».
6) La confirmation de la validité du marxisme ne concerne pas seulement la question de la vie économique de la société. Au cœur des mystifications qui s’étaient répandues au début des années 1990 résidait celle de l’ouverture d’une période de paix pour le monde entier. La fin de la « guerre froide », la disparition du bloc de l’Est, présenté en son temps par Reagan comme « l’Empire du mal », étaient censé mettre un terme aux différents conflits militaires à travers lesquels s’était mené l’affrontement entre les deux blocs impérialistes depuis 1947. Face à ce type de mystifications sur la possibilité de paix au sein du capitalisme, le marxisme a toujours souligné l’impossibilité pour les États bourgeois de dépasser leurs rivalités économiques et militaires, particulièrement dans la période de décadence. C’est pour cela que, dès janvier 1990, nous pouvions écrire :
« La disparition du gendarme impérialiste russe, et celle qui va en découler pour le gendarme américain vis-à-vis de ses principaux ‘partenaires’ d’hier, ouvrent la porte au déchaînement de toute une série de rivalités plus locales. Ces rivalités et affrontements ne peuvent pas, à l’heure actuelle, dégénérer en un conflit mondial (…). En revanche, du fait de la disparition de la discipline imposée par la présence des blocs, ces conflits risquent d’être plus violents et plus nombreux, en particulier, évidemment, dans les zones où le prolétariat est le plus faible. » (Revue Internationale n° 61, « Après l’effondrement du bloc de l’Est, stabilisation et chaos ») La scène mondiale n’allait pas tarder à confirmer cette analyse, notamment avec la première Guerre du Golfe en janvier 1991 et la guerre dans l’ex Yougoslavie à partir de l’automne de la même année. Depuis, les affrontements sanglants et barbares n’ont pas cessé. On ne peut tous les énumérer mais on peut souligner notamment :
la poursuite de la guerre dans l’ex Yougoslavie qui a vu un engagement direct, sous l’égide de l’OTAN, des États-Unis et des principales puissances européennes en 1999 ;
les deux guerres en Tchétchénie ;
les nombreuses guerres qui n’ont cessé de ravager le continent africain (Rwanda, Somalie, Congo, Soudan, etc.) ;
les opérations militaires d’Israël contre le Liban et, tout récemment, contre la bande de Gaza ;
la guerre en Afghanistan de 2001 qui se poursuit encore ;
la guerre en Irak de 2003 dont les conséquences continuent de peser de façon dramatique sur ce pays, mais aussi sur l’initiateur de cette guerre, la puissance américaine.
Le sens et les implications de la politique de cette puissance ont depuis longtemps été analysés par le CCI :
« … le spectre de la guerre mondiale a cessé de menacer la planète mais, en même temps, on a assisté à un déchaînement des antagonismes impérialistes et des guerres locales avec une implication directe des grandes puissances, à commencer par la première d'entre elles, les États-Unis. Il revenait à ce pays, qui s'est investi depuis des décennies du rôle de ‘gendarme du monde’, de poursuivre et renforcer ce rôle face au nouveau ‘désordre mondial’ issu de la fin de la guerre froide. En réalité, s'il a pris à cœur ce rôle, ce n'est nullement pour contribuer à la stabilité de la planète mais fondamentalement pour tenter de rétablir son leadership sur celle-ci, un leadership sans cesse remis en cause, y compris et notamment par ses anciens alliés, du fait qu'il n'existe plus le ciment fondamental de chacun des blocs impérialistes, la menace d'un bloc adverse. En l'absence définitive de la ‘menace soviétique’, le seul moyen pour la puissance américaine d'imposer sa discipline est de faire étalage de ce qui constitue sa force principale, l'énorme supériorité de sa puissance militaire. Ce faisant, la politique impérialiste des États-Unis est devenue un des principaux facteurs de l'instabilité du monde. » (Résolution sur la situation internationale, 17e congrès du CCI, point 7)
7) L’arrivée du démocrate Barak Obama à la tête de la première puissance mondiale a suscité beaucoup d’illusions sur un possible changement d’orientation de la stratégie de celle-ci, un changement permettant l’ouverture d’une « ère de paix ». Une des bases de ces illusions provient du fait qu’Obama fut l’un des rares sénateurs américains à voter contre l’intervention militaire en Irak en 2003 et qui, contrairement à son concurrent républicain McCain, s’est engagé pour un retrait de ce pays des forces armées américaines. Cependant, ces illusions ont été rapidement confrontées à la réalité des faits. En particulier, si Obama a prévu de retirer les forces américaines d’Irak, c’est pour pouvoir renforcer leur engagement en Afghanistan et au Pakistan. D’ailleurs, la continuité de la politique militaire des États-Unis est bien illustrée par le fait que la nouvelle administration a reconduit dans ses fonctions le Secrétaire à la Défense, Gates, nommé par Bush.
En réalité, la nouvelle orientation de la diplomatie américaine ne remet nullement en question le cadre rappelé plus haut. Elle continue d’avoir pour objectif la reconquête du leadership des États-Unis sur la planète au moyen de leur supériorité militaire. Ainsi, l’orientation d’Obama en faveur de l’accroissement du rôle de la diplomatie a en grande partie pour but de gagner du temps et donc de reculer le moment d’inévitables interventions impérialistes des forces militaires américaines qui sont, actuellement, trop dispersées et trop épuisées pour mener simultanément des guerres en Irak et en Afghanistan
Cependant, comme le CCI l’a souvent souligné, il existe au sein de la bourgeoisie américaine deux options pour parvenir à ces fins :
l’option représentée par le Parti Démocrate qui essaie d’associer autant que possible d’autres puissances à cette entreprise ;
l’option majoritaire parmi les républicains consistant à prendre l’initiative des offensives militaires et à l’imposer coûte que coûte aux autres puissances.
La première option fut notamment mise en œuvre à la fin des années 1990 par l’administration Clinton dans l’ex Yougoslavie où cette administration avait réussi à obtenir des principales puissances d’Europe occidentale, notamment l’Allemagne et la France de coopérer et participer aux bombardements de l’OTAN en Serbie pour contraindre ce pays à abandonner le Kosovo.
La seconde option est typiquement celle du déclenchement de la guerre contre l’Irak en 2003 qui s’est faite contre l’opposition très déterminée de l’Allemagne et de la France associées en cette circonstance à la Russie au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU.
Cependant, aucune de ces deux options n’a été en mesure, jusqu’à présent, de renverser le cours de la perte du leadership américain. La politique du « passage en force », qui s’est particulièrement illustrée durant les deux mandats de George Bush fils, a conduit non seulement au chaos irakien, un chaos qui n’est pas près d’être surmonté, mais aussi à un isolement croissant de la diplomatie américaine illustré notamment par le fait que certains pays qui l’avaient soutenue en 2003, tels l’Espagne et l’Italie, ont quitté le navire de l’aventure irakienne en cours de route (sans compter la prise de distance plus discrète du gouvernement de Gordon Brown par rapport au soutien inconditionnel apporté par Tony Blair à cette aventure). De son côté, la politique de « coopération », qui a la faveur des démocrates, ne permet pas réellement de s’assurer une « fidélité » des puissances qu’on essaie d’associer aux entreprises militaires, notamment du fait qu’elle laisse une marge de manœuvre plus importante à ces puissances pour faire valoir leurs propres intérêts.
Aujourd’hui, par exemple, l’administration Obama a décidé d’adopter une politique plus conciliante à l’égard de l’Iran et plus ferme à l’égard d’Israël, deux orientations qui vont dans le sens de la plupart des États de l’Union Européenne, notamment l’Allemagne et la France, deux pays qui souhaitent récupérer une partie de l’influence qu’ils ont eue par le passé en Iran et en Irak. Cela dit, cette orientation ne permettra pas d’empêcher que se maintiennent des conflits d’intérêt majeurs entre ces deux pays et les États-Unis notamment dans la sphère Est-européenne (où l’Allemagne essaie de préserver des rapports « privilégiés » avec la Russie) ou africaine (où les deux factions qui mettent à feu et à sang le Congo ont le soutien respectif de la France et des États-Unis).
Plus généralement, la disparition de la division du monde en deux grands blocs impérialistes rivaux a ouvert la porte à l’émergence des ambitions d’impérialismes de second plan qui constituent de nouveaux protagonistes de la déstabilisation de la situation internationale. Il en est ainsi, par exemple de l’Iran qui vise à conquérir une position dominante au Moyen-Orient sous le drapeau de la « résistance » au « Grand Satan » américain et du combat contre Israël. Avec des moyens bien plus considérables, la Chine vise à étendre son influence sur d’autres continents, particulièrement en Afrique où sa présence économique croissante vise à asseoir dans cette région du monde une présence diplomatique et militaire comme c’est déjà le cas dans la guerre au Soudan.
Ainsi, la perspective qui se présente à la planète après l’élection d’Obama à la tête de la première puissance mondiale n’est pas fondamentalement différente de la situation qui a prévalu jusqu’à présent : poursuite des affrontements entre puissances de premier ou second plan, continuation de la barbarie guerrière avec des conséquences toujours plus tragiques (famines, épidémies, déplacements massifs) pour les populations habitant dans les zones en dispute. Il faut même s’attendre à ce que l’instabilité que va provoquer l’aggravation considérable de la crise dans toute une série de pays de la périphérie ne vienne alimenter une intensification des affrontements entre cliques militaires au sein de ces pays avec, comme toujours, une participation des différentes puissances impérialistes. Face à cette situation, Obama et son administration ne pourront pas faire autre chose que poursuivre la politique belliciste de leurs prédécesseurs, comme on le voit par exemple en Afghanistan, une politique synonyme de barbarie guerrière croissante.
8) De même que les « bonnes dispositions » affichées par Obama sur le plan diplomatique n’empêcheront pas le chaos militaire de se poursuivre et de s’aggraver dans le monde ni la nation qu’il dirige d’être un facteur actif dans ce chaos, la réorientation américaine qu’il annonce aujourd’hui dans le domaine de la protection de l’environnement ne pourra empêcher la dégradation de celui-ci de se poursuivre. Cette dégradation n’est pas une question de bonne ou mauvaise volonté des gouvernements, aussi puissants soient-ils. Chaque jour qui passe met un peu plus en évidence la véritable catastrophe environnementale qui menace la planète : tempêtes de plus en plus violentes dans des pays qui en étaient épargnés jusqu’à présent, sécheresse, canicules, inondations, fonte de la banquise, pays menacés d’être recouverts par la mer… les perspectives sont de plus en plus sombres. Cette dégradation de l’environnement porte avec elle également une menace d’aggravation des affrontements militaires, particulièrement avec l’épuisement des réserves d'eau potable qui vont constituer un enjeu pour de nouveaux conflits.
Comme le soulignait la résolution adoptée par le précédent congrès international :
« Ainsi, comme le CCI l'avait mis en évidence il y a plus de 15 ans, le capitalisme en décomposition porte avec lui des menaces considérables pour la survie de l'espèce humaine. L'alternative annoncée par Engels à la fin du 19e siècle, socialisme ou barbarie, est devenue tout au long du 20e siècle une sinistre réalité. Ce que le 21e siècle nous offre comme perspective, c'est tout simplement socialisme ou destruction de l'humanité. Voila l'enjeu véritable auquel se confronte la seule force de la société en mesure de renverser le capitalisme, la classe ouvrière mondiale. » (Point 10)
9) Cette capacité de la classe ouvrière à mettre fin à la barbarie engendrée par le capitalisme en décomposition, à sortir l’humanité de sa préhistoire pour lui ouvrir les portes du « règne de la liberté », suivant l’expression d’Engels, c’est dès à présent, dans les combats quotidiens contre l’exploitation capitaliste, qu’elle se forge. Après l’effondrement du bloc de l’Est et des régimes soi-disant « socialistes », les campagnes assourdissantes sur la « fin du communisme », voire sur la « fin de la lutte de classe », ont porté un coup sévère à la conscience au sein de la classe ouvrière de même qu’à sa combativité. Le prolétariat a subi alors un profond recul sur ces deux plans, un recul qui s’est prolongé pendant plus de dix ans. Ce n’est qu’à partir de 2003, comme le CCI l’a mis en évidence en de nombreuses reprises, que la classe ouvrière mondiale a fait la preuve qu’elle avait surmonté ce recul, qu’elle avait repris le chemin des luttes contre les attaques capitalistes. Depuis, cette tendance ne s’est pas démentie et les deux années qui nous séparent du précédent congrès ont vu la poursuite de luttes significatives dans toutes les parties du monde. On a pu voir même, à certaines périodes, une simultanéité remarquable des combats ouvriers à l’échelle mondiale. C’est ainsi qu’au début de l’année 2008, ce sont les pays suivants qui ont été affectés en même temps par des luttes ouvrières : la Russie, l’Irlande, la Belgique, la Suisse, l’Italie, la Grèce, la Roumanie, la Turquie, Israël, l’Iran, l’Émirat de Bahrein, la Tunisie, l’Algérie, le Cameroun, le Swaziland, le Venezuela, le Mexique, les États-Unis, le Canada et la Chine.
De même, on a pu assister à des luttes ouvrières très significatives au cours des deux années passées. Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut citer les exemples suivants :
en Égypte, durant l’été 2007, où des grèves massives dans l’industrie textiles rencontrent la solidarité active de la part de nombreux autres secteurs (dockers, transports, hôpitaux…) ;
à Dubaï, en novembre 2007, où les ouvriers du bâtiment (essentiellement des immigrés) se mobilisent massivement ;
en France, en novembre 2007, où les attaques contre les régimes de retraite provoquent un grève très combative dans les chemins de fer, avec des exemples d’établissement de liens de solidarité avec les étudiants mobilisés au même moment contre les tentatives du gouvernement d’accentuer la ségrégation sociale à l’Université, une grève qui a dévoilé ouvertement le rôle de saboteurs des grandes centrales syndicales, notamment la CGT et la CFDT, obligeant la bourgeoisie de redorer le blason de son appareil d’encadrement des luttes ouvrières ;
en Turquie, fin 2007, où la grève de plus d’un mois des 26000 travailleurs de Türk Telecom constitue la mobilisation la plus importante du prolétariat dans ce pays depuis 1991, et cela au moment même où le gouvernement de celui-ci est engagé dans une opération militaire dans le Nord de l’Irak ;
en Russie, en novembre 2008, où des grèves importantes à Saint-Pétersbourg (notamment à l’usine Ford) témoignent de la capacité des travailleurs à surmonter une intimidation policière très présente, notamment de la part du FSB (ancien KGB) ;
en Grèce, à la fin de l’année 2008 où, dans un climat d’un énorme mécontentement qui s’était déjà exprimé auparavant, la mobilisation des étudiants contre la répression bénéficie d’une profonde solidarité de la part de la classe ouvrière dont certains secteurs débordent le syndicalisme officiel ; une solidarité qui ne reste pas à l’intérieur des frontières du pays puisque ce mouvement rencontre un écho de sympathie très significatif dans de nombreux pays européens ;
en Grande-Bretagne, où la grève sauvage dans la raffinerie Linsay, au début de 2009, a constitué un des mouvements les plus significatifs de la classe ouvrière de ce pays depuis deux décennies, une classe ouvrière qui avait subi de cruelles défaites au cours des années 1980 ; ce mouvement a fait la preuve de la capacité de la classe ouvrière d’étendre les luttes et, en particulier, a vu le début d’une confrontation contre le poids du nationalisme avec des manifestations de solidarité entre ouvriers britanniques et ouvriers immigrés, polonais et italiens.
10) L’aggravation considérable que connaît actuellement la crise du capitalisme constitue évidemment un élément de premier ordre dans le développement des luttes ouvrières. Dès à présent, dans tous les pays du monde, les ouvriers sont confrontés à des licenciements massifs, à une montée irrésistible du chômage. De façon extrêmement concrète, dans sa chair, le prolétariat fait l’expérience de l’incapacité du système capitaliste à assurer un minimum de vie décente aux travailleurs qu’il exploite. Plus encore, il est de plus en plus incapable d’offrir le moindre avenir aux nouvelles générations de la classe ouvrière, ce qui constitue un facteur d’angoisse et de désespoir non seulement pour celles-ci mais aussi pour celles de leurs parents. Ainsi les conditions mûrissent pour que l’idée de la nécessité de renverser ce système puisse se développer de façon significative au sein du prolétariat. Cependant, il ne suffit pas à la classe ouvrière de percevoir que le système capitaliste est dans une impasse, qu’il devrait céder la place à une autre société, pour qu’elle soit en mesure de se tourner vers une perspective révolutionnaire. Il faut encore qu’elle ait la conviction qu’une telle perspective est possible et aussi qu’elle a la force de la réaliser. Et c’est justement sur ce terrain que la bourgeoisie a réussi à marquer des points très importants contre la classe ouvrière à la suite de l’effondrement du prétendu « socialisme réel ». D’une part, il a réussi à enfoncer l’idée que la perspective du communisme est un songe creux : « le communisme, ça ne marche pas ; la preuve, c’est qu’il a été abandonné au bénéfice du capitalisme par les populations qui vivaient dans un tel système ». D’autre part, il a réussi à créer au sein de la classe ouvrière un fort sentiment d’impuissance du fait de l’incapacité de celle-ci à mener des luttes massives. En ce sens, la situation d’aujourd’hui est très différente de celle qui prévalait lors du surgissement historique de la classe à la fin des années 1960. A cette époque, le caractère massif des combats ouvriers, notamment avec l’immense grève de mai 1968 en France et l’automne chaud italien de 1969, avait mis en évidence que la classe ouvrière peut constituer une force de premier plan dans la vie de la société et que l’idée qu’elle pourrait un jour renverser le capitalisme n’appartenait pas au domaine des rêves irréalisables. Cependant, dans la mesure où la crise du capitalisme n’en était qu’à ses tous débuts, la conscience de la nécessité impérieuse de renverser ce système ne disposait pas encore des bases matérielles pour pouvoir s’étendre parmi les ouvriers. On peut résumer cette situation de la façon suivante : à la fin des années 1960, l’idée que la révolution était possible pouvait être relativement répandue mais celle qu’elle était indispensable ne pouvait pas s’imposer. Aujourd’hui, au contraire, l’idée que la révolution soit nécessaire peut trouver un écho non négligeable mais celle qu’elle soit possible est extrêmement peu répandue.
11) Pour que la conscience de la possibilité de la révolution communiste puisse gagner un terrain significatif au sein de la classe ouvrière, il est nécessaire que celle-ci puisse prendre confiance en ses propres forces et cela passe par le développement de ses luttes massives. L’énorme attaque qu’elle subit dès à présent à l’échelle internationale devrait constituer la base objective pour de telles luttes. Cependant, la forme principale que prend aujourd’hui cette attaque, celle des licenciements massifs, ne favorise pas, dans un premier temps, l’émergence de tels mouvements. En général, et cela s’est vérifié fréquemment au cours des quarante dernières années, les moments de forte montée du chômage ne sont pas le théâtre des luttes les plus importantes. Le chômage, les licenciements massifs, ont tendance à provoquer une certaine paralysie momentanée de la classe. Celle-ci est soumise à un chantage de la part des patrons : « si vous n’êtes pas contents, beaucoup d’autres ouvriers sont prêts à vous remplacer ». La bourgeoise peut utiliser cette situation pour provoquer une division, voire une opposition entre ceux qui perdent leur travail et ceux qui ont le « privilège » de le conserver. De plus, les patrons et les gouvernements se replient derrière un argument « décisif » : « Nous n’y sommes pour rien si le chômage augmente ou si vous êtes licenciés : c’est la faute de la crise ». Enfin, face aux fermetures d’entreprises, l’arme de la grève devient inopérante accentuant le sentiment d’impuissance des travailleurs. Dans une situation historique où le prolétariat n’a pas subi de défaite décisive, contrairement aux années 1930, les licenciements massifs, qui ont d’ores et déjà commencé, pourront provoquer des combats très durs, voire des explosions de violence. Mais ce seront probablement, dans un premier temps, des combats désespérés et relativement isolés, même s’ils bénéficient d’une sympathie réelle des autres secteurs de la classe ouvrière. C’est pour cela que si, dans la période qui vient, on n’assiste pas à une réponse d’envergure de la classe ouvrière face aux attaques, il ne faudra pas considérer que celle-ci a renoncé à lutter pour la défense de ses intérêts. C’est dans un second temps, lorsqu’elle sera en mesure de résister aux chantages de la bourgeoisie, lorsque s’imposera l’idée que seule la lutte unie et solidaire peut freiner la brutalité des attaques de la classe régnante, notamment lorsque celle-ci va tenter de faire payer à tous les travailleurs les énormes déficits budgétaires qui s’accumulent à l’heure actuelle avec les plans de sauvetage des banques et de « relance » de l’économie, que des combats ouvriers de grande ampleur pourront se développer beaucoup plus. Cela ne veut pas dire que les révolutionnaires doivent rester absents des luttes actuelles. Celles-ci font partie des expériences que doit traverser le prolétariat pour être en mesure de franchir une nouvelle étape dans son combat contre le capitalisme. Et il appartient aux organisations communistes de mettre en avant, au sein de ces luttes, la perspective générale du combat prolétarien et des pas supplémentaires qu’il doit accomplir dans cette direction.
12) Le chemin est encore long et difficile qui conduit aux combats révolutionnaires et au renversement du capitalisme. Ce renversement fait tous les jours plus la preuve de sa nécessité mais la classe ouvrière devra encore franchir des étapes essentielles avant qu’elle ne soit en mesure d’accomplir cette tache :
la reconquête de sa capacité à prendre en main ses luttes puisque, à l’heure actuelle, la plupart d’entre elles, notamment dans les pays développés, sont encore fortement sous l’emprise des syndicats (contrairement à ce qu’on avait pu constater aux cours des années 1980) ;
le développement de son aptitude à déjouer les mystifications et les pièges bourgeois qui obstruent le chemin vers les luttes massives et le rétablissement de sa confiance en soi puisque, si le caractère massif des luttes de la fin des années 1960 peut s’expliquer en bonne partie par le fait que la bourgeoisie avait été surprise après des décennies de contre-révolution, ce n’est évidemment plus le cas aujourd’hui ;
la politisation de ses combats, c’est-à-dire sa capacité à les inscrire dans leur dimension historique, à les concevoir comme un moment du long combat historique du prolétariat contre l’exploitation et pour l’abolition de celle-ci.
Cette étape est évidemment la plus difficile à franchir, notamment du fait :
de la rupture provoquée au sein de l’ensemble la classe par la contre-révolution entre ses combats du passé et ses combats actuels ;
de la rupture organique au sein des organisations révolutionnaires résultant de cette situation ;
du recul de la conscience dans l’ensemble de la classe à la suite de l’effondrement du stalinisme ;
du poids délétère de la décomposition du capitalisme sur la conscience du prolétariat ;
de l’aptitude de la classe dominante à faire surgir des organisations (tel le Nouveau Parti Anticapitaliste en France et Die Linke en Allemagne) qui ont pour vocation de prendre la place des partis staliniens aujourd’hui disparus ou moribonds ou de la Social-démocratie déconsidérée par plusieurs décennies de gestion de la crise capitaliste mais qui, du fait de leur nouveauté, sont en mesure d’entretenir des mystifications importantes au sein de la classe ouvrière.
En fait, la politisation des combats du prolétariat est en lien avec le développement de la présence en leur sein de la minorité communiste. Le constat des faibles forces actuelles du milieu internationaliste est un des indices de la longueur du chemin qui reste encore à parcourir avant que la classe ouvrière puisse s’engager dans ses combats révolutionnaires et qu’elle fasse surgir son parti de classe mondial, organe essentiel sans lequel la victoire de la révolution est impossible.
Le chemin est long et difficile, mais cela ne saurait en aucune façon être un facteur de découragement pour les révolutionnaires, de paralysie de leur engagement dans le combat prolétarien. Bien au contraire !
Pour la quatrième fois depuis la sortie de la Revue Internationale n° 133, nous publions des éléments du débat interne au CCI concernant l'explication de la période de prospérité ayant succédé à la Seconde Guerre mondiale.
Nous invitons le lecteur désirant connaître l'historique du débat et des articles publiés sur ce sujet à se reporter respectivement aux numéros 133, 135 et 136 de la Revue Internationale. L'article que nous publions aujourd'hui se revendique de la thèse dénommée Le Capitalisme d'État keynésiano-fordiste défendant l'idée que la prospérité des années 1950-60 a reposé sur la mise en œuvre de mécanismes keynésiens par la bourgeoisie. Il répond à deux articles publiés dans la Revue n° 136 qui, eux, défendaient respectivement pour l'un[1], l'idée que cette prospérité a fondamentalement été la conséquence de l'exploitation des derniers marchés extra capitalistes encore importants et d'un début de fuite en avant dans l'endettement (thèse Les marchés extra-capitalistes et l'endettement) et, pour l'autre[2], l'idée qu'elle avait été fondamentalement permise par le poids pris par l'économie de guerre et le capitalisme d'Etat dans la société.
Dans l'introduction à la publication de ces deux articles, nous dressions un panorama de l'évolution des discussions en présence en notant le fait que la thèse Le Capitalisme d'État keynésiano-fordiste "assume à présent ouvertement la remise en cause de différentes positions du CCI". Les camarades qui signent l'article publié ci-après ne sont pas d'accord avec une telle caractérisation et s'en expliquent [3].
Enfin, dans cette même introduction, nous signalions le fait que l'article Origine, dynamique et limites du capitalisme d'État keynésiano-fordiste, de la Revue n° 135 (en défense également de la thèse du Capitalisme d'État keynésiano-fordiste), n'était pas sans poser des problèmes concernant des manques évidents "de rigueur militante et scientifique notamment dans la référence aux textes du mouvement ouvriers, dans leur utilisation en vue de telle ou telle démonstration ou polémique", notamment à travers le l'altération du sens de certaines citations utilisées. Un tel problème ne découlait évidemment en rien de la nature de cette position comme en témoigne ce nouvel article, absolument irréprochable sur ce plan.
Nous continuons ici le débat entamé dans la Revue internationale nº 133 sur "... l'explication de la période de prospérité pendant les années 1950-60, qui a été une exception dans la vie du capitalisme depuis la Première Guerre mondiale...". Nous voulons répondre aux arguments des contributions des camarades Silvio et Jens, publiées dans le nº 136 de la Revue, ainsi qu'à la présentation de ces mêmes contributions qui nous semble contenir quelques malentendus.
Les divergences qui se discutent actuellement au sein de notre organisation se situent dans le cadre des positions défendues par les révolutionnaires dans la Deuxième et Troisième Internationales et au sein des Gauches communistes. Ce sont les contributions de Luxemburg, Boukharine, Trotski, Pannekoek, Bilan, Mattick entre autres. Nous savons qu'on ne peut concilier ces contributions car elles se contredisent sur divers aspects. Mais aucune de ces contributions n'explique complètement, à elle seule, le développement des Trente Glorieuses, pour la simple raison que leurs auteurs n'ont pas connu cette période (à l'exception de P. Mattick). Nous pensons cependant que tous ont contribué à la discussion que nous poursuivons en ce moment. Il est de la responsabilité des révolutionnaires aujourd'hui de continuer la discussion ouverte au sein du mouvement révolutionnaire afin de mieux comprendre les mécanismes qui facilitent ou freinent le développement du capitalisme, surtout pendant sa décadence.
Les auteurs de cet article défendent la thèse dite du "capitalisme d'État keynesiano-fordiste". Cette thèse a déjà été présentée, avec plus de détails, dans la Revue internationale no 135, par C.Mcl, auteur de la contribution. Celui-ci a décidé d'abandonner le débat et a rompu le contact avec nous. C'est pourquoi nous ne savons pas si la position que nous défendons ici est absolument identique à la sienne.
Pour poursuivre ce débat, nous voulons en premier lieu indiquer quelques faits historiques sur lesquels il n'a pas semblé jusqu'à présent y avoir de divergences parmi les trois positions exposées dans ce débat. Ce sont les suivants :
1) Entre les années 1945 et 1975, au moins dans la sphère des pays industrialisés du bloc dominé par les Etats-Unis, non seulement le PIB par habitant a crû comme jamais dans toute l'histoire du capitalisme[4], mais il y a aussi eu une augmentation des salaires réels de la classe ouvrière[5].
2) Dans la même période et dans la même sphère il y eut également une croissance constante de la productivité du travail, "les gains de productivité les plus importants de l'histoire du capitalisme, dus en particulier au perfectionnement du travail à la chaîne (fordisme), à l'automatisation de la production et leur généralisation partout où c'était possible"[6]. Pour le dire simplement : la technique et l'organisation de la production permettaient qu'un travailleur produise beaucoup plus qu'auparavant pendant une heure de travail.
3) Le taux de profit (c'est-à-dire le profit réalisé comparé au capital total investi) fut très élevé au cours de cette période, mais montra une fois de plus une tendance à la baisse à partir de 1969. Tous les camarades impliqués dans ce débat se référent sur ce thème aux mêmes statistiques[7].
4) Il y eut, au moins jusqu'en 1971, une concertation particulière, inconnue jusqu'alors dans l'histoire du capitalisme, entre tous les États du bloc dominé par les Etats-Unis (discipline de bloc, système de Bretton Woods[8]).
En ce qui concerne les trois premiers aspects, il faut être cohérent dans l'argumentation. Si nous sommes tous d'accord avec ces faits, nous ne pouvons pas faire un pas en arrière en insistant sur le fait que : "(...) la prospérité réelle des décennies 1950 et 60 n'a pas été aussi importante que veut bien le présenter la bourgeoisie, lorsqu'elle exhibe fièrement les PIB des principaux pays industrialisés de cette époque"[9]. Ce que nous présente la bourgeoisie sur cette période est une chose, mais nous ne pouvons pas résoudre le problème en disant que le problème n'existe pas, parce qu'il n'y a pas eu dans la réalité une telle croissance. Ce qui doit nous guider pour poursuivre ce débat, ce que nous devons clarifier pour nous et pour le reste des prolétaires qui n'ont pas le moindre intérêt à se masquer la réalité, c'est d'expliquer les mécanismes qui ont permis simultanément :
Si nous exagérons un aspect, ou si nous sous-estimons certaines difficultés, ce ne sont que des arguments relatifs (plus ou moins de quantité), alors que ce qui préoccupe est une question qualitative : comme est-il possible que le capitalisme décadent passe par une phase de prospérité d'une vingtaine d'années pendant laquelle les salaires augmentent et les profits sont élevés ?
Là est la question à laquelle nous devons répondre.
Jusqu'à quel point la thèse du capitalisme d'État keynesiano-fordiste reste-t-elle en accord avec Rosa Luxemburg ?
La thèse du "capitalisme d'État keynesiano-fordiste" est surtout critiquée parce qu'elle rejette une partie de l'argumentation de Rosa Luxemburg, comme on peut le lire dans l'article qui présente cette thèse plus en détail dans la Revue internationale no 135. Il semblerait qu'il y ait une confusion sur la question de savoir jusqu'à quel point nous sommes d'accord avec Luxemburg. Ainsi, le camarade Jens, dans son article de la Revue internationale no 136, pense que C. Mcl a changé d'avis depuis l'article qu'il écrivit dans la Revue internationale no 127. Dans cet article, on expliquait déjà (au nom du CCI dans une polémique avec la CWO) que la réduction du marché solvable comparée avec les nécessités du capital "n'est évidemment pas (...) le seul facteur qui participe à l'origine des crises", indiquant en outre qu'il fallait aussi prendre en compte la loi de la tendance à la baisse du taux de profit et le déséquilibre dans le rythme d'accumulation entre les grands secteurs de la production.
Pour nous, la réalisation de la plus-value produite est effectivement un problème fondamental du capitalisme. Il n'y a pas seulement une explication de la crise capitaliste, mais de deux de ses causes essentielles (nous ne parlons pas ici pour l'instant du problème de la proportionnalité). Non seulement il existe le problème de la tendance à la baisse du taux de profit, conséquence de l'augmentation de la composition organique du capital, mais également (après l'acte de production et d'appropriation de la plus-value) il subsiste le problème de vendre le produit en réalisant une plus-value. C'est un des mérites de R. Luxemburg que d'avoir localisé la difficulté de la réalisation du produit par l'insuffisance de marchés solvables.
Le capitalisme est un système qui est contraint de se développer. L'accumulation n'est pas basée sur la reproduction simple mais sur la reproduction élargie. Dans chaque cycle, le capital doit élargir sa base, c'est-à-dire le capital constant et le capital variable. Le capitalisme s'est développé dans un environnement féodal, dans un milieu extra-capitaliste avec lequel s'établirent des relations pour obtenir les moyens matériels de son accumulation : matières premières, force de travail, etc.
Un autre des mérites de R. Luxemburg fut d'analyser les rapports entre la sphère capitaliste et le milieu extra-capitaliste. Nous ne sommes pas d'accord avec tous les arguments économiques de cette analyse (comme nous l'expliquerons dans la partie suivante), mais partageons ses idées centrales : le capitalisme détruit continuellement les autres modes de production se trouvant dans son environnement, la contradiction interne cherche une solution dans l'extension du domaine extérieur, il y a un changement qualitatif dans le développement du capitalisme à partir du moment où toute la planète est conquise par le capitalisme, c'est-à-dire une fois que s'est constitué le marché mondial. Le capitalisme a alors accompli sa fonction progressiste et entre dans sa phase de décadence. Comme le dit C.Mcl. dans la Revue internationale no 127 : Luxemburg précise "plus amplement la raison et le moment de l'entrée en décadence du système capitaliste. En effet, outre son analyse du lien historiquement indissoluble entre les rapports sociaux de production capitalistes et l'impérialisme, qui montre que le système ne peut vivre sans s'étendre, sans être impérialiste par essence, ce que Rosa Luxemburg précise davantage c'est le moment et la manière dont le système capitaliste entre dans sa phase de décadence. (...) L'entrée en décadence du système s'est donc caractérisée non par la disparition des marchés extra capitalistes mais par leur insuffisance eu égard aux besoins de l'accumulation élargie atteinte par le capitalisme."[10].
Dans le capitalisme ascendant, il est vrai que les marchés situés en dehors de la sphère capitaliste ont constitué pour celui-ci une issue pour la vente de ses marchandises à une époque de surproduction. Déjà dans sa phase ascendante, le capitalisme avait souffert de ses contradictions internes et les avait dépassées, momentanément, d'une part à travers les crises périodiques et d'autre part grâce à la vente de produits (invendables dans la sphère capitaliste pure) à des marchés extra-capitalistes. Dans les crises cycliques provoquées par la baisse du taux de profit, plusieurs parties du capital sont dévalorisées permettant que se rétablisse une composition organique suffisamment utilisable pour que s'entame un autre cycle d'accumulation. Et, par ailleurs, dans la phase ascendante, l'environnement extra-capitaliste fournit au capitalisme "un exutoire pour la vente de ses marchandises en surproduction"[11], atténuant ainsi le problème de l'insuffisance de marchés solvables.
L'erreur de R. Luxembourg, c'est qu'elle fait de ces marchés extra-capitalistes et de la plus-value réalisée dans la vente à ceux-ci, l'élément indispensable de la reproduction élargie du capital. Le capitaliste produit pour vendre et non pas simplement pour produire. La marchandise doit trouver un acheteur. Et chaque capitaliste est avant tout un vendeur ; il n'achète que pour investir à nouveau, après avoir vendu son produit avec profit. En somme, le capital doit passer par une phase argent et, tant individuellement que pour être réalisées, les marchandises doivent être converties en argent, mais ni en totalité, ni au moment-même, ni annuellement comme l'envisage Luxemburg : une partie peut se maintenir sous sa forme matérielle, tandis que l'autre évolue à travers de multiples transactions commerciales pendant lesquelles une même quantité d'argent peut servir plusieurs fois pour la conversion de marchandises en argent, et d'argent en marchandises.
S'il n'y avait pas de crédit et s'il était nécessaire de réaliser en argent toute la production annuelle d'un seul coup sur le marché, alors, oui, il devrait exister un acheteur externe à la production capitaliste.
Mais ce n'est pas le cas. Il est évident que des obstacles peuvent survenir dans ce cycle (achat è production/extraction de plus-value è vente è nouvel achat). Il y a plusieurs difficultés. Mais la vente à un acheteur extra-capitaliste n'est pas une condition sine qua non de l'accumulation dans des conditions "normales", c'est seulement une issue possible s'il y a surproduction ou disproportion entre la production de moyens de production et celle des moyens de consommation, problèmes qui ne se manifestent pas à chaque moment.
Ce point faible de l'argumentation de R. Luxemburg a aussi été critiqué par des "luxemburgistes", comme Fritz Sternberg, qui parle à ce sujet "d'erreurs fondamentales, difficilement compréhensibles"[12]. Si ces erreurs de Rosa Luxemburg sont "difficilement compréhensibles" par les partisans du "luxemburgisme pur", c'est justement parce que ceux-ci ne prennent pas en considération ce point de la critique de Sternberg. Depuis le début des débats dans le CCI sur la décadence (années 1970), F. Sternberg est considéré comme une référence très importante, précisément parce qu'il est aussi considéré être luxemburgiste.
Le camarade Jens n'est pas d'accord avec l'idée de la thèse du "capitalisme d'État keynesiano-fordiste" qui affirme, selon lui, que "le marché extra-capitaliste ne constitue rien d'autre qu'une sorte de trop-plein pour le marché capitaliste lorsque celui-ci déborde."[13]. Pour éviter des malentendus : nous pensons que c'est précisément sur ce point que le luxemburgisme de Sternberg se différencie d'avec "le luxemburgisme pur" de Jens (et Silvio). Sur ce point, nous sommes d'accord avec Sternberg.
Pour nous, le mystère des Trente Glorieuses ne peut s'expliquer par des restes de marchés extra-capitalistes, alors que ceux-ci sont insuffisants depuis la Première Guerre mondiale en regard des nécessités de l'accumulation élargie atteinte par le capitalisme.
Pour la thèse du capitalisme d'État keynesiano-fordiste, la prospérité d'après la Seconde Guerre mondiale est la combinaison d'au moins trois facteurs essentiels :
Dans la Revue internationale no 136, le camarade Silvio se demande, perplexe : "Que signifie faire croître la production de profits ? Produire des marchandises et les vendre, mais alors pour satisfaire quelle demande ? Celle émanant des ouvriers ?"
Nous voulons répondre aux inquiétudes du camarade : si la productivité du travail augmente dans l'ensemble des industries, alors les moyens de consommation du travailleur sont diminués. Le capitaliste paye à ses travailleurs moins d'argent pour un même temps de travail. Le temps non payé au travailleur augmente, c'est-à-dire que la plus-value augmente. C'est-à-dire qu'augmente le taux de plus-value (qui n'est autre que le taux d'exploitation). Ce processus, Marx l'appela production de la plus-value relative. Si les autres facteurs se maintiennent (ou si le capital constant lui-même est en baisse), un accroissement de plus-value signifie aussi un accroissement du taux de profit. Si ce profit est suffisamment élevé, les capitalistes peuvent augmenter les salaires sans perdre tout l'accroissement de la plus-value extraite.
Or, la seconde question est celle du marché. Si on augmente le salaire du travailleur, il peut consommer plus. La force de travail, comme Marx l'indique, doit se reproduire. C'est la reproduction du capital variable (v), également nécessaire comme l'est la rénovation du capital constant (c). Par conséquent, le capital variable fait partie du marché capitaliste. Une augmentation générale des salaires signifie également un accroissement de ces marchés.
Il peut être répondu à ceci qu'un tel accroissement du marché est insuffisant pour réaliser toute la partie de la plus-value nécessaire à l'accumulation. Cela est vrai d'un point de vue général et à long terme. Nous, défenseurs de la thèse du capitalisme d'État keynesiano-fordiste, ne pensons pas avoir trouvé une solution aux contradictions inhérentes du capitalisme, une solution qui puisse se répéter à volonté. Notre analyse n'est pas une nouvelle théorie, mais une prolongation de la critique de l'économie capitaliste, une critique qu'a commencée Marx et qu'ont poursuivie d'autres révolutionnaires déjà cités.
Mais on ne peut nier qu'un tel accroissement du marché atténue le problème de l'insuffisance de la demande dans les conditions créées après la Seconde Guerre mondiale. Peut-être le camarade Silvio se demande-t-il encore d'où vient cette demande ? Une demande dans le capitalisme présuppose deux facteurs : une nécessité (désir de consommer) et la solvabilité (possession d'argent). Le premier facteur n'est presque jamais un problème, il y a toujours un manque de moyens de consommation. Le second facteur, au contraire, est un problème permanent pour le capitalisme - un problème qu'il parvient à atténuer précisément par la croissance des salaires pendant les Trente Glorieuses.
Mais l'extension du marché formé par les salariés n'est pas le seul facteur atténuant la pénurie de marchés au cours de cette période, il y a aussi eu l'augmentation des frais de l'État keynésien (par exemple les investissements dans des projets d'infrastructure, l'armement, etc.). Il s'agit d'une tripartition des accroissements du profit, d'une distribution des bénéfices obtenus grâce à l'augmentation de la productivité entre les capitalistes (profit), les ouvriers (salaires) et l'État (impôts). Il semble que le camarade Silvio soit d'accord avec nous là-dessus quand il affirme : "Il est vrai que la consommation ouvrière et les dépenses de l'État permettent d'écouler une production accrue". Il y voit toutefois un autre problème, la "conséquence, comme nous avons vu, une stérilisation de la richesse produite qui ne trouve pas à s'employer utilement pour valoriser le capital". Il se réfère ici à l'idée selon laquelle "augmenter les salaires au-delà de ce qui est nécessaire à la reproduction de la force de travail constitue purement et simplement, du point de vue capitaliste, un gaspillage de plus-value qui n'est en aucune manière capable de participer au processus de l'accumulation".
Ici le camarade confond deux sphères qu'il faut distinguer avant d'analyser la dynamique du processus général qui les unit :
Évidemment, l'objection du camarade sur le "gaspillage de plus-value" se situe au second niveau, celui de la production. Alors suivons-le (après avoir remarqué qu'il nous donne au moins partiellement raison au niveau des marchés), à l'usine, où le travailleur est exploité avec un salaire croissant. Que se passe-t-il si la plus-value augmente grâce à l'accroissement important de la productivité du travail ? (Nous faisons ici abstraction de la tripartition des profits, c'est à dire des impôts qui se transforment en frais de l'État. La bipartition entre capitaliste et travailleur est suffisante pour expliquer le mécanisme fondamental.) Le produit total d'une entité capitaliste (une entreprise, un pays, la sphère capitaliste dans sa totalité) pendant un certain temps, par exemple une année, peut être divisé en trois parties : le capital constant c, le capital variable v, et la plus-value pv. Si nous parlons d'accumulation, la plus-value n'est pas consommée dans sa totalité par le capitaliste, il doit en investir une partie dans l'extension de la production. La plus-value est alors divisée entre la partie consommée par le capitaliste (l'intérêt de son investissement : i) et la partie consacrée à l'accumulation (a) : pv = r + a. Cette seconde partie (a), nous pouvons la diviser à son tour entre la partie qui est investie dans le capital constant (ac) et la partie qui enrichit le capital variable (av) dans le prochain cycle de production : a = ac + av. Le produit total de cette entité capitaliste se présente alors ainsi :
c + v + pv, ou :
c + v + (i + a), ou :
c + v + (i + ac + av).
Si le capitaliste obtient grâce à l'augmentation importante de la productivité une plus-value suffisamment grande, la partie ac peut grandir chaque fois davantage, même si la partie av croît "au-delà ce qui est nécessaire". Si, par exemple, les moyens de consommation baissent de 50 % et les heures non payées au travailleur augmentent de 3 à 5 heures (d'une journée de travail de 8 heures) grâce à l'effet de la production de plus-value relative, le taux de plus-value croît de 3/8 à 5/8, par exemple de 375 € à 625 €, bien que le travailleur ait une augmentation de 20 % de son salaire réel (son salaire représente d'abord le produit de 5 heures, ensuite avec une productivité double, le salaire représente le produit de 3 heures = 6 heures auparavant). La même chose survient avec une consommation accrue du capitaliste (parce que ses produits de consommation baissent aussi de 50 %) et la partie de la plus-value consacrée à l'accumulation peut croître. Et la partie ac peut aussi croître année après année même si la partie av croît "au-delà du nécessaire", sous réserve que la productivité du travail continue à augmenter au même rythme. Le seul effet "nuisible" de ce "gaspillage de plus-value" réside dans le fait que l'augmentation de la composition organique du capital est plus lente que le rythme frénétique qu'elle aurait sinon : la croissance de la composition organique implique que la partie ac croisse plus rapidement que la partie av ; si la partie av grandit "au-delà du nécessaire", cette tendance est freinée (elle peut même être annulée ou inversée), mais on ne peut pas affirmer que ce "gaspillage de plus-value" ne prenne en aucune manière part au processus d'accumulation. Au contraire, cette distribution des profits obtenus par l'augmentation de la productivité participe pleinement de l'accumulation. Et non seulement cela, elle atténue précisément le problème identifié par R. Luxemburg dans le chapitre 25 del'Accumulation du capital, où elle fait valoir fermement qu'avec la tendance vers une composition organique du capital toujours plus grande, un échange entre les deux secteurs principaux de la production capitaliste (production de moyens de production d'une part, de moyens de consommation de l'autre) est impossible à long terme[14]. Après peu de cycles, il reste déjà un reliquat invendable dans le second secteur de l'économie capitaliste, celui de la production de moyens de consommation. La combinaison du fordisme (augmentation de la productivité) avec le keynesianisme (augmentation des salaires et augmentation des frais de l'État) aide à freiner cette tendance, atténue le problème de la surproduction dans ce secteur II et le problème des proportionnalités entre les deux branches principales de la production. Les leaders de l'économie occidentale ne pouvaient pas éviter l'arrivée de la crise à la fin des années 60, mais pouvaient ainsi la retarder.
Nous ne pouvons abandonner ce sujet sans mentionner que le camarade Silvio nous a laissés perplexes. Il semblerait qu'il ait compris au niveau théorique ce que nous venons d'expliquer, c'est-à-dire le mécanisme de la production de plus-value relative comme base idéale pour une accumulation la plus interne possible et la moins externe possible, quand il dit : "pourvu qu'il existe des gains de productivité suffisamment élevés permettant que la consommation augmente au rythme de l'augmentation de la productivité du travail, le problème de la surproduction est réglé sans empêcher l'accumulation puisque, par ailleurs, les profits, également en augmentation, sont suffisants pour assurer l'accumulation"[15]. Nous supposons que Silvio sait ce qu'il dit ou, du moins, qu'il comprend ce qu'il vient de dire, car c'est là sa propre formulation, conclusion de la citation de Marx sur les "Théories sur la plus-value", volume 2 (une citation qui bien sûr ne prouve rien par elle-même). Mais Silvio ne répond pas à ce niveau théorique ou, du moins, ne se prête pas à suivre la logique même de l'argument, il préfère changer de sujet et porte l'objection : "Marx, de son vivant, n'avait jamais constaté une augmentation des salaires au rythme de la productivité du travail, et pensait même que cela ne pouvait pas se produire. Cela s'est pourtant produit à certains moments de la vie même du capitalisme, mais ce fait ne saurait en rien autoriser d'en déduire que le problème fondamental de la surproduction, tel que Marx le met en évidence, s'en serait pour autant trouvé résolu, même momentanément". Quelle réponse ! Nous sommes sur le point de tirer la conclusion d'un raisonnement - mais, au lieu de vérifier ou de contredire la conclusion d'une série de faits, nous continuons à parler sur sa probabilité ou son improbabilité empirique. Comme s'il avait senti que cela n'était pas satisfaisant, le camarade riposte par anticipation : "En effet, le marxisme ne réduit pas cette contradiction que constitue la surproduction à une question de proportion entre augmentation des salaires et celle de la productivité" L'autorité de Marx ne suffisant pas, il faut celle du "marxisme". Un appel à l'orthodoxie ! Laquelle ?
Soyons plus conséquents dans le raisonnement, plus ouverts et osés dans les conclusions !
Dans le second volume du Capital, Marx présente le problème de la reproduction élargie (c'est à dire de l'accumulation) en termes de schémas, par exemple :
Secteur I : 4000c + 1000v + 1000pv = 6000
Secteur II : 1500c + 750v + 750pv = 3000.
Nous sollicitons l'indulgence et la patience du lecteur pour la lourdeur que suppose la lecture et la compréhension de ces schémas. Mais nous pensons qu'ils ne doivent pas faire peur.
Le secteur I est la branche de l'économie qui produit les moyens de production, le secteur II celui où se produisent les moyens de consommation. 4000c est la quantité de valeur produite dans le secteur I pour la reproduction du capital constant (c) ; 1000v est la somme des salaires payés dans le secteur I ; 1000pv est la plus-value extraite des ouvriers dans le secteur I - de même pour l'autre secteur. Pour la reproduction élargie, il est essentiel de respecter la proportionnalité entre les différentes parties des deux secteurs. Les travailleurs du secteur I produisent, par exemple, des machines, mais ont besoin, pour leur propre reproduction, de moyens de consommation qui sont produits dans l'autre branche. Il y a un échange entre les deux entités, selon certaines règles. Si, par exemple, la moitié de la plus-value du secteur I (1000pv) est utilisée pour l'extension de la production et la composition organique reste inchangée, il est déjà alors défini que des 500pv réinvestis, 400 sont consacrés à l'amplification du capital constant et 100 seulement à l'augmentation de la masse salariale dans ce secteur. Ainsi Marx a donné comme exemple du second cycle :
I : 4400c + 1100v + 1100pv = 6600
II : 1600c + 800v + 800pv = 3200
Et il a poursuivi avec des schémas possibles de divers cycles d'accumulation. Ces schémas ont été élargis, critiqués et affinés par Luxemburg, Bauer, Boukharine, Sternberg, Grossmann et d'autres encore. Ce que nous pouvons en tirer est une certaine loi qui peut se résumer par la formule :
Si nous avons
Un secteur I avec : c1 + v1 + i1 + ac1 + av1
Un secteur II avec : c2 + v2 + i2 + ac2 + av2, la reproduction élargie exige que :
c2 + ac2 = v1 + i1 + av1. [16]
Où : la valeur du capital constant dans le secteur II (c2) plus la partie de plus-value dans ce même secteur consacrée à l'élargissement du capital constant (ac2)[17] doit être échangé avec la valeur du capital variable du secteur I (la masse salariale, v1) plus la production des capitalistes du même secteur (i1) plus la partie de la plus-value de ce secteur consacrée à l'emploi de nouveaux travailleurs (av1) [18].
Ces schémas ne tiennent pas compte de certains facteurs, par exemple :
1) Le fait que cette économie ait besoin de conditions pour son expansion "permanente" ; elle exige toujours plus de travailleurs et de matières premières.
2) Le fait qui il n'y ait pas d'échange direct entre les diverses entités mais échange de transactions par l'intermédiaire de l'argent, la marchandise universelle. Par exemple, l'entité de produits matérialisés dans la valeur ac1 doit être échangée avec elle-même : ce sont des moyens de production qui sont nécessaires dans le même secteur, il faut les vendre puis les acheter avant de pouvoir les utiliser.
En même temps les schémas ont certaines conséquences relativement gênantes, comme par exemple le fait que le secteur II n'a aucune autonomie face au secteur I. Le rythme de croissance du secteur de la production de moyens de consommation, ainsi que sa composition organique, dépendent totalement des proportions dans l'accumulation du secteur I[19].
Nous ne pouvons pas obliger les partisans de la nécessité des marchés capitalistes à voir un certain problème, c'est-à-dire à voir ce que Marx a recherché avec les schémas de l'accumulation capitaliste. Au lieu de regarder les différents problèmes, en les replaçant chacun dans leur lieu spécifique, ils préfèrent mélanger les différentes contradictions en insistant de façon permanente sur un aspect du problème : qui achète en fin de comptes la marchandise nécessaire à l'extension de la production ? C'est une fixation qui les aveugle. Mais si on veut suivre la logique même des schémas tels que Marx les a présentés, on ne peut alors s'opposer à la conclusion suivante :
Si les conditions sont celles que les schémas présupposent et si nous en acceptons les conséquences (conditions et conséquences qui peuvent être analysées séparément), par exemple un gouvernement qui contrôle toute l'économie peut théoriquement l'organiser de telle sorte que l'accumulation fonctionne selon le schéma : c2 + ac2 = v1 + i1 + av1. À ce niveau, il n'y a aucune nécessité de marchés extra-capitalistes. Si nous acceptons cette conclusion, nous pouvons analyser séparément (c'est-à-dire les distinguer) les autres problèmes, par exemple :
1) Comment une économie dans un monde nécessairement limité peut-elle croître en permanence ?
2) Quelles sont les conditions de l'utilisation de l'argent ? Comme l'argent peut-il interférer efficacement dans les différents actes de transformation d'un élément du capital global en un autre ?
3) Quels sont les effets d'une composition organique croissante (quand le capital constant croît plus rapidement que le capital variable) ?
4) Quels sont les effets de salaires qui croissent "au-delà du nécessaire" ?
Il est clair, comme l'a dit Rosa Luxemburg, que les schémas mathématiques ne prouvent rien en soi, pas plus la possibilité que l'impossibilité de l'accumulation. Mais si nous savons précisément ce qu'ils disent (et de quoi ils sont l'abstraction), nous pouvons distinguer les différents problèmes. Luxemburg a étudié aussi les trois premiers problèmes énumérés ici. Elle a surtout contribué à analyser les questions 1) et 3). Mais en ce qui concerne le problème 2), elle a confondu différentes contradictions et les a résumées en une seule difficulté, celle de la réalisation de la partie de la plus-value consacrée à l'extension de la reproduction : la transformation en argent non seulement est un problème pour cette partie du produit global (ac1, av1,ac2 et av2), mais pour tous les éléments de la production (aussi c1, v1, c2, v2 et même de la production : le propriétaire de l'usine de chocolat ne peut manger uniquement du chocolat). Cette transformation des marchandises en argent, et ensuite d'argent en nouveaux éléments matériels de la production peuvent échouer. Chaque vendeur doit trouver son acheteur, chaque vente est un défi - ceci est un problème distinct qui peut théoriquement être séparé de l'autre problème (numéro 1) : la nécessité de la croissance de la sphère du mode de production capitaliste, qui contient aussi la nécessité de la croissance du marché. Une telle croissance doit obligatoirement se réaliser au détriment des sphères[20] extra-capitalistes. Mais cette croissance présuppose seulement que le capitalisme dispose de tous les éléments matériels pour sa production élargie (force de travail, matières premières, etc.) ; ce problème n'a rien voir avec la vente d'une partie de la production capitaliste à des producteurs de marchandises non capitalistes. Comme nous l'avons dit précédemment : la vente à des marchés extra-capitalistes peut atténuer les problèmes de la surproduction, mais n'est pas constitutive pour l'accumulation.
Dans la présentation de la discussion dans la Revue internationale no 136, la Rédaction a tenté d'opposer certaines positions de la Thèse "capitalisme d'État keynesiano-fordiste" aux positions du CCI, particulièrement avec notre plate-forme. Cette tentative est peut être motivée par certaines notes de C.Mcl dans la version complète de son article pour la Revue internationale no 135, version qui existe seulement sur notre site en français[21]. C.Mcl critique certaines formulations du point 3 de la plate-forme. Il les critique d'un point de vue théorique sans proposer de formulations alternatives. Nous ne connaissons pas l'attitude actuelle de C.Mcl par rapport à la Plate-forme, puisqu'il a abandonné la discussion. Nous ne pouvons pas parler pour lui. Mais nous sommes d'accord avec notre Plate-forme qui a été conçue, dès son origine, pour intégrer tous ceux qui sont d'accord avec l'analyse selon laquelle le capitalisme est entré dans sa phase de décadence avec la Première Guerre mondiale. Le point 3 de la Plate-forme ne prétendait en aucun cas exclure les révolutionnaires qui expliquent la décadence par la baisse tendancielle du taux de profit, bien que la formulation de ce point ait des accents "luxemburgistes". Si le point 3 de notre Plate-forme est quelque chose comme le dénominateur commun entre les marxistes révolutionnaires qui expliquent la décadence par l'insuffisance de marchés extra-capitalistes et ceux qui l'expliquent par la baisse tendancielle du taux de profit, nous ne voyons aucune raison de sortir de ce cadre parce que nous défendons non seulement une mais les deux idées, chacune dans leur dynamique propre. En ce sens nous n'avons aucun intérêt à avoir une Plate-forme qui exclut l'une ou l'autre des positions qui donnent une explication à l'entrée du capitalisme dans sa décadence. Une formulation comme l'actuelle est préférable, bien qu'avec l'avancée de la discussion sur les Trente Glorieuses, on puisse trouver une formulation qui reflète de façon plus consciente les différentes analyses de la décadence du capitalisme.
Dans ce même sens, nous voulons clarifier notre position relative à la présentation dans la Revue internationale no 136 de "la remise en question de différentes positions du CCI" par la thèse du "capitalisme d'État keynesiano-fordiste". Sous le titre "L'évolution des positions en présence" sont signalées trois prétendues contradictions entre les arguments de la plate-forme et la Thèse du "capitalisme d'État keynésiano-fordiste", contradictions que nous voulons clarifier. Nous citons les paragraphes critiques de la présentation :
1) "Ainsi, pour cette thèse : (celle du capitalisme d'État keynésiano-fordiste)
- "Le capitalisme produit en permanence la demande sociale qui est la base du développement de son propre marché", alors que, pour le CCI,"contrairement à ce que prétendent les adorateurs du capital, la production capitaliste ne crée pas automatiquement et à volonté les marchés nécessaires à sa croissance" (Plate-forme du CCI)."
Bien qu'on trouve la citation :" Le capitalisme produit en permanence la demande sociale qui est la base du développement de son marché propre" dans la Revue internationale nº 135, on ne peut isoler cette idée de son contexte. Comme on l'a vu dans la précédente partie du présent texte, le capitalisme (pour nous, mais aussi pour ceux qui expliquent la décadence uniquement par la baisse tendancielle du taux de profit) a une dynamique propre d'extension de son marché. Mais aucun des défenseurs de la thèse du "capitalisme d'État keynésiano-fordiste" n'a affirmé que ces marchés sont suffisants. Ils peuvent offrir une issue momentanée, mais il n'y a pas dépassement de la contradiction élémentaire : le marché croît moins rapidement que la production.
2) "L'apogée du capitalisme correspond à un certain stade de "l'extension du salariat et sa domination par le biais de la constitution du marché mondial". Pour le CCI, par contre, cette apogée intervient lorsque les principales puissances économiques se sont partagé le monde et que le marché atteint "un degré critique de saturation des mêmes débouchés qui lui avaient permis sa formidable expansion du 19ème siècle." (Plate-forme du CCI)"
Le second point des prétendues divergences de notre position avec celles du CCI se réfère à l'entrée du capitalisme dans sa phase décadente. La thèse du "capitalisme d'État keynésiano-fordiste" est totalement d'accord sur le fait que l'apogée est atteinte quand les principales puissances économiques se sont partagé le monde. La seule différence entre le "luxemburgisme" de la plate-forme et nous se trouve dans le rôle des marchés extra-capitalistes. Mais évidemment, cette divergence est bien moindre que celle des défenseurs de l'analyse de la baisse tendancielle du taux de profit comme unique facteur de l'entrée en décadence (Grossmann, Mattick).
3) "L'évolution du taux de profit et la grandeur des marchés sont totalement indépendantes, alors que, pour le CCI, "la difficulté croissante pour le capital de trouver des marchés où réaliser sa plus-value, accentue la pression à la baisse qu'exerce, sur son taux de profit, l'accroissement constant de la proportion entre la valeur des moyens de production et celle de la force de travail qui les met en œuvre." (idem)."
Par rapport à ce dernier point, nous pouvons dire que nous sommes globalement d'accord avec la présentation bien que nous ne parlions pas d'indépendance "totale" mais "théorique". Nous avons toujours dit que le taux de profit influence les marchés et réciproquement, mais ce sont deux facteurs "non liés théoriquement".
Quelles sont les conséquences des divergences ? À première vue, aucune.
Nous avons évidemment une interprétation différente de certaines dynamiques dans l'économie capitaliste. Ces différences peuvent aussi nous amener à des divergences sur d'autres aspects, par exemple dans l'analyse de la crise actuelle et des perspectives immédiates du capitalisme. L'appréciation du rôle du crédit dans la crise actuelle, l'explication de l'inflation et le rôle de la lutte de classes nous paraissent être des sujets qui peuvent être analysés différemment selon les positions diverses de ce débat sur les Trente Glorieuses.
Malgré les divergences exposées dans ce débat, tant dans au cours du XVIIe Congrès qu'au cours du XVIIIe, nous discutons de la crise économique actuelle et votons ensemble pour les mêmes Résolutions sur la Situation internationale. Même si différentes analyses sur les mécanismes fondamentaux de l'économie capitaliste coexistent dans l'organisation, nous pouvons parvenir à des conclusions très semblables quant aux perspectives immédiates et aux tâches des révolutionnaires. Cela ne veut pas dire que le débat n'est pas nécessaire, mais au contraire qu'il exige de nous patience et capacité de nous écouter mutuellement avec un esprit ouvert.
Salome et Ferdinand (04/06/09)
[1] Les bases de l'accumulation capitaliste
[2] Économie de guerre et capitalisme d'État
[3] L'article ci-après (Réponse à Silvio et à Jens, cosigné Salome et Ferdinand) signale le fait que certaines notes à l'article de C. Mcl, Origine, dynamique, et limites du capitalisme d'Etat keynésiano-fordiste [17], présentes dans sa version française, n'ont pas été transcrites en anglais ni en espagnol. Nous remédierons à ces défauts sur notre site dans ces langues, de manière à rendre le plus limpide possible les termes de ce débat et du fait en particulier que, comme le signalent Salome et Ferdinand, C.Mcl "critique certaines formulations du point 3 de la plate-forme", "d'un point de vue théorique sans proposer de formulations alternatives".
[4] Revue internationale no 133, "Débat interne dans le CCI [18]" (voir note 1).
[5] Revue internationale no 136, "Débat interne au CCI : les causes de la prospérité consécutive à la Seconde Guerre mondiale (III) [19] ; les bases de l'accumulation capitaliste [20]" (de Silvio), citant P. Mattick.
[6] Revue internationale no 133, "Débat.. [18].", partie Les marchés extra-capitalistes et l'endettement.
[7] Revue internationale n°121, Crise économique : la descente aux enfers [21].
[8] Pour davantage d'informations sur les Accords de Bretton Woods, consulter par exemple la contribution [22] de "papamarx".
[9] Silvio [20], Revue internationale no 136.
[10] Revue internationale no 127, "Réponse à la CWO - la guerre dans la phase de décadence du capitalisme [23]".
[11] Revue internationale no 135, "Débat interne dans le CCI - les causes de la période de prospérité consécutive à la Seconde Guerre mondiale [17]" (II).
[12] Fritz Sternberg, El imperialismo; Siglo XXI editores, p. 75.
[13] Revue internationale no 136. "Débat interne dans le CCI - les causes de la période de prospérité consécutive à la Seconde Guerre mondiale" (III), Economie de guerre et capitalisme d'Etat [24]
[14] F. Sternberg considère ce point de réflexion de R. Luxemburg comme le plus important de "tous ceux qui ont soigneusement été évités par ceux qui critiquent Rosa Luxemburg" (Fritz Sternberg, El imperialismo ; Siglo XXI editores, p 70).
[15] Revue internationale n° 136 [19].
[16] Par exemple Nicolas Boukharine, L'Impérialisme et l'accumulation du capital, réponse à Rosa Luxemburg, chapitre III.
[17] Ces deux éléments étaient produits dans le secteur II, c'est à dire se retrouvent sous forme de moyens de consommation.
[18] Ces trois éléments sont trouvés sous forme de moyens de production, et doivent être achetés finalement dans l'une ou l'autre manière par les capitalistes du secteur II ("changé" par c2 + a2c).
[19] Nous pensons que là se trouve la raison économique de la souffrance des travailleurs exploités sous le stalinisme (ou le maoïsme) : ce capitalisme d'État très rigide a forcé au maximum l'industrialisation en privilégiant le secteur I, ce qui a laissé le secteur de la production des moyens de consommation à un niveau réduit au minimum.
[20] Une sphère n'est pas nécessairement un marché : laver et repasser des vêtements à la maison sont des activités dans une sphère extra-capitaliste. Cette sphère peut être conquise par le capitalisme si le salaire est suffisamment haut pour permettre au travailleur de porter le vêtement sale à la blanchisserie. Mais il n'y a aucun marché extra-capitaliste dans cet exemple.
[21] /content/3514/debat-interne-au-cci-causes-prosperite-consecutive-a-seconde-guerre-mondiale-ii [17], notes 16, 22, 39, 41.
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[1] https://barackobama.com/
[2] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/ecologie
[3] https://dndf.org/?p=4049
[4] https://es.internationalism.org/node/2585
[5] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/luttes-classe
[6] https://fr.internationalism.org/ri400/a_propos_du_livre_l_effet_darwin_une_conception_materialiste_des_origines_de_la_morale_et_de_la_civilisation.html
[7] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/darwin
[8] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/marxisme-theorie-revolution
[9] https://fr.internationalism.org/icconline/2009/philippines-turquie
[10] https://fr.internationalism.org/Internationalisme/2009/343/une_rencontre_de_communistes_internationalistes_en_amerique_latine.html
[11] https://perso.telecom-paristech.fr/jld/
[12] https://fr.internationalism.org/rint138/debat_interne_au_cci_les_causes_de_la_periode_de_prosperite_consecutive_a_la+_seconde_guerregmondiale_4.html
[13] https://fr.internationalism.org/rint130/17_congres_du_cci_un_renforcement_international_du_camp_proletarien.html
[14] https://fr.internationalism.org/rint131/la_culture_du_debat_une_arme_de_la_lutte_de_classe.html
[15] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/prises-position-du-cci
[16] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/resolutions-congres
[17] https://fr.internationalism.org/content/3514/debat-interne-au-cci-causes-prosperite-consecutive-a-seconde-guerre-mondiale-ii
[18] https://fr.internationalism.org/rint133/les_causes_de_la_periode_de_prosperite_consecutive_a_la_seconde_guerre_mondiale.html
[19] https://fr.internationalism.org/rint136/debat_interne_au_cci_les_causes_de_la_prosperite_consecutive_a_la_seconde_guerre_mondiale_3.html
[20] https://fr.internationalism.org/revue-internationale/200901/3651/bases-laccumulation-capitaliste
[21] https://fr.internationalism.org/rinte121/crise.htm
[22] https://fr.internationalism.org/icconline/2009/papa-marx
[23] https://fr.internationalism.org/ir/127/cwo_intro_economie_guerre
[24] https://fr.internationalism.org/rint136/economie_de_guerre_et_capitalisme_d_etat.html
[25] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/leconomie