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Qu'est-ce que le CCI?

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Vie du CCI: 

  • Résolutions de Congrès [1]

Positions de base du CCI

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  • Depuis la Première Guerre mondiale, le capitalisme est un système social en décadence. Il a plongé à deux repri­ses l’humanité dans un cycle barbare de crise, guerre mondiale, reconstruction, nouvelle crise. Avec les années 80, il est entré dans la phase ultime de cette décadence, celle de sa décomposition. Il n’y a qu’une seule alterna­tive devant ce déclin historique irréver­sible : socialisme ou barbarie, révolution communiste mondiale ou des­truction de l’humanité.
  • La Commune de Paris de 1871 fut la première tenta­tive du prolétariat pour mener à bien cette révolution, à une époque où les conditions n’étaient pas encore mûres. Avec la situation donnée par l’entrée du ca­pitalisme dans sa période de décadence, la révolution d’Octobre 1917 en Russie fut le premier pas d’une au­thentique ré­volution communiste mondiale dans une vague révolu­tionnaire internationale qui mit fin à la guerre impéria­liste et se prolongea plusieurs années. L’échec de cette vague révolutionnaire, en particulier en Allemagne en 1919-23, condamna la révolution en Russie à l’isolement et à une rapide dégénérescence. Le stalinisme ne fut pas le produit de la révolution russe, mais son fossoyeur.
  • Les régimes étatisés qui, sous le nom de «socialistes» ou «communistes», ont vu le jour en URSS, dans les pays de l’est de l’Europe, en Chine, à Cuba, etc., n’ont été que des formes particulièrement bru­tales d’une tendance universelle au capitalisme d’Etat, propre à la période de décadence.
  • Depuis le début du XXe siècle, toutes les guerres sont des guerres impérialistes, dans la lutte à mort entre Etats, petits ou grands, pour conquérir ou garder une place dans l’arène internationale. Ces guerres n’apportent à l’humanité que la mort et la destruction à une échelle toujours plus vaste. La classe ouvrière ne peut y répondre que par sa solidarité internationale et la lutte contre la bourgeoisie dans tous les pays.
  • Toutes les idéologies nationalistes, d’«indépendance nationale», de «droit des peuples à disposer d’eux-mêmes», quel que soit leur prétexte, ethnique, histo­ri­que, religieux, etc., sont un véritable poison pour les ou­vriers. En visant à leur faire prendre parti pour une frac­tion ou une autre de la bourgeoisie, elles les mè­nent à se dresser les uns contre les autres et à s’entre-massacrer derrière les ambitions et les guerres de leurs exploiteurs.
  • Dans le capitalisme décadent, le parlement et les élec­tions sont une mascarade. Tout appel à participer au cir­que parlementaire ne fait que renforcer le men­songe présentant ces élections comme un véritable choix pour les exploités. La «démocratie», forme particulièrement hypocrite de la domination de la bourgeoi­sie, ne diffère pas, sur le fond, des autres formes de la dictature capitaliste que sont le stalinisme et le fas­cisme.
  • Toutes les fractions de la bourgeoisie sont également réactionnaires. Tous les soi-disant partis «ouvriers», «socialistes», «communistes» (les ex-«communistes» aujourd’hui), les organisations gau­chistes (trotskistes, maoïstes et ex-maoïstes, anarchistes officiels), consti­tuent la gauche de l’appareil politique du capital. Toutes les tactiques de «front populaire», «front anti-fasciste» ou «front unique», mêlant les intérêts du prolétariat à ceux d’une fraction de la bour­geoisie, ne servent qu’à contenir et détourner la lutte du proléta­riat.
  • Avec la décadence du capitalisme, les syndicats se sont partout transformés en organes de l’ordre capi­taliste au sein du prolétariat. Les formes d’organisation syndicales, «officielles» ou «de base», ne servent qu’à encadrer la classe ouvrière et à saboter ses luttes.
  • Pour son combat, la classe ouvrière doit unifier ses lut­tes, en prenant elle-même en charge leur extension et leur organisation, par les assemblées générales sou­ve­raines et les comités de délégués, élus et révo­cables à tout instant par ces assemblées.
  • Le terrorisme n’est en rien un moyen de lutte de la classe ouvrière. Expression des couches sociales sans avenir historique et de la décomposition de la petite-bourgeoisie, quand il n’est pas directement l’émanation de la guerre que se livrent en per­manence les Etats, il constitue toujours un terrain privilégié de manipulation de la bourgeoisie. Prônant l’action secrète de petites mi­norités, il se situe en complète opposition à la vio­lence de classe qui relève de l’action de masse consciente et or­ganisée du prolé­tariat.
  • La classe ouvrière est la seule classe capable de me­ner à bien la révolution communiste. La lutte révolu­tion­naire conduit nécessairement la classe ouvrière à une confrontation avec l’Etat capitaliste. Pour détruire le ca­pitalisme, la classe ouvrière devra renverser tous les Etats et établir la dictature du prolétariat à l’échelle mondiale : le pouvoir international des conseils ou­vriers, regroupant l’ensemble du prolétariat.
  • La transformation communiste de la société par les conseils ouvriers ne signifie ni «autogestion», ni «nationalisation» de l’économie. Le communisme né­cessite l’abolition consciente par la classe ouvrière des rapports sociaux capitalistes : le travail salarié, la pro­duction de marchandises, les frontières nationales. Il exige la création d’une communauté mondiale dont toute l’activité est orientée vers la pleine satisfaction des be­soins humains.
  • L’organisation politique révolu­tionnaire constitue l’avant-garde du prolétariat, facteur actif du processus de généralisation de la conscience de classe au sein du pro­létariat. Son rôle n’est ni d’«organiser la classe ouvrière», ni de «prendre le pouvoir» en son nom, mais de participer activement à l’unification des luttes, à leur prise en charge par les ouvriers eux-mêmes, et de tra­cer l’orientation politique révolutionnaire du combat du prolétariat.

NOTRE ACTIVITE

  • La clarification théorique et politique des buts et des moyens de la lutte du prolétariat, des conditions histo­ri­ques et immédiates de celle-ci.
  • L’intervention organisée, unie et centralisée au niveau international, pour contribuer au processus qui mène à l’action révolutionnaire de la classe ouvrière.
  • Le regroupement des révolutionnaires en vue de la constitution d’un véritable parti communiste mondial, indispensable au prolétariat pour le renversement de la domination capitaliste et pour sa marche vers la société communiste.

NOTRE FILIATION

Les positions des organisations révolutionnaires et leur activité sont le produit des expériences passées de la classe ouvrière et des leçons qu’en ont tirées tout au long de l’histoire ses organisations politiques. Le CCI se ré­clame ainsi des apports successifs de la Ligue des Com­munistes de Marx et Engels (1847-52), des trois Interna­tionales (l’Association Internationale des Tra­vailleurs, 1864-72, l’Internationale Socialiste, 1884-1914, l’Inter­nationale Communiste, 1919-28), des frac­tions de gau­che qui se sont se sont dégagées dans les années 1920-30 de la IIIe Internationale lors de sa dégénéres­cence, en par­ti­culier les gauches allemande, hollan­daise et italienne.

La Gauche Communiste et la continuité du marxisme

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Nous reproduisons ci-dessous un article publié en russe, en 1998, dans Proletarian Tribune. Depuis 1996, le CCI a été invité à participer à une série de conférences organisées, au départ, autour de "l'héritage de Léon Trotsky" (voir notre Revue internationale n°92). A l'occasion d'une de celles-ci, nous avons contribué, par ce texte, à faire connaître au milieu russe une autre opposition à la dégénérescence stalinienne, beaucoup moins connue mais beaucoup plus conséquente que celle de la gauche trotskiste, la gauche communiste. Cet article présente un intérêt qui va bien au-delà du milieu russe.

 

Depuis la défaite de la vague révolutionnaire internationale dans les années 1920, peu de termes ont connu une distorsion aussi grande que ceux de socialisme, de communisme et de marxisme. L’idée que les régimes staliniens de l’ex-bloc de l’Est ou que la Chine, Cuba et la Corée du Nord aujourd’hui, seraient des expressions du communisme ou du marxisme, est le Grand Mensonge du 20ème siècle - un mensonge délibérément entretenu par toutes les fractions de la classe dominante, de l’extrême droite à l’extrême gauche. Pendant la guerre impérialiste mondiale de 1939-1945, le mythe de la «défense de la patrie socialiste» a été utilisé - avec «l’anti-fascisme» et la «défense de la démocratie» - pour mobiliser les ouvriers en Russie et hors de Russie, dans le plus grand carnage de l’histoire de l'humanité.
De 1945 à 1989, période dominée par la rivalité entre les deux gigantesques blocs impérialistes dirigés par l’Amérique et la Russie, ce mensonge a même été encore plus utilisé : à l’Est, pour justifier les ambitions impérialistes du capital russe ; à l’Ouest, à la fois comme couverture idéologique de l'antagonisme impérialiste («défense de la démocratie contre le totalitarisme soviétique») et comme moyen d’empoisonner la conscience de la classe ouvrière ; on pointait du doigt les camps de travail russes en martelant ce message : si c’est çà le socialisme, est ce que vous ne préférez pas tout de même avoir le capitalisme, malgré tous ses défauts ? Ce thème est devenu encore plus assourdissant avec l’effondrement du bloc de l’Est présenté comme «la mort du communisme», la «banqueroute du marxisme», et même la fin de la classe ouvrière elle-même. «L’extrême» gauche du capitalisme a apporté du grain à moudre à cette propagande de la bourgeoisie, les trotskistes en particulier, qui, tout en critiquant «ses déformations bureaucratiques», continuaient à considérer qu'il y avait quelque chose d'ouvrier à la base de l’édifice stalinien.

2. Cette énorme accumulation de déformations idéologiques a aussi servi à cacher l'existence d'une continuité et d'un développement du marxisme au 20ème siècle. Pendant que les faux défenseurs du marxisme – les staliniens, les trotskistes, toutes sortes de «marxologues» académiques, des modernistes et des philosophes – étaient sous les feux de la rampe, ses défenseurs réels étaient mis sur la touche, écartés pour être des sectes sans importance ou des fossiles d’un monde perdu, quand ils n’étaient pas directement réprimés et réduits au silence. Pour rétablir la véritable continuité du marxisme dans ce siècle, il est donc nécessaire de commencer par définir ce qu’est le marxisme. Dès ses premières grandes prises de position dans le Manifeste communiste de 1848, le marxisme s’est défini non pas comme le produit de quelques «penseurs» de génie, mais comme l’expression théorique du mouvement réel du prolétariat.

En tant que tel, il ne peut être qu’une théorie de combat, une théorie qui montre son adhésion à la cause de la classe exploitée par sa défense intransigeante des intérêts historiques et immédiats de celle-ci. Cette défense, tout en étant fondée sur une loyauté envers des principes aussi fondamentaux et inaltérables que l’internationalisme prolétarien, implique aussi l’enrichissement constant de la théorie marxiste en rapport direct et vivant avec l’expérience de la classe ouvrière. De plus, en tant que produit d’une classe qui incarne le travail et le combat collectifs, le marxisme lui-même ne peut se développer que dans des collectivités organisées – dans des fractions révolutionnaires et des partis. Ainsi, le Manifeste communiste était le programme de la première organisation marxiste de l’histoire – la Ligue des communistes.

3.     Au 19ème siècle, quand le capitalisme était encore en expansion, un système ascendant, la bourgeoisie avait moins besoin de cacher la nature exploiteuse de sa domination et de prétendre que le noir était blanc ou que le capitalisme était le socialisme. Les perversions idéologiques de ce type sont typiques de la décadence historique du capitalisme et s'expriment très clairement dans les efforts que fait la bourgeoisie pour utiliser le «marxisme» lui-même comme un moyen de mystification. Cependant, même dans le capitalisme en phase ascendante, la pression sans relâche de l’idéologie dominante cherchait fréquemment à faire passer en douce de fausses versions du socialisme dans le mouvement ouvrier. C'est la raison pour laquelle le Manifeste communiste fut obligé de se distinguer du socialisme «féodal», «bourgeois» et «petit-bourgeois», et que la fraction marxiste au sein de la Première Internationale (AIT, fondée en 1864) dut mener une bataille sur deux fronts, d’une part contre le bakouninisme et, d’autre part, contre le «socialisme d’Etat» de Lassalle .

4. Les partis de la Deuxième Internationale (fondée en 1889) se constituèrent sur la base du marxisme et représentaient en ce sens un  pas en avant considérable par rapport à la Première Internationale qui avait été une coalition de différentes tendances au sein du mouvement ouvrier. Mais comme ils œuvrèrent dans une période de grande croissance du capitalisme, quand la lutte pour des réformes était la cible des énergies de la classe ouvrière, ces partis (appelés social-démocrates ou socialistes) furent particulièrement vulnérables aux pressions d’intégration dans le système capitaliste. Ces pressions s’exprimèrent, au sein de ces partis, par le développement de courants réformistes qui se mirent à avancer des arguments selon lesquels les perspectives du marxisme sur le déclin inévitable du capitalisme devaient être «révisées» et qu’il allait être possible d’évoluer pacifiquement vers le socialisme sans aucune rupture révolutionnaire.

Pendant cette période – en particulier à la fin des années 1890 et au début des années 1900 – ce sont les courants de «gauche» au sein de l'internationale qui ont maintenu la continuité du marxisme. Ces deniers furent à la fois les plus inflexibles dans la défense des principes marxistes fondamentaux et les premiers à voir que de nouvelles conditions se développaient pour la lutte du prolétariat alors que le capitalisme atteignait les limites de sa phase d'ascendance. Les noms qui incarnent le courant de gauche de la social-démocratie sont bien connus – Lénine en Russie, Luxemburg en Allemagne, Pannekoek en Hollande, Bordiga en Italie – mais il faut aussi rappeler qu’aucun de ces militants ne travaillait de façon isolée. Et, avec le développement de la gangrène de l’opportunisme dans l’Internationale, ils furent obligés de travailler en tant que fractions organisées - les bolcheviks en Russie, le groupe Tribune en Hollande et d’autres - à la fois au sein de leurs partis respectifs et au niveau international.

5. La guerre impérialiste de 1914 et la Révolution de 1917 confirmèrent toutes deux le point de vue marxiste selon lequel le capitalisme entrerait inévitablement dans une «époque de révolution sociale», et précipitèrent une rupture fondamentale au sein du mouvement ouvrier. Pour la première fois, des organisations qui se référaient toutes deux à Marx et à Engels se retrouvaient de chaque côté des barricades : les partis social-démocrates officiels, dont la majorité était tombée aux mains des anciens «réformistes», soutinrent la guerre impérialiste en invoquant les écrits de Marx d’une période plus ancienne, et dénoncèrent la Révolution d’octobre parce que, selon eux, la Russie devait encore passer par une phase de développement de la bourgeoisie. Ainsi, ils passèrent de façon irrévocable dans le camp de la bourgeoisie, devenant des sergents recruteurs pour la guerre de 14 et les chiens sanglants de la contre-révolution en 1918.

Ce fut la démonstration terriblement concluante du fait qu'adhérer au marxisme ne se démontre ni par de pieuses déclarations ni par une étiquette de parti, mais dans la pratique vivante. Ce sont les courants de l’aile gauche qui seuls ont maintenu le drapeau de l’internationalisme prolétarien pendant le premier holocauste impérialiste mondial, ont rallié la révolution prolétarienne en Russie et ont mené les grèves et les soulèvements qui ont éclaté dans de nombreux pays à la suite de la guerre. Et ce sont ces mêmes courants qui ont constitué le noyau qui allait fonder l’Internationale communiste en 1919.

6.     1919 a été le point culminant de la vague révolutionnaire d’après-guerre et les positions de l’Internationale communiste à son Congrès de fondation expriment les positions les plus avancées du mouvement prolétarien : pour une rupture totale avec les traîtres social patriotes, pour les méthodes de l’action de masse exigée par la nouvelle période de décadence du capitalisme, pour la destruction de l’Etat capitaliste et pour la dictature internationale des conseils ouvriers. Cette clarté programmatique reflétait l’énorme élan de la vague révolutionnaire mais elle avait aussi été préparée à l’avance par les contributions politiques et théoriques des fractions de gauche au sein des vieux partis : ainsi, contre la vision légaliste et gradualiste de la route vers le pouvoir de Kautsky, Luxembourg et Pannekoek avaient élaboré la conception de grève de masse comme terreau de la révolution ; contre le crétinisme parlementaire de Kautsky, Pannekoek, Boukharine et Lénine avaient revivifié et affiné l’insistance de Marx sur la nécessité de détruire l’Etat bourgeois et de créer «l’Etat de la Commune». Ces développement théoriques devaient devenir les matériaux d'une politique pratique quand l’heure de la révolution sonnerait.

7. Le reflux de la vague révolutionnaire et l’isolement de la révolution russe ont enclenché un processus de dégénérescence tant dans l’Internationale communiste qu'au sein du pouvoir des conseils en Russie. Le parti bolchevique avait de plus en plus fusionné avec un appareil d’Etat bureaucratique qui prospérait en fonction inverse de la participation du prolétariat et de ses organes de pouvoir propres – les conseils ouvriers, les comités d’usine et les gardes rouges. Au sein de l’Internationale, les tentatives de gagner le soutien des masses dans une phase de déclin de l'activité de ces masses conduisirent à des «solutions» opportunistes –  l’insistance croissante sur le travail au sein du parlement et des syndicats, les appels au «Peuples d’orient» à se dresser contre l’impérialisme et, surtout, la politique de front unique avec les partis socialistes et social-démocrates qui jetait par dessus bord toute la clarté si chèrement acquise sur la nature capitaliste de ceux qui étaient devenus des social patriotes.

Cependant de la même manière que le développement de l’opportunisme de la Seconde Internationale avait suscité une réponse prolétarienne sous la forme de courants de gauche, la montée de opportunisme dans la Troisième Internationale allait rencontrer la résistance de la gauche communiste – dont beaucoup de ses porte-parole, tels que Pannekoek et Bordiga, avaient déjà prouvé, dans l'ancienne Internationale, qu’ils étaient les meilleurs défenseurs du marxisme. La gauche communiste était essentiellement un courant international et avait des expressions dans de nombreux pays, depuis la Bulgarie jusqu’à la Grande-Bretagne et des Etats-Unis à l’Afrique du Sud. Mais ses représentants les plus importants allaient se trouver précisément dans ces pays où la tradition marxiste était la plus forte : l’Allemagne, l’Italie et la Russie.

8.     En Allemagne, la profondeur de la tradition marxiste, de pair avec le grand élan du mouvement des masses prolétariennes en cours, avait déjà, au sommet de la vague révolutionnaire, fait surgir quelques unes des positions politiques les plus avancées, en particulier, sur les questions parlementaire et syndicale. Mais la gauche communiste en tant que telle apparut en réponse aux premiers signes d’opportunisme dans le Parti communiste allemand et dans l’Internationale. Le fer de lance en était le KAPD (Parti communiste ouvrier d'Allemagne), formé en 1920, quand l’opposition de gauche au sein du KPD (parti communiste allemand) en fut expulsée au moyen d’une manœuvre sans principe. Bien que critiqué comme «infantile» et «anarcho-syndicaliste» par la direction de l’IC, le rejet par le KAPD des vieilles tactiques parlementaires et syndicales se fondait sur une analyse marxiste profonde de la phase de décadence du capitalisme qui rendait ces tactiques obsolètes et exigeait de nouvelles formes d’organisation de la classe – les comités d’usine et les conseils ouvriers ; on peut dire la même chose pour son rejet clair de l'ancienne conception qu'avait la social-démocratie du «parti de masse», en faveur de la notion de parti comme un noyau avec une clarté programmatique – notion directement héritée des Bolcheviks. La défense intransigeante par le KAPD de ces acquis contre un retour aux vieilles tactiques social-démocrates en faisait le noyau dur d’un courant international qui avait des expressions dans de nombreux pays, en particulier en Hollande, où le mouvement révolutionnaire était étroitement lié à celui d’Allemagne, grâce aux travaux de Pannekoek et Gorter.

Cela ne veut pas dire que la gauche communiste en Allemagne au début des années 20 ne souffrait pas d’importantes faiblesses. Sa tendance à concevoir le déclin du capitalisme sous la forme d’une «crise mortelle» finale plutôt que comme un long processus faisait qu’il lui était difficile de voir le reflux de la vague révolutionnaire et l’exposait au danger du volontarisme ; en lien avec cela, ses faiblesses sur la question de l'organisation l’amenèrent à une rupture prématurée avec l’Internationale communiste et à de vains efforts pour créer une nouvelle Internationale en 1922. Ces défauts de son armure allaient l’empêcher de résister à la marée contre-révolutionnaire qui se répandit pendant les années 20 et le résultat fut un processus désastreux de fragmentation, théorisé dans de nombreux cas dans l’idéologie du «conseillisme» qui rejetait la nécessité d’une organisation politique distincte.

9.     En Italie par ailleurs, la gauche communiste – qui était au début majoritaire au sein du Parti communiste d’Italie – avait une position particulièrement claire sur la question de l'organisation. Cela lui a permis non seulement de mener une bataille courageuse contre l’opportunisme au sein de l’Internationale dégénérescente, mais aussi de donner naissance à une fraction communiste qui a été capable de survivre au naufrage du mouvement révolutionnaire et de développer la théorie marxiste pendant les sombres années de la contre-révolution. Au début des années 1920, ses arguments en faveur de l’abstentionnisme vis à vis des parlements bourgeois, contre la fusion de l’avant-garde communiste avec de grands partis centristes pour donner l’illusion «d’une influence sur les masses», contre les mots d’ordre de front unique et de «gouvernement ouvrier» étaient déjà fondés sur une profonde assimilation de la méthode marxiste.

Cela s’applique aussi à son analyse du nouveau phénomène du fascisme et à son refus conséquent de tout front anti-fasciste avec les partis «démocratiques» de la bourgeoisie. Le nom de Bordiga est attaché de façon irrévocable à cette phase de l’histoire de la gauche communiste en Italie, mais malgré l’énorme importance de la contribution de ce militant, la gauche italienne n’en est pas plus réductible à Bordiga que le bolchevisme à Lénine : tous deux étaient des produits organiques du mouvement politique prolétarien.

10. Comme nous l’avons dit, l’isolement de la révolution en Russie a eu comme résultat un divorce grandissant entre la classe ouvrière et un appareil d’Etat de plus en plus bureaucratique – l’expression la plus tragique de ce divorce a été la répression de la révolte des ouvriers et des marins de Cronstadt par le parti même du prolétariat, le parti bolchevique, qui était devenu de plus en plus intriqué avec l’Etat.

Parce que c’était justement un vrai parti prolétarien, le parti bolchevique a produit de nombreuses réactions internes contre sa propre dégénérescence. Lénine lui-même, qui en 1917 avait été un des porte-parole les plus remarquables de l’aile gauche du parti – faisait quelques critiques hautement pertinentes sur le glissement du parti vers le bureaucratisme, en particulier vers la fin de sa vie ; à peu près à la même époque, Trotsky devint le principal représentant d’une opposition de gauche qui visait à restaurer les normes de la démocratie prolétarienne au sein du parti et qui continua le combat contre les expressions les plus criantes de la contre-révolution stalinienne, en particulier la théorie du «socialisme en un seul pays». Cependant, dans une grande mesure parce que le bolchevisme avait sapé son propre rôle d’avant-garde prolétarienne en fusionnant avec l’Etat, les courants de gauche les plus importants au sein du parti tendaient à être menés par des figures moins connues qui avaient pu rester plus proches de la classe que de l'appareil d’Etat.

 En 1919 déjà, le groupe "Centralisme démocratique", conduit par Ossinsky, Smirnov et Sapranov, avait commencé à mettre en garde contre la «dépérissement» des conseils et l’abandon grandissant des principes de la Commune de Paris. Des critiques similaires furent faites par le groupe "L’Opposition ouvrière", mené par Kollontai et Chliapnikov, bien que ce groupe se soit avéré moins rigoureux et moins durable que le groupe des "Décistes" qui allait continuer à jouer un rôle important pendant les années 20 et développer une démarche similaire à celle de la gauche italienne. En 1923, le "Groupe ouvrier" de Miasnikov publiait un Manifeste et faisait une intervention importante dans les grèves ouvrières cette année là. Ses positions et ses analyses étaient proches de celles du KAPD.

Non seulement tous ces groupes étaient nés dans le parti bolchevique, mais ils continuaient à combattre au sein du parti pour un retour aux principes originels de la révolution. Mais au fur et à mesure que les forces de la contre-révolution bourgeoise gagnaient du terrain dans le parti, le problème central devint la capacité des différentes oppositions à comprendre la véritable nature de cette contre-révolution et à rompre avec une loyauté sentimentale envers ses expressions organisées. Cela devait s'avérer la divergence fondamentale entre Trotsky et la gauche communiste russe : tandis que Trotsky allait rester toute sa vie attaché à la notion de défense de l’Union Soviétique et même à la nature ouvrière des partis staliniens, les communistes de gauche ont vu que le triomphe du stalinisme – y compris son «tournant à gauche» qui avait jeté dans la confusion beaucoup de disciples de Trotsky – signifiait le triomphe de l’ennemi de classe et impliquait la nécessité d’une nouvelle révolution.

Cependant, bien des meilleurs éléments de l’opposition trotskiste – les dits «irréconciliables» - évoluèrent vers les positions de la gauche communiste à la fin des années 20 et au début des années 30. Mais la terreur stalinienne avait quasiment certainement éliminé ces groupes à la fin de la décennie.

10. Selon les termes de Victor Serge, les années 30 furent «minuit dans le siècle». Les derniers embruns de la vague révolutionnaire – la grève générale en Grande Bretagne en 1926, le soulèvement de Shanghai en 1927 – s’étaient déjà évaporés. Les partis communistes étaient devenus des partis de défense nationale ; la terreur fasciste et stalinienne avait atteint le comble de la férocité justement dans ces pays où le mouvement révolutionnaire avait atteint le point le plus haut ; et le capitalisme mondial tout entier se préparait pour un autre holocauste impérialiste. Dans ces conditions, les minorités révolutionnaires qui avaient survécu, devaient faire face à l’exil, à la répression et à l’isolement croissant. Comme la classe dans son ensemble succombait à la démoralisation et aux idéologies guerrières de la bourgeoisie, les révolutionnaires ne pouvaient espérer avoir un grand impact sur les luttes immédiates de la classe.

L’incapacité de Trotsky à le comprendre devait conduire son opposition de gauche dans la voie d’un opportunisme grandissant – le «tournant français» avec le retour dans les partis social-démocrates, la capitulation devant l’anti-fascisme, etc. – dans le fallacieux espoir de «conquérir les masses». L’issue finale de cette voie, pour le trotskisme plutôt que pour Trotsky lui-même, a été l’intégration dans l'appareil de guerre bourgeois pendant les années 40. Depuis cette époque, le trotskisme, comme la social-démocratie et le stalinisme, a fait partie de l’appareil politique du capitalisme, et malgré toutes ses prétentions, n’a absolument rien à voir avec la continuité du marxisme.

11. En opposition avec cette trajectoire, la gauche italienne autour de la revue Bilan définissait correctement les tâches de l’heure : premièrement, ne pas trahir les principes élémentaires de l’internationalisme confronté à la marche à la guerre ; deuxièmement, tirer le «bilan» de l’échec de la vague révolutionnaire et de la révolution russe en particulier, et élaborer les leçons appropriées afin qu’elles puissent servir de fondement théorique aux nouveaux partis qui surgiraient dans la prochaine reprise de la lutte de classe.

La guerre d'Espagne fut un test particulièrement dur pour les révolutionnaires de l’époque, dont beaucoup se laissèrent prendre aux chants des sirènes de l’anti-fascisme et ne réussirent pas à voir que la guerre était impérialiste des deux côtés, une répétition générale de la guerre mondiale à venir. Bilan tint bon cependant, appelant à la lutte de classe aussi bien contre les fractions fascistes que républicaines de la bourgeoisie, exactement comme Lénine avait dénoncé les deux camps dans la Première Guerre mondiale.

A la même époque les contributions théoriques faites par ce courant – qui plus tard engloba des fractions en Belgique, en France et au Mexique – furent immenses et tout à fait irremplaçables. Dans son analyse de la dégénérescence de la révolution russe – qui ne remit jamais en question la caractère prolétarien de 1917 ; dans ses recherches sur les problèmes de la future période de transition ; dans ses travaux sur la crise économique et les fondements de la décadence du capitalisme ; dans sa dénonciation de la position de l’Internationale communiste de soutien aux luttes de «libération nationale» ; dans son élaboration de la théorie du parti et de la fraction ; dans ses polémiques sans relâche, mais fraternelles, avec d’autres courants politiques prolétariens ; en cela et dans beaucoup d’autres domaines, la gauche italienne a sans aucun doute rempli la tâche qu'elle s'était assignée de développer les bases programmatiques pour les organisations prolétariennes du futur.

12. La dispersion des groupes de la gauche communiste en Allemagne fut parachevée par la terreur nazie, même si quelques activités révolutionnaires clandestines ont pu se maintenir sous le régime d’Hitler. Pendant les années 30, la défense des positions révolutionnaires de la gauche allemande se menait en grande partie en Hollande, en particulier par le travail du groupe des Communistes internationaux, mais aussi en Amérique avec le groupe de Paul Mattick. Comme Bilan, la gauche allemande resta fidèle à l’internationalisme face à toutes les guerres impérialistes locales qui préparaient la voie à la boucherie mondiale, résistant à la tentation de «défendre la démocratie».

 Elle a continué à approfondir sa compréhension de la question syndicale, des nouvelles formes d’organisation des ouvriers à l’époque du déclin du capitalisme, des fondements matériels de la crise capitaliste, de la tendance au capitalisme d’Etat. Elle a aussi maintenu une intervention importante dans la lutte de classe, en particulier vis à vis du mouvement des chômeurs. Mais la gauche allemande, traumatisée par la défaite de la révolution russe, glissait toujours plus vers la négation conseilliste de l’organisation politique – et donc de tout rôle bien clair pour elle-même. Associé à cela, elle rejetait totalement le bolchevisme et la révolution russe qu'elle considérait comme bourgeoise depuis le début. Cette théorisation a été le germe de sa future disparition. Bien que la gauche communiste en Hollande ait continué, même sous l’occupation nazie, et ait donné naissance à une organisation importante après la guerre – le Spartacusbund qui, au début, est revenu aux positions pro-parti du KAPD – les concessions de la gauche hollandaise à l’anarchisme sur la question organisationnelle ont fait qu’il lui a été de plus en plus difficile de maintenir une quelconque continuité organisée les années suivantes. Aujourd’hui, nous sommes très proches de l’extinction complète de ce courant.

13. La gauche italienne, de son côté, a maintenu une continuité organisationnelle, mais non sans payer un tribut à la contre-révolution. Juste avant la guerre, la fraction italienne fut plongée dans le désarroi par la «théorie de l’économie de guerre» qui niait l’imminence de la guerre mondiale, mais son travail a continué, en particulier grâce à l’apparition d’une fraction française au milieu du conflit impérialiste. Vers la fin de la guerre, l’éclatement de grandes luttes prolétariennes en Italie entraîna des confusions supplémentaires dans les rangs de la fraction italienne, la majorité retournant en Italie pour former, avec Bordiga qui avait été politiquement inactif depuis la fin des années 20, le Parti communiste internationaliste d’Italie qui, tout en étant opposé à la guerre impérialiste, se formait sur des bases programmatiques peu claires et avec une analyse erronée de la période qu’il croyait être une période d'extension du combat révolutionnaire.

Cette orientation politique rencontra l’opposition de la majorité de la fraction en France qui avait vu plus rapidement que la période était toujours à la contre-révolution triomphante et qu’en conséquence, les tâches de la fraction n'étaient pas parvenues à leur terme. La Gauche communiste de France continua donc à travailler dans l’esprit de Bilan et, tout en ne négligeant pas ses responsabilités vis à vis de l’intervention dans les luttes immédiates de la classe, consacra son énergie au travail de clarification politique et théorique, faisant un bon nombre d’avancées importantes, en particulier sur les question du capitalisme d’Etat, de la période de transition, des syndicats et du parti. Tout en maintenant la méthode rigoureuse du marxisme si typique de la gauche italienne, elle fut aussi capable d’intégrer quelques unes des meilleures contributions de la gauche germano-hollandaise dans l’ensemble de son armement programmatique.

14.  En 1952, cependant, fortement convaincue de l’imminence d’une troisième guerre mondiale, la GCF s’est effectivement dissoute. La même année, le PCI en Italie était déchiré par une scission entre la tendance «bordiguiste» et la tendance conduite par Onorato Damen, un militant qui était resté politiquement actif en Italie pendant toute la période fasciste. La tendance «bordiguiste» était plus claire dans la compréhension de la nature réactionnaire de la période, mais dans ses efforts pour assurer fermement la défense du marxisme, elle tendait à verser dans le dogmatisme. Sa (nouvelle !) théorie de «l’invariance du marxisme» l’a conduite à ignorer de plus en plus les avancées réalisées par la fraction italienne dans les années 30 et à régresser dans «l’orthodoxie de l’Internationale communiste» sur beaucoup de questions. Les différents groupes bordiguistes aujourd’hui (au moins trois d’entre eux s’appellent ‘Parti communiste international’) sont les descendants directs de cette tendance.

La tendance Damen était beaucoup plus claire sur des questions politiques fondamentales comme le rôle du parti, les syndicats, la libération nationale et le capitalisme d’Etat, mais n’est jamais allée aux racines des erreurs commises à la formation originelle du PCI. Pendant les années 50 et 60, ces groupes ont stagné politiquement, le courant bordiguiste en particulier, qui se «protégeait» derrière la barrière du sectarisme. La bourgeoisie était parvenue très près d’éliminer toute expression organisée du marxisme, en coupant le lien vital qui unit les organisations révolutionnaires du présent aux grandes traditions du mouvement ouvrier.

15.  A la fin des années 60, cependant, le prolétariat réapparaît sur la scène de l’histoire avec la grève générale en France en mai 68 et les explosions ultérieures de combats ouvriers dans le monde entier. Cette reprise a donné naissance à une nouvelle génération d’éléments politisés cherchant la clarté des positions communistes, insufflant une nouvelle vie aux groupes révolutionnaires existants et elle produisit aussi de nouvelles organisations qui voulaient renouer avec l’héritage de la gauche communiste. Au début, ce nouveau milieu politique, réagissant contre l’image «autoritaire» du bolchevisme, était profondément imprégné d’idéologie conseilliste mais, en mûrissant, il devint de plus en plus capable de mettre de côté ses préjugés anti-organisationnels et de voir sa continuité avec la tradition marxiste tout entière.

Ce n’est pas par hasard si aujourd’hui la plupart des groupes existant dans le milieu révolutionnaire sont issus du courant de la gauche italienne, qui a donné une grande importance à la question organisationnelle et à la nécessité de préserver une tradition révolutionnaire intacte. Les groupes bordiguistes et le Bureau International pour le Parti révolutionnaire sont tous les héritiers du Parti communiste internationaliste d’Italie, alors que le Courant communiste international est, dans une grande mesure, le descendant de la Gauche communiste de France.

16.  La reprise prolétarienne de la fin des années 60 a suivi un chemin tortueux, avec des avancées et des reculs, rencontrant beaucoup d’obstacles sur son chemin, et aucun n’a été plus grand que l’énorme campagne de la bourgeoisie sur "la mort du communisme"- dont une partie a porté des attaques directes contre la gauche communiste elle-même, accusée à tort d’être la source du courant «négationniste» qui nie l’existence des chambres à gaz nazies.

Les difficultés de tout ce processus ont à leur tour semé beaucoup de difficultés sur le chemin du milieu révolutionnaire lui-même, retardant sa croissance et faisant obstacle à son unification. Mais malgré ces faiblesses, le mouvement de la «gauche communiste» reste la seule continuation vivante du marxisme authentique, le seul «pont» possible pour la formation du futur parti communiste mondial. Il est donc d’une importance vitale que les nouveaux éléments militants qui, quoiqu'il arrive, continuent à se développer à travers le monde dans cette période, prennent contact avec les groupes de la gauche communiste, débattent avec eux et, finalement, joignent leurs forces aux siennes ; ainsi, ils feront leur propre contribution à la construction du parti révolutionnaire, sans lequel il n’y aura pas de révolution victorieuse.

Courant communiste international, Septembre 1998.

Conscience et organisation: 

  • Troisième Internationale [2]
  • La Gauche Italienne [3]
  • La Gauche Germano-Hollandaise [4]
  • La Gauche Communiste de France [5]

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [6]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • L'organisation révolutionnaire [7]

La plateforme du CCI

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Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Le Marxisme : la theorie de la révolution [8]

Introduction à la plateforme et aux manifestes du CCI

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Sont regroupés ici trois documents élaborés par le CCI à différents moments de son histoire, ayant comme point commun de synthétiser les positions programmatiques et les perspectives générales de notre organisation. Pour comprendre la signification de ces documents, il est utile de donner quelques éléments de l'histoire du CCI.
Le CCI a été fondé en janvier 1975 par différents groupes politiques qui avaient surgi à la suite de la reprise historique de la classe ouvrière de la fin des années 1960 marquée notamment par la grève générale de mai 1968 en France, le "cordobaso" en Argentine 1969, "l'automne chaud italien" de la même année, les grèves des ouvriers de la Baltique en Pologne durant l'hiver 1970-71. Ce réveil mondial du prolétariat mettait fin à quatre décennies de contre-révolution et annonçait toute une période de combats de classe de plus en plus acharnés à mesure que s'aggraverait la crise capitaliste qui avait provoqué ce réveil.
L'apparition de nouveaux groupes, plus ou moins informels ou organisés, mais essayant de s'approprier les positions de classe du prolétariat constituait une des manifestations de premier plan de la fin de la période de contre-révolution et de l'ouverture d'une période d'affrontements de classe. Encore fallait-il, pour qu'ils soient à la hauteur de leur responsabilité, que ces groupes comprennent aussi bien la période historique nouvelle, dont ils étaient un produit, que la nécessité de se rattacher politiquement aux fractions communistes du passé qui s'étaient dégagées de l'Internationale Communiste lors de sa dégénérescence au cours des années 1920. Les groupes qui allaient constituer le CCI étaient parvenus à une telle compréhension. Ils se basaient principalement sur l'expérience et les positions de la Gauche Communiste de France (qui avait publié la revue Internationalisme entre 1945 et 1952) lesquelles avaient été à la base de la constitution, en 1964 du groupe Internacionalismo au Venezuela.
En juin 1968, dans la foulée de la grève générale, s'était constitué en France le groupe Révolution Internationale sur les mêmes positions que Internacionalismo et, suite à toute une série de discussions sur les positions programmatiques, il s'était regroupé en 1972 avec deux autres groupes également issus de 68 pour constituer la future section en France du CCI. Les discussions s'étaient étendues avec différents groupes qui avaient surgi dans d'autres pays, notamment World Revolution en Grande-Bretagne, Internationalism aux Etats-Unis, Rivoluzione Internazionale en Italie, Accion Proletaria en Espagne. Finalement ces six groupes, qui avaient des plateformes très proches, ont décidé de constituer une organisation unique, le Courant Communiste International lors de la conférence qui s'est tenue en janvier 1975.
Une des tâches que s'est donnée cette nouvelle organisation internationale a été d'élaborer une plateforme politique synthétisant les positions de classe et exprimant le degré de clarté auxquels ses militants étaient parvenus après sept années de discussions, de réflexion et d'intervention dans la classe. Cette plate-forme a été adoptée en janvier 1976 lors du premier congrès du CCI et a constitué, depuis, la base pour les nouvelles adhésions à notre organisation. C'est ce document que nous publions (en tenant compte des rectifications qui ont été décidées aux 3e, 7e,et 14e congrès du CCI, en 1979, 1987 et 2001). C'est un document de nature programmatique qui, à part son introduction faisant référence aux événements de l'époque où il a été rédigé et certaines formulations qui devraient être aujourd'hui écrites au passé (c'est pour cela que nous avons jugé utile de l'accompagner de quelques notes) reste valable pour toute la période historique actuelle du mouvement ouvrier ouverte par l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence, par la première révolution prolétarienne victorieuse de l'histoire, Octobre 1917, et par la dégénérescence de celle-ci suite à son isolement international. C'est pour cela que le premier congrès du CCI a estimé utile d'adopter en même temps un autre document, le Manifeste du CCI, que nous publions à sa suite, qui rend compte du nouveau cours historique ouvert par le réveil du prolétariat mondial à la fin des années 60.
Ce document, qui a maintenant plus de vingt ans, fait référence à des faits que les nouvelles générations ne connaissent pas très bien. C'est pour cela que nous avons jugé utile de le compléter, encore plus que pour la plateforme, par un certain nombre de notes. Et cela d'autant plus qu'à la fin des années 80 est intervenu un événement considérable, l'effondrement des régimes dits "socialistes" d'Europe et de l'ensemble du bloc dirigé par la Russie.
C'est justement cet événement historique considérable qui a conduit le CCI, lors de son 9ème congrès, à adopter un nouveau document, le Manifeste intitulé "Révolution communiste ou destruction de l'humanité" que nous publions après les deux autres.
Le Manifeste du 9ème congrès du CCI, a donc été adopté à l'été 1991. Il développe l'analyse du CCI de la nouvelle situation mondiale ouverte par l'effondrement d'un pan entier du système capitaliste : celui du bloc de l'Est et des régimes staliniens. Cet événement, suivi deux ans plus tard par le déchaînement de la guerre du Golfe et la dislocation du bloc occidental, a ouvert une nouvelle période dans l'histoire du capitalisme : l'enfoncement du mode de production bourgeois dans la phase ultime de sa décadence, celle de la décomposition. En ce sens, ce document vient compléter et actualiser les deux précédents.
Pour pouvoir être à la hauteur de leurs responsabilités face à la gravité des enjeux posés par la situation historique présente, les organisations révolutionnaires doivent être à l'écoute des faits. Elles doivent être capables d'adapter leurs analyses à l'évolution de l'histoire. Le marxisme n'est ni un dogme, ni une théorie figée, aux positions invariantes, mais au contraire une théorie vivante. Pour pouvoir être une arme efficace de la lutte du prolétariat en vue de son émancipation, la théorie et la méthode du marxisme doivent être constamment confrontées à la réalité historique. C'est à cette nécessité que ces documents du CCI se donne comme objectif de répondre tout en réaffirmant, évidemment, les positions politiques communistes qui ont été tranchées sans retour par l'expérience du mouvement ouvrier.

Plateforme du CCI adopté par le 1er Congrès

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Après la plus longue et profonde contre-révolution de son histoire, le prolétariat retrouve progressivement le chemin des combats de classe. Conséquence à la fois de la crise aiguë du système qui se développe depuis le milieu des années 1960 et de l'apparition de nouvelles générations ouvrières qui subissent beaucoup moins que les précédentes le poids des défaites passées de la classe, ces combats sont d'ores et déjà les plus étendus qu'elle ait menés. Depuis le surgissement de1968 en France, c'est de l'Italie à l'Argentine, de l'Angleterre à la Pologne, de la Suède à l'Egypte, de la Chine au Portugal, des Etats-Unis à l'Inde, du Japon à l'Espagne, que les luttes ouvrières sont redevenues un cauchemar pour la classe capitaliste.
La réapparition du prolétariat sur la scène historique vient condamner sans appel toutes les idéologies produites ou permises par la contre-révolution qu'il a dû subir et qui tendaient à lui nier sa nature de sujet de la révolution. Ce que redémontre magistralement l'actuelle reprise de la lutte de classe, c'est que le prolétariat est la classe révolutionnaire de notre époque et la seule.

Est révolutionnaire toute classe dont la domination sur la société est en accord avec l'instauration et l'extension, au détriment des anciens rapports de production devenus caducs, des nouveaux rapports de production rendus nécessaires par le degré de développement des forces productives. Au même titre que les modes de production qui l'ont précédé, le capitalisme correspond à une étape particulière du développement de la société. Forme progressive de celle-ci, à un moment de son histoire, il crée, par sa généralisation, les conditions de sa propre disparition. La classe ouvrière, par sa place spécifique dans le procès de production capitaliste, par sa nature de producteur collectif de l'essentiel de la richesse sociale, privé de toute propriété sur les moyens de production qu'il met en œuvre et donc n'ayant aucun intérêt qui l'attache au maintien de la société capitaliste, est la seule classe de la société qui puisse, tant objectivement que subjectivement, instaurer le nouveau mode de production qui doit succéder au capitalisme : le communisme. Le resurgissement actuel de la lutte prolétarienne indique, qu'à nouveau la perspective du communisme de nécessité historique, est devenue également une possibilité.
Cependant, l'effort que doit faire le prolétariat pour se donner les moyens d'affronter victorieusement le capitalisme est encore immense. Produits et facteurs actifs de cet effort les courants et éléments révolutionnaires qui sont apparus depuis le début de la reprise prolétarienne portent donc une énorme responsabilité dans le développement et l'issue de ces combats. Pour être à la hauteur de cette responsabilité ils doivent s'organiser autour des frontières de classe qui ont été tranchées de façon définitive par les expériences successives du prolétariat, et qui doivent guider toute activité et intervention en son sein.

C'est à travers l'expérience pratique et théorique de la classe que se dégagent les moyens et les buts de sa lutte historique pour le renversement du capitalisme et pour l'instauration du communisme. Depuis le début du capitalisme, l'activité du prolétariat est tendue vers un effort constant pour, à travers son expérience, prendre conscience de ses intérêts de classe et se dégager de l'emprise des idées de la classe dominante, des mystifications de l'idéologie bourgeoise. Cet effort du prolétariat est marqué par une continuité qui s'étend tout au long du mouvement ouvrier depuis les premières sociétés secrètes jusqu'aux fractions de gauche qui se sont dégagées de la IIIème Internationale.
Malgré toutes les aberrations et toutes les manifestations de la pression de l'idéologie bourgeoise que pouvaient receler leurs positions et leur mode d'action, les différentes organisations qui se sont succédées constituent autant de maillons irremplaçables de la chaîne de la continuité historique de la lutte prolétarienne, et le fait de succomber à la défaite ou à une dégénérescence interne, n'enlève rien à leur contribution fondamentale à cette lutte. Aussi, l'organisation des révolutionnaires qui se reconstitue aujourd'hui comme manifestation de la reprise générale du prolétariat après un demi-siècle de contre-révolution et de rupture dans le mouvement ouvrier, se doit absolument de renouer avec cette continuité historique afin que les combats présents et futurs de la classe puissent s'armer pleinement des leçons de son expérience passée, que toutes les défaites partielles qui jalonnent son chemin ne restent pas vaines mais puissent constituer autant de promesses de sa victoire finale.

Le Courant Communiste International se revendique des apports successifs de la Ligue des Communistes, des Première, Deuxième et Troisième Internationales, des fractions de gauche qui se sont dégagées de cette dernière, en particulier des gauches Allemande, Hollandaise et Italienne. Ce sont ces apports essentiels permettant d'intégrer l'ensemble des frontières de classe dans une vision cohérente et générale qui sont présentés dans la présente plateforme.


1 - LA THEORIE DE LA REVOLUTION COMMUNISTE

Le marxisme est l'acquis théorique fondamental de la lutte prolétarienne, c'est sur sa base que l'ensemble des acquis du prolétariat s'intègre dans un tout cohérent.

En expliquant la marche de l'histoire par le développement de la lutte de classe, c'est-à-dire de la lutte basée sur la défense des intérêts économiques dans un cadre donné du développement des forces productives, et en reconnaissant dans le prolétariat la classe sujet de la révolution qui abolira le capitalisme, il est la seule conception du monde qui se place réellement du point de vue de cette classe. Loin de constituer une spéculation abstraite sur le monde il est donc, et avant tout, une arme de combat de la classe. Et c'est parce que le prolétariat est la première et seule classe de l'histoire dont l'émancipation s'accompagne nécessairement de l'émancipation de toute l'humanité, dont la domination sur la société n'implique pas une nouvelle forme d'exploitation mais l'abolition de toute exploitation, que le marxisme est seul capable d'appréhender la réalité sociale de façon objective et scientifique, sans préjugés ni mystifications d'aucune sorte.
Par conséquent, bien qu'il ne soit pas un système ni un corps de doctrine fermé, mais au contraire une théorie en élaboration constante, en liaison directe et vivante avec la lutte de classe, et bien qu'il ait bénéficié des manifestations théoriques de la vie de la classe qui l'ont précédé, il constitue, depuis le moment où ses bases ont été jetées, le seul cadre à partir et au sein duquel la théorie révolutionnaire peut se développer.


2 - LES CONDITIONS DE LA REVOLUTION COMMUNISTE

Toute révolution sociale est l'acte par lequel la classe porteuse des nouveaux rapports de production établit sa domination politique sur la société. La révolution prolétarienne n'échappe pas à cette définition mais ses conditions et son contenu diffèrent fondamentalement des révolutions du passé.
Celles-ci, parce qu'elles se trouvaient à la charnière de deux modes de production dominés par la pénurie avaient pour fonction de substituer la domination d'une classe exploiteuse à celle d'une autre classe exploiteuse : ce fait s'exprimait par le remplacement d'une forme de propriété par une autre forme de propriété, d'un type de privilèges par un autre type de privilèges.
La révolution prolétarienne, par contre, a pour but de remplacer des rapports de production basés sur la pénurie par des rapports de production basés sur l'abondance, c'est pour cela qu'elle signifie la fin de toute forme de propriété, de privilèges et d'exploitation.

Ces différences confèrent à la révolution prolétarienne les caractéristiques suivantes, que la classe ouvrière se doit, comme condition de son succès, de comprendre et de maîtriser :

a - Elle est la première forme de révolution à caractère mondial, qui ne puisse atteindre ses buts qu'en se généralisant à tous les pays, puisqu'avec la propriété privée elle doit abolir l'ensemble des cadres sectoriels, régionaux et nationaux liés à celle-ci. C'est la généralisation de la domination du capitalisme à l'échelle mondiale qui permet que cette nécessité soit aussi une possibilité.

b - La classe révolutionnaire, pour la première fois dans l'histoire, est en même temps aussi la classe exploitée de l'ancien système et, de ce fait, elle ne peut s'appuyer sur un quelconque pouvoir économique dans la conquête du pouvoir politique. Bien au contraire, à l'encontre de ce qui a prévalu dans le passé, la prise du pouvoir politique par le prolétariat précède nécessairement la période de transition pendant laquelle la domination des anciens rapports de production est détruite au bénéfice de celle des nouveaux.

c - Le fait que, pour la première fois, une classe de la société soit en même temps classe exploitée et classe révolutionnaire implique également que sa lutte comme classe exploitée ne peut à aucun moment être dissociée ou opposée à sa lutte comme classe révolutionnaire. Au contraire, comme le marxisme l'a depuis le début affirmé contre les théories proudhoniennes et petites-bourgeoises, le développement de la lutte révolutionnaire est conditionné par l'approfondissement et la généralisation de la lutte du prolétariat comme classe exploitée.


3 - LA DECADENCE DU CAPITALISME

Pour que la révolution prolétarienne puisse passer du stade de simple souhait ou de simple potentialité et perspective historique au stade d'une possibilité concrète, il faut qu'elle soit devenue une nécessité objective pour le développement de l'humanité. C'est cette situation historique qui prévaut depuis la première guerre mondiale : depuis cette date a pris fin la phase ascendante du mode de production capitaliste qui commence au 16ème siècle pour atteindre son apogée à la fin du 19ème. La nouvelle phase ouverte dès lors est celle de la décadence du capitalisme.

Comme pour toutes les sociétés du passé, la première phase du capitalisme traduisait le caractère historiquement nécessaire des rapports de production qu'il incarne, c'est-à-dire de leur nature indispensable pour l'épanouissement des forces productives de la société. La seconde, au contraire, traduit la transformation de ces rapports en une entrave de plus en plus lourde à ce même développement.

La décadence du capitalisme est le produit du développement des contradictions internes inhérentes à ce mode de production, et qu'on peut définir comme suit :

Bien que la marchandise ait existé dans la plupart des sociétés, l'économie capitaliste est la première qui soit basée fondamentalement sur la production de marchandises. Aussi l'existence de marchés sans cesse croissants est-elle l'une des conditions essentielles du développement du capitalisme. En particulier, la réalisation de la plus-value produite par l'exploitation de la classe ouvrière est indispensable à l'accumulation du capital, moteur essentiel de la dynamique de celui-ci. Or, contrairement à ce que prétendent les adorateurs du capital, la production capitaliste ne crée pas automatiquement et à volonté les marchés nécessaires à sa croissance. Le capitalisme se développe dans un monde non capitaliste, et c'est dans ce monde qu'il trouve les débouchés qui permettent ce développement. Mais en généralisant ses rapports à l'ensemble de la planète et en unifiant le marché mondial, il a atteint un degré critique de saturation des mêmes débouchés qui lui avaient permis sa formidable expansion du 19ème siècle. De plus la difficulté croissante pour le capital de trouver des marchés où réaliser sa plus-value, accentue la pression à la baisse qu'exerce sur son taux de profit l'accroissement constant de la proportion entre la valeur des moyens de production et celle de la force de travail qui les met en œuvre. De tendancielle, cette baisse du taux de profit devient de plus en plus effective, ce qui entrave d'autant le procès d'accumulation du capital, et donc le fonctionnement de l'ensemble des rouages du système.

Après avoir unifié et universalisé l'échange marchand en faisant connaître un grand bond au développement de l'humanité, le capitalisme a donc mis à l'ordre du jour la disparition des rapports de production fondés sur l'échange. Mais tant que le prolétariat ne s'est pas donné les moyens d'imposer cette disparition, ces rapports de production se maintiennent et entraînent l'humanité dans des contradictions de plus en plus monstrueuses.

La crise de surproduction, manifestation caractéristique des contradictions du mode de production capitaliste mais qui, dans le passé, constituait un palier entre chaque phase d'expansion du marché, battement de cœur d'un système en pleine santé, est devenue aujourd'hui permanente. C'est effectivement de façon permanente que sont sous-utilisées les capacités de l'appareil productif et que le capital est devenu incapable d'étendre sa domination ne serait-ce qu'au rythme de la croissance de la population humaine. La seule chose que le capitalisme puisse aujourd'hui étendre dans le monde, c'est la misère humaine absolue, comme celle que connaissent les pays du tiers-monde.

La concurrence entre les nations capitalistes, ne peut, dans ces conditions, que devenir de plus en plus implacable. L'impérialisme, politique à laquelle est contrainte, pour survivre, toute nation quelle que soit sa taille, impose à l'humanité d'être plongée depuis 1914, dans le cycle infernal de crise-guerre-reconstruction-nouvelle crise..., où une production d'armement chaque jour plus monstrueuse devient de plus en plus le seul terrain d'application de la science et d'utilisation des forces productives. Dans la décadence du capitalisme, l'humanité ne se survit que sur la base de destructions et d'une automutilation permanentes.

A la misère physiologique qui frappe les pays sous-développés, fait écho dans les pays développés une déshumanisation extrême, jamais atteinte auparavant, des relations entre les membres de la société, et qui a pour base l'absence totale de perspectives que le capitalisme offre à l'humanité, autres que celle de guerres de plus en plus meurtrières et d'une exploitation de plus en plus systématique, rationnelle et scientifique, il en découle, comme pour toute société en décadence, un effondrement et une décomposition croissante des institutions sociales, de l'idéologie dominante, de l'ensemble des valeurs morales, des formes d'art et de toutes les autres manifestations culturelles du capitalisme. Le développement d'idéologies comme le fascisme ou le stalinisme marquent le triomphe croissant de la barbarie en l'absence du triomphe de l'alternative révolutionnaire.


4 - LE CAPITALISME D'ETAT

Dans toute période de décadence, face à l'exacerbation des contradictions du système, l'Etat garant de la cohésion du corps social et de la préservation des rapports de classe dominants, tend à se renforcer jusqu'à incorporer dans ses structures l'ensemble de la vie de la société. L'hypertrophie de l'administration impériale et la monarchie absolue ont été les manifestations de ce phénomène dans la décadence de la société esclavagiste romaine et dans celle de la société féodale.

Dans la décadence capitaliste la tendance générale vers le capitalisme d'Etat est une des caractéristiques dominantes de la vie sociale. Dans cette période, chaque capital national, privé de toute base pour un développement puissant, condamné à une concurrence impérialiste aiguë est contraint de s'organiser de la façon la plus efficace pour, à l'extérieur, affronter économiquement et militairement ses rivaux et, à l'intérieur, faire face à une exacerbation croissante des contradictions sociales. La seule force de la société qui soit capable de prendre en charge l'accomplissement des tâches que cela impose est l'Etat.

Effectivement, seul l'Etat :
- peut prendre en main l'économie nationale de façon globale et centralisée et atténuer la concurrence interne qui l'affaiblit afin de renforcer sa capacité à affronter comme un tout la concurrence sur le marché mondial.
- mettre sur pied la puissance militaire nécessaire à la défense de ses intérêts face à l'exacerbation des antagonismes internationaux.
- enfin, grâce entre autres, aux forces de répression et à une bureaucratie de plus en plus pesantes, raffermir la cohésion interne de la société menacée de dislocation par la décomposition croissante de ses fondements économiques, imposer par une violence omniprésente le maintien d'une structure sociale de plus en plus inapte à régir spontanément les relations humaines et acceptée avec d'autant moins de facilité qu'elle devient, de plus en plus, une absurdité du point de vue de la survie même de la société.

Sur le plan économique, cette tendance jamais totalement achevée vers le capitalisme d'Etat, se traduit par le passage aux mains de l'Etat de tous les leviers de l'appareil productif. Cela ne signifie pas que disparaissent la loi de la valeur, la concurrence ou l'anarchie de la production, qui sont les caractéristiques fondamentales de l'économie capitaliste. Elles continuent de s'appliquer à l'échelle mondiale où les lois du marché continuent de régner et déterminent donc les conditions de la production à l'intérieur de chaque économie nationale aussi étatisée soit-elle. Dans ce cadre, si les lois de la valeur et de la concurrence semblent être "violées" c'est afin qu'elles puissent mieux s'appliquer. Si l'anarchie de la production semble refluer face à la planification étatique, elle en resurgit d'autant plus violemment à l'échelle mondiale particulièrement à l'occasion des crises aiguës du système que le capitalisme d'Etat est incapable de prévenir. Loin de constituer une "rationalisation" du capitalisme, son étatisation n'est donc qu'une manifestation de son pourrissement.

Cette étatisation se fait, soit de façon graduelle, par fusion des capitaux "privés" et du capital d'Etat comme c'est plutôt le cas dans les pays les plus développés, soit par des sauts brusques sous forme de nationalisations massives et totales, en général là où le capital privé est le plus faible.

Effectivement, si la tendance vers le capitalisme d'Etat se manifeste dans tous les pays du monde, elle s'accélère et éclate avec plus d'évidence quand, et où, les effets de la décadence se font sentir avec le plus de violence : historiquement durant les périodes de crise ouverte ou de guerre, géographiquement dans les économies les plus faibles. Mais le capitalisme d'Etat n'est pas un phénomène spécifique des pays arriérés. Au contraire, bien que le degré d'étatisation formelle soit souvent plus élevé dans le capitalisme sous-développé, la prise en main véritable par l'Etat de la vie économique est généralement encore plus effective dans les pays les plus développés, du fait du haut degré de concentration du capital qui y règne.

Sur le plan politique et social, la tendance vers le capitalisme d'Etat se traduit par le fait que, sous les formes totalitaires les plus extrêmes comme le fascisme ou le stalinisme ou sous les formes qui se recouvrent du masque démocratique, l'appareil d'Etat, et essentiellement l'exécutif, exerce un contrôle de plus en plus puissant, omniprésent et systématique sur tous les aspects de la vie sociale. A une échelle bien supérieure à celle de la décadence romaine ou féodale, l'Etat de la décadence capitaliste est devenu cette machine monstrueuse, froide et impersonnelle qui a fini par dévorer la substance même de la société civile.


5 - LES PAYS DITS " SOCIALISTES "

En faisant passer le capital aux mains de l'Etat, le capitalisme d'Etat crée l'illusion de la disparition de la propriété privée des moyens de production et de l'élimination de la classe bourgeoise. La théorie stalinienne de la possibilité du "socialisme en un seul pays" ainsi que le mensonge des pays dits "communistes", "socialistes", ou en voie de le devenir, trouvent leurs fondements dans cette apparence mystificatrice.

Les changements provoqués par la tendance au capitalisme d'Etat ne se situent pas au niveau réel des rapports de production, mais au niveau juridique des formes de propriété. Ils n'éliminent pas le caractère réel de propriété privée des moyens de production, mais leur aspect juridique de propriété individuelle. Les travailleurs restent privés de toute emprise réelle sur leur utilisation, ils demeurent entièrement séparés d'eux. Les moyens de production ne sont "collectivisés" que pour la bureaucratie qui les possède et qui les gère collectivement.

La bureaucratie étatique qui assume la fonction économique spécifique d'extirpation du surtravail du prolétariat et d'accumulation du capital national constitue une classe. Mais ce n'est pas une nouvelle classe. Par sa fonction, elle n'est autre que la vieille bourgeoisie dans sa forme étatique. Au niveau de ses privilèges, ce qui la distingue, ce n'est pas l'importance de ceux-ci, mais la façon dont elle les détient : au lieu de percevoir ses revenus sous forme de dividendes du fait de la possession individuelle de parts du capital, elle les perçoit du fait de la fonction de ses membres sous forme de "frais de fonction", de primes et de rémunérations fixes à apparence "salariale", dont le montant est souvent des dizaines ou des centaines de fois supérieur au revenu d'un ouvrier.

La centralisation et la planification de la production capitaliste par l'Etat et sa bureaucratie, loin d'être un pas vers l'élimination, n'est rien d'autre qu'un moyen pour tenter de la rendre plus efficace.


Sur le terrain économique, la Russie, même pendant le court laps de temps où le prolétariat y a détenu le pouvoir politique, n'a pu se dégager pleinement du capitalisme. Si la forme du capitalisme d'Etat y est apparue aussitôt d'une façon aussi développée, c'est que la désorganisation économique causée par la défaite de la première guerre mondiale, puis par la guerre civile, y ont porté au plus haut degré les difficultés de survie d'un capital national dans le cadre de la décadence capitaliste.

Le triomphe de la contre-révolution en Russie s'est fait sous le signe de la réorganisation de l'économie nationale avec les formes les plus achevées de capitalisme d'Etat, cyniquement présentées pour la circonstance, comme "prolongements d'octobre" et "construction du socialisme". L'exemple a été repris ailleurs : Chine, Pays de l'Est, Cuba, Corée du Nord, Indochine, etc. Il n'y a cependant rien de prolétarien, encore moins de communiste, dans tous ces pays, où, sous le poids de ce qui restera comme un des plus grands mensonges de l'histoire, règne, sous ses formes les plus décadentes, la dictature du capital . Toute défense, même "critique" ou "conditionnelle" de ces pays est une activité absolument contre-révolutionnaire (1).


6 - LA LUTTE DU PROLETARIAT
DANS LE CAPITALISME DECADENT

Depuis ses débuts, la lutte du prolétariat pour la défense de ses intérêts propres porte en elle la perspective de la destruction du capital et de l'avènement de la société communiste.

Mais le prolétariat ne poursuit pas le but ultime de son combat par idéalisme, guidé par une inspiration divine. S'il est amené à s'attaquer à ses tâches communistes c'est que les conditions matérielles dans lesquelles se déroule sa lutte immédiate finissent par l'y contraindre, toute autre forme de combat aboutissant à un désastre.
Tant que la bourgeoisie parvient, grâce à l'expansion gigantesque de ses richesses dans le monde entier au cours de la phase ascendante du capitalisme, à accorder de véritables réformes de la condition prolétarienne, la lutte ouvrière ne peut trouver les conditions objectives nécessaires à la réalisation de son assaut révolutionnaire.
Malgré la volonté révolutionnaire, communiste, affirmée dès la révolution bourgeoise par les tendances les plus radicales du prolétariat, le combat ouvrier se trouve, au cours de cette période historique, cantonné aux luttes pour des réformes.
Apprendre à s'organiser pour arracher des réformes politiques et économiques à travers le parlementarisme et le syndicalisme devient à la fin du I9ème siècle un des axes essentiel de l'activité prolétarienne. 0n trouve ainsi dans des organisations authentiquement ouvrières, côte à côte, des éléments "réformistes" (ceux pour qui toute lutte ouvrière doit uniquement être une lutte pour des réformes) et les révolutionnaires (ceux pour qui les luttes pour des réformes ne peuvent constituer qu'une étape, un moment du processus qui mène aux luttes révolutionnaires).
Ainsi, pouvait-on voir également dans cette période le prolétariat appuyer certaines fractions de la bourgeoisie contre d'autres, plus réactionnaires, dans le but d'imposer des aménagements de la société en sa faveur, ce qui correspond objectivement à l'accélération du développement des forces productives.

L'ensemble de ces conditions se transforme radicalement dans le capitalisme décadent. Le monde est devenu trop étroit pour contenir le nombre de capitaux nationaux existants. Dans chaque nation, le capital est contraint d'augmenter sa productivité, c'est-à-dire l'exploitation des travailleurs, jusqu'aux limites les plus extrêmes.
L'organisation de l'exploitation du prolétariat cesse d'être une affaire entre patrons d'entreprises et ouvriers, pour devenir celle de l'Etat et de mille rouages nouveaux créés pour l'encadrer, gérer, vider en permanence de tout danger révolutionnaire, la soumettre à une répression aussi systématique qu'insidieuse.
L'inflation, devenue un phénomène permanent depuis la première guerre mondiale, ronge toute "augmentation de salaires". La durée de temps de travail stagne ou ne diminue que pour compenser des augmentations du temps de transport ou pour empêcher la totale destruction nerveuse des travailleurs soumis à des rythmes de vie et de travail sans cesse croissants.
La lutte pour des réformes est devenue une utopie grossière. Contre le capital, la classe ouvrière ne peut mener en fin de compte qu'une lutte à mort. Elle n'a plus d'autre alternative qu'accepter d'être atomisée en une somme de millions d'individus écrasés et encadrés, ou bien se battre en affrontant l'Etat lui-même, en généralisant des luttes de la façon la plus étendue, en refusant de se laisser enfermer dans le cadre purement économique ou dans le localisme de l'usine ou de la profession, en se donnant comme forme d'organisation les embryons de ses organes de pouvoir : les conseils ouvriers.

Dans ces nouvelles conditions historiques, beaucoup des anciennes armes du prolétariat sont devenues inopérantes. Les courants politiques qui en préconisent l'usage ne le font que pour mieux l'enchaîner à l'exploitation, pour mieux briser toute volonté de combat.
La distinction faite dans le mouvement ouvrier du19ème siècle entre programme maximum et programme minimum a perdu tout son sens, il n'y a plus de programme minimum possible. Le prolétariat ne peut développer ses luttes qu'en les inscrivant dans la perspective d'un programme maximum : la révolution communiste


7 - LES SYNDICATS :
ORGANES DU PROLETARIAT HIER,
INSTRUMENTS DU CAPITAL AUJOURD'HUI

Au19ème siècle, dans la période de plus grande prospérité du capitalisme, la classe ouvrière s'est donné, souvent au prix de luttes acharnées et sanglantes des organisations permanentes et professionnelles destinées à assurer la défense de ses intérêts économiques : les syndicats. Ces organes ont assumé un rôle fondamental dans la lutte pour les réformes et pour les améliorations substantielles des conditions de vie des travailleurs que le système pouvait encore accorder. Ils ont également constitué des lieux de regroupement de la classe, de développement de sa solidarité et de sa conscience, dans lesquels les révolutionnaires intervenaient activement pour en faire des "écoles du communisme". Donc, bien que l'existence de ces organes ait été liée de façon indissoluble à celle du salariat et que, dès cette période, ils se soient souvent déjà bureaucratisés de façon importante, ils n'en constituaient pas moins d'authentiques organes de la classe dans la mesure où l'abolition du salariat n'était pas à l'ordre du jour.

En entrant dans sa phase de décadence, le capitalisme cesse d'être en mesure d'accorder des réformes et des améliorations en faveur de la classe ouvrière. Ayant perdu toute possibilité d'exercer leur fonction initiale de défenseurs efficaces des intérêts prolétariens et confrontés à une situation historique où seule l'abolition du salariat, et donc leur propre disparition, est à l'ordre du jour, les syndicats sont devenus, comme condition de leur propre survie, d'authentiques défenseurs du capitalisme, des agences de l'Etat bourgeois en milieu ouvrier (évolution qui a été fortement favorisée par leur bureaucratisation antérieure et par la tendance inexorable de l'Etat de la période de décadence à absorber toutes les structures de la société).

La fonction anti-ouvrière des syndicats s'est manifestée pour la première fois de façon décisive au cours de la première guerre mondiale où, aux côtés des partis sociaux-démocrates, ils ont participé à la mobilisation des ouvriers dans la boucherie impérialiste. Dans la vague révolutionnaire qui a suivi la guerre, les syndicats ont tout fait pour entraver les tentatives du prolétariat de détruire le capitalisme. Depuis lors, ils ont été maintenus en vie, non par la classe ouvrière, mais par l'Etat capitaliste pour le compte duquel ils remplissent des fonctions très importantes :
- participation active aux tentatives de l'Etat capitaliste de rationaliser l'économie, réglementation de la vente de la force de travail et intensification de l'exploitation ;
- sabotage de la lutte de classe de l'intérieur, soit en détournant les grèves et les révoltes vers des impasses catégorielles, soit en affrontant les mouvements autonomes par la répression ouverte.

Du fait que les syndicats ont perdu leur caractère prolétarien ils ne peuvent pas être "reconquis" par la classe ouvrière, ni constituer un terrain pour l'activité des minorités révolutionnaires. Depuis plus d'un demi-siècle les ouvriers ont éprouvé de moins en moins d'intérêt à participer à l'activité de ces organisations devenues corps et âme des organes de l'Etat capitaliste. Leurs luttes de résistance contre la dégradation de leurs conditions de vie ont tendu à prendre la forme de "grèves sauvages" en dehors et contre les syndicats. Dirigées par les assemblées générales de grévistes et, dans les cas où elles se sont généralisées, coordonnées par des comités de délégués élus et révocables par les assemblées, ces luttes se sont immédiatement situées sur un terrain politique, dans la mesure où elles ont dû se confronter à l'Etat sous la forme de ses représentants dans l'entreprise : les syndicats. Seule la généralisation et la radicalisation de ces luttes peuvent permettre à la classe de passer à un assaut ouvert et frontal contre l'Etat capitaliste. La destruction de l'Etat bourgeois implique nécessairement la destruction des syndicats.

Le caractère anti-prolétarien des anciens syndicats ne leur est pas conféré par leur mode d'organisation propre, par profession ou branche industrielle, ni par l'existence de "mauvais chefs" mais bien par l'impossibilité, dans la période actuelle, de maintenir en vie des organes permanents de défense véritable des intérêts économiques du prolétariat. Par conséquent, le caractère capitaliste de ces organes s'étend à toutes les "nouvelles" organisations qui se donnent des fonctions similaires et ceci quel que soit leur modèle organisatif et les intentions qu'elles proclament. Il en est ainsi des "syndicats révolutionnaires" ou des "shop stewards" comme de l'ensemble des organes (comités ou noyaux ouvriers, commissions ouvrières) qui peuvent subsister à l'issue d'une lutte, même opposée aux syndicats, et qui tendent de constituer un "pôle authentique" de défense des intérêts immédiats des travailleurs. Sur cette base, ces organisations ne peuvent pas échapper à l'engrenage de l'intégration effective dans l'appareil d'Etat bourgeois, même à titre d'organes non officiels ou illégaux.
Toutes les politiques "d'utilisation", de "rénovation" ou de "reconquête" d'organisations à caractère syndical, en ce qu'elles conduisent à revigorer des institutions capitalistes souvent déjà désertées par les travailleurs, sont foncièrement favorables à la survie du capitalisme. Après plus d'un demi-siècle d'expérience jamais démentie du rôle anti-ouvrier de ces organisations, toute position défendant de telles stratégies est fondamentalement non-prolétarienne.


8 - LA MYSTIFICATION PARLEMENTAIRE
ET ELECTORALE

Dans la période d'apogée du système capitaliste, le parlement constituait la forme la plus appropriée de l'organisation de la vie politique de la bourgeoisie. Institution spécifiquement bourgeoise, il n'a donc jamais été un terrain de prédilection pour l'action de la classe ouvrière et le fait pour celle-ci de participer à ses activités ou aux campagnes électorales, recelait des dangers très importants que les révolutionnaires du siècle dernier n'ont jamais manqué de dénoncer. Cependant, dans une période où la révolution n'était pas à l'ordre du jour et où le prolétariat pouvait arracher des réformes à son avantage à l'intérieur du système, une telle participation lui permettait à la fois de faire pression en faveur de ces réformes, d'utiliser les campagnes électorales comme moyen de propagande et d'agitation autour du programme prolétarien et d'employer le Parlement comme tribune de dénonciation de l'ignominie de la politique bourgeoise. C'est pour cela que la lutte pour le suffrage universel a constitué, tout au long du 19ème siècle, dans un grand nombre de pays, une des occasions majeures de mobilisation du prolétariat.

Avec l'entrée du système dans sa phase de décadence, le Parlement cesse d'être un organe de réformes, comme le dit l'Internationale Communiste (2ème congrès) "le centre de gravité de la vie politique est sorti complètement et définitivement du Parlement". La seule fonction qu'il puisse assumer, et qui explique son maintien en vie, est une fonction de mystification. Dès lors, prend fin toute possibilité, pour le prolétariat, de l'utiliser de quelque façon que ce soit. En effet, il ne peut conquérir des réformes devenues impossibles à travers un organe qui a perdu toute fonction politique effective. A l'heure où sa tâche fondamentale réside dans la destruction de l'ensemble des institutions étatiques bourgeoises et donc du Parlement, où il se doit d'établir sa propre dictature sur les ruines du suffrage universel et autres vestiges de la société bourgeoise, sa participation aux institutions parlementaires et électorales aboutit, quelles que soient les intentions affirmées par ceux qui la préconisent, à insuffler un semblant de vie à ces institutions moribondes.

La participation électorale et parlementaire ne comporte actuellement aucun des avantages qu'elle pouvait avoir au siècle dernier. Par contre, elle en cumule tous les inconvénients et dangers, et principalement celui de maintenir vivace les illusions sur la possibilité d'un "passage pacifique ou progressif au socialisme" à travers la conquête d'une majorité parlementaire par les partis dits "ouvriers".
La politique de "destruction de l'intérieur" du Parlement à laquelle seraient censés participer les élus "révolutionnaires" s'est révélée, de façon catégorique, n'aboutir qu'à la corruption des organisations politiques qui l'ont pratiquée et à leur absorption par le capitalisme.

Enfin, l'utilisation des élections et des parlements comme instruments d'agitation et de propagande, dans la mesure où elle est essentiellement affaire de spécialistes, où elle privilégie le jeu des partis politiques au détriment de l'activité propre des masses, tend à préserver les schémas politiques de la société bourgeoise et à encourager la passivité des travailleurs. Si un tel inconvénient était acceptable quand la révolution n'était pas immédiatement possible, il devient une entrave décisive à l'heure où la seule tâche qui soit historiquement à l'ordre du jour pour le prolétariat est justement celle du renversement du vieil ordre social et l'instauration de la société communiste qui exigent la participation active et consciente de l'ensemble de la classe.

Si, à l'origine, les tactiques de "parlementarisme révolutionnaire" étaient, avant tout, la manifestation du poids du passé au sein de la classe et de ses organisations, elles se sont avérées, après une pratique aux résultats désastreux pour la classe, une politique foncièrement bourgeoise.


9 - LE FRONTISME,
STRATEGIE DE DEVOIEMENT DU PROLETARIAT

Dans la décadence capitaliste, quand seule la révolution prolétarienne constitue un pas en avant de l'Histoire, il ne peut exister aucune tâche commune, même momentanée, entre la classe révolutionnaire et une quelconque fraction de la classe dominante, aussi "progressiste", "démocratique" ou "populaire" qu'elle puisse se prétendre. Contrairement à la phase ascendante du capitalisme, sa période de décadence ne permet effectivement à aucune fraction de la bourgeoisie de jouer un rôle progressiste. En particulier, la démocratie bourgeoise qui, contre les vestiges des structures héritées de la féodalité, constituait, au siècle dernier, une forme politique progressive, a perdu, à l'heure de la décadence, tout contenu politique réel. Elle ne subsiste que comme paravent trompeur au renforcement du totalitarisme étatique et les fractions de la bourgeoisie qui s'en réclament sont aussi réactionnaires que toutes les autres.

De fait, depuis la première guerre mondiale, la "démocratie" s'est révélée comme un des pires opiums pour le prolétariat. C'est en son nom, qu'après cette guerre, a été écrasée la révolution dans plusieurs pays d'Europe ; c'est en son nom et "contre le fascisme", qu'ont été mobilisés des dizaines de millions de prolétaires dans la seconde guerre impérialiste. C'est encore en son nom qu'aujourd'hui le capital tente de dévoyer les luttes prolétariennes dans les alliances "contre le fascisme", "contre la réaction", "contre la répression", "contre le totalitarisme", etc.

Produit spécifique d'une période où le prolétariat a déjà été écrasé, le fascisme n'est absolument pas à l'ordre du jour à l'heure actuelle et toute propagande sur le "danger fasciste" est parfaitement mystificatrice. D'autre part, il ne détient pas le monopole de la répression, et si les courants politiques démocratiques ou de gauche l'identifient avec celle-ci, c'est qu'ils tentent de masquer qu'ils sont eux-mêmes des utilisateurs décidés de cette même répression à tel point que c'est à eux que revient l'essentiel de l'écrasement des mouvements révolutionnaires de la classe.

Au même titre que Les "fronts populaires" et "antifascistes", les tactiques de "front unique" se sont révélées de redoutables moyens de détournement de la lutte prolétarienne. Ces tactiques, qui commandent aux organisations révolutionnaires de proposer des alliances aux partis dits "ouvriers" afin de les "mettre au pied du mur" et de les démasquer, ne reviennent en fin de compte qu'à maintenir des illusions sur la véritable nature bourgeoise de ces partis et à retarder la rupture des ouvriers avec eux.

L'autonomie du prolétariat face à toutes les autres classes de la société est la condition première de l'épanouissement de sa lutte vers le but révolutionnaire. Toutes les alliances, et particulièrement celles avec des fractions de la bourgeoisie, ne peuvent aboutir qu'à son désarmement devant son ennemi en lui faisant abandonner le seul terrain où il puisse tremper ses forces : son terrain de classe. Tout courant politique qui tente de lui faire quitter ce terrain sert directement les intérêts de la bourgeoisie.


10 - LE MYTHE CONTRE-REVOLUTIONNAIRE
DE LA LIBERATION NATIONALE

La libération nationale et la constitution de nouvelles nations n'ont jamais été une tâche propre du prolétariat. Si, au siècle dernier, les révolutionnaires ont été amenés à appuyer de telles politiques ce n'est donc pas avec des illusions sur leur caractère exclusivement bourgeois ni au nom du "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes". Un tel appui reposait sur le fait que, dans la phase ascendante du capitalisme, la nation représentait le cadre approprié au développement du capitalisme et toute nouvelle édification de ce cadre, en éliminant les vestiges contraignants des rapports sociaux pré-capitalistes, constituait un pas en avant dans le sens d'une croissance des forces productives au niveau mondial et donc dans le sens de la maturation des conditions matérielles du socialisme. Avec l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence, et au même titre que l'ensemble des rapports de production capitalistes, la nation devient un cadre trop étroit pour le développement des forces productives. Aujourd'hui, la constitution juridique d'un nouveau pays ne permet aucun réel pas en avant dans un tel développement que les pays les plus anciens et les plus puissants sont eux-mêmes incapables d'assumer. Dans un monde désormais divisé et partagé en blocs impérialistes, toute lutte de "libération nationale", loin de constituer un quelconque mouvement progressif, se résume en fait à un moment de l'affrontement constant entre blocs rivaux dans lequel les prolétaires et paysans enrôlés, volontairement ou de force, ne participent que comme chair à canon (2).

De telles luttes n'affaiblissent aucunement l'impérialisme, puisqu'elles ne remettent pas en cause sa base : les rapports de production capitalistes. Si elles affaiblissent un bloc impérialiste c'est pour mieux en renforcer un autre et, la nation ainsi constituée devient elle-même impérialiste puisqu'à l'heure de la décadence, aucun pays grand ou petit, ne peut s'épargner une telle politique.

Si, dans le monde actuel, une "libération nationale réussie" n'a d'autre signification que le changement de puissance de tutelle pour le pays concerné, elle se traduit la plupart du temps pour les travailleurs, en particulier dans les nouveaux pays "socialistes", par une intensification, une systématisation, une militarisation de l'exploitation par le capital étatisé qui, manifestation de la barbarie actuelle du système, transforme la nation "libérée" en véritable camp de concentration. Loin d'être, comme le prétendent certains, un tremplin pour la lutte de classe du prolétariat du tiers-monde, ces luttes, par les mystifications "patriotiques" qu'elles colportent et l'embrigadement derrière le capital national qu'elles impliquent, agissent toujours comme frein et dévoiement de la lutte prolétarienne souvent acharnée dans ces pays. L'histoire a amplement montré depuis plus d'un demi-siècle et contrairement aux affirmations de l'Internationale Communiste, que les luttes de "libération nationale" n'impulsent pas plus le combat de classe des prolétaires des pays avancés que celui des prolétaires des pays sous-développés. Les uns comme les autres n'ont rien à attendre de ces luttes ni aucun "camp à choisir". Dans ces affrontements, le seul mot d'ordre des révolutionnaires ne peut être, contre la version moderne de la "défense nationale", que celui qui fut déjà adopté par eux dans la première guerre mondiale : "défaitisme révolutionnaire : transformation de la guerre impérialiste en guerre civile". Toute position de "soutien inconditionnel" ou "critique" à ces luttes est similaire, de façon consciente ou inconsciente à celle des "social-chauvins" de la première guerre mondiale et donc parfaitement incompatible avec une activité communiste cohérente.


11 - L'AUTOGESTION,
AUTO-EXPLOITATION DU PROLETARIAT

Si la nation est devenue un cadre trop étroit pour les forces productives actuelles, ceci est encore plus vrai pour l'entreprise qui n'a jamais connu d'autonomie véritable par rapport aux lois générales du capitalisme et dont la dépendance par rapport à celles-ci et à l'Etat ne peut aller qu'en s'accentuant dans la décadence du capitalisme. C'est pour cela que l'autogestion, c'est-à-dire la gestion des entreprises par les ouvriers au sein d'une société qui reste capitaliste, si elle était déjà une utopie petite bourgeoise au siècle dernier quand elle était préconisée par les courants proudhoniens, est aujourd'hui une pure mystification capitaliste (3).
- arme économique du capital, elle a pour finalité de faire accepter par les travailleurs le poids des difficultés des entreprises frappées par la crise en leur faisant organiser les modalités de leur propre exploitation.
- arme politique de la contre-révolution, elle a pour fonction :
- de diviser la classe ouvrière en l'enfermant et l'isolant usine par usine, quartier par quartier, secteur par secteur ;
- d'attacher les travailleurs aux préoccupations de l'économie capitaliste qu'ils ont au contraire pour tâche de détruire ;
- de détourner le prolétariat de la première tâche qui conditionne son émancipation : la destruction de l'appareil politique du capital et l'instauration de sa propre dictature au niveau mondial.

C'est effectivement à ce seul niveau que le prolétariat pourra prendre en charge la gestion de la production, mais alors, il ne le fera pas dans le cadre des lois capitalistes mais en détruisant celles-ci.

Toutes les positions politiques qui, même au nom de "l'expérience prolétarienne" ou de "l'établissement de nouveaux rapports entre travailleurs", défendent l'autogestion, participent, en fait, à la défense objective des rapports de production capitalistes.



12 - LES LUTTES "PARCELLAIRES",
IMPASSE REACTIONNAIRE

La décadence du capitalisme a accentué la décomposition de toutes ses valeurs morales et une dégradation profonde de tous les rapports humains.

Cependant, s'il est vrai que la révolution prolétarienne engendrera de nouveaux rapports dans tous les domaines de la vie, il est erroné de croire que l'on peut y contribuer en organisant des luttes spécifiques sur des problèmes parcellaires tels le racisme, la condition féminine, la pollution, la sexualité et autres aspects de la vie quotidienne.

La lutte contre les fondements économiques du système contient la lutte contre les aspects superstructurels de la société capitaliste, mais la réciproque est fausse.

Par leur contenu même, les luttes "parcellaires", loin de renforcer la nécessaire autonomie de la classe ouvrière, tendent au contraire à la diluer dans la confusion de catégories particulières ou invertébrées (races, sexes, jeunes, etc.) totalement impuissantes devant l'histoire.

C'est pourquoi les gouvernements et les partis politiques bourgeois ont appris à les récupérer et à les utiliser efficacement dans la préservation de l'ordre social.


13 - LA NATURE CONTRE-REVOLUTIONNAIRE
DES "PARTIS OUVRIERS"

L'ensemble des partis ou organisations qui aujourd'hui défendent, même "conditionnellement" ou de façon "critique", certains Etats ou certaines fractions de la bourgeoisie contre d'autres, que ce soit au nom du "socialisme", de la "démocratie", de " l'antifascisme", de "l'indépendance nationale", du "front unique", ou du "moindre mal", qui fondent leur politique sur le jeu bourgeois des élections, dans l'activité anti-ouvrière du syndicalisme ou dans les mystifications autogestionnaires sont des organes de l'appareil politique bourgeois : il en est ainsi en particulier, des partis "socialistes" et "communistes".

Ces partis, en effet, après avoir constitué à un certain moment les véritables avant-gardes du prolétariat mondial ont connu par la suite tout un processus de dégénérescence qui les a conduits dans le camp du capital. Si les Internationales auxquelles ils appartenaient (2ème Internationale pour le parti socialiste, 3ème Internationale pour les partis communistes) sont mortes comme telles, malgré la survivance formelle de leur structure, dans un moment de défaite historique de la classe ouvrière, ils ont quant à eux survécu pour devenir progressivement, chacun pour sa part, des rouages souvent majeurs de l'appareil de l'Etat bourgeois de leurs pays respectifs.

Il en a été ainsi des partis socialistes lorsque, dans un processus de gangrène par le réformisme et l'opportunisme, la plupart des principaux d'entre eux ont été conduits lors de la première guerre mondiale (qui marque la mort de la 2ème Internationale) à s'engager, sous la conduite de leur droite "social-chauvine", désormais passée à la bourgeoisie, dans la politique de "défense nationale", puis à s'opposer ouvertement à la vague révolutionnaire d'après guerre jusqu'à jouer le rôle de bourreaux du prolétariat comme en Allemagne 1919.
L'intégration finale de chacun de ces partis dans leurs Etats nationaux respectifs prit place à différents moments de la période qui suivit l'éclatement de la première guerre mondiale. Mais ce processus fut définitivement clos au début des années 20, quand les derniers courants prolétariens furent éliminés ou sortirent de leurs rangs en rejoignant l'Internationale Communiste.

De même, les partis communistes sont à leur tour passés dans le camp du capitalisme après un processus similaire de dégénérescence opportuniste. Ce processus, engagé dès le début des années 20, s'est poursuivi après la mort de l'Internationale Communiste (marquée par l'adoption de la théorie du "socialisme en un seul pays" en 1928), jusqu'à aboutir, malgré la lutte acharnée de leurs fractions de gauche et après l'élimination de celles-ci, à une complète intégration dans l'Etat capitaliste au début des années 30 avec leur participation aux efforts d'armement de leurs bourgeoisies respectives et leur entrée dans les "fronts populaires". Leur participation active à la "Résistance." durant la seconde guerre mondiale et à la "reconstruction nationale" après celle-ci les a confirmés comme de fidèles serviteurs du capital national et comme la plus pure incarnation de la contre-révolution

L'ensemble des courants, soi-disant révolutionnaires, tels que le maoïsme -qui est une simple variante des partis définitivement passés à la bourgeoisie-, le trotskisme - qui après avoir constitué une réaction prolétarienne contre la trahison des partis communistes, a été happé dans un processus similaire de dégénérescence- ou l'anarchisme traditionnel - qui se situe aujourd'hui dans le cadre d'une même démarche politique en défendant un certain nombre de positions des partis socialistes et des partis communistes, comme, par exemple, les alliances antifascistes-, appartiennent au même camp que celui du capital. Le fait qu'ils aient moins d'influence ou qu'ils utilisent un langage plus radical n'enlève rien au fond bourgeois de leur programme et de leur nature, mais en fait d'utiles rabatteurs ou suppléants de ces partis.


14 - LA PREMIERE VAGUE REVOLUTIONNAIRE
DU PROLETARIAT MONDIAL

En ponctuant l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence, la première guerre mondiale indique que les conditions objectives de la révolution prolétarienne sont mûres.

La vague révolutionnaire qui, en réponse à la guerre et à ses séquelles, surgit et se répand en Russie et en Europe, marque de son empreinte les deux Amériques et se répercute comme un écho, jusqu'en Chine, constitue donc la première tentative du prolétariat mondial d'accomplir sa tâche historique de destruction du capitalisme. Au plus fort de sa lutte entre1917 et 1923, le prolétariat se saisit du pouvoir en Russie, se lance dans des insurrections de masses en Allemagne et secoue jusque dans ses fondements l'Italie, la Hongrie et. l'Autriche. Bien que moins puissamment, il ne s'en manifeste pas moins et de façon acharnée, dans le reste du monde, comme par exemple en Espagne, en Grande-Bretagne, en Amérique du Nord et en Amérique du Sud. Finalement, l'échec tragique de cette vague révolutionnaire est ponctué en 1927 par l'écrasement de l'insurrection prolétarienne en Chine, à Shanghai et à Canton, qui vient conclure une longue série de combats et de défaites de la classe au niveau international. C'est pour cela que la Révolution d'Octobre 17 en Russie ne peut se comprendre que comme une des manifestations les plus importantes de cet immense mouvement de la classe, et non comme une "révolution bourgeoise", "capitaliste d'Etat", "double", ou encore "permanente", imposant au prolétariat l'accomplissement de tâches "démocratiques" à la place d'une bourgeoisie incapable de les assumer.

C'est également à l'intérieur de cette vague révolutionnaire que s'inscrit la création, en 1919, de la Troisième Internationale (Internationale Communiste) qui rompt organisationnellement et politiquement avec les partis de la seconde dont la participation à la guerre impérialiste a signé le passage dans le camp de la bourgeoisie. Le Parti Bolchevik, partie intégrante de la Gauche révolutionnaire qui s'est dégagée de la 2ème Internationale, par ses positions politiques claires condensées dans les mots d'ordre "transformation de la guerre impérialiste en guerre civile !", "destruction de l'Etat bourgeois !" et "Tout le pouvoir aux soviets" ainsi que par sa participation décisive à la création de la Troisième Internationale apporte une contribution fondamentale au processus révolutionnaire et constitue, à ce moment, une authentique avant-garde du prolétariat mondial.

Toutefois, si la dégénérescence tant de la révolution en Russie que de la 3ème Internationale a été essentiellement la conséquence de l'écrasement des tentatives révolutionnaires dans d'autres pays et de l'épuisement général de la vague révolutionnaire, il faut également prendre en considération le rôle joué par le parti Bolchevik, parce que pièce maîtresse de l'Internationale communiste du fait de la faiblesse des autres partis, dans ce processus de dégénérescence et dans les échecs internationaux du prolétariat. Avec, pour exemples, l'écrasement du soulèvement de Kronstadt, la mise en avant, contre la gauche de la 3ème Internationale, des politiques de "conquête des syndicats", de "parlementarisme révolutionnaire" et de "front unique", son influence et sa responsabilité dans la liquidation de la vague révolutionnaire ont été à la mesure de celles qu'il avait assumées dans le développement de cette vague.

En Russie même, la contre-révolution ne venait pas seulement "de l'extérieur" mais aussi "de l'intérieur" et en particulier des structures de l'Etat mises en place par le Parti Bolchevik devenu parti étatique. Ce qui, pendant Octobre I9I7, ne constituait que des erreurs graves mais s'expliquant aussi bien par l'immaturité du prolétariat en Russie que par celle du mouvement ouvrier mondial face au changement de période, devait, dès lors, servir de paravent et justification idéologique de la contre-révolution, et agir comme facteur important de celle-ci. Cependant, le déclin de la vague révolutionnaire du premier après-guerre comme de la révolution en Russie, la dégénérescence de la 3ème Internationale comme du parti Bolchevik et le rôle contre-révolutionnaire finalement joué par ce dernier à partir d'un certain moment, ne peuvent être compris qu'en considérant cette vague révolutionnaire et la 3ème Internationale, y inclus leur composante en Russie, comme d'authentiques manifestations du mouvement prolétarien, toute autre interprétation constituant un facteur considérable de confusion et interdisant aux courants qui la défendent un réel accomplissement des tâches révolutionnaires.

Même si, et d'autant plus qu'il ne subsiste aucun "acquis matériel" de ces expériences de la classe, ce n'est qu'à partir de cette compréhension de leur nature qu'on peut et doit dégager leurs acquis théoriques réels, d'une importance considérable. En particulier, seul exemple historique de prise de pouvoir politique par le prolétariat (hormis la tentative éphémère et désespérée de la Commune en 1871 et les expériences avortées de Bavière et de Hongrie en1919), la Révolution d'Octobre 17 a apporté des enseignements précieux dans la compréhension de deux problèmes cruciaux de la lutte prolétarienne : le contenu de la révolution et la nature de l'organisation des révolutionnaires.


15 - LA DICTATURE DU PROLETARIAT

La prise du pouvoir politique par le prolétariat à l'échelle mondiale, condition préliminaire et première étape de la transformation révolutionnaire de la société capitaliste, signifie, en premier lieu, la destruction de fond en comble de l'appareil d'Etat bourgeois.

En effet, comme c'est sur celui-ci que la bourgeoisie assoit la perpétuation de sa domination sur la société, de ses privilèges, de l'exploitation des autres classes et, particulièrement de la classe ouvrière, cet organe est nécessairement adapté à cette fonction et ne peut convenir à cette dernière classe qui n'a aucun privilège ni exploitation à préserver. En d'autres termes, il n'existe pas de "voie pacifique vers le socialisme" : à la violence de classe minoritaire et exploiteuse exercée ouvertement ou hypocritement, mais de façon de plus en plus systématique par la bourgeoisie, le prolétariat ne peut qu'opposer sa propre violence révolutionnaire de classe.

Levier de la transformation économique de la société, la dictature du prolétariat, c'est-à-dire l'exercice exclusif du pouvoir politique par celui-ci, aura pour tâche fondamentale d'exproprier la classe exploiteuse en socialisant ses moyens de production et d'étendre progressivement le secteur socialisé à l'ensemble des activités productives. Fort de son pouvoir politique, le prolétariat devra s'attaquer à l'économie politique bourgeoise en menant une politique économique dans le sens de l'abolition du salariat et de la production marchande, dans celui de la satisfaction des besoins de l'Humanité.

Pendant cette période de transition du capitalisme au Communisme, il subsiste des classes et couches sociales non-exploiteuses autres que le prolétariat et qui assoient leur existence sur le secteur non socialisé de l'économie. De ce fait, la lutte de classe se maintient comme manifestation d'intérêts économiques contradictoires au sein de la société. Celle-ci fait donc surgir un Etat destiné à empêcher que ces conflits ne conduisent à son déchirement. Mais avec la disparition progressive de ces classes sociales par l'intégration de leurs membres dans le secteur socialisé, donc avec l'abolition de toute classe sociale, l'Etat lui-même sera appelé à disparaître.

La forme revêtue par la dictature du prolétariat sera celle des Conseils Ouvriers, assemblées unitaires et centralisées à l'échelle de la classe, avec délégués élus et révocables, permettant l'exercice effectif, collectif et indivisible du pouvoir par l'ensemble de celle-ci. Ces Conseils devront avoir le monopole du contrôle des armes comme garant du pouvoir politique exclusif de la classe ouvrière.

C'est la classe ouvrière dans son ensemble qui seule peut exercer le pouvoir dans le sens de la transformation communiste de la société : contrairement aux autres classes révolutionnaires du passé, elle ne peut donc déléguer son pouvoir à une quelconque institution ou minorité y compris la minorité des révolutionnaires elle-même. Ceux-ci agissent au sein des Conseils mais leur organisation ne peut se substituer à l'organisation unitaire de la classe dans l'accomplissement de la tâche historique de celle-ci.

De même, l'expérience de la révolution russe a fait apparaître la complexité et la gravité du problème posé par les rapports entre la classe et l'Etat de la période de transition. Dans la période qui vient, le prolétariat et les révolutionnaires ne pourront pas esquiver ce problème, mais se devront d'y consacrer tous les efforts nécessaires pour le résoudre.

La dictature du prolétariat implique l'absolue soustraction de celui-ci à toute soumission, en tant que classe, à des forces extérieures ainsi qu'à tout établissement de rapports de violence en son sein. Dans la période de transition, le prolétariat est la seule classe révolutionnaire de la société, sa conscience et sa cohésion, ainsi que son action autonome, sont les garanties essentielles de l'issue communiste de sa dictature.


16- L'ORGANISATION DES REVOLUTIONNAIRES


a - Organisation et conscience de classe

Toute classe luttant contre l'ordre social de son époque, ne peut le faire efficacement qu'en donnant à sa lutte une forme organisée et consciente. Ceci était déjà valable, quelque puisse être le degré d'imperfection et d'aliénation de leurs formes d'organisation et de conscience, pour les couches comme la paysannerie ou celle des esclaves qui ne portaient pas en elles le devenir social. Mais cette nécessité s'applique encore plus aux classes historiques porteuses des nouveaux rapports de production rendus nécessaires par l'évolution de la société. Le prolétariat est, parmi celles-ci, la seule. classe qui ne dispose, dans l'ancienne société, d'aucun pouvoir économique prélude à sa future domination. De ce fait, l'organisation et la conscience sont des facteurs encore bien plus décisifs de sa lutte.

La forme d'organisation que se donne la classe dans sa lutte révolutionnaire et pour l'exercice de son pouvoir politique est celle des Conseils Ouvriers. Mais si c'est l'ensemble de la classe qui est le sujet de la révolution et qui se regroupe donc dans ces organes au moment de celle-ci, cela n'en signifie pas pour autant que le processus de sa prise de conscience soit simultané et homogène.

La conscience de la classe se forge à travers ses luttes, elle se fraye un chemin difficile à travers ses succès et ses défaites. Elle doit faire face aux divisions et aux différences catégorielles ou nationales qui constituent le cadre "naturel" de la société et que le capitalisme a intérêt à maintenir au sein de la classe.


b - Les révolutionnaires et leur fonction

Les révolutionnaires sont les éléments de la classe qui, à travers ce processus hétérogène, se hissent les premiers à une "intelligence nette des conditions de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien" (Manifeste Communiste) et, comme dans la société capitaliste, "les idées dominantes sont les idées de la classe dominante", ils constituent forcément une minorité de la classe.

Sécrétion de la classe, manifestation du processus de sa prise de conscience, les révolutionnaires ne peuvent exister comme tels qu'en s'organisant et devenant facteur actif de ce processus. Pour accomplir cette tâche et de façon indissociable, l'organisation des révolutionnaires :
- participe à toutes les luttes de la classe dans lesquelles ses membres se distinguent comme les éléments les plus déterminés et combatifs.
- y intervient en mettant toujours au premier plan les intérêts généraux de la classe et les buts finaux du mouvement.
- pour cette intervention, et comme partie intégrante de celle-ci, elle se consacre de façon permanente au travail de réflexion et d'élaboration théorique, travail qui seul permet que son activité générale s'appuie sur toute l'expérience passée de la classe et sur ses perspectives d'avenir ainsi dégagées.


c - Les rapports entre la classe et l'organisation des révolutionnaires

Si l'organisation générale de la classe et l'organisation des révolutionnaires participent d'un même mouvement, ce n'en sont pas moins deux choses distinctes.

La première, l'organisation des Conseils, regroupe l'ensemble de la classe : le seul critère d'appartenance est d'être un travailleur.
La seconde, par contre, ne regroupe que des éléments révolutionnaires de la classe. Le critère d'appartenance est , non plus sociologique, mais politique : l'accord sur le programme et l'engagement de le défendre. En ce sens, peuvent faire partie de l'avant-garde de la classe des individus qui n'en font pas partie sociologiquement mais qui, rompant avec leur classe d'origine, font leurs les intérêts historiques du prolétariat.

Cependant, si la classe et l'organisation de son avant-garde sont deux choses bien distinctes, elles ne sont pas pour cela séparées, extérieures l'une à l'autre ou même opposées comme le prétendent les courants "léninistes" et, d'autre part, les courants conseillistes-ouvriéristes.

Ce que ces deux conceptions veulent ignorer, c'est que, loin de s'affronter, ou de s'opposer, ces deux éléments - la classe et les révolutionnaires - sont en fait complémentaires dans un rapport de tout et de partie du tout. Entre la première et les seconds, il ne peut jamais exister de rapports de force puisque "les communistes n'ont point d'intérêt qui les sépare du prolétariat en général" (Manifeste Communiste).

Comme partie de la classe, les révolutionnaires ne peuvent, à aucun moment, se substituer à celle-ci, ni dans ses luttes au sein du capitalisme ni, à plus forte raison, dans le renversement de celui-ci ou dans l'exercice du pouvoir, contrairement à ce qui prévalait pour les autres classes historiques, l'œuvre que doit mener à bien le prolétariat ne se suffit pas de la conscience d'une minorité aussi éclairée soit-elle, mais exige la participation constante et une activité créatrice de tout instant de la classe dans son ensemble.

La conscience généralisée est la seule garantie de victoire de la révolution prolétarienne et, comme elle est essentiellement le fruit de l'expérience pratique, l'activité de l'ensemble de la classe est irremplaçable. En particulier, l'usage que la classe doit nécessairement faire de la violence ne peut être une activité séparée du mouvement général de la classe. En ce sens, le terrorisme individuel ou de groupes isolés, est absolument étranger aux méthodes de la classe et constitue au mieux une manifestation de désespoir petit-bourgeois quand il n'est pas simplement une méthode cynique de lutte de fractions de la bourgeoisie entre elles. Quand il apparaît à l'intérieur de la lutte prolétarienne, il exprime des influences extérieures à la lutte et ne peut qu'affaiblir les bases mêmes du développement de la conscience de la classe.
L'auto-organisation des luttes de la classe et l'exercice du pouvoir par elle-même n'est pas une des voies vers le communisme qu'on pourrait mettre en balance avec d'autres, C'EST L'UNIQUE V0IE.
L'organisation des révolutionnaires (dont la forme la plus avancée est le parti) est un organe nécessaire que la classe se donne pour le développement de la prise de conscience de son devenir historique et pour l'orientation politique de son combat vers ce devenir. De ce fait l'existence du parti et son activité constituent une condition indispensable pour la victoire finale du prolétariat.
CCI



d - L'autonomie de la classe ouvrière

Cependant, le concept d'"autonomie de la classe" tel qu'il est compris par les courants ouvriéristes et anarchistes, et qu'ils opposent aux conceptions substitutionnistes, acquiert chez eux, un sens réactionnaire et petit-bourgeois. Outre que "l'autonomie" se réduit bien souvent chez eux à leur propre autonomie de petite secte prétendant représenter la classe ouvrière au même titre que les courants substitutionnistes qu'ils dénoncent, leur conception comporte deux aspects principaux :
- le rejet de la part des travailleurs des partis et organisations politiques quels qu'ils soient.
- l'autonomie de chaque fraction de la classe ouvrière (usines, quartiers, régions, nations, etc...) par rapport aux autres : le fédéralisme.

Actuellement de telles notions sont, dans le meilleur des cas, une réaction primaire contre le bureaucratisme stalinien et le développement du totalitarisme étatique et, dans le pire, l'expression politique de l'isolement et de la division propre à la petite bourgeoisie. Mais dans les deux cas, elles traduisent l'incompréhension totale de trois aspects fondamentaux de la lutte révolutionnaire du prolétariat :
- l'importance et la priorité des tâches politiques de la classe (destruction de l'Etat capitaliste, dictature mondiale du prolétariat).
- l'importance et le caractère indispensable de l'organisation des révolutionnaires au sein de la classe.
- le caractère unitaire, centralisé et mondial de la lutte révolutionnaire de la classe.

Pour nous, marxistes, l'autonomie de la classe signifie son indépendance par rapport aux autres classes de la société. Cette autonomie constitue une CONDITION INDISPENSABLE pour l'action révolutionnaire de la classe dans la mesure où le prolétariat est aujourd'hui la seule classe révolutionnaire. Elle se manifeste tant sur le plan organisationnel (organisation des Conseils) que sur les plans politiques et programmatiques et donc, contrairement à ce que pensent les courants ouvriéristes, en étroite liaison avec son avant-garde communiste.


e - L'organisation des révolutionnaires
dans les différents moments de la lutte de classe

Si l'organisation générale de la classe et l'organisation des révolutionnaires sont deux choses différentes quant à leur fonction, elles le sont également quant aux circonstances de leur apparition. Les conseils n'apparaissent que dans les périodes d'affrontement révolutionnaire, quand toutes les luttes de la classe tendent vers la prise du pouvoir. Par contre, l'effort de prise de conscience de la classe existe constamment depuis ses origines et existera jusqu'à sa disparition dans la société communiste. C'est en ce sens qu'il existe en toutes périodes des minorités révolutionnaires comme expression de cet effort constant. Mais l'ampleur, l'influence, le type d'activité et le mode d'organisation de ces minorités sont étroitement liés aux conditions de la lutte de classe.

Dans les périodes d'activité intense de la classe, ces minorités ont une influence directe sur le cours pratique de cette activité, on peut alors parler de parti pour désigner l'organisation de cette avant-garde. Par contre, dans les périodes de recul, ou de creux de la lutte de classe, les révolutionnaires n'ont plus une influence directe sur le cours immédiat de l'Histoire. Seules peuvent subsister des organisations à la taille beaucoup plus réduite dont la fonction se saurait plus être d'influencer le mouvement immédiat, mais d'y résister, ce qui les conduit à lutter à contre-courant d'une classe paralysée et entraînée par la bourgeoisie sur son terrain (collaboration de classe, "union sacrée", "résistance", "antifascisme", etc.,..). Leur tâche essentielle consiste alors, en tirant les leçons des expériences antérieures, à préparer le cadre théorique et programmatique du futur parti prolétarien qui devra nécessairement resurgir dans la prochaine montée de la classe. D'une certaine façon, ces groupes et fractions qui, au moment du recul de la lutte se sont dégagés du parti en dégénérescence ou lui ont sur vécu, ont pour rôle de constituer le pont politique et organisationnel jusqu'à son prochain resurgissement.


f - Le mode d'organisation des révolutionnaires

La nature nécessairement mondiale et centralisée de la révolution prolétarienne confère au parti de la classe ouvrière ce même caractère mondial et centralisé, et les fractions ou groupes qui travaillent à sa reconstitution tendent nécessairement vers une centralisation mondiale. Celle-ci se concrétise par l'existence d'organes centraux investis de responsabilités politiques entre chacun des congrès devant lesquels ils sont responsables.
La structure que se donne l'organisation des révolutionnaires doit tenir compte de deux nécessités fondamentales :
- permettre le plein développement de la conscience révolutionnaire en son sein et donc de la discussion la plus large et approfondie de toutes les questions et désaccords qui surgissent dans une organisation non monolithique.
- assurer, en même temps, sa cohésion et son unité d'action, en particulier par l'application, par toutes les parties de l'organisation, des décisions adoptées majoritairement.

De même, les rapports qui se nouent entre les différentes parties et différents militants de l'organisation portent nécessairement les stigmates de la société capitaliste et, ne peuvent donc constituer un îlot de rapports communistes au sein de celle-ci. Néanmoins, ils ne peuvent être en contradiction flagrante avec le but poursuivi par les révolutionnaires et ils s'appuient nécessairement sur une solidarité et une confiance mutuelle qui sont une des marques de l'appartenance de l'organisation à la classe porteuse du communisme.

 

NOTES :

 

(1) L'effondrement du bloc de l'Est et des régimes staliniens a balayé cette mystification des pays dits "socialistes" qui fut pendant un demi-siècle le fer de lance de la plus terrible contre-révolution de l'histoire. Néanmoins, la bourgeoisie "démocratique", en déchaînant ses campagnes à répétition sur la prétendue "faillite du communisme", continue à perpétuer le plus grand mensonge de l'histoire : l'identification du stalinisme au communisme. Les partis de gauche et d'extrême gauche du capital qui avaient soutenu (même de façon critique) les pays dits "socialistes", sont aujourd'hui contraints de s'adapter aux nouvelles données de la situation mondiale. Pour pouvoir continuer à mystifier et encadrer le prolétariat, ils s'efforcent de faire oublier leur soutien au stalinisme, quitte à falsifier eux-mêmes leur propre passé.

(2) Depuis l'effondrement du bloc de l'Est à la fin des années 1980 et la dislocation du bloc occidental qui s'en est suivie, les luttes de libération nationale ont cessé de constituer une mystification derrière laquelle les fractions de gauche et d'extrême gauche du capital ont tenté d'entraîner des fractions du prolétariat dans le soutien d'un camp impérialiste contre un autre. Néanmoins, si dans les pays centraux du capitalisme, le mythe de la "libération nationale" s'est épuisé avec l'effondrement du bloc impérialiste russe, il reste toujours vivace dans certaines régions périphériques du monde et peut encore servir à embrigader les prolétaires de ces pays dans des massacres (comme dans les républiques du Caucase ou dans les territoires occupés par Israël, par exemple).

(3) Cette mystification qui avait trouvé son point culminant avec l'expérience "autogestionnaire" et la défaite des ouvriers de LIP en 1974-75 en France, s'est aujourd'hui épuisée. Cependant, il n'est pas à exclure qu'elle connaisse dans le futur un certain regain avec le renouveau de l'anarchisme. En effet, dans les luttes de 1936 en Espagne, ce sont les courants anarchistes et anarcho-syndicalistes qui avaient été les porte-drapeaux du mythe de l'autogestion, présentée comme une mesure économique "révolutionnaire".

Vie du CCI: 

  • Résolutions de Congrès [1]

Conscience et organisation: 

  • Courant Communiste International [9]

Manifeste du 1er Congrès du CCI

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Le spectre de la révolution communiste est revenu hanter le monde. Pendant des décennies, les classes dirigeantes ont cru que les démons qui avaient agité le prolétariat au siècle dernier et au début de ce siècle, avaient été exorcisés pour toujours. Le fait est que, jamais, le mouvement ouvrier n'avait connu une défaite aussi terrible et aussi durable. La contre-révolution qui s'était abattue sur la classe ouvrière européenne après ses combats de 1848, celle qui avait suivi la tentative héroïque et désespérée de la Commune, le reflux et la démoralisation qui avaient ponctué l'échec de l'expérience de1905 en Russie, n'étaient rien à côté de la chape de plomb qui a recouvert pendant un demi-siècle toutes les manifestations de la lutte de classe. Cette contre-révolution a été à la mesure de la frayeur éprouvée par la bourgeoisie face à la grande vague révolutionnaire qui a suivi la première guerre mondiale, la seule vague qui ait, jusqu'ici, réellement réussi à faire trembler le système capitaliste jusque dans ses fondements. Après s'être élevé sur de telles hauteurs, jamais le prolétariat n'avait connu un tel désastre, un tel désespoir, une telle honte. Et, face à lui, jamais la bourgeoisie n'avait manifesté une telle arrogance au point de présenter les plus grandes défaites de la classe comme des "victoires" pour celle-ci et de faire de l'idée même de révolution une espèce d'anachronisme, de mythe hérité d'une époque révolue.

Mais, aujourd'hui, la flamme prolétarienne s'est rallumée à travers le monde. De façon souvent confuse, hésitante, mais avec des soubresauts qui parfois étonnent même les révolutionnaires, le géant prolétarien a relevé la tête et revient faire trembler le vieil édifice capitaliste. De Paris à Cordoba, de Turin à Gdansk, de Lisbonne à Shanghai ,du Caire à Barcelone les luttes ouvrières sont redevenues un cauchemar pour les capitalistes (4). En même temps, et comme part de cette reprise générale de la classe sont réapparus des groupes et courants révolutionnaires qui se sont attelés à l'immense tâche de la reconstitution théorique et pratique d'un des instruments les plus importants du prolétariat : son parti de classe.
L'heure est donc venue pour les révolutionnaires d'annoncer à leur classe la perspective des combats qu'elle a d'ores et déjà engagés, de lui rappeler les enseignements de son passé pour qu'elle puisse se forger son avenir et également de dégager les tâches qui attendent les révolutionnaires eux-mêmes comme fruits et facteurs actifs de ce renouveau de la lutte du prolétariat.
Ce sont là les objectifs du présent manifeste.

LA CLASSE OUVRIERE SUJET DE LA REVOLUTION

Le prolétariat est la seule classe révolutionnaire de notre époque. Lui seul est en mesure, par la prise du pouvoir politique à l'échelle mondiale et par la transformation radicale des conditions et des buts de la production, de sortir l'humanité de la barbarie où elle croupit.

L'idée que la classe ouvrière est la classe du Communisme, que sa place dans le capitalisme en fait la seule classe capable de renverser celui-ci, était acquise il y a plus d'un siècle. Elle apparaît avec force dans la première manifestation programmatique rigoureuse du mouvement prolétarien : le Manifeste Communiste de1848. Elle s'exprime en lettres de lumière dans la formule de l'Association Internationale des Travailleurs : "L'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes" que, depuis, les générations de prolétaires se sont transmises comme un drapeau de leurs combats successifs contre le Capital. Mais le terrible silence dans lequel la classe est restée enfermée pendant un demi-siècle a permis l'éclosion de toutes sortes de théories sur "l'intégration définitive de la classe ouvrière", sur le prolétariat comme "classe pour le capital", sur la "classe universelle" ou les couches marginales comme sujets de la révolution et autres vieilleries déguisées en "nouveautés" qui se sont jointes aux flots de mensonges de la bourgeoisie pour perpétuer la démoralisation des travailleurs et leur sujétion idéologique au Capital.

Ce que le Courant Communiste International réaffirme aujourd'hui en premier lieu avec force, c'est donc la nature révolutionnaire de la classe ouvrière et de nulle autre dans la période actuelle.

Mais le fait que cette classe, à l'opposé des classes révolutionnaires du passé, ne dispose dans la société qu'elle doit transformer d'aucun pouvoir économique prélude à son pouvoir politique, lui impose la conquête de ce dernier comme première condition de cette transformation. Par suite, contrairement aux révolutions de la bourgeoisie qui avançaient de succès en succès, la révolution prolétarienne vient nécessairement couronner une suite de défaites partielles mais tragiques. Et plus les combats de la classe sont puissants, plus ses défaites sont terribles.
La grande vague révolutionnaire qui met fin à la première guerre mondiale et qui se poursuit pendant une décennie, est une confirmation éclatante de ces deux réalités : la classe ouvrière comme seul sujet de la révolution communiste et la défaite comme compagne de sa lutte jusqu'à sa victoire définitive. Cet immense mouvement révolutionnaire qui renverse l'Etat bourgeois en Russie, fait trembler celui des autres pays d'Europe et se répercute comme un écho assourdi jusqu'en Chine, proclame qu'à un système entré dans sa phase d'agonie le prolétariat s'apprête à donner le coup de grâce, qu'il se dispose à exécuter la sentence prononcée par l'histoire contre le capitalisme. Mais incapable d'élargir à l'échelle du monde le premier succès de 1917, la classe ouvrière est finalement vaincue et écrasée. C'est alors de façon négative que se confirme la nature révolutionnaire du prolétariat : c'est parce que cette classe échoue dans la révolution et que nulle autre catégorie sociale ne peut la faire à sa place, que la société continue à s'enfoncer inexorablement dans une barbarie croissante.

LA DECADENCE DU CAPITALISME

La décadence du capitalisme qui se poursuit depuis la première guerre mondiale et à laquelle, en l'absence de révolution prolétarienne, la société ne peut échapper, apparaît d'ores et déjà comme la pire période de l'histoire de l'humanité.

Dans le passé, celle-ci avait connu des périodes de décadence avec leur cortège de calamités et de souffrances indicibles. Mais celles-ci étaient peu de chose à côté de ce que l'humanité supporte depuis 60 ans. Les décadences des autres sociétés voyaient se développer les disettes et les famines mais jamais, comme aujourd'hui, une telle misère humaine n'a côtoyé un tel gaspillage de richesses. A l'heure où l'homme s'est rendu maître de techniques merveilleuses qui lui permettraient de dominer la nature à son service, il reste soumis aux caprices de celle-ci, aux catastrophes "naturelles", climatiques ou agricoles, dans des conditions encore plus tragiques que par le passé. Pire, la société capitaliste est la première de l'histoire qui, dans sa phase de déclin, ne puisse survivre qu'à travers des destructions cycliques et massives d'une partie toujours croissante d'elle-même. Certes, les autres périodes de décadence étaient riches en affrontement entre fractions de la classe dominante, mais celle dans laquelle nous vivons est enfermée dans un cycle inexorable et infernal de crise-guerre généralisée-reconstruction-crise.., qui fait payer au genre humain un terrible tribut de mort et de souffrance. Aujourd'hui, ce sont des techniques d'un raffinement scientifique inouï qui sont mises à contribution pour augmenter le pouvoir de destruction et de mort des Etats capitalistes, si bien que c'est par dizaine de millions que se chiffrent les victimes des guerres impérialistes ainsi que celles des génocides systématiques et industriels dans lesquels le fascisme et le stalinisme se sont illustrés dans le passé et qui nous menacent sans cesse.

D'une certaine façon, il semble que l'humanité doive payer le règne de liberté auquel sa domination de la technique doit lui permettre d'accéder enfin, par le règne des atrocités les plus terrifiantes permises par cette même domination

Au milieu de ce monde de ruines et de convulsions s'est développé comme un cancer cet organe garant de la stabilité et de la conservation sociales : l'Etat. Celui-ci s'est immiscé dans les rouages les plus intimes de la société et en particulier dans sa base économique. Tel le dieu Moloch de l'antiquité, sa machine monstrueuse, froide et impersonnelle a dévoré la substance de la société civile et de l'homme. Et loin de constituer un quelconque "progrès", le capitalisme d'Etat qui, sous toutes sortes de formes juridiques et idéologiques, avec les instruments de gouvernement les plus barbares, s'est emparé de l'ensemble de la planète, est une des manifestations les plus brutales de la putréfaction de la société capitaliste.

LA CONTRE-REVOLUTION

Mais l'instrument le plus efficace qu'a développé le capitalisme en décadence pour assurer sa survie, a été la récupération systématique de toutes les formes de luttes et d'organisation que la classe ouvrière avait héritées du passé et que le changement de perspective historique a rendu caduques. Toutes les tactiques syndicales, parlementaires, frontistes qui avaient un sens et une utilité pour la classe ouvrière au siècle dernier, sont devenues autant de moyens de paralyser sa lutte et ont constitué l'arme essentielle de la contre-révolution. Par suite, c'est justement parce que toutes ses défaites ont pu lui être présentées comme autant de "victoires" que la classe ouvrière s'est enfoncée dans la plus terrible contre-révolution qu'elle ait connue.
C'est sans doute le mythe frauduleux de "l'Etat socialiste" issu de la révolution en Russie et présenté comme bastion du prolétariat alors qu'il n'était devenu rien d'autre que le défenseur du capital national étatisé, qui a constitué l'arme essentielle, tant d'embrigadement que de démoralisation du prolétariat. Les prolétaires du monde entier en qui l'embrasement de1917 avait fait naître un espoir immense étaient maintenant invités à soumettre inconditionnellement leurs luttes à la défense de la "patrie socialiste" et à ceux qui commençaient à deviner la nature anti-ouvrière de celle-ci, l'idéologie bourgeoise se chargeait d'inculquer l'idée que la révolution ne pouvait avoir d'autre aboutissement que celui qu'elle avait eu en Russie : l'apparition d'une nouvelle société d'exploitation et d'oppression.

Démoralisée par ses échecs des années 20 mais plus encore par ses divisions entre, d'un côté, ceux qui, éblouis par octobre, n'avaient pas su distinguer sa dégénérescence et la trahison des partis qui s'en réclamaient, d'un autre côté, ceux qui avaient perdu tout espoir en la révolution, la classe ouvrière ne pouvait mettre à profit la crise générale du système des années 30 pour reprendre l'offensive. Au contraire, de "victoire en victoire", elle était menée pieds et poings liés à la seconde guerre impérialiste qui, à l'opposé de la première ne devait pas lui permettre de surgir de façon révolutionnaire mais dans laquelle elle devait être embrigadée dans les grandes "victoires" de la "résistance", de "l'antifascisme" ou bien des "libérations" coloniales et nationales.

Les étapes principales du reflux et de l'intégration du prolétariat dans la société bourgeoise ainsi que des partis de la IIIème internationale, apparaissent comme autant de coups de poignards reçus par le mouvement de la classe :

1920-1921 : Lutte de l'Internationale Communiste contre sa gauche sur les questions parlementaire et syndicale.
1922-1923 : Adoption par l'Internationale Communiste, des tactiques de "Front Unique" et de "Gouvernement ouvrier" qui aboutit en Saxe et en Thuringe à des gouvernements de coalition entre les communistes et les sociaux-démocrates bourreaux du prolétariat allemand alors que celui-ci est encore dans la rue.
1924-1926 : Apparition de la théorie de la "construction du socialisme dans un seul pays" : l'abandon de l'internationalisme traduit la mort de l'Internationale Communiste et le passage de ses partis dans le camp de la bourgeoisie.
1927 ; Soutien politique et militaire de l'Internationale Communiste à Tchang Kaï chek qui aboutit au massacre, par les troupes de celui-ci, du prolétariat et des communistes chinois.
1933 : Triomphe de Hitler,
1934 : Entrée de la Russie dans la société des Nations, qui signifie la reconnaissance, par les brigands qui s'y regroupent, d'un de leurs pairs : cette grande "victoire" est en fait le symbole d'une grande défaite du prolétariat.
1936 : création des "fronts populaires" et politiques de "Défense Nationale" qui, avec l'accord de Staline conduit les partis "communistes" à voter les crédits militaires,
1936-1939 : Débauche antifasciste : en Espagne, massacre des travailleurs au service de la Démocratie et de la République.
1939-1945 : seconde guerre mondiale et embrigadement du prolétariat dans la "Résistance". Dans cette guerre, la bourgeoisie instruite par ses expériences antérieures, étouffe dans l'œuf en occupant militairement chaque pouce de terrain des pays vaincus, toute velléité prolétarienne. Incapable d'imposer la fin de la guerre par son propre mouvement, contrairement à ce qui fut le cas en 1917-1918, la classe en sort d'autant plus vaincue.
1945-1965 : Reconstruction et "libération" nationale : le prolétariat est invité à relever le monde de ses ruines en échange des quelques miettes que le développement de la production permet à la bourgeoisie de lui distribuer. Dans les pays arriérés, le prolétariat est enrôlé par la bourgeoisie nationale au nom de l'indépendance contre l'impérialisme.

LES FRACTIONS COMMUNISTES DE GAUCHE

Au milieu de cette débandade de la classe et de ce triomphe absolu de la contre-révolution, les fractions communistes de gauche qui se dégagent des partis en dégénérescence entreprennent une tâche difficile de sauvegarde des principes révolutionnaires. Elles doivent s'opposer aux forces conjuguées de toutes les fractions de la bourgeoisie, déjouer les mille pièges que celle-ci leur tend, elles doivent faire face au poids terrible de l'idéologie ambiante dans leur propre classe, affronter l'isolement, la persécution physique, la démoralisation, l'épuisement, la disparition et la dispersion de leurs membres. Tendant d'établir un pont entre les anciens partis du prolétariat passés à l'ennemi et ceux que celui-ci fera resurgir au moment de sa prochaine reprise révolutionnaire, les fractions communistes de gauche produisent un effort surhumain et héroïque pour, à la fois, garder en vie les principes prolétariens que l'Internationale et ses partis se sont mis à vendre aux enchères et, à la fois, à partir de ces principes, faire un bilan des défaites passées pour en dégager les nouveaux enseignements que la classe devra faire siens dans ses combats futurs. Pendant des années, les différentes fractions, plus particulièrement les gauches Allemande, Hollandaise et surtout Italienne, poursuivent une activité remarquable de réflexion et de dénonciation des trahisons des partis qui continuent à se dire prolétariens.

Mais la contre-révolution est trop profonde et trop longue pour permettre la survie des fractions. Durement frappées par la seconde guerre mondiale et par le fait que celle-ci ne provoque aucun ressurgissement de la classe, les dernières fractions qui ont survécu jusqu'alors disparaissent progressivement ou bien s'engagent dans un processus de dégénérescence, de sclérose ou de régression. Avec ce fait, pour la première fois depuis plus d'un siècle, se rompt le lien organique qui à travers le temps et l'espace unissait les unes aux autres, les différentes organisations politiques du prolétariat telles que la Ligue des Communistes, la première, la seconde, la troisième Internationale et les fractions qui en sont issues.

La bourgeoisie est arrivée momentanément à ses fins : faire taire toute expression politique de la classe, faire apparaître, sans possibilité de contestation, la révolution comme un anachronisme poussiéreux, un vestige d'une autre époque, une spécialité exotique réservée aux pays arriérés, ou bien encore en falsifier totalement la signification aux yeux des travailleurs.

LA CRISE DU CAPITALISME

Mais depuis la fin des années 60, cette perspective a changé de façon fondamentale. La situation de "prospérité" économique qui accompagnait la reconstruction d'après-guerre et que non seulement les adorateurs du capitalisme mais encore certains qui se présentaient comme ses ennemis, se plaisaient à présenter comme éternelle, a pris fin une fois terminée cette reconstruction. A partir du milieu des années 60, après deux décennies de croissance euphorique, le système capitaliste s'est retrouvé confronté à un cauchemar qu'il croyait réservé à l'imagerie d'Epinal de l'avant-guerre : la crise. Celle-ci qui, depuis cette période, est allée en s'approfondissant de façon inexorable, constitue un triomphe éclatant de la théorie marxiste dont toutes sortes de falsificateurs appointés par la bourgeoisie, d'universitaires en mal de "nouveauté", de pseudo-révolutionnaires de la chaire, de prix Nobel et d'académiciens, "d'experts" et de "sommités" ainsi que toutes sortes de "sceptiques" et d'aigris, n'ont cessé de clamer le "dépassement", la "caducité" et la faillite.

LA REPRISE PROLETARIENNE

Avec l'approfondissement du désordre économique, la société se trouve de nouveau confrontée avec l'alternative inévitable ouverte par chaque crise aiguë de la période de décadence : guerre mondiale ou révolution prolétarienne (5).

Mais aujourd'hui, la perspective est radicalement différente de celle qu'avait ouverte la grande catastrophe économique des années 30. A cette époque, le prolétariat, vaincu, n'avait pas la force de mettre à profit cette nouvelle faillite du système pour se lancer à son assaut et, au contraire, celle-ci avait eu comme effet d'aggraver encore sa défaite.

Le prolétariat actuel est différent de celui de l'entre-deux guerres. D'une part, comme l'ensemble des piliers de l'idéologie bourgeoise, les mystifications qui ont, dans le passé, écrasé la conscience prolétarienne, se sont en partie épuisées progressivement : le nationalisme, les illusions démocratiques, l'anti-fascisme, utilisés intensivement pendant un demi-siècle n'ont plus leur impact d'hier. D'autre part, les nouvelles générations ouvrières n'ont pas subi les défaites des précédentes. Les prolétaires qui aujourd'hui s'affrontent à la crise, s'ils n'ont pas l'expérience de leurs aînés, ne sont pas prostrés non plus dans la même démoralisation. La formidable réaction que, dès 1968-69, la classe ouvrière a opposée aux premières manifestations de la crise signifie que la bourgeoisie n'est pas en mesure d'imposer aujourd'hui la seule issue qu'elle puisse pour sa part trouver à cette crise : un nouvel holocauste mondial. Auparavant, elle doit pouvoir vaincre la classe ouvrière : la perspective actuelle n'est donc pas guerre impérialiste mais guerre de classe généralisée. Même si la bourgeoisie poursuit ses préparatifs pour la première, c'est la seconde qui, de plus en plus, tend à accaparer ses préoccupations : l'augmentation prodigieuse des ventes d'armes de guerre, seul secteur qui ne pâtisse pas de la crise, masque pour le moment, le renforcement général et non moins systématique des dispositifs de répression, de lutte contre la "subversion", de la part des Etats capitalistes. Mais ce n'est pas tant de cette dernière façon que le Capital se prépare aux affrontements de classe, mais plutôt en mettant en place toute une série de moyens d'encadrement du prolétariat et de détournement de ses luttes. En effet, à une combativité ouvrière intacte et en plein renouveau, la bourgeoisie peut de moins en moins opposer la simple répression ouverte qui risque d'agir plus comme unificateur des luttes que comme éteignoir de celles-ci.

LES ARMES DE LA BOURGEOISIE

Avant d'être en mesure de se livrer à une répression en règle, elle commencera, comme par le passé, à tenter de démoraliser les ouvriers en dévoyant leurs luttes et en les détournant vers des impasses. Et pour cela elle mettra surtout en avant trois thèmes essentiels de mystification qui tous auront pour fonction de lier la classe à son capital national et à son Etat : "l'anti-fascisme", "l'autogestion" et "l'indépendance nationale".

L'anti-fascisme, confronté à des circonstances historiques différentes de celles des années 30, puisqu'il n'aura pas en face de lui un "fascisme" bien "concret" comme ceux de Hitler et Mussolini et qu'il ne se donnera pas pour tâche immédiate la préparation de la guerre impérialiste, aura un sens plus large que par le passé. A l'Est comme à l'Ouest, c'est au nom de la défense des "conquêtes" démocratiques, des "libertés" contre les menaces "réactionnaires", "autoritaires", "répressives", "fascistes" ou même "staliniennes", que les fractions de "gauche", "progressistes", "démocratiques" ou "libérales" du capital vont s'attaquer aux luttes prolétariennes. De plus en plus, les ouvriers auront le désarroi d'apprendre qu'ils sont les pires agents de la "réaction" et de la "contre-révolution" à chaque fois qu'ils s'aviseront de lutter pour la défense de leurs intérêts (6).
L'autogestion, dont le mythe sera favorisé par les faillites en série que la crise provoque sur son passage ainsi que par une réaction compréhensible contre la main mise bureaucratique de l'Etat sur l'ensemble de la société, sera également une arme de choix mise en avant par la gauche du capital contre les travailleurs ; ceux-ci devront repousser les chants des sirènes de toutes les forces capitalistes qui, au nom d'une "démocratisation" de l'économie, de "l'expropriation" des patrons ou de l'établissement de "rapports communistes" ou "plus humains" voudront, en fait, les faire participer à leur propre exploitation et s'opposer à leur unification en les divisant en autant d'entreprises ou en autant de quartiers (voir note 3 p.7).

L'indépendance nationale, enfin, version moderne de la "défense nationale" de sinistre mémoire, fera flèche de tout bois, particulièrement dans les pays les plus faibles, là où elle constitue justement un non-sens total, pour appeler à l'union entre classes contre tel ou tel impérialisme, pour rejeter la responsabilité de la crise et de l'aggravation de l'exploitation sur les "visées hégémoniques" de tel ou tel pays, sur les "multinationales" et autre capitalisme "apatride" (voir note 2 p.7).

Au nom de l'une ou l'autre de ces mystifications ou de toutes en même temps, le capital appellera partout les travailleurs à renoncer à leurs revendications et à faire des sacrifices en attendant que la crise soit surmontée, comme par le passé les partis de gauche et "ouvriers" se distingueront dans cette besogne répugnante et à côté d'eux, ils pourront compter sur le soutien "critique" des courants gauchistes de tout acabit qui propagent les mêmes mystifications et les mêmes mensonges mais avec des méthodes et un langage plus radicaux. Il y a cinquante-sept ans, le Manifeste de l'Internationale Communiste mettait déjà en garde la classe ouvrière contre ces dangers :
"Les opportunistes qui, avant la guerre, incitaient les ouvriers à modérer leurs revendications au nom du passage progressif au socialisme, qui exigèrent pendant la guerre l'humiliation de classe et la soumission de classe du prolétariat au nom de l'union sacrée et de la défense de la patrie, demandent encore au prolétariat de nouveaux sacrifices et abnégations afin de surmonter les effroyables conséquences de la guerre. Si de tels prêches trouvaient audience au sein de la classe ouvrière, le développement capitaliste poursuivrait son redressement sur les cadavres de plusieurs générations avec des formes nouvelles encore plus concentrées et plus monstrueuses, avec la perspective d'une nouvelle et inévitable guerre mondiale".

L'histoire a montré, par une tragédie sans nom, combien était clairvoyante la dénonciation des mensonges bourgeois par les révolutionnaires de 1919. Aujourd'hui, à l'heure où la bourgeoisie remet sur pied son formidable arsenal politique qui lui a permis, dans le passé, de contenir et de vaincre le prolétariat, le Courant Communiste International revendique hautement les paroles de l'Internationale Communiste et les adresse de nouveau à sa classe.
"Prolétaires, souvenez-vous de la guerre impérialiste !" clamait l'Internationale Communiste. Prolétaires d'aujourd'hui, souvenez-vous de la barbarie du demi-siècle écoulé et imaginez ce qui attend l'humanité si, cette fois encore, vous ne repoussez pas avec assez de vigueur les discours enjôleurs de la bourgeoisie et de ses laquais !

LE DEVELOPPEMENT DE LA LUTTE ET DE LA CONSCIENCE DU PROLETARIAT

Mais si la classe capitaliste fourbit ses armes avec méthode, le prolétariat de son côté, n'est pas cette victime soumise qu'elle aimerait rencontrer en face d'elle.
Même si elles présentent des aspects défavorables, les conditions dans lesquelles il a repris sa lutte doivent être fondamentalement à son avantage. En effet, pour la première fois de l'histoire, un mouvement révolutionnaire de la classe ne se développe pas à la suite d'une guerre mais accompagne une crise économique du système. Certes, la guerre avait eu le mérite de faire comprendre rapidement au prolétariat la nécessité de lutter sur le terrain politique et avait entraîné dans le sillage de cette classe, une bonne partie des couches non prolétariennes autres que la bourgeoisie, mais elle n'avait constitué un facteur puissant de prise de conscience que pour les prolétaires des pays du champ de bataille et plus particulièrement des pays vaincus.

La crise qui se développe aujourd'hui n'épargne aucun des pays du monde et plus la bourgeoisie essaye d'en ralentir le cours, plus elle en étend ses effets. De ce fait, jamais une montée de la classe n'avait connu l'ampleur de celle d'aujourd'hui. Son rythme en est certes lent et irrégulier mais son extension vient confondre les prophètes de la défaite qui ne cessent de pérorer sur le caractère soi-disant "utopique" d'un mouvement révolutionnaire du prolétariat à l'échelle mondiale (voir note 4 p. 12 ). Par ailleurs, puisque celui-ci affronte aujourd'hui les tâches immenses qui sont les siennes - et c'est la cause du caractère irrégulier de son mouvement - en ayant perdu l'essentiel de ses traditions de lutte et la totalité de ses organisations de classe, il devra mettre à profit le développement lent de la crise qui le frappe et qui rythme sa réponse de classe, pour développer systématiquement les unes et les autres, c'est à travers ses luttes économiques successives qu'il reprendra conscience du caractère politique de son combat. C'est en multipliant et en élargissant ses luttes partielles qu'il se forgera les instruments de son affrontement général. Face à ces luttes, le capital se multipliera en lamentations et utilisera le fait, réel, qu'il ne peut rien accorder, pour appeler les ouvriers à la "modération" et au "sacrifice". Mais ceux-ci comprendront, au contraire, que si ces luttes sont infructueuses et donc défaites sur le plan strictement économique, elles sont la condition même de la victoire décisive puisque chacune d'elles est un pas de plus dans leur compréhension de la faillite totale du système et de la nécessité de le détruire.

Contre tous les prêcheurs de la "prudence" et du "réalisme", les travailleurs apprendront que le véritable succès d'une lutte n'est pas dans son résultat immédiat qui, même positif, est toujours menacé par l'approfondissement de la crise. Non, la véritable victoire, c'est la lutte elle-même, ce sont l'organisation, la solidarité et la conscience que celle-ci développe.

Contrairement donc aux luttes qui se sont développées dans la grande crise de l'entre-deux guerres et dont l'inévitable défaite ne produisait qu'une démoralisation et une prostration encore plus grandes, les luttes actuelles sont autant de jalons vers la victoire finale, et le découragement momentané provoqué par les défaites partielles se transformera en un sursaut de colère, de détermination et de conscience qui viendra féconder les luttes qui les suivront.

En s'aggravant, la crise vient arracher les quelques "avantages" dérisoires que la reconstruction avait pu distribuer aux prolétaires en échange d'une exploitation chaque jour plus systématique et scientifique. Au fur et à mesure de son développement, par le chômage ou par les baisses massives des salaires réels, elle plonge dans une misère croissante un nombre toujours plus grand de travailleurs. Mais par les souffrances qu'elle provoque, elle met à nu le caractère barbare des rapports de production qui emprisonnent la société. Contrairement aux classes bourgeoises et petites bourgeoises et à leurs chantres qui ne voient dans la crise qu'une calamité et qui l'accueillent avec des lamentations désespérées, les prolétaires se doivent de la saluer, de reconnaître en elle, avec enthousiasme, un souffle régénérateur qui balaiera les liens qui les rattachent au vieux monde créant ainsi les conditions de leur émancipation.

L'ORGANISATION DES REVOLUTIONNAIRES

Mais, quelle que soit l'intensité des luttes menées par la classe, cette émancipation ne pourra intervenir que si celle-là est capable de se donner une de ses armes les plus précieuses et dont la carence lui a coûté si cher dans le passé : son parti révolutionnaire.

C'est sa place dans le système qui fait du prolétariat la classe révolutionnaire. Les conditions indispensables à son activité comme telle sont créées par la décadence et la crise aiguë de ce système. Mais toutes les expériences historiques enseignent que cela ne suffit pas si, en même temps, elle ne parvient pas à se hisser à un niveau suffisant de conscience et à se doter de l'instrument à la fois produit et facteur actif de cet effort : son avant-garde communiste. Celle-ci n'est pas le produit mécanique des luttes de la classe. Même si les combats présents et futurs constituent le sol nourricier indispensable au développement de cette avant-garde, celle-ci ne pourra se constituer et accomplir sa tâche que si les révolutionnaires que la classe secrète prennent pleinement conscience de leurs responsabilités et s'arment de la volonté d'être à la hauteur de celle-ci. En particulier, les tâches indispensables de réflexion théorique, de dénonciation systématique des mensonges de la bourgeoisie et d'intervention active dans les luttes de la classe ne pourront être menées à bien par les révolutionnaires d'aujourd'hui que s'ils rétablissent le lien politique qui, à travers le temps et l'espace, est la condition fondamentale de leur activité. En d'autres termes, pour accomplir la fonction pour laquelle la classe les a produits, les révolutionnaires doivent s'approprier les acquis des luttes et des courants communistes du passé, de même qu'ils doivent regrouper leurs forces à l'échelle de leur classe, à l'échelle mondiale.

Mais leurs efforts dans ces deux directions sont encore lourdement handicapés par la rupture totale de continuité organique avec les fractions du passé. Le rétablissement de l'indispensable continuité politique avec ces fractions, qui avaient recueilli et développé l'essentiel des enseignements de toute l'expérience passée de la classe, en a été d'autant retardé et entravé pour les courants révolutionnaires que la classe fait surgir de nouveau. Ceux-ci ont, en particulier, les plus grandes difficultés à comprendre deux choses : leur fonction spécifique dans la classe et surtout l'ensemble des questions d'organisation pour lesquelles, justement, ils ne disposent pratiquement d'aucune expérience propre. De plus, la décomposition des couches petites bourgeoises et leur prolétarisation qui, dès ses débuts, étaient un boulet au pied du mouvement ouvrier mais que la décadence et la crise viennent accélérer et accentuer, renforcent d'autant plus ces difficultés. En particulier, les scories du "mouvement étudiant", expression typique de la crise de la petite bourgeoisie intellectuelle et qui a connu son apogée au moment où la classe a retrouvé le chemin de la lutte, sont venues encombrer la conscience des organisations révolutionnaires. Les cultes de la "nouveauté", de la "singularité", de la phrase, de l'individu, de la "désaliénation" et même du "spectacle" qu'on se plaisait pourtant à dénoncer, ces cultes donc, qui sont le propre de cette variété de la petite bourgeoisie, ont réussi souvent à transformer en sectes travaillées par des questions mesquines et des ambitions personnelles de nombreux groupes que la classe avait fait surgir dès sa reprise.

De facteurs positifs, ces groupes sont devenus alors un obstacle au processus de prise de conscience du prolétariat et, s'ils persistent, au nom de divergences inventées ou secondaires, à s'opposer à la tâche de regroupement des forces révolutionnaires, le mouvement de cette classe les détruira impitoyablement.

Avec ses moyens encore modestes, le Courant Communiste International s'est attelé à la tâche longue et difficile du regroupement des révolutionnaires à l'échelle mondiale autour d'un programme clair et cohérent. Tournant le dos au monolithisme des sectes, il appelle les communistes de tous les pays à prendre conscience des responsabilités immenses qui sont les leurs, à abandonner les fausses querelles qui les opposent, à surmonter les divisions factices que le vieux monde fait peser sur eux. Il les appelle à se joindre à cet effort afin de constituer, avant les combats décisifs, l'organisation internationale et unifiée de son avant-garde.
Fraction la plus consciente de la classe, les communistes se doivent de lui montrer son chemin, en faisant leur le mot d'ordre : "Révolutionnaires de tous les pays unissez-vous !"

AUX PROLETAIRES

Prolétaires du monde entier,

Les combats dans lesquels vous vous êtes engagés sont les plus importants de l'histoire de l'humanité. Sans eux, celle-ci est destinée à connaître un troisième holocauste impérialiste dont on ne peut prévoir que l'horreur des conséquences mais qui pourrait signifier pour elle un retour en arrière de plusieurs siècles ou de plusieurs millénaires, un pourrissement sur pied excluant tout espoir de socialisme ou bien sa destruction pure et simple. Jamais une classe n'a porté en elle de telles responsabilités et un tel espoir. Les sacrifices terribles qu'elle a déjà consentis dans ses luttes du passé et ceux, peut-être encore plus terribles, que la bourgeoisie aux abois lui imposera encore n'auront pas été vains.

Sa victoire signifiera, pour le genre humain, la libération définitive des chaînes qui l'ont soumis aux lois aveugles de la nature et de l'économie. Elle marquera la fin de la préhistoire de l'humanité et le début de son histoire véritable. Elle établira le règne de la liberté sur les ruines du règne de la nécessité.

Prolétaires, pour les combats titanesques qui vous attendent, pour vous préparer à l'assaut final contre le monde capitaliste, pour l'abolition de l'exploitation, pour le communisme, faites vôtre le vieux cri de guerre de votre classe :

"PROLETAIRES DE TOUS LES PAYS UNISSEZ-VOUS ! "


(4) Ce passage fait évidemment référence au réveil du prolétariat mondial à la fin des années 60, après un demi-siècle de contre-révolution. La description qui y est donnée des luttes ouvrières paraît évidemment décalée avec la situation présente de la lutte de classe. En fait, l'effondrement des pays dits "socialistes", à la fin des années 80, a provoqué un profond recul dans la conscience et la combativité de la classe ouvrière. Le poids de ce recul se manifeste encore aujourd'hui par les difficultés du prolétariat à développer ses combats de classe, à retrouver le chemin de sa perspective révolutionnaire oblitéré par l'ampleur des campagnes bourgeoises sur la "mort du communisme". Néanmoins, ce recul du prolétariat mondial n'a nullement remis en question le cours historique aux affrontements de classe ouvert par la première vague de luttes de la fin des années 60. Malgré la lenteur du rythme actuel de reprise de la lutte de classe, l'avenir est toujours entre les mains du prolétariat. Et c'est bien parce que la lutte de classe est un cauchemar permanent pour la bourgeoisie que celle-ci déchaîne des campagnes idéologiques et des manoeuvres extrêmement sophistiquées pour empêcher le géant prolétarien de s'affirmer sur la scène sociale.

(5) Avec la disparition des deux blocs impérialistes issus des accords de Yalta, le spectre d'une troisième guerre mondiale s'est évanoui pour le moment. Ainsi, même si le militarisme et la guerre caractérisent toujours le mode de vie du capitalisme décadent, la politique impérialiste de tous les Etats, petits ou grands, se déchaîne dans une situation historique mondiale dominée par le chaos et la "chacun pour soi". L'embrigadement du prolétariat des pays centraux dans une troisième guerre mondiale n'étant plus à l'ordre du jour, l'alternative historique est devenue : révolution prolétarienne ou enfoncement de l'humanité dans la barbarie et le chaos généralisé.

(6) Même si dans certains pays centraux, comme en France, en Autriche ou en Belgique, on assiste à une montée des fractions d'extrême droite, ce phénomène n'est nullement comparable à la situation qui, dans les années 20 et 30, avait permis l'arrivée au pouvoir du fascisme et du nazisme. Le regain des partis d'extrême droite aujourd'hui est essentiellement une manifestation de la décomposition du capitalisme, du "chacun pour soi" qui gangrène l'appareil politique de la bourgeoisie, et non la conséquence d'une défaite historique du prolétariat comme c'était le cas dans les années qui ont suivi l'écrasement de la première vague révolutionnaire de 1917-23. D'ailleurs, les campagnes antifascistes actuelles n'ont aucune commune mesure avec les campagnes de mobilisation massive du prolétariat derrière les drapeaux de la démocratie qui avaient permis l'embrigadement de la classe ouvrière dans la seconde guerre mondiale.

Vie du CCI: 

  • Prises de position du CCI [10]
  • Manifestes [11]

Conscience et organisation: 

  • Courant Communiste International [9]

Histoire du CCI

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A dix ans d'intervale, nous avons publié deux articles pour le 20e et le 30e anniversaire du CCI. Le lecteur les trouvera dans la Revue Internationale:

Construction de l'organisation révolutionnaire : les 20 ans du Courant Communiste International [12]

Les trente ans du CCI : s'approprier le passé pour construire l'avenir [13]

Révolution communiste ou destruction de l'humanité

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Jamais dans l'histoire les enjeux n'ont été aussi dramatiques et décisifs que ceux d'aujourd'hui. Jamais une classe sociale n'a dû affronter une responsabilité comparable à celle qui repose sur le prolétariat.
"Le Communisme est mort !", "Ouvriers, il est inutile d'espérer mettre fin au capitalisme, ce système a terrassé définitivement son ennemi mortel". Voilà ce que la bourgeoisie répète sur tous les tons depuis que s'est effondré le bloc de l'Est. Ainsi, le plus grand mensonge de l'histoire, l'identification du communisme avec le stalinisme, c'est-à-dire une des formes les plus barbares de l'exploitation capitaliste, nous est servi une nouvelle fois au moment où ce même stalinisme se disloque dans la boue et le chaos. Pour les classes dominantes de tous les pays, il s'agit de convaincre leurs exploités qu'il est vain de lutter afin de changer le monde. "Il faut se contenter de ce que nous avons, car il n'y rien d'autre. Et gare si le capitalisme était renversé : la société qui lui succéderait serait encore pire". La capitulation sans gloire du stalinisme à partir de 1989, l'effondrement ignominieux du bloc qu'il dominait nous ont été présentés comme une "grande victoire de la Démocratie et de la Paix". Ils devaient annoncer "un nouvel ordre mondial", pacifique et prospère, où les "droits des hommes" seraient enfin respectés.
Alors que la salive de ces discours n'était pas encore sèche, les grands pays qui se veulent "civilisés" ont, en 1991, déchaîné une barbarie guerrière sans nom au Moyen-Orient, écrasant sous les bombes des centaines de milliers d'êtres humains, transformant l'Irak en un champ de ruines et de cadavres, faisant subir de façon monstrueuse aux populations de ce pays la "punition" qu'ils prétendaient infliger aux dirigeants qui exploitent et oppriment ces mêmes populations.
"Mais maintenant c'est fini" nous assure la bourgeoisie la main sur le coeur. "Cette guerre était nécessaire, nous dit-elle, pour qu'il n'y en ait jamais d'autre ; en faisant respecter le Droit international, elle a ouvert la porte d'un monde enfin solidaire, où les conflits pourront se régler de façon pacifique sous l'égide de la Communauté Internationale et autres Nations-Unies".
Face à ces bouleversements, face à ce déferlement de barbarie et de mensonges, le prolétariat mondial est resté paralysé. La classe dominante aurait-elle gagné la partie de façon définitive ? Aurait-elle une fois pour toutes surmonté les contradictions qui assaillent son système depuis ses origines, et particulièrement ces dernières décennies ? Aurait-elle exorcisé le spectre de la révolution communiste qui hantait ses nuits depuis plus d'un siècle ? C'est bien ce qu'elle veut faire croire aux exploités. Mais il ne faut pas s'y tromper. Le monde qu'elle nous propose, et qu'elle nous appelle à préserver, ne sera pas meilleur mais bien pire encore que celui d'aujourd'hui. Pour sa part, la classe ouvrière n'a pas dit son dernier mot. Même si elle a été momentanément baillonnée, elle continue de porter en elle la force pour mettre fin au capitalisme et à la barbarie qu'il engendre. Plus que jamais, son combat constitue le seul espoir pour l'humanité, pour que celle-ci se libère de ses chaînes, de la misère, des guerres et de toutes les calamités qui l'ont accablée jusqu'à présent.
Voilà ce que les révolutionnaires doivent dire à leur classe. Voilà ce que veut affirmer le présent manifeste.

Face aux campagnes répugnantes de la propagande bourgeoise, le premier devoir des révolutionnaires est de rétablir la vérité, de rappeler au prolétariat ce que fut réellement, et ce que sera, la révolution communiste qu'on se plait aujourd'hui à charger de tous les maux dont souffre l'espèce humaine. En particulier, il leur appartient de dénoncer ce monstrueux mensonge présentant comme "communistes" les régimes qui ont dominé toute une partie du monde pendant des décennies et montrer pourquoi ces régimes n'étaient pas les enfants, même bâtards, de la révolution prolétarienne, mais bien ses fossoyeurs.

LE STALINISME N'EST PAS L'ENFANT DE LA REVOLUTION

Au début de ce siècle, pendant et après la première guerre mondiale, le prolétariat a livré des combats titanesques qui ont failli venir à bout du capitalisme. En 1917, il a renversé le pouvoir bourgeois en Russie. Entre 1918 et 1923, dans le principal pays européen, l'Allemagne, il a mené de multiples assauts pour parvenir au même but. Cette vague révolutionnaire s'est répercutée dans toutes les parties du monde, partout où il existait une classe ouvrière développée, de l'Italie au Canada, de la Hongrie à la Chine. C'était la réponse qu'apportait le prolétariat mondial à l'entrée du capitalisme dans sa période de décadence dont la guerre mondiale avait constitué la première grande manifestation. C'était la confirmation éclatante de toutes les prévisions mises en avant par les révolutionnaires depuis la moitié du XIXe siècle : l'heure était venue pour le prolétariat, comme l'avait annoncé le Manifeste communiste de 1848, d'exécuter la sentence prononcée par l'histoire contre le capitalisme, contre un système de production désormais incapable d'assurer le progrès de l'humanité.

La défaite de la classe ouvrière et la contre-révolution capitaliste

Mais la bourgeoisie mondiale a réussi à contenir ce mouvement gigantesque de la classe ouvrière qui ébranlait la planète. Surmontant la frayeur que lui inspirait la perspective de sa propre disparition, elle a réagi telle un fauve blessé, jetant toutes ses forces dans la bataille, ne reculant devant aucun crime.

En un tournemain, elle a fait taire les antagonismes impérialistes qui l'avaient déchirée pendant quatre années de guerre afin d'opposer un front uni face à la révolution. Par la ruse et la répression, les mensonges et les massacres, elle a vaincu les masses ouvrières insurgées. Elle a entouré la Russie révolutionnaire d'un "cordon sanitaire" en forme d'un blocus livrant à la pire des famines des dizaines de millions d'êtres humains, famines qu'elle s'est évidemment empressée de mettre sur le compte du mouvement révolutionnaire lui-même. Par un soutien massif, en hommes et en armements, aux armées blanches du tsarisme déchu, elle y a déchaîné une guerre civile effroyable, provoquant des millions de morts et détruisant totalement l'économie. Sur ce champ de ruines, isolée par l'échec de la révolution mondiale, décimée par les combats et la famine, la classe ouvrière de Russie, bien qu'elle ait réussi à repousser et vaincre les armées de la contre-révolution, n'a pu conserver le pouvoir qu'elle avait pris entre ses mains en octobre 1917. Elle pouvait encore moins "construire le socialisme". Battue dans les autres pays, et particulièrement dans les grandes métropoles industrielles d'Europe occidentale et d'Amérique du Nord, elle ne pouvait être que vaincue en Russie même.

La victoire de la contre-révolution à l'échelle du monde s'est répercutée dans ce pays, non pas sous la forme d'un renversement de l'Etat qui avait surgi après la révolution, mais par une dégénérescence de cet Etat. Dans un pays qui, du fait du maintien du pouvoir bourgeois au niveau mondial, ne pouvait pas se libérer du capitalisme, c'est l'appareil de cet Etat qui a constitué la nouvelle forme de la bourgeoisie chargée d'exploiter la classe ouvrière et de gérer le capital national. Le parti bolchévik, après avoir été à l'avant-garde de la révolution en 1917, a subi pour sa part également cette dégénérescence en s'identifiant de plus en plus avec l'Etat. En son sein, les meilleurs combattants de la révolution ont été progressivement écartés des responsabilités, exclus, exilés, emprisonnés, puis finalement exécutés par toute une couche d'arrivistes et de bureaucrates qui a trouvé en Staline son meilleur représentant et dont la raison d'être n'était plus de défendre les intérêts de la classe ouvrière mais, au contraire, d'exercer sur elle, par le mensonge et la répression, la plus ignoble des dictatures afin de préserver et consolider la nouvelle forme de capitalisme qui s'était instaurée en Russie.

Les autres partis de l'Internationale, les partis "communistes", ont suivi le même chemin. L'échec de la révolution mondiale et le désarroi qui s'en est suivi dans les rangs ouvriers ont favorisé le développement de l'opportunisme au sein de ces partis, c'est-à-dire d'une politique qui sacrifie les principes révolutionnaires et les perspectives historiques du mouvement de la classe ouvrière à d'illusoires "succès" immédiats. Cette évolution des partis communistes a permis la montée en force des éléments qui pensaient plus à faire carrière dans les rouages de la société bourgeoise, au Parlement ou dans les municipalités, qu'à combattre aux côtés de la classe ouvrière et à défendre ses intérêts. Infestés par la maladie opportuniste, tombés sous le contrôle de bureaucrates arrivistes, soumis à la pression de l'Etat russe qui, par le mensonge et l'intimidation, a promu ces bureaucrates aux organes de direction, ces partis, après avoir chassé de leurs rangs les éléments fidèles au combat révolutionnaire, ont fini par trahir et passer avec armes et bagages dans le camp de la bourgeoisie. Au même titre que le parti bolchévik dominé par le stalinisme, ils se sont convertis en avant-garde de la contre-révolution dans leurs pays respectifs. Ce rôle, ils ont pu le tenir d'autant mieux qu'ils ont continué à se présenter comme les partis de la révolution communiste, les héritiers de l'Octobre rouge. De même que Staline, pour asseoir son pouvoir dans le parti bolchévik dégénérescent, pour en éliminer les militants les plus sincères et dévoués à la cause du prolétariat, s'était paré de tout le prestige de Lénine ; de même, les partis staliniens, pour saboter plus efficacement les luttes ouvrières, ont usurpé le prestige qu'avaient acquis, aux yeux des ouvriers du monde entier, la révolution russe de 1917 et les combattants bolchéviks.

L'identification entre le stalinisme et le communisme, qu'on nous ressert de nouveau aujourd'hui, constitue certainement le plus grand mensonge de l'histoire. En réalité, le stalinisme est le pire ennemi du communisme, sa négation même.

Le communisme ne peut être qu'internationaliste,
le stalinisme, c'est le triomphe du chauvinisme

Ainsi, depuis ses origines, la théorie communiste a placé l'internationalisme, la solidarité internationale de tous les ouvriers du monde, à la tête de ses principes. "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous", tel était le mot d'ordre du Manifeste communiste rédigé par Marx et Engels, les deux principaux fondateurs de cette théorie. Ce même manifeste affirmait clairement que "les prolétaires n'ont pas de patrie". Et si l'internationalisme a toujours eu une telle importance pour le mouvement ouvrier, ce n'est pas à cause des idées utopiques de quelques faux prophètes, mais parce que la révolution du prolétariat, qui seule peut mettre fin à l'exploitation capitaliste et à toute forme d'exploitation de l'homme par l'homme, ne peut avoir lieu qu'à l'échelle internationale.

C'est bien cette réalité qui était exprimée avec force dès 1847 : "La révolution communiste (...) ne sera pas une révolution purement nationale ; elle se produira en même temps dans tous les pays civilisés (...) Elle exercera également sur tous les autres pays du globe une répercussion considérable et elle transformera complètement et accélèrera le cours de leur développement. Elle est une révolution universelle ; elle aura, par conséquent, un terrain universel." (F. Engels, Principes du communisme).

C'est encore ce même principe qui fut défendu bec et ongles par les bolchéviks au moment de la révolution en Russie : "La révolution russe n'est qu'un détachement de l'armée socialiste mondiale, et le succès et le triomphe de la révolution que nous avons accomplie dépendent de l'action de cette armée. C'est un fait que personne parmi nous n'oublie (...). Le prolétariat russe a conscience de son isolement révolutionnaire, et il voit clairement que sa victoire a pour condition indispensable et prémisse fondamentale, l'intervention unie des ouvriers du monde entier" (Lénine, 23 juillet 1918).

C'est pour cela que la thèse de la "construction du socialisme dans un seul pays", mise en avant par Staline en 1925, après la mort de Lénine, n'est rien d'autre qu'une trahison éhontée des principes élémentaires du mouvement ouvrier. A la place de l'internationalisme, pour lequel les bolchéviks et tous les révolutionnaires avaient toujours combattu, particulièrement au cours de la Première Guerre mondiale qui avait pris fin justement grâce à l'action des prolétaires en Russie et en Allemagne, Staline et ses complices se font les porte-parole du nationalisme le plus abject.

En Russie, on reprend, sous prétexte de défense de la "patrie socialiste", les vieilles campagnes chauvines qui avaient servi de drapeau aux armées blanches dans leur combat contre la révolution prolétarienne, quelques années auparavant. Et, lors de la seconde guerre mondiale, Staline se glorifie de la participation de son pays à la boucherie impérialiste, des 20 millions de soviétiques morts pour la "victoire de la Patrie". Dans les autres pays, les partis staliniens se font un devoir de mêler les hymnes nationaux aux accents de L'Internationale, le chant universel du prolétariat, de mélanger le drapeau rouge, étendard des combats ouvriers depuis presque un siècle, à tous les torchons nationalistes arborés par les flics et les militaires lorsqu'ils massacraient les travailleurs. Et dans l'hystérie chauvine qui se déchaîne à la fin de la Deuxième Guerre mondiale dans les pays occupés par les armées allemandes, les partis staliniens revendiquent fièrement la première place, et ne veulent laisser à personne d'autre qu'eux le soin d'assassiner comme "traitres à la patrie" ceux qui tentent de faire entendre une voix internationaliste.

Nationalisme contre internationalisme, voilà bien la preuve, s'il n'en fallait qu'une, que le stalinisme n'a rien à voir avec le communisme. Mais ce n'est pas tout.
Le communisme, c'est l'abolition de l'exploitation, grâce à la dictature du prolétariat, le stalinisme, c'est la dictature sur le prolétariat afin de maintenir son exploitation.

Le communisme ne peut s'établir qu'avec la dictature du prolétariat, c'est-à-dire par le pouvoir de la classe des travailleurs salariés sur l'ensemble de la société. Ce pouvoir, la classe ouvrière l'exerce grâce aux conseils ouvriers, c'est-à-dire les assemblées souveraines de travailleurs à qui revient la responsabilité des décisions essentielles concernant la marche de la société et qui contrôlent en permanence ceux qu'elles délèguent pour les tâches de centralisation et de coordination. C'est bien sur ces principes que s'était mis en place le pouvoir des "soviets" ("conseils" en russe) en 1917. Le stalinisme représente la négation totale d'un tel régime. La seule dictature qu'il connaisse n'est pas celle du prolétariat mais, au nom de cette dernière, la dictature sur le prolétariat d'une petite minorité de bureaucrates, s'appuyant sur la terreur la plus monstrueuse, sur les flics, la délation, les camps de concentration et les massacres des ouvriers qui osent se révolter contre lui, comme on l'a encore vu en Hongrie en 1956, en Pologne en 1970 et en 1981.

Enfin le communisme signifie l'abolition de l'exploitation de l'homme par l'homme, la fin de la division de la société entre des classes privilégiées et des classes exploitées dont le travail sert avant tout à engraisser les premières. Dans les régimes staliniens, les ouvriers n'ont pas cessé d'être exploités. Leur travail, leur sueur et leurs privations n'ont d'autre objectif que de permettre aux membres dirigeants de l'appareil du Parti-Etat de continuer à jouir de leurs privilèges, de bénéficier de résidences luxueuses alors que les familles ouvrières s'entassent dans des logements minables, de disposer de magasins spéciaux où il ne manque rien alors que les magasins destinés aux travailleurs sont désespérément vides et qu'il faut faire des heures de queue pour avoir une chance de trouver un petit bout de viande à moitié avarié. En outre, dans la société communiste, la production est fondamentalement orientée vers la satisfaction des besoins humains : bel exemple de société "communiste" - ou "en transition vers le communisme" - que celle de l'URSS et des autres pays du même type où, plus encore que dans les pays officiellement capitalistes, le meilleur de la production est destiné aux armements, aux moyens de destruction les plus sophistiqués et meurtriers.

En fin de compte, les régimes qui ont régné pendant des décennies sur toute une partie du monde au nom du communisme, du socialisme ou de la classe ouvrière, présentent toutes les caractéristiques essentielles du capitalisme. Et cela pour la bonne raison que ces régimes sont parfaitement capitalistes, même s'il s'agit d'une forme particulièrement fragile de capitalisme, même si la bourgeoisie "privée", telle qu'on la connaît dans les pays occidentaux y a été remplacée par une bourgeoisie d'Etat, même si la tendance universelle au capitalisme d'Etat, qui affecte le système capitaliste dans tous les pays depuis qu'il est entré dans sa phase de décadence, y a pris ses formes les plus caricaturales et aberrantes.

Les "démocraties", complices du stalinisme

Et c'est bien parce que le régime qui se met en place en Russie après l'échec de la révolution n'est qu'une variante du capitalisme, et même le fer de lance de la contre-révolution, qu'il reçoit un soutien chaleureux de toutes les bourgeoisies qui avaient combattu férocement, quelques années auparavant, le pouvoir des soviets. En 1934, en effet, ces mêmes bourgeoisies acceptent l'URSS dans la Société des Nations (l'ancêtre de l'ONU) que les révolutionnaires comme Lénine avaient qualifiée de "repaire de brigands" lors de sa fondation. C'est le signe que Staline est devenu "respectable" aux yeux de la classe dominante de tous les pays, la même qui présentait les bolchéviks de 1917 comme des barbares avec le couteau entre les dents. Les brigands impérialistes ont reconnu en ce personnage un des leurs. Ceux qui, désormais, subissent les persécutions de la bourgeoisie internationale, ce sont les révolutionnaires qui s'opposent au stalinisme. Ainsi, Trotsky1 , un des principaux dirigeants de la révolution de 1917, devient-il un proscrit dans le monde entier. Chassé d'URSS en 1929, puis expulsé de pays en pays, soumis à une surveillance policière de tous les instants, il doit en outre faire face aux campagnes de calomnies les plus crapuleuses que les staliniens déchaînent contre lui et qui sont complaisamment répercutées par les bourgeoisies d'Occident. Ainsi, lorsque Staline organise, à partir de 1936, les ignobles "procès de Moscou", où l'on voit les anciens compagnons de Lénine brisés par la torture s'accuser des crimes les plus abjects et réclamer eux-mêmes un châtiment exemplaire, cette même bourgeoisie laisse-t-elle entendre "qu'il n'y a pas de fumée sans feu". C'est donc avec la complicité de la bourgeoisie de tous les pays que Staline accomplit ses crimes monstrueux, qu'il extermine, dans ses prisons et dans ses camps de concentration, des centaines de milliers de communistes, plus de dix millions d'ouvriers et de paysans. Et les secteurs bourgeois qui font preuve du plus grand zèle dans cette complicité, ce sont les secteurs "démocratiques", et particulièrement la social-démocratie, les mêmes secteurs qui aujourd'hui dénoncent avec la plus extrême virulence les crimes staliniens et qui se présentent comme des modèles de vertu.
La complicité des "Démocraties" envers les abjections du stalinisme, complicité qu'elles prennent soin maintenant de bien dissimuler, ne constitue pas son seul crime. En réalité, la démocratie bourgeoise est autant experte en atrocités que les autres formes de régime capitaliste, le stalinisme ou le fascisme.

LA "DEMOCRATIE" EST LE MASQUE HYPOCRITE
DE LA DICTATURE SANGUINAIRE DE LA BOURGEOISIE

Depuis toujours, les révolutionnaires ont dénoncé le mensonge de la "Démocratie" dans la société capitaliste. Cette forme de gouvernement où, officiellement, le pouvoir appartient au "peuple", à tous les citoyens, n'a jamais été que l'instrument du pouvoir sans partage de la bourgeoisie sur les classes qu'elle exploite.
Dès ses débuts, la Démocratie bourgeoise acquiert ses lettres de noblesse dans son sale travail. Ainsi, la Grande Démocratie américaine, celle des Washington, Jefferson et compagnie, présentée comme un modèle pour toutes les autres, maintient-elle l'esclavage jusqu'à 1864. Et lorsqu'elle décide de l'abolir, parce l'exploitation des ouvriers est plus rentable que celle des esclaves, c'est une autre démocratie exemplaire, celle d'Angleterre, qui soutient les Etats du Sud des Etats-Unis qui veulent perpétuer l'esclavage. Durant cette même période, l'autre grand représentant de la démocratie bourgeoise, la République française héritière de la révolution de 1789 et de la "déclaration des droits de l'homme", se distingue par l'écrasement de la Commune de Paris qui, fin mai 1871, se concrétise par le massacre, en une semaine, de plusieurs dizaines de milliers d'ouvriers.
Mais ces crimes des régimes démocratiques ne sont que des broutilles si on les compare à ceux qu'ils ont perpétrés tout au long du XXe siècle.

Les crimes de la démocratie bourgeoise au cours du XXe siècle

Ce sont en effet des gouvernements parfaitement "démocratiques" qui constituent les principaux protagonistes, avec le soutien zélé de la plupart des partis "socialistes", de la Première Guerre mondiale où sont fauchés près de vingt millions d'êtres humains. Ce sont ces mêmes gouvernements, avec la complicité ou même sous la direction des "socialistes", qui écrasent de façon sanguinaire la vague révolutionnaire qui avait mis fin à la boucherie guerrière. A Berlin, en janvier 1919, c'est en prétextant une tentative d'évasion que la soldatesque aux ordres du "socialiste" Noske se livre à l'exécution sommaire des deux principaux dirigeants de la révolution : Karl Liebknecht est assassiné d'une balle dans la nuque, Rosa Luxemburg à coups de crosse. Au même moment, le gouvernement social-démocrate fait massacrer des milliers d'ouvriers grâce aux 16 000 mitrailleuses restituées en toute hâte par la France victorieuse à l'Allemagne vaincue. Ce sont les mêmes "démocraties", notamment les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France, qui apportent, dès 1918, un soutien sans faille aux troupes tsaristes, c'est-à-dire liées à un des régimes les plus brutaux et rétrogrades de cette époque, afin de combattre le prolétariat révolutionnaire de Russie.

L'entre-deux guerres n'allait pas être avare de crimes commis par la vertueuse "Démocratie". Les massacres coloniaux, entre autres, y foisonnent, et c'est la très démocratique Angleterre qui, la première, va inaugurer en 1925 une des atrocités qu'on reprochera par la suite au "boucher de Bagdad", Saddam Hussein : l'utilisation des gaz asphyxiants contre les populations Kurdes. Mais là où les démocraties donnent toute leur mesure, c'est au cours de la Seconde Guerre mondiale qu'elles ont prétendu mener comme une croisade contre la dictature et les horreurs nazies.

La propagande des "alliés" au lendemain de cette guerre était intarissable sur les "crimes de guerre" commis par les autorités allemandes. Elle avait évidemment la partie facile : avec une dictature policière et des camps d'extermination dignes du stalinisme, le nazisme a représenté, avec ce dernier, un des sommets dans la barbarie engendrée par le capitalisme décadent. Mis en place de façon "démocratique" et parlementaire par la même bourgeoisie allemande qui avait porté au pouvoir la social-démocratie pour qu'elle écrase la révolution ouvrière, enfant de la contre-révolution déchaînée par celle-ci contre le prolétariat dix ans auparavant, il a constitué, notamment avec l'holocauste de six millions de juifs, le symbole de l'horreur dans laquelle la classe dominante peut se vautrer lorsqu'elle s'est sentie menacée. Les auteurs des crimes nazis sont passés devant le tribunal de Nuremberg et certains ont été exécutés. En revanche, il n'y avait aucun tribunal pour juger Churchill, Roosevelt ou Truman ainsi que les militaires "alliés", qui s'étaient rendus responsables, entre autres, des bombardements systématiques des villes allemandes, et particulièrement des quartiers ouvriers de celles-ci, faisant à chaque fois des dizaines de milliers de victimes civiles. Pas de tribunal - parce qu'ils appartenaient au camp des vainqueurs - pour ceux qui ont ordonné de transformer, les 13 et 14 février 1945, Dresde en un immense brasier tuant en quelques heures 200 000 personnes, alors que la guerre était déjà gagnée et que cette ville n'abritait aucune installation militaire, ce qui en avait fait un lieu d'accueil pour des centaines de milliers de réfugiés et de blessés. C'est également la grande démocratie américaine, qui pour la première fois, et unique fois jusqu'à présent, dans l'histoire, a utilisé, en août 1945, la bombe atomique contre les villes japonaises de Hiroshima et Nagazaki, faisant en une seconde 75 000 et 40 000 morts, et bien plus encore par la suite après d'atroces souffrances

Ce sont ces mêmes démocrates, les Churchill et les Roosevelt, qui, parfaitement au courant de l'extermination de millions de juifs par le régime nazi, n'ont rien fait pour les sauver, allant même jusqu'à refuser catégoriquement toutes les propositions que leur ont faites le gouvernement allemand et ses alliés d'en libérer des centaines de milliers. Et c'est avec le plus grand cynisme que ces "humanistes" ont justifié leur acte : transporter et accueillir tous ces juifs aurait ralenti l'effort de guerre.

Après la Seconde Guerre mondiale, la "démocratie" perpétue ses crimes

Après la guerre, alors que les vainqueurs arborent partout le drapeau de la morale, de la liberté, du droit des peuples et des droits de l'homme, qu'ils opposent à la barbarie des nazis, ils ne dédaignent à aucun moment d'utiliser les mêmes méthodes qui sont reprochées à ces derniers. Par exemple, les représailles massives contre la population civile, ne sont pas le monopole des accusés de Nuremberg, elle sont le quotidien des guerres coloniales ou néo-coloniales menées par différents pays "démocratiques", tels les Etats-Unis, phare du "monde libre", ou la France, "patrie des droits de l'homme". Ainsi, le jour où capitule l'Allemagne hitlérienne, le 8 mai 1945, le gouvernement français, où siègent démocrates chrétiens," socialistes" et "communistes", fait tuer sous les bombes plus de 20 000 personnes dans les villes algériennes de Sétif et Constantine où une partie de la population avait pris à la lettre les discours de ce gouvernement sur la "libération nationale". Deux ans plus tard, le même gouvernement renouvelle son exploit à Madagascar, faisant cette fois plus de 80 000 morts.

Quant à la torture utilisée par la Gestapo, quant aux "disparitions" qu'on reproche maintenant aux "gorilles" d'Argentine ou du Chili, les mêmes autorités françaises les ont pratiquées pendant des années en Indochine et en Algérie à un point tel que de nombreux policiers et militaires en sont écoeurés et démissionnent. De même, les massacres répugnants déchaînés par l'armée américaine au Vietnam sont encore dans les mémoires : les villages brûlés au napalm, les paysans mitraillés par les hélicoptères, l'extermination de tous les habitants de My Laï, femmes, enfants, vieillards y compris, voilà les hauts faits d'armes des champions de la "démocratie". En fin de compte, la démocratie ne se distingue pas sur le fond des autres formes de gouvernement de la bourgeoisie. Elle n'a rien à leur envier lorsqu'il s'agit d'opprimer les exploités, de massacrer les populations, de torturer les opposants, de mentir à ceux qu'elle gouverne. Et c'est justement là où elle se montre supérieure aux régimes de dictature ouverte. Si ces derniers, si le fascisme et le stalinisme utilisent de façon systématique le mensonge pour gouverner, la démocratie va encore plus loin : elle commet exactement les mêmes crimes que ces régimes, elle ment comme eux à grande échelle, tout en prétendant faire le contraire, tout en se parant des habits de la Vertu, du Droit et de la Vérité, tout en organisant le spectacle de sa propre "critique" par des gens "responsables", c'est-à-dire par ses propres défenseurs. Elle n'est pas autre chose que la feuille de vigne qui masque aux yeux des exploités la dictature implacable et sanguinaire de la bourgeoisie.

Et c'est pour cela qu'elle représente un grand danger pour la classe ouvrière. C'est pour cela qu'aujourd'hui les ouvriers doivent refuser de se laisser berner par les campagnes sur la prétendue "victoire de la démocratie sur le communisme" comme ils doivent refuser de se faire piéger par les mensonges sur le "nouvel ordre mondial" qu'annoncerait cette victoire.

PLUS QUE JAMAIS, LA BARBARIE GUERRIERE
EST LA SEULE "PERSPECTIVE"
QUE PUISSE NOUS OFFRIR LE CAPITALISME

La guerre du Golfe entre l'Irak et la "coalition" dirigée par les Etats-Unis nous a montré une nouvelle fois ce que valent les beaux discours démocratiques. Une nouvelle fois, nous avons pu voir à l'oeuvre les grands pays "civilisés" : des centaines de milliers de morts en Irak, l'utilisation des armes les plus meurtrières et barbares comme les bombes de sept tonnes et les bombes "fuel air combustible" qui asphyxient leurs victimes, encore plus "efficacement" que les gaz employés par Saddam Hussein. Nous avons pu voir comment ces pays "démocratiques" et "avancés" ont provoqué à grande échelle la famine et les épidémies pour les survivants en détruisant systématiquement toutes sortes d'objectifs civils tels les silos à grain, les usines d'aliments, les stations d'épuration d'eau ou les hôpitaux. Nous avons pu apprendre, après coup, comment les fameuses images de la "guerre propre", diffusées à satiété pendant des semaines par les médias aux ordres, masquaient en réalité une guerre aussi "sale" que les autres : les soldats qu'on a enterrés vivants par dizaines de milliers, les "tapis de bombes" qui, trois fois sur quatre, manquaient leurs cibles mais provoquaient un véritable carnage dans la population du voisinage, l'assassinat de 800 personnes dans un abri civil de Bagdad, le massacre à grande échelle des soldats en fuite ou même des civils, comme sur la route Koweït-Bassorah, le dernier jour de la guerre. Nous avons pu constater aussi à quel niveau de cynisme peut se hisser la bourgeoisie "démocratique" lorsqu'elle a laissé le boucher Saddam exterminer les populations Kurdes qu'elle avait auparavant poussées à se soulever derrière les cliques nationalistes ; de quel degré d'hypocrisie elle savait faire preuve en organisant ensuite, lorsque le massacre était terminé, une prétendue "aide humanitaire".

Les mensonges de la bourgeoisie

La guerre du Golfe nous a permis aussi de vérifier combien étaient mensongers les discours dont se gargarisent les gouvernements démocratiques sur la "liberté de la presse", sur le "droit à l'information". Pendant toute la durée de la guerre, il n'y a eu qu'une seule vérité : celle des Etats, qu'un seul type d'images : celui fourni par les états-majors militaires. La prétendue "liberté de la presse" est apparue pour ce qu'elle était : un simple ornement hypocrite. Dès que les premières bombes ont été larguées, elle a ouvertement cédé la place dans tous les médias, comme dans n'importe quel régime totalitaire, à l'exécution scrupuleuse et servile des consignes gouvernementales. Encore une fois, la Démocratie a montré sa véritable nature, celle d'un instrument de la dictature sans partage de la classe dominante sur les exploités. Et, parmi tous les mensonges crapuleux dont nous avons été abreuvés, la palme revient à celui qui présentait ce carnage comme une "guerre pour la paix", destinée à instaurer enfin un "nouvel ordre mondial prospère et pacifique".

C'est un des mensonges bourgeois les plus odieux et éculés. Chaque fois que le capitalisme décadent s'est lancé dans une nouvelle boucherie impérialiste, la bourgeoisie nous a chanté la même chanson. La Première Guerre mondiale, avec ses vingt millions de morts, devait être la "der des ders" ; vingt ans plus tard, la guerre était encore plus abominable : cinquante millions de morts. Les vainqueurs de cette guerre l'ont présentée comme une "victoire définitive de la civilisation" : les différentes guerres qui l'ont suivie ont fait depuis autant de morts au total, sans compter toutes les calamités qu'elles ont provoquées, comme les famines et les épidémies.

La classe ouvrière doit refuser de tomber dans ce piège : il ne peut y avoir de fin à la guerre dans le capitalisme. Ce n'est pas une question de "bonne" ou "mauvaise" politique des gouvernements, celà ne dépend pas de la "sagesse" ou de la "folie" de ceux qui dirigent les Etats. La guerre est devenue inséparable du système capitaliste, d'un système basé sur la concurrence entre différents secteurs du capital. Un système dont la faillite économique définitive le conduit à des rivalités croissantes entre ces différents secteurs, dans lequel la guerre commerciale que se livrent toutes les nations ne peut déboucher que sur la guerre des armes. Il ne faut pas s'y tromper : les causes économiques qui ont provoqué les deux guerres mondiales n'ont pas disparu. Au contraire, jamais l'économie capitaliste ne s'est trouvée dans une telle impasse. Cette impasse signifie que le système capitaliste a fait son temps, qu'il doit être renversé comme l'ont été les sociétés qui l'ont précédé : la société féodale et la société esclavagiste. La survie de ce système est une totale absurdité pour la société humaine, une absurdité à l'image de la guerre impérialiste elle-même qui mobilise toutes les richesses de la science et du travail humain non pas pour apporter le bien être à l'humanité, mais au contraire pour détruire ces richesses, pour accumuler les ruines et les cadavres. Et qu'on n'aille pas nous raconter que l'effondrement de l'empire russe, la fin de la division du monde en deux blocs ennemis signifie la disparition des guerres. Une nouvelle guerre mondiale opposant deux grandes puissances et leurs alliés respectifs n'est pas, pour le moment, à l'ordre du jour. Mais la fin des blocs n'a pas mis fin aux contradictions du capitalisme. La crise est toujours là. Ce qui a disparu c'est la discipline que ces puissances imposaient à leurs vassaux. Et comme les antagonismes entre nations ne peuvent que s'exacerber avec l'aggravation irrémédiable de la crise, la seule perspective n'est sûrement pas celle d'un "nouvel ordre mondial" mais bien celle d'un "désordre mondial" toujours plus catastrophique.

L'avenir du capitalisme : toujours plus de barbarie guerrière

Ce qui s'annonce pour la société, c'est le déchaînement des appétits impérialistes de tous les pays, petits et grands, le "chacun pour soi" de toutes les bourgeoisies tentant, par tous les moyens, et notamment les moyens militaires, de sauvegarder leurs intérêts au détriment des autres, de leur disputer le moindre marché mais aussi le moindre bout de territoire, la moindre zone d'influence. En réalité, l'avenir que le capitalisme propose à l'humanité est celui du plus grand chaos de l'histoire. Et lorsque la première puissance mondiale se propose de faire le "gendarme" afin de "préserver l'ordre", la seule chose qu'elle sache faire c'est de déchaîner de nouveaux désordres et une barbarie sanguinaire, comme on l'a vu au Moyen-Orient au début de l'année 1991. La croisade des Etats-Unis contre l'Irak se présentait comme celle du "Droit", de la "Loi internationale" et de "l'Ordre mondial". Elle s'est révélée comme une expédition punitive permettant au gangster le plus puissant, les Etats-Unis, d'afficher son droit de tuer au détriment des autres gangsters, tel Saddam Hussein, afin d'imposer sa propre loi, la loi du plus fort, la loi du milieu. La seule différence c'est que les gangsters classiques se tuent entre eux, et en petite quantité, alors que ceux qui dirigent les Etats tuent en priorité les populations gouvernées par leurs adversaires du jour et qu'ils le font à grande échelle. Quant à "l'ordre mondial", on a pu voir, depuis la Guerre du Golfe, comment il a été "sauvegardé". Au Moyen-Orient même, la guerre a engendré de nouveaux désordres comme le soulèvement des chiites et des kurdes qui menaçait la stabilité de toute la région, de l'Iran, de la Turquie, de la Syrie, du sud de l'URSS et dont la menace n'a été écartée qu'au prix du massacre de ces populations. Dans le reste du monde, le chaos n'a cessé de croître comme sur le continent Africain qui s'enfonce dans les affrontements ethniques et les massacres sans compter les famines et les épidémies que ces troubles ne font qu'attiser. Un chaos qui n'épargne plus l'Europe elle-même où la Yougoslavie se disloque dans le feu et le sang, où le mastodonte qu'était l'URSS connaît les convulsions de l'agonie, un putsch comme dans les républiques bananières, la sécession de la plupart de ses républiques, l'explosion des nationalismes et s'achemine vers des affrontements à la yougoslave à l'échelle d'un continent, avec, en sus, des dizaines de milliers de charges atomiques qui risquent de tomber entre les mains des secteurs les plus irresponsables de la bourgeoisie, sinon des mafias locales.

Enfin, les différentes puissances de l'ancien bloc occidental commencent elles-mêmes à s'entre-déchirer. C'est ainsi qu'on a pu voir la bourgeoisie allemande, avec la complicité de sa consoeur autrichienne, jeter de l'huile sur le feu en Yougoslavie en appuyant les mouvements indépendantistes slovènes et croates, alors que les autres bourgeoisies occidentales tentaient de miser sur le maintien de l'unité de ce pays. Entre les alliés d'hier, entre ceux qui, avec l'effondrement de l'URSS et de sa puissance militaire, n'ont plus besoin désormais de serrer les rangs, les rivalités impérialistes, la quête avide de la moindre zone d'influence, économique, politique et militaire ne peut conduire qu'à une foire d'empoigne de plus en plus acharnée. C'est bien pour cela, en fin de compte, que les Etats-Unis ont infligé de telles destructions à l'Irak. Ce pays était loin d'être le seul visé. L'étalage de la puissance militaire américaine sans commune mesure avec celle du pays vaincu, l'exibition obscène des armes les plus sophistiquées et meurtrières, s'adressaient bien au delà de l'Irak ou d'autres pays de second plan tentés d'imiter ce dernier. C'est en fin de compte à leurs propres "alliés", à ceux qu'ils ont entraînés dans la guerre (comme la France, l'Italie ou l'Espagne, par exemple) ou qu'ils ont contraint d'en supporter les frais (tels le Japon et l'Allemagne) que les Etats-Unis adressaient fondamentalement leur "message" : gare à tous ceux qui s'aviseraient de troubler "l'ordre mondial", qui songeraient à remettre en cause le rapport de forces actuel, c'est-à-dire, en fin de compte, à contester la suprématie de la première puissance mondiale.

Ainsi, le monde se présente comme une immense foire d'empoigne où, derrière les grands discours sur "l'ordre mondial", la "paix" et la "coopération" entre nations, la "solidarité" et la "justice" envers les peuples les plus défavorisés, se développe le "chacun pour soi", l'exacerbation des rivalités impérialistes, la guerre de tous contre tous, la guerre économique mais aussi, de plus en plus, la guerre des armes. Et face à ce chaos sanglant, qui est déjà présent dans le monde mais qui ne fera que s'aggraver, le maintien de "l'ordre mondial" n'a d'autre signification que l'utilisation de plus en fréquente et brutale de la force militaire, le déchaînement des massacres par les grandes puissances impérialistes, et en premier lieu, par le pays phare de la "démocratie", le gendarme du monde, les Etats-Unis.

En fin de compte, tout ce chaos qu'on voit se développer à l'heure actuelle, le déchaînement des conflits guerriers, la plongée de pays entiers dans les affrontements sanglants entre nationalités, les massacres aussi barbares qu'absurdes, tout cela nous révèle que le monde d'aujourd'hui a basculé dans une nouvelle période historique dominée par des convulsions d'une ampleur inconnue jusqu'à présent.

En particulier, la bourgeoisie "démocratique" veut nous faire croire que l'effondrement brutal des régimes staliniens, qu'elle nous présente comme "communistes", résulte uniquement de l'impasse dans laquelle se trouvaient ces régimes, de la faillite définitive de leur économie.
Encore une fois elle ment !

C'est vrai que la forme stalinienne du capitalisme d'Etat était particulièrement aberrante, fragile et mal armée face à la crise économique mondiale. Mais un évènement historique d'une telle ampleur, l'explosion de tout un bloc impérialiste en quelques semaines, durant l'automne 1989, et maintenant la dislocation tout aussi soudaine de son chef de file, l'URSS, qui était il y a moins de deux ans encore la deuxième puissance mondiale, révèle le degré de pourrissement atteint non seulement par les régimes staliniens, mais encore et surtout par l'ensemble du système capitaliste.
La décadence du capitalisme, telle que le monde l'a connue depuis le début du siècle, se révèle dès à présent comme la période la plus tragique de l'histoire de l'humanité.

Jamais la société humaine n'avait connu des boucheries de l'ampleur de celles des deux guerres mondiales. Jamais les progrès de la science n'avaient été utilisés à une telle échelle pour provoquer la destruction, les massacres et le malheur des hommes. Jamais, une telle accumulation de richesses n'avait côtoyé, n'avait provoqué de telles famines et de telles souffrances comme celles qui se sont déchaînées dans les pays du tiers-monde depuis des décennies. Mais il apparaît que l'humanité n'avait pas encore touché le fond. La décadence du capitalisme signifie l'agonie de ce système. Mais cette agonie elle-même a une histoire : aujourd'hui nous avons atteint sa phase terminale, celle de la décomposition générale de la société, celle de son pourrissement sur pied.

LA DECOMPOSITION,
PHASE ULTIME DE LA DECADENCE DU CAPITALISME

Car c'est bien de putréfaction de la société qu'il s'agit maintenant. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le capitalisme avait réussi à repousser vers les pays sous-développés les manifestations les plus barbares et sordides de sa décadence. Aujourd'hui, c'est au coeur même des pays les plus avancés que ces manifestations de barbarie se développent. Ainsi, les conflits ethniques absurdes où les populations s'entre-massacrent parce qu'elles n'ont pas la même religion ou la même langue, parce qu'elles perpétuent des traditions folkloriques différentes, semblaient réservés, depuis des décennies, aux pays du "tiers-monde", l'Afrique, l'Inde ou le Moyen-Orient.

Maintenant, c'est en Yougoslavie, à quelques centaines de kilomètres des métropoles industrielles d'Italie du Nord et d'Autriche, que se déchaînent de telles absurdités. Et qu'on aille pas nous dire que les mouvements nationalistes tels que ceux qui se développent dans ce pays, mais aussi dans l'ancien empire russe, représentent une "juste revendication pour la liberté", pour l'établissement d'un Etat national "progressiste" libéré des chaînes qui entravaient auparavant son développement.

Au siècle dernier, certaines luttes nationales avaient effectivement un tel caractère progressiste dans la mesure où elles ouvraient la voie à la constitution d'entités territoriales viables permettant de surmonter le morcellement et toutes les entraves particularistes légués par le régime féodal. Ce fut notamment le cas des différents mouvements qui permirent la constitution d'un Etat national en Allemagne et en Italie. Mais depuis le début de ce siècle, avec l'entrée du capitalisme dans sa période de décadence, les luttes "d'indépendance nationale" ont perdu tout caractère "progressiste" en devenant, avant tout, des pions dans l'affrontement entre les grandes puissances, entre les blocs impérialistes. Aujourd'hui, même si certains mouvements nationalistes qui se développent dans les balkans ou en Europe centrale sont attisés en sous main par telle ou telle puissance, l'ensemble de ces mouvements révèle une absurdité encore plus grande : à l'heure où l'économie a atteint un degré de mondialisation inconnu dans l'histoire, où la bourgeoisie des pays avancés essaye, sans y parvenir, de se donner un cadre plus vaste que celui de la nation, comme celui de la CEE, pour gérer son économie, la dislocation des Etats qui nous avaient été légués par la Seconde Guerre mondiale en une multitude de petits Etats est une pure aberration, même du point de vue des intérêts capitalistes. Quant aux populations de ces régions, leur sort ne sera pas meilleur qu'avant mais pire encore : désordre économique accru, soumission à des démagogues chauvins et xénophobes, règlements de comptes et pogroms entre communautés qui avaient cohabité jusqu'à présent et, surtout, division tragique entre les différents secteurs de la classe ouvrière. Encore plus de misère, d'oppression, de terreur, destruction de la solidarité de classe entre prolétaires face à leurs exploiteurs : voila ce que signifie le nationalisme aujourd'hui. Et l'explosion de celui-ci à l'heure actuelle est bien la preuve que le capitalisme décadent a franchi un nouveau pas dans la barbarie et le pourrissement.
Mais le déchaînement de l'hystérie nationaliste dans certaines parties de l'Europe n'est pas la seule manifestation, loin de là, de cette décomposition qui voit gagner les pays avancés par la barbarie que le capitalisme avait auparavant repoussé à sa périphérie.

La barbarie gagne le coeur du capitalisme

Ainsi hier, pour faire croire aux ouvriers des pays les plus développés qu'ils n'avaient pas de raisons de se révolter, les médias allaient dans les bidonvilles de Bogota ou sur les trottoirs de Manille pour faire des reportages sur la criminalité et la prostitution des enfants. Aujourd'hui, c'est dans le pays le plus riche du monde, à New-York, Los Angeles, Washington, que des enfants de douze ans vendent leur corps ou tuent pour quelques grammes de crack. Dans ce même pays, c'est maintenant par centaines de milliers que se comptent les sans-abris : à deux pas de Wall Street, temple de la finance mondiale, des masses d'êtres humains dorment dans des cartons sur le trottoir, comme à Calcutta. Hier, la concussion et la prévarication érigées à l'état de loi apparaissaient comme des spécialités des dirigeants du "tiers-monde". Aujourd'hui, il ne se passe pas un mois sans que n'éclate un scandale révélant les moeurs d'escrocs de l'ensemble du personnel politique des pays "avancés" : démissions à répétition des membres du gouvernement au Japon où trouver un politicien "présentable" pour lui confier un ministère devient une "mission impossible" ; participation en grand de la CIA au trafic de la drogue ; pénétration de la Mafia au plus haut sommet de l'Etat en Italie, auto-amnistie des députés français pour s'éviter la prison que méritaient leurs turpitudes... Même en Suisse, pays légendaire de la propreté, on a trouvé un ministre de la Police et de la Justice compromis dans une affaire de blanchîment de l'argent de la drogue. La corruption a toujours fait partie des pratiques de la société bourgeoise, mais elle a atteint un tel niveau à l'heure actuelle, elle est tellement généralisée, que là aussi il faut constater que la décadence de cette société a franchi une nouvelle étape dans la pourriture.

En fait, c'est l'ensemble de la vie sociale qui semble s'être complètement détraqué, qui s'enfonce dans l'absurde, la boue et le désespoir. C'est toute la société humaine, sur tous les continents, qui, de façon croissante, suinte la barbarie par tous ses pores. Les famines se développent dans les pays des tiers monde, et bientôt atteindront les pays qu'on prétendait "socialistes", alors qu'en Europe occidentale et en Amérique du Nord on détruit les stocks de produits agricoles, qu'on paye les paysans pour qu'ils cultivent moins de terres, qu'on les pénalise s'ils produisent plus que les quotas imposés. En Amérique latine, les épidémies, comme celle du choléra, tuent des milliers de personnes, alors qu'on avait chassé ce fléau depuis longtemps. Partout dans le monde, les inondations ou les tremblements de terre continuent de tuer des dizaines de milliers d'êtres humains en quelques heures alors que la société est parfaitement capable de construire des digues et des maisons qui pourraient éviter de telles hécatombes. Au même moment, on ne peut même pas invoquer la "fatalité" ou les "caprices de la nature", lorsque, à Tchernobyl, en 1986, l'explosion d'une centrale atomique tue des centaines (sinon des milliers) de personnes et contamine plusieurs provinces, lorsque, dans les pays les plus développés, on assiste à des catastrophes meurtrières au coeur même des grandes villes : 60 morts dans une gare parisienne, plus de 100 morts dans un incendie du métro de Londres, il y a peu de temps. De même, ce système se révèle incapable de faire face à la dégradation de l'environnement, les pluies acides, les pollutions de tous ordres et notamment nucléaire, l'effet de serre, la désertification qui mettent en jeu la survie même de l'espèce humaine.

En même temps, on assiste à une dégradation irréversible de la vie sociale : outre la criminalité et la violence urbaine qui ne cessent de croître partout, la drogue exerce des ravages toujours plus effrayants, particulièrement parmi les nouvelles générations, témoin du désespoir, de l'isolement, de l'atomisation qui gagnent toute la société.


Le capitalisme dans l'impasse
ne peut conduire qu'à la destruction de l'humanité

Si la société est parvenue à un tel degré de putréfaction, si le désespoir, le "no future", est devenu à ce point le sentiment dominant en son sein, c'est bien parce que le capitalisme, à un niveau bien plus élevé encore que par le passé, est incapable d'offrir la moindre perspective à l'humanité. Depuis plus de 20 ans, ce système est frappé par une crise aiguë et insurmontable de son économie. Dans les années 1930, la crise économique avait débouché sur la guerre mondiale. Ce n'était pas une "solution" à la crise, mais dans la mesure où la classe ouvrière, qui venait de subir la plus terrible défaite de son histoire, n'était pas en mesure d'entraver les plans de la bourgeoisie, celle-ci avait pu organiser l'ensemble de la vie sociale, ses forces politiques et économiques, en vue de la boucherie impérialiste. Mais aujourd'hui, une telle possibilité à été interdite au capitalisme. Dès que la crise a commencé à se manifester, à la fin des années 1960, elle a immédiatement provoqué une gigantesque riposte de la classe ouvrière mondiale : la grève de 9 millions d'ouvriers en mai 1968 en France, le "mai rampant" de 1969 en Italie, le soulèvement des ouvriers de Cordoba en Argentine la même année, les grèves massives des ouvriers polonais de la Baltique durant l'hiver 1970-71, et bien d'autres luttes encore de grande envergure dans de nombreux pays. C'était la preuve que la classe ouvrière avait surmonté la contre-révolution, qu'elle était désormais capable, par ses combats et par son refus d'accepter les privations que lui demandait la bourgeoisie, de barrer la route d'une nouvelle guerre mondiale, dans la mesure où des ouvriers qui rejettent les sacrifices pour l'économie nationale sont encore moins prêts à faire le sacrifice suprême, celui de leur vie.

Mais si le prolétariat avait la force d'empêcher le déchaînement d'une nouvelle boucherie généralisée, il n'avait pas encore celle de mettre en avant sa propre perspective : le renversement du capitalisme et l'édification de la société communiste. Ce faisant, il n'a pu empêcher la décadence capitaliste de faire sentir toujours plus ses effets sur l'ensemble de la société.

Dans ce blocage momentané de la situation mondiale, l'histoire ne s'est pas arrêtée pour autant. Pendant deux décennies, la société a continué de subir l'accumulation de toutes les caractéristiques de la décadence exacerbées par l'enfoncement dans la crise économique alors même que, chaque jour plus, la classe dominante faisait la preuve de son incapacité à surmonter cette dernière. Le seul projet que cette classe puisse proposer à l'ensemble de la société est celui de résister au jour le jour, au coup par coup, et sans espoir de réussite, à l'effondrement irrémédiable du mode de production capitaliste.

Privée du moindre projet historique capable de mobiliser ses forces, même le plus suicidaire comme la guerre mondiale, la société capitaliste ne pouvait que s'enfoncer dans le pourrissement sur pied, la décomposition sociale avancée, le désespoir généralisé.

Et ce désespoir ne peut que s'accroître alors que le monde actuel démontre chaque jour un peu plus qu'il n'offre aucune perspective à l'ensemble de l'humanité, sinon celle d'une barbarie croissante avec, au bout, sa propre mort. Car il ne faut pas se faire d'illusions !
Si on laisse le capitalisme en place, il finira, même en l'absence d'une guerre mondiale, par détruire définitivement l'humanité : à travers l'accumulation des guerres locales, des épidémies, des dégradations de l'environnement, des famines et autres catastrophes qu'on prétend "naturelles".

Prolétaires, jamais la prévision des révolutionnaires du siècle dernier n'a été aussi actuelle. "Socialisme ou barbarie" disaient-ils. En l'absence de révolution mondiale du prolétariat, la barbarie est maintenant généralisée et elle menace la survie même de l'humanité. Plus que jamais, le seul espoir, le seul avenir possible pour celle-ci réside dans le renversement du système capitaliste, dans l'instauration de nouveaux rapports sociaux libérés des contradictions qui étranglent la société.


LA REVOLUTION COMMUNISTE, SEUL ESPOIR POUR L'HUMANITE

Si le capitalisme s'enfonce dans une crise économique irrémédiable qui constitue la cause ultime des convulsions actuelles, s'il plonge des masses croissantes d'êtres humains dans la misère et la famine alors qu'il ne trouve pas de débouchés pour sa production, alors qu'il ferme les usines, stérilise les champs et licencie les ouvriers, c'est qu'il ne produit pas pour satisfaire les besoins mais pour vendre sur le marché, afin de réaliser un profit. Ce marché est aujourd'hui saturé, non pas que les besoins de la société soient satisfaits, mais parce qu'elle ne dispose pas des moyens d'acheter les marchandises produites, et que le capitalisme est incapable, à moins de se nier lui-même, de lui fournir de tels moyens : un capitalisme qui donnerait à ses acheteurs l'argent pour acquérir sa production, qui donnerait donc sa production, ne serait plus du capitalisme. Et le crédit dont on abuse depuis des années n'y peut rien : en provoquant un endettement généralisé, il ne fait que reporter les contradictions tout en les rendant plus explosives encore. Les campagnes idéologiques bourgeoises nous chantent aujourd'hui les louanges du marché sensé résoudre tous les problèmes que rencontre l'économie mondiale. C'est une sinistre supercherie ! C'est bien parce que le capitalisme est basé sur la production de marchandises, de valeurs d'échange et non de valeurs d'usage, que son économie plonge dans le gouffre de manière irréversible. Si les économies staliniennes ont essuyé un tel échec, ce n'est pas pour avoir aboli le capitalisme et le marché, c'est pour avoir tenté de tricher à grande échelle avec leurs lois alors qu'elles n'en étaient jamais sorties. La seule façon pour la société de surmonter la crise du capitalisme n'est pas de "faire plus de capitalisme" ou "moins de capitalisme" ou de réformer ce système. C'est de mettre à bas les lois qui le gouvernent, c'est d'abolir le capitalisme lui-même.

Seul, le prolétariat peut venir à bout du capitalisme

Et un tel bouleversement, seule la classe ouvrière est en mesure de le réaliser. Elle seule dans la société est réellement intéressée à s'attaquer radicalement aux fondements du capitalisme et en premier lieu à la production marchande qui se trouve au coeur de la crise de ce système. Car c'est justement le marché, la domination de la marchandise dans la production capitaliste, qui est à la base de son exploitation. Le propre de la classe ouvrière, contrairement à d'autres catégories de producteurs comme les propriétaires agricoles ou les artisans, c'est d'être privée des moyens de production et d'être obligée, pour vivre, de vendre sa force de travail aux détenteurs de ces moyens de production : les capitalistes privés ou bien l'Etat. C'est parce que, dans le système capitaliste, la force de travail elle-même est devenue une marchandise, et même la principale de toutes les marchandises, que les prolétaires sont exploités. C'est pour cela que la lutte du prolétariat contre l'exploitation capitaliste porte avec elle l'abolition du salariat et, partant, l'abolition de toute forme de marchandise. En outre, cette classe produit, dès à présent, l'essentiel des richesses de la société. Elle le fait dans un cadre collectif, grâce au travail associé développé par le capitalisme lui-même. Mais ce système n'a pu poursuivre jusqu'au bout la socialisation de la production qu'il avait entrepris au détriment de la petite production individuelle.

C'est bien là une des contradictions essentielles du capitalisme : sous son règne la production a acquis un caractère mondial, mais les moyens de production sont restés dispersés entre les mains de multiples propriétaires, patrons privés ou Etats nationaux, qui se vendent et s'achètent les marchandises produites. L'abolition du marché passe donc par l'expropriation de tous les capitalistes, par la prise en main collective par la société de l'ensemble de ces moyens de production. Et cette tâche, seule la classe qui ne possède aucun moyen de production, alors que c'est elle qui les met en oeuvre de façon collective, peut la réaliser.

Une telle idée n'est pas nouvelle : depuis un siècle et demi, elle a constitué le drapeau des combats ouvriers contre l'exploitation. "L'émancipation des travailleurs sera l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes" : c'était le mot d'ordre central du programme de l'Association Internationale des Travailleurs, la première Internationale, fondée en 1864. Depuis, il a été repris avec la même force par les autres internationales : l'Internationale socialiste fondée en 1889, l'Internationale communiste née en 1919 au milieu de la vague révolutionnaire et tuée en 1928 par le stalinisme. A l'heure actuelle, les campagnes bourgeoises essaient de faire croire qu'il s'agissait d'une simple utopie, une utopie dangereuse puisqu'on lui devrait, à leurs dires, l'horreur du stalinisme. Mais de la bourgeoisie et de ses médias, on ne peut attendre que des mensonges. En réalité, ce qui a été affirmé par le mouvement ouvrier depuis ses origines est resté entièrement valable. En se transformant, le capitalisme n'a pas fait disparaître la classe ouvrière comme le prétendent certains sociologues aux ordres. Ce système continue de vivre, c'est son essence même, de l'exploitation du travail salarié. Et la classe des producteurs salariés, qu'ils travaillent dans des usines ou dans des bureaux, dans des écoles ou dans des hôpitaux, continue d'être le seul porteur de l'avenir de l'humanité.

Et la preuve même que la révolution communiste du prolétariat conserve toute son actualité, c'est l'ampleur des campagnes déchaînées par la bourgeoisie sur le thème de la "fin du communisme" et la "mort du marxisme", c'est-à-dire la théorie révolutionnaire du prolétariat. Si la classe bourgeoise n'éprouvait plus aucune crainte à l'égard de ses exploités, si elle pensait réellement que la classe ouvrière ne pourra jamais plus jouer un rôle sur la scène de l'histoire, elle ne se donnerait pas tant de mal pour convaincre les prolétaires qu'ils n'ont rien à attendre de la révolution, elle n'essaierait pas, par tous les moyens, de leur donner un tel sentiment d'impuissance.


Les difficultés d'aujourd'hui n'ont pas abattu le prolétariat,
il conserve toutes ses forces pour renverser le capitalisme

C'est vrai que la gigantesque campagne orchestrée autour des événements de ces deux dernières années, l'explosion de l'ex-bloc "socialiste", l'effondrement du régime stalinien en URSS elle-même, l'éclatement de ce pays qui avait vu la révolution prolétarienne il y a trois quarts de siècle, tout celà a affaibli la classe ouvrière. Le stalinisme avait été le fer de lance de la contre-révolution bourgeoise ; avec sa mort, il rend un dernier service à la bourgeoisie en faisant respirer à la classe ouvrière la puanteur de son cadavre, alors qu'elle était déjà confrontée aux difficultés que la décomposition générale du capitalisme suscitait en son sein. Aujourd'hui, beaucoup d'ouvriers sont victimes des campagnes bourgeoises et ont abandonné tout espoir de pouvoir un jour transformer le monde et d'abolir l'exploitation capitaliste. Dans les pays de l'ex-bloc de l'Est, ceux où les prolétaires ont subi les formes les plus extrêmes de la contre-révolution, ils n'ont pas la force de s'opposer au déchaînement des illusions bourgeoises, même les plus archaïques : pour prendre le contre pied de l'"internationalisme prolétarien" dont le stalinisme avait recouvert sa politique impérialiste, ils sont submergés par l'hystérie nationaliste ; en réaction contre l'athéisme proné par les staliniens, ils sont précipités dans les bras de l'Eglise. Mais ce ne sont pas là les secteurs les plus décisifs du prolétariat mondial. Ces secteurs, c'est dans les pays capitalistes les plus avancés d'Occident qu'ils se trouvent. C'est dans cette partie du monde, et particulièrement en Europe occidentale, que vivent, travaillent et luttent les bataillons les plus concentrés, mais aussi les plus expérimentés du prolétariat mondial. Et cette partie du prolétariat n'a pas été défaite. Si elle est désorientée par les mensonges actuels, elle n'a pas été embrigadée derrière les drapeaux bourgeois, nationalistes ou démocratiques. En particulier, lors de la Guerre du Golfe, la bourgeoisie des pays développés n'a utilisé que des professionnels : c'était la preuve qu'elle était consciente que les soldats du contingent (là où il existe), c'est-à-dire les ouvriers sous l'uniforme, ne sont pas prêts à donner leur vie pour la "défense du droit ou de la démocratie". Et cette guerre s'est chargée de dévoiler plus clairement aux yeux de la classe ouvrière ce que signifiaient la démocratie et ses mensonges sur le "nouvel ordre mondial".

A l'heure actuelle, les célébrations des grand-messes démocratiques que sont les élections sont de plus en plus désertées par les prolétaires. Il en est de même des syndicats, ces organes de l'Etat bourgeois chargés d'encadrer les exploités pour saboter leurs luttes. En outre, l'aggravation inexorable de la crise économique se chargera de plus en plus de balayer les illusions sur la "supériorité" de l'économie capitaliste en même temps qu'elle obligera la classe ouvrière à reprendre le chemin des combats de plus en plus vastes et unis. Un chemin dans lequel elle n'avait cessé de progresser depuis la fin des années 1960, et particulièrement au milieu des années 1980, mais que les événements de ces deux dernières années lui ont fait momentanément quitter. Le marxisme, que la bourgeoisie s'est empressée d'enterrer avec des soupirs de soulagement prouve dès à présent qu'il n'a pas fait faillite, bien au contraire : l'aggravation actuelle de la crise, que lui seul a pu prévoir et expliquer, montre à quel point cette théorie est bien vivante. Et sa vitalité ne pourra que se conforter du ressurgissement des luttes ouvrières.

Dans cet effort de la classe ouvrière pour développer ses luttes et sa conscience, le rôle de ses éléments les plus avancés, les véritables communistes, sera de toute première importance et décisif. Aujourd'hui comme hier, "dans les différentes phases de la lutte entre le prolétariat et la bourgeoisie", les communistes ont pour tâche "de mettre en avant et de faire valoir les intérêts communs du prolétariat tout entier, sans considération de nationalité", de représenter "toujours l'intérêt du mouvement dans son ensemble" (Manifeste Communiste).
C'est pourquoi, face aux enjeux et la gravité de la situation historique présente, face au déchaînement des mensonges bourgeois et en vue de contribuer réellement à la maturation de la conscience du prolétariat ainsi qu'au développement de ses luttes, il appartient aux faibles forces révolutionnaires qui existent à l'heure actuelle, de surmonter leurs anciennes divisions et tout esprit de chapelle, d'ouvrir entre elles un débat fraternel leur permettant de clarifier leurs analyses et de participer de façon de plus en plus unie à la défense des positions communistes dans le prolétariat.

Si le prolétariat a besoin d'unité pour mener sa lutte, c'est le même esprit d'unité, qui ne peut se réaliser que dans la clarté, qui doit animer ses forces d'avant garde, les communistes.


Prolétaires,

Jamais dans l'histoire les enjeux n'ont été aussi dramatiques et décisifs que ceux d'aujourd'hui. Jamais une classe sociale n'a dû affronter une responsabilité comparable à celle qui repose sur le prolétariat. Si celui-ci n'est pas en mesure d'assumer cette responsabilité, il en sera fini de la civilisation, et même de l'humanité. Des millénaires de progrès, de travail et de pensée seront anéantis à tous jamais. Deux siècles de luttes prolétariennes, des millions de martyrs ouvriers n'auront servi à rien. Pour repousser toutes les manoeuvres criminelles de la bourgeoisie, pour déjouer ses mensonges odieux et développer vos luttes en vue de la révolution communiste mondiale, pour abolir le règne de la nécessité et accéder enfin à celui de le liberté,

Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !

Juillet-Septembre 1991

(*) La rédaction de ce Manifeste a été achevée en septembre 1991. Son principe et son contenu ont été adoptés par le 9e Congrès du CCI en juillet 1991 (Revue Internationale n° 67, oct.-déc. 1991).

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