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Revue Internationale no 2 - 3e trimestre 1975

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Leçons de la révolution allemande

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I. LA FORMATION DU PARTI COMMUNISTE ALLEMAND (SPARTAKUSBUND)

Quand se fonde le Parti Communiste Allemand, entre le 30 décembre 1918 et le 1er janvier 1919, l'opposition révolutionnaire à la Social-Démocratie semble avoir trouvé une autonomie organisationnelle.

Mais le parti allemand, apparu au moment même où le prolétariat luttait déjà dans la rue les armes à la main et prenait pour peu de temps le pouvoir dans quelques centres, manifestera aussitôt  soit le caractère hétérogène de  sa formation, soit son incapacité à s’élever à une vision globale et  complète et à affronter les taches pour lesquelles il s’était formé.

Quelles furent les forces qui s’unirent pour constituer le parti ?

Quels furent les problèmes sur lesquels aussitôt elles achoppèrent ?

Tenons-nous en aux moments qui semblent ici les plus intéressants, parce qu'ils sont capables de faire comprendre les erreurs et sont lourds de conséquences futures,

A- La trajectoire que prirent les évènements depuis le 4 août  14 fut hérissée de difficultés et de débandades. L'histoire du groupe spartakiste en est une démonstration. Son action de frein dans la clarification théorique et dans le développement du mouvement communiste est évidente.

Au temps de la "Ligue Spartakus" (Spartakusbund) — le groupe se dénommera ainsi en 1916 ; pendant toute l’année 1915, le nom du groupe fut "Internationale", du nom de la revue parue en avril 1915 —, toutes les décisions importantes furent caractérisées par les positions de Rosa Luxemburg.

A Zimmervald  (5/8 septembre 1915), les allemands seront représentés par le groupe "Internationale",  par le berlinois BORCHARDT représentant du petit groupe lié à la revue "Lichtstrahlen" ("Rayons de lumière") et par l’aile centriste proche de Kautsky.  Seul Borchardt  soutient les positions internationalistes de Lénine, tandis que les autres allemands soutiendront une motion rédigée dans les termes suivants :

"En aucun cas,  il ne doit se dégager l’impression que cette conférence veut entraîner une scission et fonder une nouvelle Internationale."

A Kienthal (24/30 avril 1916), l’opposition allemande est représentée par le groupe "Internationale" (Bertha Thalheimer et Ernst Meyer), par l'"Opposizion in der Organisation" (centristes de Hoffmann) et –par les "Bremer Linksradikalen" (radicaux de gauche de Brème) avec Paul Frölich.

Les hésitations des spartakistes ("Internationale") ne sont pas tout à fait dissipées, encore une fois, ceux-ci seront plus proche des positions des centristes que de celles de la gauche (Lénine-Frölich). E. Meyer dira :

"Nous voulons créer la base idéologique (...) de la nouvelle Internationale, mais sur le plan de l’organisation, nous ne voulons pas nous engager étant donné que tout est  encore en mouvement. "

C’est la position classique de Luxemburg pour qui la nécessité du Parti se situe plus à la fin de la Révolution que dans sa phase préparatoire et initiale ("En un mot, historiquement, le moment où nous devrons prendre la tête ne se situe pas au début mais à la fin de la Révolution").

Le fait le plus important est l’apparition sur le plan international des "Bremer Linksradikalen"([1] [1]). Déjà en 1910, le journal social-démocrate de Brème : la "Bremer BurgerseitLing" publiait des articles hebdomadaires de Pannekoek et de Radek, et c’est sous l'influence de la gauche hollandaise que se constitue à Brème le groupe autour de Knief, Paul Frölich et d’autres. A la fin de 1915, se constitueront les ISD (Internationale Socialisten Deutschland) nés de l’union des communistes de Brème avec les révolutionnaires berlinois qui publiaient la revue "Lichtstrahlen". La "Bremerlinke" devient indépendante de la Social-Démocratie, même sur le plan formel, en décembre 1916, mais déjà en juin de la même année, elle avait  commencé la publication de "Arbeiterpolitik" ([2] [2]) qui sera l'organe légal le plus important de la gauche. Y paraîtront, outre ceux de Pannekoek et de Radek, les articles de Zinoviev, Boukharine, Kamenev, Trotski et Lénine.

"Arbeiterpolitik" montra aussitôt une conscience plus mûre de la rupture avec le réformisme, et l'on pouvait lire dans son premier numéro que le 4 août fut "la fin naturelle d’un mouvement politique dont le déclin avait  été-préparé par le temps". D’"Arbeiterpolitik", surgirent les tendances qui faisaient la plus forte pression pour que  soit discutée la question du Parti. La discussion du groupe de Brème  avec les spartakistes fut difficile à cause de.la persistance de  ces derniers à rester dans, la Social-Démocratie.

Le premier janvier 1907, à la Conférence nationale du groupe "Internationale", Knief critique, l’absence de perspectives claires, et même de toute résolution de rupture nette avec, le parti Social-Démo­crate et de toute perspective de formation d'un parti révolutionnaire sur des bases radicalement nouvelles.

Tandis que le groupe spartakiste "Internationale" adhérait à la "Social-démocratische Arbeitergemeinschaft" (collectif de travail Social-Démocrate au Reichstag) et qu'apparaissaient des écrits comme :

"Lutte pour le Parti mais non contre le Parti... Lutte pour la démocratie dans le Parti, pour les droits de la masse, des camarades du Parti contre les chefs oublieux de leurs devoirs...Notre mot d’ordre n’est pas scission ou unité, nouveau ou vieux parti, mais la reconquête du Parti par la base grâce à la rébellion des masses. La lutte décisive pour le Parti est commencée".(Spartakus-Briefe, 30 mars 1916)

Dans "Arbeiterpolitik", on pouvait lire:

"Nous estimons que la scission, tant au niveau national qu’international, est non seulement inévitable mais une condition préalable de la réelle reconstitution de l'Internationale, du réveil du mouvement prolétarien des travailleurs. Nous estimons qu'il est inadmissible et dangereux de nous empêcher d’exprimer notre profonde conviction devant les masses laborieuses". (Abeiterpolitik, n°4),

Et Lénine dans  "A propos de la brochure de Junius" (juillet 1916) écrivait :

"Le plus grand défaut de tous le marxisme révolutionnaire allemand, c’est l’absence d’une organisation illégale étroitement unie, une telle organisation serait obligée de définir nettement son attitude à l’égard de l'opportunisme comme du kautskysme. Seul le groupe des  "Socialistes Internatio­nalistes d’Allemagne" (ISD)  reste à son poste, voilà qui  est clair et  sans ambiguïté pour personne".

L’adhésion des  spartakistes à l’U.S.P.D. (date de fondation : 6/8 avril 1917), parti centriste qui n’était pas différent, sinon en proportions, de la Social-Démocratie et était lié à la croissante radicalisation des masses (et pour  être plus clair, disons qu'en firent partie Haase,  Ledebour,  Kautsky, Hilferding et Bernstein)  rendit  encore plus durs et exaspérés les rapports entre les communistes de Brème et les spartakistes. Si en mars 1917, on lisait  encore dans "Arbeiterpolitik" :

"Les radicaux de  gauche se trouvent devant une grande décision. La plus grande responsabilité se trouve entre les mains du groupe "Internationale" en qui, en dépit des critiques que nous avons du lui faire, nous reconnaissons le groupe le plus actif et le plus nombreux le noyau du futur parti radical de gauche.  Sans lui,  nous devons  en convenir franchement,  nous ne pourrons — nous et l'ISD — construire dans un délai prévisible un parti capable d'agir. C’est du groupe Internationale qu’il dépend que la lutte des radicaux de gauche se mène ne un front ordonné sous un drapeau à eux, sinon en attendant en une petite armée, où bien que les oppositions à l’intérieur du mouvement ouvrier qui sont apparues dans le passé et dont la compétition est un facteur de clarification, mettent longtemps à se régler dans la confusion et d’autant plus lentement" . (Souligné par nous).

Devant l'adhésion du groupe  spartakiste à l'USID,  on pouvait y lire :

"Le groupe "Internationale" est mort… un groupe de  camarades s'est constitué en comité d’action pour construire  le nouveau parti".

En effet, en août 1917, se tint  à Berlin une réunion de délégués de Brème, Berlin, Francfort et d'autres villes d'Allemagne, pour jeter les bases du nouveau Parti. A cette réunion, participa Otto Ruhle avec le groupe de Dresde. Dans le groupe spartakiste lui-même se manifestèrent des positions très proches des  "Linksradikalen" qui n'acceptèrent pas les compromis organisationnels de la Centrale autour de Rosa Luxemburg. Ce fut d'abord l'opposition des groupes de Duisburg, Francfort et Dresde à l'adhésion de 'l'Arbeiterge-meinschaft" (l'organe du groupe de Duisburg, "Kampf " engagea une vive discussion contre cette adhésion); par la suite, d'autres groupes comme par exemple celui de Chemnitz avec Heckert qui était important,  manifestèrent leur opposition à l'adhésion à l'USPD. Ces groupes partageaient pratiquement ce qu'exprimait Radek dans  "Arbeiterpoli­tik". :

"L'idée de construire un parti avec les centristes est une dangereuse utopie. Les radicaux de gauche, que les circonstances s'y prêtent ou non, doivent, s'ils veulent remplir leur tâche historique, construire leur propre parti".

Liebknecht lui-même,  plus lié au bouillonnement de la classe, exprimait sa propre position dans un écrit de prison (1917) dans lequel, cherchant à saisir les forces vives de la révolution, il distinguait trois couches sociales au sein de la Social-Démocratie alle­mande; la première était formée des fonctionnaires  stipendiés, base sociale de la politique de la majorité du parti Social -Démocrate. La seconde était formée des    travailleurs les plus aisés et les plus instruits. Tour eux, l'importance du danger de voir éclater un grave conflit  avec la classe dominante n'était pas claire. Ils veulent réagir et lutter, mais ne sont pas décidés à franchir le Rubicon. Ils  sont la base de la "Sorialdemocratische Arbeiterge-meinschaft", la troisième, enfin, "des masses prolétaires de travailleurs sans instruction. Le prolétariat dans son sens réel, strict. Seule cette couche,  par son état actuel,  n'a rien à perdre. Nous soutenons ces masses : le prolétariat".

B – Tout ceci démontre deux choses :

l)   qu'une importante fraction du groupe spartakiste s'orientait dans la même direction que les radicaux de gauche, en se heurtant  au centre minoritaire représenté par Rosa Luxemburg,  Jogisches,  Paul Levi.

2)   Le caractère fédéraliste non centralisé du groupe spartakiste.

La Révolution Russe, les désaccords qui se manifestaient entre les spartakistes et la majorité de l'USPD à propos de cette révolution, poussèrent "Ar­beiterpolitik" à reprendre les discussions avec les spartakistes ([3] [3]). Les communistes de Brème n'avaient jamais dissocié la solidarité avec la révolution russe d'avec l'exigence de former un Parti  communiste en Allemagne. Pourquoi, se demandaient les communistes de Brème : la révolution avait triomphé en Russie ?

"Uniquement et seulement par le fait qu’en Russie, c'est un Parti autonome de radicaux de gauche qui dès le début porta le drapeau du socialisme et combattit avec l’emblème de la Révolution Sociale. Si l'on pouvait,   avec bonne volonté, trouver encore à Gotha des raisons à l'attitude du groupe "Internationale", aujourd'hui,  tout semblant de justification d'une association avec les Indépendants s'est  évanoui. Aujourd'hui, la situation internationale rend encore plus urgente la nécessité de fonder un parti propre des radicaux de gauche.

"Nous avons de toute façon la ferme volonté de consacrer toutes nos forces à créer en Allemagne les conditions pour un "Linksradikalen Partei"  (parti des radicaux de gauche). Nous invitons donc nos amis,  nos camarades du groupe "Internationale", vue la faillite dans laquelle, depuis bientôt neuf mois, s'enfonce la fraction et le parti des Indépendants; vues les répercussions corruptrices du compromis de Gotha (lesquelles portent préjudice à l'avenir du mouvement radical en Allemagne([4] [4]), à rompre sans ambiguïté et ouvertement avec les pseudo  socialistes indépendants et à fonder le propre parti des radicaux de gauche…" (souligné par nous) (Arbeiterpolitik, 15-12-1917).

Malgré tout, une année devra encore s’écouler avant la fondation du Parti en Allemagne, et tout cela alors que la tension sociale augmentait : des grèves de Berlin d'avril 17 à la révolte de la flotte pendant l'été, et à la vague de grèves de janvier 18 (Berlin, Ruhr, Kiel Brème, Hambourg, Dresde) qui dura pendant tout l'été et l'automne.

C - Voyons à présent quels autres groupes mineurs caractérisaient la situation allemande.

Nous avons écrit plus haut que les ISD regroupaient aussi le groupe berlinois autour de la revue "Lichtstrahlen". Le représentant le plus important en était Borchardt. Les idées qu'il développait dans la revue étaient violemment anti Social-démocrates,  mais annonçaient déjà par leur orientation anarchisante la rupture avec les communistes de Brème. "Arbeiterpolitik" faisait observer que:

"A la place du parti, il (Borchardt) met une secte propagandiste à forme anarchiste".

Plus tard,  les communistes de gauche le considérèrent comme un renégat et le baptisèrent  "Julien l'Apostat".

A Berlin, Werner Möller (déjà adhérent aux "Lichtstrahlen" devint le plus assidu collaborateur d’"Arbeiterpolitik" puis son représentant. Il sera sauvagement tué de sang-froid par les hommes de Noske en janvier 19. A Berlin, le courant de gauche sera très fort,  avec, entre autres, les Sparta­kistes  (puis le KAPD) Karl Schroder et Friederich Wendel.

Le groupe de Hambourg occupe une place particulière dans l'opposition révolutionnaire à la Social Démocratie.

Il n'adhéra pas aux ISD jusqu'en novembre 1918, quand, sur une position de Knief, ceux-ci changèrent de nom pour devenir les IKD : Internationale Kommunisten Deutschland, le 23 décembre 18. Les chefs de file furent, à Hambourg, Henrich Laufenberg et Frits Wolffeim. Ce qui les distinguait des communistes de Brème fut une polémique plus  acerbe contre les chefs,  à tonalité syndicaliste et  anarchiste.

"Arheiterpolitik"  se maintenait,  au contraire, sur des positions correctes lorsqu'il écrivait le 28 juillet  1918 : "La cause des "Linksradikalen", la cause du futur parti communiste allemand dans lequel; tôt ou tard,   devront affluer tous ceux qui  sont restés fidèles aux anciens idéaux, ne dépend pas de grands noms. Au contraire, ce qui est vraiment et doit être l'élément nouveau si nous devons un jour atteindre le  socialisme,  c'est que la masse anonyme prenne en main sa propre destinée : que chaque camarade pris individuellement y contribue de sa propre initiative, sans se préoccuper qu’il ait avec lui de "grands noms", (souligné par nous).

Ce qui distinguait aussi le groupe de Hambourg, c'était le caractère toujours plus ouvertement syndicaliste de son orientation politique, lequel venait en partie du militantisme de Wolffheim dans les IWW quand il avait vécu aux USA.

On peut dire que la meilleure expression de cette période de mouvement de la classe en Allemagne se trouvait, sans aucun doute, chez les communistes de Brème. Dire cela, veut dire aussi mettre en lumière toutes les tergiversations, les erreurs du groupe spartakiste (et donc de son meilleur théoricien, Rosa Luxemburg)   en matière d'organisation, de conception du processus révolutionnaire, de la fonction à assigner au parti.

Il  est  clair que relever les  erreurs de Rosa Luxemburg ne signifie pas qu'il faille rejeter ses batailles, sa lutte héroïque,  mais cela permet de comprendre qu'à côté de  sa vision prémonitoire dans sa lutte théorique contre  Bernstein et Kautsky,  elle défendait des positions que nous ne pouvons pas accepter.

Nous n'avons pas de dieux à vénérer, mais nous devons, par contre, faire face à la nécessité de comprendre les erreurs du passé pour pouvoir les éviter, à la nécessité de savoir tirer du mouvement prolétarien des indications utiles et non achevées, entre autres celles qui  concernent la fonction et le rôle organisationnel des révolutionnaires.

Pour être à la hauteur de nos propres tâches, il s'agit aussi de comprendre le lien indissoluble qui  existe entre l'activité des petits groupes lorsque la contre-révolution domine (et l’exemple du travail de "Bilan" et d'"Internationalisme" en est l'éloquente démonstration) et l'action du groupe politique quand les contradictions insurmontables du capitalisme poussent la classe à l'assaut révolutionnaire. Il ne  s'agit plus alors de défendre les positions, mais, sur la base de ces positions en constante élaboration, sur la base du programme de classe, d'être capables de cimenter la spontanéité de la classe, d'exprimer la conscience de classe, d'unifier ses forces en vue de l'assaut décisif, en d'autres termes, de construire le parti, moment essentiel de la victoire prolétarienne.

Mais les partis ne se créent pas de toutes pièces, pas plus que les révolutions. Expliquons-nous. Les artifices organisationnels n'ont jamais servi à quoi que ce soit au contraire, ils ont même souvent servi la contre-révolution. S'autoproclamer Parti,  se construire comme tel  en période contre-révolutionnaire, est une absurdité, une erreur très grave qui dénote une incompréhension du fondement de la question, lorsqu'il n’y a aucune perspective révolutionnaire. Mais on peut considérer comme tout aussi grave le fait de laisser cette tache de côté, ou de la renvoyer au moment où ce  sera déjà trop tard. Dans le cadre de notre étude, c'est ce second aspect qui présente le plus d'intérêt.

Celui qui parle d'une spontanéité qui résoudrait tous les problèmes fait, en fin de compte, l'éloge d'une spontanéité inconsciente et non du passage de la spontanéité à la conscience; il ne réussit ou ne veut comprendre que cette prise de conscience de la classe dons la lutte doit l'amener aussi à reconnaître la nécessité d'un instrument adéquat pour prendre d'assaut l'Etat,  forteresse du capital.

Si la spontanéité de la classe est un moment que nous revendiquons, le spontanéisme — c'est-à-dire la théorisation de la spontanéité — tue la spontanéité, se traduit par des recettes toutes faites, par l'être-là-où-sont-les-masses,  par le fait de ne pas savoir être contre le courent dans les moments d'arrêt et de reflux pour être "avec le courant" dans les moments décisifs. Les déviations de Luxemburg sur les questions organisationnelles se retrouvent aussi dans sa conception de la conquête du pouvoir et nous ajouterons que c'est inévitable étant donné l'étroite connexion entre ces deux questions : '

"La conquête du pouvoir doit se faire non d'un seul coup, mais par la marche progressive en nous enfonçant dans l’Etat bourgeois jusqu'à ce que nous occupions toutes les positions et les défendions becs et ongles". (cité par Prudhommeaux : Spartokus et la Commune de Berlin)

Mais malheureusement, ce n'est pas encore terminé. Tandis que Paul Frölich (représentant du groupe de Brème)  lançait en novembre 1918 cet appel de Hambourg :

"C'est le début de la révolution allemande,  de la révolution mondiale! Vive la plus grande action de la révolution mondiale!  Vive la république allemande des ouvriers! Vive le bolchevisme mondial!"

Rosa Luxemburg, un peu plus d'un mois plus tard, au lieu de se demander pourquoi une attaque si massive du prolétariat allait être défaite, disait :

"Le 9 novembre,  les ouvriers et les soldats ont détruit le vieux régime en Allemagne. (…) Le 9 novembre, le prolétariat s'est soulevé et il a secoué le joug infâme. Les Hohenzollern ont été chassés par les ouvriers et les soldats formés en conseils." (Prudhommeaux,  cit.)

C'était comme une révolution qu'elle interprétait le passage du pouvoir des mains de l'équipe de Guillaume II à celles de Ebert-Scheidemann-Haase, et non comme une relève de la garde contre la révolution ([5] [5]).

L'incompréhension de la fonction,  du rôle historique de la Social-Démocratie lui  coûtera la vie,  tout comme à Liebknecht et à des milliers de prolétaires. Le KAPD saura tirer des leçons de cette expérience  (l'un des points sur lequel porte son opposition fondamentale à l'IC et au KPD, est  son refus de tout contact avec l'USE); mais nous y reviendrons plus loin), ainsi que la Gauche Italienne. Bordiga écrivait le 6 février  1921 dans "Il communista",  un article intitulé "La fonction historique de la social-démocratie" dont nous extrayons quelques passages :

"La Social-Démocratie a une fonction historique, en ce sens qu'il y aura probablement dans les pays de l'Occident, une période où les partis social-démocrates seront au gouvernement, seuls ou en collaboration avec les partis bourgeois. Mais là où le prolétariat n'aura pas la force de l'éviter, un tel intermède ne représentera pas une condition positive, nécessaire à l'avènement des formes et des institutions révolutionnaires ; il ne sera pas une préparation utile à ceux-ci, mais constituera une tentative désespérée de la bourgeoisie pour diminuer et dévier la force d'attaque du prolétariat, pour enfin l'écraser  sons pitié sous les coups de la réaction blanche, au cas où il lui resterait assez de forces pour oser se révolter contre le légitime, l'humanitaire,  le décent gouvernement de la social-démocratie".

"Pour nous, il ne peut y avoir d'autre transfert révolutionnaire du pouvoir, que des mains de la bourgeoisie dominante à celles du prolétariat, de même qu'on ne peut concevoir d'autre forme de pouvoir prolétarien que la dictature des conseils".

II LES BALBUTIEMENTS DU PARTI COMMUNISTE ALLEMAND (Spartakusbund)

Nous avons commencé cette étude par le Congrès de formation du PARTI COMMU­NISTE ALLEMAND (30 déc. 1918 - 1er janv. 1919) et parcouru à rebours l'histoire de sa formation; nous reprenons maintenant la marche en avant à partir de ce point de départ.

A — Le congrès de formation cristallise, pour ainsi dire, deux conceptions et deux positions diamétralement opposées. D'une part, la minorité autour de Luxemburg, Jogiches,  Paul Levi,  qui regroupait les personnages les plus importants du nouveau parti, et qui, bien qu'étant une minorité,  en assumait la direction  (ses railleries et son quasi-refus de garantir l'expression des positions prépondérantes de la gauche — seul Frölich sera admis à la centrale — aboutiront quelques mois plus tard dans la Farce du Congrès de Heildelberg). D'autre part,  la grande majorité du Parti: la rage et la potentialité révolutionnaire qu’expriment le groupe des IKD et une bonne partie des spartakistes, Liebknecht à leur tête. Les positions de la gauche triomphent à une écrasante majorité.  Contre la participation électorale,  pour la sortie des syndicats, pour l’insurrection.

Mais il leur manque une vision claire des tâches immédiates à affronter,  de la préparation de l'attaque insurrectionnelle qui est aussi militaire, de la fonction centralisatrice et de direction du Parti. Une sorte de fédéralisme et d'indépendance régionaliste règne en maître. A Berlin, on ignore ou presque ce qui se passe dans la Ruhr, le centre ou le sud ;  et vice-versa. La "Hôte Fahne" elle-même reconnaît, le 8 janvier 19,  que "l'inexistence d'un centre chargé d'organiser la classe ouvrière ne peut plus durer  ...  Il fait que les ouvriers révolutionnaires mettent sur pied des organismes dirigeants en mesure de guider et d'utiliser l'énergie combative des masses". Et notons bien que l'on n'y parle que de la situation à Berlin !

La désorganisation croît encore et atteint son paroxysme après la mort de Luxemburg et de Liebknecht. Le parti, au moment où il v est réduit à la clandestinité et soumis à la terreur contrerévolutionnaire, se retrouve sans tête. Les Républiques Soviétiques qui  surgissent un peu partout en Allemagne: Brème, Munich,  Bavière, etc., sont une à une défaites,  les combattants prolétariens anéantis. La vague prolétarienne, l’immense potentialité que contient la classe subissent un reflux.  On ne peut pas ne pas citer intégralement la lettre que Lénine adressa,  en avril  1919 à la République Soviétique de Bavière.  Il est inutile de dire que la plus grande partie des "mesures concrètes" dont  s'informait. Lénine, ne fut jamais prise.

SALUT A LA REPUBLIQUE SOVIETIQUE DE BAVIERE.

"Nous vous remercions de votre message de salutations et, à notre tour,  nous saluons de tout cœur la République des Soviets de Bavière. Nous vous prions instamment de nous faire savoir plus souvent et plus concrètement quelles mesures vous avez prises pour lutter contre les bourreaux bourgeois que sont Scheidemann et Cie; si vous avez créé des soviets d'ouvriers et de gens de maison dans les quartiers de la ville; si vous avez armé les ouvriers et désarmé la bourgeoisie;  si vous avez utilisé les dépôts de vêtements et d'autres articles pour assister immédiatement et largement les ouvriers, et  surtout les journaliers et les petits paysans; si vous avez exproprié les fabriques et les biens des capitalistes de Munich, ainsi que les exploitations agricoles capitalistes des environs;  si vous avez aboli les hypothèques et les fermages des petits paysans; si vous avez doublé ou triplé le salaire des journaliers et des manœuvres; si vous avez confisqué tout le papier et toutes les imprimeries pour publier des tracts et des journaux de masse; si vous avez institué la journée de travail de six heures avec deux ou trois heures consacrées à l'étude de l'art d'administrer par l'Etat ;  si vous avez tassé la bourgeoisie à Munich pour installer immédiatement les ouvriers dans 11 les appartements riches ; si vous avez pris en main toutes les banques; si vous avez choisi des otages parmi la bourgeoisie ; si vous ayez établi une ration alimentaire plus élevée pour les ouvriers que pour les bourgeois; si vous avez mobilisé la totalité des ouvriers à la fois 11 pour la défense et pour la propagande idéologique dans les villages avoisinants. L'application la plus urgente et la plus vaste de ces mesures ainsi que d'autres semblables, faites en s'appuyant sur l'initiative des soviets d'ouvriers, de journaliers, et, séparément, de petits paysans, doit renforcer votre position. Il est indispensable de frapper la bourgeoisie d'un impôt extraordinaire et d'améliorer pratiquement, immédiatement et coûte que coûte la situation des ouvriers journaliers et petits paysans. Meilleurs vœux et souhaits de succès". Lénine

L'impréparation théorique, l'incapacité d'être à la hauteur de ses tâches que la situation requiert, provoqueront aux premiers signes de recul une scission dans le mouvement allemand. D'une part, on commencera à tourner les yeux en direction du bolchevisme, de la Russie victorieuse, à reprendre sa propagande, ses indications stratégiques et tactiques, pour tenter avec absurdité de les plaquer sur l'Allemagne. Pour donner un exemple : le cas de Radek est typique ; porte parole des communistes de Brème et de l'aile la plus intransigeante du mouvement,  il sera,  après le recul momentané de le lutte, pendant l'été 19, l'un des artisans avec Paul Levi, du congrès de Heidelberg (octobre 1919) où les conquêtes du Congrès de formation du parti seront répudiées au profit de l'usage, à nouveau de l'"instrument" électoral, des syndicats ultra réformistes où les communistes devraient développer leur activité, et pour finir, des "lettres ouvertes" et du front unique.

De quelle, valeur est alors l'appel à la centralisation, lorsque les événements prennent une voie contraire à celle du développement du mouvement spontané.

D'autre part, l'aile révolutionnaire qui refusa ce choix et sera bien plus féconde en conseils et indications, devra affronter, une fois constituée organisationnellement, un mur compact et des difficultés croissantes.

B - La révolution mondiale a-t-elle échoué a cause des insuffisances de la révolution russe ou bien la révolution russe a-t-elle échoué a cause des insuffisances de la révolution mondiale ?

La réponse n'est pas simple et demande la compréhension de la dynamique sociale de ces années. La révolution russe fut un magnifique exemple pour le prolétariat occidental. La 3ème Internationale fondée en Mars 1919 est un exemple de la volonté révolutionnaire des bolcheviks et fut, de leur part, une réelle tentative de s'appuyer sur les communistes européens. Mais les difficultés internes de la révolution russe qui  surgirent dès la fin de la guerre civile et n'avaient pas de solution à l'intérieur du  cadre russe,  la défaite de la première phase de la révolution allemande, (janvier-mars 19), et celle de la République Hongroise des Conseils, ont convaincu les communistes russes que la perspective de révolution en Europe se serait éloignée. Selon eux,  il ne s’agissait plus alors que de récupérer pour toute cette période, la grande masse des travailleurs, de convaincre les masses social-démocrates de la justesse des positions communistes,  etc. On tendait à récupérer l'USPD en la voyant pour commencer comme l'aile droite du mouvement ouvrier et non comme la fraction de la bourgeoisie, plutôt qu’à mener une lutte théorique contre la sociale-démocratie Plutôt qu'à se mettre à  l’écoute des couches la classe en fondant la nécessité d’attaquer et de démasquer la social-démo­cratie sur la volonté de lutte de celles là.

Nous pouvons donc dire que si les hésitations des communistes d'occident tendent à être funestes pendant toute une première phase (1918-19), ce fut l’Internationale Communiste elle-même qui devint un obstacle à l'éclosion — même tardive — de l'authentique avant-garde prolétarienne en Europe quand la situation y est encore révolutionnaire (et nous ne parlons que des années 1920-21, après lesquelles on peut parler pendant deux ans encore de réaction prolétarienne contre les assauts de la bourgeoisie - cf. Hambourg 1923- et encore après une seule véritable défaite du prolétariat par un massacre.)

Si le passage d'une situation à une autre se fait graduellement, nous pouvons malgré tout fixer comme moment qui manifeste le renversement de son cours, la dissolution du bureau d'Amsterdam par l'Internationale Communiste, et le texte de Lénine "Le Gauchisme, maladie infantile du communisme".

Retournons aux vicissitudes du Parti Communiste Allemand; le 17 août 1919 une conférence nationale est convoquée à Francfort, L'attaque de Lévi dirigée contre la Gauche est un échec; mais, en octobre de la même année, à Heildelberg, elle a en quelque sorte des résultats. Dans un congrès clandestin avec une maigre représentation de l'ensemble du district, au complet insu de quelques-uns, la scission est décidée en pratique avec le changement des positions programmatiques de janvier. Au point 5 du nouveau programme que se donne le Parti, il est écrit :

"La révolution qui ne se fait pas d'un seul coup mais est la longue et persévérante lutte d'une classe opprimée depuis dès millénaires, et par conséquent non pleinement consciente de sa mission et de sa force, est sujette au flux et au reflux. (souligné par nous)

            Et Lévi, peu après, soutiendra que la nouvelle vague révolutionnaire surgirait en … 1926 !

Mais la décision d'expulser les gauchistes, les "aventuristes", ne fut pas prise officiellement, et c'est en 1920, au III° Congrès du KPD,  qu'elle sera résolue. La gauche,  après Heildelberg, cherche à se structurer en KPD O (O=Opposition) de sorte qu'à la fin des premiers mois de 1920, on avait pratiquement deux organisations du KPD : le KPD S et le KPD O. Tout ceci dans une situation extrêmement chaotique. Les informations qu'ils réussissaient à faire parvenir à Moscou étaient infimes et fragmentaires. Lénine dans "Salut aux Communistes italiens,  français et allemands",  daté du 10 octobre 1919,  écrivait :

" Des communistes allemands,  nous savons seulement qu'il existe une presse communiste dans beaucoup de villes. Il est normal que dans un mouvement qui s'étend rapidement, qui subit des persécutions aussi acharnées,  surgissent des dissensions assez âpres. C'est une maladie de croissance. Les divergences au sein des communistes allemands se réduisent, pour autant que je puisse en juger,  au problème de l’"utilisation des possibilités légales",  de l'utilisation du Parlement bourgeois,  des syndicats réactionnaires,  de la loi sur les conseils qu'ont dénaturé scheidemanniens et kautskystes, de la participation à ces institutions ou à leur boycott".

Et il  concluait à l’utilisation en donnant raison à Lévi.

Mais le problème central, qui se manifestera quelques mois après, sera :

-     ou lutte révolutionnaire illégale et préparation militaire ;

-     ou activité légale dans les syndicats et au Parlement.

C'est le terme de la confrontation entre les deux "lignes" du KPD.

Le centre de l’Opposition se situa pendant quelques temps à Hambourg. Mais rapidement,  Laufenberg et Wolffhein commencèrent à être discrédités. Ce sont eux qui commencèrent à élaborer la théorie du national-bolchevisme selon laquelle la défense de l’Allemagne contre l'Entente était un devoir révolutionnaire à remplir,  même au prix de l'alliance avec la bourgeoisie allemande ([6] [6]). C'est alors Brème qui fonctionnait déjà comme centre d'informations qui devint le point de référence du communisme de gauche. Le  "centre d'information" de Brème lutta sur deux fronts jusqu'au début de 1920 : contre la Centrale du Parti et contre Hambourg. Brème ne chercha pas à scissionner, mais tenta de mettre en discussion les résultats du Congrès de Heidelberg, mais la Centrale de Lévi  s'opposa à toute discussion aidée en cela par la lutte contre le "national-bolchevisme"  des hambourgeois. La tentative du putsch militaire de Kapp, en donnant aux divergences un contenu "pratique" mit fin à toute discussion. Voyons la riposte prolétarienne à cette tentative de putsch, et le comportement des diverses organisations :

"Dans la Ruhr la Reichswehr n'a pas immédiatement clarifié sa position envers Kapp et étant donné que tous,  de l'ADGE ([7] [7]) et la social-démocratie aux centristes et au KPD (S), lancèrent le mot d'ordre de grève générale (bien que la centrale du KP fut un peu hésitante dans les premiers jours,),, la situation aurait eu des possibilités révolutionnaires, si la direction des syndicats et des partis parlementaires avait été brisée; en effet,  de nombreuses zones comme la Ruhr en Allemagne centrale n' avaient pas connu les grandes défaites ouvrières des années précédentes, comme celles qui s'étaient produites à Berlin Munich Brème Hambourg etc.

Dans la Ruhr, il y avait une forte tension entre la Reichswehr et les prolétaires, et ce fut la situation engendrée par les Kapp-putsch, qui provoqua immédiatement l'armement des prolétaires en grève (le fait, que de nombreux ouvriers combatifs eussent réussi à se libérer de la domination de l'ADGB en adhérant à la Fau, avait aussi son importance). A cause du caractère démocratiste et constitutionnaliste de la grève générale, les Indépendants et de nombreux so­ciaux-démocrates ne purent, dans les premiers jours, que tenter de modérer l'agressivité prolétarienne, bien que sans succès dans la première période d'avancée. Le développement de la situation fut le suivant:localement, dans chaque ville, indépendamment des syndicats, se formèrent des troupes de prolétaires qui prenaient les armes contre les soldats de la Reich­swehr. Les villes insurgées se réunirent et marchèrent contre les villes encore aux mains de .l'armée, pour soutenir les ouvriers locaux.

Pendant qu'une partie de l'"Armée Rouge" de la Ruhr, comme elle s'appelait, repoussait la Reichswehr hors de la Ruhr,  en formant un front parallèle au Lippe,  d'autres groupes d'ouvriers prenaient une à une les villes de Remscheid, Essen, Dusseldorf, Mulheim, Duisburg, Hamborn et Dinkslaken, et repoussaient la Reichswehr le long du Rhin jusqu'à Wesell dans une courte période, entre le 18 et le 21 mars.

Le 20 mars, l'AGDB, après l'échec du putsch déclara la grève générale terminée et le 22 mars, la SD et l'USPD firent de même. Le 24 mars, des représentants du gouvernement social-démocrate, de la SD, de l'USPD et d'une partie du KPD conclurent un accord à Bielefeld, qui proclama le cessez-le-feu, le désarmement des ouvriers et la liberté pour les ouvriers qui avaient commis des actes "illégaux".

Une grande partie de l'Armée Rouge n'accepta pas l'accord et continua la lutte.

Le 30 mars, le gouvernement social-démo­crate et la Reichvehr adressèrent un ultimatum aux prolétaires:   accepter immédiatement l'accord ou bien la Reichwehr dont la force avait au moins quadruplé, grâce à l'arrivée de corps-francs venant de la Bavière, de Berlin, de l'Allemagne du Nord et de la Baltique,  commençait une nouvelle offensive.

La coordination entre les diverses troupes ouvrières étaient désormais minimes à cause de la trahison des Indépendants, le centrisme du KPD (S)   et des syndicalistes et la rivalité entre les trois centrales militaires de l'Armée Rouge.

La Reichwehr et les nombreuses troupes blanches ouvrirent une vaste offensive sur tous les fronts : le 4 avril, Duis burg et Mulheim tombèrent, le 5, Dortmund et le 6,  Gelsenkirchen.

Une terreur blanche très dure commença; elle fit des victimes non seulement parmi les ouvriers armés, mais aussi parmi leurs, familles qui furent massacrées, et parmi de jeunes ouvriers qui avaient aidé les combattants blessés à l'arrière du front.

L'Armée Rouge de la Ruhr encadra entre 80.000 et 120.000 prolétaires, elle parvint à organiser une artillerie et une petite aviation. Le développement des luttes a formé  ses trois centres militaires:

a - Hagen dirigée par l'USPD, accepta sans hésitation l'accord de Bielefeld.

b - Essen, dirigé par le KPD et par la gauche Indépendante: il fut reconnu comme Centrale Supérieure de l'armée le 25 mars. Quand le gouvernement  social-démocrate mit les ouvriers devant  son ultimatum du 30 mars,  cette centrale donna le mot d'ordre très ambigu de retour à la grève générale  (alors que les ouvriers étaient armés et en lutte!)

c - Mulheim, dirigé par les communistes de gauche et des syndicats révolutionnaires. Il suivait complètement la Centrale militaire de Essen, mais lorsque celle-ci réagit de façon centriste à l'accord de Bielefed la Centrale de Mulheim donna le mot d'ordre "luttez jusqu'au bout".

Les trois centrales de l'USPD,  du KPD(S) m   et de la FAUD(S) ([8] [8]) eurent en commun la position tout à fait ignoble, à savoir qu'elles considéraient ces luttes comme "aventuristes".

Aucune centrale nationale ne prit la direction des luttes : le mouvement prolétarien local montra toute sa volonté de centralisation, à l'intérieur des limites de ses n forces locales.

Même en Allemagne Centrale,  les prolétaires s’armèrent et, sous la direction du communiste M.Hoelz, de nombreuses villes autour de Halle s'insurgèrent, mais le mouvement ne put aller plus loin, car le KPD(S) très fort à Chemnitz où il était la parti le plus grand, se contenta d’armer les ouvriers en accord avec les sociaux-démocrates et les Indépendants et d'attendre le retour de Ebert au gouvernement.

Brandler, qui dirigeait le conseil ouvrier de Chemnitz, conçut son rôle de dirigeant comuniste local comme    consistant à éviter  que des luttes n’éclatent entre les communistes de Hoelz qui voulaient s'armer avec les nombreuses armes abandonnées par la Reichwehr à Chemnitz et aux alentours, et les sociaux-démocrates, qui  furent tout le temps prêts à attaquer les révolutionnaires, tentant plusieurs fois de lancer la Heimwehr  (groupes blancs armés de la bourgeoisie locale) contre eux.

Le centrisme du KPD(S)  fut pleinement  révélé par le fait que, alors que les ouvriers étaient en lutte, la Centrale de Lévi donna, le 26 mars, le mot d'ordre d'opposition loyale en cas de gouvernement "ouvrier" entre les sociaux-démocrates et les Indépendants. "Die Rote Fahne",  organe " central du KFD (S) écrivait  (n°32, 1920) : "L'opposition loyale, nous la comprenons ainsi : aucune préparation à la prise de pouvoir armé, liberté naturelle pour l'agitation du Parti,  pour son but et  ses solutions". L e KPD abdiquait officiellement  ses buts révolutionnaires, le faisant à un moment où plus que jamais, le prolétariat allemand avait besoin du Parti Communiste révolutionnaire.

C'est donc un résultat historique naturel que les communistes de gauche, devant la trahison de la section de la IIIème Internationale, aient formé le mois suivant (avril 1920) le KAPD, Parti Communiste Ouvrier d'Allemagne".

Il semble ici que ce long extrait de "La gauche Allemande et la question syndicale dans la IIIème Internationale"  (travail par lequel une importante partie du PCI a rompu avec lui en 1972) n'appelle aucun commentaire.

Au cours de ces mois, un autre événement important survient l'abandon du KPD (O) par la Bremerlinke et son retour au sein du KID (S)  où elle jouera un rôle d'opposition interne avec Frölich et Karl Becker (nous verrons par la suite sa position au cours des années suivantes et en particulier au printemps 1921). Nous ne possédons pas tous les éléments pour comprendre et porter un jugement sur ce qui fut un coup très rude pour le communisme de gauche et un grand succès pour la direction de Lévi. Ce qui influença certainement la décision du groupe de Brème, ce fut le sentiment de fidélité à l'IC (qui donnais on soutien au KH) S tout en émettant de fortes réserves) et sa nette opposition au groupe de Hambourg avec Laufenberg et Wolffheim.

Nous avons omis jusqu'ici de parler des syndicats,  des Conseils et des Unions qui furent les points centraux du débat et des divergences au sein du mouvement allemand. La complexité de la question, nous a invité à déblayer d'abord les autres points pour pouvoir ensuite traiter (succinctement) de façon la plus claire possible,   la "question syndicale". C'est ce que nous chercherons à faire dans un prochain texte.

S.


[1] [9] Les historiens et l‘historiographie ont utilisé le terme de  "Linksradikalen" pour désigner des groupes comme celui de Brème ou celui de Hambourg, puis ensuite ceux du KAPD  et les Unions. Le terme "Ultralinke" fut au contraire employé pour désigner l'opposition de gauche (Priesland-Fischer-Maslov) au cours des années suivantes au sein du KPD.

[2] [10] Pour la publication d’"Arbeiterpolitik", il y eut même une  souscription parmi les ouvriers des chantiers navals de Brème.

[3] [11] Sur l'interprétation des événements russes, il existait toutes sortes de divergences entre les communistes de Brème et les Spartakistes. Citons seulement la question de l'usage de la "terreur révolutionnaire". Pour le groupe de Brème, Knief critiqua durement la position de Luxemburg sur son refus d'utiliser la terreur de classe dans la lutte révolutionnaire.

[4] [12] C'est à Gotha que les Spartakistes adhèrent à l'USPD.

[5] [13] Au IV° Congrès de l'IC (nov. 1922), Radek reprendra cette position en disant qu'on devait remercier la Social-démocratie "d'avoir fait le plaisir d'abattre le Kaiser".

[6] [14] La position "national-bolcheviste"  sera reprise sans soulever autant de scandales par le KPD en 1923.  Brandi er et Thalheimer firent des déclarations du style :   

"Dans la mesure où elle mène une lutte défensive contre l'impérialisme, la bourgeoise allemande joue dans la situation qui s'est créée,  un rôle objectivement révolutionnaire, mais en tant que classe réactionnaire, elle ne peut .utiliser les seules méthodes qui permettraient de résoudre le problème".

"Dans ces circonstances, la condition de la victoire prolétarienne est la lutte contre la bourgeoisie française et  sa capacité de soutenir la bourgeoisie allemande dans cette lutte, en assumant l'organisation et la direction de la lutte défensive sabotée par la bourgeoisie".

Et dans "Imprekor" de juin 1923, on lisait  :

"Le national-bolchevisme n'aurait été en 1920 qu'une alliance pour sauver, les généraux qui immédiatement  après leur victoire auraient balayé le PC. "Aujourd'hui, il signifie que tous sont convaincus qu'il n'y a d'autre salut qu'avec les communistes. Aujourd'hui, nous sommes la seule solution possible. Le fait d’insister avec force sur l’élément national Allemagne est un acte révolutionnaire tout comme le fait d’insister sur l’élément national dans les colonies", (souligné par nous).

[7] [15] ADGB : Syndicat allemand : Allgemeiner Deutscher Gewerkschafs Bund. Avant juin 1919, il s'appelait Freien Gewerkshaften.

[8] [16] Freie Arbeiter Union Deutsclands (syndikalisten). Organisation Syndicale fondée en décembre  1919.

Géographique: 

  • Allemagne [17]

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Révolution Allemande [18]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La Révolution prolétarienne [19]

Révolution et contre-révolution en Italie (1919-1922) 1° partie.

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Toute thèse conçue sur le plan national étudie la situation de 1’Italie contemporaine "in vitro", par le décalage, l'inégalité de développement entre le nord industriel et, le Mezzogiorno caractérisé par une agriculture fondée sur le système des tenures et des latifundia, région où au début de ce siècle le revenu était moitié moindre de celui des provinces septentrionales. C'est notamment celle de l'élève de B. Croce, de 1'interventiste de 14, du révisionniste qui décrète qu'Octobre a infirmé l'analyse fournie par Marx : A. Gramsci dont hérite la "nouvelle gauche", et que l'hagiographie s'évertue à présenter comme le théoricien le plus puissant et le plus original du marxisme dans le monde non-russe ([1] [20]).

Là-dessus, le marxisme ne saurait être plus clair ; si les terres méridionales, prisonnières d'un carcan semi-féodal, constituent l’un des principaux foyers d'émigration, alors que le réservoir de richesses de la plaine alluviale du Pô est l'objet d'un soin particulièrement attentif de la part du capitalisme, cela tient fondamentalement aux conditions du marché mondial et, à la division internationale du travail qui s'ensuite Illustrant cette vision, nous dirons que cette émigration dépeuplant les provinces méridionales a correspondu à la crise mondiale et à la grande dépression agricole de la fin du siècle. L'adoption du protectionnisme fut l'acte de naissance du capitalisme italien, favorisant les agrariens de la plaine du Pô et fournissant aux propriétaires absentéistes un revenu assurée Quand en Louisiane sont découverts de nombreux gisements de soufre, c'est la ruine pour la Sicile qui, longtemps fut seule à l'extraire de son sous-sol.

Le capitalisme italien surgit "post festum" dans une arène où le partage du monde était déjà pratiquement achève. A ce capitalisme dénué des droits d'ainesse, allaient échoir les bas morceaux dont ne voulaient pas s'encombrer les Puissances, non qu'elles fussent en la matière des philanthropes à toute épreuve, mais en considération d'un budget colonial qui aurait immanquablement entrainé une lourde charge pour la métropole0 Mais elle, l'Italie continuera inlassablement à revendiquer de nouveaux domaines d'expansion pour se hisser à leur niveau. Dans une situation conjoncturelle défavorable à l'impérialisme italien, on verra germer la semence du nationalisme définissant l'Italie comme "la grande prolétaire des nations". Sur ce chemin, Mao a trouvé des prédécesseurs en la personne des Crispi, Corradini ou Mussolini, autre timonier, ce qui dans la langue de Dante se dit "Duce".

Au moment même de rivalités impérialistes croissantes, l'Italie mit en chantier son économie de guerre avec l'espoir de s'en servir bientôt dans sa propre politique de conquête territoriale De la sorte, elle se préparait à conquérir une partie des zones tierces recelant les principales sources de matières premières faisant cruellement défaut à l'économie métropolitaine. C'est dire aussi que les travailleurs italiens, contrairement à leurs frères de classe anglais, belges, français ou hollandais ne participèrent, en quoi que ce soit, à un quelconque partage des provendes impérialistes„

Le développement de certaines industries, en particulier de la sidérurgie, de la chimie, de l’aéronautique, des constructions navales, marque sa progression de succès qui vont impressionner jusqu'aux plus blasés des experts des vieilles citadelles impérialistes. L'effort de guerre italien, qui porte aussi les lignes du réseau ferroviaire de 8200 km en 1881, à 17 038 en 1905, tous les ingénieurs, financiers, plumitifs et politiciens qui visitèrent la péninsule à cette époque le saluent unanimement.

Devant beaucoup pour son développement à l'afflux de capitaux français investis massivement dans l'économie italienne à partir de 1902, et à la forte participation bancaire helvète et germanique, l'Italie construit dans le nord du pays de puissantes centrales hydro-électriques. Cet effort va lui permettre de suppléer aux insignifiantes extractions charbonnières du Val d'Aoste, et d'électrifier les lignes de chemin de fer, lesquelles permettront ultérieurement d'amener sur le théâtre des opérations militaires la chair à canon, mais verront aussi de formidables soulèvements de soldats et de grèves chez les cheminots qui furent déclarées illégales. Au cours de cette brève période de redressement économique, 1'assiette politique passera des mains des armateurs et négociants sardes et génois -le commerce entre l'Italie et l7Empire Ottoman avait augmenté de 150% entre 1896 et 1906- dans celles des chefs d'entreprises de Lombardie et Piémont.

La difficulté de trouver des territoires extra-capitalistes non occupés avait donc conduit au développement d'une grosse économie de guerres Dans les premières années du siècle, les dépenses militaires continuaient à dévorer de plus belle un quart du budget. De mai 1915 à octobre 17, la production mensuelle de mitrailleuses passe de 25 à 800, celle des canons de 80 à 500, la fabrication des obus de 10 000 à 85 000 par jour. Alors qu'en mai 1915, l'Italie ne possédait presqu'aucun lance-bombes, elle en détiendra 2 400 à la veille de Caporetto. Fin décembre 1914, l'Italie pouvait aligner 1 million et demi d’hommes.

Cependant, alors qu'au Parlement se votaient les commandes de matériel à 1’industrie lourde, et les crédits de défense, dans la plupart des centres industriels, les masses d'ouvriers en bleu ou en uniforme se mettent à déferler dans les rues pour réclamer du pain et du travail. Pas une ville qui ne fut paralysée par la grève générale, pas un centre industriel qui ne fut pas envahi par le flot révolutionnaire montant. A Naples, l'année 1914 commence sur une émeute contre l'augmentation des loyers; en mars, les cigariers des manufactures de tabacs de l'Etat commencent une longue grève qui durera deux mois. Courageux comme toujours, le prolétariat d'Italie réagit par sa violence de classe aux tueries de ses combattants. Le 7 juin, il s'empare durant sa "semaine rouge" d'Ancône où il abolit immédiatement les impôts, il ne protestait pas platoniquement contre les compagnies disciplinaires dans l'armée en signant un quelconque "Appel des Cent", mais en s'emparant du pouvoir. A Bologne, à Ravenne la " République Rouge" est proclamée, la grève générale s’étend à toute la péninsule coupant irrémédiablement l'Italie en deux camps. Salandra, appelé au pouvoir pour liquider les séquelles de la guerre coloniale de Lybie, devra utiliser  100 000 hommes de troupe pour rétablir l'ordre.

Rendons un vibrant hommage aux militants anarchistes ([2] [21]) qui payèrent de leur personne "se moquant avec raison des pédants bourgeois qui leur font le calcul du coût de cette guerre civile en morts, blessés et sacrifices d'argent" (Marx),

LA LUTTE CONTRE LA GUERRE

L'Italie monarchiste et démocratique était entrée en guerre pour reconquérir les pays africains perdus après le désastre militaire total d'Adua face aux armées abyssines, mars 1896. Elle essayait de rétablir des  droits sur la Lybie, droits rognés par une série de traités, franco-anglais, et, de se gagner quelques possessions en Mer Rouge. Le déchaînement du premier conflit mondial où se jouait le partage impérialiste du monde -et non la lutte peur la "liberté", thème mensonger de la social-démocratie parut à la classe dominante italienne le moyen de s'annexer les régions irrédentes soumises à l’autorité autrichienne : Trentin, le débouché de Trieste, l'Istrie et la Dalmatie, ou à l'administration française : Corse et Tunisie. Plus d'un million de résidents italophones retrouveraient l'hospitalité de la mère-patrie.

Cette conflagration, dans laquelle l'Italie se devait: d'entrer de plain-pied pour ne pas être reléguée pour toujours à ce rang secondaire auquel elle essaie d'échapper depuis sa formation nationale, n'épargna qu'une année de désolation et de souffrance à la classe ouvrière et aux paysans italiens. La tardive entrée italienne dans le conflit embrasant le monde, traduisait d'une part les difficultés rencontrées par la bourgeoisie pour leur faire mordre à l'appât interventiste, d'autre part son hésitation à choisir entre les offres austro-allemandes et celles des Alliés. C'est pourquoi, la diplomatie de Rome consistait à jouer sur deux tableaux en conduisant deux tractations parallèles. Aux Autrichiens, elle réclamait, outre le Trentin, de pouvoir porter ses prochaines frontières jusqu'à la rive occidentale de l'Isonzo, de prendre Trieste et le Carso, les îles Curzalori au centre des cotes Dalmates, enfin la prépondérance italienne sur 1'Albanie. L'Entente sera plus généreuse : en entrant en guerre à ses côtés, sous le délai d'un mois, elle recevrait le Haut-Adige, le Trentin,  les Alpes juliennes, Trieste et l'Albanie, plus des assurances sur la zone turque d'Adalia et, verrait confirmée sous occupation du Dodécanèse. L'Angleterre lui consentirait un prêt de 50 millions de livres (1,25 milliard de lires).

L'Italie se vendait donc au plus offrant, soit à l’entente, soit à l'Allemagne à laquelle elle était liée depuis 1882. La partie étant excessivement serrée, côté allemand le Reichstag délégua à Rome le député socialiste Sudekum, type du social-chauvin dépourvu de tout scrupule selon Lénine, chargé de faire respecter les engagements politiques et économiques de l'Italie auprès des signataires de la Triplice. De son coté, le gouvernement français chargea le député socialiste Cachin d'acheter le concours militaire italien par Mussolini interposée. Pour marquer la valeur relative que les Empires Centraux accordaient à l'Italie, l'Autriche trouva excessives les exigences formulées par Rome et, par conséquent inacceptables. Refus de toute cession de territoires appartenant aux Habsbourg, de les laisser occuper par l'Italie, de les étendre au-delà de la partie méridionale du Trentin. Alors, le 26 avril 1915 Sonnino signait le Pacte de Londres; le 4  mai la Triplice était dénoncée par l’Italie.

Le voyage de Cachin et Jouhaux pour faire entrer l'Italie dans la mêlé s'avérait payant pour l'impérialisme française. L'argent français s'ajoutait aux subsides des industriels intéressés par l'intervention, la FIAT, 1'ANSALDO, 1’EDISON… pour tomber dans les caisses du "Popolo d'Italia". Dans ces colonnes, Mussolini exaltait la "guerre libératrice" qui "doit avant tout effacer l'ignoble légende que les Italiens ne se battent pas; elle doit annuler la honte de Lissa et de Custoza ([3] [22]), elle doit démontrer au monde que l'Italie est capable de faire une guerre, une grande guerre. Il faut le répéter, une grande guerre. ("Popolo d'Italia", 14/01/1915).

Ment dans les intérêts de la bourgeoisie celui qui fait décrire à sa plume des scènes d'enthousiasme "des radieuses journées de mai" de la part des travailleurs italiens. Du même coup, il efface le rôle joué par la social-démocratie dans une guerre qui se livrait pour la domination économique et politique de contrées où pouvait s'installer le capital financière En fait, il n'y eut pas de classe ouvrière marchant allègrement au massacre la fleur au fusil et l'hymne national aux lèvres. Ni les prolétaires, ni les paysans, à qui pourtant on avait présenté  la guerre comme leur affaire inaliénable, ne crurent aux harangues patriotiques que leur déversaient les officines de l'Etat, pas plus qu'aux promesses d'un avenir meilleur une fois la victoire remportée sur 1'ennemie

Aux premiers contacts avec la réalité peu glorieuse de la guerre, le sentiment défaitiste se raviva, car de plus, à l'action de transformer la guerre impérialiste en guerre civile se dévouaient corps et âme jeunes socialistes et jeunes anarchistes. La seule différence existant entre les uns et les autres consistait en ceci, que si les premiers savaient parfaitement qu'une semblable transformation est conditionnée par le fait que le capitalisme était arrivé au bout de ses contradictions en tant que système de production, les seconds croyaient pouvoir l'accomplir au gré de leur volonté de partie Mais, les uns comme les autres remplirent le devoir élémentaire du socialisme dans la guerre, à savoir la propagande pour la lutte de classée

Les années d'hostilité se caractériseront par une lame de fond faite de grèves contre les conséquences désastreuses de l'économie de guerre, de démonstrations de soldats dans les villes de garnison, et de soulèvement d'ouvriers agricoles. Pendant toute la durée du conflit impérialiste, éclatèrent sans se relâcher, de graves troubles sociaux. Les ouvriers exigeaient une paix immédiate et la démobilisation générale pour retrouver leur foyer. L'armée hésitait, et, par milliers les soldats désertèrent leurs postes de combat. Vers la fin d'octobre 17 l'aube de la guerre civile se leva sur les charniers de l'Isonzo; le front se débanda dans une zone de bataille de première importance. La conclusion du manque d'ardeur guerrière des soldats italiens, qui pour sûr n'avaient rien retenu de la leçon mussolinienne, fut l'écroulement du front à Caporetto. Par vagues successives, 350 000 hommes jetant armes et barda, abandonnaient le champ de bataille face à la percée des autre-allemands dont les éléments en première ligne faisaient usage de gaz mortels. Les réservistes Italiens envoyés pour stopper l'offensive et arrêter les déserteurs refusèrent à leur tour de monter en ligne.

Pour les progrès ultérieurs de la révolution, cette défaite qui était celle de la bourgeoisie réactionnaire italienne ouvrait de grandes perspectives. La débâcle de Caporetto ébranla le mécanisme gouvernemental italien : la voie révolutionnaire était définitivement déblayée. Sorti des poitrines meurtries de centaines de milliers de soldats, depuis les charniers de Galicie parcourus de ruisseaux de sang jusqu'aux tranchées de l'Isonzo, le cri de défaitisme révolutionnaire était enfin victorieux de la soldatesque. A des milliers de kilomètres plus loin, ouvriers, soldats et marins révolutionnaires s'emparaient à Petrograd du Palais d'Hiver, l’effondrement de l'armée italienne, le désordre qui atteignit de plein fouet les organes de l'Etat ouvrirent une profonde crise politique, de celles dont on ne se relève pas. La dépendance italienne vis à vis de l'Entente s'accentua puisque le généralissime Foch et le général en chef anglais Roberston imposèrent le remaniement profond du Haut-Commandement italien.

Au lendemain de la débandade de la IIe Armée, mettant l'ennemi à une journée de marche de Venise, la bourgeoisie associe l'exaltation du zèle patriotique aux solennels appels du roi à tous les hommes d'ordre. Coûte que coûte il fallait opposer un front uni à la "subversion bolchevique", car elle avait compris que si la machine de guerre s'arrêtait "la foule des ouvriers des usines d'armement restera sans travail : la faim et le froid la feront se réunir à la masse des fuyards. Ce sera la révolte, puis la Révolution". ([4] [23]) Pour la centrale syndicale, la CGIL, Rigola déclarera : "Lorsque l'ennemi piétine notre sol, nous avons un seul devoir, résister!". Trêves et Turati feront entendre un son de cloche identique, plus pernicieux : "La défense de la patrie n'est pas le reniement du socialisme!". Ils étaient bien les alliés de tout le bloc bourgeois, les commis de leur impérialisme.

Dans toute la péninsule, des propagandistes gouvernementaux se répandent en discours vengeurs afin d'exciter la vindicte contre le "poison caporetiste", pour relever le moral de la population, et stimuler la conscience professionnelle des travailleurs. Le mot d'ordre patriotique "Résister, résister, résister" draina dans les caisses de l'Etat plus de 6 milliards de lires sonnantes et trébuchantes. Comment regonfler le moral d’une troupe qui manifestait son refus de la boucherie? C'était bien simple l'armée fut réorganisée avec une bonne pincée de démocratisation, celle-ci octroyant des permissions régulières et, améliorant l'ordinaire du soldat. Niti, qui se trouvait alors ministre des Finances, créa 1'"Œuvre Nationale des Combattants" en vue de faciliter 1'acquisition de terre par les paysans après leur démobilisation.

Les militants internationalistes, inculpés de haute trahison, furent soumis, à de furieuses représailles, traînés devant les cours martiales, envoyés muni militari en première ligne. Ils n'avaient pas fait que souhaiter la défaite de leur gouvernement, mais s’étaient préparés aux tâches nouvelles : reconstruire une Internationale. Alors, les anarchistes -Malatesta en tête- savaient que la guerre est en permanente gestation dans l'organisme social capitaliste, qu'elle est la conséquence d'un régime qui a pour base l'exploitation de la force de travail, qu'il n'y a plus de guerre qu'impérialiste. Tous, socialistes comme libertaires, devaient donc goûter les châtiments de la démocratie. Eux chassés et martyrisés, déjà quelques députés du Parti Socialiste commencent à participer au travail de certaines Commissions Parlementaires, marchaient à grandes enjambées vers leur complète fusion avec le Royaume qu'ils avaient bon espoir de voir accéder aux premières loges de 1'impérialisme.

Très justement, Gorter a exprimé l'idée que la bourgeoisie grâce à sa propre décomposition, sachant flairer une autre, pourriture morale, devina immédiatement la corruption profonde de la social-démocratie. Dès le début des hostilités, Le P.S.I., avait surtout cherché à éviter tout ce qui pouvait contribuer à détourner l'Italie de la neutralité, si besoin était par la grève générale. L'amour des socialistes italiens pour la neutralité leur fit rencontrer la délégation socialiste suisse à Lugano en octobre 14. C'est d'une souris qu'allait accoucher la montagne, elle lancera au monde un message de paix et de concorde; elle essaiera de renouer les contacts  avec les minoritaires neutralistes des partis socialistes? Elle adressera un fraternel avertissement (sic) aux camarades des pays en guerre pour la lutte en faveur de l'armistice; elle sera décidée à faire pression sur les gouvernants pour leur imposer une action pacifiste. Tout le maximalisme italien, qui tenait entre ses mains les destinées du P.S.l., est là.

La tactique du P.S.I. a uniquement consisté à freiner la lutte de classe pour toute la durée de la guerre sous le couvert de l'hypocrite : "Ni saboter, ni participer!", ce qui dans les faits revenait à fouler aux pieds les principes les plus élémentaires de la lutte de classe internationale. On notera que cette position, on ne peut plus ambiguë, était partagée par les milieux d'affaires giolittiens et, par le Vatican protecteur de l'Empire catholique autrichien. Tout comme les socialistes de la neutralité, Benoit XV lance sa fameuse circulaire invitant les Puissances à négocier une paix honorable, sans annexion, ni indemnités. En un mot, comprenant avec une  crainte justifiée que de la guerre ne surgisse la révolution prolétarienne, le P.S.I. lutte tout simplement contre la Révolution en luttant contre la guerre.

En dépit de ses efforts pour constituer l'Union Sacrée, la bourgeoisie italienne n'était pas parvenue à étrangler la lutte de classée Pendant l'été 17, Turin s'était couvert de barricades en cette deuxième année de guerre totale. Le 21 août, le pain et les vivres courantes ayant fait défaut, bien que le préfet se soit décidé la rage au ventre de faire distribuer de la farine aux boulangers, les ouvriers de plusieurs usines avaient arrêté leur travail pour se rendre en cortège à la Chambre du Travail; mais, ils se heurtèrent aux forces de l'ordre l'arme aux pieds. Dès cet instant, poussé par sa propre dynamique, la grève démontre qu'elle ne consiste pas en un simple débrayage pour l'amélioration des conditions de vie. Elle se transforme vite en lutte frontale, puisqu'après avoir fraternisé avec les soldats du régiment "Alpini", les travailleurs mal armés se battent cinq jours durant avec des troupes d’élite ne reculant pas  à mettre en batterie, mitrailleuses et tanks. Tel fut le grandiose soulèvement de Turin qui ne retrouvera son calme -et encore fut-il des plus précaires-  qu'aux lendemains d'une répression faisant 50 morts et 200 blessés.

C'est vers la fin de 1916 que, pour prévenir l'éclatement des grèves sauvages à un moment où la production de guerre devait tourner à son plein rendement, la bourgeoisie avait institué des Comités de Mobilisation Industriels. Sans hésitation aucune, les syndicats avaient accepté de collaborer à la construction de cette digue du capitalisme d'Etat; des municipalités réputées "rouges", notamment Bologne, Reggio d'Emilia, Milan, s'arrangent pour humaniser la guerre, et dans un bel élan de charité viennent panser les blessures : ravitaillement, aide aux familles des militaires, etc. Les Commissions Internes, composées exclusivement de travailleurs en règle avec leur timbre syndical, reçurent pour mission de désamorcer la tension dans les ateliers. Elles devenaient des institutions permanentes qui se voyaient confier, entre autres choses, le droit de traiter d'un problème aussi important que celui du salaire au rendement ou, le licenciement des ouvriers. Ce sont ces structures de collaboration ouverte, présente dans chaque usine dès février 19, que les Ordinovistes prendront comme support de la "praxis révolutionnaire", le "germe soviétique" de la dictature prolétarienne, le moyen par excellence d'organisation autonome de la classe sur les lieux de travail. Quant à la classe, elle dut se battre encore, avec cet organe d'autorégulation du capital.

Les socialistes majoritaires n'ont pas été les seuls à suivre la politique nationaliste de leur bourgeoisie. Ce sont aussi les soréliens et anarcho-syndicalistes (au moins un important contingent), les militants qui se rallient à leur bourgeoisie, naguère si combattue, ne se comptent plus. Le vétéran A. Cipriani ne déclare-t-il pas que si ses 75 ans le lui permettaient, il serait dans les tranchées de la "démocratie" à combattre "la réaction militariste germanique". C'est le même scénario de capitulation de la social-démocratie au moment de la grande épreuve historique de la guerre qui se répétait presque ponctuellement outre-Alpes. Un pareil krach général de l'Internationale faisait dire à R. Luxembourg que la social-démocratie s'était placée au service de sa bourgeoisie parce qu'à dater du 4 août 14 et jusqu'à la signature de la paix, "la lutte de classe n'était profitable qu'à l'ennemi d'en face". En Italie aussi les organisations vont demander aux travailleurs de renoncer à faire grève, à retarder à plus tard leur lutte de classe pour ne pas saper les forces de l'Etat démocratique, pour ne pas compromettre les chances d'une paix rapide. Pendant que se tenaient ses propos mensongers, les bénéfices de 1'industrie lourde italienne levaient comme des champignons après la pluie, et les cadavres s'empiler les uns sur les autres jusqu'à faire des montagnes.

Des groupes d'anarchistes et de soréliens lançaient les fascis pour "la Révolution européenne contre la barbarie, le militarisme allemand et la perfide Autriche catholique et romaine".

Exemple après exemple, le ralliement de pans entiers de la social-démocratie à la bourgeoisie en guerre, l'attitude ultra-chauvine des organisations a été un phénomène mondial dont les racines ont poussé dans le changement définitif de la période du capitalisme, et non dans l'explication personnaliste qui veut que ce soit la trahison des chefs. Des dizaines d'années de développement du P.S.I. ne se sont pas écoulées sans dommages pour le programmée, il était devenu tout puissant sur le plan matériel avec entre ses mains 223 des 230 communes d'Emilie, des centaines de syndicats, ligues paysannes, coopératives et Bourses du Travail0 Mais cette puissance "terrestre" était un poids mort pour le prolétariat, l'œuvre extrêmement importante accomplie était terminée.

Bien évidemment, le passage de la social-démocratie italienne dans le camp bourgeois ne s'est pas fait brusquement du jour au lendemain0 Déjà, dans les années 1912, à une époque où en contrepartie de l'abandon de ses visées sur le Maroc et l'Egypte, l'impérialisme italien était autorisé par les anglo-français à jeter son dévolu sur la Tripolitaine et, préparer la conquête du Dodécanèse et de Rhodes, le Parti alors vieux de 22 ans avait été secoué par la question coloniale. Considérant que l'établissement de 2 millions d'Italiens continentaux dans les contrées désertiques de Tripolitaine et Cyrénaïque offrirait une chance exceptionnelle d'écouler une masse importante de chômeurs et, de remettre la main sur cette ancienne colonie romaine, les députés socialistes Bissolati. Procéda et Bonomi -celui-là nous le retrouverons plus loin en aussi bonne compagnie- s'étaient déclarés des partisans convaincus de l'expansionnisme italien. Dans le Proche-Orient, les Balkans et les Echelles, celui-ci devait et avait à prendre la relève de cet "homme malade", l'ottoman. Tout ce joli monde de politiciens clamait du haut de la tribune parlementaire et des estrades de meetings que les socialistes ne pouvaient pas décemment abandonner aux adversaires de droite le monopole du patriotisme. Et, ironie de l'histoire, c'est le futur Duce qui fera expulser du Parti les éléments bellicistes, les francs-maçons comme "ennemis de classe" pour leur attachement immodéré à la cause de la démocratie réformiste et leur sympathie apportée à la collaboration.

Il avait donc fallu au Parti s'amputer de ces membres gangrenés et, mettre en place un nouveau centre dirigeant capable de défendre la position de classe sur la question coloniale. Contre les partisans de la conquête, la Gauche lancera "Pas un homme, pas un sou pour les aventures africaines!". Las, les tendances expansionnistes affirmées à l'intérieur du mouvement ouvrier avaient, en fait, des causes plus profondes que ne pouvaient l'apprécier ceux qui y avaient porté le fer rouge dans l'espoir d'une prompte guérison. Lorsqu'à Monza en juillet 1900, surgit l'arme à la main l'ouvrier anarchiste Bresci pour venger les combattants prolétariens du Milan de 1898, les journaux socialistes paraissent avec les signes de deuil ostentatoires habituels. Les socialistes pleuraient Humberto 1°, le roi-boucher. Ainsi, nous pouvons dire que pendant la durée de la première guerre mondiale, le Parti italien a signé un nouveau répit avec la Maison de Savoie et, par accord tacite, a placé sans ambages, sa cause dans le giron de l'Etat. Au lieu donc d'appeler à la lutte de classe contre le militarisme, à la solidarité internationale, il soutenait qu'après les nécessaires sacrifices imposés par la cause nationale, une longue période de prospérité capitaliste s'ouvrirait avec son cortège bienfaisant de réformes sociales. Il aurait suffi à un gouvernement issu de la volonté populaire de légiférer loin des tumultes grossiers de la rue pour procéder à de vastes, très vastes réformes.

Mieux que par le passé, l'Etat subventionnerait les caisses d'assurances contre les accidents du travail, réglementerait les conditions d'embauché des femmes et des enfants, étendrait à de nouvelles couches de travailleurs le repos hebdomadaire, faciliterait la participation des salariés aux bénéfices d’entreprise. Donc, les mesures de législation sociale, prises vers les années 1903-1906 au moment de la brève stabilité économique italienne s’en seraient trouvées fortifiées et agrandies. Le chef de la bourgeoisie industrielle et commerciale, Giolitti, venait prêter main-forte aux discours endormeurs des socialistes de la Chambre, pour dire qu'il fallait aller "à gauche, toujours plus à gauche". Au sortir de la guerre, ce n'était pas ce tableau d'un touchant idyllisme social, espéré par la bourgeoisie et son commis social-démocrate, qui pouvait représenter la situation réelle italienne.

SITUATION CATASTROPHIQUE

La fin des hostilités intervenue le 04/11/18 ne fit pas bénéficier l’impérialisme de grandes conquêtes. Une fois la guerre finie, les pays de l'Entente se montrent fort chiches en compensations promises0 Jouant à fond sur l'imprécision de l'article 13 du Pacte de Londres, la France refuse la cession de toute la Dalmatie, préférant qu'à l'exemple de Danzig, Fiume soit érigée "ville libre" sous la tutelle de la S.D.N. De plus, l'Angleterre et la France autorisent les troupes grecques de Vênizélos à occuper Smyrne en lieu et place des Italiens et, il est hors de propos que Rome obtienne un mandat sur le Togo ex ­allemand. L'acquisition au nord et à l'est de nouvelles frontières, la conquête du versant adriatique de l'Istrie, du port de Zadar avec un étroit hinterland autour de la ville, plus quelques îlots, son protectorat sur l'Albanie, la souveraineté italienne sur le Dodécanèse ne résolvent pas pour autant le problème des débouchés pour l'économie italienne.

La disparition du puissant rival autrichien, qui doit lui céder la quasi totalité de sa flotte marchande, remplacé par une poussière d'Etats croupions, ne lui évite pas la confrontation avec sa plus grande crise historique depuis 1' achèvement de l'unité nationale.

Pour le grand capital, l'industrie lourde avait constitué un champ d'accumulation de plus en plus vaste : non seulement l'Italie put garantir sa production d'armes et de projectiles, mais elle exporta chez ses alliés des véhicules et des avions. Sur son chemin, elle rencontrera l'hostilité "pacifiste" des industries traditionnelles qui l'avaient précédée dans la genèse du capitalisme italien. Elle doit se reconvertir quand sonne l'heure de la réconciliation, quand à la guerre brutale se substitue la compétition commerciale. La solution est alors toute trouvée : les magnats des trusts ANSALDO, BREDA, MONTECATINI licencient car il est de plus en plus difficile de valoriser les énormes capitaux investis jusqu'à l'hypertrophie dans les industries de "défense nationale"« La production de fonte tombait de 471 188 tonnes en 1917 à 61 391 en 1921 et, dans le même temps, celle de l'acier, de 1 333 641 tonnes à 700 433. La FIAT, qui avait assemblé 14 835 véhicules en 1920, n'en  construisait plus que 10 321 une année plus tard. Le déficit de la balance commerciale se trouvait être multiplié de près de 5% par rapport à 1914; l'Amérique réduisait l'immigration de 800 000 en 13 à moins de 300 000 en 1921- 1922; l'Angleterre diminuait d'un fiers ses exportations de charbon.

Alors que l'étau de la crise se resserrait à vue d'œil, naissait le nouveau gouvernement présidé par Nitti, avant tout pour relever les ruines de la guerre. Tout le commerce extérieur italien était à reconstituer ce qui représentait un travail au-dessus des forces réelles du pays puisqu'à ce moment, la dette publique atteint quelque 63 milliards, dont les 2/3 ont été affectés aux frais de guerre.

Par la pression fiscale, la création d'impôts supplémentaires et, surtout par l'écrasement des salaires, l'Etat avait fait supporter aux classes laborieuses la politique guerrière; le régime fiscal italien était devenu un des plus lourds du monde0 Le cabinet Nitti, qui va continuer dans cette voie, prend le 24/11/l9 les dispositions fiscales suivantes :

—     impôts de 18% sur les revenus du capital,

—     impôts de 15% sur les revenus mixtes du capital et du travail,

—     impôts étages de 9 à 12% sur les salaires.

En même temps, il instituait de nouvelles taxes à la consommation Ce qui achevait d'assombrir la situation, c'était le manque de matières premières, de combustible. Le rythme de la production s'effondrait, les masses de chômeurs se faisaient plus importantes; les possibilités d'émigration, par où en 1913 s'étaient écoulés 900 000 travailleurs et paysans, se tarissaient. La bourgeoisie Italienne ne peut pas réadapter son économie aux nouveaux besoins du marché mondial, puisque des concurrents mieux outillés y font régner leur loi. La dette publique augmentant de 1 milliard par mois, ainsi que l'écrivait Nitti dans une lettre d'octobre 19 à ses électeurs, comptait parmi les sept plaies du pays s elle doit 14,5 milliards de lire à ses allies.

La "victoire mutilée" rendit tout à fait impossible la politique de concorde nationale que le social-patriote Cachin avait soutenu des subsides du gouvernement française Les grèves du début .le 1920 firent 320 morts.

LES  LUTTES  QUI PRECEDENT LES OCCUPATIONS

On  ne peut vraiment comprendre les grèves en masse qui submergent l'Italie qu'en les incluant dans la courbe de la crise générale du capitalisme, ouverte en 1914, et de l'éruption prolétarienne qui lui a répondu dans la quasi-totalité de l'Europe. Comme son aînée russe, le surgissement en Italie n'a été qu'un moment de la révolution mondiale née de la misère et des indicibles horreurs engendrées par le militarisme C'est pour le pain et le retour aux foyers que, tel un volcan, se sont soulevés les travailleurs italiens affamés et sanguinolents. Depuis 1913, leur salaire réel avait baissé de 27% et la guerre a coûté au prolétariat 651 000 morts et 500 000 mutilés.

D'abord en Romagne, puis en Ligurie, en Toscane jusqu'à la pointe de la botte, les masses crevant de faim prennent d'assaut les magasins d'alimentation. C'est alors que les Chambres de Travail jouent pleinement leur rôle de chien de garde. Pris de panique, les commerçants qui, par la rétention des marchandises espéraient pouvoir jouer à la hausse, déposent les clés de leurs sacro-saintes boutiques entre les mains des chefs syndicaux. En revanche, ceux-ci leur assurent une protection que l'Etat est incapable de donner car, à ce moment il ne dispose pas d'assez de forces pour intervenir partout où la sauvegarde de la propriété privée 1'exige. Les grèves devinrent si fortes que l’Etat fut contraint d'importer du blé et, d'appliquer le "prix politique du pain" avec des subventions lui coûtant 6 milliards par an. Quand en juin 1920, le troisième ministère Nitti décide de s'attaquer au prix politique du pain, il provoque immédiatement des troubles tels qui l'obligent à présenter sa démission. La peur d'un renversement révolutionnaire était si justifiée que la Chambre repoussera maintes fois les propositions d'augmenter le prix du pain. Il lui faudra attendre le reflux de 21 pour passer à l'attaque, et c'est le neutraliste, l'homme de "gauche" Giolitti qui abattra la besogne de s'attaquer au prix politique du pain.

Dans les campagnes, commencent les occupations de latifundia. Ce sont essentiellement des mouvements de démobilisés, ayant définitivement perdu confiance dans les anciennes promesses de l'Etat sur un éventuel partage des terres. En Italie, toutes les propositions faites sur la question agraire par les réformateurs de l'ère libérale ou certains éléments éclairés de l'Eglise catholique ne firent bien entendu, que jeter de la poudre aux yeux. L'idée de créer des associations agricoles rassemblant en un seul domaine communautaire, les petites parcelles germa dans l'esprit de quelques uns parmi les philanthropes des années post-risorgimentales. II y eut un vaste élan vers cette proposition qui faisait dépendre le futur sort des paysans de la culture à compte commun et, le partage des récoltes proportionnellement à l'apport de chacun en terre, bétail, matériel. Les fermiers les plus grugés par le régime de la propriété foncière mirent leurs espoirs dans la libre association proposée, à son tour, par la social-démocratie.

C'est ainsi que les associations coopératives prirent leur essor dans l’enthousiasme général, et de celui des fermiers qui y voyaient le remède propre à adoucir leur misère matérielle et, de celui des socialistes tant leur paraissaient évidentes les possibilités offertes pour en faire une forme de production transitoire tendant progressivement à la réalisation du socialisme.

Ils auraient dû comprendre beaucoup de choses en voyant l'Etat soi-même réaliser des communes rurales, le clergé catholique organiser la coopération agricole en diocèses régionaux. Mais déjà le programme minimaliste de réformes à obtenir à l'intérieur du capitalisme avait accompli son œuvre.  Par sa pratique, limitée aux conditions particulières et nationales de l'Italie, par ses mœurs mêmes la démocratie socialiste devenait toujours plus le représentant du capitalisme. La solution de la question agraire n'était plus enracinée dans la socialisation du sol pour que "la terre étant à personne, les fruits soient à tous" (Babeuf), mais la libération du métayer plié en deux sur la parcelle à qui il consacre toute son énergie. Elle pouvait ainsi se résoudre sans que le prolétariat triomphe dans sa lutte historique et organise la satisfaction des besoins de l'espèce humaine sur des bases libérées de tout critère mercantile; la terre et les instruments de travail n'avaient pas besoin de passer à l'ensemble de la société.

Dans la plaine du Pô, à culture intensive enregistrant des rendements en blé de 15 à19 quintaux à l'hectare, avec des pointes de 27 et 30, le parti socialiste avait organisé les journaliers sur la base de la coopérative agricole. Le maitre-mot des régisseurs était d'augmenter la productivité pour concurrencer les coopératives dû Parti Populaire Catholique. A Bologne, à Ravenne, à Reggio d'Emilia, d'où est parti le mouvement coopératif, les Chambres du Travail contrôlent toute la vie économique de leur province et, suprême victoire ouvrière, décident du prix des denrées qu'elles distribuent par le canal des Coopératives. A ce train, la classe ouvrière italienne allait pouvoir pacifiquement exproprier la bourgeoisie en la persuadant de l'inanité de son pouvoir. Tel était-du moins l'état d'esprit des dirigeants socialistes fiers d'avoir pu administrer la preuve concrète que leur programme ne relevait pas d'une vue de 1?esprit.

Remontant à Owen et aux pionniers de Rochdale, Lénine disait au sujet de la conception coopérative : "s’ils ont rêvé de réaliser la démocratie socialiste du monde sans tenir compte d'un point si important, qui est la lutte de classe, la conquête du pouvoir politique par la classe ouvrière, le renversement de la domination des exploiteurs". C'était exactement le cas pour les dirigeants italiens qui se proposaient d'aller vers de nouveaux rapports sociaux en les rendant possibles immédiatement.

La coopération ne résout rien puisque le socialisme ne peut s'enraciner au sein des rapports de production de la vieille société capitaliste pour devenir, à son tour, une force économique. Sur tout le territoire italien, où la concurrence se fait durement sentir, tout d'abord sur le blé et le maïs, la lutte agraire devint très intense. Et comme cette lutte désespérée n'arrivait pas à enrayer le déclin des petits producteurs paysans et, qu'évidemment elle était punie d9une violente répression de l'appareil d'Etat, la seule issue qui s'offrait, était l'échappatoire de l'émigration vers les métropoles américaines et les régions caféières du Brésil.

PREPARATIFS BOURGEOIS DE GUERRE CIVILE

Trois mois s'étaient à peine écoulés depuis sa formation à la Chambre, (16/11/19) que le ministère Nitti, qui par ailleurs a lancé le mot d'ordre "Produire plus, consommer moins!", décide d'équiper un corps de police auxiliaire, la Garde Royale0 Ce nouveau détachement armé, fort de dizaines de milliers d’hommes sera équipé de pieds en cap pour faire régner l'Ordre bourgeois de plus en plus battu en brèche. Avant même que le fascisme ne fasse peser la terreur brune, des centaines de travailleurs et de cafone tomberont sous les balles de la Garde Royale. Inutile d'ajouter que ce renforcement démocratique de l’appareil d'Etat donnera pleine satisfaction à la bourgeoisie. En avril 20, la troupe tire sur les grévistes de Décima pour laisser 9 ouvriers raides morts sur le pavé, la commémoration du 1° Mai se solde par une quinzaine de morts; le 26 juin il y aura 5 morts dans le soulèvement d'Ancône contre l'expédition des troupes italiennes pour aller occuper l'Albanie. Sous la direction des anarchistes, la révolte s'étend aux Marches et à la Romagne. A Mantoue, travailleurs et soldats envahissent la gare, arrachent les rails pour stopper les trains de la Garde Royale, pour bloquer ceux destinés à la guerre contre les Soviets, chargés d'armes et de munitions, frappent tous les officiers, donnent assaut à la prison qu'ils détruisent par le feu après en avoir libéré les-détenus. En un an, d'avril 19 à avril 20 la mitraille démocratique hachera menu 145 travailleurs et blessera 444 autres dans toutes les régions d'Italie. Mais chaque fois que des morts jonchent lé pavé, les travailleurs continuent la lutte en proclamant la grève générale, celle des postiers, celle des cheminots, celle de Milan, doublement désavouée par le P.S. et la C.G.T., dont les représentants élus au suffrage-universel préfèrent quitter la séance inaugurale de la nouvelle Chambre aux cris de : "Vive la République". Dans les Pouilles, les journaliers se battent pour obtenir la paye de leurs journées de travail et il y aura 6 morts du côté des bracciantes et 3 parmi les propriétaires terriens.

La chute des Hohenzollern, l'éclatement consécutif de l'Empire austro-allemand, la Révolution mondiale ébranlant d'abord l'Europe orientale et centrale, agirent comme autant de ferments dans une Italie de plus en plus fiévreuse. Il n'y aura que le prolétariat italien à concrétiser sa solidarité avec les Soviets russes et hongrois par la grève générale, il sera le seul à saboter dans son pays l'intervention armée des puissances alliées en faveur de Koltchak.

Au fur et à mesure que se développait le mouvement de lutte du prolétariat, la classe dirigeante ressentait le besoin de s'armer en conséquence. En mars 1920, les industriels regroupés dans une Confédération générale de l'Industrie signent à Milan un accord aux termes duquel chaque partie contractante s'engage de toutes ses forces à liquider le "bolchévisme italien" et en priorité les militants qui avaient observé la seule et unique position de classe pendant la guerre impérialiste : le défaitisme révolutionnaire. Non sans raison, les tenants de l'Ordre voyaient en eux le noyau du parti révolutionnaire qui appelait le prolétariat à la lutte contre le gouvernement de Sa Majesté, à se regrouper sous le drapeau de la guerre civile pour le renversement de la dictature démocratique bourgeoise. Le 18 août, se constitue sur un modèle identique la Confédération générale de l'Agriculture qui rallie autour de son programme toutes les formes de la grande, moyenne et petite exploitation agricole, toutes intéressées à un même titre à mettre fin aux occupations de terre. Tous et toutes veulent la tête des "caporétistes", des "rouges" considérés comme les agents stipendiés de 1'ennemi. Tous les moyens pour empêcher la propagande communiste de se frayer un chemin seront employés sans vergogne. Nous verrons plus loin leur rôle dans la venue au pouvoir du fascisme.

LES OCCUPATIONS D'USINES

En août 20, le prodrome de ce qui allait devenir le mouvement d'occupation des fabriques fut 1'obstructionnisme. Celui-ci était généralement appliqué en réponse à tout lock-out patronal, en tant que tactique consistant à remplacer, selon les stratèges de la F.I.O.M., la grève dont on s'est tellement servi, qu'elle est caduque. Un des arguments favoris de la propagande des délégués consistait à dire que la crise était beaucoup moins grave que ce que prétendaient les sirènes du patronat. Puisque l'économie nationale pouvait supporter les augmentions de salaires, du fait que les marchandises pouvaient s'écouler sur un marché en reconstitution, les ouvriers devaient forcer la porte des usines de façon à y poursuivre la production. Pas moins de 280 établissements métallurgiques de Milan furent occupés et sont témoins d'une gestion ouvrière qui donne aux syndicalistes l'espoir d'une participation des socialistes au pouvoir.

En la circonstance, les syndicalistes furent d'habiles propagandistes de l'économie gradualiste» On entendait par là que les travailleurs fassent  la preuve éclatante du sens de leur responsabilité : qu'ils respectent scrupuleusement la propriété devenue "commune", qu'ils acceptent par discipline prolétarienne de se serrer la ceinture et de retrousser leurs manches. Pour produire à meilleur coût que sous le contrôle patronal, la classe ouvrière devait s'armer de connaissances techniques, administratives, remplaçant au pied levé les techniciens qui, sur l'ordre de l'administration, ont quitté leurs lieux de travail. En quelque sorte, elle est appelée à gouverner un Etat qui doit soigneusement réfléchir la structure économique du pays réel.

Aussitôt, la Gauche engagea la lutte contre l'idéologie gestionnaire qui au lieu de poser le problème au niveau politique central l’enfermait, le réduisait et en définitive l'émasculait sur la seule usine :

"Nous voudrions éviter que ne pénètre dans les masses ouvrières la conviction qu'il suffit sans plus de développer l'institution des Conseils pour s'emparer des usines et éliminer les capitalistes. Ce serait une illusion extrêmement dangereuse (…) Si la conquête du pouvoir politique n'a pas lieu, les Gardes Royales, les carabiniers se chargeront de dissiper toute illusion, avec tout le mécanisme d'oppression, toute la force dont dispose la bourgeoisie, l'appareil politique de son pouvoir". A. Bordiga.

Cette vigoureuse et prémonitoire mise en garde contre 1'illusionnisme gestionnaire achoppait sur la propagande de l'"0rdino Nuovo" mettant au premier plan le contrôle ouvrier et l'éducation technologique du prolétariat pour lui permettre de gérer les usines. Dans l'usine, l'ouvrier peut se forger une conception communiste du monde, et de là renverser le système économico-politique bourgeois pour y substituer l'Etat des Conseils Ouvriers. Le système des Conseils est supérieur à la forme syndicale et partiste car il fait de chaque travailleur de l'entreprise, technicien ou lampiste, un  sélecteur à la Commission.

Ouvrière (Rapport de juillet 20 au Comité Exécutif de l’I.C.), et encore cet électeur s'exprimant non à main levée, mais dans le secret petit-bourgeois du bulletin de vote. Devant la grandeur de leur tâche, les travailleurs ne doivent-ils pas faire taire leur égoïsme et accepter de nouvelles innovations productives puisqu'elles peuvent augmenter leurs capacités productives, donc leur poids dans la Nation ? Les travailleurs doivent cesser de façon brouillonne comme ils l'avaient fait durant toutes ces dernières années « Maintenant, ils peuvent parvenir à quelque chose de palpable, ils doivent faire tourner les usines dans la plus totale démocratie ouvrière des réformistes aux anarchistes. Il n’y aura pas de rupture de continuité lorsque ce groupe sera, peu après, chargé d'appliquer les mesures de bolchévisation au sein du jeune Parti Communiste comme fourrier de la contre-révolution stalinienne.

Une nouvelle fois la Gauche devait réaffirmer son entière opposition au culturalisme cher aux vieux partis de la II° Internationale ainsi qu'au tout jeune "Ordino Nuovo"; quant au P.S., il faisait faire ménage à trois à son drapeau qui arborait tout à la fois la faucille, le marteau et le livre,. Elle butait en outre sur le parlementarisme puisqu'en pleine explosion révolutionnaire, le Parti Socialiste décidait sa participation aux élections pour le Parlement, et donnait aux travailleurs la consigne habituelle d'y participer en masse (16/11/ 19), convaincu que le vote à la proportionnelle qui vient d'être adopté, lui assurera une confortable majorité. Et, en effet, avec 1 840 000 voix, les socialistes auront 156 représentants à la Chambre, quelques mois plus tard 2 800 communes. Lénine se félicitait de l’"excellent travail" que cela représentait par rapport à la situation internationale, espérant que l'exemple serve aussi pour les communistes allemands, (Lettre à Serrati du 29/10/l9). L'Internationale Communiste salue le résultat comme un grand succès. Que font les députés et maires socialistes qui puissent le justifier ? Comme avant la guerre, ils se consacrent à réclamer des travaux publics à l'Etat, à constituer des syndicats et des coopératives, bref, à administrer les affaires de la cité. Ainsi, l'Italie achèvera sous la conduite des socialistes sa révolution nationale laissée en plan par le Risorgimento.   On veut à la fois la Constituante et les Soviets, la dictature du prolétariat et la lutte sur le terrain électoral. C'était donc une façon très habile de ménager la chèvre et le chou. Ce qui fit dire à la Gauche qu’aux heures décisives, la bourgeoisie se défend de la Révolution prolétarienne en utilisant la méthode démocratique.

La toute première occupation d'usine arbora sur la cheminée le drapeau tricolore. Elle se produisait dans une petite ville du bergamasque, Dalmine, sous l'impulsion du syndicat d'obédience fasciste, l’"Union Italienne du Travail", avec les chauds encouragements du "Popolo d'Italia" qui écrivait dans ses colonnes :

"L'expérience de Dalmine a une valeur très haute ; elle indique la capacité du prolétariat à gérer directement la fabrique".

A. la lecture de ces quelques lignes, suivies d'autres aussi révélatrices, partis politiques, syndicats et gauchistes trouvaient des accents analogues à celui de .leur frère ennemi pour saluer la gestion ouvrière0 Loin de désapprouver alors les revendications des grévistes, Mussolini s'était rendu en personne dans la totalité pour encourager de la voix et du geste la résistance ouvrière aux "abus patronaux". Les travailleurs de chez Gregorini-Franchi avaient continué, pendant trois jours, d’assumer le bon fonctionnement de l'entreprise dans tous ses départements, devant le refus de la direction à leur accorder la semaine anglaise pour Mussolini, la classe ouvrière était digne de succéder à la bourgeoisie dans la gestion de la production puisqu'elle avait abandonné la grève traditionnelle, si nuisible à la Nation,

Un an plus tard, cette première occupation fut suivie de tentatives généralement éphémères de gestion ouvrière : à Sestri-Ponente dans la banlieue génoise le 10 février 20; aux chantiers de l'ANSALDO de Viareggio le lendemain, à Ponte Canavèse et Torre Pellice le 28 février dans les établissements d'usinage du bois à Asti le 2 mars, aux Etablissements Spadaccini à Sesto le 4 juin; aux Ateliers de mécanique Miani-Sivestri à Naples, dans le trust sidérurgique ILVA à Naples, le 10 juin. Ces grèves avec occupation, qui se répétaient régulièrement, portaient une forme d'organisation, le Conseil Ouvrier, unissant la plupart des travailleurs indépendamment de leurs convictions politiques dans la lutte contre le capitalisme. Toutefois, comme ce mouvement ne trouva jamais suffisamment de force nécessaire pour dépasser les bornes du contrôle des usines isolées pour aller à l'affrontement avec l'Etat, comme ses protagonistes se grisèrent d'éphémères et artificiels succès immédiats., il pourrit sur place. C'est pourquoi, sans tirer une seule cartouche, la bourgeoisie put reprendre son bien; pour en déloger les occupants, elle se servira de la F.I.O.M qui à plusieurs reprises a déclaré que son objectif était le seul contrôle ouvrier sur la production, qu’elle n'avait pas l'intention d’aller plus loin, qu'elle évacuera les usines, ce droit reconnu par la Chambre. Les dirigeants de la Banca Commerciale assurent la F.I.O.M de sa neutralité bienveillante; le préfet de Milan s'offre pour arrondir les angles entre industriels et syndicalistes; Mussolini rend visite au secrétaire de la F.I.O.M, Buozzi, pour lui déclarer que les occupations ont tout le soutien des fasci; le directeur du "Corriere délia Sera" se précipite chez le "camarade" Turati pour conseiller aux socialistes d'aller au gouvernement; le président de la FIAT, Agnelli, veut donner un plus grand rôle aux syndicats.

Pourtant, les exemples de préparatifs fébriles d'armement, de constitution de groupes de combat furent nombreux qui nous montrent que la fraction la plus consciente de la classe était décidée, non à faire tourner les usines comme le conseillait la C.G.I.L., mais à se battre le fusil à la main. A la Fiat de Turin, les chefs freinent les groupes qui ont transformé des camions en auto mitrailleuses blindées pour une sortie en force dans la ville. Une fois les armes introduites ou fabriquées dans les usines pendant l'occupation, découvertes et saisies par la police, la F.I.O.M avait les mains libres pour signer "son meilleur concordat", la reconnaissance des Commissions Ouvrières. Enfin, arriva le moment de négocier la défaite des travailleurs avec la Confinastria. La C.G.I.L accepta la réduction des horaires de travail pour toutes les catégories de travailleurs et d'employés. C'était encore une victoire contre l’"égoïsme", puisque la misère n'est rien si elle est bien partagée par les damnés, une marque de solidarité agissante entre tous les travailleurs. Le compromis arriva à ce résultat que tous les travailleurs se trouvaient devant des salaires très  réduits.

Maintenant le fruit était mûr, la bourgeoisie pouvait intervenir en toute quiétude. Au lieu de commettre l'erreur d'utiliser la répression ouverte -ce que voulaient le Confindustria et la Confragricultura - Giolitti agit en homme de savoir, en défenseur adroit dos intérêts à long terme du capitalisme. Devant lui, deux choix se présentaient : soit utiliser les forces répressives pour faire cracher le canon sur les métallurgistes piémontais, les typographes romains les marins et dockers de Trieste, jusques et y compris les peu farouches instituteurs, soit attendre que la faim fasse ses effets. Et Giolitti garda tout son sang-froid, il misa sur celle-ci et sur la besogne de sape des syndicats. Fort de sa vieille expérience face à l'agitation sociale, sa tactique fut une nouvelle fois le mouvement se développer, puis refluer de lui-même„ Qui peut dire que de ne pas avoir misé sur la répression systématique ne lui a pas réussi avec un rare bonheur ?

BILAN POLITIQUE

Les Comités de Fabrique ont prouvé que le prolétariat ne pouvait pas surgir sur le terrain économique, ni investir la société tout entière à partir des positions occupées dans les usines, celles-ci modifieraient-elles le droit à la propriété et au commandement. L'expropriation des capitalistes sera seulement accomplie par une révolution prolétarienne. Le prolétariat doit donc se constituer en parti politique, non pas dans l'horizon bourgeois de la nation, mais internationalement. Dès le début de son activité révolutionnaire, il doit œuvrer à la formation du Parti Mondial, dont, le caractère intrinsèque ne se mesure pas à l'aune des réalisations économiques, mais à défaire l'Etat par les armes. Ainsi le problème posé, nous sommes en mesure de comprendre pourquoi la Commune de Paris qui ne peut que décréter au niveau social que bien peu de choses, en regard de ce qu'a accompli le capitalisme dans sa période ascendante, est une véritable révolution prolétarienne, la première dans l'Histoire.

Seule la Gauche qui avait commencé son travail de fraction dès les années 1912-1914 dans la lutte contre le blocardisme, la politique d'appui socialiste à la bourgeoisie italienne, qui s'orienta vers la dénonciation du culte électoral, sortit la tête haute de la tourmente. Mille et mille fois, elle incita le généreux prolétariat d'Italie à passer outre les anciens chefs imbus de leurs dangereuses méthodes d'action collaboratrice traditionnelle. Seule contre tous, elle appela les forces conscientes et combattantes du prolétariat à se défaire des liens criminels, l'emprisonnant derrière les grilles des usines, pour se constituer en Parti de classe, car c'était précisément en se paralysant sur le terrain morcelle des usines que la classe ouvrière d'Italie préparait sa propre tombe. Contre les courants nombreux qui firent miroiter la possibilité de s'emparer des moyens de production et d'échange sans procéder à la destruction préliminaire de l'appareil de l'Etat bourgeois, elle mit en évidence que :

"Selon la saine conception communiste, le contrôle ouvrier sur la production ne se réalisera qu'après la mise en pièces du pouvoir bourgeois si le contrôle de la marche de chaque entreprise passe à tout le prolétariat unifié dans l'Etat des Conseils. La gestion communiste de la production sur toutes ses branches et unités de production sera assurée par les organes collectifs rationnels représentant les intérêts de tous les travailleurs associés dans l'œuvre de construction du "Communisme". (Thèses de la Fraction Communiste Abstentionniste du Parti Socialiste Italien). (Mai 1920)

Elle se risqua, et c'était sa tâche révolutionnaire la plus urgente, à affronter les tabous ambiants de la grève gestionnaire expropriatrice, pour remettre en place le primat politique : la constitution du prolétariat en partie Alors que les endormeurs incitaient les travailleurs en grève à se pencher avec application sur leurs établis, à connaître la valeur du capital engage dans la production, à voir comment augmenter le rendement du travail, le langage de la Gauche posa le seul vrai problème, sans détours ni arguties démocratiques : "Prendrons-nous le pouvoir ou prendrons-nous les usines ?". Que n'ont-ils pas fulminé Gramsci et son équipe à l'énoncé de cette vérité première. Votre parti est une conception sectaire, hiérarchique de la Révolution, nous nous lui opposons une vision unitaire, large et libertaire.

Que de louanges à l'unité n'ont-ils pas entonnées dans la crainte morbide de la scission. Unité avec la majorité maximaliste unitaire de Seratti voulant faire du Parlement et des Communes des foyers actifs de propagande révolutionnaire; unité avec les réformistes de Turati adversaire des Conseils turinois et de 1;' Internationale Communiste; unité avec les syndicalistes épurés des éléments extrême-droitiers. D'où le nom du prochain quotidien du parti, l’"Unità". Ouverture rassurante en direction des catholiques intellectuels organisés dans  le Parti Populaire :

"En Italie, à Rome, il y a le Vatican, il y a le pape. L'Etat "libéral a dû trouver un système d'équilibre avec la puissance "spirituelle de l'Eglise; l'Etat ouvrier devra lui aussi en "trouver un".

L'effort de la Gauche pour constituer le parti purement communiste en partant de la renonciation à la participation électorale n'était, aux yeux de Gramsci, que "particularisme halluciné"; lui aurait voulu le redressement du P.S.I. qui, "de parti parlementaire petit-bourgeois doit devenir le parti révolutionnaire". Les "Neuf points" publiés sous le titre "Per un rinnovamerto du P.S." dans l’Ordino Nuovo du 8 mai 1920 correspondaient à ce que désiraient les dirigeants de l'Internationale Communiste : une épuration progressive de l'aile droite soit, une scission. Avant Livourne, Lénine avait déclarés :

"Pour diriger victorieusement la révolution et pour la défendre le parti italien doit encore faire un certain pas vers la gauche (sans se lier les mains) et sans oublier que, par la suite les circonstances pourront très bien exiger quelques pas vers la droite".

Le pas à gauche ayant été fait à Livourne, les circonstances de la lutte contre l'offensive réactionnaire exigeaient "quelques pas vers la droite". Au IV° congrès de l'I.C. fut arrêtée la fusion du P.C.I. et du P.S.I.

R.C.


[1] [24] Voir la présentation que donne le trotskyste P. Broué du livre d'A. Léonetti.

[2] [25] E. Malatesta, le héros de l'équipée du Benevento d'avril 1877, était un des éléments révolutionnaires conscients de la gravité de la situation : "si nous laissons passer le moment favorable, nous devrons ensuite payer par des larmes de sang la peur que nous faisons maintenant à la bourgeoisie".

[3] [26] Lissa et Custoza étaient les batailles perdues contre les Autrichiens dans la première guerre pour 1'indépendance italienne en 1866 qui marque aussi le retour de la Vénétie au Royaume d'Italie.

[4] [27] Lettre du lieutenant-général Oscar Raffi, commandant de corps d'armée, à Giolitti au lendemain de Caporetto datée du 5 nov. 1917.

Géographique: 

  • Italie [28]

Evènements historiques: 

  • Première guerre mondiale [29]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La vague révolutionnaire, 1917-1923 [30]

Réponse à Workers' Voice.

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Dans le n°13 de la revue anglaise Workers ' Voice, a été publié une "déclaration" (statement), signée par Worlkers’ Voice qui rompt tout contact et tout rapport avec le CCI. Ceci  peut surprendre nos lecteurs et les militants révolutionnaires qui partagent notre orientation politique, d'une part parce que Workers'Voice a poursuivi une discussion très étroite avec notre courant pendant deux ans, d'autre part, parce que 1e idée de "rompre tout contact" est pour  le moins invraisemblable entre des groupes révolutionnaires.

Dans sa déclaration, Worker'Voice réaffirme son accord avec les positions de classe essentielles qui sont la base de notre courant et de Workers'Voice. Mais, malgré cet accord sur les principes, Workers'Voice annonce qu'il rompt toute discussion avec nous à cause d'un désaccord :

I - sur le regroupement des révolutionnaires aujourd'hui.

II - sur la question de l'Etat dans la société postrévolutionnaire, la période de transition.

Avant d'entrer dans les détails de cette déclaration, il faut préciser tout de suite que Workers'Voice doit assumer toute la responsabilité politique de la rupture, c'est Workers'Voice qui a pris la responsabilité de supprimer même  le minimum de relations avec notre courante Notre courant n'abandonne pas la discussion avec des groupes en évolution, surtout si leur orientation politique s'appuie sur les positions de classe qu'il est extrêmement important de développer et de diffuser  au sein de la lutte de classe Ce sont de profondes divergences politiques et la mise en question des frontières de classe qui peuvent motiver la rupture de tout contact.; et l'arrêt de toute discussion entre  des groupes. Nous ne discutons pas, par exemple, avec des organisations staliniennes ou trotskystes parce que "discuter" avec la contre-révolution n'a aucun sens, Or, bien qu'il existe d'importantes divergences entre Workers'Voice et notre courant, nous ne les avons jamais mises sur le même plan que celles que nous pouvons avoir avec la contre-révolution elle-même! A aucun moment nous n'avons tenté ni même souhaité de mettre fin à la discussion avec Workers'Voice. Au contraire, nous considérons que la rupture de Workers'Voice constitue une fuite devant les responsabilités des révolutionnaires dans leur tâche de clarification  des positions de classe par la confrontation des idées.

Comment Workers'Voice justifie-t-il sa rupture?

I -- Sur le premier point qu'il soulève, Workers'Voice est d'accord pour dire que "les frontières de classe indispensables à tout regroupement international des révolutionnaires existent déjà". De plus, ces frontières de classe sont fondamentalement à la base de la constitution de notre courant et de Workers'Voice. Le problème que se pose Workers'Voice, c'est :

1-        que ce n'est pas le bon moment pour un regroupement et notre courant précipite le processus

2-        que notre courant exigerait un regroupement en soumettant les autres groupes "à nos conditions".

Les camarades de Workers'Voice sont de bien timides défenseurs du regroupement. Tout ce qu'ils trouvent à dire, et du bout des lèvres, c'est qu’ils "ne sont pas contre un regroupement, en principe". Mais pourquoi se donner tant  de peine pour œuvrer à un regroupement des forces révolutionnaires? Pourquoi ne pas se contenter d'une multitude de petits groupes révolutionnaires (et à 1'extrême d'individualités), chacun s'attachant à "son propre travail" dans "son" petit coin du globe, chacun maître "chez soi", protégeant "son" groupe des "agressions" des autres ? Pourquoi ne pas réduire les rapports entre camarades à de flamboyantes insultes, à de tapageuses exclusions dans le style tant répandu des situationnistes ? Pourquoi notre courant a-t-il, au contraire, tant insisté pour que les camarades comprennent l'importance du problème du regroupement et de la consolidation des forces révolutionnaires sur la base d'un accord programmatique clair ?

Dans un monde où la crise du capitalisme mène peu à peu au chaos économique, et où le système est forcé d'augmenter ses attaques contre la classe ouvrière; dans un monde où la bourgeoisie se trouve de plus en plus confrontée à de profondes crises politiques, dans tous les pays, et doit utiliser de plus en plus un masque de "gauche" et la répression où la résistance de la classe ouvrière s'est exprimée de façon puissante bien que sporadique à l'échelle internationale ; où la lutte de classe se prépare à d'importantes explosions à venir, les forces révolutionnaires sont extrêmement limitées. La confusion créée par cinquante années de contre-révolution et de rupture, pesé et pèsera lourdement sur le mouvement ouvrier. Mais Workers'Voice a tout son temps pour continuer à tourner en rond; pour lui, rien ne presse! Pour lui, l'important, c'est de continuer à rester ce qu'il a toujours été, un groupe local que la "collection" de contacts internationaux intéresse tant qu'elle n'implique rien d'autre.

Quant au problème que pose Workers'Voice concernant la soumission à "nos conditions" nécessaire pour rejoindre notre courant, nous considérons que  la seule raison politique valable pour refuser de se joindre à d'autres groupes, c'est une différence entre les positions de classe fondamentales (incluant  la position sur la nécessité de l'organisation et sur les moyens de la réaliser)« Notre seule "condition" est en fait un accord politique et théorique profond et solide C'est la seule interprétation possible qu'on puisse donner au "sous nos conditions". Apparemment, Workers'Voice a peur d'un "rassemblement artificiel oui ne signifierait rien et avertit notre courant du danger qui consisterait de perdre nos efforts encore limités vers une unité internationale pour la constitution d'un partie. Nous ne pouvons que remercier Workers'Voice de nous donner un conseil que nous-mêmes avons formulé et défendu depuis des années. Nous ne considérons pas notre courant international comme un parti bien que nous soyons convaincus qu'il constitue une contribution nécessaire à celui-ci. Aujourd'hui, le parti du prolétariat ne se formera que lorsque la lutte de classe se sera intensifiée et généralisée à l'échelle internationale. Mais le processus de clarification politique et organisationnelle qui mène à la constitution du parti, commence avec la période de montée des luttes, avec le début de la crise ouverte. Ce fait objectif est la cause fondamentale du surgissement de groupes révolutionnaires depuis 1968, tant Workers'Voice, que notre courant, et que tant d'autres. Le processus de prise de conscience de la classe ouvrière s'exprime aussi dans l'effort des groupes révolutionnaires pour devenir un facteur actif au sein de la lutte de classe. Notre effort actuel pour constituer un pôle de regroupement des forces révolutionnaires, aura une influence sur l'activité et l'organisation de demain. Bien que nous ne soyons pas arrivés à une étape où la formation  du parti est nécessaire, ceci ne signifie pas que les révolutionnaires doivent rester isolés dans leur coin, inactifs et prisonniers du localisme.

Si l'on n'encourage pas la discussion internationale et si l'on ne tend pas à regrouper les forces qui parviennent à un accord politique, on condamne tous les programmes révolutionnaires à rester des paroles en l'air.

Il est possible que le problème réel qui se pose entre Workers'Voice et notre courant, réside dans une conception profondément différente de la nécessité de l'organisation et des moyens d'y parvenir0 Hais ces divergences ne peuvent être clarifiées (sinon surmontées) que par la discussion « De toutes façons,  des désaccords sur le moment où peut avoir lieu un regroupement et sur la mise  en pratique organisationnelle de l'internationalisme ne constituent pas -une raison de principe pour rompre tout contact entre les groupes révolutionnaires0 Hais il est toujours plus facile d'éluder les problèmes que de les approfondir.

II  - Quant au deuxième point que Workers'Voice soulève pour justifier sa rupture avec notre courant, la question de la période de transition, Workers'Voice proclame que "Révolution Internationale considère qu'il existera un Etat pendant la période de transition qui sera indépendant de la classe". Après avoir un peu brodé sur ce thème, la déclaration conclut que cette position nécessite une rupture totale avec nous, car elle confirme de façon criante notre passage dans le camp de la contre-révolution.

Il faut tout de suite éclaircir cette question. Ni R.I., ni aucun des groupes de notre courant n'a publié ou exprimé une telle position. Dire que l'Etat pourrait exister indépendamment de la classe (des Conseils ouvriers) dénierait complètement tout sens à la dictature du prolétariat:; une telle conception n'est pas marxiste et nous la rejetons. Quiconque lit le n°1 de notre revue Internationale (paru en avril) où plusieurs articles de notre courant sur la période de transition sont publiés, est en mesure de voir que nos analyses théoriques ne défendent à aucun moment une telle conception. Il est regrettable que la peur du ridicule n'empêche pas Workers'Voice de publier des affirmations complètement fausses.

La question du déroulement de la période de transition est en discussion dans tous les groupes de notre courant, et comme nos publications le montrent, nous sommes loin d'avoir atteint une unanimité sur ce problème,, Nous ne pensons pas que toutes les questions qui surgiront pendant la période de transition, puissent être résolues de façon décisive dans l'immédiat et pour toujours, ni par nous, ni par quiconque, avant même que la pratique de la classe n'ait tranché.

Que Workers'Voice puisse prendre une mesure aussi draconienne que de rompre tout contact avec notre courant et nous dénoncer comme contre-révolutionnaires, en se basant sur une telle version incohérente et tronquée, ne fait que prouver la faiblesse et le manque de sérieux des éléments révolutionnaires qui sont confrontés aujourd'hui à un problème aussi difficile et complexe que celui de  la période de transition.

Pour traiter la question de l'Etat dans la période de transition, il nous faut d'abord distinguer la conception marxiste de la conception anarchiste. Les anarchistes ignorent les lois économiques du capitalisme et l'évolution de l’histoire. Contrairement à eux, les marxistes ont affirmé qu'entre la société capitaliste et le communisme a lieu une période de transition t   pendant cette période, la lutte du prolétariat contre les vestiges de la loi de la valeur se poursuit pour assurer la suppression définitive de la bourgeoisie et pour intégrer les couches et les classes non exploiteuses qui subsistent, dans les nouveaux rapports de production, en tant que producteurs librement associés, donc pour mener à terme le processus de transformation sociale sous la domination politique du prolétariat. Ce processus s'achèvera avec la réalisation d'une société sans classes.

Mais pendant la période de transition, c'est-à-dire jusqu’a ce que ce but soit atteint, la société reste divisée en classes. (Même après la défaite militaire et l'expropriation de la bourgeoisie, subsistent les paysans, les couches moyennes, etc., face au prolétariat)0 De cette société encore divisée en classes surgira nécessairement un Etat. Contrairement à la conception anarchiste qui voit dans l'Etat une personnification de tous les démons du mal, et pense que la seule volonté suffit à la faire disparaître, les marxistes affirment que l'Etat est une expression des rapports sociaux et ne peut être éliminé que par la transformation consciente des bases matérielles de ces rapports sociaux, de ces divisions, c'est-à-dire, par la réalisation du programme communiste de la classe-ouvrière.

Une fois reconnue 1'inévitabilité de l'Etat pendant la période de transition, la question se pose ainsi : comment comprendre l'Etat de la période de transition dans le contexte de la dictature du prolétariat ?

Au sein du courant marxiste, les bolcheviks ont proposé une ''solution'' : d'une part l'identification complète du prolétariat et de l'Etat, la création d'un Etat "ouvrier" ; d’autre part, 1’identification de la classe avec le parti, la création d'une bureaucratie de parti à laquelle est "confiée" la direction de l'Etat. L’expérience historique de la révolution russe doit nous amener à rejeter cette "solution" du problème de l'Etat de la période de transition.

Tirant les leçons de l'expérience historique du prolétariat, nous disons :

- premièrement, que l'Etat ne peut pas être pris en charge par un parti, le rôle du parti n'étant pas de prendre le pouvoir au nom de la classe ouvrière, de se substituer à 1’ensemble de la classe.

- deuxièmement, que c'est l'existence de classes pendant la période de transition qui détermine l'existence d'un Etat et non un besoin quelconque du prolétariat de créer un Etat.

Si le monde n'était composé que par la classe ouvrière après la révolution il n'existerait pas d'Etat. Il y aurait une "administration des choses" et non un "gouvernement des hommes". La question se pose donc ainsi s si l'Etat surgit de l'existence d'une société encore divisée en classes, est-ce que le prolétariat identifie ses buts historiques de transformation sociale avec les tâches de l'appareil d'Etat ?

Le prolétariat ne doit pas laisser exister un Etat indépendamment de lui. En fait, l'Etat doit être subordonné aux intérêts du prolétariat, autant que les rapports de force entre le prolétariat et le reste de la société postrévolutionnaire le permettent. Nais l’Etat n'a jamais été un instrument de transformation sociale dans l'histoire, et encore moins dans la période de transition. Le programme communiste ne peut être défendu et mené à bien que par des instruments internationaux spécifiques du seul prolétariat. En d'autres termes, les ouvriers doivent-ils reconnaître "une autorité de l’Etat sur leurs décisions s'ils considèrent qu'elle ne va pas dans le sens de leurs intérêts de classe ? Si la réponse est oui, Trotski avait raison de militariser le travail, et d'interdire les grèves contre le gouvernement "ouvrier", ces grèves étant alors réactionnaires et inadmissibles. Si l'Etat constitue pleinement l'instrument de la réalisation du programme communiste, en quoi les bolcheviks avaient- ils tort de vouloir utiliser cet Etat contre les ouvriers si nécessaire (en laissant de côté le fait que l'identification de l'Etat et de la classe prenait la forme du parti) ?

Il nous semble important d’insister sur le fait que la classe ouvrière doit conserver ses propres organisations de classe, indépendamment de ce que seront les formes étatiques II est fondamental que les ouvriers veillent à ne pas se laisser diluer dans les couches non-prolétariennes et résistent à toute tendance à leur faire reconnaître une quelconque autorité étatique suprême. Contrairement à Workers'Voice, nous ne disons pas que l’Etat, c'est la classe, ni que la classe est l’Etat, mais que ce semi-Etat hérité de la société de classes doit être utilisé par le prolétariat, sans que il s’identifie à lui ni qu'il se laisse dominer par lui.

Identifier totalement l'Etat à la classe, s'est ouvrir le chemin à Kronstadt. Ce problème semble échapper complètement à Workers'Voice, ce qui l’amène à engager un faut débat avec nous, nous ne disons pas que l’Etat doit être indépendant de la classe ouvrière, mais qu'au contraire, la classe ouvrière en maintenant sa domination sur l’Etat, doit conserver intacte son organisation de classe internationale spécifique, La classe ouvrière est la seule classe dans la société- postrévolutionnaire qui s'organisa en tant que classe : la dictature du prolétariat. Les individus des autres couches sociales seront  représentés, individuellement sous une forme de soviets territoriaux au sein de l'Etat. Bien que l’Etat est une autorité sur toutes les autres couches de la société, il ne doit pas avoir une autorité sur les conseils ouvriers, quelles eue soient les contingences de la situation L’Etat surgit des nécessités de la société postrévolutionnaire encore divisée en classes, mais le prolétariat doit défendre son autonomie de classe. Prenant garde au maximum aux dangers qui résident dans l'Etat et eu rejetant toute mystification d'un Etat "ouvrier",

Nous ne prétendons pas avoir, résolu tous les problèmes, ni avoir trouve "LA" réponse à ces questions difficiles: mais nous rejetons l'idée de rompre prématurément tout débat, sous le prétexte absurde de notre passage dans le camp de la contre-révolution, accusation que Workers'Voice s’érigeant en juge de paix, nous assène.

Que peut conclure la classe face au spectacle de deux groupes qui partagent les mêmes positions de classe -notre courant et Workers'Voice - ''rompant leurs relations" sur des questions qui, au mieux, restent à débattre au sein de la classe elle-même, et, au pire, ne sont qu'un pot pourri de suppositions et de fausses accusations.

La dernière des choses dont le mouvement ouvrier a besoin, c'est de confusionnistes, et de ce genre de "tactiques de rupture" ! Nous espérons que Workers'Voice reconsidérera sa décision hâtive et sans fondement. Les positions et le travail de Workers'Voice ont constitué une contribution positive au mouvement ouvrier, mais si Workers'Voice, se fait le porteur de la confusion, il vaut pour la lutte ouvrière qu'ils disparaissent aussi vite que possible. Si Workers'Voice ne supporte plus de discuter les positions d’une façon principielle, et d’ouvrir son esprit; si l’hostilité continue de servir d’écran  de fumée pour cacher un localisme et une jalousie de petit cercle ; il vaut mieux que le groupe disparaisse et laisse la place à des expressions de la classe ouvrière capables d’évoluer.

J.A., pour  le  Courant Communiste International.

Géographique: 

  • Grande-Bretagne [31]

Courants politiques: 

  • Influencé par la Gauche Communiste [32]

Spartacusbond hanté par les fantômes du bolchevisme

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Le "Spartacusbond", groupe hollandais dans la tradition du communisme de conseils, a récemment publié deux numéros d'un "bulletin de discussion internationale" en anglais. Il est extrêmement encourageant que le  "Spartacusbond" ait voulu rendre ses idées plus accessibles à ceux qui ne comprennent pas le hollandais et se soit activement préoccupé de .participer aux discussions et débats internationaux.

Les deux numéros du bulletin de discussion internationale de Spartacusbond ont été consacrés à. la critique de notre courant international : le premier est une réponse à un article sur le regroupement international paru dans Internationalism n°5 (USA), le second applaudit l’éloignement de "Workers’ Voice"  de notre courant et critique un article sur le KAPD paru dans RI n°6 et Internationalism n°5.

L'article d’Internationalimm n°5 sur la conférence internationale de 1974, mettait l'accent sur la nécessité du regroupement des révolutionnaires en cette période de lutte montante de la classe aujourd'hui. Dans le passé, cinquante années de .contre-révolution, la défaite des efforts révolutionnaires de la classe ouvrière, la mobilisation pour la guerre mondiale et la léthargie due aux années de reconstruction, ont eu des conséquences sur les groupes révolutionnaires qui tentaient de garder vivante la flamme de la théorie révolutionnaire pour contribuer à la lutte future. La conséquence inévitable de cette longue période de défaite et de chaos, fut l’atomisation et l'isolement des groupes révolutionnaires. Mais il ne faut pas faire de nécessité, vertu. La fragmentation, l'isolement des révolutionnaires, au niveau international sont inévitables dans la défaite, mais aujourd'hui, alors que la perspective de la révolution resurgit dans les luttes de la classe ouvrière dans le monde entier, cet isolement des révolutionnaires n'est plus inévitable. Au contraire, notre nouvelle période de lutte de classe a réanimé  -et réanimera-  la conscience de la classe ouvrière qui s'est déjà manifestée avec 1;apparition de groupes et cercles-révolutionnaires dans le monde entier.

L'objet de 1'' article d'Intemationalism était de mettre en avant l’idée que :

— les groupes révolutionnaires doivent faire l’effort de comprendre et défendre les principes d'une orientation révolutionnaire aujourd'hui: ils doivent fonder leur activité sur des  positions de classe claires?

— ceci ne peut être mené a bien qu'en comprenant la dynamique historique de la lutte de classe aujourd'hui et en tirant  les leçons des luttes des ouvriers dans le passé par la discussion et la confrontation internationale des idées ;

— la discussion internationale doit se situer dans le cadre d'une éventuelle unification de nos efforts, si un accord,  sur les principes fondamentaux est acquis, pour pouvoir contribuer au développement de la conscience de classe au sein du prolétariat aujourd'hui par la participation active aux luttes de la classe.

Mais là où nous écrivons "regroupement des révolutionnaires"!, le Spartacus-bond voit le parti bolchevik montrer la tête une fois encore. "Nous nous demandons si les groupes présents à la conférence internationale veulent réellement former un parti bolchevik" (Bulletin n°1, p.3). Pour le Spartacusbond, apparemment toute organisation est un parti, et tout parti est bolchevik. Ce syllogisme  renferme en fait une condamnation de tout travail révolutionnaire aujourd7hui… par peur que les démons du passé n'aient pas été exorcisés.

En premier lieu, il est surprenant que le Spartacusbond pense nécessaire de demander si nous nous orientons vers un parti bolchevik ou non. S'il a lu notre presse, il doit sûrement se rendre compte que la plateforme politique sur laquelle est fondée notre activité dans plusieurs pays, est claire et non équivoque sur le rejet de la conception bolchevik du parti, à la fois dans le rapport parti-classe et dans sa structure interne. Une des prémisses de base pour tout travail révolutionnaire aujourd'hui est le rejet de la conception Bolchevik du parti; sans cette base, aucun progrès dans la discussion n'est possible. Dès ses  débuts, notre courant: a dépendu 1’idée que :

I- La conception léniniste de la conscience de classe apportée "de l'extérieur", par des éléments "intellectuels", est complètement fausse, Il n'y a pas de séparation entre l'être et la conscience, entre le prolétariat comme classe économique et son but historique du socialisme, entre la classe et ses luttes. Les organisations politiques des révolutionnaires sont une manifestation du développement de la conscience dans la classe; elles sont une émanation de la classe ouvrière.

La conscience n’est pas circonscrite au parti, elle existe dans l'ensemble ne la classe mais de façon ni homogène, ni simultanée, Le bue de ceux gui ont pris conscience plus vite que d'autres dans la classe est de s'organiser en vue de contribuer à la généralisation de la conscience de l'ensemble de la classe Le parti n'est pas le dépositaire exclusif de la conscience tel que la conception ultra léniniste des Bordiguistes le voudrait; il est simplement une intervention organisée qui tend à une plus grande clarté et une plus grande cohérence des perspectives de classe, peur contribuer ainsi activement au processus de développement de la conscience dans la classe. Le parti n’est en aucune manière un absolu éternel mais un effare constant pour renforcer la conscience du prolétariat.

II- La conception léniniste, partagée par presque tous les révolutionnaires a l'époque a un  degré ou à un autre:, selon laquelle le parti doit prendre le pouvoir "au nom de la classe" : doit être rejetée. L’expérience historique de la révolution russe montre que cette conception ne mène qu’au capitalisme d’Etat, pas au socialisme.

La classe ouvrière DANS SON ENSEMBLE est le sujet de la révolution et ce n’est pas une minorité de la classe ou venant de l’extérieur aussi éclairée soit-elle ou pense-t-elle être qui peut lui "apporter" le socialisme Le socialisme n'est possible que par l’activité consciente, autonome de la classe ouvrière, qui apprend par sa pratique et sa lutte.

Le rôle du parti n'est en aucune façon d'exercer le pouvoir sur les ouvriers, ni d'assumer le pouvoir d'Etat. Le rôle du parti est de contribuer à la conscience de classe, à la compréhension des intérêts généraux et du but historique de la lutte. Les conseils ouvriers sont l'instrument de la dictature du prolétariat et non le parti.

III- Avec Marx, en rejetant la notion anarchiste de "fédéralisme" dans l’organisation révolutionnaire, notre courant soutient que la centralisation internationale des organisations révolutionnaires n’implique en rien le rejet de la démocratie dans le cadre des principes politiques du groupe. Un groupe politique n'est pas un monolithe sur le modèle stalinien et ne peut l'être parce qu5il doit exprimer les débats et discussions réelles du mouvement ouvrier. Les militants n’ont pas simplement le "droit", ils ont le devoir d'exprimer et de clarifier toutes les divergences librement dans l'organisation, dans le cadre des principes politiques. Les  Bolchevicks ont construit le parti comme un appareil quasi-militaire parce que le but était envisagé comme la prise du pouvoir par le partie. Tel n’est PAS le but du parti prolétarien et par conséquent, sa structure interne doit être appropriée aux besoins de clarification politique pour laquelle il est crée au sein de la classe.

Tels étaient et sont, en résumé, les principes sur lesquels tous les groupes de notre courant sont basés. Demander si nous ne deviendrons pas tout simplement un autre parti Bolchevik, montre que soit le Spartacusbond ne connaît pas nos principes, soit il pense que quelque "destin fatal" nous transformera en notre contraire, parce que, malgré tout ce que nous disons ou faisons, Spartacusbond voit en nous l'invisible stigmate de la mort, nous pouvons seulement dire que le Spartacusbond n’a pas le monopôle d'être sincèrement opposé à  la conception léniniste du parti, qu'en rejetant les conceptions léninistes sur la question du parti, il n'est pas nécessaire d'aboutir aux idées du Spartacusbond.

Le véritable problème est que notre courant est en train de former une organisation internationale. Pas un parti, parce qu’un parti ne peut se former que dans une période de lutte de classe intense et généralisée, mais nous construisons une base politique et organisationnelle en vue d’un regroupement internationale  Voilà le hic! En rejetant la conception léniniste de 1‘organisation, le Spartacusbond rejette TOUTES les formes d1'organisation internationale. "Nous combattons toute idée de la nécessité d’un parti dans la lutte de classe" (Bulletin n°2, p.3) et de plus : "Leur présentation (celle CCI) estompe la différence et l'opposition entre parti et classe" (bulletin n°1, p.1). Les léninistes voient le parti comme extérieur et au-dessus de la classe, et le Spartacusbond admet cette définition comme inévitable et juste, et par conséquent rejette tout parti. Le raisonnement est le même, seules les conclusions changent.

Tout au long de l’histoire du mouvement ouvrier, des organisations politiques se sont formées, groupant ceux des individus qui défendent une orientation donnée dans la lutte de classe Depuis Babeuf, en passant par les sociétés secrètes, la Ligue des Communistes et la Première Internationale, les premières années du mouvement ouvrier foisonnent d’activité et de débats politiques. Graduellement, à travers 1’expérience de la lutte elle-même, la perspective et  le rôle de ces organisations politiques sont confrontées à. la réalité et beaucoup d'aspects sont clarifiés ou rejetés. Les sectes de conspirateurs, les conceptions putschistes sont abandonnées, et le rôle du parti comme contribution au développement de la conscience de classe s'est clarifié par les leçons positives et négatives des Deuxième et Troisième Internationales. Pendant cette période, les marxistes et Marx lui-même ont combattu le refus Proudhonien de s'organiser politiquement aussi bien que la résistance anarchiste à la centralisation, pour mettre l'accent sur la nécessité pour les révolutionnaires de mettre en avant une idée claire des "buts finaux de la lutte et des moyens d’y  parvenir".

Il est vain de prétendre que la généralisation de la conscience dans la classe ouvrière ne s’est pas manifestée par la croissance et l'unification de groupes révolutionnaires. Le Spartacusbond ne le prétend pas. Il spécifie simplement qu'AUJOURD'HUI ces types d'organisations sont devenus non seulement inutiles mais encore un véritable obstacle au mouvement de la classe ouvrière.

Pourquoi ? Le développement de la conscience de classe si essentiel à la lutte prolétarienne est--il miraculeusement devenu un processus homogène et automatique dans la classe ? N’y-a-t-il plus aucune nécessité pour les éléments qui voient plus clairement les choses  plus tôt de s'unir pour propager leurs analyses  et leurs perspectives ? La réponse à ces deux questions est non. Même le Spartacusbond le reconnaît : "il n’y  a pas de doute que ceux qui parviennent à cette clarté (sur la nécessité des conseils ouvriers) ressentiront le besoin de propager leurs expériences sur tout terrain de lutte. Mais dès qu'ils prétendent lancer un parti  ou une internationale considéré comme leader de la classe, ils retombent dans les idées et les modèles organisatinnels du passé" (bulletin n°2, p.3).

Il y a la une contradiction claire. Si ceux qui parviennent à se clarifier vont inévitablement vouloir s'organiser pour propager leur clarification, vont-ils alors  contribuer positivement à la lutte eu non ? La réponse semble être : si c'est un groupe informel d'individus isolés, ils peuvent dire sans crainte ce qu'ils ont à dire; mais dès qu’ils tentent de s'organiser dans une organisation internationale, et d'élargir effectivement leur influence, alors ils sont un obstacle selon le Spartacusbond. Aussi longtemps que les groupes sont: inefficaces, isolés et flous, le Spartacusbcnd approuve leur existence. Mais dès qu'ils tendent vers une cohérence politique et organisationnelle, ils sont censés devenir néfastes. Nous pouvons nous demander, pourquoi le Spartacusbond existe ? Pour s'organiser  lui-même afin de dire aux autres de ne pas s'organiser ? Pour le Spartacusbond,  dès qu'un groupe essaye de développer quelque influence pour ses idées, il devient inévitablement "leader" (c'est-à-dire, le modèle Bolchevik). Dans cette logique, notre seul espoir est de nous condamner nous-mêmes à  nous contraindre à l’impuissance.

Le Spartacusbond prétend se réclamer de la tradition communiste de Conseils de Ho11onde. Faut-il lui rappeler que les communistes de conseils avec Gorter essayèrent de former une IV° Internationale dès les années 20 ? Est-ce que cela signifie que Gorter était devenu le disciple hollandais de Lénine ? Un bolchevik qui se serait ignoré ? Un effort semblable fut tenté par le groupe communiste de conseil hollandais (a prés  la rupture avec le Spartacusbond) en 1947. Ce groupe encouragea l’initiative des communistes de conseils belges qui appelèrent à une conférence internationale et le groupe hollandais participa activement en 1943 à cette conférence des différents groupes de la gauche communiste. N'est-ce pas là la véritable tradition du communisme de conseils plus que la non-participation et la condamnation par le Spartacusbond des regroupements internationaux aujourd'hui?

Cependant,  le débat est plus profond : quel est le rôle des révolutionnaires? Est-ce simplement de propager leurs expériences actuelles en tant qu'individus, comme le sous-entend la phrase citée plus haut, ou est-ce de distiller l'expérience de toutes les luttes de la classe ouvrière dans l'histoire, d'enrichir les luttes présentes des leçons du passé ? Pour le Spartacusbond, le passé est effacé d’un coup de balai anti-léniniste. La révolution Russe était simplement une révolution bourgeoise et les Bolcheviks, un parti capitaliste d'Etat "par essence" dès le début.

Les conceptions erronées des Bolcheviks sont la reprise d'éléments de la Social-démocratie., Par conséquent, la II° Internationale doit tout autant être rejetée. On aboutit à un pot-pourri, à une approche incohérente, moraliste de l'histoire. Pourquoi donc analyser à la fois les luttes passées et la défaite, lors qu'il est beaucoup plus facile de les rayer d'un trait de plume.

La révolution russe, selon Spartacusbond, a été une révolution bourgeoise. Mais à l’"Ouest" (Europe de l'Ouest), la révolution était a l'ordre du jour du fait des changements objectifs du système capitaliste (la période de décadence, le début du cycle crise-guerre-reconstruction) et cela a fait surgir des soulèvements révolutionnaires en Allemagne et partout. Le Spartacusbond se rend compte qu'une nouvelle période de lutte, de lutte révolutionnaire, a commencé à cette époque, parce qu'il soutient correctement que les syndicats ne sont plus, dès cette époque, des organisations adéquates de la lutte de la classe ouvrière, Nous nous trouvons alors avec cette contradiction absurde que le capitalisme était mûr pour la révolution prolétarienne en "Europe de l'Ouest", mais pas en Russie, où la bourgeoisie comme classe historique était encore capable d'avancer vers sa révolution bourgeoise ; Le capitalisme cesse d'être un système qui domine le monde et devient une question de régions géographiques : ici, la révolution prolétarienne est a l'ordre du jour ; là, la bourgeoisie commence sa tâche. Ici, les ouvriers tentent de prendre le pouvoir, tandis que  là leurs camarades ouvriers combattent le "féodalisme" russe? Et les ouvriers de l'Europe de l'Ouest qui poussent en avant les luttes contre l'ordre bourgeois sont, au même moment, si peu conscients qu'ils rejoignent la Troisième Internationale et prennent la révolution "bourgeoise" en Russie pour l'avant-garde de leur propre révolution! C'est une logique complètement incohérente, une vision d’Alice au Pays des Merveilles de l’histoire. Où le programme révolutionnaire, socialiste est une possibilité mondiale ou il est simplement une aventure utopique de l'Europe de l'Ouest. Comment le Spartacusbond explique-t-il l'existence de conseils ouvriers, organisation de la classe pour l’assaut révolutionnaire contre l'ordre capitaliste, au sein d'une révolution "bourgeoise" en Russie? Nous l'abandonnerons aux contorsions théoriques d'une argumentation illogique. Mais la révolution Russe reste un livre fermé à ceux qui sont tellement obsédés par la défaite qu'ils doivent simplement nier tout caractère prolétarien à l'expérience russe. Ceci amène inévitablement ou rejet de toute racine prolétarienne de la Troisième Internationale. L'histoire devient une énigme où chacun tourne en rond en faisant des choses incompréhensibles. Pour le Spartacusbond toute leçon du passé est inutile parce que la plus importante des luttes des ouvriers est "bourgeoise"; 1'histoire prolétarienne devient un immense vide.

Il est compréhensible que le Spartacusbond voit la contribution des révolutionnaires comme simplement la propagation de "leurs expériences" de façon  immédiatiste et sans dimension historique. Il a une difficulté regrettable à renouer avec le passé tel qu'il était. Dans l'article sur le KAPD paru dans Internationalism n°5, Hembé cite l’intervention de Jan Appel (Hempel) au 3° Congrès de la Troisième Internationale, pour montrer que le KAPD n’était pas anti-par­ti comme le furent plus tard certains communistes de conseils. Le KAPD s'opposa à la politique Bolchevik dans l'Internationale Communiste et combattit l'idée de la prise du pouvoir d'Etat par le parti "au nom de la classe". Niais il ne rejeta pas le parti comme contribution nécessaire à la conscience de classe.

"Le prolétariat à besoin d'un parti-noyau ultra-formé. Chaque communiste doit être individuellement un communiste irrécusable…  et il doit pouvoir être un dirigeant sur place. Dans ses rapports, dans les luttes où il est plongé, il doit pouvoir tenir bon et, ce qui le tient, c'est son programme. Ce qui le contraint à agir, ce sont les décisions prises par les communistes. Et là règne le plus stricte disciplinée. Là, on  ne peut rien changer, ou  ben, on sera exclu ou sanctionné" (…)  JAN APPEL

Le Spartacusbond "veut exprimer son indignation sur le fait qu’Internationalism abuse du nom de J. Appel pour tenter d’enchaîner à nouveau la classe ouvrière" (Bulletin n°2, p.5).

Avant tout, le Spartacusbond pense nécessaire de prouver que le KAPD est "leur" tradition et que notre courant n'a rien à faire en citant le KAPD pour soutenir nos idées. Il en est réduit à "douter de l'exactitude de la citation",  ce qui est une tactique puérile, puisque personne du KAPD ni Appel lui-même, que ce soit à l'époque, un peu plus tard ou aujourd'hui, n'a jamais protesté que ces discours étaient falsifiés. Les lecteurs peuvent se référer au  livre sur  La Gauche Allemande, La Vecchia Talpa., Invariance, La Vieille Taupe pour savoir si Internationalisrri a correctement transcrit cette citation des interventions du KAPD.

Mais le Spartacusbord va plus loin. "Le fait est qu'il (Appel) quitta l'Internationale Communiste et qu’après cela comme membre du KAPD rejoignit la lutte théorique et pratique de la classe ouvrière allemande" (bulletin n°2, p.5). Cette phrase implique qu'après avoir fait son discours, Appel se rendit compte de son erreur et rejoignit le KAPD. En fait, Appel parlait comme délégué du KAPD à l’Internationale Communiste et exprimait les idées de son organisation qui n'a jamais démenti ses discours. Appel n'attendit pas 1921 pour prendre part aux luttes de la classe ouvrière allemande et il en fit partie dès la Première Guerre Mondiale. Il est encore actif dans le mouvement révolutionnaire, participa à notre conférence internationale et contribue à notre organisation. Nous n'aurions pas relevé cette question si le Spartacusbond avait estimé nécessaire de manifester bruyamment son "indignation" et de nous accuser publiquement de falsification dans notre presse. C'est certainement une accusation qui peut-être retournée contre les accusateurs. Laissant de coté la polémique, il est révélateur que ceux dont la vision historique est  limitée à l'obsession du parti léniniste ont des difficultés à comprendre le contenu des expériences du passée

Mais de quel droit le Spartacusbond prétend-il que notre courant veut "enchaîner à nouveau la classe ouvrière"? Outre les principes auxquels nous avons déjà fait allusion, le Spartacusbond nous reproche d'essayer de comprendre  les contributions positives des Bolcheviks. Notre courant a en effet affirmé que les positions claire et in équivoques des Bolcheviks contre la Première Guerre impérialiste mondiale furent un appel retentissant à la classe ouvrière et rallièrent la gauche internationale qui maintint une position internationaliste à l'époque. Les positions du Parti Bolchevik sur cette question et sur la nécessité de rompre avec la II° Internationale influencèrent profondément le mouvement de la gauche communiste allemande, entre autre. La position Bolchevik contre tout compromis avec le gouvernement démocratique bourgeois de Kerenski et l'appel pour "tout le pouvoir aux soviets" sont des contributions extrêmement positives à la pratique révolutionnaire. Quoique nous ne puissions pas approfondir ici l'expérience Russe, nous voulons simplement faire observer que ces positions méritent l'attention et l'analyse des révolutionnaires et ne peuvent pas simplement être éliminées  par l’idée de Spartacusbond de "l’essence" du Bolchevisme ou en prétendant que tout ceci n'était qu’une manœuvre machiavélique pour  tromper  les  ouvriers.

Partager la contribution positive des Bolcheviks sur ces questions, ne peut en aucune manière être interprète comme une apologie de la position Bolchevik sur le parti ou sur d’autres aspects de la lutte de classe. Si les Bordiguistes font l'apologie de chaque phrase ou mot de Lénine, le Spartacusbond prend le contre-pied, jette l'enfant avec l'eau sale et condamne tout ce que les bolcheviks ont pu dire. Il est dommage que l’histoire prolétarienne ne puisse concorder avec les analyses simplistes du "tout bon ou tout mauvais" que le Spartacusbond avance.

Nous sommes entièrement d'accord avec le Spartacusbond que les conseils ouvriers sont l'instrument essentiel du pouvoir prolétarien, les organisations unitaires de la classe, et de la démocratie prolétarienne pour la lutte révolutionnaire et, la venue du socialisme Nous sommes d’accord également que l’existence de partis est un vestige d'une société divisée en classe, Malheureusement, le fait que le prolétariat soit une classe exploitée signifie que le pouvoir des "idées dominantes", l'idéologie bourgeoise retarde et repousse le développement homogène et simultané de la conscience de classe dans le prolétariat. Par conséquent, il est inévitable et nécessaire que ceux qui peuvent voir les racines de la lutte plus clairement s'organisent et essayent de propager ces idées dans la classe Le but ne peut être servi en restant des individus isolés  et inefficaces ou des groupes locaux, pas plus que les activités doivent être limitées à dire aux ouvriers "formez des conseils ouvriers" ou réduites à 1’idée ridicule de dire aux autres révolutionnaires "ne vous organisez pas ".

La classe ouvrière n'a  pas besoin des révolutionnaires pour être poussée à former des conseils ouvriers. Dans les périodes révolutionnaires, les ouvriers l'ont fait sans qu'on leur donne des conseils sur les mécanismes de cette opération. Dans le passé, quand la classe ouvrière était inexpérimentée, les révolutionnaires jouaient un rôle important en encourageant la formation des organisations de lutte économique, les syndicats. Aujourd'hui, la période est différente et la forme des conseils ouvriers  est beaucoup moins le résultat de l’agitation révolutionnaire qu’un mouvement relativement spontané de la classe en réponse aux conditions objectives.

La tache de l'organisation révolutionnaire est beaucoup plus une question de clarification des perspectives pour la lutte, de définition des buts et de dénonciation claire des dangers des luttes corporatistes et partielles.

Il n’y  a pas opposition entre les conseils ouvriers et le parti, entre  le tout et l'une de ses parties. Chacun a un rôle à jouer dans la vie de la classe

Le rejet par le Spartacusbond de tout rôle d’une organisation révolutionnaire internationale sans parler d’un  parti  n’est pas une continuation des idées centrales du KAPD; il reflète les idées de la fraction Ruhle qui quitta le KAPD et ces idées furent partiellement développées dans les années 30 pendant la période de défaite et de démoralisation,, Malgré les nombreuses contributions du communisme de conseils pour renforcer l’idée de l'importance des conseils ouvriers, les théories de certaines de ses tendances et notamment le Spartacus­bond reste inachevées et partielles. Celui-ci reste prisonnier de la dynamique léniniste en en prenant simplement le contre-pied : au lieu de dire "le parti est tout" on  dit, "le parti né est rien".

"Bien sûr, il n'y a pas d'objection à l'étude et à la coopération internationale des groupes qui prétendent stimuler la lutte autonome des ouvriers. Mais ces groupes ne peuvent pas créer un nouveau mouvement international de la classe ouvrière" (Bulletin  n°2, p. 4).

Ceci signifie qu'aussi longtemps que les groupes révolutionnaires "étudient" et "coopèrent", ils font partie de la classe. Mais dès qu'ils veulent porter 1a "coopération" de groupes locaux ou nationaux au niveau d'une organisation internationale principielle ayant une fonction active dans la classe, ils cessent d'en faire partie et le Spartacusbond condamne alors leurs efforts. Chaque pays pour lui-même, chaque groupe pour lui-même -par dessus tout, ne pas s'unir parce que le regroupement fera de vous des "leaders" et des "léninistes". Apparemment, non seulement le pouvoir corrompt, mais aussi l'organisation. Cette incohérence fondamentale est théoriquement insoutenable. Mais plus fondamentalement, l'influence de cette peur et de cette résistance au regroupement affaiblit le mouvement ouvrier et ralentit les efforts de la nouvelle génération de révolutionnaires pour créer toute réponse organisationnelle aux nécessités de la nouvelle situation d'aujourd'hui.

J.A.

Géographique: 

  • Hollande [33]

Conscience et organisation: 

  • La Gauche Germano-Hollandaise [34]

Courants politiques: 

  • Le Conseillisme [35]

Le conseillisme au secours du tiers-mondisme.

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Les conseillistes d'aujourd'hui tels que les groupes hollandais Spartacusbond et Daad en Gedachte se distinguent principalement par leur confusionnisrne menchevik qui atteint un niveau invraisemblable sur la question de la révolution russe.

Les communistes de conseils qui, luttaient de façon militante pour la clarification des positions de classe face à la contre-révolution, et qui écrivaient pour l’"International Council Correspondance" et d’autres revues communistes, n'étaient absolument pas mencheviks. Leurs racines étaient totalement prolétariennes. Dans la démoralisation et la confusion provoquées par la défaite de la révolution mondiale, ils tentèrent de comprendre les raisons de ce tournant, dans un cadre prolétarien en défendant parfois des conceptions erronées. Mais confrontés pendant des années au déclin du mouvement prolétarien, ils subirent, eux aussi, le contrecoup de la défaite. Cette période de recul était bien différente de celle de la montée de la révolution prolétarienne quand ils faisaient corps avec la vague apparemment irrésistible des années "'7-23o Le menchevisme quant à lui n’a pas été à la hauteur de ces événements historiques; il combattit la révolution prolétarienne du début à la fin.

UNE "REVOLUTION BOURGEOISE" OU LE "RENARD ET LES RAISINS".

Tout comme le renard de la .table tournait le des aux grappes de raisins qu'il ne pouvait atteindre en grommelant qu'elles devaient être de toute  façon pourries, les conseillistes d'aujourd'hui tourne le dos à la révolution d7Octobre. Comme nous l'avons dit, les communistes de gauche allemands et hollandais qui, dans les années 30, commencèrent à élaborer une théorie de la ''révolution bourgeoise'' pour expliquer la contre-révolution eu Russie, constituaient un authentique courant communiste. Ceci malgré leurs affirmations erronées quant à la nature de la révolution russe. Par contre, les "conseillistes" d’aujourd’hui ne sont que des vestiges du passé, renforçant les défauts des gauches allemande et hollandaise des années 30 et ajoutant encore a la confusion. Il est révélateur qu’ils ne partagent en rien l'ardeur, la créativité et la cohérence qui distinguaient les gauches allemande et hollandaise du début ; bref, aucune de leurs qualités.

Les révolutionnaires du KAPD et ceux d’autres groupes d’accord sur leurs positions agissaient comme des militants communistes et soutenaient la révolution d’Octobre parce qu'ils la voyaient clairement comme moment de l’épanouissement de la révolution mondiale. Ce qu’ils dirent plus tard, pendant la période de reflux, est autre chose. Avec la démoralisation et le repli, inévitablement, les minorités communistes ne voyaient pas clair et faisaient  des  erreurs puisque la classe  avait subi une défaite historique.

Mais soyons clairs sur ce point :Spartacusbond, Daad en Gedachte et Cie ramassent dans les poubelles de l’"histoire" toute la confusion et la démoralisation de ce que fut autrefois une fraction révolutionnaire vivante. Voilà toute la différence.

Examinons quelques affirmations du Spartacusbond d'aujourd'hui, qui montrent clairement une complète régression par rapport à des positions révolutionnaires ;

"La  IIIe Internationale provenant de la structure politiquement et économiquement arriérée de la révolution russe qui était en fait  une révolution bourgeoise, était une structure organisationnelle du passé, au moins pour l'Europe de l'Ouest" (Spartacusbond n°2, p.3).

Plus loin :

"Le déclin de la révolution fut le résultat de la structure de la "Russie et des idées socialistes d'Etat qui existaient dans le bolchevisme dès le début et qui ne pouvaient aboutir qu’au capitalisme d'Etat" (ibid. p.3).

Cajo Brendel, conseilliste de Daad en Gedachte pense aussi que 3a révolution d’Octobre était une révolution bourgeoise.

"Pendant un certain temps, la révolution russe (bourgeoise) somblait avoir de grandes conséquences pour des développements bourgeois semblables, en Asie et en Afrique"  (Thèses sur la révolution Chinoise, Solidarity Pamplet 86, Londres 1974, p.3).

En voyant la dégradation répugnante du Marxisme et des besoins de la révolution mondiale perpétrée par Moscou et le Kominterm, les gauches allemande et hollandaise réagissaient de façon, souvent confuse. Certains, comme Gorter et Pannekoek commençaient à dire que ce qui était arrivé en Russie était inévitable, du fait de l'était d: arriération de ce pays. Otto Ruhle et beaucoup d'autres, affirmaient ouvertement que la Russie avait connu une "révolution bourgeoise". Selon Pannekoek, même "Matérialisme et Empiriocriticisme" de Lénine était l'expression philosophique du niveau économique arriéré du développement de la bourgeoisie en Russie, et le Bolchevisme était alors supposé être une forme "hybride", particulière, du mouvement jacobin bourgeois, historiquement "obligé" d'instaurer le capitalisme d’Etat en Russie.

Suivant cette logique et y ajoutant sa propre imagerie philistine, Brendel qualifie les Bolcheviks d'"idéalistes politiques" (id. p.2; voués à s'éveiller"…subitement et horriblement…." aux réalités du capitalisme d'Etat. Paul Mattick, autre vestige conseilliste, pense la même chose :

"Pour les bolcheviks, rester au pouvoir dans ces conditions objectives réelles signifiait accepter le rôle historique de la bourgeoisie, mais avec des institutions sociales et une idéologie différentes". (P. Mattick, "Workers 'C'ontrol in the New Left").

Selon Mattick, avec la nécessité objective de la révolution bourgeoise coexistait une vague révolutionnaire (déclenchée par le 1° Guerre Mondiale) qu'il décrit comme "trop faible".

En conclusion, tout ce qui est arrivé en Russie était inévitable du fait de l'arriération économique de la Russie, du fait de l’idéologie capitaliste d'Etat des Bolcheviks et de l'extrême faiblesse du prolétariat mondial. Le contenu réel de ces affirmations peut être résumé ainsi : "Tout est mal qui finit mal".

LE MENCHEVISME RESSUSCITE

En défendant la Révolution Russe contre les Mencheviks et les renégats kautskystes, Luxembourg et les communistes occidentaux qui soutenaient les Bolcheviks défendaient la position que le capitalisme était entré en 1914 dans sa période de déclin tant attendue par les révolutionnaires. Par conséquent, la Révolution Russe était un maillon de la chaine des révolutions communistes prolétariennes naissantes. La guerre impérialiste avait donné le coup mortel à la période ascendante de développement du système capitaliste. Par là même, la révolution communiste, le programme maximum, était immédiatement à l'ordre du jour pour l’humanité. La classe ouvrière se trouvait désormais en face des seules alternatives; socialisme ou barbarie, la spirale du cycle guerre-reconstruction-crise-guerre venait d’apparaître dans l'histoire dans toutes ses conséquences meurtrières, montrant que notre époque était aussi l'époque de la révolution prolétarienne mondiale.

Parler, dans de telles conditions, de "révolutions bourgeoises" ou d'"étapes capitalistes nécessaires" avant la révolution communiste, alors que le capitalisme dans son ensemble montrait les symptômes mortels de la décadence, fut le sommet du crétinisme kautskyste. Kautsky et les mencheviks s'opposèrent à la Révolution d'Octobre en prétendant que le développement économique arriéré de la Russie pouvait seulement permettre une république bourgeoise. "Théoriquement, cette doctrine…aboutit à la découverte "marxiste" originale qu'une révolution socialiste est l'affaire nationale, quasiment domestique, de chaque Etat moderne en particulier" (R. Luxembourg "Révolution Russe", Maspero p.56). Mais les marxistes de cette époque comprirent que le développement bourgeois était impossible dans le cadre de la société bourgeoise décadente. Et ceci pour tous les pays, de la Russie au Paraguay.

L'interdépendance économique mondiale du capital, qui intègre tous les pays en un seul organisme : le marché mondial (Luxembourg), ne laisse aucune place pour les théories des "cas particuliers" si prisées par les gauchistes de  tous bords. Dès 1905-1906, Parvus et Trotsky entrevirent cette réalité, après l'expérience de la Révolution Russe de 19058. Lénine et Luxembourg défendirent fermement cette vision en 1917 et comprirent que la prise du pouvoir par le prolétariat russe ne pouvait être que le prélude à la révolution socialiste mondiale Il ne s'agissait plus pour les ouvriers russes de prendre le pouvoir pour "parachever la révolution bourgeoise", même en passant ; la crise du capitalisme mondial ne permettait plus qu'une chose, la lutte directe et sans relâche vers le socialisme.

Les arguments de Kautsky, Plekhanov, Martov et des divers doctrinaires du national capitalisme, furent complètement balayés par la vague révolutionnaire de 1917-23. Le fait que cette vague fut finalement écrasée n'altère en rien cette conclusion. Si les échecs de la révolution prolétarienne dans la période  de décadence sont toujours dus à 1'"arriération économique", il ne reste alors aucun espoir pour le communisme. Le déclin capitaliste signifie précisément que les forces productives sont de plus en plus freinées et bloquées par les rapports de production capitaliste. En d'autres termes, le capitalisme en décadence ne peut que stagner et entraver le développement des capacités productives de l'humanité; il ne peut globalement que maintenir un état d'arriération économique.

Les raisons de la défaite de la vague révolutionnaire de 1917-23 sont trop complexes pour en discuter ici. On doit simplement constater que les réponses simplistes des mencheviks sur l’"arriération" de la Russie ne font qu’obscurcir la question. Les racines des défaites de la période de révolution prolétarienne se trouvent principalement dans le niveau de la conscience du prolétariat, qui, à son tour, permet d'expliquer les facteurs subjectifs tels que 1'attachement aux anciennes formes du mouvement ouvrier, l’insuffisante clarification du programme communiste, facteurs qui peuvent à certains moments paralyser la classe dans son ensemble et permettre au capital de reprendre le dessus. Les problèmes subjectifs de la classe prennent ainsi un aspect social concret qui peut devenir un obstacle objectif par moments. Mais le déterminisme mécaniste des kautskystes ne parle pas de ce processus, qui ressemblerait plus à un processus "organique" que  mathématique.

Par conséquent; ce fut une régression théorique de la part de ceux des communistes de gauche qu'on appela plus tard les "communistes de conseils" de ressortir les arguments mencheviks sur la "nature bourgeoise:" inévitable de la Révolution Russe. Les militants, en agissant: de la sorte, se retournaient   contre leur propre passé et contre une des plus grandes expériences de la classe ouvrière. Il est bien sûr vrai que la révolution russe fut noyée dans le sang par la contre-révolution mondiale qui se manifesta dans l’"Etat ouvrier" en Russie. Ce fut d’autant plus douloureux  que les bolcheviks furent eux-mêmes les artisans de la dégénérescence. Mais ceci ne remet pas en question la nature prolétarienne de la Révolution d'Octobre dont la défaite signifia une  monstrueuse débâcle de la classe ouvrière mondiale. Seuls la stupidité ou le dédain peuvent faire froncer les sourcils et voir une "révolution bourgeoise" dans ce carnage. Alors que les "révolutions bourgeoises1' émanent de la chair et du sang de millions de prolétaires conscients écrasés, ou d’un autre point de vue, alors que les "révolutions bourgeoises" sont ce que les prolétaires nomment simplement des contre-révolutions, comment peut-on considérer que Noske, Scheidemann, Staline, Mao, Ho, Castro et bien, d'autres sont des  "révolutionnaires" bourgeois? Seuls les impudents ou les bornés peuvent oser compare: Cromwell, Robespierre. Saint-Just, Garibaldi, Marat ou William Blake a ces  avortons sanglants de la décadence capitaliste que sont Staline, Mao ou Castro.

Mais les gribouilleurs comme Brendel excellent en impudence. Leurs bruyantes affirmations concernent la révolution prolétarienne contrastent de façon saisissante avec la superficialité de ces affirmations :

"La Révolution Chinoise a de façon générale (pas en détails) le même caractère que celle de Russie en 1917. Il y a certes  des différences entre Moscou et Pékin, mais la Chine comme la Russie est sur la voie du capitalisme d'Etat, Tout comme Moscou, Pékin poursuit une politique étrangère qui s'intéresse peu à la révolution ailleurs en Asie (pas même à la révolution  des classes moyennes)". (id. p.3)

Avec une celle logique la révolution et la contre-révolution, sont identiques, Lénine et Trotsky sont les mêmes que Mao et Chou En Laï. L'aspect le plus réactionnaire de cette sauce "'révolutionnaire" est qu’il dénigre implicitement  et sème la confusion sur un moment complexe extrêmement riche du mouvement ouvrier, Brendel, avocat du développement éternel du capitalisme, se croit capable de juger ceux qu'il appelle, de façon paternaliste, les "idéalistes politiques".

Il compare les Bolcheviks à Mao, l'héritier de Staline et le demi-dieu auto-pro-clamé de 300 millions d'êtres humains. En se lavant rapidement les mains, notre Ponce-Pilate ne comprend pas ce qu'est la responsabilité historique au cours de la Révolution Russe. Pour lui, ce qui devait être, fut. Mais, ce n’est pas l'immaturité de la Russie qui a été prouvée par les événements de la guerre et de la Révolution Russe, dit Rosa Luxembourg, "mais l'immaturité du prolétariat allemand pour remplir ses taches historiques". Mais Brendel, bien sûr, n'est pas d'accord. Dans ses contorsions lui aussi, comme Kautsky et les mencheviks, tombe dans le bourbier que le mouvement ouvrier a laissé derrière lui pour ceux qui ne seront jamais "mûrs" pour comprendre la révolution communiste.

DES  ROLES  EN QUETE  D'ACTEURS

Brendel parle facilement de toutes sortes de révolutions de la classe moyenne, capitaliste d'Etat, bourgeoise et même paysanne. Tout sauf de la révolution prolétarienne, qui reste pour lui un livre fermé par sept sceaux. Selon lui, la révolution bourgeoise est inévitable dans les aires arriérées et le drame se poursuit désespérément en quête d'acteurs. Ainsi : "Ni en Russie, ni     en Chine, le capitalisme ne pouvait triompher sauf sous sa forme bolchevick. (id. p.11).

Mais sa conception menchevik ne s'exprime aussi ouvertement nulle part mieux qu'ici :

"En Russie comme en Chine les révolutions ont à résoudre les mêmes tâches politiques et économiques. Elles doivent détruire le féodalisme et libérer les forces productives dans 1'agriculture des entraves qui emprisonnent les relations. Elles doivent aussi préparer une base pour le développement industriel. Elles doivent détruire l’absolutisme et le remplacer par une force ce gouvernement et par un appareil d'Etat qui permette la résolution des problèmes existants. Les problèmes économiques et politiques étaient ceux de la révolution bourgeoise; c'est-à-dire de la révolution qui doit faire du capitalisme un mode de production dominant". (id., p.10).

Le message est clair : le prolétariat "doit" se fragmenter en unités nationales distinctes qui, à leur tour, ont chacune leur voie de développement particulière, séparée du marché mondial et de l'économie mondiale. Chaque capital national est autarcique et 1’accumulation peut très bien se dérouler dans les  limites capitalistes. Les seules limites de cette saine accumulation seraient une soudaine révolte des "dirigés contre les dirigeants" (à la Cardan-Solidarity) ou une éventuelle "baisse du taux de profit" (à la Grossmann-MatticK).La chose importante est la conception qu'à Brendel de la révolution prolétarienne : une conception bourgeoise, nationale, localiste. Mais comment le prolétariat mondial peut-il s'affirmer comme classe, unifiée. Comment est-ce possible si chaque prolétariat est confronté à des conditions nationales fondamentalement différentes? Qu'est-ce qui unifiera matériellement la lutte de classe montante pour le socialisme mondial? Brendel et les autres journalistes du conseillisme se taisent sur ce point gardant leurs forces pour lancer leurs incantations sur les conseils ouvriers ou l’autogestion".

Brendel lui-même ne se pose même pas la question. Par exemple, selon lui, les luttes ouvrières chinoises de 1927 furent vaincues non parce qu'elles étaient à la merci de la contre-révolution mondiale (déjà triomphante en Russie, en Allemagne, en Bulgarie, en Italie, etc.) mais à cause du nombre "insignifiant" d'ouvriers! Mais laissons Brendel dire lui-même ce qu'il pense :

"Certains prétendent que les soulèvements étaient des tentatives du prolétariat chinois pour influencer les événements dans une direction révolutionnaire. Ce ne fut pas le cas. Vingt deux ans après les massacres dans ces deux villes chinoises, le Ministre Chinois des Affaires Sociales annonçait qu'il y a en Chine quatorze villes industrielles et seulement un million d’ouvriers industriels sur une population de quatre à cinq cent millions d’habitants c'est-à-dire que les ouvriers industriels forment moins de 0,25% de la population. En 1927 ces chiffres étaient encore plus bats.

"Avec un prolétariat insignifiant comme classe en 1949, il semble improbable (sic) qu'il ait pu engager une activité révolutionnaire de classe vingt deux ans plus tôt. Le soulèvement de "Shanghai de mars 1927 était un soulèvement populaire dont le but était de soutenir 1' armée du Nord de Chang Kai Check. Les ouvriers n'y jouèrent un rôle que parce que Shanghai était la ville la plus industrielle de Chine où se trouvait un tiers  du "prolétariat- chinoise Le soulèvement fut plus "radical-démocratique" dans sa nature que prolétarien et s'il fut écrasé dans le sang ce fut parce que Chang Kai Check combattait le j'jacobinisme et non  parce qu'il avait peur du prolétariat. La "Commune de Canton" comme on l'appelle, ne fut rien de plus qu’une aventure provoquée par les Bolcheviks Chinois en vue de réussir ce qu'ils avaient raté à Wu Nan.

"Le soulèvement de Canton de décembre 1927 n’avait pas de perspective  politique et n'exprimait pas plus la résistance du prolétariat que le KTT (Parti Communiste Chinois) exprimait des aspirations prolétariennes. Borodine, le porte-parole du gouvernement Russe, disait qu'il était venu en Chine pour combattre pour une idée ; ce fut pour des idées politiques semblables que le  KTT sacrifia les ouvriers de Canton. Les ouvriers  ne mirent jamais sérieusement en question Chang Kai Check et l'aile droite du KMT, la seule opposition sérieuse, systématique et continue vint des paysans". (id., p.15).

Il est complètement faux d'accuser les ouvriers chinois de ne s'être jamais "sérieusement opposés" au capital chinois. Toute action autonome du prolétariat combat le capitalisme, même si dans les premières étapes les ouvriers ne sont pas conscients de leurs propres buts finaux et de leur force potentielle. Mais le capital l'est et c'est pourquoi Chang Kai Check, Staline, Boukharine, et Borodine aidèrent à l'étranglement de la révolution Chinoise. Quel critère utilise notre Ponce Pilate pour affirmer bêtement l'inexistence d’"opposition" prolétarienne ? Est-ce que le Soviet de Petrograd de février 1917, contrôlé par les mencheviks et les libéraux, s'"opposait" au  capital russe? La réponse de. Brendel serait : "non". En fait, selon lui, les ouvriers ne peuvent pas penser à s'opposer .au capitalisme parce qu'ils sont voués au capitalisme d'Etat, au "Jacobinisme", etc.

Les ouvriers chinois de Shanghai, Hankéou et Canton se sont soulevés par milliers, ont crée des comités de grève et des détachements armés qui, par leur nature même, étaient destinés à s'affronter non seulement à Chang Kai Check mais aussi au Parti Communiste Chinois, si la classe arrivait à survivre politiquement et à rejoindre la lutte de classe mondiale. Mais comme il n'y avait pas de révolution mondiale à laquelle se relier, aucune perspective ne s'ouvrait pour les soulèvements du prolétariat chinois. Le mouvement prolétarien en Chine fut étranglé définitivement par la réaction politique mondiale en 1927 et non par sa faiblesse "numérique". La place du prolétariat dans l'économie et son caractère de classe international sont, avec sa conscience, la seule base réelle de sa lutte. Les calomnies de Brendel contre le prolétariat ont une résonance dangereuse. Il est contre les "aventures" tant qu'elles sont prolétariennes. Mais quand il parle de la paysannerie, il se montre sous son vrai jour. C'était donc pour lui la paysannerie qui représentait…" la seule opposition sérieuse, systématique et continue" au Kuomintang. Là, il n'est pas question d'aventures !

La logique suit son cours majestueusement :

"Après vingt ans d'efforts, les masses paysannes ont enfin découvert comment s'unir en une force révolutionnaire. Ce ne fut pas la classe ouvrière encore très faible qui amena la chute de Chang Kai Check mais les masses paysannes organisées en armées de guérilla avec une démocratie primitive. Ceci montre une autre différence fondamentale entre les révolutions Chinoise et Russe. Dans la révolution russe les ouvriers étaient à la tête des évènements de Petrograd, Moscou et Kronstadt et la révolution rayonnait de la ville vers les campagnes. Ce fut le contraire en Chine. La révolution rayonnait de la campagne vers les villes" (id, p.16)

Ce n'est plus une question de révolution prolétarienne luttant contre le capitalisme ; non, c'est une question de révolutions en l'air, en général, des pièces en quête d'auteurs et d'acteurs. L'idée que les paysans étaient organisés en armées de guérilla avec une démocratie primitive" n’est rien de plus qu'une apologie cynique du maoïsme digne d'écrivains du genre d'Edgar Snow. "En Chine comme en Russie, ce n'est pas le parti qui montrait le chemin aux paysans, c'étaient les paysans qui montraient le chemin au parti" (id.,  p.17).

La logique de cette position est claire même si elle n'est pas explicite : si les masses paysannes montrent le chemin à la bureaucratie, alors il s'ensuit que la bureaucratie peut être contrôlée par la base. Les communistes doivent donc soutenir cette bureaucratie contre d'autres fractions capitalistes qui ne permettent pas un tel contrôle (par exemple contre Chang Kai Check) ! Le mouvement marxiste du 19° siècle pendant la période ascendante du capitalisme n'hésita pas à le faire en soutenant les luttes de libération nationale authentiques ; il soutenait la lutte des démocrates petit-bourgeois ou de fractions capitalistes avancées contre les réactionnaires ou les absolutistes. Le bavardage moraliste de Brendel et Cie ne se montre pas aussi franc. La vérité est que les paysans chinois furent mobilisés par le PCC de Mao pendant et après la guerre sino-japonaise comme chair à canon pour le partage impérialiste du monde. Pendant la seconde guerre mondiale, le PCC de Mao n'était que  l'allié de la fraction démocratique impérialiste luttant contre l'impérialisme fasciste. Brendel n'est du genre à s'opposer à une telle guerre. En Chine, il aurait pris parti pour les "armées de guérilla démocratiques de paysans" (sic). En d’autres termes, il aurait pris parti pour les alliés   comme tous les libéraux et staliniens.

Notre Ponce Pilate a montré cependant qu'il n'aime pas que les choses soient dites si explicitement, que les conclusions soient tirées si clairement. Mais les traditions du mouvement ouvrier le réclament,  c'est le seul moyen pour le prolétariat d'affirmer son programme révolutionnaire contre tous les confusionnistes, contre tous les scribes révolutionnaires.

Nous avons vu comment le menchevisme, ancien ou nouveau, mène inévitablement à la capitulation face aux différentes fractions capitalistes. Il n'y a rien de neutre dans la lutte de classe, et ces philistins mettent en garde sur le fait que "rien n'est blanc ou noir mais que le gris existe aussi" ignorent ce fait que pour apprécier la gradation des couleurs, il faut d'abord savoir ce qu'est le blanc et ce qu'est le noir. On trouve une autre manifestation de cette confusion réactionnaire dans cet extrait de Solidatity, groupe influencé par le "conseillisme" sous sa forme dégénérée :

"Même si les organisations tenues par les staliniens doivent parfois, pour des raisons tactiques ou locales, s'engager dans la lutte, même si ce n'est que pour se "présenter" comme les "leaders" de la lutte, les révolutionnaires ne doivent pas pour autant déserter cette lutte. Ce serait déserter une lutte dont les termes ont été déterminés par la classe. Déserter serait reconnaître que la lutte a été décidée par le "parti" et non "par la "classe". Une telle décision dans ces circonstances serait totalement réactionnaire". (Bob Potter. "Whose Victory ?" Solidarity Pamphlet 43°, Londres).

Ainsi, pour le sophiste Potter la "classe" "détermine" les "termes de la lutte". Ainsi, les partisans de Tito, la 8° Armée Britannique, les Rangers Américains au jour J; tout peut-être considéré comme "expression" de la " classe" "déterminant " ces luttes "antifascistes" en 1939-45, tout comme actuellement au Viêt-Nam la "classe" est censée "déterminer" la lutte contre Thieu et l'impérialisme américain. Cette apologie revient en fait à un nouveau-tour de passe-passe stalinien à bon marché. Elle signifie la complète dégénérescence de ces idées qui, malgré la prétention à soutenir la classe "à la base", capitule en fait face aux fractions capitalistes qui sont caractérisées comme expressions quoique déformées, de la classe.

Dans leur introduction de 1970 aux Thèses de Brendel, les Cardanistes de Solidarity Aberdeen, ont montré la subordination complète du "conseillisme" à l'idéologie gauchiste tiers-mondiste :

"Cependant, les luttes des peuples coloniaux sont une contribution au mouvement révolutionnaire. Le fait que les populations paysannes pauvrement armées aient tenu tête aux forces économiques de l'impérialisme moderne, ont brisé le mythe de la puissance rnilitaro-technologico-scientifique de l'occident. La lutte a révélé également à des millions de gens la brutalité et le racisme du capitalisme et en a amené beaucoup, particulièrement des jeunes et des étudiants, à lutter contre leurs "propres gouvernements.  Mais le soutien- aux: peuples coloniaux "contre l'impérialisme, n'implique pas, cependant,, le soutien à telle ou telle organisation engagée dans la lutte". (Pamphlet n°3, p. 3)

La dernière phrase n'est pas dans la logique de ce qui précède mais sert seulement à apaiser quelque mauvaise conscience. Ces conceptions sont un résultat inévitable des années de stérilité et de confusion qui ont finalement pourri le mouvement conseilliste. Le menchevisme a été en fait ressuscité par le conseillisme (et les bordiguistes qui parlent de "révolutions coloniales", les ont rejoint au sixième acte de cette imposture). Selon la Bible, Jésus ressuscita Lazare et de toute évidence, personne ne s'est opposé à ce fait. Le cas eut été différent si Jésus eut ressuscité Hérode, Xerxes ou quelque despote sumérien assoiffé de sang. Ce genre de sauveur aurait rapidement mérité le mépris justifié de ses contemporains. Spartacusbond et Daad en Gedachte ont ressuscité le menchevisme : un fait non moins répugnant pour la classe ouvrière.

NODENS.

Géographique: 

  • Hollande [33]

Conscience et organisation: 

  • La Gauche Germano-Hollandaise [34]

Courants politiques: 

  • Le Conseillisme [35]

Source URL:https://fr.internationalism.org/en/revue-internationale/200609/2516/revue-internationale-no-2-3e-trimestre-1975

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