Simultanément la situation mondiale nous livre d'un côté les événements guerriers du Moyen-Orient, et d'un autre, les luttes ouvrières en Afrique du Sud et en Corée du Sud. Ces deux aspects antagoniques de la situation mondiale, sur fond général d'un approfondissement de la crise du capitalisme, illustrant ce que nous entendons par accélération de l’histoire. Ils montrent que le cours historique, le rapport de forces entre deux perspectives: guerre ou révolution, est l'axe autour duquel s'articule l'histoire présente et à venir. Et si jusqu'à présent la lutte de classe a réussi à prévenir l'humanité d'un engagement sur le chemin sans retour de la guerre, l'accélération de l'histoire souligne la nécessité vitale d'une prise de conscience pour la classe ouvrière des enjeux de la situation mondiale et de sa mission historique pour pousser ses combats plus loin.
Guerre dans le Golfe persique
«Guerre des ambassades» en Europe, événements sanglants de la Mecque pour les pays arabes, scandale de «l'Irangate» aux USA, résolution de l'ONU pour tous. C'est de main de maître que le bloc impérialiste occidental, sous la haute impulsion et direction des USA, a préparé et couvert le plus vaste déploiement militaire depuis la seconde guerre mondiale. L'événement était de taille, il devait être précautionneusement préparé, surtout en direction de ce que l'on appelle «l'opinion publique». Il le fut. Au cœur de cette préparation minutieuse, le scandale de «l'Irangate» et la publicité tapageuse qu'il reçut dont les événements actuels nous révèlent la véritable signification : justifier le tournant majeur de la politique des USA par.rapport à l'Iran.
Comme le scandale du «Watergate» en 1973-74, qui entraîna la démission du président Nixon, correspondait à un changement de politique internationale (retrait des USA du Viêt-Nam, rapprochement avec la Chine), l'Irangate aujourd'hui correspond à un changement dans l'orientation de politique internationale. Que ressort-il de ce «scandale» sinon que la négociation avec les «terroristes», iraniens est impossible, que seule la force, le langage des armes, est capable de leur faire entendre raison ?
Pour ceux qui pensent encore que cette intervention militaire dans le Golfe Persique où sont engagés 40 navires de guerre américains des plus sophistiqués dont deux porte-avions, sans compter les forces aéronavales, la moitié de la marine française dont un porte-avion, les navires les plus perfectionnés de la marine anglaise et plusieurs dizaines de milliers d'hommes, pour une grande part du contingent, n'est somme toute pas si importante et qui, cédant aux roucoulades sur la «volonté de paix», s'endorment en se disant que finalement il ne s'agit là que d'une «aventure lointaine», sans conséquences et implications importantes pour l'Europe, nous rappellerons simplement que la première guerre mondiale qui allait saigner en particulier cette même Europe a commencé par ces mêmes guerres «lointaines», les deux guerres des Balkans, dans une région du monde très proche du Moyen-Orient, jouant un rôle stratégique analogue : hier l'affrontement entre grandes puissances pour l'accès aux «mers chaudes», aujourd'hui haut-lieu de l'affrontement est-ouest depuis qu'il a été déclaré tel symboliquement à Yalta en 1945.
De tous points de vue la classe ouvrière est concernée par l'engagement militaire. Comment en serait-il autrement quand, du seul point de vue économique et social les deux tiers de l'humanité souffrent de la faim, quand le chômage étend son ombre de misère sur une grande partie de la classe ouvrière des pays industrialisés, alors que les frais de l'intervention militaire actuelle dans le Golfe Persique s'élèvent officiellement pour les USA au chiffre astronomique d'un million de dollars par jour pour les* simples frais de convoi. Quant à la France qui est présente sur deux fronts, en Afrique et au Moyen-Orient, aucun chiffre n'est fourni et pour cause.
«Fanatisme et terrorisme» contre «paix et civilisation»
La politique des USA n'est ni «chaotique»,ni «incohérente», ni «au coup par coup» comme l'affirment beaucoup de commentateurs. Malgré ses détours et ses contours pas toujours immédiatement compréhensibles, la stratégie américaine au Moyen-Orient, stratégie d'offensive et d'étranglement du bloc russe, se règle sur une logique de fer.
Si pendant huit années les Etats du monde entier ont pu se satisfaire de la simple poursuite de la guerre entre l'Iran et l'Irak, aujourd'hui la situation a qualitativement changé. Après avoir «réglé» la situation au Liban et parfait l'isolement de l'Iran au Moyen-Orient, les USA ont décidé d'en finir une bonne fois pour toutes avec la question iranienne. Il s'agit aujourd'hui pour les USA de reconstituer la forteresse militaire que fut il y a presque une dizaine d'années l'Iran. Il n'y a pas d'autre pays qui par sa position géographique, l'étendue de son territoire, sa densité démographique, puisse de ce point de vue remplacer l'Iran dans cette région.
En face de ces réalités indéniables que dit-on pour justifier l'intervention dans le Golfe Persique ? Que le fanatisme de la population iranienne, subjuguée par des religieux déments, serait la cause de l'instabilité dans le Golfe Persique et de bien d'autres maux. Toute l'entreprise actuelle des pays occidentaux et du chef d'orchestre américain n'aurait pour but que de contenir, «par la force si nécessaire», cette poussée d'irrédentisme religieux, de ramener la paix entre l'Iran et l'Irak et bien sûr d'assurer l'intérêt des pays occidentaux par la libre circulation des convois pétroliers dans le Golfe Persique.
Ainsi les chancelleries du monde occidental et des pays arabes désignent d'un même geste le fanatisme religieux en Iran comme un dangereux fauteur de trouble, faisant peser une lourde menace sur la paix du Golfe.
Tout d'abord nous ne pensons pas que la population en Iran, qui, comme celle de l’Irak, vient de subir sept années d'une guerre particulièrement meurtrière, quelque chose comme un million de morts, soit d'un grand enthousiasme pour mener la «guerre sainte» contre toutes les puissances du «monde arabe» et plus encore, contre toutes les puissances du monde occidental.
Toutes les guerres sont atroces. Celle-ci particulièrement. A la puissance de feu des armes modernes est venue s'ajouter la guerre chimique. Rien, que ce soit dans un camp ou dans l'autre, n'a été refusé à la barbarie qui sur les champs de bataille comme dans les agglomérations urbaines a fait une boucherie. •
Comment oublier que durant ces sept années, faute d'un nombre suffisant de combattants que la guerre fauchait par milliers, ce sont des gamins qui dès 10 ans étaient envoyés de force sur le front. Et comment mesurer, quand la guerre ne vous arrache pas votre vie, ou celle de vos enfants, ou encore ne vous laisse infirme, les sacrifices qu'il faut consentir pour payer huit années de guerre ? Dans ces conditions, on ne peut guère se tromper en affirmant qu'il y a dans la population iranienne et dans la population irakienne un large sentiment anti-guerre. On ne subit pas huit ans de guerre sans être guéris de tout fanatisme. Malgré le peu d'information, et pour cause, que la bourgeoisie laisse filtrer sur ces questions nous pouvons savoir qu'aussi bien en Iran qu'en Irak existe une réelle opposition à la guerre :
«L'hostilité de la population au conflit est en relation étroite avec les privations, notamment chez les pauvres (...). L'agitation habituellement provoquée par la situation économique (...) a fait place pour la première fois en 1985 à de véritables manifestations contre la guerre. » ([1] [1]).
Il est déjà hallucinant d'entendre aujourd'hui ce formidable concert de déclarations pacifistes accompagner le déploiement dans le Golfe d'une gigantesque armada de guerre. Mais la duperie est encore plus éclatante quand on considère que cette guerre à laquelle on prétend vouloir mettre un terme, a été commencée, entretenue et nourrie pendant huit ans par ceux qui aujourd'hui crient le plus fort à la «paix». Ce n'est un secret pour personne que la guerre entre l'Iran et l'Irak avait pour objectif essentiel la destruction du pouvoir religieux de Téhéran, le prix en vies humaines comptait peu ou plutôt pas du tout.
Tous les pays qui furent à l'origine de ce conflit, sous l'impulsion des USA, Koweït et Arabie Saoudite en particulier, pensaient que le choc de la guerre dans un pays plongé dans un chaos indescriptible après la chute du Shah d'Iran conduirait rapidement à l'effondrement du pouvoir religieux de Téhéran. Cette perspective ne s'est pas vérifiée, au contraire. Cette guerre, qui était prévue courte, est toujours, et comment, d'actualité aujourd'hui. La fraction derrière Khomeiny loin de s'effondrer dans la guerre, s'en est nourrie et a renforcé son emprise sur la société iranienne par les moyens d'une répression impitoyable. Qu'aucune autre fraction dirigeante plus «adaptée», moins anachronique que le pouvoir des mollahs n'ait pu s'imposer à Téhéran montre la profondeur de la décomposition sociale atteinte dès l'époque du Shah.
Quoi qu'il en soit, l'objectif de renversement des dirigeants de Téhéran ayant momentanément échoué, l'Iran et l'Irak ne pouvaient que s'enliser dans la guerre. Guerre entretenue par toutes les puissances internationales qui, pendant huit ans, ont fourni armes et matériel militaire moderne de toutes sortes aux belligérants. Armement sans lequel la poursuite du conflit aurait été impossible.
Ne pouvant espérer régler rapidement la question iranienne, en particulier tant que la question de la Syrie et du Liban n'était pas «stabilisée», tant que l'isolement de l'Iran n'était pas total, le monde occidental, les pays arabes, Israël s'accomodaient fort bien de la guerre.
Ainsi pendant des années tout le beau monde impérialiste y a trouvé son compte, à commencer par les marchands d'armes de tous bords. En tête de ceux-ci, la France qui a vendu à l'Irak des armements modernes pour un montant de 7 milliards de dollars. L'Etat d'Israël, dont on ne peut mettre en doute les liens qui l'unissent aux USA, a durant toute la guerre été lui-même le principal pourvoyeur d'armes de l'Iran :
«Bien que Téhéran nie tout lien de cette nature, l'Iran a reçu des livraisons israéliennes dès le début de la guerre (...) à l'époque, le montant de ces transactions a pu être évalué à prés de 100 millions de dollars. (...) Pour la seule année 1983, les livraisons d'armes à l'Iran ont atteint 100 millions de dollars.».
Sur d'autres plans, au-delà du commerce des armes qui alimentait le carnage au profit d'un grand nombre de nations, Chine et URSS y compris, cette guerre faisait autour d'elle un large consensus. Les nations arabes qui ne pouvaient voir sans satisfaction, en plus de «l'occupation» que cette guerre fournissait à leur voisin iranien turbulent, deux des principaux producteurs de pétrole du Golfe baisser drastiquement leur production en pleine période de surproduction et de chute des cours. Israël, qui, tant que l'Iran restait un ventre mou de la défense des intérêts occidentaux au Moyen-Orient, pouvait, lui, prétendre occuper ce rôle exclusivement et en tirer tous les avantages. Jusqu'à l'URSS, qui, bien que n'ayant aucune possibilité et aucun espoir d'implanter une quelconque influence en Iran, préférait de loin voir celui-ci en guerre plutôt que comme place forte des USA aux frontières de l'Afghanistan occupé militairement par ses troupes.
Tant que les USA ne pouvaient régler son sort à la clique d'illuminés de Téhéran, ils permettaient et encourageaient la poursuite de la guerre, contrôlant et dosant savamment les livraisons d'armes à Bagdad comme à Téhéran. Il s'agissait de ne permettre, ni de victoires décisives à l'Iran, ce qui aurait renforcé le pouvoir en place, ni non plus, par une défaite cuisante, de pousser à un effondrement et un démantèlement total de ce dernier qui aurait compromis toute possibilité de reconstruction sur place d'une forteresse militaire du bloc occidental.
Dans cette optique, la continuation de la guerre et des tensions dans le Golfe offrait de plus aux USA l'avantage non négligeable d'une dépendance accrue des pays arabes vis-à-vis d'eux :
«Ils (les Etats du Golfe) se sont ainsi condamnés à soutenir financièrement Bagdad et à renforcer leurs propres systèmes de défense civile et militaire contre Téhéran. Leur dépendance implicite vis-à-vis de la garantie américaine, comme le poids politique de cette alliance de fait, s'est accrue brutalement.».
Voilà les réalités de la danse macabre de l'impérialisme dans le Golfe Persique. Et encore n'en avons-nous évoqué que les lignes directrices.
De façon générale cette escalade n'est pas une suite désordonnée d'actions et d'efforts, sans but cohérent et aux conséquences somme toute limitées géographiquement au Moyen-Orient. La situation actuelle dans le Golfe Persique est la continuation d'une stratégie d'ensemble qui, même si elle ne met pas en prise directe l'impérialisme russe et l'impérialisme américain -et heureusement, participe de la logique mondiale de cet affrontement.
Quand les USA seront parvenus a «régler» la question iranienne, c'est-à-dire à faire de nouveau de l'Iran un bastion de leurs positions militaires avancées au Moyen-Orient, ce «règlement» ne marquera en fin de compte qu'un cran de plus dans l'engrenage militariste planétaire. Après avoir établi la paix des tombes, ce n'est guère par la puissance économique, déjà très à mal au sein des métropoles, que le bloc de l'Ouest pourra maintenir son «ordre» dans une région du monde aussi instable, où la décomposition économique s'est particulièrement installée. Obligatoirement, l'ordre militaire s'y installera de façon permanente aux frontières mêmes de la Russie, marquant ainsi un degré supérieur dans les tensions impérialistes mondiales.
Le développement des tensions militaires et les enjeux historiques
Détachons un moment notre attention du Moyen-Orient. Les flammes de la lutte de classe brûlent en Afrique du Sud. En Corée du Sud, un mouvement massif de la classe ouvrière, par sa pugnacité, son intransigeance et son courage, brise en mille morceaux la vitrine tant exposée d'un prolétariat d'esclaves dociles en Asie. Et ce ne sont là que les expressions actuelles d'un puissant flot mondial d'insoumission aux lois du capitalisme en crise.
Toute la situation mondiale est contenue dans cette contradiction, dans l'opposition de deux perspectives issues toutes deux de la décadence du capitalisme, la guerre ou la révolution.
Jusqu'aujourd'hui, il revient à la classe ouvrière internationale, d'avoir, par ses luttes, repoussé la perspective bourgeoise de la guerre mondiale. En refusant de se sacrifier pour la survie de l'économie bourgeoise, il lui revient d'avoir repoussé d'autant la perspective d'un sacrifice suprême sur l'autel de l'impérialisme. Il est tout à son honneur d'avoir dans sa lutte, par sa résistance à l'exploitation, forgé un esprit auquel sont étrangères les molles et serviles conception et mentalité fatalistes.
Mais comme nous le montre la situation mondiale dans sa totalité, l'histoire s'accélère et en s'accélérant devient de plus en plus exigeante. Elle exige du prolétariat qu'il prenne conscience de ce qu'il a déjà fait et, en en prenant pleinement conscience, qu'il le pousse jusqu'au bout. D'internationale de fait, la lutte ouvrière peut et doit devenir internationaliste.
L'histoire sait parfois être ingrate, mais jamais elle n'exige l'impossible. Avec une nécessité historique se développent toujours les conditions de sa réalisation. Par le développement de la crise économique, véritable fléau social, et de la barbarie que celle-ci induit, par le développement international de la lutte prolétarienne même, la classe ouvrière est aujourd'hui contrainte de pousser son combat à un niveau supérieur. L'expérience accumulée de ses assauts répétés contre la forteresse capitaliste lui en donne la force et les moyens.
Le prolétariat, pour prendre conscience de sa mission historique, ne peut attendre d'être submergé dans la barbarie, dans ce cas il serait trop tard. Sur le terrain même de l'économie, la lutte entre le travail et le capital est déjà un barrage à l'orientation vers la troisième guerre mondiale, et aujourd'hui les luttes ouvrières peuvent et doivent ouvrir la perspective propre au prolétariat. Détruire les frontières, l'exploitation et l'économie de profit sont les seules voies pour balayer définitivement la menace du désastre que le capitalisme fait peser sur l'humanité.
Prénat 6/9/87.
Contrairement à l'insistance de la propagande de la classe dominante, les récentes luttes ouvrières en Corée du Sud et en Afrique du Sud ne sont pas de nature essentiellement différente de celles menées par les ouvriers des autres pays et en particulier dans les pays les plus industrialisés. Malgré leurs spécificités - dictature militaire en Corée, régime de l'« apartheid » en Afrique du Sud- il s'agit de moments d'un seul et même combat, celui mené par la classe ouvrière mondiale contre l'exploitation capitaliste.
La Corée du Sud, ce pays dont les «experts économiques» ont tant vanté les performances exceptionnelles, qu'ils ont donné en modèle aux pays moins développés, vient de connaître, au cours de cet été, sa plus grande secousse sociale depuis la guerre. Les dix millions de prolétaires sur le dos desquels le capital national, mais aussi le capital japonais et américain, ont fait «le miracle coréen» en leur imposant des conditions de travail parmi les pires du monde, ont donné une gifle magistrale au mythe des «ouvriers asiatiques, passifs, résignés, travailleurs, exploités jusqu'à la mort et... contents de l'être». Par un mouvement de grèves sans précédent qui, partant des principales concentrations ouvrières -les mines de charbon, les chantiers navals, l'industrie automobile- s'est étendu comme une traînée de poudre à tous les secteurs de la classe ouvrière, les travailleurs coréens ont démontré que dans la zone d'influence du capital japonais, comme dans le reste du monde, la classe ouvrière apprend à se constituer en force, la seule capable d'affronter le capitalisme décadent en crise et d'ouvrir une perspective. A terme, c'est la mobilisation du prolétariat japonais qu'annoncent ces combats.
L'Afrique du Sud vient aussi de connaître la plus grande mobilisation ouvrière de son histoire. Plus d'un quart de million de mineurs ont fait grève pendant trois semaines. En même temps 10 000 travailleurs des postes partaient en grève; 60 000 ouvriers dans le secteur de la métallurgie poursuivaient des mouvements de grève commencés depuis juillet et 15 000 travailleurs du secteur de la pétrochimie menacent de faire de même.
Nous ne pouvons ici traiter de tous les aspects de ces combats. Nous renvoyons le lecteur aux différents organes de notre presse territoriale qui le font.
Ce qui nous importe ici c'est de dénoncer l'idéologie qui cherche à enfermer ces luttes dans un cadre qui les émascule de leur contenu de classe, qui cache ce qui les unit au combat de tout le reste de la classe ouvrière mondiale.
La bourgeoisie a toujours recours au même stratagème : mettre l'accent sur ce qui diffère dans les conditions spécifiques des travailleurs en lutte dans une entreprise, un secteur ou un pays afin d'isoler, d'étouffer ce combat, tout en le dévoyant sur de faux terrains. L'exemple de la Pologne 1980, où la lutte des ouvriers contre leur exploitation avait été présentée dans le monde entier comme une lutte pour le droit d'aller à la messe, et localement fut enfermée dans le combat pour le droit d'existence du syndicat Solidarnosc, reste un des plus spectaculaires.
La barbarie capitaliste connaît en Corée du Sud la forme d'une dictature militaire particulièrement violente ; en Afrique du Sud celle du racisme de l'«apartheid». La bourgeoisie américaine s'y emploie actuellement à se débarrasser des aspects les plus anachroniques de ces régimes afin, non pas de soulager les conditions d'existence de la classe ouvrière -ce dont elle n'a que faire- mais au contraire d'y créer des institutions capables d'encadrer et de contrôler la lutte de classe qui s'y développe, comme dans tous les pays, sous les effets de la crise économique mondiale.
Les grèves ouvrières en Corée du Sud n'ont pas éclaté avec l'objectif d'instaurer un régime bourgeois «démocratique à l'occidentale», pas plus que celles de travailleurs sud-africains pour l'établissement d'un capitalisme moins cruel envers les prolétaires noirs. Ces luttes se sont manifestées dès le départ comme des réactions directes contre l'exploitation capitaliste, pour des augmentations de salaires, pour des améliorations des conditions de travail et d'existence en général.
S'il en avait été autrement, elles n'auraient pas pris la forme de grèves pour des revendications de classe, mais seraient restées dans le cadre suicidaire, interclassiste des pétitions et manifestations des fractions dites «démocratiques» des partis bourgeois d'«opposition».
Cela ne veut pas dire qu'elles ne s'attaquent pas aux formes dictatoriales et racistes de l'exploitation capitaliste. Au contraire, elles sont les seules luttes qui peuvent imposer des limites à la barbarie de la classe dominante locale.
Toutes les fractions de la bourgeoisie, démocrates et libéraux en tête, s'en disent choquées et réclament aux prolétaires de ces pays de faire attention à ne pas situer leurs intérêts «égoïstes» de classe au-dessus des intérêts de «la nation».
Kim Young Sam, un des principaux leaders de l'opposition démocratique coréenne ne cesse de demander aux ouvriers de «faire preuve de modération dans leur exigences pour ne pas mettre à mal les succès de l'économie Sud-coréenne ». En Afrique du Sud, Cyril Ramaphosa, le leader du NUM, le nouveau syndicat «démocratique» qui vient de saboter et de vendre la grève des mineurs, expliquait ses appels à la reprise du travail par la nécessité de respecter la légalité de la nation.
Leurs appels, leurs manœuvres ne sont en réalité que des moyens pour désarmer la classe exploitée, pour détruire ses luttes en les dévoyant sur le terrain de leurs exploiteurs.
Non, les luttes des prolétaires de Corée et d'Afrique du Sud ne sont pas des exemples de coopération entre exploités et exploiteurs pour une utopique «humanisation» de la barbarie capitaliste. Elles sont des moments du combat mondial de la classe ouvrière contre le capital et sa barbarie mondiale.
Et cela parce que :
1) les causes qui les provoquent sont les mêmes : la crise économique du capitalisme mondial se traduit à la périphérie comme ailleurs par un renforcement de l'exploitation capitaliste ; s'il y a une différence c'est uniquement parce qu'en général dans ces pays l'aggravation de la crise se fait sentir de façon encore plus violente ;
2) les "formes" mêmes que prennent ces luttes -leur tendance à s'étendre aux différents secteurs de la classe ouvrière, par delà les barrières de profession, de secteur ou de race- sont les mêmes qui se sont manifestées dans toutes les luttes ouvrières importantes de ces dernières années en Europe occidentale ;
3) enfin, parce que comme les luttes des autres prolétaires dans le monde entier, elles doivent se battre sur deux fronts : celui des ennemis déclarés, les gouvernements et leur appareils armés, militaires et policiers ; mais aussi celui des ennemis déguisés en «amis», les syndicats et les partis dits d'«opposition» qui travaillent de l’«intérieur» au sabotage de la lutte.
Le pire danger pour les prolétaires de ces pays c'est de tomber prisonniers de la confusion créée par toute la propagande «démocratique», d'autant plus dangereuse qu'elle s'adresse à un prolétariat qui ne connaît pas encore, ou ne fait que commencer à connaître le rôle de policiers de ces institutions «démocratiques» au sein des rangs prolétariens.
C'est dire toute la responsabilité des prolétaires des pays à longue tradition «démocratique», eux qui savent de plus en plus à quoi s'en tenir, qui désertent par millions ces institutions -partis et surtout syndicats- et qui apprennent de plus en plus à se battre non seulement en dehors d'elles, mais aussi contre elles comme l'ont démontré dans les dernières années les travailleurs de pays comme la Belgique, la France, et plus récemment l'Italie.
5/9/87 RV
Début juillet 1987 s'est tenu le septième congrès du Courant Communiste International. Ce congrès se situait à un moment crucial de la vie de la classe ouvrière mondiale marqué à la fois par une nouvelle aggravation de la crise du capitalisme et des tensions impérialistes qu'elle détermine et par un nouvel essor des luttes ouvrières à l’échelle internationale dont une des conséquences est le surgissement de toute une série de nouveaux groupes plus ou moins formels se situant sur des positions de classe révolutionnaires. C'est l'ensemble de ces questions et la façon dont le CCI y a fait et devra y faire face qui constituaient l'ordre du jour du congrès. Celui-ci devait également se prononcer sur une rectification de la plate-forme de l'organisation dont la nécessité avait été déjà constatée lors du précédent congrès (voir Revue Internationale n° 44). Nous publions dans ce numéro les principales résolutions correspondant aux différents points à l'ordre du jour du congrès. Ces résolutions parlent par elles-mêmes et expriment de façon condensée la position du CCI face aux principaux problèmes qui se posent à la classe et à ses minorités révolutionnaires. Le présent texte de présentation ne se propose pas de répéter ce que disent les textes publiés à la suite, mais essentiellement d'insister sur les enjeux essentiels qui se sont trouvés au centre des préoccupations de ce congrès et qui confèrent à ces différents textes leur unité.
Dans la conclusion de la présentation du 6e congrès en novembre 1985 (Revue Internationale n° 44), nous écrivions : « ...il nous faut donc considérer que le 6e congrès du CCI a globalement atteint les objectifs qu'il s'était fixés, qu'il a valablement armé l'organisation face aux enjeux de la période présente. Les années qui viennent jugeront de la validité d'une telle appréciation, elles montreront en particulier si l'analyse dont s'est doté le CCI sur la situation internationale et notamment sur l'évolution de la lutte de classe est bien conforme à la réalité, ce que contestent la plupart des autres groupes révolutionnaires. Mais dès à présent,les résolutions que nous publions dans ce numéro font la preuve que le CCI s'est engagé dans une direction bien précise, laissant le moins possible la porte ouverte à toute ambiguïté (comme c'est le cas malheureusement de la part de beaucoup de ces groupes), une direction qui, sur la base de l'analyse des énormes potentialités de combat qui mûrissent et se développent dans la classe, exprime la ferme volonté d'être à la hauteur de ces combats, d'en être partie prenante et de contribuer activement à leur orientation vers l'issue révolutionnaire.»
Les vingt mois qui se sont écoulés entre le 6e et le 7e congrès du CCI ont amplement confirmé le bien-fondé de cette position. En effet, cette période a vu se poursuivre et s'amplifier la vague de luttes ouvrières (la troisième depuis la reprise historique des combats de classe à la fin des années 1960) dont les luttes massives du secteur public de septembre 83 en Belgique avaient marqué le début. Au moment du 6e congrès, en novembre 1985, cette vague de luttes connaissait un certain affaiblissement après les mouvements massifs de fin 1983 et de 1984. Mais cela n'avait pas conduit le CCI, contrairement à beaucoup d'autres groupes du milieu révolutionnaire, à en conclure qu'elle était déjà épuisée. Bien au contraire, la résolution sur la situation internationale adoptée à ce congrès (Revue Internationale n° 44) insistait sur le fait que : «la situation présente recèle d'énormes potentialités de surgissements prolétariens de grande envergure»(point 15).
De façon plus générale, cette résolution soulignait que :
«La faillite totale du capitalisme que révèlent les années de vérité, de même qu'elle conduit à une accélération de l'histoire sur le plan des conflits impérialistes, provoque également une telle accélération sur le plan du développement de la lutte de classe, ce qui se traduit en particulier par le fait que les moments de recul de la lutte (comme celui de 1981-83) sont de plus en plus brefs alors que le point culminant de chaque vague de combats se situe à un niveau plus élevé que le précèdent » (point 15)
C'est pour cela que, contrairement à ce qui s'était en partie passé en 1983 lors du surgissement de la troisième vague de luttes, l'ensemble du CCI n'a été nullement surpris lorsque les formidables combats du printemps 1986 en Belgique ont signé l'entrée de cette vague de luttes dans une nouvelle phase d'affrontements massifs et déterminés qui ne s'est pas démentie depuis comme le relève la résolution adoptée au 7e congrès (point 6).
Ainsi, alors que le 6e congrès marquait une discontinuité avec le précédent, le 7e congrès s'est inscrit en parfaite continuité du 6e.
En effet, une des tâches essentielles du 5e congrès, tenu en juillet 1983, avait consisté à tirer toutes les leçons de la défaite subie par la classe ouvrière mondiale en 1981 et marqué en particulier par le coup de force contre le prolétariat en Pologne en décembre de cette année. S'il avait armé l'organisation de perspectives générales justes, il ne l'avait par contre pas préparée à l'imminence de la reprise des combats ouvriers qui allait intervenir quelques mois après. Et si le CCI a su immédiatement reconnaître l'importance de ces combats, il lui a fallu tout un effort d'adaptation face aux responsabilités nouvelles qu'ils impliquaient pour les révolutionnaires, effort qui a été contrarié par toute une série d'incompréhensions et de résistances dont la manifestation la plus évidente a été l'apparition d'une soi-disant «tendance» qui allait quitter l'organisation justement lors du 6e congrès pour constituer la Fraction externe du Courant Communiste International (FECCI).
Le 6e congrès venait justement ponctuer tout ce processus de réarmement de l'organisation notamment en affirmant clairement la nécessité pour les révolutionnaires d'intervenir activement et systématiquement dans les combats en cours, de se concevoir comme «partie prenante» de ceux-ci.
Le 7e congrès a confirmé intégralement cette orientation. Ses résolutions ici publiées et ses débats ont insisté sur la validité des travaux et perspectives du 6e congrès. Il ne s'agissait donc pas au 7e congrès de tracer de nouvelles perspectives mais de vérifier comment celles du 6e avaient été mises en pratique et, à la lumière de l'expérience, de les préciser pour la période qui vient. C'est ainsi que tous les points à l'ordre du jour partaient de préoccupations déjà affirmées lors du 6e congrès :
- sur la situation internationale ;
- sur notre intervention dans la classe ouvrière ;
- sur notre responsabilité à l'égard du milieu politique ;
- sur la nécessité de renforcer la capacité théorique et programmatique de l'organisation face à ses responsabilités croissantes.
Sur la situation internationale
Outre la lutte de classe dont le développement actuel a donné le ton à l'ensemble des débats, le congrès s'est penché, comme le révèle la résolution, sur la nouvelle aggravation de la crise du capitalisme. Il a mis en évidence la faillite aujourd'hui patente des «Reaganomics» sensées ouvrir une nouvelle ère de prospérité et qui débouche maintenant sur une nouvelle récession mondiale aux effets encore plus dévastateurs que les précédents notamment du point de vue de la brutalité des attaques anti-ouvrières. Le congrès a également souligné que l'enfoncement dans la crise ne pouvait, malgré les discours de paix spectaculaires, que déboucher sur nouvelle aggravation des tensions impérialistes dont l'élément central est l'offensive américaine visant à parachever l'encerclement de l'URSS et qui passe aujourd'hui par une remise au pas de l'Iran. Sur ce plan, l'actualité s'est chargée immédiatement de confirmer notre analyse avec l'envoi d'une formidable armada occidentale dans le golfe Persique et l'aggravation des tensions dans cette région du monde.
Cependant, le point le plus discuté de la situation internationale a été évidemment le développement de la lutte de classe et plus particulièrement :
- les multiples moyens mis en avant par la bourgeoisie pour entraver ce développement, et dont le syndicalisme de base constitue le fer de lance ;
- les différentes manifestations du processus de développement de la conscience dans la classe, en particulier le surgissement de groupes d'ouvriers combatifs, les comités de lutte.
Sur notre intervention
Notre responsabilité face à ce développement des combats de classe a évidemment fait l'objet de débats très animés. Ces débats étaient en particulier alimentés par l'expérience acquise par nos dix sections territoriales dans leurs pays respectifs. Il s'agissait que cette expérience contribue pleinement à l'armement de toute l'organisation face aux tâches qui l'attendent dans la période qui vient. La préoccupation et la tonalité des débats s'expriment notamment dans cet extrait de la résolution d'activités adoptée par le congrès.
«Ces perspectives vont constituer pour le CCI une nouvelle épreuve, la lutte de classe exigeant plus d'unité, de capacité de mobilisation et d'engagement à tous les niveaux, pour faire face aux responsabilités dans l'intervention, pour être un facteur actif dans la tendance à l'unification et la confrontation avec la bourgeoisie sur le terrain des luttes, et assurer ainsi l'apprentissage des implications concrètes de la fonction de l'organisation dans la classe
(...).»
«L'intervention dans les luttes immédiates est un axe des activités pour la période qui vient (...). »
«Dans cette perspective, il est nécessaire de renforcer notre capacité à faire des propositions concrètes de marche, à faire que ces propositions ''passent". Pour cela, en plus de l'intervention de l'organisation par la presse, les tracts et les prises de parole, il est nécessaire lorsque les conditions le permettent :
- de faire des propositions de motions, déclarations, résolutions écrites, autant que possible préparées et discutées dans le cadre de l'organisation pour faire que les assemblées se prononcent ;
- d'intervenir non seulement dans les manifestations, les assemblées, les comités de chômeurs, les réunions politiques, mais également dans les tentatives de regroupement d'ouvriers combatifs, dans les comités de lutte, en dehors des syndicats, qui peuvent surgir et vont surgir, en les impulsant, en participant à leur formation.»
Nous ne pouvons ici répercuter l'ensemble des questions qui ont été abordées dans ce point de l'ordre du jour. Des positions très minoritaires se sont exprimées, principalement sur notre intervention à l'égard des comités de lutte, qui traduisent encore une certaine difficulté à prendre en compte les aspects de ce qu'implique l'axe central de notre orientation à l'égard de l'intervention dans la classe : être «partie prenante des combats ouvriers» afin de contribuer à leur plein épanouissement vers des affrontements de plus en plus massifs, déterminés, unis et conscients contre un capitalisme toujours plus barbare.
Sur notre responsabilité à l'égard du milieu politique révolutionnaire
Comme le signalait une résolution adoptée lors du 6e congrès :
«L'orientation actuelle vers l'accélération et le renforcement de l'intervention du CCI dans la lutte de classe est également valable et doit être appliquée rigoureusement dans notre intervention envers le milieu. »
«Le CCI (...) doit se préoccuper d'utiliser pleinement la dynamique positive de la situation actuelle de lutte afin de pousser le milieu de l'avant et d'insister sur une intervention claire et déterminée des organisations révolutionnaires dans ces luttes (...). »
«Afin de faire le meilleur usage de ces potentialités qui sont à leur tour simplement une concrétisation du fait que la période de lutte pour la formation du parti est ouverte, il est nécessaire de mobiliser les forces de tout le CCI afin d'oeuvrer au mieux à la défense du milieu politique, ce qui passe par (...) une attitude déterminée pour participer au regroupement des révolutionnaires, à leur unité.»
Cette préoccupation s'est de nouveau, et encore plus illustrée lors du 7e congrès. C'est ce qu'exprime l'adoption d'une nouvelle résolution que nous publions ici, accompagnée d'une présentation spécifique et qui souligne tout l'intérêt et toute la préoccupation de notre organisation envers le surgissement de plusieurs nouveaux groupes révolutionnaires. Ce surgissement met en évidence la nécessité d'un nouvel effort de tenue de conférences internationales des groupes de la gauche communiste dont un premier cycle avait été interrompu par le sectarisme d'une partie du milieu politique. Comme le relève la résolution, les conditions pour de telles conférences ne sont pas aujourd'hui réunies, mais le congrès a été pleinement conscient de l'importance de l'effort que doit faire notre organisation pour impulser la création de ces conditions et, plus généralement, pour contribuer résolument au renforcement du milieu révolutionnaire dans son ensemble.
Le renforcement de la capacité théorique et programmatique
Le renforcement du milieu révolutionnaire et de notre capacité à impulser son développement passe par le renforcement de notre propre organisation sur les plans théorique et programmatique. C'est pour cela que tous les congrès du CCI ont eu dans leur ordre du jour une question d'une portée plus générale que l'examen de la situation internationale et la définition de notre intervention en son sein. Le 6e congrès avait en particulier adopté une résolution sur la question de «l'opportunisme et du centrisme dans la période de décadence» (Revue Internationale n° 44) faisant suite à près de deux ans de débats sur cette question. Le présent congrès, en continuité du précédent et en application de sa décision, avait mis à son ordre du jour la rectification de la plate-forme de l'organisation.
Nous publions ici deux documents sur cette question :
- le texte d'orientation de septembre 1986 ouvrant la discussion dans notre organisation,
- la résolution de rectification de la plate-forme contenant la nouvelle version du point 14 de celle-ci qui est touché par cette rectification.
Là aussi les textes parlent par eux-mêmes mais il importe de souligner particulièrement deux idées fondamentales qui y sont exprimées :
- «une telle rectification ne constitue nullement une remise en cause ni des fondements de la plate-forme, ni des acquis de la gauche communiste, ni des acquis du CCI, mais constitue au contraire un affermissement de ces fondements, une meilleure traduction de ces acquis et notamment une mise en adéquation du document programmatique central de l'organisation avec les textes déjà adoptés lors de congrès précédents (Résolution sur les groupes politiques prolétariens du 2e congrès, Rapport sur le cours historique du 3e congrès et Résolution sur le centrisme et l'opportunisme du 6e congrès, «Résolution de rectification»).
- « ...la discussion théorique en vue de la rectification de la plate-forme (...) n'est nullement un débat académique. Il n'est pas académique parce que tout débat sur des questions programmatiques se trouve au cœur de ce qui fonde l'existence de l'organisation, mais, de plus, parce qu'il fait partie de sa capacité à accomplir ses tâches non seulement futures mais aussi immédiates à l'heure où le développement de la lutte de classe confère à notre organisation des responsabilités croissantes » («Texte d'orientation»).
Conclusion
Ainsi, du début à la fin, le 7e congrès du CCI a été traversé par la volonté de hisser l'organisation à la hauteur des responsabilités que la situation internationale, et particulièrement le développement de la lutte de classe, impose aux minorités révolutionnaires. Nous sommes conscients des faiblesses qui sont les nôtres, comme elles sont celles de l'ensemble du milieu révolutionnaire prolétarien. Nous savons en particulier quel tribut celui-ci continue de payer à la rupture organique que près d'un demi-siècle de contre-révolution a provoqué dans les courants révolutionnaires. Mais le constat de ces faiblesses, l'ampleur de la tâche à accomplir, ne sont pas faits pour nous décourager. Ils constituent au contraire, comme pour tous les communistes, pour tous ceux qui misent sur l'avenir révolutionnaire du prolétariat et luttent à cette fin, un stimulant de notre volonté de poursuivre et de renforcer toujours plus notre combat et notre engagement.
FM. Courant Communiste International
RESOLUTION SUR LA SITUATION INTERNATIONALE
1. La résolution sur la situation internationale du 6e Congrès du CCI (Revue Internationale n° 44) avait comme axe la dénonciation de toute une série de mensonges mis en avant par la bourgeoisie pour tenter de masquer la réalité de cette situation :
- «mythe d'une amélioration de la situation du capitalisme mondial dont les "succès" de l'économie américaine en 1983 et 1984... seraient l'incarnation» ;
- prétendue «atténuation des tensions impérialistes avec la modification en 1984 des discours reaganiens et la "main tendue" aux négociations avec l'URSS qui trouvent leur pendant avec l'offensive de séduction diplomatique du nouveau venu Gorbatchev» ;
- battage sur «l'idée que le prolétariat ne lutte pas, qu'il a renoncé à défendre ses intérêts de classe, qu'il n'est plus un acteur de la scène politique internationale».
Huit mois plus tard, la résolution du CCI de juin 1986 (Revue Internationale n° 47) constatait, « suite :
- à la baisse de 30% du dollar US et aux premiers signes d'une nouvelle récession mondiale,
- à un nouveau durcissement des diatribes de Reagan contre "l'empire du mal" et aux bombardements US sur la Libye,
- au formidable mouvement de luttes massives qui s'était développé en Belgique en avril et mai 1986»,
que la «réalité s'est chargée de démentir ouvertement toutes les campagnes précédentes» et que «la rapidité avec laquelle les événements sont venus battre en brèche les mensonges de 1985 illustre une autre caractéristique générale de ces années de vérité : l'accélération croissante de l'histoire. »
Un an après cette dernière résolution, le 7e Congrès du CCI confirme toute la validité des analyses sur la situation internationale développées par l'organisation au cours et à la suite de son 6e congrès. En ce sens, la présente résolution se conçoit essentiellement comme une prolongation, un enrichissement des deux précédentes. Elle ne se donne pas pour but de re-développer leurs analyses, mais de les illustrer et de les compléter par les événements intervenus depuis un an, de tirer les enseignements de ces événements, et principalement au plan des luttes de la classe ouvrière, afin d'armer le mieux possible les révolutionnaires pour leur intervention au sein de ces dernières.
L'évolution de la crise du capitalisme
2. Après les déclarations euphoriques de 1984 et 1985, le temps des lamentations est revenu pour les «experts» bourgeois de l'économie. Il ne se passe pas un mois sans qu'ils ne soient obligés de revoir «à la baisse» les prévisions qu'ils avaient faites auparavant, à l'heure où ils s'étaient eux-mêmes grisés des discours optimistes qu'ils tenaient aux exploités pour leur faire accepter des sacrifices censés permettre enfin un redressement de l'économie. Au centre de cette euphorie, les péroraisons de l'administration Reagan sur le «libéralisme»
et le «désengagement de l'Etat» comme remède miracle à la crise ne faisaient en réalité que cacher le rôle décisif de l'Etat US dans la «reprise» américaine et mondiale des années 1983-85 sous forme de déficits budgétaires et commerciaux colossaux.
Alors que l'endettement des pays de la périphérie du capitalisme dits du «tiers-monde» avait alimenté la «reprise» des années 1976-79, celui de la première puissance mondiale a joué un rôle similaire après la récession de 1981-82. Mais de même que le premier, en se heurtant à la menace d'un effondrement brutal du système financier international, a épuisé ses effets dès 1980, le second, en faisant des USA l'Etat le plus endetté du monde, loin devant le Brésil, ne peut plus aujourd'hui faire office de «locomotive» de l'économie mondiale, ce qui débouche sur une nouvelle récession dont l'ampleur et la profondeur seront bien plus considérables encore que celles de la précédente. Tous les artifices destinés à contourner la maladie mortelle du capitalisme, la surproduction généralisée, ne peuvent en fin de compte que repousser pour un temps limité les échéances tout en aggravant encore cette maladie, en accumulant à un niveau supérieur les contradictions explosives qui minent le système (qui s'expriment notamment aujourd'hui par une reprise importante de l'inflation et les poussées de fièvre spéculative et en réduisant toujours plus la capacité de la bourgeoisie à limiter l'ampleur et les effets de la récession). Et le fait que ces contradictions aboutissent aujourd'hui à l'énorme endettement extérieur du pays le plus puissant du monde, que celui-ci se retrouve dans une situation qui jusqu'à présent caractérisait essentiellement les pays sous-développés, est significatif du niveau présent de ces contradictions et souligne l'urgence pour ce pays de mesures destinées à redresser son commerce extérieur et sa balance des paiements. C'est le sens du déploiement actuel par les USA de tout un arsenal protectionniste, comme la taxation à 100% d'un certain nombre de marchandises japonaises qui, à côté de la baisse considérable du taux de change du dollar caractérise une intensification sans précédent depuis près d'un demi-siècle de la guerre commerciale à l'échelle mondiale que les organismes, tel le GATT, chargés de favoriser les échanges commerciaux ne peuvent empêcher mais seulement permettre qu'elle n'aboutisse, comme au cours des années 1930, à un étranglement brutal du marché mondial.
3. Ainsi, la perspective qui se présente à l'économie capitaliste n'est pas seulement celle d'une nouvelle récession encore plus catastrophique que celle de 1980-82 du fait de l'épuisement de tous les palliatifs utilisés jusqu'à présent, mais aussi celle d'un déchaînement de la concurrence entre capitaux du fait de cette récession et également de la nécessité pour la première puissance économique de rétablir coûte que coûte sa balance commerciale. Et ce sont tous les pays du monde qui feront les frais de cette situation.
Les pays de la périphérie capitaliste dits «sous-développés» seront un nouvelle fois les plus brutalement atteints par la récession qui arrive et par ses conséquences. En particulier, la baisse du prix des matières premières qui constituent dans la plupart des cas l'essentiel des exportations de ces pays, ne pourra aboutir qu'à la poursuite et à l'aggravation de leurs difficultés face à un endettement phénoménal. Non seulement ces pays ne pourront pas réduire leur endettement mais les nouveaux déficits prévisibles de leur commerce extérieur ne pourront aboutir qu'à une augmentation de cet endettement. Pour ces pays, la perspective consiste donc en un resserrement de l'étau de leurs créanciers avec en tête le FMI, soucieux de maintenir le plus longtemps possible le mythe qu'ils rembourseront leurs dettes afin de ne pas provoquer une explosion de faillites parmi les banques prêteuses et un effondrement de tout le système financier international. De plan «d'austérité» en nouveau plan «d'austérité», la barbarie qui règne dans ces pays est appelée à atteindre de nouveaux sommets dans la misère absolue, la famine, les épidémies meurtrières. Si d'ores et déjà ce sont 40. 000 individus qui y meurent pour ces raisons chaque jour, ce chiffre ne peut encore que s'aggraver. Avec la nouvelle plongée de l'économie mondiale, l'enfer permanent que vivent des milliards d'êtres humains ne pourra que s'étendre et prendre des formes plus terrifiantes encore.
Pour leur part, les pays du bloc de l'Est sont appelés à connaître une nouvelle dégradation de leur situation économique. Si plusieurs de ces pays ont pu annoncer pour 1986 des chiffres en augmentation quant à leur taux de croissance, il est nécessaire de prendre en compte les faits que, plus encore qu'en Occident, ces chiffres sont falsifiés et aussi qu'une bonne part de la production annoncée concerne des biens absolument inutilisables à cause de leur qualité défectueuse. En fin de compte, la gravité de la crise qui affecte ces pays, transparaît dans leurs propres déclarations alarmistes lors de la réunion du COMECON en novembre 1986 signalant leur incapacité à atteindre les objectifs de leurs plans quinquennaux. Elle se manifeste aussi dans le nouvel accroissement de la dette extérieure de la Pologne (33,4 milliards de dollars pour 1986 contre 29,5 en 1985), comme dans la stagnation de la production industrielle de la Hongrie pourtant considérée jusqu'ici comme un «modèle» de bonne gestion. Elles se révèlent enfin, pour ce qui concerne la première puissance du bloc, l'URSS :
- par une chute de près d'un tiers des exportations vers les pays occidentaux en 1986, ce qui l'a condamnée à réduire ses propres importations de 17% (ce qui affecte particulièrement sa capacité de moderniser son appareil productif) ;
- par les campagnes de l'équipe Gorbatchev en vue d'intensifier l'effort de productivité avec à la clé des baisses de salaire pour les ouvriers des secteurs peu productifs.
Pour la classe ouvrière des pays dits « socialistes », l'heure est donc à de nouvelles attaques contre ses conditions d'existence déjà particulièrement pénibles : baisse des salaires réels (notamment sous forme d'une inflation baptisée «vérité des prix»), nouvelle dégradation des conditions de travail, de logement, de santé. Et si la grande fragilité des régimes d'Europe de l'Est leur interdit les licenciements massifs et la mise au chômage d'énormes proportions de la force de travail (comme c'est le cas dans les autres régions du monde), les transferts considérables d'ouvriers (un million pour la seule RDA d'ici à 1990) dans des secteurs dits «moins productifs» -donc moins payés- sous couvert de «restructuration technologique», constituent un de moyens par lesquels ils viseront le même objectif qui est atteint par le chômage : une réduction massive du capital variable.
Concernant le Japon, l'évolution de sa situation économique constitue très certainement un des indices les plus significatifs de la gravité présente de la crise mondiale. Alors que ce pays s'était distingué jusqu'à présent par des taux de croissance bien au-dessus de ceux de ses concurrents et qu'il avait réussi à limiter le fléau du chômage, il se retrouve aujourd'hui avec une quasi-stagnation de sa production et une brutale flambée du nombre de chômeurs. Même les «modèles» ne résistent plus au flot croissant de la crise.
L'Europe Occidentale, enfin, se retrouve de nouveau, et bien plus encore que lors des précédentes récessions, aux avant-postes pour ce qui concerne les effets de la nouvelle récession et de la guerre commerciale qui s'avancent. La fermeture du marché des pays « sous-développés » aux abois, celle des pays du bloc de l'Est et surtout la fermeture du marché américain résultent de la forte poussée du protectionnisme des USA et de la baisse du dollar (qui ne peut que stimuler l'agressivité des exportations américaines sur le marché européen), tous ces éléments augurent d'une aggravation considérable des difficultés économiques sur le vieux continent. Ces difficultés seront d'autant plus brutales que l'Europe occidentale va devenir la cible de choix des exportations japonaises privées du marché américain. Alors que ce continent voit déjà pratiquement stagner sa production industrielle (la croissance du PNB étant due essentiellement au secteur tertiaire), que de façon continue sont mis à la casse des pans considérables de son appareil productif non seulement dans les secteurs traditionnels (mines, sidérurgie, chimie, etc.), mais aussi dans les secteurs «de pointe» (électronique, télécommunications, etc.), c'est une nouvelle saignée bien plus brutale encore que les précédentes qui s'y profile. Et cette chute de la production va entraîner une nouvelle poussée du chômage vers des niveaux de plus en plus intolérables alors qu'en chiffres réels, il frappe déjà près de 30 millions d'ouvriers, soit de 10 à 30% de la population active, suivant les pays, c'est-à-dire de 15 à 45% de la classe ouvrière. Chiffre auquel il faut ajouter la masse de plus en plus considérable des chômeurs partiels et des travailleurs précaires. Alors qu'au-delà des statistiques officielles, c'est une baisse de près de 10% de son niveau de vie que la classe ouvrière a subi en 1986, c'est donc une attaque d'une violence inouïe, sans précédent depuis la dernière guerre mondiale qui l'attend. Si l'inflation durant les années 1970 et le chômage dans la première partie des années 1980 furent successivement les axes centraux des attaques capitalistes, dans la période qui s'est ouverte, ce sont tous les aspects de la vie des ouvriers qui, sous l'égide directe et ouverte de l'Etat, sont brutalement attaqués de façon simultanée : emploi, conditions de travail, salaires nominaux, santé, allocations pour les enfants et les personnes âgées, logement, etc. , entraînant de façon massive la paupérisation absolue de la classe ouvrière, une paupérisation absolue dont les « experts » détracteurs du marxisme avaient annoncé des décennies durant l'extinction définitive. Ainsi reviennent déferler au centre historique du capitalisme, dans les concentrations industrielles et ouvrières les plus anciennes et importantes du monde, ces formes extrêmes de la barbarie que la bourgeoisie croyait avoir rejetées une fois pour toutes vers la périphérie après la 2e guerre mondiale.
L'évolution des conflits impérialistes
4. La barbarie qui aujourd'hui revient frapper le cœur du capitalisme, aussi cruelle qu'elle soit, n'est qu'une pâle image de celle vers où ce système entraîne l'humanité s'il est laissé à sa propre logique ; sur le terrain capitaliste, il n'existe qu'un seul aboutissement à la crise économique mondiale : un 3e holocauste impérialiste qui détruirait toute civilisation et probablement l'humanité elle-même.
Cette perspective s'est profilée de façon ouverte à l'entrée des années 1980 lorsque les augmentations astronomiques des dépenses militaires, et particulièrement celles des USA, se sont accompagnées d'une radicalisation des diatribes entre les gouvernements des deux blocs et une détérioration sensible des rapports diplomatiques. Mais si aujourd'hui ce sont des discours de paix qui dominent la vie diplomatique, si fleurissent des initiatives et des discussions en faveur des réductions d'armement, cela ne signifie nullement qu'il se serait produit un réel changement dans l'ensemble de la situation, que nous irions vers une atténuation des tensions impérialistes et une disparition définitive de la menace d'une 3e guerre mondiale.
En réalité, les discours pacifistes, les grandes manœuvres diplomatiques, les Conférences internationales de toutes sortes ont toujours fait partie des préparatifs bourgeois en vue de la guerre impérialiste (cf. les accords de Munich en 1938 par exemple). Ils interviennent en général en alternance avec des discours bellicistes et ont une fonction complémentaire. Alors que ces derniers ont pour objet de faire accepter à la population, et en particulier à la classe ouvrière, les sacrifices économiques commandés par l'explosion des armements, de la préparer à la mobilisation générale, les premiers ont pour objet de permettre à chaque Etat d'apparaître comme «celui qui veut la paix», qui n'est pour rien dans l'aggravation des tensions, afin de pouvoir justifier par la suite la «nécessité» de la guerre contre «l'autre qui en porte toute la responsabilité». C'est bien à une telle alternance entre discours bellicistes et discours pacifistes que nous avons assisté ces dernières années notamment de la part de l'administration Reagan dont le «jusqu'au-boutisme» des premières années de son mandat, destiné à justifier les énormes accroissements des dépenses militaires ainsi que diverses interventions à l'extérieur (Liban, Grenade, etc.), a fait place à «l'ouverture» face aux initiatives soviétiques dès lors qu'était acquise et affermie la nouvelle orientation d'accroissement des préparatifs militaires et qu'il convenait de faire preuve de «bonne volonté». Mais derrière le battage diplomatique actuel et les perspectives d'une réduction des «euromissiles», il n'existe aujourd'hui aucune remise en cause réelle des menaces que le capitalisme fait peser sur l'humanité : même si les négociations actuelles aboutissaient -ce qui est extrêmement improbable- à une réduction importante ou même totale des «euromissiles», cela ne remettrait nullement en cause la capacité des armements actuels à détruire 10 fois la planète. D'ailleurs, c'est en partie aussi le surarmement des deux grandes puissances qui permet d'expliquer leurs discussions actuelles : plutôt que d'épuiser encore plus une économie déjà violemment frappée par la crise (ce qui est particulièrement le cas de l'URSS dont ce n'est pas par hasard qu'elle soit à l'origine des présentes initiatives), par une concurrence du nombre de missiles et des mégatonnes, elles préfèrent soulager quelque peu cette économie et consacrer plus de moyens aux systèmes d'armes les plus sophistiqués.
5. Ainsi, au plan des conflits impérialistes, la situation internationale n'a connu sur le fond aucune modification sensible ces derniers temps où se sont maintenus ou même avivés les multiples foyers d'affrontement entre les grands blocs sous couvert notamment de «libérations nationales» (comme en Angola, en Ethiopie, au Cambodge, en Afghanistan, etc.). En particulier, cette situation reste dominée par l'offensive du bloc occidental destinée à établir un «cordon sanitaire» autour de l'URSS, à parachever l'encerclement de cette puissance et dont l'étape actuelle consiste dans la réinsertion de l'Iran dans le dispositif stratégique du bloc.
Cette offensive a été rendue difficile non pas tant par la résistance que peut lui opposer l'URSS mais principalement par l'instabilité interne d'un grand nombre de régimes des régions concernées par cette offensive, instabilité qui ne fait que s'aggraver avec les coups de boutoir de la crise et la décomposition sociale qui en résulte et qui est un terrain de choix pour toutes sortes de surenchères entre cliques bourgeoises notamment à l'égard des blocs impérialistes. Ces pays bien souvent expriment de façon caricaturale que l'appartenance à un bloc ne signifie nullement qu'une bourgeoisie renonce pour autant à la défense de ses propres intérêts nationaux ni à ses propres ambitions impérialistes particulières. Une telle appartenance a au contraire comme objectif d'assurer la meilleure défense possible de ces intérêts et ambitions dans un monde où la crise tend à exacerber les rivalités économiques et militaires entre tous les pays et où il est impossible à un pays donné de s'affronter à tous les autres. Dans toute une série de pays «sous-développés» de la périphérie plongés dans une situation économique catastrophique et aux ambitions impérialistes perpétuellement frustrées, l'indiscipline et le chantage à l'égard du bloc de tutelle constituent un des moyens pour essayer de se vendre le plus cher possible.
Cependant de telles gesticulations ne sauraient remettre en cause le facteur prépondérant que constitue, dans la situation mondiale, la division en deux grands blocs impérialistes, ni non plus le fait que dans leurs affrontements permanents, c'est le bloc de l'Ouest qui dispose des meilleurs atouts. C'est bien ce que viennent de confirmer les derniers événements au Proche et Moyen-Orient :
- avec son intervention à Beyrouth Ouest de début 1987, la Syrie a fait la preuve qu'elle était désormais prête à jouer pleinement au Liban son rôle de gendarme au profit des intérêts du bloc US : cette intervention fait comme principales victimes les partis de « gauche » (PCL et PSL de W. Joumblatt) et surtout les «hezbollahs» pro-iraniens, preuve que la Syrie a renoncé à son alliance avec l'Iran pour participer à l'offensive occidentale visant à récupérer ce pays ;
- les déboires de la Libye au Tchad, résultant de l'important soutien militaire de la France et des Etats-Unis à ce dernier pays démontrent les limites des velléités d'indépendance des pays qui sont tentés de faire passer leurs intérêts impérialistes locaux devant les intérêts globaux du bloc auquel ils sont rattachés ; plus qu'à la Libye c'est à l'Iran qu'est destiné un tel avertissement ;
- le scandale de «l'Irangate», au-delà des manœuvres de politique interne américaine destinées à préparer en faveur des Républicains la succession de Reagan, fait apparaître la nécessité pour l'Iran, malgré toutes ses campagnes contre les pays du bloc occidental, de composer avec celui-ci afin de faire face au poids grandissant de la guerre contre l'Irak encouragée au départ par ce même bloc.
Ainsi, ces derniers mois ont apporté à celui-ci, après plusieurs années de relatif piétinement, de réels succès dans son offensive. Mais les progrès de celle-ci et l'établissement, vers lequel elle s'achemine, d'un contrôle ferme et sans partage du bloc occidental sur les Proche et Moyen-Orient, n'annoncent aucune perspective réelle de paix dans cette région et encore moins à l'échelle mondiale :
- dans cette région, l'accumulation de problèmes légués par l'histoire du capitalisme -notamment celle de la colonisation (divisions communautaires au Liban, Kurdes et surtout question palestinienne)- et qui ne pourront pas être réglés au sein de ce système (même par une nouvelle «conférence de Genève» si elle arrive à se tenir), ne pourra aboutir dans un contexte général d'aggravation de la crise et des tensions impérialistes qu'à de nouvelles convulsions meurtrières ;
- même s'il établissait dans cette partie spécifique du monde une «pax americana» durable, elle ne pourrait empêcher que la poursuite de l'offensive du bloc US ne fasse surgir d'autres foyers de conflits jusqu'à aboutir à l'embrasement généralisé d'une 3e guerre mondiale au cas où l'URSS serait repoussée dans ses derniers retranchements.
Cet aboutissement monstrueux, ce point culminant de toute la barbarie du capitalisme décadent, supposerait évidemment que la classe ouvrière, par son embrigadement derrière les drapeaux nationaux laisse les mains libres aux grandes puissances pour s'engager dans l'engrenage qui y conduit, ce qui n'est pas possible à l'heure actuelle du fait même du développement des luttes ouvrières.
L'évolution de la lutte de classe
6. Ainsi la lutte du prolétariat, si elle porte dans son devenir, avec le renversement du capitalisme, l'élimination de tous les aspects de la barbarie de ce système, constitue déjà le facteur historiquement décisif de la période actuelle, empêchant le déchaînement de la forme extrême de cette barbarie : le cours historique n'est pas à la guerre impérialiste généralisée, mais aux affrontements de classe généralisés et ce qui caractérise les mois écoulés, c'est que la lutte de classe est revenue de façon de plus en plus insistante au centre de la situation mondiale immédiate.
En moins d'un an, en effet, outre des mouvements importants dans une multitude de pays dans le monde entier, allant des USA (sidérurgie, employés municipaux de Philadelphie et Détroit durant l'été 1986) à la Yougoslavie (vague de grèves sans précédent au printemps 1987), en passant par le Brésil (plus d'un million et demi d'ouvriers de nombreux secteurs en grève en octobre 1986 et nouvelle vague de luttes massives en avril mai 1987), l'Afrique du Sud (grèves dans les mines et les chemins de fer), le Mexique (manifestations massives de plusieurs secteurs en appui aux électriciens en grève), la Suède (des dizaines de milliers de grévistes à l'automne 1986) et la Grèce (près de 2 millions d'ouvriers en grève en janvier 1987) ; on a pu assister à quatre mouvements majeurs très significatifs affectant le cœur du prolétariat mondial : l'Europe occidentale. Il s'agit :
- des grèves massives en Belgique au printemps 1986;
- du très important mouvement des travailleurs des chemins de fer en France en décembre 1986 ;
- de la grève des 140. 000 travailleurs de British Telecom en Grande-Bretagne fin janvier 1987 ;
- de la vague de luttes affectant de nombreux secteurs en Espagne au printemps 1987.
L'ensemble de ces mouvements confirme donc que la 3e vague de luttes ouvrières depuis la reprise historique de la fin des années 1960 et qui avait débuté à l'automne 1983 avec les luttes massives du secteur public en Belgique, a une toute autre durée, ampleur et profondeur que la 2e (1978-80), et que le piétinement qu'elle avait connu en 1985, suite à la politique bourgeoise d'éparpil-lement des attaques en vue d'éparpiller les ripostes ouvrières, ne remettait pas en cause sa dynamique d'ensemble.
Les mouvements démontrent également que c'est au cours de cette 3e phase dans le développement de cette vague de luttes (après les mouvements massifs de 1983-84 et l'éparpillement de 1985) que s'expriment pleinement ses principales caractéristiques telles qu'elles avaient été dégagées par le CCI dès janvier 1984 («Résolution sur la situation internationale», Revue Internationale n° 37, 2e trimestre 1984) et confirmée lors de son 6e congrès de même que dans la résolution de juin 1986 :
1. tendance à des mouvements de grande ampleur impliquant un nombre élevé d'ouvriers, touchant des secteurs entiers ou plusieurs secteurs simultanément dans un même pays, posant ainsi les bases de l'extension géographique des luttes ;
2. tendance au surgissement de mouvements spontanés manifestant en particulier à leurs débuts, un certain débordement des syndicats ;
3. développement progressif au sein de l'ensemble du prolétariat de sa confiance en soi, de la conscience de sa force, de sa capacité à s'opposer comme classe aux attaques capitalistes ;
4. recherche de la solidarité active et de l'unification par-delà les usines, les catégories ou les régions, notamment sous forme de manifestations de rue et en particulier de délégations massives d'un centre ouvrier à l'autre, mouvement qui se fera en confrontation croissante avec tous les obstacles placés par le syndicalisme et au cours duquel s'imposera de plus en plus aux ouvriers des grandes métropoles capitalistes, notamment ceux d'Europe occidentale, la nécessité de l'auto organisation de leur combat. »
7. En effet, les luttes qui se sont développées depuis un an, et notamment celles de Belgique, de France, de Grande-Bretagne et d'Espagne, revêtent toutes, à des degrés divers, une ou plusieurs de ces caractéristiques.
C'est ainsi que la tendance à des mouvements de grande ampleur s'est exprimée de façon très nette en Belgique, où c'est près d'un million d'ouvriers qui ont été impliqués dans les luttes (dans un pays qui ne compte que 9 millions d'habitants), de même qu'en Espagne où les luttes se sont déployées sur plusieurs mois dans de multiples secteurs. Mais, dans une moindre mesure, elle s'est exprimée également en Grande-Bretagne avec plus de 130. 000 grévistes de British Telecom, ainsi qu'en France où, malgré un nombre plus limité de grévistes (40.000 à 50.000), la lutte dans les chemins de fer a eu un énorme impact dans toute la classe ouvrière et la vie politique du pays.
Pour sa part, la tendance au surgissement de mouvements spontanés s'est manifestée de manière très claire dans ces deux derniers pays. Et si, dans le cas de la France, la spontanéité du mouvement des cheminots -qui a rencontré au départ l'hostilité de tous les syndicats résultait pour une part du discrédit qui s'était accumulé à l'égard de ces organismes durant les 5 années de gouvernement de gauche qu'ils soutenaient (ce qui constitue une confirmation a contrario de la nécessité pour la bourgeoisie dans la période présente de placer ses forces de gauche dans l'opposition), le cas de la Grande-Bretagne (où la bourgeoisie la plus expérimentée du monde avait mis la gauche dans l'opposition dès la fin des années 1970) illustre le fait que cette tendance est bien un phénomène général qui se développera de plus en plus dans les autres pays.
C'est également dans ces deux pays que le développement de la confiance en soi du prolétariat s'est manifesté de la façon la plus significative. Pour ce qui est de la France, le déploiement de la grève des cheminots confirme la sortie d'une période où la bourgeoisie avec l'aide des syndicats avait mis en œuvre, avec un certain succès, une politique d'immobilisation de la classe, où le discrédit des syndicats était retourné contre les ouvriers pour les convaincre qu'ils ne pouvaient rien faire contre les attaques capitalistes. Le phénomène est encore plus net en Grande-Bretagne où la grève de British Telecom signifie la fin d'une période de démoralisation et de sentiment d'impuissance qui avait suivi la défaite de la longue grève des mineurs de 1984-85 et celle des ouvriers de l'imprimerie en 1986.
Ces différentes caractéristiques des luttes récentes sont appelées à se renforcer dans la période qui vient avec le développement de la résistance ouvrière face à l'intensification et la généralisation des attaques d'une bourgeoisie dont la marge de manoeuvre économique se réduit toujours plus. Cette période sera marquée par :
- une tendance à une mobilisation beaucoup plus massive et simultanée des ouvriers,
- une plus grande fréquence de ces situations de mobilisation de la classe, les moments de répit tendant à être d'une durée de plus en plus courte,
- un renforcement de l'expérience et surtout de la maturation de la prise de conscience dans les rangs ouvriers où la simple méfiance face aux forces bourgeoises d'encadrement cédera de plus en plus la place à une attitude active de débordement de celles-ci, de prise en main directe des luttes posant de façon croissante la question de leur unification.
8. La tendance vers l'unification des luttes est justement celle qui a éprouvé jusqu'à présent le plus de difficultés à s'exprimer de façon positive et claire. Si les bases en ont été posées de façon nette lors des luttes en Belgique au printemps 1986 (avec en particulier la volonté permanente des mineurs d'étendre le combat dans d'autres secteurs), c'est surtout son besoin qui s'est exprimé alors que des centaines de milliers d'ouvriers luttaient simultanément, bien plus que sa réalité. Ce besoin s'est également fait sentir fortement lors des luttes de l'hiver et du printemps 1987 en Espagne, alors que de multiples mouvements affectant de nombreux secteurs dans tout le pays se sont déroulés en ordre dispersé, ce qui a permis la reprise en main de la situation par la bourgeoisie et la dissipation de leur énorme potentialité. Dans le cas de la France, l'isolement corporatiste qui a caractérisé la grève dés cheminots et constitué sa principale faiblesse a d'autant plus mis en évidence le besoin de l'unification que se déroulaient en même temps d'autres mouvements dans les transports urbains à Paris et parmi les marins, et qu'il existait dans tout le secteur public un réel potentiel de combativité qui aurait pu se cristalliser si les cheminots avaient appelé leurs frères de classe à les rejoindre.
Cette difficulté à concrétiser le besoin de l'unification, alors que les autres caractéristiques des combats actuels se sont exprimées déjà de façon beaucoup plus marquée, s'explique aisément par le fait que l'unification constitue justement l'élément central des luttes de la période présente, celui qui, d'une certaine façon, contient tous les autres, qui en constitue la synthèse.
Par ailleurs, les mouvements récents ont montré que l'effort vers l'unification se heurtait à la différence existant entre la situation des ouvriers du secteur privé et ceux du secteur public. Le fait que ces grèves aient touché essentiellement le secteur public illustre cette différence. En effet, dans le secteur privé, l'arme de la grève se révèle d'un emploi beaucoup plus difficile à cause du poids du chômage et de la menace de licenciement. C'est pour cela que les manifestations de rue tendront à devenir, comme la résolution de juin 1986 le mettait en évidence, un des moyens privilégiés du processus d'unification du combat entre tous les secteurs de la classe ouvrière : ouvriers du secteur public, du secteur privé, ouvriers au chômage. Et cela a pu être vérifié négativement dans la lutte des ouvriers des chemins de fer en France, par exemple où un des facteurs indiscutables du maintien de leur isolement favorisant les manœuvres syndicales et les conduisant à la défaite a résidé dans le fait qu'ils n'aient pas pris l'initiative de telles manifestations de rue dès qu'ils se sont mis spontanément en grève et dotés de l'auto organisation de leur combat.
9. Le fait que l'unification du combat de classe face aux attaques de plus en plus frontales du capital -et qui constitue à l'heure actuelle l'axe central du développement de l'affrontement contre celui-ci- contienne tous les autres aspects de la lutte ouvrière -la prise en main des luttes, leur auto organisation, leur extension d'un secteur à l'autre, les manifestations de rue- détermine les caractéristiques de la stratégie employée par la bourgeoisie, sa gauche et en particulier ses syndicats contre ce combat. Dans la période présente où c'est dans l'opposition qu'agissent les forces bourgeoises de gauche, celles-ci n'ont et n'auront pas pour tactique, dans l'accomplissement de leur fonction anti-ouvrière, de s'opposer ouvertement à la combativité qui surgit partout, ni même en général de s'opposer à tel ou tel aspect de la lutte, mais essentiellement de dissocier, d'opposer les différents aspects complémentaires du chemin vers l'unification. C'est ainsi que dans les grèves du printemps 1987 en Espagne, la tactique syndicale a consisté essentiellement à prendre les devants face à un mécontentement et une combativité généralisés, afin d'empêcher les surgissements spontanés de la lutte et sa prise en charge par les ouvriers, et de pouvoir la découper en rondelles à travers des « actions » dispersées dans le temps et l'espace, des manifestations séparées alors que le sens même d'une manifestation est de permettre aux ouvriers de tous les secteurs de se retrouver ensemble. De même, lors de la grève des cheminots en France, la tactique syndicale, une fois qu'il était devenu impossible de faire obstacle au mouvement, a consisté non pas à s'opposer ouvertement à son auto organisation, mais d'abord à en faire un problème «spécifique» des cheminots et même des conducteurs de train, puis de jouer la carte du «jusqu'au-boutisme» quand la preuve a été faite que la lutte était battue, tout en lançant à ce moment-là des appels à «l'extension» visant non pas à l'extension du combat, mais à l'extension de la défaite.
Une des caractéristiques de la période présente et à venir de développement de la combativité et de la conscience de la classe ouvrière consiste dans l'utilisation croissante par le syndicalisme, à côté des grandes centrales officielles, de ses variantes «de base» et «de combat», notamment lorsque les premières sont débordées par les ouvriers. La fonction essentielle du syndicalisme de base, derrière lequel on trouve en général les différentes variétés de groupes gauchistes, consiste à ramener dans les filets du syndicalisme, et en fin de compte des syndicats «officiels», les secteurs ouvriers qui tendent à rompre avec celui-ci. C'est bien ce qui a pu être constaté dans la grève des chemins de fer en France, où les deux «coordinations» constituées en dehors des syndicats, celle des «roulants» et celle «inter catégories», ont décidé, sous l'influence des deux groupes trotskystes qui s'étaient placés à leur tête, de confier aux centrales syndicales officielles le soin de mener les négociations avec la direction («l'audace» la plus «radicale» consistant à demander qu'on lui réserve une petite place sur un strapontin). Mais le mode d'activité du syndicalisme de base ne se limite pas à cela. Il consiste également à promouvoir des actions «dures» (que les centrales peuvent dans certains cas reprendre également à leur compte) telles que des blocages de routes, de voies de chemin de fer, des séquestrations, des affrontements avec la police qui, si elles peuvent faire partie dans certaines circonstances des moyens de lutte de la classe ouvrière, sont ici utilisées pour isoler les éléments les plus combatifs du reste de la classe, ce qui met en évidence une réelle convergence entre syndicalisme de base et répression étatique, un partage des tâches de fait. De même, outre qu'il peut prôner directement un syndicalisme plus « radical » face aux centrales officielles en appelant à la formation de syndicats «révolutionnaires» ou «rouges», le syndicalisme de base peut également agir à travers la mise en place de structures de nature syndicale qui ne disent pas leur nom ou en poussant à la transformation de réels organes de la lutte en de telles structures. C'est ainsi qu'il est amené, comme on l'a vu en Allemagne avec les comités de chômeurs et en France avec les « coordinations », à auto proclamer une fausse centralisation de la lutte, avant que les ouvriers concernés ne soient prêts à pouvoir la réaliser par eux-mêmes, avec comme résultat d'entraver le réel processus d'auto organisation.
Face à cette multitude de facettes de l'action des forces bourgeoises au sein de la classe ouvrière, il importe que les révolutionnaires soient particulièrement vigilants à ne pas leur apporter un concours involontaire en fétichisant ou en employant à contretemps des mots d'ordre justes en général mais qui, dans certaines circonstances particulières, peuvent aller dans le sens des gauchistes et des syndicats cherchant à créer des abcès de fixation ou des diversions. En toutes circonstances, ils se doivent de mettre en avant ce qui contribue réellement au développement de la force essentielle du combat : son unification et la prise de conscience.
10. Cette même vigilance des révolutionnaires doit s'appliquer à l'égard d'un phénomène qui. ne s'est manifesté que de façon embryonnaire jusqu'à présent, mais qui tendra à prendre une importance croissante avec le développement de la lutte elle-même : le surgissement de regroupements des éléments parmi les plus combatifs de la classe, les comités de lutte. Il importe que les révolutionnaires sachent bien faire la différence entre d'une part des manifestations du syndicalisme de base, des tentatives bourgeoises pour ramener dans les nasses du syndicalisme les ouvriers qui tentent de rompre avec lui, et d'autre part de réelles expressions de la vie de la classe, aussi confuses soient-elles. Afin de pouvoir impulser efficacement la création et le développement des comités de lutte, combattre les dangers tendant à les dénaturer et en faire des proies pour les gauchistes et le syndicalisme de base, les révolutionnaires doivent en particulier comprendre leur nature, fonction et caractéristiques réelles :
- ils n'ont pas de plate-forme, ni de conditions d'admission, ni de cotisations régulières, ils sont ouverts à tous les ouvriers ;
- ils ne constituent pas les embryons des futurs comités de grève (dans le cas d'élection de certains de leurs membres dans ces derniers, une claire distinction devrait s'établir entre leur appartenance à un comité et le mandat émanant d'une assemblée générale) ;
- ils ont pour tâche première, à travers la discussion, la réflexion, la propagande, de préparer les combats à venir, leur auto organisation et leur unification ;
- ils se distinguent en ce sens des cercles de discussion (même si de tels cercles peuvent également exister aujourd'hui) tels qu'ils étaient apparus dans les années 1970 et qui constituent une étape vers la formation d'organisations politiques ;
- ils ne sauraient être des «annexes» ou «courroies de transmission» de groupes politiques existants, même si ces derniers interviennent en leur sein ;
- ils ne doivent pas être mis sur le même plan que les comités de chômeurs qui eux ont une vocation d'organisation unitaire de la classe au même titre que les assemblées générales (même si dans certaines circonstances où ils regroupent un nombre réduit d'ouvriers les comités de chômeurs peuvent s'apparenter à des comités de lutte).
11. Si c'est essentiellement dans les grandes concentrations industrielles des pays centraux du capitalisme, et en premier lieu ceux d'Europe occidentale, que se dérouleront dans la période qui vient les combats prolétariens les plus importants et les plus riches d'enseignements pour l'ensemble de la classe ouvrière mondiale, il importe que les révolutionnaires soient vigilants aux manifestations de la combativité ouvrière dans les autres aires de la planète, notamment dans les pays de l'Est et dans les centres les plus industrialisés des pays de la périphérie. Dans ces zones du capitalisme, la perspective pour les luttes est étroitement liée au développement des combats dans les pays avancés du bloc occidental qui sont les seuls à pouvoir réellement démystifier les illusions d'un syndicalisme «libre» et «démocratique» fortement présentes à l'Est et les illusions du type «syndicalisme révolutionnaire» ainsi que le nationalisme «anti-impérialiste» très implantés dans les pays de la périphérie. Cependant, les combats de classe qui se mènent dans les pays dits «socialistes» et ceux des pays dits «sous-développés» apportent et seront appelés à apporter encore plus une contribution appréciable au développement de la prise de conscience des ouvriers des pays centraux du capitalisme. C'est aux premiers, en particulier, qu'on doit principalement l'usure et l'épuisement en cours de la mystification sur l'existence de «pays socialistes». Mais plus généralement, la simultanéité qu'on constate, au cours de cette 3e vague de luttes ouvrières, dans le développement de celles-ci, à l'Ouest, à l'Est et dans les centres névralgiques de la périphérie, constituent déjà un facteur important et significatif dans l'évolution du rapport de forces entre classes en faveur du prolétariat. C'est la seule voie qui pourra préparer et annoncer une généralisation des luttes au niveau mondial, qui posera la question de leur future unification à l'échelle mondiale.
C'est pour cela qu'il importe de comprendre les campagnes «rénovatrices» de Gorbatchev en URSS et dans les autres pays de l'Europe de l'Est. Elles traduisent la crainte de la bourgeoisie que les mesures d'austérité de plus en plus sévères rendues nécessaires par l'intensification de la crise ne provoquent d'importantes réactions de la classe ouvrière. Dans ces pays, où la marge de manœuvre économique et politique de la classe dominante est beaucoup plus restreinte qu'en Occident, les promesses «démocratiques» et la «radicalisation» des syndicats officiels sont un moyen par lequel les autorités essaient de prévenir un débordement trop massif, immédiat et explosif comme ce fut le cas en Pologne en 1980.
De même, pour ce qui concerne les pays dits du «tiers-monde», il convient de réaffirmer que, dans la période à venir, c'est de plus en plus autour de la classe ouvrière que se forgera la résistance de toutes les couches non exploiteuses contre l'attaque brutale de leurs conditions d'existence déjà intenables. Seule en effet, la classe ouvrière, aussi minoritaire qu'elle soit dans ces pays, peut donner une perspective à toutes ces luttes et révoltes. C'est pour cela que dans cette partie du monde également, l'intervention des révolutionnaires est indispensable, notamment dans la dénonciation des campagnes bourgeoises «anti-impérialistes» et en faveur de «l'indépendance nationale», de la «démocratisation» et d'un «syndicalisme de base révolutionnaire».
12. L'accélération de l'histoire qui se produit aujourd'hui, et notamment sur le plan de la lutte de classe, confère d'énormes responsabilités aux organisations révolutionnaires que la classe a fait surgir en son sein. En particulier celles-ci sont appelées à acquérir une influence croissante non pas encore au niveau de l'évolution globale du combat prolétarien, mais sur des moments significatifs de celui-ci. Pour se porter à la hauteur de ces responsabilités, il est indispensable que ces organisations :
- se dotent des positions programmatiques tirant à fond les enseignements de toute l'expérience historique de la classe ouvrière, notamment sur la question syndicale ;
- soient en mesure de développer les analyses les plus claires et précises possibles de la période actuelle : le cours historique aux affrontements de classe, les caractéristiques de la 3e vague de luttes ouvrières depuis le resurgissement historique de la fin des années 1960 ;
- soient capables de concrétiser à tout instant ces analyses par un suivi pas à pas de chacun des mouvements importants de la classe afin de mettre en avant les perspectives et les mots d'ordre appropriés aux différentes situations qu'il traverse ;
- sachent tirer de chacune de leurs interventions dans ces mouvements le maximum d'enseignements afin de pouvoir reconstituer progressivement le potentiel d'expérience que la terrible contre-révolution dont nous sommes sortis a fait perdre aux révolutionnaires.
Pour faire face à ces nécessités, et notamment aux deux dernières, il est indispensable, que les organisations révolutionnaires se conçoivent comme partie prenante des combats qui se mènent dès aujourd'hui. Cela suppose de leur part et de celle de leurs militants une implication résolue, énergique et directe au sein de ces combats. Cela suppose aussi, comme condition indispensable à une telle implication, qu'elles conçoivent leur rôle et leur activité non au jour le jour, mais dans une perspective à long terme, de façon en particulier à ne pas se laisser ballotter, et finalement emporter par les soubresauts de la lutte de classe.
Comme le CCI l'affirmait dans sa résolution de juin 1986:
«C'est le propre des révolutionnaires que d'exprimer au plus haut point ces qualités de la classe porteuse du futur de l'humanité : la patience, la conscience de l'ampleur immense de la tâche à accomplir, une confiance sereine mais indestructible en l'avenir».
Introduction: quelle démarche pour modifier la plate-forme ?
Le programme d'une organisation révolutionnaire n'est pas, contrairement à ce qu'affirme le bordiguisme sclérosé, une doctrine figée et invariante. Ce programme est vivant. Certes, ce qu'il exprime avant tout c'est le devenir révolutionnaire de la classe ouvrière lequel est tracé à celle-ci par l'histoire depuis près de deux siècles avec son développement en même temps que celui des rapports de production capitalistes. Mais le programme ne saurait se résumer à la mise en avant de la nécessité et de la possibilité pour la classe d'abolir le capitalisme et d'instaurer, le communisme. Il bénéficie en permanence de l'expérience accumulée par la classe ouvrière et de la clarification qui s'opère en son sein et, en premier lieu, dans ses organisations politiques dont c'est la responsabilité même :
- d'éclaircir et de préciser sans relâche les positions politiques de classe ;
- de rectifier ces positions lorsque l'expérience, la discussion ou la réflexion a démontré leur non validité.
C'est pour cela que les organisations révolutionnaires ont souvent été amenées à rectifier ou modifier leur programme. Les exemples historiques ne manquent pas. On peut citer notamment :
- la préface de l'édition allemande de 1872 du Manifeste Communiste où Marx et Engels signalent la caducité de certains passages de ce document et la nécessité en particulier de prendre en compte l'expérience de la Commune de Paris sur la question de l'Etat ;
- l'adoption par la Social-démocratie allemande à son congrès d'Erfurt en 1891 d'un nouveau programme en remplacement de celui de Gotha adopté en 1875 ;
- la modification du programme du POSDR de 1903 par les bolcheviks au cours même de la révolution de 1917;
- la modification des positions de l'Internationale Communiste par Bilan.
Cependant, lorsqu'une modification s'impose, il faut agir à la fois avec audace et avec prudence comme nous l'a en particulier enseigné Bilan. S'il ne faut pas craindre de remettre en cause ce qui pouvait apparaître comme des dogmes intangibles, « ne supporter aucun interdit non plus qu'aucun ostracisme », comme le dit Bilan (ce que n'ont pas su faire les résidus de la Gauche italienne comme Programma et Battaglia Comunista), il faut se garder encore plus de «jeter l'enfant avec l'eau du bain», de «faire table rase» de l'expérience passée du mouvement ouvrier. Lorsque s'impose une modification du programme :
- il ne s'agit pas d'une «révision» ou d'une «rupture» (à l'image de la démarche des conseillistes ou des modernistes) ;
- il s'agit de s'appuyer fermement sur les acquis pour aller plus loin, il s'agit d'un dépassement au sens marxiste du terme.
C'est bien cette démarche qui a été mise en œuvre par le CCI depuis ses origines : «Les bases sur lesquelles s'est appuyé, dès avant sa constitution formelle, notre Courant dans son travail de regroupement ne sont pas nouvelles. Elles ont toujours par le passé constitué les piliers de ce type de travail. On peut les résumer ainsi :
- la nécessité de rattacher l'activité révolutionnaire aux acquis passés de la classe, à l'expérience des organisations communistes qui ont précédé (...);
- la nécessité de concevoir les positions et analyses communistes non comme un dogme mort mais comme un programme vivant, en constant enrichissement et approfondissement (...)» («10 ans du CCI, quelques enseignements» ; Revue Internationale n° 40).
C'est aussi la démarche qu'il s'agit d'adopter pour la rectification de la plate-forme du CCI. En particulier, il importe en premier lieu pour cette rectification de se baser sur les acquis de la Gauche communiste concernant les points qui sont aujourd'hui soulevés.
Pourquoi des erreurs ont-elles été commises par le CCI ?
Les questions qui sont ici concernées - la dégénérescence et le passage à la bourgeoisie d'organisations révolutionnaires ; les conditions d'apparition et de développement de nouvelles organisations - ne sont pas nouvelles. Elles sont en fait tranchées depuis longtemps dans le mouvement ouvrier, en grande partie grâce au travail théorique réalisé par Bilan, sur la question de la Fraction, sur les circonstances d'apparition de celle-ci au sein du parti frappé de dégénérescence opportuniste, sur son rôle en vue de la reconquête de celui-ci tant que cela est possible et, lorsque cette tâche devient sans objet par le passage définitif du parti au service de la bourgeoisie nationale, sur sa fonction de préparation du surgissement du nouveau parti de classe lorsque les circonstances historiques le permettront ; travail théorique qui était lui-même une systématisation de l'expérience de la Gauche au sein de la 2e et 3e Internationale. Et si le CCI a commis des erreurs, c'est essentiellement dû à la rupture organique provoquée dans le courant révolutionnaire par la plus longue et profonde contre-révolution de l'histoire et qui a nécessité à ses origines tout un travail de réappropriation des acquis du passé. C'était un travail considérable et si, lors de sa constitution formelle en 1975, notre courant en avait déjà accompli l'essentiel, l'expérience a démontré qu'il n'était pas encore achevé. En particulier notre organisation n'avait pas toujours correctement digéré ces acquis et elle n'a pas échappé à des erreurs de jeunesse assez classiques.
Ainsi, lorsqu'on parvient à un certain degré de clarté et à une certaine cohérence sur certaines questions (comme ce fut le cas au début des années 1970), il peut en découler un sentiment d'euphorie conduisant à considérer que toutes les organisations qui ne partagent pas les mêmes positions, qui véhiculent encore des positions bourgeoises, sont en réalité dans le camp de la bourgeoisie.
C'est typiquement une maladie de la jeunesse : les jugements catégoriques et définitifs qu'on porte sur ceux qui ne partagent pas ses positions sont le pendant du manque d'assurance qu'on a soi-même sur ces positions.
C'est bien cette immaturité qui se révélait dans le texte de la plate-forme adopté lors du premier congrès du CCI et qui, par certaines de ses formulations, rejetait dans la bourgeoisie tous les autres groupes politiques. Pour dépasser cette immaturité, il a fallu que le 2e congrès adopte la résolution sur «Les groupes politiques prolétariens» qui jetait les bases claires sur cette question. C'est sur ces bases que s'est appuyée la modification de la plate-forme du CCI lors du 3? congrès ; mais cette modification, si elle permet à la plate-forme de donner un cadre correct à l'égard des organisations existant aujourd'hui, est encore insuffisante du point de vue même de la clarté auquel nous étions parvenus au 2e congrès. En effet, il subsiste encore une contradiction entre, d'un côté, la plate-forme qui par exemple place en 1914 le passage à la bourgeoisie des partis socialistes tout en considérant à juste titre comme révolutionnaire et à l'avant-garde du mouvement ouvrier les partis communistes sortis de ces partis bien après cette date, et, de l'autre côté, la résolution du 2e congrès qui affirme que : « (les groupes politiques issus de scissions dans des organisations passées définitivement à la .bourgeoisie, scissions basées sur une ^rupture avec certains points de leur programme), se distinguent fondamentalement des fractions communistes qui peuvent apparaître comme réaction à un processus de dégénérescence des organisations prolétariennes. En effet, celles-ci se basent non sur une rupture mais sur une continuité du programme révolutionnaire précisément menacé par le cours opportuniste de l'organisation, même si par la suite elles lui apportent les rectifications et enrichissements imposés par l'expérience. De ce fait, alors que les fractions apparaissent avec un programme révolutionnaire cohérent et élaboré, les courants qui rompent avec la contre-révolution se présentent avec des positions essentiellement négatives opposées, généralement de façon partielle, à celles de leur organisation d'origine, ce qui ne suffit pas à constituer un programme communiste solide. Leur rupture avec une cohérence contre-révolutionnaire ne peut suffire à leur conférer une cohérence révolutionnaire (...) ».
Outre cette immaturité globale, il existe une autre cause plus circonstancielle (mais elle aussi résultant de notre immaturité et de celle du milieu révolutionnaire) • aux erreurs du CCI sur ces questions et plus particulièrement sur le moment précis du passage à la bourgeoisie des PS et des PC. A l'époque où ces erreurs ont été commises, nous sortions d'une longue polémique avec des groupes (tel Revolutionary Perspectives) qui plaçaient en 1921 le passage à la bourgeoisie des PC et la mort de l'IC ou qui estimaient que les partis social-démocrate n'avaient jamais appartenu à la classe ouvrière. Polarisés par la lutte contre des positions ouvertement intenables, nous n'avions pas suffisamment consacré d'efforts à développer pour notre part une analyse tout à fait correcte puisque notre première préoccupation avait été de démontrer pourquoi la Social-démocratie avait été prolétarienne et pourquoi en 1921 les PC étaient des partis ouvriers.
Quelle ampleur pour les modifications de la plate-forme ?
Faut-il considérer que les modifications, dont une première proposition avait été faite au 6e congrès, constituent une remise en cause de nos acquis, une révision du marxisme comme le prétendait la «tendance» (devenue depuis lors la FECCI) ? En d'autres termes, sommes-nous en train de nous écarter de la méthode de Bilan pour rejoindre celle des modernistes ? La réponse est clairement non !
En réalité, ce qu'il s'agit fondamentalement et simplement de réaliser c'est une mise en cohérence (suite à des débats importants qui se sont déjà menés dans l'organisation et que nous pouvons conclure) de l'ensemble de nos positions, telles qu'elles s'expriment dans la plateforme, avec toute une série de textes d'orientation d'ores et déjà adoptés par l'organisation.
La plupart de ces textes sont antérieurs au 6e congres du CCI (et ont été adoptés par les camarades qui ont quitté le CCI à ce congrès). Il s'agit notamment de :
- la résolution du 2e congrès sur «Les groupes politiques prolétariens» ;
- le rapport sur «Le cours historique» adopté par le 3e congrès.
Dans ce deuxième texte sont reprises et qualifiées de «lumineuses» les lignes suivantes provenant du rapport sur la situation internationale à la Conférence de juillet 1945 de la Gauche Communiste de France :
«On peut distinguer trois étapes nécessaires et se succédant entre les deux guerres impérialistes.
La première s'achève avec l'épuisement de la grande vague révolutionnaire de l'après 1917 et consiste dans une suite de défaites de la révolution dans plusieurs pays, de la défaite de la gauche exclue de l’IC où triomphe le centrisme et l'engagement de l'URSS dans une évolution vers le capitalisme au travers de la théorie et de la pratique du «socialisme dans un seul pays»
La deuxième étape est celle de l'offensive générale du capitalisme international parvenant à liquider les convulsions sociales dans le centre décisif où se joue l'alternative historique du capitalisme ou socialisme : l'Allemagne, par l'écrasement physique du prolétariat et l'instauration du régime hitlérien jouant le rôle de gendarme en Europe. A cette étape correspond la mort définitive de l’lC et la faillite de l'Opposition de gauche de Trotsky (...)
La troisième étape fut celle du dévotement total du mouvement ouvrier des pays "démocratiques". Sous le masque de défense des libertés" et des "conquêtes" ouvrières menacées par le fascisme, on a en réalité cherché à faire adhérer le prolétariat à la défense de la démocratie, c'est-à-dire de la bourgeoisie nationale, de sa patrie capitaliste. L'antifascisme était la plate-forme, l'idéologie moderne du capitalisme que les partis traîtres au prolétariat employaient pour envelopper la marchandise putréfiée de la défense nationale. Dans cette troisième étape s'opère le passage définitif des partis dits communistes au service de leur capitalisme respectif (...) ».
La relecture de ces lignes nous montre en particulier trois choses :
- les modifications à apporter à la plate-forme ne constituent pas, sur cette question, une remise en cause des positions des groupes dont nous revendiquons la continuité politique, mais bien une réappropriation de ces positions ;
- l'ensemble du CCI a adopté à son 3e congrès un texte important, longuement discuté, sans prendre pleinement en compte toutes les implications de ce texte, ce qui traduit une faiblesse déjà constatée à plusieurs reprises par ailleurs ;
- plus précisément, le CCI (ou une partie de ses militants) a apporté à des acquis de la Gauche communiste une adhésion formelle mais relativement superficielle (ce qui s'était également manifesté à d'autres reprises).
Il faut donc constater, contre nombre d'affirmations malveillantes, que dès avant le 6e congrès (en fait dès 1979) le CCI s'était doté des moyens théoriques lui permettant de corriger sa plate-forme dans le sens où nous nous proposons de le faire. Cependant, le 6e congrès, avec sa résolution sur l'opportunisme et le centrisme qui ramassait presque deux ans de débats particulièrement animés et approfondis, nous dote aujourd'hui des moyens non seulement de donner à notre plate-forme les formulations les plus correctes possibles mais aussi de comprendre pleinement les implications de ces formulations.
Quelles modifications de la plate-forme ?
Comme on a vu plus haut, avant même que l'organisation se penche de façon précise sur les formulations des amendements à apporter à la plate-forme, il importe qu'elle ait une vue claire des questions qui sont concernées par ces amendements. Il importe en premier lieu qu'elle sache se réapproprie les acquis du passé, dégager toutes les implications découlant de ces acquis , de même que des documents qu'elle a déjà adoptés et notamment la résolution du 6e congrès sur le centrisme et l'opportunisme.
Les textes du passé qui explicitent ces acquis sont nombreux. Un des plus significatifs est certainement une résolution adoptée en août 1933 par la Commission exécutive de la Fraction de gauche du PCI publiée dans le N° 1 de Bilan sous le titre «Vers l'Internationale deux et trois quarts... ?» republiée dans le « Bulletin d'Etude et de Discussion » de RI N° 6 et dont on peut extraire les passages suivants :
«(...) La capacité d'action du parti ne précède pas, mais suit la compréhension des situations. Cette compréhension ne dépend pas d'individus qui se réclament du prolétariat, mais du parti lui-même. Celui-ci, parce qu'il est un élément des situations et de leur enchevêtrement, peut être mobilisé et gagné par l'ennemi de classe, et dès lors, il appartiendra au courant marxiste de saisir le cours de l'évolution historique.
Le prolétariat a essuyé en 1927 une défaite terrible en ne parvenant pas à empêcher le succès contre-révolutionnaire du centrisme au sein des PC. S'il avait gagné sa bataille, au sein des partis, il aurait assuré la continuité du parti pour la réalisation de sa mission, car il aurait résolu, dans une direction révolutionnaire, les nouveaux problèmes issus de l'exercice du pouvoir prolétarien en URSS.
Lorsque le parti a perdu sa capacité de guider le prolétariat vers la révolution -et cela arrive par le triomphe de l'opportunisme-, les réactions de classe produites par les antagonismes sociaux n'évoluent plus vers la direction qui permet au parti d'accomplir sa mission. Les réactions sont appelées à chercher les nouvelles bases où se forment désormais les organes de l'entendement et de la vie de la classe ouvrière : la Fraction. L'intelligence des événements ne s'accompagne plus avec l'action directe sur ces derniers, ainsi qu'il arrivait précédemment au sein du parti et la fraction ne peut reconstituer cette unité qu'en délivrant le parti de l'opportunisme. (...)
Au point de vue fondamental, le problème est vu sous deux formes diamétralement opposées : notre fraction conçoit sa transformation en parti, envisage chaque moment de son activité comme un moment de la reconstruction du parti de classe du prolétariat et considère que, seule la fraction à l'intérieur ou en dehors de l'organisation officielle du parti, représente l'organisme pouvant conduire le prolétariat à la victoire. Le camarade Trotsky conçoit, par contre, que la constitution d'un nouveau parti ne dépendra pas directement de la fraction ou de son travail, mais du travail de «l'opposition»en jonction avec d'autres formations politiques et même avec des courants appartenant à des partis de la classe ennemie.
La transformation de la fraction en parti est conditionnée par deux éléments intimement liés :
1. L'élaboration, par la fraction de nouvelles positions politiques permettant d'asseoir la lutte du prolétariat pour la révolution, dans sa nouvelle phase plus avancée. (...)
2. Par l'ébranlement du système des rapports de classe tel qu'il s'est constitué lors de la victoire de l'opportunisme au sein du parti de la classe ouvrière. Cet ébranlement résiderait dans l'éclosion de mouvements révolutionnaires permettant à la fraction de reprendre la direction des luttes vers l'insurrection.
Ces deux données sont dialectiquement liées et nous verrons et comprendrons les nouvelles situations -qui sont en devenir- dans la mesure où se vérifie le passage vers l'ennemi de l'opportunisme qui dirige le parti communiste. Ou bien, dans la perspective opposée, dans la mesure où progresse le travail de la fraction de gauche pour la victoire révolutionnaire. (...)
La notion de l'Internationale est supérieure à celle du parti, non seulement dans l'ordre organisatoire et politique, mais aussi dans l'ordre chronologique. En effet, le parti est un organisme qui se relie directement avec un processus de lutte de classe et qui affirme comme objectif celui de sa lutte contre l'Etat capitaliste. L'Internationale, au contraire, se fonde uniquement sur des notions politiques et n'a pas en face d'elle un Etat capitaliste mondial, mais des Etats qui reproduisent, sur l'échelle internationale, les antagonismes qui opposent, dans le domaine économique, les capitalistes ou les groupes de ceux-ci.
La mort de l'Internationale Communiste dérive de l'extinction de sa fonction (...).
Le parti ne cesse pas d'exister, même après la mort de l'Internationale. Le parti ne meurt pas, il trahit. Le parti, se rattachant directement au processus de la lutte de classe, est appelé à continuer son action même lorsque l'Internationale est morte.
Dans le passé, nous avons défendu la notion fondamentale de la "fraction" contre la position dite "d'opposition". Par fraction nous entendions l'organisme qui construit les cadres devant assurer la continuité de la lutte révolutionnaire, et qui est appelée à devenir le protagoniste de la victoire prolétarienne. Contre nous, la notion dite "d'opposition" a triomphé au sein de l'Opposition Internationale de Gauche. Cette dernière affirmait qu'il ne fallait pas proclamer la nécessité de la formation des cadres : la clé des événements se trouvant entre les mains du centrisme et non entre les mains de la fraction.
Il est préconisé aujourd'hui un travail commun avec les gauches socialistes en vue de la formation de la nouvelle Internationale. (...)
A notre avis, la guerre et la révolution russe ont opéré, dans l'histoire, une rupture définitive. Avant 1914, les partis socialistes pouvaient se trouver au sein de la classe ouvrière ; par après, leur place s'est trouvée être du côté opposé : au sein du capitalisme. Cette transformation de la position de classe de la Social-démocratie comporte, par conséquent, une opposition fondamentale entre les gauches socialistes qui préparèrent les partis communistes et les gauches socialistes d'après-guerre nécessaires à la Social-démocratie pour tromper les masses et pour lui permettre de continuer à remplir ainsi sa fonction dans l'intérêt de l'ennemi. Les gauches socialistes se situent aujourd'hui en deçà de la révolution russe et ne peuvent jamais cohabiter avec les fractions de gauche des partis communistes afin de déterminer le programme devant traduire -pour les révolutions futures- les leçons découlant d'une grandiose expérience de gouvernement prolétarien et de la terrible expérience survenue avec la victoire du centrisme.
(...) Le travail des fractions de gauche pour la formation des nouveaux partis et de la nouvelle Internationale ne peut résulter d'un accouplement d'espèces historiques fondamentalement opposées : les partis ne peuvent résulter que du travail des fractions de gauche et seulement d'elles.».
Concernant les implications de la résolution du 6e congrès sur le centrisme et l'opportunisme et sur les questions concernant directement la rectification de la plate-forme on peut également signaler plus particulièrement les passages suivants :
« 1. Il existe une différence fondamentale entre l'évolution des partis de la bourgeoisie et l'évolution des partis de la classe ouvrière.
Les premiers, du fait qu'ils sont des organes politiques d'une classe dominante, ont la possibilité d'agir dans la classe ouvrière et certains d'entre eux le font effectivement car ceci fait partie d'une division du travail au sein des forces politiques de la bourgeoisie dont une partie a la tâche particulière de mystifier le prolétariat, de mieux le contrôler en le faisant de l'intérieur, et de le détourner de sa lutte de classe. A cette fin, la bourgeoisie utilise de préférence d'anciennes organisations de la classe ouvrière passées dans le camp de la bourgeoisie.
Par contre, la situation inverse d'une organisation prolétarienne agissant dans le camp de la bourgeoisie ne peut jamais exister. Il en est ainsi du prolétariat, comme de toute classe opprimée, parce que la place que lui fait occuper dans l'histoire le fait d'être une classe exploitée ne peut jamais faire de lui une classe exploiteuse.
Cette réalité peut donc être résumée dans l'affirmation lapidaire suivante :
- il peut, il doit exister et il existe toujours des organisations politiques bourgeoises agissant dans le prolétariat.
- il ne peut jamais exister, par contre, comme le démontre toute l'expérience historique, des partis politiques prolétariens agissant dans le camp de la bourgeoisie.
2. Ceci n'est pas seulement vrai pour ce qui concerne des partis politiques structurés. C'est également vrai pour ce qui concerne des courants politiques divergents pouvant naître éventuellement au sein de ces partis. Si des membres des partis politiques existants peuvent passer d'un camp dans l'autre et cela dans les deux sens (du prolétariat à la bourgeoisie et de la bourgeoisie au prolétariat), cela ne peut être qu'un fait individuel. Par contre, le passage collectif d'un organisme politique déjà structuré ou en formation dans les partis existants ne peut obligatoirement se produire que dans un sens unique : des partis du prolétariat à la bourgeoisie et jamais dans le sens contraire : des partis bourgeois au prolétariat. C'est-à-dire qu'en aucun cas un ensemble d'éléments en provenance d'une organisation bourgeoise ne peut évoluer vers des positions de classe sans une rupture consciente avec toute idée de continuité avec son éventuelle activité collective précédente dans le camp contre-révolutionnaire. Autrement dit, s'il peut se former et se développer des tendances dans les organisations du prolétariat, évoluant vers des positions politiques de la bourgeoisie et véhiculant cette idéologie au sein de la classe ouvrière, ceci est absolument exclu concernant les organisations de la bourgeoisie.
(...)
6. Comme l'histoire l'a démontré, le courant opportuniste ouvert, du fait qu'il se situe sur des positions extrêmes et tranchées, aboutit, dans les moments décisifs, à effectuer un passage définitif et sans retour dans le camp de la bourgeoisie. Quant au courant qui se définit comme se situant entre la gauche révolutionnaire et la droite opportuniste -courant le plus hétérogène, en constante mouvance entre les deux et recherche de leur réconciliation au nom d'une unité organisationnelle impossible- il évolue pour sa part selon les circonstances et les vicissitudes de la lutte du prolétariat.
Au moment de la trahison ouverte du courant opportuniste, en même temps que s'effectue une reprise et une montée de la lutte de la classe, le centrisme peut constituer -au début- une position passagère des masses ouvrières vers les positions révolutionnaires. Le centrisme, en tant que courant structuré, organisé sous forme de parti, est appelé, dans ces circonstances favorables, à exploser et passer dans sa majorité, ou pour une grande partie, dans l'organisation de la gauche révolutionnaire nouvellement constituée, comme cela s'est produit pour le Parti Socialiste français, le Parti Socialiste d'Italie et l'USPD en Allemagne dans les années 1920-21, après la première guerre mondiale et la révolution victorieuse en Russie.
Par contre, dans les circonstances d'une série de grandes défaites du prolétariat ouvrant un cours vers la guerre, le centrisme est immanquablement destiné à être happé par l'engrenage de la bourgeoisie et à passer dans son camp tout comme le courant opportuniste ouvert.
Avec toute la fermeté qui doit être la sienne, il est important pour le parti révolutionnaire de savoir comprendre les deux sens opposés de l'évolution possible du centrisme dans des circonstances différentes pour pouvoir prendre une attitude politique adéquate à son égard. Ne pas reconnaître cette réalité mène à la même aberration que la proclamation de l'impossibilité de l'existence de l'opportunisme et du centrisme au sein de la classe ouvrière dans la période de décadence du capitalisme.»
Pour résumer, on peut dégager trois questions essentielles affectant directement les modifications et ajouts à introduire dans la plate-forme.
La première question concernée est la différence existant (et dont la plate-forme ne rend pas compte dans sa forme actuelle) entre la mort d'une internationale et le passage de ses différents partis dans le camp bourgeois :
- la mort d'une internationale est la traduction d'une crise dans le mouvement ouvrier, c'est un événement se déroulant à l'échelle de celui-ci, l'échelle mondiale, et non de tel ou tel pays et qui intervient quand l'internationale perd sa substance, sa raison d'être même (paralysie de la 2e face à la 1ère guerre mondiale en août 1914, adoption de la thèse du « socialisme dans un seul pays » par l'IC en 1928) ;
- le passage à la bourgeoisie des partis composant une internationale qui s'est disloquée ne découle pas mécaniquement ni immédiatement de cette dislocation. D'une part, certains partis de l'Internationale peuvent maintenir après sa mort des positions clairement internationalistes et révolutionnaires. D'autre part, cette intégration à la bourgeoisie d'anciens partis ouvriers ne relève pas seulement d'un phénomène mondial (crise dans le mouvement ouvrier) mais également de circonstances au plan national (puisque cette intégration se fait au sein de chaque capital national dans la mesure où la bourgeoisie ne connaît pas une unité mondiale).
La deuxième question est le caractère heurté d'un tel passage. La mort de l'Internationale ne signifie ni la mort pour le prolétariat de ses partis ni non plus un processus linéaire et irréversible vers cette mort. Ce qui est ouvert, c'est un affrontement acharné au sein de ces partis entre les forces qui essayent de garder l'organisation à la classe et celles qui la poussent à s'intégrer dans l'Etat capitaliste. De plus, cette intégration nécessite l'élimination de toute possibilité de réaction contraire au sein des partis. (C'est ainsi que le soutien de la social-démocratie allemande -dirigée par la droite- à l'effort de guerre de la bourgeoisie nationale a provoqué en son sein, au cours de la guerre, une opposition croissante qui était en passe de devenir majoritaire, donc de renverser la domination de la droite et, par suite, d'empêcher celle-ci d'amener définitivement l'ensemble du parti dans le camp bourgeois qu'elle avait pour sa part rejoint dès 1914. Et c'est pour arrêter un tel processus que la droite décide en 1917, avant qu'elle ne soit elle-même éliminée, d'exclure du parti non seulement la gauche spartakiste mais aussi le centre de Kautsky). C'est pour cela que le critère majeur permettant d'établir qu'une organisation est complètement morte pour le prolétariat, c'est son incapacité définitive à faire surgir en son sein des fractions ou tendances prolétariennes. Or ce n'est en général qu'après coup qu'on peut juger d'une telle situation. C'est pour cela que les révolutionnaires responsables ont toujours été de la plus grande prudence dans ce domaine même si, dans le feu des événements, ils ont pu être conduits à formuler des jugements hâtifs (ainsi Rosa décrétant en 1914 -avec l'approbation de Lénine- que la Social-démocratie est un «cadavre» ce qui a été contredit par la suite par toute l'attitude de ces deux révolutionnaires).
La troisième question concernée (et qui découle de la deuxième) est la question de la fraction, question qui est traitée en termes généraux dans le point 17 de la plate-forme (l'organisation des révolutionnaires dans les différents moments de la lutte de classe), et qu'il s'agit également d'envisager du point de vue de l'attitude que doivent avoir les révolutionnaires face à un processus de dégénérescence pouvant affecter une organisation prolétarienne : non pas abandon précipité du navire en perdition afin de se « sauver soi-même », mais lutte acharnée en vue de le sauver comme un tout, et si l'entreprise s'avère* impossible, d'en sauver le maximum d'occupants. Telle a toujours été la démarche des fractions de gauche responsables.
Plus généralement, une défense intransigeante des principes communistes ne signifie nullement qu'il faille considérer comme définitivement perdus pour la classe les courants centristes. Dans la mesure même où ce qui caractérise ces courants c'est l'instabilité et le manque de cohésion, il est nécessaire de lutter pour les gagner (ou tout au moins la plus grande partie possible) à ces principes communistes tant qu'il existe une telle possibilité, ce qui est particulièrement le cas lorsque la dynamique de ces courants n'est pas des positions de classe vers les positions bourgeoises mais de rupture avec celles-ci vers des positions de classe.
A un niveau plus général encore, et même s'il n'est pas nécessaire que la plate-forme évoque explicitement cette question, il importe qu'il soit clair qu'il est vain d'attendre des partis du prolétariat une parfaite «pureté», une totale compréhension de tous leurs membres de l'intégralité de la pensée marxiste. Une telle vision (qui aujourd'hui est défendue par la FECCI) implique notamment qu'on se refuse à prendre en considération le fait que la pression de l'idéologie bourgeoise qui s'exerce sur l'ensemble de la classe n'épargne pas ses organisations politiques malgré tous les garde-fous qu'elles peuvent établir contre cette menace.
Les enjeux pour aujourd'hui
Ce n'est qu'en apparence que les modifications à apporter à la plate-forme relèvent de problèmes de l'histoire passée du mouvement ouvrier. Ce qui est en jeu ce n'est pas une simple question de date (c'est pour cela que, contrairement à ce qu'affirmaient les camarades qui allaient former la FECCI, il y a place dans l'organisation pour des camarades qui ont des désaccords sur la date précise de passage à la bourgeoisie de tel ou tel parti ouvrier). Ce qui importe c'est que l'organisation comme un tout se renforce le plus possible et renforce sa capacité d'action dans la classe :
- par une meilleure assimilation des acquis de la Gauche communiste ;
- par une meilleure assimilation de la méthode marxiste en général notamment en rejetant les visions simplistes, «blanc ou noir», les démarches mécanistes et non dialectiques ;
- par une meilleure compréhension du rôle des courants révolutionnaires les plus conséquents face aux formations politiques ou tendances qui, sans se situer dans le camp bourgeois, ne défendent pas des positions communistes conséquentes et cohérentes.
Ce dernier point a deux implications :
- la démarche qui doit guider la lutte des tendances et fractions de gauche au sein des .organisations prolétariennes en dégénérescence, qui, si ce n'est pas d'actualité aujourd'hui pour ce qui concerne le CCI (contrairement aux affirmations de l'ex-« tendance ») doit lui permettre de s'armer face à une telle éventualité pour le futur (éventualité contre laquelle il n'existe pas de vaccin définitif) et doit permettre à ses militants de s'éviter le lamentable parcours de la «tendance» ;
- de façon bien plus immédiate, l'attitude que doit adopter le CCI à l'égard des différents groupes du milieu prolétarien, tant les anciennes organisations que les courants que le développement international de la lutte de classe fait et fera surgir.
Sur cette deuxième question, il importe en particulier que soit établi dans les discussions le lien qui unit le texte sur le milieu politique adopté en juin 86 et l'ensemble des questions et textes rattachés à la rectification de la plateforme.
Ainsi, la discussion théorique en vue de la rectification de la plate-forme n'est nullement un débat académique. Il n'est pas académique parce que tout débat sur des questions programmatiques se trouve au cœur de ce qui. fonde l'existence de l'organisation, mais de plus parce qu'il fait partie de sa capacité à accomplir ses tâches non seulement futures mais aussi immédiates à l'heure où le développement de la lutte de classe confère à notre organisation des responsabilités croissantes.
CCI, septembre 1986.
Résolution de rectification de la plate-forme
1) Le 7e congrès du CCI confirme le constat fait depuis plusieurs années par une majorité de l'organisation de l'existence dans le point 14 de la plate-forme de celle-ci d'un certain nombre de formulations schématiques conduisant à une interprétation erronée du processus de passage des partis ouvriers, PS et PC, dans le camp bourgeois.
En effet, ce que conduisent à considérer les formulations existant jusqu'à présent dans la plate-forme c'est que le vote des crédits de guerre par les fractions parlementaires de la plupart des principaux partis de la 2e Internationale en août 1914 et l'adoption par le 6e congrès de l'Internationale communiste en 1928 de la «théorie» du «socialisme dans un seul pays», sont l'indice de la trahison définitive de l'ensemble des partis constituant ces deux internationales. Il s'agit là d'une analyse erronée.
Outre une simple erreur de dates, et plus important que celle-ci, une telle interprétation de ces événements historiques contient implicitement le rejet d'un certain nombre d'acquis fondamentaux du mouvement ouvrier et notamment de la Gauche communiste d'Italie, acquis que le CCI avait déjà fait siens depuis longtemps.
En premier lieu, cette interprétation tend à éliminer la distinction essentielle établie par le CCI entre le mode de vie d'une Internationale et celui des partis qui la constituent. Elle tourne le dos au fait que l'issue d'un processus de dégénérescence opportuniste au sein d'une internationale se trouve -même si elle se maintient d'une façon formelle- dans la mort de celle-ci, la fin de sa raison d'exister (comme ce fut effectivement le cas en 1914 et en 1928), alors qu'après cette disparition, la vie des partis la composant se poursuit dans un processus plus ou moins long de crise menant soit à leur trahison, c'est-à-dire à leur intégration dans l'appareil politique de chaque capital national (laquelle s'accompagne de l'élimination des courants de gauche continuant à défendre les positions révolutionnaires), soit à un rétablissement du parti par l'exclusion de la droite bourgeoise.
En deuxième lieu, et plus important encore, cette interprétation entre en contradiction (à moins de considérer avec les conseillistes que les partis communistes étaient bourgeois dès leur naissance) avec une position essentielle de la Gauche Communiste d'Italie -notamment contre la position trotskyste- affirmant qu'il ne peut surgir au sein d'un organisme de la bourgeoisie aucune tendance ou fraction prolétarienne, position qui a été clairement acquise par le CCI dès son deuxième congrès avec la résolution sur les groupes politiques prolétariens et qui a été explicitée dans la résolution de son 6e congrès sur l'opportunisme et le centrisme.
Enfin, une telle interprétation remet en cause la validité -proclamée par le CCI depuis ses origines- du combat mené par les fractions de gauche (Bolcheviks, Spartakistes, Gauche du Parti communiste d'Italie, etc.) dans les partis socialistes après 1914 et dans ou en dehors des partis communistes avant et après 1928 en vue de reconquérir ces partis à des positions révolutionnaires. C'est seulement à partir de la reconnaissance de la validité et de l'importance primordiale de cette lutte héroïque, qu'il est nécessaire et possible de rendre compte des hésitations et faiblesses qui ont pu se manifester dans cette lutte afin d'être en mesure de dépasser ce type de faiblesses.
2) Conscient :
- de la nécessité, déjà signalée par une résolution du 6e congrès du CCI, de rectifier les formulations incorrectes contenues dans le point 14 de la plate-forme ;
- du fait qu'une telle rectification ne constitue nullement une remise en cause ni des fondements de la plate-forme, ni des acquis de la Gauche communiste, ni des acquis du CCI, mais constitue au contraire un affermissement de ces fondements, une meilleure traduction de ces acquis et notamment une mise en adéquation du document programmatique central de l'organisation avec les textes déjà adoptés lors de congrès précédents (Résolution sur les groupes politiques prolétariens du 2e congrès, Rapport sur le cours historique du 3e congrès et Résolution sur le centrisme et l'opportunisme du 6e congrès) ;
- du fait que la nouvelle formulation n'enlève rien à la valeur charnière du 4 août 1914, date qui signe effectivement la crise historique ouverte de la Social-démocratie et l'intégration sans retour de son aile droite dans le camp bourgeois, mais au contraire explicite mieux que l'ancienne le clivage et la lutte à mort qui se produisent entre gauche prolétarienne et droite bourgeoise ;
Le 7e congrès du CCI adopte pour le point 14 de la plate-forme la formulation suivante :
L'ensemble des partis ou organisations qui aujourd'hui défendent, même «conditionnellement» ou de façon «critique», certains Etats ou certaines fractions de la bourgeoisie contre d'autres, que ce soit au nom du «socialisme», de la «démocratie», de «l'anti-fascisme», de «l'indépendance nationale», du «front unique» ou du «moindre mal», qui fondent leur politique sur le jeu bourgeois des élections, dans l'activité anti-ouvrière du syndicalisme ou dans les mystifications autogestionnaires sont des organes de l'appareil politique du capital. Il en est ainsi, en particulier, des partis «socialistes» et «communistes».
Ces partis, en effet, après avoir constitué à un certain moment les véritables avant-gardes du prolétariat mondial, ont connu par la suite tout un processus de dégénérescence qui les a conduits dans le camp du capital. Si les internationales auxquelles ils appartenaient (2e Internationale pour les partis socialistes, 3e Internationale pour les partis communistes) sont mortes comme telles malgré la survivance formelle de leur structure dans un moment de défaite historique de la classe ouvrière, ils ont quant à eux survécu pour devenir progressivement, chacun pour sa part, des rouages (souvent majeurs) de l'appareil de l'Etat bourgeois de leurs pays respectifs.
Il en est ainsi des partis socialistes lorsque, dans un processus de gangrène par le réformisme et l'opportunisme, la plupart des principaux d'entre eux ont été conduits, lors de la première guerre mondiale (qui marque la mort de la 2e Internationale) à s'engager, sous la conduite de leur droite, «social chauvine», désormais passée à la bourgeoisie, dans la politique de défense nationale, puis à s'opposer ouvertement à la vague révolutionnaire d'après guerre jusqu'à jouer le rôle de bourreaux du prolétariat comme en Allemagne en 1919. L'intégration finale de chacun de ces partis dans leurs Etats nationaux respectifs a pris place à différents moments dans la période qui a suivi l'éclatement de la 1ère guerre mondiale mais ce processus a été définitivement clos au début des années 1920, quand les derniers courants prolétariens ont été éliminés ou sont sortis de leurs rangs et ont rejoint l'Internationale communiste.
De même, les partis communistes sont à leur tour passés dans le camp du capitalisme après un processus similaire de dégénérescence opportuniste. Ce processus, engagé dès le début des années 1920, s'est poursuivi après la mort de l'Internationale communiste (marquée par l'adoption en 1928 de la théorie du «socialisme en un seul pays») jusqu'à aboutir, malgré la lutte acharnée de leurs fractions de gauche et après l'élimination de celles-ci, à une complète intégration dans l'Etat capitaliste au début des années 1930 avec leur participation aux efforts d'armement de leurs bourgeoisies respectives et leur entrée dans les «fronts populaires». Leur participation active à la «Résistance» durant la seconde guerre mondiale et à la «reconstruction nationale» après celle-ci les a confirmés comme de fidèles serviteurs du capital national et comme la plus pure incarnation de la contre-révolution.
L'ensemble des courants soi-disant «révolutionnaires» tels que le maoïsme -qui est une simple variante de partis définitivement passés à la bourgeoisie-, le trotskysme -qui après avoir constitué une réaction prolétarienne contre la trahison des PC a été happé dans un processus similaire de dégénérescence- ou l'anarchisme traditionnel -qui se situe aujourd'hui dans le cadre d'une même démarche politique en défendant un certain nombre des positions des partis socialistes et des partis communistes (comme par exemple les alliances «anti-fascistes»)- appartiennent au même camp qu'eux : celui du capital. Le fait qu'ils aient moins d'influence ou qu'ils utilisent un langage plus radical n'enlève rien au fond bourgeois de leur programme et de leur nature, mais en fait d'utiles rabatteurs ou suppléants de ces partis.
Le milieu politique prolétarien, avec ses forces et ses faiblesses, est le produit de la classe ouvrière. Dans sa dynamique et dans ses caractéristiques, il tend à exprimer le mouvement de développement de la prise de conscience par le prolétariat de sa nature de classe révolutionnaire et de sa capacité à réaliser la perspective communiste. Cependant, le milieu politique n’est pas un simple reflet de la classe. Elle le sécrète pour qu’il joue un rôle actif dans sons processus de prise de conscience, dans sa lutte. Le dynamisme propre du milieu politique est donc aussi déterminé par la conscience qu’il a de lui-même et par le rôle que jouent en son sein ces fractions les plus claires.
C’est pour cela, que la question du milieu politique, de son état actuel, de ses perspectives de développement et du rôle du CCI au sein de ce processus, a été mise à l’ordre du jour du 7e congrès du CCI.
Le souci du renforcement politique organisé, le travail pour son regroupement, son un axe permanent de l’activité des révolutionnaires et de leur intervention. Le CCI en tant que principal pôle de référence et donc de regroupement au sein du milieu révolutionnaire international porte une responsabilité particulière dans le processus qui mène à la formation du parti prolétarien sans lequel il n’y a pas de révolution communiste possible. Cette responsabilité, le CCI entend pleinement l’assumer ; tel est le sens de la résolution sur le milieu politique que nous publions ci-après et que le 7e congrès du CCI a fait sienne.
Le développement actuel du milieu politique prolétarien caractérisé par le surgissement de nouveaux groupes témoigne de l'écho grandissant des positions révolutionnaires au sein de la classe ouvrière mondiale. Produits par la reprise internationale de la lutte de classe, ces nouveaux groupes politiques posent avec encore plus d'acuité la responsabilité des organisations plus anciennes qui ont survécu à la décantation politique de la fin des années 1970 et du début des années 1980. Le développement actuel du milieu prolétarien ne pourra se traduire dans un renforcement politique et organisationnel de la présence politique révolutionnaire que si les groupes plus anciens sont à même de se dégager du poids du sectarisme pour s'avancer sur le chemin indispensable de la clarification politique nécessaire à tout processus de regroupement.
Sur le milieu politique actuel pèsent encore de tout leur poids, la faillite de la 3e internationale et les décennies de contre-révolution qui ont suivi, durant lesquelles les révolutionnaires ont été réduits à une infime minorité. Malgré le développement réel du milieu politique depuis la reprise historique du prolétariat à la fin des années 60, au-delà des vicissitudes inhérentes à tout processus vivant, celui-ci reste marqué par une grande faiblesse. Celle-ci n'exprime pas seulement le poids de la rupture organique avec les fractions communistes du passé, mais est aussi l'expression d'une difficulté propre au milieu actuel à assumer avec détermination le nécessaire travail de réappropriation critique des acquis politiques du mouvement ouvrier. Cette réappropriation, insuffisante de la continuité politique se manifeste notamment sur le plan organisationnel par la dispersion du milieu, par son éclatement en de multiples organisations, par son incompréhension de la nécessité d’œuvrer avec détermination et clarté au processus de regroupement du milieu révolutionnaire. Ce n'est certainement pas un hasard si c’est la question de l'organisation -et donc celle du regroupement-, qui cristallise le plus clairement la faiblesse du milieu politique, car c'est elle qui concrétise, dans l'activité, l'ensemble des autres positions révolutionnaires. Elle pose la nécessité de la réappropriation des acquis du passe, non seulement sur le plan théorique, mais aussi sur le plan pratique, et c'est sur ce plan de l'expérience pratique que pèse le plus lourdement le poids de la rupture de la continuité organisationnelle. La dispersion du milieu et le sectarisme (à l'opposé des conceptions des organisations communistes du passé) qui l'accompagne, sont un facteur de confusion terrible pour les nouveaux éléments qui surgissent à la recherche d'une cohérence révolutionnaire. Le milieu politique actuel est un véritable labyrinthe qui rend d'autant plus difficile pour les nouveaux groupes le laborieux travail de réappropriation d'une continuité politique nécessaire à leur survie.
Le milieu politique est un tout. La défense de son identité face aux forces de la contre-révolution, comme le rejet de toute pratique étrangère au prolétariat en son sein, sont un aspect essentiel de la vie de toute organisation révolutionnaire. Cependant, ce n'est pas un tout homogène, loin de là, étant donnée la dispersion qui pèse et entrave son renforcement. Toutes les organisations qui l'animent, n'expriment pas la même dynamique vis à vis du nécessaire processus de clarification politique et de regroupement organisationnel qui doit absolument s'opérer pour permettre la formation du parti communiste de demain.
Pour rendre efficace l'intervention des révolutionnaires et œuvrer clairement au processus de clarification et de regroupement, il est important de distinguer :
les nouveaux groupes qui surgissent et qui, malgré les confusions inhérentes à leur jeunesse et leur manque de continuité historique d'avec les organisations révolutionnaires du passé, expriment la volonté positive de clarification et d'intégration au sein du milieu révolutionnaire prolétarien, manifestent la réalité du développement de l'écho des révolutionnaires au sein de la classe ;
les organisations qui constituent, par leur origine, les pôles historiques et politiques du milieu prolétarien et qui portent en premier lieu la responsabilité d'œuvrer de manière décidée à renforcer la maturité politique des nouveaux groupes qui surgissent et à engager dans la clarté le processus de regroupement indispensable ; ainsi, en dehors du CCI, le BIPR, et notamment Battaglia Comunista ;
les organisations qui expriment de manière plus aiguë le poids du sectarisme et qui fondent leur existence sur un repli de secte ou sur des scissions prématurées marquant par là une incompréhension majeure par rapport à la question de l'organisation et du regroupement des révolutionnaires. En se distinguant artificiellement des principaux pôles de cohérence du milieu politique, ces groupes ne peuvent que cristalliser un déboussolement politique qui, que ce soit au travers de l'académisme ou de l'activisme, ouvre les portes à des abandons des positions de classe et constitue en fait une entrave au processus de clarification nécessaire pour le regroupement. Ainsi, la FECCI est une claire expression de ce parasitisme politique qui, tout en se réclamant de la plate-forme du CCI, théorise de manière incohérente son existence séparée.
L'histoire n'attend pas, l'accélération du processus historique impose ses propres besoins : le surgissement de nouveaux groupes, le développement de l'écho des idées révolutionnaires avec le développement de la lutte de classe posent, à terme, la nécessité de nouvelles conférences des groupes de la Gauche communiste afin de lutter contre l'émiettement du milieu révolutionnaire et d'accélérer le processus de clarification et de décantation politiques préalable à tout regroupement. Les organisations incapables de s'intégrer de manière positive dans ce processus absolument nécessaire sont condamnés par l'histoire ; l'itinéraire du PCI bordiguiste qui naguère, refusait obstinément tout contact avec d'autres organisations du milieu prolétarien, qui a refusé de participer aux Conférences des groupes de la Gauche communiste à la fin des années 1970 et, finalement, a payé de son existence son repli sectaire (car celui-ci l'a empêché de s'engager sur la voie du redressement politique), le démontre amplement.
Loin de toute illusion immédiatiste qui pourrait faire croire à une possibilité de regroupement immédiat, le CCI, conscient de ses responsabilités, est décidé à agir de manière déterminée pour préparer la perspective de la tenue de nouvelles Conférences, dans un cadre de rigueur et de clarté politique.
Même si les conditions nécessaires à la tenue de nouvelles Conférences ne sont pas encore réunies, il est extrêmement important que l'ensemble des organisations constitutives du milieu politique prolétarien prenne une claire conscience de l'absolue nécessité d’œuvrer dans le sens de rendre possible dans le futur la concrétisation de cette perspective. Pour cela, il faut que contre tout sectarisme mais avec la rigueur et la fermeté politiques nécessaires à toute clarification , les organisations révolutionnaires et, en premier lieu, celles qui constituent les principaux pôles historiques, développent leurs relations, présentent dans leur presse des polémiques claires qui permettent de souligner les points d'accord et de divergence, aient le souci permanent d'utiliser toutes les opportunités et, notamment, les réunions publiques, pour confronter clairement leurs points de vue.
De la capacité du milieu prolétarien d'assumer cette responsabilité, d'avancer vers la tenue de nouvelles Conférences, de poser la perspective du regroupement, dépend l'avenir de la lutte de classe. L'issue du futur se forge dès aujourd'hui.
JJ
1- L'évolution du milieu politique prolétarien au cours des deux dernières années a été marquée en particulier par :
une sortie de celui-ci, notamment sous la poussée de la 3e vague de luttes depuis la reprise historique de la fin des années 1960, de la crise dans laquelle il avait été plongé au début des années 1980 ;
le surgissement, sous cette même poussée, de nouveaux groupes, surtout dans les pays de la périphérie du capitalisme ;
la dégénérescence de certains des groupes déjà existants : comme celle du GCI vers l'anarchisme et celle de 1’OCI (Organizzazione Comunista Internazionalista) vers le trotskysme.
2 - Cette évolution a encore plus mis en relief la responsabilité croissante des organisations qui ont su se maintenir sur un terrain marxiste conséquent et qui disposent d'une réelle expérience et présence internationale.
En ce sens, l'effort du CCI vis-à-vis de l'éclaircissement, la décantation, le renforcement et, finalement, le regroupement de ce milieu, ne peut aller qu'en se développant.
3 - Dans cet effort, la méthode du CCI reste fondamentalement la même que par le passé : mettre en avant la priorité de la clarté et de la rigueur politiques contre toutes les aventures de rapprochement entre groupes par des raccourcis activistes qui ne peuvent qu'ouvrir la porte à la superficialité et à l'opportunisme.
4 - Dans le cadre de cette évolution et de cet effort, une nouvelle série de conférences des groupes de la Gauche communiste est une perspective à préparer. L'écho rencontré par l'initiative du groupe Emancipacion Obrera (écho auquel a contribué le CCI en la faisant connaître en sept langues et dans dix pays et au-delà) traduit, malgré l'inconsistance de beaucoup de réponses reçues, l'existence d'un plus grand souci dans le milieu pour combattre l'actuelle situation de dispersion.
Cependant, bien que le besoin de telles conférences se fasse ressentir de façon de plus en plus urgente, les conditions pour l'appel à leur tenue ne sont pas aujourd'hui encore suffisamment mûres :
d'une part, parce que beaucoup d'« anciens groupes » ont encore une attitude de repli sectaire (l'enthousiasme pour le contact avec un nouveau groupe à l'autre bout du monde ne doit pas cacher que cela s'accompagne souvent d'un refus -parfois théorisé- de même participer aux réunions publiques tenues dans leur propre pays par d'autres organisations révolutionnaires) ;
d'autre part, parce que les « nouveaux » groupes, du fait même de leur jeunesse, ne sont pas en mesure de porter jusqu'au bout avec succès la responsabilité politique d'un tel travail.
5 - Pour l'immédiat, l'intervention du CCI dans le milieu politique prolétarien doit suivre deux axes fondamentaux :
vis-à-vis des nouveaux groupes l'organisation doit poursuivre son travail de suivi et de discussion poussant à la décantation par l'éclaircissement politique ; mettant en avant la nécessité pour ceux-ci de s'intégrer dans le milieu international et à se rattacher à la continuité politique de la Gauche communiste sans pour autant négliger les tâches de renforcement de leur propre définition politique et intervention dans la classe ;
vis-à-vis des « anciens » groupes, outre la dénonciation de la dégénérescence de certains et de la nature parasitaire1 d'autres, la priorité doit être donnée à un resserrement des rapports avec l'autre pôle de référence historique du milieu : le courant du BIPR (poursuite et amélioration de la qualité du débat public et international, présence à leurs réunions publiques, propositions de réunions publiques communes, contacts directs aussi fréquents que possible).
FF
1 C'est-à-dire en maintenant une existence artificielle de façon séparée, avec une plate-forme politique quasiment identique à celle d'autres groupes, le CCI en particulier.
Après de nombreuses années de silence, Battaglia Comunista ([1] [13]) a repris dans sa presse la polémique avec les positions du CCI. A la vérité, ça n'a pas été une reprise facile. D'abord BC a commencé par discuter et répondre à des groupes qui, à la périphérie du capitalisme (Mexique, Inde), partageaient ou connaissaient les positions du CCI, puis a entrepris de publier ces réponses dans sa presse ; enfin, en prenant appui sur la réponse faite à un groupe de nos sympathisants espagnols, BC a finalement entamé une polémique directe avec le CCI.
Comme nous avons déjà répondu ([2] [14]) sur la question du cours historique et de l'évaluation de la phase actuelle des luttes, dans cet article nous traiterons des «positions abstraites du CCI sur les syndicats et le parlementarisme» (BC, février 1987), en nous concentrant sur la question des syndicats et de l'intervention des révolutionnaires dans les luttes ouvrières. Fidèles à notre méthode, nous essaierons de ne pas nous attacher à telle ou telle phrase qu'on peut trouver dans un article donné, mais d'aller à la racine des divergences, en prenant en compte l'ensemble des textes de BC sur cette question.
L'article de BC part du présupposé que tant qu'il ne s'agit que du «problème théorique général (nature et fonction des syndicats)», il ne faut pas de grands efforts pour donner une réponse de classe. «Tout autre est le problème politique qu'on peut poser ainsi : étant donné cette nature et cette fonction des syndicats, comment peut-on réaliser leur ''dépassement révolutionnaire" ? ». A cette question, selon BC, le CCI ne saurait répondre «du fait de son incapacité organique... à faire de la politique».
Dans notre réponse, nous cherchons avant tout à mettre en évidence que, même au niveau «théorique général», BC devrait éclaircir certains points. Ensuite, nous examinerons les propositions spécifiques que BC avance en ce qui concerne l'organisation des révolutionnaires au sein des luttes : «les groupes internationalistes d'usine». Enfin, nous analyserons en quoi les faiblesses de l'intervention de BC sont liées, en grande partie, à la difficulté de reconnaître la réalité de la lutte de classe, et en particulier les tentatives encore confuses et embryonnaires dans lesquelles la classe elle-même commence à se poser les problèmes de son organisation unitaire de demain.
Ces questions étaient justement au centre des débats du premier cycle de Conférences Internationales de la Gauche Communiste, interrompu par la volonté de BC et de la CWO en 1980. C'est à travers la reprise de ce débat, sur des bases plus larges et plus claires, que l'ensemble du milieu politique prolétarien international pourra contribuer de la meilleure façon à donner des réponses aux problèmes qui se posent à la classe dans la préparation des affrontements décisifs avec le capitalisme.
LES SYNDICATS, ORGANES DE L'ETAT BOURGEOIS
Quels sont pour BC les points de repère fermes sur lesquels se fonder pour comprendre les syndicats aujourd'hui ? Essentiellement trois : 1) «le syndicat n'est pas et n'a jamais été un organe de lutte révolutionnaire pour l'émancipation du prolétariat », 2) «en tant qu'organe de négociation économique, il est amené à s'opposer aux poussées révolutionnaires pour l'abolition du capitalisme » 3) «la révolution passera sur le cadavre des syndicats».
Ces points de repère fermes nous paraissent cependant chancelants, surtout parce qu'ils ne touchent pas à l'essentiel du problème posé par les camarades espagnols. Ces camarades veulent savoir pourquoi BC tient encore aujourd'hui pour possible de travailler dans des organes contre-révolutionnaires comme les syndicats. S'entendre répondre que les syndicats ne sont pas révolutionnaires, cela leur fera certainement plaisir, mais cela ne fait pas avancer la question d'un pouce.
Il ne fait aucun doute que déjà au 19e siècle les syndicats n'étaient pas des organes révolutionnaires et que leur fonction même de négociation a toujours influencé leurs dirigeants dans un sens conformiste et non révolutionnaire. Mais il est tout aussi vrai qu'au 19e siècle les marxistes se sont battus avec toute leur énergie pour renforcer ces syndicats -ce que BC considère comme valable. Comment est-il possible alors que sur cette base identique, les camarades de BC puissent arriver à la conclusion diamétralement opposée, que la révolution devra «passer sur le cadavre des syndicats».
Il est clair que de cette façon, on n'arrive nulle part et qu'il faut encore remettre de l'ordre dans les idées avant d'aller de l'avant. Les axes essentiels de la position communiste sur les syndicats sont à notre avis les suivants : 1) les syndicats ont été l'organisation prolétarienne unitaire typique de la phase ascendante du capitalisme, quand, la révolution prolétarienne mondiale n'étant pas à l'ordre du jour, la classe ouvrière luttait essentiellement pour défendre ses conditions de vie et son unité à l'intérieur du capitalisme ; 2) avec l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence, marquée par la 1ère guerre mondiale, le prolétariat ne peut plus conquérir de réforme réelle à son profit ; en conséquence, tous les instruments qu'il s'était donné dans ce but (syndicats, partis parlementaires, etc. ) devenaient inutilisables pour lui ; 3) la tendance dominante du capitalisme décadent est la tendance au capitalisme d'Etat, dont une des caractéristiques est l'intégration dans l'Etat, avec une fonction anti-ouvrière, de tous les organes devenus désormais inutiles pour les ouvriers. Les syndicats sont donc devenus les organes de l'Etat bourgeois chargés du contrôle des ouvriers et c'est en tant que tels qu'ils seront détruits par la révolution.
Comme on le voit l'essentiel est que les syndicats étaient hier des organes de la classe ouvrière, aujourd'hui sont des organes de la classe antagonique ; l'essentiel n'est pas ce qui est resté tel quel, mais ce qui a changé.
Etant donné que la réponse aux camarades espagnols ne parle justement pas de cela, cherchons dans le document que BC a dédié aux syndicats en octobre 1986. Ici effectivement on dit que quelque chose a changé. Mais quoi ? Et quand ?
Selon BC, ce qui a changé c'est qu'à l'époque de Marx, les augmentations de salaires réduisaient effectivement les profits des patrons et que donc la lutte syndicale, bien que limitée, était de toute façon antagonique au capital. Avec le développement de sa forme monopoliste, le capital serait devenu au contraire capable de contrôler de façon monopoliste le marché, et donc de répercuter sur les prix les augmentations de salaires ; en conséquence, «l'irréconciliabilité des intérêts immédiats diminuant, ou mieux s'atténuant, toute une idéologie interclassiste a pu se développer et avoir une résonance au sein même de la classe ouvrière, et avant tout dans le syndicat (...), le syndicat institution constitue l'aboutissement inévitable de ce processus » ([3] [15]).
En une phrase, BC réussit à faire marcher le monde la tête en bas : la décadence du capitalisme ne signifie plus que le capitalisme est devenu historiquement incapable d'accorder des réformes à la classe ouvrière, mais que «le syndicat s'est trouvé face à un patronat qui parfois même le précédait en concédant des augmentations de salaire, rendues possibles justement, par le quota élevé de surprofit que la grande entreprise réalise grâce à sa capacité d'agir sur le processus de formation des prix».
BC prend ici les effets pour les causes : le fait que la bourgeoisie soit contrainte de réglementer toutes les étapes du cycle économique (quota de production, de marché, équilibre monétaire, etc. ) ne démontre pas que le capital monopoliste fait ce qu'il veut, mais démontre au contraire qu'il est obligé de marcher sur la pointe des pieds dans un terrain miné, parce qu'il suffirait de laisser le capitalisme décadent «au libre jeu» de ses lois pendant quelques mois pour le voir s'écrouler dans le chaos. Les syndicats, organes destinés à négocier des améliorations au sein du capitalisme, s'intègrent dans l'Etat, parce qu'obtenir des améliorations durables est devenu impossible, non parce que c'est devenu trop facile.
Par ailleurs, si véritablement la facilité de distribution de miettes de surprofits était la cause de l'intégration à l'Etat, alors la crise, qui, comme le dit BC, a «réduit de façon drastique la possibilité (...) de distribuer les miettes des surprofits», aurait par là même éliminé la raison de l'intégration des syndicats et ouvert la voie à la reconversion des «glorieux syndicats rouges» comme l'attendent classiquement les différents groupes bordiguistes.
C'est le contraire qui est arrivé, et BC est la première à reconnaître qu'avec la crise le syndicat «a progressivement accentué son appartenance à l'appareil d'Etat».
Il n'y a qu'une manière de sortir de ce réseau de contradictions : reconnaître que l'intégration des syndicats dans l'Etat bourgeois n'a rien à voir avec les surprofits, mais est fondée sur deux nécessités historiques complémentaires :
1) la décadence du capitalisme rend impossible la lutte pour des améliorations durables, 2) la décadence du capitalisme rend indispensable un renforcement croissant de cet instrument de cohésion qu'est l'Etat, renforcement qui se réalise en particulier par l'intégration des différentes structures d'origine ouvrière comme les syndicats, et leur transformation en organes destinés à contrôler la classe ouvrière.
A quelle époque les syndicats se sont-ils intégrés à l'Etat bourgeois ?
En dehors de cette cohérence, BC est obligée de se débattre dans des contradictions de plus en plus inextricables, surtout quand elle cherche à répondre à la question : quand est-ce que les syndicats sont passés à la bourgeoisie ?
Ici il ne devrait pas y avoir de doute possible : dans L'impérialisme, stade suprême du capitalisme, Lénine décrit le passage à la forme monopoliste du capital comme quelque chose déjà réalisé, et ceci en 1916. Donc l'intégration des syndicats qui, selon BC, dépend de ce passage, se situe autour de la 1re guerre mondiale. Comme le confirmait la voix autorisée du gouvernement impérial allemand pendant la 1re guerre mondiale : «sans les dirigeants syndicaux, et à plus forte raison contre eux, on ne peut arriver à rien ; leur influence se base sur les actions qu'ils ont menées avec succès pendant des décennies pour améliorer les conditions des ouvriers... on ne peut imaginer comment nous ferions pour rester à flot s'il n'en était pas ainsi» ([4] [16]).
Cette intégration définitive ne fait que conclure un processus engagé de nombreuses années auparavant, et ce n'est pas par hasard si, à l'inadéquation progressive de la forme syndicale pour les besoins de la lutte ouvrière, correspond déjà en 1905, le surgissement de nouveaux organes de masse : les conseils ouvriers de la révolution russo-polonaise qui seront ensuite les protagonistes de la vague révolutionnaire qui déferle à partir de l'octobre rouge.
Face à ces données de fait, c'est avec une grande surprise qu'on lit dans la brochure que le syndicat d'aujourd'hui est le même «que celui d'il y a 30 ou 40 ans» (c'est-à-dire 1947-1957) et encore que le «passage définitif, au moins en Italie, s'est produit pendant et après la 2e guerre mondiale». En bref, le passage est transféré vers la fin des années 1940, faisant un bond de plus de 30 ans ! A quoi devons-nous ce véritable séisme historique ? Probablement au fait que dans la discussion qui s'est développée au début des années 1920, la Gauche italienne s'était alignée sur les bolcheviks en faveur de la reconquête des syndicats (Thèses de Rome, 1922), contre la Gauche hollandaise et allemande qui soutenait que l'intégration des syndicats à l'Etat était désormais irréversible ; ce qui est incompréhensible, c'est qu'encore aujourd'hui on cherche à réécrire l'histoire pour nier ce qui est une évidence, à savoir que sur cette question, l'intuition des Allemands et Hollandais a été plus rapide et plus profonde que celle des Russes et des Italiens. ([5] [17])
Cela n'a rien à voir avec ce que fut la méthode que nous a transmis la Gauche italienne ; déjà dans les années 1930, les Fractions de celle-ci à l'étranger, loin de se retrancher dans la défense à outrance des formulations des Thèses de Rome, travaillaient avec ténacité à «souligner les étapes de l'incorporation progressive des syndicats dans l'appareil d'Etat» ([6] [18]). Tandis que quelques-uns insistaient sur le fait que seule une nouvelle situation révolutionnaire aurait permis de clarifier définitivement la question, d'autres la considéraient comme déjà résolue et se battaient pour l'abandon de l'activité au sein des syndicats : «Il ne s'agit pas aujourd'hui de voir si oui ou non il est possible pour des marxistes de développer à l'intérieur des syndicats une activité saine ; il s'agit de comprendre que ces organes sont désormais passés de façon définitive dans le camp ennemi, et qu'il est impossible de les transformer».
En réalité, l'unique raison pour situer le tournant décisif à la fin des années 1940 réside dans le fait que... c'est seulement au début des années 1950, à l'occasion de la scission avec les bordiguistes de Programma Comunista que BC se décide à renoncer définitivement à tout projet de reconquête des syndicats.
Pour tenter de masquer ce fait, la brochure de BC rappelle que déjà dans les Thèses sur la question syndicale présentées au Congrès de Turin du Parti Communiste Internationaliste en décembre 1945 «il y avait toutes les prémisses de notre position ultérieure et d'aujourd'hui». C'est vrai, les Thèses, présentées par Luciano Stefanini, étaient nettement anti-syndicales et, de ce point de vue, assez voisines des positions de la Gauche communiste de France dont nous nous réclamons : et c'est justement pour cela qu'elles ont été refusées par une grande majorité du Congrès qui se donnait comme objectif la «conquête des organes dirigeants du syndicat» ! Si les camarades de BC considèrent utile de citer des épisodes de l'histoire de leur parti, qu'ils cherchent au moins à les citer entièrement.
Comment s'est modifiée la conception de Battaglia Comunista de ses «groupes internationalistes d'usine» ?
Parvenus à ce point, une fois «donnée cette nature et cette fonction des syndicats», nous pouvons enfin considérer quel type d'intervention organisée doit être développée. La lettre aux camarades mexicains et espagnols n'en parle pas directement (pourquoi ?), mais on sait que pour BC l'intervention organisée des révolutionnaires se fait à travers les «groupes d'usine». Voyons donc quelles sont «la nature et la fonction» de ces groupes, et comment cette conception a évolué avec le temps.
1922 : les Thèses de Rome du PC d'Italie attribuent aux Groupes communistes d'usine composés de militants du Parti la tâche de reconquérir et de prendre la direction politique des syndicats, vus comme courroies de transmission entre classe et parti.
1952 : la perspective de reconquérir les syndicats étant abandonnée, pour maintenir le groupe en vie, on leur fait porter «deux casquettes, celle d'organisme intermédiaire entre le parti et la classe, et celle d'organisme politique» (3). Bref, étant donné que la courroie de transmission syndicat n'existe plus, ce sont les groupes eux-mêmes qui doivent assumer la fonction de courroie de transmission, remplaçant en quelque sorte l'organisation unitaire de la classe. Ce n'est pas par hasard qu'au lieu de les définir comme communistes, comme en 1922, on les appelle Groupes syndicaux d'usine, coordonnés dans une Fraction Syndicale, sur la base d'une Plate-forme Syndicale spécifique.
1977-80 : en réaction à la discussion qui se développe à ce sujet dans les Conférences internationales de la Gauche Communiste, BC se limite à modifier leur nom qui devient Groupe internationaliste d'usine, sans changer tout le reste.
1982 : le 5e Congrès de BC laisse tomber toute l'armature de Fraction Syndicale, Plate-forme Syndicale, etc. , mais continue à assigner aux groupes la fonction de «seule réelle courroie de transmission entre le parti et la classe» ([7] [19]).
1986 : la nouvelle brochure sur les syndicats de BC déclare clairement que, si le groupe garde sa fonction d'organisme de parti, «nous ne pouvons cependant plus le considérer comme un organe intermédiaire», «situé à mi-chemin entre le parti et la classe ». Des termes comme «organisme intermédiaire» et «courroie de transmission» sont liquidés car considérés «usés et vieills».
Le plus incroyable, c'est que les camarades de BC ne paraissent pas se rendre compte de l'importance de ces derniers changements. Pour comprendre et surtout pour en faire comprendre l'importance à tous les nouveaux camarades qui aujourd'hui sont présents sur la scène internationale, il est nécessaire de revenir au cycle des Conférences internationales qui a eu lieu entre 1977 et 1980.
L'argument qui était au centre des débats du moment était sans conteste quelle doit être l'intervention des révolutionnaires. Le débat a fini par se polariser entre BC et CWO d'une part, qui défendaient les groupes d'usine, en soutenant que «leur fonction est d'agir comme ''courroie de transmission" ou "intermédiaires" entre le parti et la classe» ([8] [20]), et le CCI d'autre part qui défendait au contraire que les communistes, au lieu de s'illusionner sur le fait de pouvoir créer eux-mêmes les organes dans lesquels s'organisent les secteurs combatifs de la classe, doivent intervenir politiquement dans les organismes que la classe elle-même tend à créer dans son mouvement (aujourd'hui : assemblées, comités, coordinations ; demain : les Conseils ouvriers). BC résume elle-même le débat de la 3e Conférence : «le développement de la discussion a permis de mettre en évidence deux positions opposées : 1) le parti a un rôle secondaire dans la lutte de classe, en niant sa raison d'être dans l'organisation de la lutte elle-même ; 2) sans le parti comme organe dirigeant et organisateur, le prolétariat ne peut accomplir sa tâche historique» ([9] [21]) (souligné par nous). Comme on le voit, pour BC, les organes du parti doivent non seulement être une direction politique, mais être aussi les organisateurs de la classe ; celui qui refuse ce rôle nie «la raison d'être du Parti». Sur cette base, BC et CWO ont saboté les Conférences, en proclamant qu'il était impossible de continuer à discuter avec les «spontanéistes» du CCI, qui affirmaient que seul est juste le terme «d'orientation politique », de « direction politique» ([10] [22]) et qui proposaient une formulation selon laquelle le parti est «l'organe indispensable d'orientation politique, pouvoir qui est pris par l'ensemble de la classe organisée en Conseils» ([11] [23]). BC, qui a déclaré à la Conférence que la formulation était «inacceptable, parce que la Conférence devait éliminer le spontanéisme» ([12] [24]) (c'est-à-dire le CCI), déclare aujourd'hui tranquillement que «l'unité dialectique de la classe et du parti se réalise à travers la direction politique du Parti (stratégie-tactique de la Révolution) dans les organes de masse du Prolétariat (force vive et sujet de la Révolution)» ([13] [25]). Le sujet de la révolution est donc l'ensemble de la classe, organisée dans ses organes de masse (les conseils), et c'est au sein de ces organes que doit s'exercer le rôle de direction politique du parti.
Les camarades de BC seraient bien aimables de nous expliquer pourquoi ces formulations seraient complètement «opposées» à celles «inacceptables» du CCI ? Pendant une dizaine d'années, quand on demandait comment font les groupes pour être en même temps des organes du parti et des intermédiaires entre la classe et le parti, on nous répondait «vous ne comprenez rien à la dialectique». Et aujourd'hui BC, comme si de rien n'était, nous annonce que d'avoir situé les groupes «à mi-chemin entre la classe et le parti» a été clairement «équivoque» et «ambigu» ([14] [26]).
Sur ce point, deux choses doivent être claires. La première, c'est que nous savons bien que, malgré ce changement, les positions de BC restent encore très éloignées des nôtres ; la seconde, c'est que, malgré cela, nous saluons avec enthousiasme le pas en avant qu'a fait Battaglia. Mais une troisième chose doit cependant être claire : quel que soit le pas en avant, pour petit ou grand qu'il soit, il ne peut servir à quelque chose que s'il est fait de manière cohérente. Abandonner une position qui a servi de base à une décision aussi grave que celle d'interrompre les conférences internationales, sans se poser le moins du monde le problème de réfléchir sur la validité ou non de cette décision, à notre avis, n'est ni sérieux ni cohérent.
Les communistes peuvent-ils travailler dans des organes d'Etat comme les syndicats ?
La réponse de BC aux camarades espagnols sur les problèmes d'intervention peut être résumée ainsi :
1) les camarades du CCI, du fait qu'ils restent dans l'abstrait schématique et l'extrémisme verbal, se limitent à faire «les révolutionnaires du bavardage et du beau geste, qui mettent leur conscience en paix, en parlant "sagement" pour eux, faute de toute possibilité de se faire entendre, et, encore moins, de voir leurs ''indications" se concrétiser dans une praxis organisationnelle et de lutte de classe» ;
2) en réalité, ce qui est décisif, ce n'est pas tant où on intervient, mais comment on intervient. En ce sens «le problème d'être en dehors ou à l'intérieur du syndicat est un faux problème, ou mieux, un problème lié aux possibilités concrètes et aux opportunités que présente la situation contingente» ;
3) la confirmation de la validité de la position de BC réside dans le fait que «le CCI depuis quelque temps développe pour sa part une activité intense d'intervention et a corrigé, en les ramollissant, certaines de ses rigidités de type idéaliste».
Essayons de remettre les choses à leur place. Le CCI est si peu «abstrait» dans son anti-syndicalisme de principe, que non seulement il intervient dans toutes les manifestations et assemblées syndicales dans lesquelles il y a une réelle présence ouvrière, mais admet aussi explicitement que ses militants puissent s'inscrire à un syndicat quand c'est rendu légalement obligatoire pour pouvoir travailler dans tel ou tel secteur (pratique de «closed-shop» en usage dans beaucoup de pays anglophones). Mais cette obligation, analogue à celle de payer les impôts, n'a rien à voir avec le choix de s'inscrire au syndicat pour y avoir une activité antisyndicale. Notons, au passage, que déjà dans les années 30, les camarades de la Gauche Italienne excluaient -à la différence des Trotskystes- tout travail à l'intérieur des syndicats fascistes, en Italie et en Allemagne. Puisqu'il ne pouvait y avoir aucun doute sur le fait que ces syndicats-là étaient des organes d'Etat, il était automatiquement exclu de discuter, puisqu'on tenait pour établi qu'aucune activité communiste n'était possible à l'intérieur d'un organe de l'Etat, les camarades de Battaglia affirment au contraire que les syndicats sont intégrés à l'Etat et qu'il est tout de même possible de travailler dedans : ils sont libres de l'affirmer, mais pas de se réclamer de la Gauche communiste pour soutenir cette affirmation.
Deux hypothèses d'intervention dans la lutte de classe
Face à cette affirmation amusante selon laquelle le CCI aurait changé de position en se jetant dans «une activité intense d'intervention» dans les luttes, il faut retourner encore une fois aux discussions des Conférences Internationales.
Le débat ne se situait pas entre ceux qui étaient en faveur et ceux qui étaient contre la nécessité d'intervenir. Le débat affrontait d'une part le CCI qui soutenait que les révolutionnaires doivent intervenir dans les luttes et dans les tentatives d'auto organisation qui à ce moment- là se développaient (en 1978 : hospitaliers en Italie, en 1979 : les sidérurgistes en Angleterre et en Lorraine, les dockers à Rotterdam, etc. ) et d'autre part Battaglia et la CWO, qui soutenaient que les révolutionnaires devaient se dédier à la construction de groupes d'usine, qui auraient organisé les secteurs combatifs du prolétariat et rendu possible de vrais mouvements de classe. Le CCI proposa une résolution. Celle-ci prenait comme point de départ la reconnaissance du fait que «la reprise historique des luttes ouvrières s'accompagne du développement, au sein de la classe, de groupes, de cercles, de noyaux de prolétaires, qui, bien que n'ayant pas une forme achevée et bien qu'étant menacés par toutes sortes de dangers, d'activisme, d'ouvriérisme, de néo-syndicalisme, sont une manifestation réelle de la vie de la classe» ([15] [27]). Cette résolution soulignait en conséquence la nécessité d'intervenir au sein de ces organismes pour combattre ces dangers et contribuer ainsi au processus de prise de conscience et d'organisation de la classe.
Cette résolution fut rejetée par BC et CWO qui, aveuglés par les faiblesses de ces tentatives, en arrivaient à mettre en discussion leur nature de classe, en les voyant essentiellement comme des «manœuvres de tel ou tel groupe politique». Même dans les thèses du Ve Congrès de 1982 on insiste encore sur cette caractérisation et quand on admet la possibilité lointaine qu'il puisse surgir de véritables «cercles ouvriers», on ne leur donne comme seule possibilité que celle de se transformer en groupe d'usine, courroie de transmission entre Battaglia et la classe.
Aujourd'hui, la brochure sur les syndicats de BC insiste sur le fait que les organismes que se donnera la spontanéité ouvrière (assemblées, coordinations d'assemblées, conseils...) devront trouver «sur les lieux de travail des points de référence bien caractérisés politiquement et capables de représenter la direction politique de ces organes de masse». Lorsque, en 1977-80, nous insistions sur le fait que le rôle des communistes était de se battre pour donner une orientation de classe au sein des organisations que la spontanéité ouvrière fera de plus en plus surgir, nous étions taxés de «spontanéistes» avec lesquels il était impossible de discuter sérieusement. Aujourd'hui, de quoi faut-il taxer Battaglia ?
Les deux hypothèses à l'épreuve de la réalité
Mais avoir abandonné l'idée qu'il incombe aux communistes de créer les organismes appelés à encadrer les secteurs combatifs du prolétariat, ne résout pas tous les problèmes et n'élimine pas toutes les différences entre nous et BC En premier lieu, BC reconnaît aujourd'hui la réalité du processus d'apparition, ça et là, d'organismes autonomes de masse (assemblées, comités de grève...) mais ne se prononce pas sur la tendance à l'apparition d'organismes minoritaires, regroupant de petits noyaux d'ouvriers combatifs, qui se donnent comme objectif de faire aller de l'avant les luttes et d'en tirer ensuite les leçons. Toujours dans les thèses de 82, ces organismes minoritaires sont pratiquement identifiés à des «émanations des organisations politiques de la classe». Aujourd'hui, est-ce que BC reconnaît, oui ou non, que la tendance à former de tels noyaux est une «manifestation réelle de la vie de la classe»?
En second lieu, il ne suffit pas de comprendre qu'il faut assurer une direction politique dans ces organes de masse, encore faut-il être capable de le faire.
Et de ce point de vue, le bilan de Battaglia est tout autre que positif. Si nous examinons les deux épisodes dans lesquels nous avons vu récemment apparaître des organismes prolétariens de masse en dehors des syndicats : la lutte des cheminots en France et la lutte des travailleurs de l'Ecole en Italie, nous voyons que ni la section française du BIPR liée à Battaglia, ni Battaglia même, ne sont intervenus dans ces mouvements. Tout ce qu'ils ont réussi à faire a été d'attendre la fin des luttes pour écrire un texte dans lequel... ils dénonçaient les limites de la lutte ! C'est particulièrement déconcertant dans le cas de Battaglia, qui, dans le secteur de l'enseignement, a un groupe organisé de militants, avec une vieille tradition d'intervention, qui aurait pu et dû jouer un rôle d'aiguillon et de direction politique dans le mouvement. Mais pour diriger un mouvement, il faut au moins intervenir dedans, et ne pas se limiter à dire «sagement» ses opinions. Battaglia préfère, au contraire, nous expliquer que le mouvement des cheminots de 87 a été plus corporatiste que celui des sidérurgistes en 79 et que cela démontre qu'il n'est pas vrai que la classe apprend de ses propres expériences, contrairement à ce que dit le CCI. Des affirmations de ce genre ne font que montrer que BC n'a rien à faire ni du mouvement des cheminots ni du mouvement des sidérurgistes. En 79, la lutte des sidérurgistes français, avec toute sa radicalité et sa combativité, est restée sous le contrôle de l’«Intersyndicale» de Longwy, c'est-à-dire d'un organe de base des syndicats. En 86-87, les cheminots ont déclenché et étendu leur mouvement à l'échelle nationale en dehors et contre les syndicats : ils ont formé des comités de grève, émanation de leurs assemblées, et commencé à créer des coordinations régionales et nationales. Ce qui est un pas en avant non négligeable. Quant aux travailleurs de l'école en Italie, ils se sont organisés au niveau national en dehors et contre les syndicats.
Bien sûr il y avait le corporatisme et surtout les syndicats de base, mais il y avait aussi la maturation de la classe ouvrière, son ouverture par rapport à l'intervention des révolutionnaires qui s'est manifestée par le fait que non seulement le CCI a pu intervenir au sein du mouvement, comme en 78, mais que ses militants ont trouvé un écho plus important et, dans le cas des assemblées nationales des travailleurs des écoles en Italie, ont été délégués dans les coordinations nationales ([16] [28]).
Certes, nous avons fait des erreurs pendant ces années, et certaines nous les avons même payées assez cher. Mais au moins, nous les avons faites en apprenant quelque chose, au cœur même des luttes ouvrières. Est-ce que les fameux groupes d'usine, avec tous leurs virages, permettent à Battaglia de tirer un bilan semblable ?
La reprise de la lutte de classe remet à l’ordre du jour les discussions inachevées
Après avoir saboté les Conférences Internationales, Battaglia Comunista a omis pendant des années de répondre dans sa presse à nos articles de polémique. Quand on en demandait la raison aux camarades, ils nous répondaient que leur journal était lu dans les usines et que les ouvriers ne sont pas intéressés à lire des pages et des pages de polémiques avec le CCI, ce qui revient à dire que le débat entre révolutionnaires n'est que du vent et que les ouvriers «concrets» n'en ont rien à faire.
Aujourd'hui cependant, BC dédie régulièrement des pages et des pages à la polémique avec le CCI, avec l’OCI et même avec un groupe extraparlementaire bourgeois comme Lotta Comunista. Que s'est-il passé ? Les lecteurs ouvriers de BC auraient-ils décidé de se «refaire une culture» ? Ou n'est ce pas plutôt qu'apparaît la vérification de ce que nous répondions quand BC a décidé d'interrompre les Conférences : «il y a une chose qui doit être claire : les questions que vous refusez de discuter aujourd'hui, seront demain à l'ordre du jour dans les luttes » ([17] [29]). C'est effectivement la reprise de la lutte de classe internationale qui pousse aujourd'hui à reprendre le débat et à l'élargir jusqu'au Mexique, à l'Inde, à l'Argentine, alors qu'il s'était engagé seulement en Europe.
Pour reprendre les termes de la Lettre ouverte que nous envoyions alors à Battaglia : «Si la Conférence est morte de votre fait, l'idée des Conférences, elle, n'est pas morte. Au contraire, la reprise de la lutte du prolétariat continuera à pousser les révolutionnaires à sortir de leur isolement et à discuter publiquement et de façon organisée les questions auxquelles se confronte la classe» ([18] [30]).
C'est cela l'objectif que tous les révolutionnaires, compris Battaglia, doivent consciemment se fixer.
Beyle
[1] [31] Parti communiste internationaliste, (Battaglia Comunista, du nom du journal qu'il publie) ; C. P. 1753, 20101 Milan, Italie.
[2] [32] Voir « Le cours historique », Revue internationale n° 18, 1979.
[3] [33] «Les syndicats dans le 3e cycle d'accumulation du Capital». On peut se procurer cette brochure auprès de BC. Les différentes citations se trouvent pp. 9, 8, 11, 13, 3, 10, 15 et 16.
[4] [34] Cité dans « La Sinistra Tedesca » de Barrot, Ed. La Salamandra.
[5] [35] Le fait que cette intuition, par sa précocité même, se soit exprimée avec des formulations encore incomplètes et immatures, qui n'immunisaient pas encore complètement contre des rechutes sous la forme radicale de syndicalisme « révolutionnaire » n'enlève rien au mérite qui revient aux Gauches allemande et hollandaise pour avoir posé les premières le problème de la destruction des syndicats.
[6] [36] Ce travail est exposé de façon détaillée dans le livre «La Gauche Communiste Italienne -1912-1952 », éditions CCI, en particulier dans le chapitre VII.
[7] [37] Les thèses sur le syndicat du Ve Congrès de BC sont reproduites en annexe de la brochure de 86.
[8] [38] Bulletin n° 2 des Textes préparatoires pour la 3e Conférence des groupes de la Gauche Communiste, p. 17.
[9] [39] Procès verbal de la 3e conférence des Groupes de la gauche communiste (mai 1980), qu'on peut se procurer à l'adresse du CCI en France. Les diverses citations annotées 9 se trouvent aux pages 44, 47, 54, 28, 50 du chapitre 7.
[10] [40] Procès verbal de la 3e conférence des Groupes de la gauche communiste (mai 1980), qu'on peut se procurer à l'adresse du CCI en France. Les diverses citations annotées 9 se trouvent aux pages 44, 47, 54, 28, 50 du chapitre 7.
[11] [41] Les thèses sur le syndicat du Ve Congrès de BC sont reproduites en annexe de la brochure de 86.
[12] [42] Procès verbal de la 3e conférence des Groupes de la gauche communiste (mai 1980), qu'on peut se procurer à l'adresse du CCI en France. Les diverses citations annotées 9 se trouvent aux pages 44, 47, 54, 28, 50 du chapitre 7.
[13] [43] «Les syndicats dans le 3e cycle d'accumulation du Capital». On peut se procurer cette brochure auprès de BC. Les différentes citations se trouvent pp. 9, 8, 11, 13, 3, 10, 15 et 16.
[14] [44] «Les syndicats dans le 3e cycle d'accumulation du Capital». On peut se procurer cette brochure auprès de BC. Les différentes citations se trouvent pp. 9, 8, 11, 13, 3, 10, 15 et 16.
[15] [45] Procès verbal de la 3e conférence des Groupes de la gauche communiste (mai 1980), qu'on peut se procurer à l'adresse du CCI en France. Les diverses citations annotées 9 se trouvent aux pages 44, 47, 54, 28, 50 du chapitre 7.
[16] [46] Un article de critique détaillée sur l'absence de BC dans le mouvement des travailleurs de l'école sera publié dans le numéro 31 de l'organe du CCI en Italie : Rivoluzione internazionale.
[17] [47] Procès verbal de la 3e conférence des Groupes de la gauche communiste (mai 1980), qu'on peut se procurer à l'adresse du CCI en France. Les diverses citations annotées 9 se trouvent aux pages 44, 47, 54, 28, 50 du chapitre 7.
[18] [48] « Lettre du CCI au PCInt (BC) à la suite de la 3e conférence » publiée en annexe au procès verbal de la conférence.
En voici la présentation.
« Le trait le plus incontestable de la Révolution, c'est l'intervention directe des masses dans les événements historiques. D'ordinaire l’Etat, monarchique ou démocratique, domine la nation ; l'histoire est faite par des spécialistes de métier : monarques, ministres, bureaucrates, parlementaires, journalistes. Mais aux tournants décisifs, quand un vieux régime devient intolérable pour les masses, celles-ci brisent les palissades qui les séparent de l'arène politique, renversent leurs représentants traditionnels, et, en intervenant ainsi, créent une position de départ pour un nouveau régime. Qu'il en soit bien ou mal, aux moralistes d'en juger. Quant à nous, nous prenons les faits tels qu'ils se présentent dans leur développement objectif. L'histoire de la révolution est pour nous, avant tout, le récit d'une irruption violente des masses dans le domaine où se règlent leurs propres destinées. » (Trotsky, Histoire de la Révolution Russe, Préface).
Le terme même de révolution fait souvent peur. « L'idéologie dominante -disait Marx- est toujours l'idéologie de la classe dominante». Et ce que les classes dominantes, les classes exploiteuses craignent le plus, au fond de leur être, c'est que les masses qu'elles exploitent s'avisent un jour de mettre en question l'ordre des choses existant en faisant une « irruption violente dans le domaine où se règlent leurs propres destinées ».
La Révolution russe de 1917 ce fut d'abord et avant tout cela : une grandiose action des masses exploitées pour tenter de détruire l'ordre qui les réduit à l'état de bêtes de somme de la machine économique et de chair à canon pour les guerres entre puissances capitalistes. Une action où des millions de prolétaires, entraînant derrière eux toutes les autres couches exploitées de la société, sont parvenus à briser leur atomisation, à s'unifier consciemment, à se donner les moyens d'agir collectivement comme une seule force. Une action pour devenir maîtres de leurs propres destinées, pour commencer la construction d'une autre société, une société sans exploitation, sans guerres, sans classes, sans nations, sans misère : une société communiste.
La Révolution russe mourut étouffée, isolée, du fait de la défaite des tentatives révolutionnaires dans le reste de l'Europe, en particulier en Allemagne. La bureaucratie stalinienne en fut l'hypocrite et impitoyable bourreau.
Mais cela ne change rien à la grandeur de l'intrépide « assaut du ciel » que fut la Révolution russe. Octobre 1917 ce ne fut pas une tentative révolutionnaire parmi d'autres. La Révolution russe constitue, et reste jusqu'à présent -et de loin- la plus importante expérience révolutionnaire de la classe ouvrière mondiale.
Par sa durée, par le nombre de travailleurs qui y ont participé, par le degré de conscience de ceux-ci, par le fait qu’elle représentait le point le plus avancé d'un mouvement international de luttes ouvrières, par l'ampleur et la profondeur des bouleversements qu'elle tenta de mettre en place, la Révolution russe constitue la plus transcendante des expériences révolutionnaires de la classe ouvrière. Et en tant que telle elle est la plus riche source d'enseignements pour les luttes révolutionnaires ouvrières à venir.
Mais pour pouvoir tirer des enseignements d'une expérience historique, il faut au départ savoir de quel type d'expérience il s'agit. La Révolution russe a t’elle été une révolution ouvrière ? Ou bien a t’elle été un coup d'Etat, fomenté par un parti bourgeois particulièrement habile dans la manipulation des masses ? Le stalinisme a t’il été le produit normal, « naturel » de cette révolution ou bien en a t’il été le bourreau ? Suivant la réponse que l'on donne à ces questions élémentaires, les enseignements que l'on tirera seront évidemment radicalement opposés.
Or la bourgeoisie ne s'est pas contentée d'écraser militairement ou d'étouffer les révolutions prolétariennes du passé. Elle en a aussi systématiquement déformé le souvenir en en donnant des versions déformées, dénaturées : de même qu'elle a entièrement adultéré l'histoire de la Commune de Paris de 1871 - cette première grande tentative prolétarienne de destruction de l'Etat bourgeois - en la présentant dans ses manuels d'histoire comme un mouvement nationaliste, patriotique anti-prussien, de même elle a totalement défiguré le souvenir de la Révolution russe.
Les idéologies staliniennes «reconnaissent» une nature prolétarienne (ils préfèrent en général parler de «populaire»), à la révolution d'Octobre. Mais la version totalement défigurée qu'ils en donnent n'a d'autre objectif que de faire oublier l'effroyable répression à laquelle le stalinisme s'est livré contre les ouvriers et les bolcheviks qui en avaient été les protagonistes ; de tenter de justifier ce qui restera comme un des plus grands mensonges de l'histoire : l'assimilation du capitalisme d'Etat, cette forme décadente et militarisée de l'exploitation capitaliste, comme synonyme de « communisme ».
Les trotskystes parlent aussi d'« Octobre ouvrier », mais pour eux encore les régimes de type stalinien ont quelque chose de prolétarien qu'il s'agit de défendre au nom de la marche vers le « communisme ».
Les autres formes de l'idéologie bourgeoise, non staliniennes ou assimilées, dénaturent la Révolution russe de façon non moins répugnante. Certaines se contentent de parler de mouvement nationaliste en vue de moderniser le capitalisme russe qui ne parvenait pas, au début de ce siècle, à se débarrasser de ses oripeaux féodaux : en somme une révolution bourgeoise comme celle de 1789 en France, mais avec plus d'un siècle de retard et aboutissant à une dictature de type fasciste. D'autres parlent de « révolution ouvrière » pour Octobre 1917 et s'accordent avec les staliniens pour considérer l'URSS comme un pays « communiste », mais ce n'est que pour mieux décrire les horreurs du stalinisme en en déduisant : « c'est à cela, et seulement à cela que peuvent conduire des mouvements révolutionnaires à notre époque ». Et d'entonner le credo de toutes les classes dominantes : « les révoltes des exploités ne peuvent conduire qu'au suicide ou à des régimes encore pires que ceux qu'elles prétendent combattre ».
Bref, les idéologues bourgeois ont complété l’œuvre des massacreurs de la Révolution russe en s'attachant à détruire le souvenir même de ce qui a été la plus grande tentative révolutionnaire prolétarienne jusqu'à présent.
Malheureusement dans le camp révolutionnaire, parmi les courants politiques prolétariens dont la tâche devrait être de tirer les leçons des expériences du passé pour les transformer en armes pour les combats à venir, l'on retrouve aussi des théories aberrantes sur la nature de la Révolution russe, même si évidemment leur objectif politique est différent. Ainsi les « conseillistes », au sein du courant de la Gauche allemande, en sont arrivés à considérer Octobre et les bolcheviks comme bourgeois. Ainsi, au sein de la Gauche italienne, les « bordiguistes» ont développé la théorie de la « double nature » (bourgeoise et prolétarienne) de la Révolution russe.
Ces théories ont été les produits de la défaite de la vague révolutionnaire des années 1920, de la confusion créée dans les esprits par le fait que la Révolution russe ne mourut pas comme la Commune de Paris, rapidement et ouvertement écrasée par la réaction bourgeoise, mais dégénéra suivant un processus long, douloureux et complexe, subissant le pouvoir d'une bureaucratie qui se prétendait la continuatrice d'Octobre 1917.
Mais si on peut comprendre l'origine de ces aberrations, elles n'en demeurent pas moins un obstacle majeur pour la rappropriation par la classe révolutionnaire des enseignements de sa principale expérience historique. Et elles doivent être combattues comme telles. Tel est l'objectif de cette brochure qui est composée de deux articles parus dans la Revue Internationale du CCI (no 12 et 13, fin 1977 - début 1978) et consacrés l'un à la critique des théories « conseillistes » et l'autre à celle des théories « bordiguistes ».
Il faudra longtemps au prolétariat mondial pour parvenir à se débarrasser de toute la boue idéologique avec laquelle la bourgeoisie a recouvert la plus grande expérience révolutionnaire. Probablement, il ne parviendra à se réapproprier toute la richesse des leçons de cette expérience qu'au cours de la lutte révolutionnaire elle-même, lorsqu'il sera confronté aux mêmes questions pratiques.
C'est lorsqu'ils seront confrontés à la nécessité immédiate de s'organiser comme force unifiée, capable d'abattre l'Etat bourgeois et de proposer une nouvelle forme d'organisation sociale, que les prolétaires réapprendront le véritable sens du mot russe « soviet ». C'est lorsqu'ils se trouveront devant la tâche d'organiser collectivement une insurrection armée qu'ils ressentiront massivement le besoin de posséder les leçons d'Octobre 1917. C'est lorsqu'ils seront confrontés à des questions telles que savoir qui exerce le pouvoir, ou bien quels rapports doit-il y avoir entre le prolétariat en armes et l'institution étatique qui surgira au lendemain des premières insurrections victorieuses, ou bien encore comment réagir face à des divergences entre secteurs importants du prolétariat, qu'ils comprendront les véritables erreurs commises par les bolcheviks (en particulier dans la tragédie de Kronstadt).
Malgré son échec, qui fut en réalité celui de la vague révolutionnaire internationale dont elle n'était que le point le plus avancé - échec qui confirmait que la révolution prolétarienne n'a pas plus de patrie que les prolétaires eux-mêmes - la Révolution russe a posé dans la pratique des problèmes pratiques cruciaux auxquels les mouvements révolutionnaires de l'avenir se trouveront inévitablement confrontés. En ce sens, qu'ils en aient conscience aujourd'hui ou non, les prolétaires des luttes de demain devront s'en réapproprier les enseignements.
Mais pour cela ils devront commencer par reconnaître cette expérience comme leur expérience. Pour affirmer la continuité du mouvement révolutionnaire prolétarien ils devront inévitablement réaliser, sur ce terrain aussi, « la négation de la négation », le rejet des théories qui nient le caractère prolétarien de leur plus grande expérience passée.
Quant aux organisations révolutionnaires, pour elles, c'est dès à présent que la reconnaissance d'Octobre est cruciale : leur capacité à féconder les luttes prolétariennes immédiates dépend en effet tout d'abord de la compréhension de la dynamique historique qui depuis plus de deux siècles a conduit aux luttes présentes. Or cette compréhension serait impossible sans une claire reconnaissance de la véritable nature de la Révolution d'octobre.
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