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Revue Internationale no 74 - 3e trimestre 1993

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Editorial : bas les masques !

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Impitoyablement, les faits viennent démentir la propagande de la classe dominante. Jamais peut-être, la réalité ne s'est chargée aussi rapidement de mettre à nu les mensonges qu'assènent à dose massive les médias hypertrophiés de la bourgeoisie. La « nouvelle ère de paix et de prospérité » an­noncée avec l'effondrement du bloc de l'Est et chantée sur tous les tons par les responsables politiques de tous les pays s'est révélée être un songe creux à peine quelques mois plus tard. Cette nouvelle période s'est avé­ rée être celle du développement d'un chaos grandissant, d'un en­ foncement dans la crise écono­mique la plus grave que le capi­talisme ait jamais connu, de l'explosion de conflits, de la guerre du Golfe à l'ex-Yougoslavie, où la barbarie militaire at­teint des sommets rarement égalés.

L'aggravation brutale des tensions sur la scène internationale est l'ex­ pression de l'impasse dans laquelle s'enfonce le capitalisme, de la crise catastrophique et explosive qui l'ébranle sur tous les plans de son existence. Cette réalité, la classe dominante ne peut la reconnaître, ce serait admettre sa propre im­puissance et donc accepter la fail­lite du système dont elle est la re­présentante. Toutes les affirmations rassurantes, toutes les prétentions volontaristes à contrôler la situation, se voient inéluctablement apporter un démenti cinglant par le déroulement des événements eux- mêmes. De plus en plus, les dis­ cours de la classe dominante appa­raissent pour ce qu'ils sont : des mensonges. Qu'ils soient volon­taires ou le produit de ses propres illusions ne change rien à l'affaire, jamais la contradiction entre la propagande bourgeoise et la vérité des faits n'a été aussi criante.

La bourgeoisie occidentale il y a encore quelques années se réjouis­sait du discrédit quasi-total dont pâtissait la bourgeoisie stalinienne dans les pays de l'Est. Ce discrédit lui servait de faire-valoir. Au­jourd'hui, à son tour, elle est entrée dans la même dynamique de perte de crédibilité, et de plus en plus il devient visible qu'elle emploie fi­nalement les mêmes armes : le mensonge d'abord, et lorsque cela ne suffît plus, la répression.

Bosnie : le mensonge d'un capitalisme pacifiste et humanitaire

La guerre en Bosnie a été pour les puissances occidentales l'occasion de se vautrer dans une orgie média­tique où tous ont communié dans la défense de la petite Bosnie contre l'ogre serbe. Les hommes poli­tiques de tous horizons ne trou­vaient pas de mots assez durs, d'images suffisamment marquantes pour dénoncer la barbarie de l'expansionnisme serbe : les camps de prisonniers assimilés aux camps d'extermination nazis, la purifica­tion ethnique, le viol des femmes musulmanes, les souffrances indi­cibles des populations civiles prises en otages. Une belle unanimité de façade où les surenchères humani­taires se sont conjuguées avec des appels répétés et menaçant à une intervention militaire.

Mais derrière ce choeur unanime, c'est en réalité la désunion qui s'est affirmée. Les intérêts contradic­toires des grandes puissances n'ont pas tant déterminé une impuissance des grandes nations à mettre fin au conflit, chacun rejetant sur les autres cette responsabilité, mais ils ont surtout été le facteur essentiel qui a déterminé le conflit. Par Ser­bie, Croatie et Bosnie interposées, la France, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, les Etats-Unis, ont avancé leurs cartes impérialistes sur l'échiquier des Balkans, et leurs larmes de crocodiles n'ont servi qu'à cacher leur rôle actif dans la poursuite de la guerre.

Les récents accords de Washing­ton, signés par les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l'Espagne et la Russie consacrent l'hypocrisie des campagnes idéolo­giques qui ont rythmé deux années de guerre et de massacres. Ils reconnaissent dans les faits les gains territoriaux serbes. Adieu le dogme de l’intangibilité des frontières internationalement reconnues». Et la presse de disserter à n'en plus fi­nir sur l'impuissance de l'Europe maastrichtienne, des USA de Clin­ton, après ceux de Bush, à faire plier les serbes, à imposer leur vo­lonté «  pacifique » au nouvel Hitler : Milosevic, qui a remplacé Saddam Hussein dans le bestiaire de la pro­pagande. Encore un mensonge de plus destiné à perpétuer l'idée que les grandes puissances sont paci­fiques, qu'elles désirent réellement mettre fin aux conflits sanglants qui ravagent la planète, que les princi­paux fauteurs de guerre, ne sont que les petits despotes de puissances locales de troisième ordre.

Le capitalisme c'est la guerre. Cette vérité s'est inscrite en lettres de sang durant toute son histoire. De­puis la seconde guerre mondiale, pas une année, pas un mois, pas une journée ne s'est écoulée sans qu'en un lieu ou l'autre de la planète un conflit n'apporte son lot de massacres et de misère atroces, sans que les grandes puissances ne soient présentes, à un degré ou à un autre, pour attiser le feu au nom de la défense de leurs intérêts straté­giques globaux : guerres de décolo­nisation en Indochine, guerre de Corée, guerre d'Algérie, guerre du Vietnam, guerres israélo-arabes, guerre « civile » du Cambodge, guerre Iran-Irak, guerre en Afgha­nistan, etc. Pas un instant où la propagande bourgeoise ne se soit apitoyée sur les populations mar­tyres, sur les atrocités commises, sur la barbarie de l'un ou l'autre camp pour mieux justifier un sou­tien à l'un de ces camps. Pas une guerre qui n'ait pu se faire sans la fourniture abondante d'armes par les grandes puissances qui les pro­duisent. Pas un conflit qui ne se soit terminé par l'affirmation hypocrite d'un retour à la paix éternelle, alors que dans le secret des ministères et des états-majors se préparaient les plans pour de nouvelles guerres.

Avec l'effondrement du bloc de l'Est, la propagande occidentale s'est déchaînée pour prétendre qu'avec la disparition de l'antago­nisme Est-Ouest, la principale source de conflit avait disparu, et que s'ouvrait donc, une «nouvelle ère de paix ». Ce mensonge là avait déjà été utilisé après la défaite de l'Allemagne à la fin de la deuxième guerre mondiale jusqu'à ce que, très rapidement, les alliés d'alors : l'URSS stalinienne et les démocra­ties occidentales soient prêtes à s'étriper pour un nouveau partage du monde. La situation présente, sur ce plan, n'est pas fondamenta­lement différente. Même si l'URSS n'a pas été vaincue militairement, son effondrement laisse le champ libre au déchaînement des rivalités entre les alliés d'hier pour un nou­veau repartage du monde. La guerre du Golfe est venue montrer comment les grandes puissances entendaient maintenir la paix : par la guerre. Le massacre de centaines de milliers d'irakiens, soldats et ci­vils, n'avait pas pour but de mettre au pas le tyran local, Saddam Hus­sein, ([1] [1]) Ce conflit était la conséquence de la volonté de la première puissance mondiale, les USA, dans le contexte où la disparition du bloc de l'Est et de la menace russe faisait perdre au bloc occidental son principal ciment, d'avertir ses anciens alliés des risques qu'ils courraient dans le futur à vouloir jouer leur propre carte.

L'éclatement de la Yougoslavie est le produit de la volonté de l'Allemagne de mettre à profit la crise yougoslave pour récupérer une de ses anciennes zones d'influence et, par Croatie interpo­sée, prendre pied sur les bords de la Méditerranée. La guerre entre la Serbie et la Croatie est le résultat de la volonté des « bons amis » de l'Allemagne de ne pas laisser celle-ci profiter des ports croates, et dans ce but la Serbie a été encouragée à en découdre avec la Croatie. Par la suite, les USA ont encouragé la Bosnie à proclamer son indépendance, espérant ainsi bénéficier d'un allié à leur dévotion dans la région, ce que les puissances européennes pour des raisons d'ailleurs multiples et contradictoires, ne désiraient absolument pas, ce qui va se traduire de leur part par un double langage qui, à cette occasion, atteint des sommets. Alors que tous proclament de manière véhémente vouloir protéger la Bosnie, en sous main, ils vont s'employer à favoriser  les   avancées   serbes   et croates, et à saboter les perspectives d'intervention mili­taire américaine. L'expression de cette réalité complexe s'est traduite sur le plan de la propagande. Alors que tous communiaient hypocrite­ment dans la défense de la petite Bosnie agressée et pratiquaient la surenchère « pacifiste » et « humani­taire», dès qu'il s'agissait de pro­poser des mesures concrètes, la plus grande cacophonie régnait. D'une part les USA poussaient dans le sens d'une intervention musclée, tandis que d'autre part, la France et la Grande-Bretagne, no­tamment, employaient toutes les mesures dilatoires et ruses diploma­tiques possibles pour prévenir une telle issue.

Demain, les alliances peuvent très bien se modifier, et la Serbie être présentée comme un allié fréquen­table par les uns et les autres. Fi­nalement, tous les ardents discours humanitaires apparaissent pour ce qu'ils sont, de la pure propagande destinée à masquer la réalité des tensions impérialistes qui s'exacer­bent entre les grandes puissances occidentales auparavant alliées fa­ce à l'URSS, mais qui, depuis que celle-ci s'est effondrée et a implosé, sont engagées dans un jeu complexe de réorganisation de leurs alliances. L'Allemagne aspire à jouer de nouveau le rôle de grande puissance chef de bloc que sa défaite lors de la seconde guerre mondiale lui avait ôté. Et, en l'absence de discipline imposée par des blocs qui n'existent plus, ou pas encore, la dynamique du chacun pour soi se trouve renforcée et pousse chaque pays à mettre prioritairement en avant sa propre carte impérialiste.

En Bosnie, ce n'est donc pas de l'impuissance des grandes puis­sances à rétablir la paix dont il s'agit, mais bien de l'inverse, de la dynamique présente qui pousse les alliés d'hier à s'affronter, même si c'est encore indirectement et de manière masquée, sur le terrain impérialiste.

Il est cependant une puissance pour laquelle le conflit en Bosnie appa­raît plus particulièrement comme un échec, un aveu d'impuissance, ce sont les USA. Après le cessez-le-feu entre la Croatie et la Serbie, conflit que les USA avaient mis à profit pour stigmatiser l'impuis­sance de l'Europe de Maastricht et ses divisions, les USA ont misé sur la Bosnie. Leur incapacité à assurer la survie de celle-ci ramène leurs prétentions à de simples rodomon­tades d'un matamore de théâtre. Plus que tout autre, les USA ont pratiqué la surenchère médiatique, critiquant la timidité des accords Vance-Owen, la part trop belle qu'ils faisaient aux serbes, mena­çant continuellement ces derniers d'une intervention massive. Mais cette intervention, ils n'ont pas pu la mener à bien. Cette incapacité des USA à mettre leurs actes en ac­cord avec leurs paroles est un très rude coup porté à leur crédibilité internationale. Les bénéfices en­grangés par les USA avec l'intervention dans le Golfe sont, en grande partie, effacés par le revers qu'ils ont subi en Bosnie. En conséquence, les tendances cen­trifuges de leurs ex-alliés à échap­per à la tutelle américaine, à jouer leur propre carte sur la scène impérialiste, se trouvent renforcées et accélérées. Quant aux fractions de la bourgeoisie qui comptaient sur la puissance américaine pour les protéger, elles y regarderont à deux fois avant de s'engager, le sort de la Bosnie est là pour les faire méditer.

Face à une telle situation, les USA ne vont certainement pas rester les bras croisés. Ils se doivent de ré­agir. Les récents bombardements en Somalie et l'envoi de troupes américaines en Macédoine annon­cent un nouvel aiguisement des tensions impérialistes.

Les alliés d'hier communient en­core dans l'idéologie qui les ras­semblait face à l'URSS, mais der­rière cette unité des thèmes, c'est une foire d'empoigne annonçant, au-delà de la Bosnie, de futures guerres, de futurs massacres. Toutes les belles paroles et les larmes de crocodiles abondamment versées n'ont qu'un but : masquer la réalité impérialiste du conflit qui ravage l’ex-Yougoslavie et justifier la guerre.

Crise économique : le mensonge de la reprise

Si la guerre n'est pas l'expression de l'impuissance de la bourgeoisie mais celle de la réalité intrinsèque­ment belliciste du capitalisme, la crise économique par contre est une claire expression de l'impuis­sance de la classe dominante à surmonter les contradictions indépassables de l'économie capita­liste. Les proclamations pacifistes de la classe dominante sont un pur mensonge : pacifique, elle ne l'a ja­mais été, la guerre a toujours été un moyen pour une fraction de la bourgeoisie de défendre ses intérêts contre d'autres, moyen devant le­quel elle n'a jamais reculé. Par contre, toutes les fractions de la bourgeoisie rêvent sincèrement d'un capitalisme sans crise, sans récession, à la prospérité éternelle, qui permette de dégager des profits toujours plus juteux. La classe do­minante ne peut pas envisager que la crise est insurmontable, qu'elle n'a pas de solution, car un tel point de vue, une telle conscience signi­fierait la reconnaissance de ses li­mites historiques, sa propre néga­tion, ce qu'elle ne peut, précisé­ment par sa position de classe ex­ploiteuse dominante, ni envisager, ni accepter.

Entre le rêve d'un capitalisme sans crise et la réalité présente d'une économie mondiale qui ne parvient pas à sortir de la récession, il y a un abîme que la bourgeoisie voit, chaque jour, se creuser un peu plus avec une angoisse croissante. Pour­tant, il n'est pas loin le temps où, avec l'effondrement économique de l'URSS, le capitalisme «  libéral » à l'occidentale croyait discerner la preuve de sa propre santé inébran­lable, de sa capacité à surmonter tous les obstacles. Que n'a-t-on en­tendu dans ces moments d'euphorie de la classe dominante ? Une dé­bauche médiatique d'autosatisfaction où le capitalisme était promis à un avenir éternel. Las, l'Histoire a pris une revanche cinglante sur ces illusions et n'a pas attendu pour opposer un démenti brutal à ces mensonges.

L'URSS n'avait pas fini de s'effondrer que la récession faisait un retour remarqué au coeur de la première puissance économique mondiale : les USA. Depuis, cette récession s'est étendue comme une épidémie à l'ensemble de l'économie mondiale. Le Japon et l'Alle­magne, ont, à leur tour, été terras­sés par le même mal. A peine signé, le traité de Maastricht, qui promet­tait le renouveau de l’Europe et la prospérité économique, patatras, le bel assemblage s'effondre avec la crise du Système Monétaire Euro­péen d'abord, et la récession en­suite.

Face a la brutale accélération de la crise mondiale qui prend à revers toute la propagande menée depuis des années dans tous les pays sur le thème de la reprise, la bourgeoisie n'en continue pas moins de répéter la même antienne : « nous avons des solutions ! », et de proposer de nou­veaux plans économiques qui doi­vent sortir le capitalisme du marasme. Mais toutes les mesures mises en place ne sont d'aucun ef­fet. La classe dominante n'a pas le temps de chanter victoire devant le frémissement de quelques indices économiques, que les faits se char­gent de démentir ces illusions. Dernier exemple significatif en date, la croissance américaine : à peine arrivée à la Maison-Blanche, l'équipe Clinton est fière d'annoncer un taux de croissance inespéré de l'économie américaine au 4e trimestre 1992, + 4,7 %, et de prédire sur tous les tons la fin de la récession. Mais l'espoir aura été de courte durée. Après avoir prévu une croissance de +2,4% pour le 1er trimestre 1993, c'est finalement une petite croissance de +0,9 % qui est annoncée. La récession mondiale est là et bien là, et jusqu'à présent aucune des mesures employées par la classe dominante n'est parvenue à changer cet état de fait. Dans les milieux dirigeants, la panique s'am­plifie et nul ne sait que faire.

Dans la mesure où toutes les me­sures classiques de relance s'avèrent inefficaces, il ne reste plus qu'un argument à employer pour la bourgeoisie : «r il faut accepter les sacrifices pour que ça aille mieux demain.» Cet argument est constamment utilisé pour justifier les programmes d'austérité contre la classe ouvrière. Depuis le retour de la crise historique à la fin des années 1960, ce type d'argument s'est évidemment heurté au mécon­tentement des travailleurs qui payent la note, mais il n'en avait pas moins conservé, durant toutes ces années, une certaine crédibilité dans la mesure où l'alternance entre les périodes de récession et de relance semblait la valider. Mais la réalité de la misère qui n'a cessé de se développer partout, de plan de rigueur en plan d'austérité, avec pour seul résultat la situation catastrophique présente, montre que tous les sacrifices passés n'ont servi à rien.

Malgré tous les plans « contre le chômage », mis en place depuis des années, à grand renfort de publi­cité, par tous les gouvernements des métropoles industrialisées, celui-ci n'a cessé de croître. Il at­teint aujourd'hui des sommets. Chaque jour de nouveaux plans de licenciements sont annoncés. De­vant l'évidence des impôts de plus en plus lourds, des salaires qui di­minuent ou de toute façon augmen­tent moins vite que l'inflation, nul n'a plus l'outrecuidance de prétendre que le niveau de vie pro­gresse. Dans les grandes villes du monde développé, les miséreux, sans domicile faute d'argent pour payer un loyer, réduits à la mendi­cité, sont de plus en plus nombreux et témoignent dramatiquement du délabrement social qui gagne au coeur du capitalisme le plus riche.

Mettant à profit la faillite poli­tique, économique et sociale du « modèle » stalinien de capitalisme d'Etat mensongèrement identifié au communisme, la bourgeoisie a ré­pété à satiété que seul le capita­lisme « libéral » pouvait apporter la prospérité. Elle doit maintenant déchanter devant la crise qui remet les pendules à l'heure.

La vérité de la lutte de classe face aux mensonges de la bourgeoisie

Avec l'aggravation brutale de la crise, la bourgeoisie voit se profi­ler, avec frayeur, le spectre d'une crise sociale. Pourtant, il y a peu, les idéologues de la bourgeoisie croyaient pouvoir affirmer que la faillite du stalinisme démontrait l'inanité du marxisme et l'absurdité de l'idée même de lutte de classe. Dans la foulée, l'existence même de la classe ouvrière était niée, et la perspective historique du socia­lisme présentée comme un idéal gé­néreux, mais impossible à réaliser. Toute cette propagande a déter­miné un doute profond au sein de la classe ouvrière sur la nécessité et la possibilité d'un autre système, d'un autre mode de relations des hommes entre eux, pour mettre fin à la barbarie capitaliste.

Mais si la classe ouvrière reste en­core profondément déboussolée par la succession rapide des évé­nements et le martelage idéolo­gique intense des campagnes mé­diatiques, elle est, sous la pression des événements poussée à retrouver le chemin de la lutte face aux attaques incessantes et de plus en plus dures menées contre ses condi­tions de vie.

Depuis l'automne 1992, et les ma­nifestations massives des travail­leurs italiens en colère face au nou­veau plan d'austérité mis en place par le gouvernement, les signes d'une lente reprise de la combati­vité du prolétariat se précisent dans de nombreux pays : Allemagne, Grande-Bretagne, Belgique, Es­pagne, etc. Dans une situation où l'aggravation incessante de la crise implique des plans d'austérité de plus en plus draconiens, cette dy­namique ne peut aller qu'en s'accélérant et en s'amplifiant. La classe dominante voit s'avancer avec une inquiétude croissante cette perspective inéluctable du dé­veloppement de la lutte de classe. Sa marge de manoeuvre se réduit de plus en plus. Non seulement, elle ne peut plus retarder tactiquement ses attaques contre la classe ou­vrière, mais tout son arsenal idéo­logique pour faire face à la lutte de classe subit une érosion accélérée.

L'impuissance de tous les partis de la bourgeoisie à juguler la crise, à apparaître comme des bons ges­tionnaires renforce leur discrédit. Aucun parti de gouvernement ne peut dans les conditions présentes espérer bénéficier d'une grande popularité, il n'est que de voir comment en quelques mois d'accé­lération de la crise, Mitterrand en France, Major en Grande-Bretagne et même le nouvel élu Clinton aux USA, ont vu leur côte dans les son­dages chuter vertigineusement. Partout la situation est la même : qu'ils soient de droite ou de gauche, les gestionnaires du capital en montrant leur impuissance met­tent aussi involontairement à nu tous les mensonges qu'ils ont col­portés pendant des années. L'im­plication des partis socialistes dans la gestion étatique en France, en Espagne, en Italie, etc., montre, internationalement, qu'ils ne sont pas différents des partis de droite dont ils voudraient tant se différen­cier. Les partis staliniens subissent de plein fouet le contrecoup de la faillite de leur modèle russe, les partis socialistes en pâtissent aussi. Avec le développement des « affai­res » qui mettent en évidence la cor­ruption généralisée régnant au sein de la classe dominante et de son appareil politique, le rejet confine au dégoût. C'est l'ensemble du modèle « démocratique » de gestion du capital et de la société qui est ébranlé. Le déphasage entre les discours de la bourgeoisie et la réa­lité devient chaque jour plus grand. En conséquence, le divorce entre l'Etat et la société civile ne peut al­ler qu'en s'accroissant. Résultat, aujourd'hui, c'est un truisme que d'affirmer que les hommes poli­tiques mentent, tous les exploités en sont profondément convaincus.

Mais le fait de constater un men­songe ne signifie pas que l'on soit automatiquement immunisé contre des mystifications nouvelles, ni que l'on connaisse la vérité. Le proléta­riat est dans cette situation au­jourd'hui. Le constat que rien ne va plus, que le monde est en train de plonger dans la catastrophe, et que tous les discours rassurants sont pure propagande, cela, la grande masse des ouvriers s'en rend de plus en plus compte. Mais ce constat, s'il ne s'accompagne pas d'une ré­flexion vers la recherche d'une al­ternative, d'une réappropriation par le prolétariat de ses traditions révolutionnaires, de la réaffirma­tion dans ses luttes de son rôle cen­tral dans la société et de son affir­mation comme classe révolution­naire porteuse d'un avenir pour l'humanité, la perspective commu­niste, peut aussi mener au déboussolement et à la résignation. La dy­namique présente, avec la crise économique qui agit comme révéla­teur, pousse la classe ouvrière vers la réflexion, la recherche d'une so­lution qui, pour elle, conformé­ment à son être, ne peut être que la nouvelle société dont elle est por­teuse : le communisme. De plus en plus, face à la catastrophe que la classe dominante ne peut plus ca­cher, se pose comme une question de vie ou de mort, la nécessité de la mise en avant de la perspective ré­volutionnaire.

Dans cette situation, la classe do­minante ne reste pas passive. Même si son système se délite et sombre dans le chaos, elle ne va pas pour autant mettre la clé sous la porte. De toutes ses forces elle s'accroche à son pouvoir sur la so­ciété, par tous les moyens elle es­saye d'entraver le processus de prise de conscience du prolétariat dont elle sait qu'il signifie sa propre perte. Face à l'usure des mystifica­tions qu'elle utilise depuis des an­nées, elle en forge de nouvelles et répète les anciennes avec encore plus de force. Elle utilise même la décomposition qui gangrène son système comme un nouvel instru­ment de confusion contre le prolé­tariat. La misère dans le «tiers-monde » et les atrocités des guerres servent de repoussoir pour renfor­cer l'idée que, là où la catastrophe n'atteint pas une telle ampleur, il n'y a finalement pas lieu de se plaindre et de protester. La mise à jour des scandales, de la corruption des politiciens, comme en Italie, est utilisée pour détourner l'attention des attaques écono­miques, justifier un renouvellement de l'appareil politique et crédibili­ser l'idée d'un «Etat propre». Même la misère des travailleurs est utilisée pour les abuser. La peur du chômage sert à justifier des baisses de salaires au nom de la « solidari­té». La «protection des emplois» dans chaque pays est le prétexte de campagnes chauvines, les travail­leurs « immigrés » sont des victimes expiatoires toutes trouvées pour alimenter les divisions au sein de la classe ouvrière. Dans une situation où la bourgeoisie n'est plus por­teuse d'aucun avenir historique, elle ne peut survivre que par le mensonge, elle est la classe du mensonge. Et quand celui-ci ne peut plus suffire, il lui reste l'arme de la répression, qui elle ne mystifie pas, mais dévoile ouvertement le vi­sage barbare du capitalisme.

Socialisme ou barbarie. Cette al­ternative posée par les révolution­naires au début du siècle est plus que jamais à l'ordre du jour. Ou la classe ouvrière se laisse embourber dans les mystifications de la bour­geoisie et l'ensemble de l'humanité est condamné à sombrer avec le capitalisme dans son processus de décomposition qui à terme signifie sa fin. Ou le prolétariat développe sa capacité de lutter, de mettre à nu les mensonges de la bourgeoisie, s'avance vers la mise en avant de sa perspective révolutionnaire. Tels sont les enjeux contenus dans la pé­riode présente. Les vents de l'his­toire poussent le prolétariat vers l'affirmation de son être révolu­tionnaire, mais le futur n'est jamais acquis d'avance. Même si les masques de la bourgeoisie tombent de plus en plus, elle en forge constamment de nouveaux pour ca­cher le visage hideux du capita­lisme, il appartient au prolétariat de les lui arracher définitivement.

JJ.



[1] [2] Il est d'ailleurs toujours en place et, du­rant des années, l'Occident n'avait pas hé­sité à l'armer abondamment et à le soutenir face à l'Iran.

Récent et en cours: 

  • Crise économique [3]
  • Luttes de classe [4]

10e congrès du CCI

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Le CCI vient de tenir son 10e Congrès. Notre organisation a fait un bilan de ses activités, de ses prises de position et ana­lyses durant les deux dernières années, et a tracé les perspec­tives pour les prochaines an­nées. L'élément central a été la reconnaissance par l'organisa­tion du tournant entamé au ni­veau de la lutte des classes. Les luttes massives du prolétariat italien de l'automne 1992 ont montré que la période de reflux qui avait débuté en 1989 avec la chute du bloc russe et du stali­nisme, a commencé à prendre fin. Ce reflux a affecté non seu­lement la combativité qu'avait manifestée le prolétariat jusqu'à cette date dans sa résistance aux mesures d'austérité impo­sées par la bourgeoisie, mais aussi, de manière significative, le développement de sa conscience de classe révolution­naire. Avec la perspective d'une reprise des combats de classe, le congrès s'est donné l'orienta­tion de l'intervention dans les luttes ouvrières qui commencent, pour que le CCI, comme organi­sation politique du prolétariat, soit préparé au mieux pour jouer son rôle dans cette période dé­cisive pour le prolétariat et l'humanité dans son ensemble.

Il ne fait pas de doute que pour tra­cer ces perspectives, il est fonda­mental de savoir si les analyses et les positions défendues par l'organisation dans la période pas­sée, ont correspondu au dévelop­pement des événements qui ont dominé la scène internationale. Le congrès a rempli cette tâche en évaluant les avancées du chaos et des conflits guerriers, la crise, les tensions impérialistes, et bien sûr, la lutte des classes. De même, ont été évaluées les activités réalisées dans cette période pour les adapter à la nouvelle période.

L'accentuation du chaos

Le 9e congrès du CCI de l'été 1991 avait analysé comment la phase de décomposition du capitalisme, commencée avec la décennie des années 1980, était à la base de la chute du bloc impérialiste de l'Est, de l'éclatement de l'URSS et de la mort du stalinisme.

Présentation

Le 10e congrès a constaté que ces analyses sur la phase de décompo­sition et ses conséquences avaient été entièrement correctes. Non seulement, l'explosion de l’ex-bloc de l'Est a continué, mais aussi l’ex-bloc occidental est entré dans un processus similaire en rompant «l'harmonie» existant entre les pays qui le constituaient, y inclus entre les pays les plus industriali­sés. Cette rupture du système des blocs existant depuis 1945, a dé­clenché une situation de chaos qui, au lieu de s'amoindrir, s'étend comme une gangrène à toute la planète.

Un élément accélérateur du chaos a été l'accentuation des antago­nismes impérialistes entre les grandes puissances. Ces dernières profitent de chaque conflit entre fractions de la bourgeoisie de dif­férents pays ou d'un même pays pour essayer de gagner des posi­tions stratégiques face aux puis­sances opposées, ravageant les économies rachitiques des pays en conflit, ce qui met en évidence une fois de plus l'irrationalité des guerres dans la période de déca­dence. Dans ce sens, il n'y a pas de conflit, petit ou grand, armé ou non, où ne soit présente la lutte des puissants gangsters impérialistes.

L'autre élément accélérateur du chaos est la tendance à la forma­tion d'un nouveau système de blocs, et la lutte des USA qui veu­lent être l'unique «gendarme du monde ». Les avancées stratégiques de l'Allemagne, liées à sa force économique, dans le conflit des Balkans, au travers d'un appui ou­vert à l'indépendance de la Slové­nie et de la Croatie, placent le ca­pital allemand comme la puissance capable de prendre la tête d'un bloc rival des Etats-Unis. Cepen­dant, la voie qui mène à la confor­mation de ce nouveau bloc se res­serre chaque fois davantage : d'une part, on trouve l'opposition que mènent la Grande-Bretagne et les Pays-Bas comme principaux alliés des Etats-Unis en Europe, à la stra­tégie allemande ; d'autre part, les appétits impérialistes propres de l'Allemagne et de la France limi­tent le renforcement de l'alliance dans laquelle la France viendrait pallier les limites militaires de l'Allemagne.

Les USA n'ont plus autant les mains libres pour leurs actions mi­litaires. Les déploiements mili­taires et diplomatiques des puis­sances rivales en Yougoslavie, ont montré les limites de l'efficacité de l'opération « Tempête du désert » de 1991 qui était destinée à réaffirmer le leadership des Etats-Unis sur le monde. Pour cette raison, et à cause de l'opposition interne au déclenchement d'un autre Viet­nam, les Etats-Unis n'ont pas eu la même capacité, ni la même liberté, de mobilisation en Yougoslavie ; mais il ne fait pas de doute qu'ils ne sont pas restés comme simples spectateurs : au travers de l'aide « humanitaire » à la Somalie et aux populations musulmanes traquées par les milices serbes en Bosnie-Herzégovine, ils ont commencé une offensive qui a pris un carac­tère de plus grande ampleur avec les mobilisations aériennes sur ces territoires.

Tout ce contexte ne fait que confirmer une tendance chaque fois plus grande au développement de conflits armés.

La crise frappe les pays centraux

Au plan économique, le congrès a pu constater que la crise qui s'exprime au travers de la récession économique, est devenue une des préoccupations principales de la bourgeoisie des pays centraux. A l'aube des années 1990, l'usure des remèdes traditionnels utilisés par la bourgeoisie pour essayer de pallier à la crise devient évidente : non seulement les Etats-Unis se trou­vent en récession ouverte (laquelle en est à sa troisième année consé­cutive), mais de plus « la récession ouverte s'est généralisée pour at­teindre des pays qu'elle avait épar­gné dans un premier temps, tel la France, et parmi les plus solides comme l'Allemagne et même le Ja­pon. » ([1] [5]). Le capital mondial souffre d'une crise qui atteint un degré qualitativement plus grand que toutes celles vécues jusqu'à présent.

Face à l'impossibilité d'obtenir une quelconque solution avec les politiques «néolibérales» appli­quées dans la décennie 1980, la bourgeoisie des pays centraux en­tame un tournant stratégique vers une intervention encore plus grande de l'Etat dans l'économie, intervention qui a été une constante dans le capitalisme dé­cadent, y inclus dans l'époque de Reagan, comme seule forme pos­sible de survie par une tricherie constante avec ses propres lois économiques. Avec l'élection de Clinton, la première puissance mondiale concrétise cette straté­gie. Cependant, « quelles que soient les mesures appliquées, la bourgeoi­sie américaine se trouve confrontée à une impasse : en lieu et place d'une relance de l’économie et d'une réduction de son endettement (et particulièrement celui de l'Etat), elle est condamnée, à une échéance qui ne saurait être reportée bien longtemps, à un nouveau ralentis­sement de l'économie et à une ag­gravation irréversible de l'endette­ment. » ([2] [6])

Mais ce n'est pas seulement la ré­cession qui exprime l'accentuation de la crise. La disparition des an­ciens blocs impérialistes vient ac­centuer aussi la crise et le chaos économique.

Les conséquences de l'accentua­tion de la crise dans les pays les plus développés se manifestent de manière immédiate dans une dété­rioration des conditions de vie du prolétariat. Mais le prolétariat de ces pays n'est pas disposé à rester passif face à la chute dans la misère et le chômage. Le prolétariat en Italie nous l'a rappelé à l'automne 1992 : la crise continue d'être la meilleure alliée du prolétariat.

La reprise de la combativité ouvrière

La reprise des luttes ouvrières a été un élément central, un axe du 10e Congrès. Après trois ans de reflux, les luttes massives du prolétariat italien de l'automne 1992 ([3] [7]), ainsi que les manifestations massives des mineurs britanniques face à l'annonce de la fermeture de la majorité des mines, les mobilisa­tions des ouvriers allemands durant l'hiver, ainsi que d'autres manifes­tations   de   combativité   ouvrière dans d'autres pays d'Europe et du reste du monde, viennent confir­mer la position défendue par le CCI selon laquelle le cours histo­rique est bien aux confrontations massives entre le prolétariat et la bourgeoisie.

Le fait le plus significatif de cette reprise des luttes est qu'elles mar­quent le début d'un processus de dépassement du reflux dans la conscience ouvert en 1989. Mais nous serions naïfs si nous pensions que cette reprise des luttes va s'effectuer sans difficultés et de manière linéaire : les effets néga­tifs, les confusions, les doutes sur ses capacités comme classe révolu­tionnaire, conséquences du reflux de 1989, sont encore loin d'être to­talement dépassés.

A ces facteurs, s'ajoutent les effets néfastes de  la décomposition du capitalisme sur la classe ouvrière : l'atomisation,   le  «chacun   pour soi», qui sapent la solidarité entre les prolétaires ; la perte de perspec­tive face au chaos régnant ; le chômage massif et de longue du­rée, qui tend à séparer les prolé­taires sans emploi du reste de la classe et, pour beaucoup d'autres, dans leur majorité les jeunes, à les plonger dans la délinquance ; les campagnes xénophobes et anti-ra­cistes qui tendent à diviser les ou­vriers ; le pourrissement de la classe dominante et de son appa­reil politique qui favorise les cam­pagnes mystificatrices de « lutte contre la corruption » ; les cam­pagnes « humanitaires » déchaînées par la bourgeoisie, face à la barba­rie à laquelle est soumis le « tiers-monde »> qui tendent à culpabiliser les ouvriers pour justifier ainsi la dégradation de ses conditions de vie. Tous ces facteurs, tout comme les guerres comme celle de l'ex-Yougoslavie, où la participation des   grandes   puissance   et   leur confrontation sont masquées, rendent difficile le processus de prise de conscience du prolétariat et de reprise de sa combativité.

Cependant, la gravité de la crise et la brutalité des  attaques de la bourgeoisie, ainsi que le développement inévitable de guerres dans  lesquelles vont s'impliquer de ma­nière ouverte les grandes puis­sances,  montreront la faillite du mode de production capitaliste aux yeux des ouvriers. La perspective est donc au développement massif de luttes ouvrières. Cette reprise de la combativité du prolétariat exige l'intervention des révolutionnaires, qu'ils soient partie prenante de ces combats afin d'en impulser toutes les potentialités et d'y défendre avec détermination la perspective communiste.

Les activités

Pour être capable d'affronter les enjeux que présente la reprise des luttes ouvrières, le 10e congrès de­vait faire un bilan objectif des acti­vités depuis le congrès passé, véri­fier la réalisation de leur orienta­tion, relever les difficultés qui s'étaient présentées, pour être pré­paré le mieux possible pour la pé­riode future. Le congrès a tiré un bilan positif des activités menées par l'organisation :

« L'organisation a été capable de ré­sister au regain de désorientation entraîné par la relance de la cam­pagne idéologique de la bourgeoisie sur la "fin du marxisme et de la lutte de classe", de tracer des pers­pectives chaque fois confirmées sur l'accélération des tensions inter ­impérialistes et de la crise, sur la reprise de combativité que devait nécessairement entraîner l'avalan­che d'attaques contre la classe ou­vrière, ceci en tenant compte des spécificités de la phase historique actuelle de décomposition, dévelop­pant son activité en fonction des conditions de la situation et de l'état de ses forces militantes. »([4] [8])

Le renforcement théorico-politique

Un des aspects positifs des activi­tés a été le processus d'approfondissement théorico-po­litique qu'a réalisé l'organisation face à la nécessité d'affronter les (campagnes de la bourgeoisie qui affirmaient la «mort du communisme». Cela impliquait l'expres­sion de la manière la plus claire et la plus élaborée, du caractère contre-révolutionnaire du stali­nisme ; cependant, un des facteurs (l'autre étant l'accélération de l'histoire à laquelle il nous fallait, et il nous faut, répondre rapide­ment) qui a accentué l'importance de cette tâche, a été le développe­ment des éléments révolutionnaires avec qui le CCI était en contact.

 

Ces contacts, à contre-courant de l'ambiance générale, sont l'expression de la maturation sou­terraine de la conscience de la classe qui s'exprime au travers de cette minorité.

D'autre part, les nouveaux événe­ments ont montré que la maîtrise du cadre général d'analyse n'est pas suffisante. Il faut aussi «parler le marxisme» à propos, pour l'appliquer à l'analyse des événe­ments et des situations particu­lières, ce qui ne peut se produire que s'il existe un approfondisse­ment théorico-politique.

« La poursuite des efforts d'approfondissement théorique-politique, avec la vigilance dans le suivi de la situation internationale et des si­tuations nationales, vont être dé­terminants pour la capacité de l’organisation à s'inscrire comme facteur actif au sein de la classe ou­vrière, sur le plan de sa contribution au dégagement d'une perspective générale de lutte et, à terme, de la perspective communiste ».

La centralisation

«Depuis ses débuts, des groupes à l’origine du CCI au CCI lui-même, l'organisation s'est toujours conçue comme une organisation internatio­nale. Mais la capacité à faire vivre cette conception internationaliste, qui a dynamisé la formation du CCI, s'est affaiblie. Aujourd'hui, la décomposition vient aggraver considérablement la pression à l'individualisme, au chacun pour soi, au localisme, au fonctionna­risme, plus encore que ne le faisait le poids de l'idéologie petite-bour­geoise post-soixante-huitarde dans les premières années d'existence de l'organisation. » C'est donc avec la volonté de faire face et de dépasser ces nouvelles difficultés que le 10e congrès a débattu de la nécessité de renforcer la vie politique et organisationnelle internationale du CCI :

« Dans chaque aspect de nos activi­tés, à chaque moment, dans le fonctionnement  et dans l'approfondissement politique, dans l'intervention, au quotidien, dans chaque tâche des sections locales, les tâches sont des tâches "internationales", les discussions sont des "discussions internationales", les contacts sont des "contacts interna­tionaux". Le renforcement du cadre international est la condition première du renforcement de toute acti­vité locale. »

La centralisation internationale du CCI est une condition fondamen­tale pour pouvoir jouer de manière effective notre rôle d'avant-garde politique du prolétariat :

«Nous n'avons pas la conception d'une organisation dont l'organe central dicte les orientations qu'il suffit d'appliquer, mais celle d'un tissu vivant où toutes les compo­santes agissent constamment comme parties d'un tout. (...) La substitution d'un organe central à la vie de l'organisation est totalement étrangère à notre fonctionnement. La discipline de l'organisation est fondamentalement basée sur une conviction d'un mode de fonction­nement international vivant perma­nent et implique une responsabilité à tous les niveaux dans l'élaboration des prises de position et dans l'activité vis-à-vis de l'organisation dans son ensemble. »

L'intervention

« Le tournant actuel de la situation internationale ouvre des perspec­tives d'intervention dans les luttes comme nous n'en avions plus connues au cours de ces dernières années».

C'est au travers de la presse, notre principal outil d'intervention, que nous devons marquer notre adapta­tion à la dynamique de la nouvelle période. Nous allons devoir inter­venir simultanément sur tous les plans : décomposition crise éco­nomique, impérialisme, lutte de classe.

« Dans un tel contexte, les réflexes et la rapidité, la rigueur dans le suivi des événements, la profondeur dans l'assimilation des orienta­tions, vont plus encore que par le passé être décisifs. (...) La presse doit intervenir de façon décidée face aux premières manifestations de la reprise ouvrière, et en même temps toujours traiter de l'exacerbation des tensions impérialistes, des questions de la guerre et de la dé­composition, répondre en perma­nence et de façon adéquate à ce qui se déroule sous nos yeux dans toute la complexité de la situation, en dé­nonçant sans relâche les ma­noeuvres et mensonges de la bour­geoisie, en montrant les perspectives au prolétariat, (...) et participer au développement dans la classe ou­vrière de la conscience qu'elle est une classe historique porteuse de la seule alternative au capitalisme en décomposition, dimension de sa conscience qui a été la plus dure­ment et durablement affectée par les campagnes idéologiques accompa­gnant la faillite historique du stali­nisme. »

L'intervention vers les sympathisants

Le CCI a connu un afflux impor­tant de contacts dans ses différentes sections qui sont le produit d'un rapprochement des positions ré­volutionnaires par une minorité de la classe ouvrière. Un des aspects que nous avons pu reconnaître, est que le développement et le nombre de contacts va augmenter avec l'intervention dans les luttes. L'organisation doit être très déci­dée dans son intervention face à eux, pour permettre leur incorpo­ration réelle au mouvement révolutionnaire du prolétariat. Pour sa part, le CCI, au travers de l'intervention vers les contacts doit se réaffirmer comme le principal pôle de regroupement des forces révolutionnaires à l'heure actuelle.

L'intervention dans les luttes

« Le changement le plus important pour notre intervention dans la pé­riode qui vient, est la perspective de la reprise des luttes ouvrières. » L'intervention dans les luttes a été un élément central de discussion dans-le congrès. Après trois années de reflux de la lutte des classes, nous avons insisté sur la nécessité que le CCI réagisse rapidement et qu'il se trouve préparé pour inter­venir, sans hésitation, dans la nou­velle situation. Les lignes fonda­mentales que doit suivre l'intervention, se sont exprimées de la manière suivante :

« C'est d'abord dans notre capacité à être partie prenante de la lutte, dans notre préoccupation de cher­cher, lorsque c'est possible, à in­fluer sur le cours des luttes et à faire des propositions de marche concrètes, que nous assumons notre fonction d'organisation révolution­naire».

Un des aspects principaux dans l'intervention dans les luttes ou­vrières, est de ne pas laisser le ter­rain libre à l'action de la gauche, des gauchistes et des syndicats, principalement le syndicalisme de base, qui comme nous l'ont montré les luttes récentes en Italie, vont jouer un rôle de premier ordre pour essayer de dévier et de contrôler les luttes, en empêchant qu'elles se développent sur le terrain de classe et en essayant de semer la confu­sion et de démoraliser les travail­leurs. Notre intervention doit viser au renforcement de la plus grande unité possible au sein de la classe :

« C'est ensuite en mettant en avant dans toute expérience de lutte de la classe ouvrière, ce qui défend réel­lement les intérêts immédiats de la classe, les intérêts communs à toute la classe, ce qui permet l'extension, l'unité, la prise en main des luttes que l'organisation doit toujours me­ner son intervention ».

De même, «  dans le contexte de fai­blesse de la classe ouvrière sur le plan de sa conscience, plus encore que par le passé, la mise en avant de la faillite historique du système ca­pitaliste, de sa crise internationale et définitive, de l'enfoncement iné­luctable dans la misère, la barbarie et les guerres où la domination de la bourgeoisie entraîne l'humanité, doit, avec la perspective du commu­nisme, faire partie de l'intervention que nous menons dans les luttes ouvrières. »

L'intervention vers le milieu politique prolétarien

La tendance au réveil des luttes à des niveaux jamais atteints encore depuis la reprise historique à la fin des années 1960, nécessite non seulement un renforcement du CCI mais aussi de tout le milieu poli­tique prolétarien. Pour cette rai­son, le 10e congrès s'est attaché particulièrement à l'évaluation de l'intervention en son sein. S'il faut constater le faible niveau des ré­ponses du milieu politique proléta­rien à notre appel du 9e congrès, le CCI ne doit pas se décourager pour autant. Il convient que nous déve­loppions encore plus notre suivi, notre mobilisation, et notre intervention à son égard.

Un élément central pour renforcer notre intervention dans le milieu politique prolétarien, duquel nous faisons partie, est de réaffirmer qu'il est lui-même une expression de la vie de la classe, de son pro­cessus de prise de conscience. Le renforcement de notre intervention vers le milieu politique prolétarien requiert que le débat se développe de manière plus ouverte, plus ri­goureuse et fraternelle entre les groupes qui le composent, qu'ils rompent avec le sectarisme et avec la vision tordue exprimée par cer­tains groupes, qui considèrent que « tout questionnement, tout débat, toute divergence ne sont pas une manifestation d'un processus de ré­flexion au sein de la classe mais une "trahison des principes inva­riants". »([5] [9])

Ces débats permettront à leur tour, d'avoir une meilleure clarté sur les nouveaux événements, tant pour le CCI que pour le reste du milieu, qui a exprimé certaines confusions pour les comprendre.

«  Cela s'est particulièrement confirmé lors des événements de l'Est et de la guerre du Golfe face auxquels ces groupes ont manifesté des confusions majeures et ont ac­cusé un retard considérable par rapport au CCI lorsqu'ils sont parvenus à un minimum de clarté. Un tel constat ne doit pas être fait pour nous rassurer ou nous permettre de nous endormir sur nos lauriers mais bien pour que nous prenions la juste mesure de nos responsabilités vis-à-vis de l'ensemble du milieu. Il doit nous inciter à un surcroît d'attention, de mobilisation et de rigueur dans l'accomplissement de nos tâches de suivi du milieu poli­tique prolétarien et d'intervention en son sein. » ([6] [10])

La question de la défense du milieu politique prolétarien comme un tout, a posé au congrès la nécessité d'avoir la plus grande clarté poli­tique par rapport aux groupes du milieu parasitaire qui gravitent au­tour du milieu politique prolétarien et y répandent leur venin.

« Quelle que soit leur plate-forme (qui peut-être formellement très valable), les groupes de ce milieu parasitaire n'expriment nullement un effort de prise de conscience de la classe. En ce sens, ils ne font pas partie du milieu politique proléta­rien, même si on ne doit pas consi­dérer qu'ils appartiennent au camp bourgeois (appartenance qui est fondamentalement déterminée par un programme bourgeois : défense de l'URSS, de la démocratie, etc.). Ce qu'ils expriment fondamentale­ment, ce qui les anime et détermine leur évolution (que cela soit conscient ou inconscient de la part de leurs membres), ce n'est pas la défense des principes révolution­naires au sein de la classe, la clari­fication des positions politiques, mais l'esprit de chapelle ou de "cercle d'amis", l'affirmation de leur individualité vis-à-vis des orga­nisations qu'ils parasitent, tout cela basé sur des griefs personnels, des ressentiments, des frustrations et autres préoccupations mesquines relevant de l'idéologie petite-bour­geoise. » ([7] [11])

Nous ne pouvons pas faire la moindre concession à ce milieu pa­rasitaire qui est un facteur de confusion et surtout de destruction du milieu politique prolétarien. Encore moins aujourd'hui, où pour répondre aux enjeux de la nouvelle période, la défense et le renforce­ment du milieu politique proléta­rien sont indispensables face à toutes les attaques qu'il peut subir.

Le CCI a tenu son 10e congrès à un moment crucial de l'histoire : le prolétariat reprend le chemin de sa lutte contre le capital. Déjà la monstrueuse campagne idéolo­gique déclenchée par la bourgeoi­sie sur « la mort du communisme », commence à céder face à la réalité brutale de la barbarie des guerres et à l'attaque impitoyable contre les conditions de vie du prolétariat des pays les plus développés, comme résultat d'une accélération plus grande de la crise de surproduction.

Le 10e congrès a fourni les orienta­tions politiques pour permettre au CCI d'affronter les enjeux de la nouvelle période : une homogé­néité existe par rapport au tournant de la situation internationale avec la reprise de la lutte de classe.

Ce Congrès a consolidé l'analyse du CCI sur les tensions impéria­listes et la crise, qui, par leur ac­célération, élèvent à des niveaux plus hauts la situation de chaos produit par la décomposition du capitalisme. Il a aussi constaté que la reprise des luttes ne sera pas facile, que le poids dans le dévelop­pement de la conscience qu'ont apporté la chute du bloc de l'Est et la mort du stalinisme, ne sera pas dépassé facilement. En outre, la bourgeoisie utilisera tout ce qui est en son pouvoir, pour essayer d'éviter que le prolétariat porte ses luttes à des niveaux plus grands de combativité et de conscience. C'est pour cela que le congrès a élaboré des perspectives pour renforcer le CCI, fondamentalement la centralisation internationale, ainsi que les moyens pour être mieux armés politiquement pour l'intervention, non seulement au niveau de la lutte des classes, mais aussi dans les autres manifestations du dévelop­pement de la conscience de classe comme le sont les contacts qui émergent, et le milieu politique prolétarien.

Avec ce 10e congrès, le CCI s'effor­ce de se situer au niveau des exigences du moment historique et d'assumer son rôle d'avant-garde du prolétariat, pour contribuer à dépasser le reflux dans le dévelop­pement de la conscience de classe dans la classe ouvrière afin que celle-ci se réaffirme et qu'elle puisse défendre la seule alternative à la barbarie capitaliste : le communisme.

CCI.

 



[1] [12] Voir la « Résolution sur la situation inter­nationale » dans ce numéro.

[2] [13] Idem.

[3] [14] Voir Revue Internationale n° 72,   1er tri­mestre 1993.

[4] [15] « Résolution sur les activités ». Toutes les citations qui suivent sont tirées de cette même résolution.

[5] [16] « Résolution sur le milieu politique prolé­tarien».

[6] [17] Idem.

[7] [18] Idem.

 

Vie du CCI: 

  • Résolutions de Congrès [19]

Conscience et organisation: 

  • Courant Communiste International [20]

Résolution sur la situation internationale 1993

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Depuis près de dix ans, la décom­position étend son emprise sur toute la société. De façon crois­sante, l'ensemble des phénomènes et des événements mondiaux ne peut se comprendre que dans ce cadre. Cependant, la phase de décomposition appartient à la pé­riode de décadence du capitalisme et les tendances propres à l'ensemble de cette période ne dis­paraissent pas, loin de là. Ainsi, dans l'examen de la situation mon­diale, il importe de distinguer les phénomènes qui relèvent de la pé­riode de décadence en général de ceux qui appartiennent spécifi­quement à sa phase ultime, la dé­composition, dans la mesure, no­tamment, où leurs impacts respec­tifs sur la classe ouvrière ne sont pas identiques et peuvent même agir en sens opposé. Et il en ainsi tant sur le plan des conflits impé­rialistes que de la crise économique qui constituent les éléments essen­tiels déterminant le développement des luttes de la classe ouvrière et de sa conscience.

L'évolution des conflits impérialistes

1) Rarement, depuis la fin de la se­conde guerre mondiale, le monde a connu une multiplication et une in­tensification des conflits guerriers comme celles auxquelles on assiste aujourd'hui. La guerre du Golfe, au début de 1991, était sensée ins­taurer un « nouvel ordre mondial » basé sur le «Droit». Depuis, la foire d'empoigne qui devait succé­der à la fin du partage du monde entre deux mastodontes impéria­listes n'a cessé de s'étendre et de s'exacerber. L'Afrique et l'Asie du Sud-Est, traditionnels terrains des affrontements impérialistes, ont continué à plonger dans les convulsions et la guerre. Libéria, Rwanda, Angola, Somalie, Afgha­nistan, Cambodge : ces pays sont aujourd'hui synonymes d'affronte­ments armés et de désolation malgré tous les « accords de paix » et les interventions de la « commu­nauté internationale » patronnées directement ou indirectement par l’ONU. A ces «zones des tem­pêtes » sont venues s'ajouter le Caucase et l'Asie centrale qui payent au prix fort des massacres interethniques la disparition de l'URSS. Enfin, le havre de stabilité qu'avait constitué l'Europe depuis la fin de la seconde guerre mon­diale est maintenant plongé dans un des conflits les plus meurtriers et barbares qui soient. Ces affron­tements expriment de façon tra­gique les caractéristiques du monde capitaliste en décomposi­tion. Ils résultent, pour une bonne part, de la situation nouvelle créée par ce qui constitue, à ce jour, la manifestation la plus importante de cette nouvelle phase de la déca­dence capitaliste : l'effondrement des régimes staliniens et du bloc de l'Est. Mais, en même temps, ces conflits sont encore aggravés par une des caractéristiques générales et fondamentales de cette déca­dence : l'antagonisme entre les différentes puissances impéria­listes. Ainsi, la prétendue « aide humanitaire » en Somalie n'est qu'un prétexte et un instrument de l'affrontement des deux principales puissances qui s'opposent au­jourd'hui en Afrique : les Etats-Unis et la France. Derrière, les différentes cliques qui se disputent le pouvoir à Kaboul, se profilent les intérêts des puissances régio­nales comme le Pakistan, l'Inde, l'Iran, la Turquie, l'Arabie Saou­dite, puissances qui, elles-mêmes, inscrivent leurs intérêts et leurs antagonismes à l'intérieur de ceux qui partagent les « Grands » comme les Etats-Unis ou l'Allemagne. Enfin, les convulsions qui ont mis à feu et à sang l’ex-Yougoslavie, à quelques centaines de kilomètres de l'Euro­pe «avancée», traduisent, elles aussi, les principaux antagonismes qui aujourd'hui divisent la planète.

2)   L'ex-Yougoslavie est devenue un enjeu primordial dans les rivalités entre les principales puissances du monde. Si les affrontements et les massacres qui s'y déroulent depuis deux ans ont trouvé un terrain favo­rable avec des antagonismes eth­niques ancestraux mis sous l'éteignoir par le régime stalinien, et que l'effondrement de celui-ci a fait ressurgir, les calculs sordides des grandes puissances ont consti­tué un facteur de premier ordre d'exacerbation de ces antago­nismes. C'est bien parce que l'Allemagne à encouragé la séces­sion des Républiques du Nord, Slovénie et Croatie, afin de se constituer un débouché vers la Méditerranée, que s'est ouverte la boîte de Pandore yougoslave. C'est bien parce que les autres Etats eu­ropéens, ainsi que les Etats-Unis, étaient opposés à cette offensive allemande qu'ils ont directement, ou indirectement par leur immobi­lisme, encouragé la Serbie et ses milices à déchaîner la « purification ethnique » au nom de la «défense des minorités». En fait, l'ex-Yougoslavie constitue une sorte de résumé, une illustration parlante et tragique de l'ensemble de la situation mondiale dans le domaine des conflits impérialistes.

3)   En premier lieu, les affronte­ments qui ravagent aujourd'hui cette partie du monde sont une nouvelle confirmation de la totale irrationalité économique de la guerre impérialiste. Depuis long­temps, et à la suite de la « Gauche communiste de France », le CCI a relevé la différence fondamentale opposant les guerres de la période ascendante du capitalisme, qui avaient une réelle rationalité pour le développement de ce système, et celles de la période de décadence qui ne font qu'exprimer la totale absurdité économique d'un mode de production à l'agonie. Si l'aggravation des antagonismes impérialistes a comme cause ultime la fuite en avant de toutes les bour­geoisies nationales placées devant l'impasse totale de l'économie ca­pitaliste, les conflits guerriers ne sauraient apporter la moindre « solution » à la crise, aussi bien pour l'ensemble de l'économie mondiale que pour celle d'un quel­conque pays en particulier. Comme le notait déjà Internatio­nalisme en 1945, ce n'est plus la guerre qui est au service de l'économie, mais bien l'économie qui s'est mise au service de la guerre et de sa préparation. Et ce phénomène n'a fait que s'amplifier depuis. Dans le cas de l'ex-Yougoslavie, aucun des protagonistes ne peut espérer le moindre profit éco­nomique de son implication dans le conflit. C'est évident pour la tota­lité des Républiques qui se font la guerre à l'heure actuelle : les des­tructions massives des moyens de production et de la force de travail, la paralysie des transports et de l'activité productive, l'énorme ponction que représentent les ar­mements au détriment de l'économie locale ne vont bénéfi­cier à aucun des nouveaux Etats en présence. De même, contrairement à l'idée qui a eu cours même au sein du milieu politique proléta­rien, cette économie totalement ravagée ne pourra en aucune façon constituer un quelconque marché solvable pour la production excédentaire des pays industrialisés. Ce ne sont pas des marchés que les grandes puissances se disputent sur le territoire de l'ex-Yougoslavie mais des positions stratégiques destinées à préparer ce qui est de­venu la principale activité du capitalisme décadent : la guerre impé­rialiste à une échelle toujours plus vaste.

4) La situation dans l'ex-Yougoslavie vient également confirmer un point que le CCI avait souligné de­puis longtemps :la   fragilité   de l'édifice européen. Celui-ci, avec ses différentes institutions (l'Orga­nisation Européenne de Coopéra­tion Economique chargée d'administrer le plan Marshall et qui se transformera ultérieurement en l'OCDE, l'Union de l'Europe Occidentale fondée en 1949, la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier entrée en ac­tivité en 1952 et qui deviendra, cinq ans plus tard, la Communauté Economique Européenne) s'était constitué essentiellement comme instrument du bloc américain face à la menace du bloc russe. L'intérêt commun des différents Etats d'Europe occidentale face à cette menace (qui n'excluait pas la tenta­tive de certains d'entre eux, comme la France de De Gaulle, de limiter l'hégémonie américaine) avait constitué un facteur puissant de stimulation de la coopération, no­tamment économique, entre ces Etats. Une telle coopération n'avait pas été en mesure de sur­ monter les rivalités économiques entre eux, résultat qui ne peut être atteint dans le capitalisme, mais avait permis l'instauration d'une certaine « solidarité » face à la concurrence commerciale du Ja­pon et des Etats-Unis. Avec l'effondrement du bloc de l'Est, les bases de l'édifice européen se sont trouvées bouleversées. Désormais, l'Union Européenne, que le traité de Maastricht de la fin 1991 a fait succéder à la CEE, ne saurait plus  être considérée comme un instru­ment d'un bloc occidental qui a lui même cessé d'exister. Au contraire, cette structure est deve­nue le champ clos des antago­nismes impérialistes que la dispari­tion de l'ancienne configuration du monde a mis au premier plan ou fait surgir. C'est bien ce que les affrontements en Yougoslavie ont mis en évidence lorsqu'on a vu s'étaler la profonde division des Etats européens incapables de mettre en oeuvre la moindre poli­ tique commune face à un conflit qui se développait à leur porte. Aujourd'hui, même si « l'Union eu­ropéenne » peut encore être mise à profit par l'ensemble de ses parti­cipants comme rempart contre la concurrence commerciale du Ja­pon et des Etats-Unis ou comme instrument contre l'immigration et contre les combats de la classe ou­vrière, sa composante diploma­tique et militaire fait l'objet d'une dispute qui ne pourra aller qu'en s'exacerbant entre ceux (particulièrement la France et l'Allemagne) qui veulent lui faire jouer un rôle comme structure ca­pable de rivaliser avec la puissance américaine (préparant la constitu­tion d'un futur bloc impérialiste) et les alliés des Etats-Unis (essentiellement la Grande-Bre­tagne et les Pays-Bas) qui conçoi­vent leur présence dans les instances de décision comme moyen de réfréner une telle tendance. ([1])

5) L'évolution du conflit dans les Balkans est venue également illus­trer une des autres caractéristiques de la situation mondiale : les en­traves sur le chemin de la reconsti­tution d'un nouveau système de blocs impérialistes. Comme le CCI l'a souligné dès la fin de 1989, la tendance vers un tel système a été mise à l'ordre du jour dès que l'ancien a disparu avec l'effondrement du bloc de l'Est. L'émergence d'un candidat à la direction d'un nouveau bloc impé­rialiste, rivalisant avec celui qui se­rait dirigé par les Etats-Unis, s'est rapidement confirmée avec l'avancée des positions de l'Allemagne en Europe centrale et dans les Balkans alors que la li­berté de manoeuvre militaire et di­plomatique de ce pays était encore limitée par les contraintes héritées de sa défaite dans la seconde guerre mondiale. L'ascension de l'Allemagne s'est largement ap­puyée sur sa puissance économique et financière, mais elle a pu aussi bénéficier du soutien de son vieux complice au sein de la CEE, la France (action concertée par rap­port à l'Union européenne, créa­tion d'un corps d'armé commun, etc.). Cependant, la Yougoslavie a mis en relief toutes les contradic­tions qui divisent ce tandem : alors que l'Allemagne apportait un sou­ tien sans faille à la Slovénie et à la Croatie, la France a maintenu pendant une longue période une politique pro-serbe la faisant s'aligner, dans un premier temps, sur la position de la Grande-Bre­tagne et des Etats-Unis, ce qui a permis à cette puissance d'enfoncer un coin au sein de l'alliance privilégiée entre les deux principaux pays européens. Même si ces deux pays ont consacré des efforts particuliers à ce que le san­glant imbroglio yougoslave ne vienne pas compromettre leur co­opération (par exemple, le soutien de la Buba au Franc français à chacune des attaques de la spécula­tion contre ce dernier), il est de plus en plus clair qu'ils ne mettent  pas les mêmes espoirs dans leur al­liance. L'Allemagne, du fait de sa puissance économique et de sa po­sition géographique, aspire au lea­dership d'une « Grande Europe » qui ne serait elle-même que l'axe central d'un nouveau bloc impé­rialiste. Si elle est d'accord pour faire jouer un tel rôle à la structure européenne, la bourgeoisie fran­çaise, qui depuis 1870 a pu consta­ter la puissance de sa voisine de l'Est, ne veut pas se contenter de la place de second plan que celle-ci se propose de lui accorder dans leur alliance. C'est pour cela que la France n'est pas intéressée à un développement trop important de la puissance militaire de l'Allemagne (accès à la Méditerranée, acquisition de l'arme nu­cléaire, notamment) qui viendrait dévaloriser les atouts dont elle dis­ pose encore pour tenter de mainte­nir une certaine parité avec sa voi­sine dans la direction de l'Europe et à la tête de la contestation de l'hégémonie américaine. La ré­union de Paris du 11 mars entre Vance, Owen et Milosevic sous la présidence de Mitterrand, est ve­nue, une nouvelle fois, illustrer cette réalité. Ainsi, une des condi­tions pour que se reconstitue un nouveau partage du monde entre deux blocs impérialistes, l'accroissement très significatif des capacités militaires de l'Allemagne, porte avec elle la me­nace de difficultés sérieuses entre les deux pays européens qui sont candidats au leadership d'un nou­veau bloc. Le conflit dans l'ex-Yougoslavie est donc venu confirmer que la tendance vers la recons­titution d'un tel nouveau bloc, mise à l'ordre du jour par la disparition de celui de l'Est en 1989, n'était nullement assurée de parvenir à son terme : la situation géopoli­tique spécifique des deux bourgeoi­sies qui s'en font les principaux protagonistes vient encore s'ajouter aux difficultés générales propres à la période de décomposi­tion exacerbant le « chacun pour soi » entre tous les Etats.

6) Le conflit dans l’ex-Yougoslavie, enfin, vient confirmer une des autres caractéristiques majeures de la situation mondiale : les limites de l'efficacité de l'opération « Tempête du Désert » de 1991 des­tinée à affirmer le leadership des Etats-Unis sur le monde. Comme le CCI l'a affirmé à l'époque, cette opération de grande envergure n'avait pas comme principale cible le régime de Saddam Hussein ni même les autres pays de la périphé­rie qui auraient pu être tentés d'imiter l'Irak. Pour les Etats- Unis, ce qu'il s'agissait avant tout d'affirmer et de rappeler, c'était son rôle de « gendarme du monde » face aux convulsions découlant de l'effondrement du bloc russe et particulièrement d'obtenir l'obéissance de la part des autres puissances occidentales qui, avec la fin de la menace venue de l'Est, se sentaient pousser des ailes. Quelques mois à peine après la guerre du Golfe, le début des af­frontements en Yougoslavie est venu illustrer le fait que ces mêmes puissances, et particulièrement l'Allemagne, étaient bien détermi­nées à faire prévaloir leurs intérêts impérialistes au détriment de ceux des Etats-Unis. Depuis, ce pays, s'il a réussi à mettre en évidence l'impuissance de l'Union euro­péenne par rapport à une situation qui est de son ressort et le manque d'harmonie qui règne dans les rangs de cette dernière, y compris entre les meilleurs alliés que sont la France et l'Allemagne, n'est pas parvenu à contenir réellement l'avancée des autres impérialismes, particulièrement celui de ce dernier pays qui est, dans l'ensemble, parvenu à ses fins dans l'ex-Yougoslavie. Un tel échec est évidemment grave pour la première puissance mondiale puisqu'il ne peut que conforter la tendance de nombreux pays, sur tous les continents, à mettre à profit la nouvelle donne mondiale pour desserrer l'étreinte que leur a imposée l'Oncle Sam pendant des décennies. C'est pour cette raison que ne cesse de se dé­velopper l'activisme des Etats-Unis autour de la Bosnie après qu'ils aient fait étalage de leur force mili­taire avec leur massif et spectacu­laire déploiement « humanitaire » en Somalie et l'interdiction de l'espace aérien du sud de l'Irak.

7)   Cette dernière opération mili­taire, elle aussi, a confirmé un cer­tain nombre des réalités mises en évidence par le CCI auparavant. Elle a illustré le fait que la véritable cible visée par les Etats-Unis dans cette partie du monde n'est pas l'Irak, puisqu'elle a renforcé le ré­gime de Saddam Hussein tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, mais bien leurs « alliés » qu'elle a essayé, avec moins de succès qu'en 1991, d'entraîner une nouvelle fois (le troisième larron de « la coalition », la France, s'est contenté cette fois-ci d'envoyer des avions de recon­naissance). En particulier, elle a constitué un message en direction de l'Iran dont la puissance mili­taire montante s'accompagne du resserrement de ses liens avec certains pays européens, notamment la France. Cette opération est ve­nue confirmer également, puisque le Koweït n'était plus concerné, que la guerre du Golfe n'avait pas eu pour cause la question du prix du pétrole ou de la préservation par les Etats-Unis de leur « rente pétrolière » comme l'avaient af­firmé les gauchistes et même, à un moment donné, certains groupes du milieu prolétarien. Si cette puis­sance est intéressée à conserver et renforcer son emprise sur le Moyen-Orient et ses champs pé­troliers, ce n'est pas fondamenta­lement pour des raisons commer­ciales où strictement économiques. C'est avant tout pour être en me­sure, si le besoin s'en fait sentir, de priver ses rivaux japonais et euro­péens de leur approvisionnement d'une matière première essentielle pour une économie développée et plus encore pour toute entreprise militaire (matière première dont dispose d'ailleurs abondamment le principal allié des Etats-Unis, la Grande-Bretagne).

8)   Ainsi, les événements récents ont confirmé que, face à une exacerbation du chaos mondial et du « chacun pour soi » et à la mon­tée en force de ses nouveaux rivaux impérialistes, la première puissance mondiale devra, de façon croissance, faire usage de la force militaire pour préserver sa supré­matie. Les terrains potentiels d'affrontement ne manquent pas et ne font que se multiplier. Dès à présent, le sous-continent indien, dominé par l'antagonisme entre le Pakistan et l'Inde, se trouve de plus en plus concerné, comme en té­moignent par exemple les affron­tements dans ce dernier pays entre communautés religieuses qui, s'il sont bien un témoignage de la dé­composition, sont attisés par cet antagonisme. De même, l'Extrême-Orient est aujourd'hui le théâtre de manoeuvres impéria­listes de grande envergure comme, en particulier, le rapprochement entre la Chine et le Japon (scellé par la visite à Pékin, pour la pre­mière fois de l'histoire, de l'Empereur de ce dernier pays). Il est plus que probable que cette configuration des lignes de forces impérialistes ne fera que se confir­mer dans la mesure où :

  • il ne subsiste plus de contentieux entre la Chine et le Japon ;
  • chacun de ces deux pays conserve un contentieux avec la Russie (tracé de la frontière russo-chi­noise, question des Kouriles) ;
  • s'accroît la rivalité entre les Etats-Unis et le Japon autour de l'Asie du Sud-Est et du Pacifique ;
  • la Russie est «condamnée», même si cela attise la résistance des « conservateurs » contre Elt­sine, à l'alliance américaine du fait même de l'importance de ses armements atomiques (dont les Etats-Unis ne peuvent tolérer qu'ils puissent passer au service d'une autre alliance).

Les antagonismes mettant aux prises la première puissance mon­diale et ses ex-alliés n'épargnent même pas le continent américain où les tentatives répétées de coup d'Etat contre Carlos Andres Perez au Venezuela aussi bien que la constitution de la NAFTA, au delà de leurs causes ou implications économiques et sociales, ont pour objet de faire pièce aux visées et à l'accroissement de l'influence de certains Etats européens. Ainsi, la perspective mondiale sur le plan des tensions impérialistes se carac­térise par une montée inéluctable de celles-ci avec une utilisation croissante de la force militaire par le Etats-Unis, et ce n'est pas la ré­cente élection du démocrate Clinton à la tête de ce pays qui saurait inverser une telle tendance, bien au contraire. Jusqu'à présent, ces ten­sions se sont développées essen­tiellement comme retombées de l'effondrement de l'ancien bloc de l'Est. Mais, de plus en plus, elles seront encore aggravées par la plongée catastrophique dans sa crise mortelle de l'économie capi­taliste.

L'évolution de la crise économique

9) L'année 1992 s'est caractérisée par une aggravation considérable de la situation de l'économie mon­diale. En particulier, la récession ouverte s'est généralisée pour at­ teindre des pays qu'elle avait épar­gné dans un premier temps, tel la France, et parmi les plus solides comme l'Allemagne et même le Ja­pon. Si l'élection de Clinton repré­sente la poursuite, et même le ren­forcement, de la politique de la première puissance mondiale sur l'arène impérialiste, elle symbolise la fin de toute une période dans l'évolution de la crise et des poli­ tiques bourgeoises pour y faire face. Elle prend acte de la faillite définitive des « reaganomics » qui avaient suscité les espoirs les plus fous dans les rangs de la classe do­minante et de nombreuses illusions parmi les prolétaires. Aujourd'hui, dans les discours bourgeois, il ne subsiste plus la moindre référence aux mythiques vertus de la « dérégulation » et du « moins d'Etat». Même des hommes poli­ tiques appartenant aux forces poli­ tiques qui s'étaient faites les apôtres des « reaganomics », tel Major en Grande-Bretagne, ad­ mettent, face à l'accumulation des difficultés de l'économie, la néces­sité de « plus d'Etat » dans celle-ci.

10)  Les « années Reagan », prolon­gées par les « années Bush », n'ont nullement représenté une inversion de la tendance historique, propre à la décadence capitaliste, de ren­forcement du capitalisme d'Etat. Pendant cette période, des mesures comme l'augmentation massive des dépenses militaires, le sauvetage du système de caisses d'épargne par l'Etat fédéral (qui représente un prélèvement de 1000 milliards de dollars dans son budget) ou la baisse volontariste des taux d'intérêt en dessous du niveau de l'inflation ont représenté un ac­croissement significatif  de l'intervention de  l'Etat dans l'économie  de  la première puis­sance mondiale. En fait, quels que soient les thèmes idéologiques em­ployés, quelles que soient les mo­dalités, la bourgeoisie ne peut jamais, dans  la période de décadence, renoncer à faire  appel  à l'Etat  pour  rassembler  les  morceaux d'une économie qui tend à l'éclatement, pour tenter de tricher avec les lois capitalistes (et c'est la seule instance qui puisse le faire, notamment  par  l'usage de la à planche à billets). Cependant, avec :

  • la nouvelle aggravation de la crise économique mondiale ;
  • le niveau critique atteint par le délabrement de certains secteurs cruciaux de l'économie américaine (systèmes de santé et d'éducation, infrastructures et équipements, recherche,...) favorisé par la politique « libérale » forcenée de Reagan et compagnie ;
  • l'explosion surréaliste de la spéculation au détriment des investissements productifs également encouragée par les « reaganomics » ;

L'Etat fédéral ne pouvait échapper à une intervention beaucoup plus ouverte, à visage découvert, dans  cette économie. En ce sens, la signification de l'arrivée du démocrate Clinton à la tête de l'exécutif américain ne saurait être réduite à de  seuls  impératifs  idéologiques. Ces impératifs ne sont pas négli­geables, notamment en vue de fa­voriser une plus grande adhésion de l'ensemble de la population des Etats-Unis à la politique impéria­liste de la bourgeoisie de ce pays. Mais, beaucoup plus fondamenta­lement, le « New Deal » de Clinton signale la nécessité d'une réorien­tation significative de la politique de cette bourgeoisie, une réorienta­tion que Bush, trop lié à la poli­tique précédente, était mal placé pour mettre en oeuvre.

11) Cette réorientation politique, contrairement aux promesses du candidat Clinton, ne saurait re­mettre en cause la dégradation des conditions de vie de la classe ou­vrière, qu'on qualifie de « classe moyenne » pour les besoins de la propagande. Les centaines de mil­liards de dollars d'économies an­noncées par Clinton fin février 1993, représentent un accroisse­ment   considérable   de   l'austérité destinée à soulager l'énorme déficit fédéral et à améliorer la compétiti­vité de la production US sur le marché mondial. Cependant, cette politique se confronte à des limites infranchissables. La réduction du déficit budgétaire, si elle est effec­tivement réalisée, ne pourra qu'accentuer les tendances au ra­lentissement de l'économie qui avait été dopée par ce même déficit pendant près d'une décennie. Un tel ralentissement, en réduisant les recettes fiscales (malgré l'augmentation prévue des impôts) conduira à aggraver encore ce défi­cit. Ainsi, quelles que soient les mesures appliquées, la bourgeoisie américaine se trouve confrontée à une impasse : en lieu et place d'une relance de l'économie et d'une ré­duction de son endettement (et particulièrement celui de l'Etat), elle est condamnée, à une échéance qui ne saurait être reportée bien longtemps, à un nouveau ralentis­sement de l'économie et à une aggravation irréversible de l'endettement.

12) L'impasse dans laquelle est placée l'économie américaine ne fait qu'exprimer celle de l'ensemble de l'économie mondiale. Tous les pays sont enserrés de façon crois­sante dans un étau dont les mâ­choires ont pour nom chute de la production  et explosion de l'endettement (et particulièrement celui de l'Etat). C'est la manifesta­tion éclatante de la crise de sur­production irréversible dans la­quelle s'enfonce le mode de pro­duction capitaliste depuis plus de deux  décennies. Successivement, l'explosion de l'endettement du « tiers-monde », après la récession mondiale de 1973-74, puis l'explosion de la dette américaine (tant interne qu'externe), après celle de 1981-82, avaient permis à l'économie mondiale de limiter les manifestations directes, et surtout de masquer  l'évidence, de cette surproduction. Aujourd'hui, les mesures draconiennes que se pro­pose d'appliquer la bourgeoisie US signent la mise au rebut définitive de la « locomotive » américaine qui avait tiré l'économie mondiale dans les années 1980. Le marché interne des Etats-Unis se ferme de plus en plus, et de façon irréver­sible. Et si ce n'est pas grâce à une meilleure compétitivité des mar­chandises made in US, ce sera à travers une montée sans précédent du protectionnisme dont Clinton, dès son arrivée, a donné un avant goût (augmentation des droits sur les produits agricoles, l'acier, les avions, fermeture des marchés pu­blics,...). Ainsi, la seule perspec­tive qui puisse attendre le marché mondial est celle d'un rétrécisse­ment croissant et irrémédiable. Et cela d'autant plus qu'il est confronté à une crise catastro­phique du crédit symbolisée par les faillites bancaires de plus en plus nombreuses : à force d'abuser d'une façon délirante de l'endettement, le système financier international se trouve au bord de l'explosion, explosion qui condui­rait à précipiter de façon apocalyp­tique l'effondrement des marchés et de la production.

13) Un autre facteur venant aggra­ver l'état de l'économie mondiale est le chaos grandissant qui se dé­veloppe dans les relations interna­tionales. Lorsque le monde vivait sous la coupe des deux géants im­périalistes, la nécessaire discipline que devaient respecter les alliés au sein de chacun des blocs ne s'exprimait pas seulement sur le plan militaire et diplomatique, mais aussi sur le plan économique. Dans le cas du bloc occidental, c'est à travers des structures comme l'OCDE, le FMI, le G7 que les alliés, qui étaient en même temps les principaux pays avancés, avaient établi, sous l'égide du chef de file américain, une coordination de leurs politiques économiques et un modus vivendi pour contenir leurs rivalités commerciales. Au­jourd'hui, la disparition du bloc occidental, faisant suite à l'effondrement de celui de l'Est, a porté un coup décisif à cette co­ordination (même si se sont main­tenues les anciennes structures) et laisse le champ libre à l'exacerbation du « chacun pour soi » dans les relations écono­miques. Concrètement, la guerre commerciale ne peut que se dé­chaîner encore plus, venant aggra­ver les difficultés et l'instabilité de l'économie mondiale qui se trou­vent à son origine. C'est bien ce que manifeste la paralysie actuelle dans les négociations du GATT. Celles-ci avaient officiellement pour objet de limiter le protection­nisme entre les « partenaires » afin de favoriser les échanges mondiaux et donc la production des diffé­rentes économies nationales. Le fait que ces négociations soient de­venues une foire d'empoigne,  où les antagonismes impérialistes se superposent aux simples rivalités commerciales, ne peut que provo­quer l'effet inverse : une plus grande désorganisation encore de ces échanges, des difficultés ac­crues pour les économies natio­nales.

14) Ainsi, la gravité de la crise a at­teint, avec l'entrée dans la dernière décennie du siècle, un degré quali­tativement supérieur à tout ce que le capitalisme avait connu jusqu'à présent. Le système financier mon­dial marche au bord du précipice au risque permanent et croissant d'y sombrer. La guerre commer­ciale va se déchaîner à une échelle jamais vue. Le capitalisme ne pourra trouver de nouvelle « locomotive » pour remplacer la locomotive américaine désormais hors d'usage. En particulier, les marchés pharamineux qu'étaient sensés représenter les pays ancien­nement dirigés par des régimes staliniens n'auront jamais existé que dans l'imagination de quelques secteurs de la classe dominante (et aussi dans celle de certains groupes du milieu prolétarien). Le déla­brement sans espoir de ces écono­mies, le gouffre sans fond qu'elles représentent pour toute tentative d'investissement se proposant de les redresser, les convulsions poli­tiques qui agitent la classe domi­nante et qui viennent encore am­plifier la catastrophe économique, tous ces éléments indiquent qu'elles sont en train de plonger dans une situation semblable à celle du Tiers-monde, que loin de pouvoir constituer un ballon d'oxygène pour les économies les plus développées, elles deviendront un fardeau croissant pour elles. Enfin, si, dans ces dernières, l'inflation a quelque chance d'être contenue, comme c'est la cas jusqu'à présent, cela ne traduit au­cunement un quelconque dépasse­ment des difficultés économiques qui se trouvaient à son origine. C'est au contraire l'expression de la réduction dramatique des mar­chés qui exerce une puissante pres­sion à la baisse sur le prix des mar­chandises. La perspective de l'économie mondiale est donc à une chute croissante de la produc­tion avec la mise au rebut d'une part toujours plus importante du capital investi (faillites en chaîne, désertification industrielle, etc.) et une réduction drastique du capital variable, ce qui signifie, pour la classe ouvrière, outre des attaques accrues contre tous les aspects du salaire, des licenciements massifs, une montée sans précédent du chômage.

Les perspectives du combat de classe

15) Les attaques capitalistes de tous ordres qui se déchaînent au­jourd'hui, et qui ne peuvent que s'amplifier, frappent un prolétariat qui a été sensiblement affaibli au cours des trois dernières années, un affaiblissement qui a affecté aussi tien sa conscience que sa combati­vité.

C’est l'effondrement des régimes staliniens d'Europe et la disloca­tion de l'ensemble du bloc de l'Est à la fin de 1989, qui a constitué le facteur  essentiel  de recul de la conscience dans le prolétariat. L'identification, par tous les secteurs bourgeois, pendant un demi-siècle, de ces régimes au « socialisme », le fait que ces régimes ne soient pas tombés sous les coups de la lutte de classe ouvrière mais à la suite d'une implosion de leur économie, a permis le déchaînement de campagnes massives sur la « mort du communisme », sur la «victoire définitive de l'économie libérale» et de la «démocratie», sur la  perspective  d'un  « nouvel ordre mondial » fait de paix,  de prospérité et de respect du Droit. Si la très grande majorité des prolé­taires des grandes concentrations industrielles avait  cessé,   depuis longtemps, de se faire des illusions sur les prétendus « paradis socia­listes», la disparition sans gloire des régimes staliniens a toutefois porté un coup décisif à l'idée qu'il pouvait exister autre chose sur la terre  que  le  système  capitaliste, que l'action du prolétariat pouvait conduire à une alternative à ce sys­tème.  Et une telle  atteinte  à la conscience dans la classe s'est trouvée encore aggravée par l'explosion de l'URSS, à la suite du putsch manqué d'août  1991, une explosion qui touchait le pays qui avait été le théâtre de la révolution prolétarienne au début du siècle.

D'autre part, la crise du Golfe à partir de l'été 1990, l'opération « Tempête du désert » au début 1991, ont engendré un profond sen­timent d'impuissance parmi les prolétaires qui se sentaient totalement incapables d'agir ou de peser par rapport à des événements dont ils étaient conscients de la gravité, mais qui restaient du ressort exclu­sif de « ceux d'en haut ». Ce senti­ment a puissamment contribué à affaiblir la combativité ouvrière dans un contexte où cette combati­vité avait déjà été altérée, bien que de façon moindre, par les événe­ments de l'Est, l'année précédente. Et cet affaiblissement de la comba­tivité a été encore aggravé par l'explosion de l'URSS, deux ans après l'effondrement de son bloc, de même que par le développement au même moment des affronte­ments dans l’ex-Yougoslavie.

16) Les événements qui se sont pré­cipités après l'effondrement du bloc de l'Est, en apportant sur toute une série de questions un dé­menti aux campagnes bourgeoises de 1989, ont contribué à saper une partie des mystifications dans lesquelles avait été plongée la classe ouvrière. Ainsi, la crise et la guerre du Golfe ont commencé à porter des coups décisifs aux illusions sur l'instauration d'une « ère de paix » que Bush avait annoncée lors de l'effondrement du rival impérialiste de l'Est. En même temps, le com­portement barbare de la « grande démocratie » américaine et de ses acolytes, les massacres perpétrés contre les soldats irakiens et les populations civiles ont participé à démasquer les mensonges sur la « supériorité » de la démocratie, sur la victoire du « droit des nations » et des « droits de l'homme ». Enfin, l'aggravation catastrophique de la crise, la récession ouverte, les fail­lites, les pertes enregistrées par les entreprises considérées comme les plus prospères, les licenciements massifs dans tous les secteurs et particulièrement dans ces entre­prises, la montée inexorable du chômage, toutes ces manifestations des contradictions insurmontables que  rencontre  l'économie capitaliste sont en train de régler leur compte aux mensonges sur la « prospérité » du système  capita­liste, sur sa capacité à surmonter les difficultés qui avaient englouti son prétendu rival « socialiste ». La classe ouvrière n'a pas encore di­géré l'ensemble des coups qui avaient été portés à sa conscience dans  la  période  précédente.   En particulier, l'idée qu'il peut exister une alternative au capitalisme ne découle pas automatiquement du constat croissant de la faillite de ce système et peut très bien déboucher sur le désespoir. Mais, au sein de la classe, les conditions d'un rejet des mensonges bourgeois, d'un ques­tionnement en profondeur sont en train de se développer.

17) Cette réflexion dans la classe ouvrière prend place à un moment où l'accumulation des attaques ca­pitalistes et leur brutalité crois­sante l'obligent à secouer la tor­peur qui l'avait envahie pendant plusieurs années. Tour à tour :

  • l'explosion de combativité ou­vrière en Italie durant l'automne 1992 (une combativité qui, de­puis, ne s'est jamais complète­ment éteinte) ;
  • à un degré moindre mais signifi­catif, les manifestations massives des ouvriers anglais durant la même période, à l'annonce de la fermeture de la plupart des mines ;
  • la combativité exprimée par les prolétaires d'Allemagne à la fin de l'hiver suite à des licenciements massifs, notamment dans ce qui constitue un des symboles de l'industrie capitaliste, la Ruhr;
  • d'autres manifestations de com­bativité ouvrière, de moindre en­vergure mais qui se sont multi­pliées dans plusieurs pays d'Europe, notamment en Es­pagne, face à des plans d'austérité de plus en plus draconiens ; sont venues mettre en évidence que le prolétariat était en train de des­ serrer l'étau qui l'étreignait depuis le début des années 1990, qu'il se libérait de la paralysie qui l'avait contraint de subir sans réaction les attaques portées dès ce moment-là par la bourgeoisie. Ainsi, la situa­tion présente se distingue fonda­mentalement de celle qui avait été mise en évidence au précédent congrès du CCI lorsqu'il avait constaté que : «... les appareils de gauche de la bourgeoisie ont tenté déjà depuis plusieurs mois de lancer des mouvements de lutte prématurés afin d'entraver cette réflexion [au sein du prolétariat] et de semer un surcroît de confusion dans les rangs ouvriers. ». En particulier, l'ambiance d'impuissance qui pré­dominait alors parmi la majorité des prolétaires, et qui favorisait les manoeuvres bourgeoises visant à provoquer des luttes minoritaires destinées à s'enliser dans l'isolement, tend de plus en plus à laisser la place à la volonté d'en découdre avec la bourgeoisie, de répliquer avec détermination à ses attaques.

18) Ainsi, dès à présent, le proléta­riat des principaux pays industria­lisés est en train de redresser la tête confirmant ce que le CCI n'a cessé d'affirmer : « le fait que la classe ouvrière détient toujours entre ses mains les clés de l’avenir» (Résolution du 9e Congrès du CCI) et qu'il avait annoncé avec confiance : « ... c'est bien parce que le cours historique n'a pas été ren­versé, parce que la bourgeoisie n'a pas réussi avec ses multiples cam­pagnes et manoeuvres à infliger une défaite décisive au prolétariat des pays avancés et à l'embrigader der­rière ses drapeaux, que le recul subi par ce dernier, tant au niveau de sa conscience que de sa combativité, sera nécessairement surmonté. » ((Résolution du 29 mars 1992, Revue Internationale n°70). Cependant, cette reprise du combat de classe s'annonce difficile. Les premières tentatives faites par le prolétariat depuis l'automne 1992 mettent en évidence qu'il subit encore le poids du recul. En bonne partie, 'expérience, les leçons acquises au cours des luttes du milieu des an­nées 1980, n'ont pas encore été réappropriés par la grande majorité des ouvriers. En revanche, la bour­geoisie a, dès maintenant, fait la preuve qu'elle avait tiré les ensei­gnements des combats précédents :

  • en organisant, depuis un long moment, toute une série de cam­pagnes destinées à faire perdre aux ouvriers leur identité de classe, particulièrement des cam­pagnes anti-fascistes et anti-ra­cistes de même que des cam­pagnes visant à leur bourrer le crâne avec le nationalisme ;
  • en prenant rapidement, grâce aux syndicats, les devants des expres­sions de combativité ;
  • en radicalisant le langage de ces organes d'encadrement de la classe ouvrière ;
  • en donnant d'emblée, là où c'était nécessaire comme en Italie, un rôle de premier plan au syndica­lisme de base ;
  • en organisant ou en préparant, dans un certain nombre de pays, le départ du gouvernement des partis « socialistes » afin de pouvoir mieux jouer la carte de la gauche dans l'opposition ;
  • en veillant à éviter, grâce à une planification internationale de ses attaques, un développement si­multané des luttes ouvrières dans les différents pays ;
  • en organisant un black-out systé­matique sur celles-ci.

De plus, la bourgeoisie s'est mon­trée capable d'utiliser le recul de la conscience dans la classe pour in­troduire de faux objectifs et reven­dications dans les luttes ouvrières (partage du travail, « droits syndi­caux», défense de l'entreprise, etc.).

19) Plus généralement, c'est en­core un long chemin qui attend le prolétariat avant qu'il ne soit ca­pable d'affirmer sa perspective révolutionnaire. Il devra déjouer les pièges classiques que toutes les forces de la bourgeoisie dispose­ront systématiquement sous ses pas. En même temps, il sera confronté à tout le poison que la décomposition du capitalisme fait pénétrer dans les rangs ouvriers, et que la classe dominante (dont les difficultés politiques liées à la dé­composition n'affectent pas sa ca­pacité de manoeuvre contre son ennemi mortel) utilisera de façon cynique :

  • l'atomisation, la « débrouille » in­dividuelle, le « chacun pour soi », qui tend à saper la solidarité et l'identité de classe et qui, même dans les moments de combativité, favorisera le corporatisme ;
  • le désespoir, le manque de pers­pective qui continuera de peser, même si la bourgeoisie ne pourra pas utiliser une nouvelle fois une occasion comme l'effondrement du stalinisme ;
  • le processus de lumpénisation ré­sultant d'une ambiance dans la­quelle le chômage massif et de longue duré tend à couper une partie significative des chômeurs, et particulièrement les plus jeunes, du reste de leur classe;
  • la montée de la xénophobie, y compris parmi des secteurs ou­vriers importants, facilitant gran­dement, en retour, les campagnes anti-racistes et anti-fascistes des­tinées non seulement à diviser la classe ouvrière, mais également à la ramener derrière la défense de l'Etat démocratique ;
  • les émeutes urbaines, qu'elles soient spontanées ou provoquées par la bourgeoisie (comme celles de Los Angeles au printemps 1992), qui seront utilisées par cette dernière pour tenter de dé­voyer le prolétariat de son terrain de classe ;
  • les différentes manifestations de la pourriture de la classe domi­nante, la corruption et la gangstérisation de son appareil politique, qui, s'ils sapent sa crédibilité aux yeux des ouvriers, favorisent en même temps les campagnes de di­version en faveur d'un Etat « propre » (ou « vert ») ;
  • l'étalage de toute la barbarie dans laquelle plonge non seulement le « tiers-monde » mais également une partie de l'Europe, comme l’ex-Yougoslavie, ce qui est ter­rain béni pour toutes les cam­pagnes « humanitaires » visant à culpabiliser les ouvriers, à leur faire accepter la dégradation de leurs propres conditions de vie, mais également à recouvrir d'un voile pudique et justifier les me­nées impérialistes des grandes puissances.

20) Ce dernier aspect de la situa­tion présente met en relief la com­plexité de la question de la guerre comme facteur dans la prise 3e conscience du prolétariat. Cette complexité a déjà été amplement analysée par les organisations communistes, et notamment par le CCI, dans le passé. Pour l'essentiel, elle consiste dans le fait que, si la guerre impérialiste constitue une des manifestations majeures de la décadence du capi­talisme, symbolisant en particulier l'absurdité d'un système à l'agonie et indiquant la nécessité de le renverser, son impact sur la conscience dans la classe ouvrière dépend étroitement des circonstances dans lesquelles elle se déchaîne. Ainsi, la guerre du Golfe, il y a deux ans, a apporté auprès des ouvriers des pays avancés (pays qui étaient pratiquement tous impli­qués dans cette guerre, directement ou indirectement) une contribution sérieuse au dépassement des illu­sions semées par la bourgeoisie l'année précédente participant ainsi à la clarification de la conscience du prolétariat. En re­vanche, la guerre dans l'ex-Yougoslavie n'a aucunement contribué à éclaircir la conscience dans le prolétariat, ce qui est confirmé par le fait que la bourgeoisie n'a pas éprouvé le besoin d'organiser des manifestations pacifistes alors que plusieurs pays avancés (comme la France et la Grande-Bretagne) ont, dès à présent, envoyé des milliers d'hommes sur le terrain. Et il en est de même de l'intervention massive du gendarme US en Somalie. Il apparaît ainsi que, lorsque le jeu sordide de l'impérialisme peut se dissimuler derrière les paravents « humanitaires », c'est-à-dire tant qu'il lui est permis de présenter ses interventions guerrières comme destinées à soulager l'humanité des calamités résultant de la décomposition capitaliste, il ne peut pas, dans la période actuelle, être mis à profit par les grandes masses ou­vrières pour renforcer leur conscience et leur détermination de classe. Cependant, la bourgeoi­sie ne pourra pas en toutes circons­tances dissimuler le visage hideux de sa guerre impérialiste derrière le masque des «bons sentiments». L'inéluctable aggravation des an­tagonismes entre les grandes puis­sances, en contraignant celles-ci, même en l'absence de prétexte « humanitaire » (comme on l'a déjà vu avec la guerre du Golfe), à des interventions de plus en plus di­rectes, massives et meurtrières (ce qui constitue, en fin de compte, une des caractéristiques majeures de toute la période de décadence du capitalisme), tendra à ouvrir les yeux des ouvriers sur les véritables enjeux de notre époque. Il en est de la guerre comme des autres mani­festations de l'impasse historique du système capitaliste : lorsqu'elles relèvent spécifiquement de la dé­ composition de ce système, elles se présentent aujourd'hui comme un obstacle à la prise de conscience dans la classe ; ce n'est que comme manifestation générale de l'ensemble de la décadence qu'elles peuvent constituer un élément positif dans cette prise de conscience. Et cette potentialité tendra à deve­nir de plus en plus réalité à mesure que la gravité de la crise et des at­taques  bourgeoises,   ainsi  que le développement des luttes ouvrières, permettront aux masses prolétariennes d'identifier le lien qui unit l'impasse économique du capitalisme et sa plongée dans la barbarie guerrière.

21) Ainsi, l'évidence de la crise mortelle du mode de production capitaliste, manifestation première de sa décadence, les terribles conséquences qu'elle aura pour tous les secteurs de la classe ou­vrière, la nécessité pour celle-ci de développer, contre ces consé­quences, les luttes dans lesquelles elle recommence à s'engager, vont constituer un puissant facteur dans sa prise de conscience. L'aggravation de la crise fera de plus en plus l'évidence qu'elle ne découle pas d'une « mauvaise ges­tion», que les bourgeois « vertueux » et les Etats « propres » sont aussi incapables que les autres de la surmonter, qu'elle exprime l'impasse mortelle de tout le capi­talisme. Le déploiement massif des combats ouvriers constituera un puissant antidote contre les effets délétères de la décomposition, permettant de surmonter progressivement, par la solidarité de classe que ces combats impliquent, l'atomisation, le « chacun pour soi » et toutes les divisions qui pè­sent sur le prolétariat : entre caté­gories, branches d'industrie, entre immigrés et nationaux, entre chômeurs et ouvriers au travail. En particulier, si, du fait du poids de la décomposition, les chômeurs n'ont pu, au cours de la décennie passée, et contrairement aux an­nées 1930, entrer dans la lutte (sinon de façon très ponctuelle), s'ils ne pourront jouer un rôle d'avant garde comparable à celui des soldats dans la Russie de 1917 comme on aurait pu le prévoir, le développement massif des luttes prolétariennes leur permettra, no­tamment dans les manifestations de rue, de rejoindre le combat gé­néral de leur classe, et cela d'autant plus que, parmi eux, la proportion de ceux qui ont déjà une expérience du travail associé et de la lutte sur le lieu de travail ne pourra aller qu'en croissant. Plus généralement, si le chômage n'est pas un problème spécifique des sans travail mais bien une question affectant et concernant toute la classe ouvrière, notamment en ce qu'il constitue une manifestation tragique et évidente de la faillite historique du capitalisme, c'est bien ces mêmes combats à venir qui permettront à l'ensemble du prolétariat d'en prendre pleine­ment conscience.

22) C'est aussi,  et fondamentale­ment, à travers ces combats face aux attaques incessantes contre ses conditions de vie que le prolétariat devra surmonter les séquelles de l'effondrement du stalinisme qui a porté un coup d'une telle violence à son appréhension de sa perspec­tive, à sa conscience qu'il existe une alternative révolutionnaire à la société capitaliste moribonde. Ces combats « redonneront confiance à la classe ouvrière, lui rappelleront qu'elle constitue, dès à présent, une force considérable dans la société et permettront à une masse croissante d'ouvriers de se tourner de nouveau vers la perspective du renversement du capitalisme » (Résolution du 29 mars 1992). Et plus cette perspective sera présente dans la conscience ouvrière, plus la classe disposera d'atouts pour déjouer les pièges bourgeois, pour développer pleinement ses luttes, pour les prendre efficacement en mains, les étendre et les généraliser. Pour dé­velopper cette perspective,  la classe  n'a  pas  seulement pour tâche de se remettre de la désorientation subie dans la dernière pé­riode et de se réapproprier les le­çons de ses combats des années 1980 ; elle devra aussi renouer le fil historique de ses traditions com­munistes. L'importance centrale de ce développement de la conscience ne peut que souligner l'immense responsabilité qui repose sur la mi­norité révolutionnaire dans la pré­sente période. Les communistes doivent prendre une part active à tous les combats de classe afin d'en impulser les potentialités, de favo­riser au mieux la récupération de la conscience du prolétariat érodée !par l'effondrement du stalinisme, de contribuer à lui redonner confiance en lui-même et de mettre en évidence la perspective révolutionnaire que ces  combats contiennent implicitement. Cela va de pair avec la dénonciation de la barbarie militaire du capitalisme décadent et, plus globalement, la mise en garde contre la menace que ce système en décomposition fait peser sur la survie même de l'humanité. L'intervention déter­minée de l'avant garde communiste est une condition indispensable du succès définitif du combat de classe prolétarien.CCI, avril 1993.


[1] Il apparaît ainsi une nouvelle fois que les antagonismes impérialistes ne recouvrent pas automatiquement les rivalités commer­ciales, même si, avec l'effondrement du bloc de l'Est, la carte impérialiste mondiale d'aujourd'hui est plus proche que la précé­dente de la carte de ces rivalités, ce qui permet à un pays comme les Etats-Unis d'utiliser, notamment dans les négociations du GATT, sa puissance économique et commerciale comme instrument de chan­tage auprès de ses ex-alliés. De même que la CEE pouvait être à la fois un instrument du bloc impérialiste dominé par la puissance américaine tout en favorisant la concur­rence commerciale de ses membres contre cette dernière, des pays comme la Grande-Bretagne et les Pays-Bas peuvent très bien s'appuyer aujourd'hui sur l'Union euro­péenne pour faire valoir leurs intérêts com­merciaux face à cette puissance tout en se faisant les représentants de ses intérêts im­périalistes en Europe.

 

Vie du CCI: 

  • Résolutions de Congrès [19]

Récent et en cours: 

  • Crise économique [3]
  • Luttes de classe [4]

Qui peut changer le monde ? (2e partie) le prolétariat est toujours la classe révolutionnaire

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Dans la première partie de cet article nous avons dégagé les raisons pour lesquelles le prolé­tariat est la classe révolutionnaire au sein de la société capitaliste. Nous avons vu pourquoi c'est la seule force capable, en instau­rant une nouvelle société débar­rassée de l'exploitation et en mesure de satisfaire pleinement les besoins humains, de ré­soudre les contradictions inso­lubles qui minent le monde ac­tuel. Cette capacité du proléta­riat, mise en évidence depuis le siècle dernier, en particulier par la théorie marxiste, ne découle pas du simple degré de misère et d'oppression qu'il subit quoti­diennement. Elle repose encore moins, comme voudraient le faire dire au marxisme certains idéo­logues de la bourgeoisie, sur une quelconque « inspiration di­vine » faisant du prolétariat le « messie des temps mo­dernes ». Elle se base sur des conditions bien concrètes et matérielles : la place spécifique qu'occupe cette classe au sein des rapports de production ca­pitalistes, son statut de produc­teur collectif de l'essentiel de la richesse sociale et de classe ex­ploitée par ces mêmes rapports de production. Cette place au sein du capitalisme ne lui permet pas, contrairement aux autres classes et couches exploitées qui subsistent dans la société (tels les petits paysans, par exemple), d'aspirer à un retour en arrière. Elle l'oblige, au contraire, à se tourner vers l'avenir, vers l'aboli­tion du salariat et l'édification de la société communiste.

Tous ces éléments ne sont pas nou­veaux, ils font partie du patrimoine classique du marxisme. Cependant, un des moyens les plus perfides par lesquels l'idéologie bourgeoise es­saye de détourner le prolétariat de son projet communiste, est de le convaincre qu'il est en voie de dis­parition, voire qu'il a déjà disparu. La perspective révolutionnaire au­rait eu un sens tant que les ouvriers industriels constituaient l'immense majorité des salariés, mais avec la réduction actuelle de cette catégo­rie, une telle perspective s'étein­drait d'elle-même. Il faut d'ailleurs reconnaître que ce type de discours n'a pas seulement un impact sur les ouvriers les moins conscients, mais aussi sur certains groupes qui se ré­clament du communisme. C'est une raison supplémentaire pour com­battre fermement de tels bavardages.

La prétendue « disparition » de la classe ouvrière

Les « théories » bourgeoises sur la « disparition du prolétariat » ont déjà une longue histoire. Pendant plusieurs décennies, elles se sont basées sur le fait que le niveau de vie des ouvriers connaissait une cer­taine amélioration. La possibilité pour ces derniers d'acquérir des biens de consommation qui, aupa­ravant étaient réservés à la bour­geoisie ou à la petite bourgeoisie, était sensée illustrer la disparition de la condition ouvrière. Déjà, à l'époque, ces "théories" ne te­naient pas debout : lorsque l'automobile, la télévision ou le ré­frigérateur deviennent, grâce à l'ac­croissement de la productivité du travail humain, des marchandises relativement bon marché, lorsque, en outre, ces objets se font indispensables de par l'évolution du cadre de vie qui est celui des ou­vriers ([1] [21]), le fait de les posséder ne signifie nullement qu'on se soit dé­gagé de la condition ouvrière ou même qu'on soit moins exploité. En réalité, le degré d'exploitation de la classe ouvrière n'a jamais été déterminé par la quantité ou la na­ture des biens de consommation dont elle peut disposer à un mo­ment donné. Depuis longtemps, Marx et le marxisme ont apporté une réponse à cette question : le pouvoir de consommation des sala­riés correspond au prix de leur force de travail, c'est-à-dire à la quantité de biens nécessaire à la reconstitution de cette dernière. Ce que vise le capitaliste, en versant un salaire à l'ouvrier, c'est de faire en sorte que celui-ci poursuive sa par­ticipation au processus productif dans les meilleures conditions de rentabilité pour le capital. Cela suppose que le travailleur, non seulement puisse se nourrir, se vê­tir, se loger, mais aussi se reposer et acquérir la qualification nécessaire à la mise en oeuvre de moyens de production en constante évolution.

C'est pour cela que l'instauration de congés payés et l'augmentation de leur durée, qu'on a pu constater au cours du 20e siècle dans les pays développés, ne correspondent nul­lement à une quelconque « philantropie » de la bourgeoisie. Elles sont rendues nécessaires par la formi­dable augmentation de la producti­vité du travail, et donc des ca­dences de celui-ci, comme de l'ensemble de la vie urbaine, qui caractérise cette même période. De même, ce qu'on nous présente comme une autre manifestation de sollicitude de la classe dominante, la disparition (relative) du travail des enfants et l'allongement de la scolarité, relève essentiellement (avant que ce dernier ne soit devenu aussi un moyen de masquer le chô­mage) de la nécessité, pour le capi­tal, de disposer d'une main d'oeuvre adaptée aux exigences de la production dont la technicité ne cesse de croître. D'ailleurs, dans «l'augmentation» du salaire tant vantée par la bourgeoisie, notam­ment depuis la seconde guerre mondiale, il faut prendre en consi­dération le fait que les ouvriers doi­vent entretenir leurs enfants pen­dant une durée beaucoup plus longue que par le passé. Lorsque les enfants allaient travailler à 12 ans ou moins, ils rapportaient pen­dant plus d'une dizaine d'années, avant qu'ils ne fondent un nouveau foyer, un revenu d'appoint dans la famille ouvrière. Avec une scolarité portée à 18 ans, un tel appoint dis­paraît pour l'essentiel. En d'autres termes, les « augmentations » sala­riales sont aussi, et en très grande partie, un des moyens par lesquels le capitalisme prépare la relève de la force de travail aux conditions nouvelles de la technologie.

En réalité, même si, pendant un certain temps, le capitalisme des pays les plus développés a pu don­ner l'illusion d'une réduction du ni­veau d'exploitation de ses salariés, ce n'était qu'une apparence. Dans les faits, le taux d'exploitation, c'est-à-dire le rapport entre la plus-value produite par l'ouvrier et le salaire qu'il reçoit ([2] [22]), n'a cessé de s'accroître. C'est pour cela que Marx parlait déjà d'une paupérisa­tion « relative » de la classe ouvrière comme tendance permanente au sein du capitalisme. Durant ce que la bourgeoisie a baptisé « les trente glorieuses» (les années de relative prospérité du capitalisme corres­pondant à la reconstruction du se­cond après-guerre), l'exploitation des ouvriers a augmenté de façon continue, même si cela ne se tradui­sait pas par une baisse de leur ni­veau de vie. Ceci dit, ce n'est plus de paupérisation simplement rela­tive qu'il est question aujourd'hui. Les « améliorations » du revenu des ouvriers ne sont plus de mises par les temps qui courent et la paupérisa­tion absolue, dont les chantres de l'économie bourgeoise avaient an­noncé la disparition définitive, a fait un retour en force dans les pays les plus « riches ». Alors que la poli­tique de tous les secteurs nationaux de la bourgeoisie, face à la crise, est de porter des coups brutaux au niveau de vie absolu des prolé­taires, par le chômage, la réduction drastique des prestations «socia­les » et même les baisses du salaire nominal, les bavardages sur la « so­ciété de consommation » et sur « l’embourgeoisement » de la classe ouvrière se sont éteints d'eux-mêmes. C'est pour cela que, main­tenant, le discours sur « l’extinction du prolétariat» a changé d'arguments et que, de plus en plus, il porte principalement sur les modi­fications qui affectent les diffé­rentes parties de la classe ouvrière et notamment sur la réduction des effectifs industriels, de la propor­tion des ouvriers « manuels » dans la masse totale des travailleurs sala­riés.

De tels discours reposent sur une grossière falsification du marxisme. Celui-ci n'a jamais identifié le pro­létariat avec le seul prolétariat in­dustriel ou « manuel » (les « cols bleus »). C'est vrai que, du temps de Marx, les plus gros bataillons de la classe ouvrière étaient constitués par les ouvriers dits «manuels». Mais, de tous temps, il a existé au sein du prolétariat des secteurs qui faisaient appel à une technologie sophistiquée ou à des connais­sances intellectuelles importantes. Par exemple certains métiers tradi­tionnels, tels que les pratiquaient les « compagnons », nécessitaient un long apprentissage. De même, des métiers comme correcteur d'imprimerie, faisaient appel à des études non négligeables assimilant ceux qui le pratiquaient à des «travailleurs intellectuels». Cela n'a pas empêché ce secteur du prolétariat de se trouver souvent à l'avant-garde des luttes ouvrières. En fait, l'opposition entre « cols bleus » et « cols blancs » correspond à un découpage comme les affec­tionnent les sociologues et leurs employeurs bourgeois et qui est destiné à diviser les rangs ouvriers. C'est d'ailleurs pour cela que cette opposition n'est pas nouvelle, la classe dominante ayant compris depuis longtemps l'intérêt qu'il pouvait y avoir pour elle de faire croire à beaucoup d'employés qu'ils n'appartiennent pas à la classe ouvrière. En réalité, l'appar­tenance à la classe ouvrière ne re­lève pas de critères sociologiques, et encore moins idéologiques : l'idée que se fait de sa condition tel ou tel prolétaire, ou même l'ensemble d'une catégorie de pro­létaires. Ce sont fondamentalement des critères économiques qui dé­terminent cette appartenance.

Les critères d'appartenance à la classe ouvrière

Fondamentalement, le prolétariat est la classe exploitée spécifique des rapports de production capita­listes. Il en découle, comme nous l'avons vu dans la première partie de cet article, les critères suivants : « A grands traits... le fait d'être privé de moyens de production et d'être contraint, pour vivre, de vendre sa force de travail à ceux qui les détiennent et qui mettent à profit cet échange pour s'accaparer une plus-value,  détermine l'appartenance à la   classe   ouvrière». Cependant, face à toutes les falsifications qui, de façon intéressée, ont été introduites sur cette question, il est nécessaire de préciser ces critères.

En premier lieu, il faut remarquer que, s'il est nécessaire d'être salarié pour  appartenir  à la classe  ou­vrière, ce n'est pas suffisant : sinon, les flics, les curés, certains PDG de grandes entreprises (en particulier ceux des entreprises publiques) et même les ministres seraient des ex­ploités et, potentiellement, des ca­marades de combat de ceux qu'ils répriment, abrutissent, font trimer ou qui ont un revenu dix ou cent fois moindre ([3] [23]). C'est pour cela qu'il est indispensable de signaler qu'une des caractéristiques du prolétariat est de produire de la plus-value. Cela signifie notamment deux choses : le revenu d'un prolétaire n'excède pas un certain niveau ([4] [24]) au delà duquel il ne peut provenir que de la plus-value extorquée à d'autres travailleurs ; un prolétaire est un producteur réel de plus-value et non pas un agent salarié du capital ayant pour fonction de faire régner l'ordre capitaliste parmi ces producteurs.

Ainsi, au sein du personnel d'une entreprise,   certains   cadres   techniques  (et  même  des   ingénieurs d'études) dont le salaire n'est pas éloigné de celui d'un ouvrier quali­fié, appartiennent à la même classe que ce dernier, alors que ceux dont le revenu s'apparente plutôt à celui du patron (même s'ils n'ont pas de rôle dans l'encadrement de la main-d'oeuvre) n'en font pas partie. De même, dans cette entreprise, tel ou tel «petit chef» ou « agent de sécu­rité», dont le salaire peut être moindre que celui d'un technicien ou même d'un ouvrier qualifié mais dont le rôle est celui d'un « kapo » du bagne industriel, ne peut pas être considéré comme appartenant au prolétariat.

D'un autre côté, l'appartenance à la classe ouvrière n'implique pas une participation directe et immé­diate à la production de plus value. L'enseignant qui éduque le futur producteur, l'infirmière -ou même le médecin salarié (dont il arrive maintenant que le revenu soit moindre que celui d'un ouvrier qualifié)- qui « répare » la force de travail des ouvriers (même si, en même temps, elle soigne aussi des flics, des curés ou des responsables syndicaux, voire des ministres) ap­partient incontestablement à la classe ouvrière au même titre qu'un cuisinier dans une cantine d'entreprise. Evidemment, cela ne veut pas dire que ce soit aussi le cas pour le mandarin de l'université ou pour l'infirmière qui s'est mise à son compte. Il est cependant né­cessaire de préciser que le fait que les membres du corps enseignant, y compris les instituteurs (dont la si­tuation économique n'est vraiment pas reluisante, en général), soient consciemment ou inconsciemment, volontairement ou non, des véhi­cules des valeurs idéologiques bourgeoises, ne les exclut pas de la classe exploitée et révolutionnaire, pas plus, non plus, que les ouvriers métallurgistes qui produisent des armes ([5] [25]). D'ailleurs on peut constater que, tout au long de l'histoire du mouvement ouvrier, les enseignants (particulièrement les instituteurs) ont fourni une quantité importante de militants révolutionnaires. De même, les ou­vriers des arsenaux de Kronstadt faisaient partie de l'avant-garde de la classe ouvrière lors de la révolu­tion russe de 1917.

Il faut également réaffirmer que la grande majorité des employés ap­partient aussi à la classe ouvrière. Si on prend le cas d'une administra­tion comme la poste, personne ne s'aviserait de prétendre que les mé­caniciens qui entretiennent les ca­mions postaux et ceux qui les conduisent, de même que ceux qui transbordent des sacs de courrier n'appartiennent pas au prolétariat. Partant de là, il n'est pas difficile de comprendre que leurs cama­rades qui distribuent les lettres ou qui travaillent derrière les guichets pour affranchir des colis ou payer des mandats se trouvent dans la même situation. C'est pour cela que les employés de banque, les agents des compagnies d'assuran­ce, les petits fonctionnaires des caisses de sécurité sociale ou des impôts, dont le statut est tout à fait équivalent à celui des précédents, appartiennent également à la classe ouvrière. Et on ne peut même pas arguer que ces derniers auraient des conditions de travail meilleures que celles des ouvriers de l'industrie, un ajusteur ou un fraiseur, par exemple. Travailler toute une jour­née derrière un guichet ou devant un écran d'ordinateur n'est pas moins pénible que d'actionner une machine-outil, même si on ne s'y salit pas les mains. En outre, ce qui constitue un des facteurs objectifs de la capacité du prolétariat, tant de mener sa lutte de classe, que de renverser le capitalisme, le carac­tère associé de son travail, n'est nullement remis en cause par les conditions modernes de la produc­tion. Au contraire, il ne cesse de s'accentuer.

De même, avec l'élévation du ni­veau technologique de la produc­tion, cette dernière fait appel à un nombre croissant de ce que la so­ciologie et les statistiques nomment les « cadres » (techniciens ou même ingénieurs) dont la plupart, comme on l'a signalé plus haut, voient ainsi leur statut social, et même leur re­venu, se rapprocher de celui des ouvriers qualifiés. Il ne s'agit nul­lement, dans ce cas, d'un phéno­mène de disparition de la classe ou­vrière au détriment des « couches moyennes» mais bien d'un phéno­mène de prolétarisation de celles-ci ([6] [26]). C'est pour cela que les discours sur la « disparition du prolétariat », qui résulterait du nombre croissant d'employés ou de « cadres » par rap­port au nombre d'ouvriers «ma­nuels» de l'industrie, n'ont d'autre fondement que de tenter de mysti­fier ou démoraliser les uns et les autres. Que les auteurs de ces dis­cours y croient ou non ne change rien à l'affaire : ils peuvent servir efficacement la bourgeoisie tout en étant des crétins incapables de se demander qui a fabriqué le stylo avec lequel ils écrivent leurs âneries.

La prétendue « crise » de la classe ouvrière

Pour démoraliser les ouvriers, la bourgeoisie ne met pas tous ses oeufs dans le même panier. C'est pour cela qu'à l'adresse de ceux qui ne marchent pas dans ses cam­pagnes sur la « disparition de la classe ouvrière » elle serine que cette dernière est «en crise». Et un des arguments qui se veut décisif pour faire la preuve de cette crise c'est la perte d'audience qu'ont subi les syndicats au cours des deux der­nières décennies. Dans le cadre de cet article, nous ne reviendrons pas sur notre analyse démontrant la na­ture bourgeoisie du syndicalisme sous toutes ses formes. En fait, c'est l'expérience quotidienne de la classe ouvrière, le sabotage systé­matique de ses luttes par les organi­sations qui prétendent la « défen­dre», qui se charge, jour après jour, de faire cette démonstration ([7] [27]). Et c'est justement cette expérience des ouvriers qui est la pre­mière responsable de leur rejet des syndicats. En ce sens, ce rejet n'est pas une «preuve» d'une quelconque crise de la classe ouvrière, mais au contraire, et avant tout, une manifestation d'une prise de conscience en son sein. Une illustration de ce fait, parmi des milliers, nous est donnée par l'attitude des ouvriers lors de deux mouvements de grande ampleur qui ont affecté le même pays, la France, à trois décennies d'intervalle. A la fin des grèves de mai-juin 1936, alors que nous nous trouvons au creux de la contre-révolution qui a suivi la vague révolu­tionnaire mondiale du premier après-guerre, les syndicats bénéfi­cient d'un mouvement d'adhésion sans précédent. En revanche, la fin de la grève généralisée de mai 1968, qui signe la reprise historique des combats de classe et la fin de cette période de contre-révolution, est marquée par de nombreuses démis­sions des syndicats, par des mon­ceaux de cartes déchirées.

L'argument de la désyndicalisation comme preuve des difficultés que peut rencontrer le prolétariat est un des plus sûrs indices de l'appartenance au camp bourgeois de celui qui l'utilise. Il en est exac­tement de même que pour la pré­tendue nature «socialiste» des ré­gimes staliniens. L'histoire a mon­tré, notamment avec la seconde guerre mondiale, l'ampleur des ra­vages sur les consciences ouvrières de ce mensonge promu par tous les secteurs de la bourgeoisie, de droite, de gauche et d'extrême gauche (staliniens et trotskistes). Ces dernières années, on a pu voir comment l'effondrement du stali­nisme a été utilisé comme «preuve » de la faillite définitive de toute perspective communiste. Le mode d'emploi du mensonge sur la « nature ouvrière des syndicats » est en bonne partie similaire : dans un premier temps, il sert à embrigader les ouvriers derrière l'Etat capita­liste ; dans un deuxième temps, on tente d'en faire un instrument pour les démoraliser et les désorienter. Il existe cependant une différence dans l'impact de ces deux men­songes : parce qu'elle ne résultait pas des luttes ouvrières, la faillite des régimes staliniens a pu être uti­lisée avec efficacité contre le prolétariat ; en revanche, le discrédit des syndicats résulte, pour l'essentiel, de ces mêmes luttes ouvrières, ce qui en limite grandement l'impact comme facteur de démoralisation. C'est bien pour cette raison, d'ailleurs, que la bourgeoisie a fait surgir un syndicalisme « de base » chargé de prendre la relève du syn­dicalisme traditionnel. C'est pour cette raison, également, qu'elle fait la promotion d'idéologues, aux al­lures plus «radicales», chargés de délivrer le même type de message.

C'est ainsi qu'on a pu voir fleurir, et promues dans la presse ([8] [28]), des analyses comme celles du sieur Alain Bihr, docteur en sociologie et auteur, entre autres, d'un livre inti­tulé : «Du grand soir à l'alternati­ve : la crise du mouvement ouvrier européen». En soi, les thèses de ce personnage ne présentent pas un grand intérêt. Cependant, le fait que celui-ci grenouille, depuis quelques temps, dans des milieux qui se réclament de la gauche communiste, lesquels, pour certains, n'ont pas peur de reprendre à leur compte (de façon « critique », évidemment) ses « analyses » ([9] [29]), nous incite à relever le danger que représentent ces dernières.

Monsieur Bihr se présente comme un « vrai » défenseur des intérêts ouvriers. C'est pour cela qu'il ne prétend pas que la classe ouvrière serait en voie de disparition. Au contraire, il commence par affirmer que : « ... les frontières du prolétariat s'étendent aujourd'hui bien au-delà du traditionnel "monde ouvrier" ». Cependant, c'est pour mieux faire passer son message central : « Or, au cours d'une quinzaine d'années de crise, en France comme dans la plupart des pays occidentaux, on a assisté à une fragmentation croissante du prolétariat, qui, en mettant en cause son unité, a tendu à le paralyser en tant que force sociale. »([10] [30])

Ainsi, le propos principal de notre auteur est de démontrer que le prolétariat « est en crise » et que le responsable de cette situation est la crise du capitalisme lui-même, cause à laquelle il faut ajouter, évi­demment, les modifications socio­logiques qui ont affecté la composi­tion de la classe ouvrière : « En fait, les transformations en cours du rap­port salarial, avec leurs effets glo­baux de fragmentation et de "démassification" du prolétariat, [...] tendent à dissoudre les deux figures prolétariennes qui lui ont fourni ses gros bataillons durant la période for dis te : d'une part, celle de l'ouvrier professionnel, que les transformations actuelles remanient profondément, les anciennes catégo­ries d'OP liées au fordisme tendant à disparaître tandis que de nouvelles catégories de "professionnels" ap­paraissent en liaison avec les nou­veaux procès de travail automati­sés ; d'autre part, celle de l'ouvrier spécialisé, fer de lance de l'offensive prolétarienne des années 60 et 70, les OS se trouvant progressivement éliminés et remplacés par des tra­vailleurs précaires à l'intérieur de ces mêmes procès de travail auto­matisés. »([11] [31]) Au delà du langage pédant (qui transporte de plaisir les petits bourgeois qui se prennent pour des « marxistes »), Bihr nous ressort les mêmes poncifs que nous ont déjà infligés des générations de sociologues : l'automatisation de la production serait responsable de l'affaiblissement du prolétariat (comme il se veut « marxiste », il ne dit pas la « disparition »), etc. Et il leur emboîte également le pas en prétendant que la désyndicalisation serait elle aussi un signe de la « crise de la classe ouvrière » puisque : « Toutes les études effectuées sur le développement du chômage et de la précarité montrent que ceux-ci ten­dent à réactiver et à renforcer les an­ciennes divisions et inégalités au sein du prolétariat (...). Cet éclatement en des statuts aussi hétérogènes a eu des effets désastreux sur les conditions d'organisation et de lutte. En témoigne d'abord l'échec des diffé­rentes tentatives menées, notam­ment par le mouvement syndical, pour organiser précaires et chô­meurs, ...;»([12] [32]) Ainsi, derrière ses phrases plus radicales, derrière son prétendu «marxisme», Bihr nous ressort la même camelote frelatée que celle qui nous est servie par tous les secteurs de la bourgeoisie : les syndicats seraient encore au­jourd'hui des « organisations du mouvement ouvrier. »([13] [33])

Voilà chez quel type de « spécialistes » des gens comme GS et des publications comme Pers­pective Internationaliste (PI), qui accueille avec sympathie ses écrits, tirent leur inspiration. Il est vrai que Bihr, qui malgré tout est malin, prend soin,  pour faire passer en contrebande sa marchandise, de prétendre que le prolétariat sera capable de surmonter, malgré tout, ses difficultés actuelles en parve­nant à se « recomposer ». Mais la fa­çon dont il le dit tend plutôt à convaincre du contraire : « Les transformations du rapport salarial lancent ainsi un double défi au mouvement ouvrier : elles le contraignent simultanément à s'adapter à une nouvelle base sociale (à une nouvelle composition "technique" et "politi­que" de la classe) et à faire la syn­thèse entre des catégories aussi hété­rogènes a priori que celles des "nou­veaux professionnels" et des "pré­caires", synthèse beaucoup plus dif­ficile à réaliser que celle entre OS et OP pendant la période fordiste » ([14] [34]) «L'affaiblissement pratique du prolétariat et du sentiment d'appar­tenance de classe peut ainsi ouvrir la voie à la recomposition d'une identité collective imaginaire sur d'autres bases. »([15] [35])

Ainsi, après des tonnes d'argu­ments, pour la plupart spécieux, destinés à convaincre le lecteur que tout va mal pour la classe ouvrière, après avoir «démontré» que les causes de cette « crise » sont à rechercher dans l'automatisation du travail ainsi que dans l'effondrement de l'économie capi­taliste et la montée du chômage, tous phénomènes qui ne pourront que s'aggraver, on finit par affir­mer, de façon lapidaire et sans le moindre argument : « Cela ira mieux... peut-être! Mais c'est un défi très difficile à relever. » Si après avoir gobé les sornettes de Bihr on continue de penser qu'il existe en­core un futur pour le prolétariat et pour sa lutte de classe, c'est qu'on est un optimiste béat et indécrotable. Bien joué, Docteur Bihr : vos grosses ficelles ont attrapé les niais qui publient PI et qui se présentent comme les véritables défenseurs des principes communistes que le CCI aurait jetés aux orties.

C'est vrai que la classe ouvrière a rencontré au cours de ses dernières années un certain nombre de diffi­cultés pour développer ses luttes et sa conscience. Pour notre part, et contrairement aux reproches que nous font les sceptiques de service (qu'ils s'appellent la FECCI -ce qui est bien dans son rôle de semeur de confusion - mais aussi Battaglia Comunista - ce qui l'est moins, puisqu'il s'agit d'une organisation du milieu politique prolétarien -) nous n'avons jamais hésité à signa­ler ces difficultés. Mais en même temps, et c'est la moindre des choses qu'on puisse attendre des révolutionnaires, nous avons, sur la base d'une analyse de l'origine des difficultés que rencontre le proléta­riat, mis en évidence les conditions permettant leur dépassement. Et lorsqu'on examine un tant soit peu sérieusement l'évolution des luttes ouvrières au cours de la dernière décennie, il saute aux yeux que leur affaiblissement actuel ne saurait s'expliquer par la diminution des effectifs des ouvriers « tradition­nels », des « cols bleus ». Ainsi, dans la plupart des pays, les travailleurs des postes et télécommunications sont parmi les plus combatifs. Il en est de même des travailleurs de la santé. En 1987, en Italie, ce sont les travailleurs de l'école qui ont mené les luttes les plus importantes. Et nous pourrions ainsi multiplier les exemples qui viennent illustrer le fait que, non seulement le proléta­riat ne se limite pas aux «cols bleus », aux ouvriers « tradition­nels » de l'industrie, mais que la combativité ouvrière non plus. C'est pour cela que nos analyses ne se sont pas focalisées sur des consi­dérations sociologiques bonnes pour universitaires ou petits-bour­geois en mal d'interprétation non pas du « malaise » de la classe ou­vrière, mais de leur propre malaise.

Les difficultés réelles de la classe ouvrière et les conditions de leur dépassement

Nous ne pouvons pas revenir, dans le cadre de cet article, sur l'ensemble des analyses de la situa­tion internationale que nous avons faites tout au long des dernières an­nées. Le lecteur pourra les retrou­ver dans pratiquement tous les numéros de notre Revue au cours de cette période et particulièrement dans les thèses et résolutions adop­tées par notre organisation depuis 1989 ([16] [36]). Les difficultés que traverse aujourd'hui le prolétariat, le recul de sa combativité et de la conscience en son sein, difficultés sur lesquelles s'appuient certains pour diagnostiquer une « crise » de la    classe    ouvrière,    n'ont    pas échappé au CCI. En particulier, nous avons mis en évidence que, tout au long des années 1980, celle-ci à été confrontée au poids crois­sant de la décomposition générali­sée de la société capitaliste qui, en favorisant le désespoir, l'atomisation, le « chacun pour soi», a porté des coups importants à la perspective générale de la lutte prolétarienne et à la solidarité de classe, ce qui a facilité, en particulier, les manoeuvres syndicales visant à enfermer les luttes ouvrières dans le corporatisme. Cependant, et c'était une manifestation de la vitalité du combat de classe, ce poids permanent de la décomposition n'a pas réussi, jusqu'en 1989, à venir à bout de la vague de combats ouvriers qui avait débuté en 1983 avec les grèves du secteur public en Belgique. Bien au contraire, durant cette période, nous avions assisté à un débordement croissant des syndicats qui avaient dû, pour le travail de sabotage des luttes, laisser le devant de la scène de plus en plus souvent à un syndicalisme « de base », plus radical. ([17] [37])

Cette vague de luttes prolétariennes allait cependant être engloutie par les bouleversements planétaires qui se sont succédés à partir de la se­conde moitié de 1989. Alors que certains, en général les mêmes qui n'avaient rien vu des luttes ou­vrières du milieu des années 1980, estimaient que l'effondrement, en 1989, des régimes staliniens d'Europe (qui constitue, à ce jour, la manifestation la plus importante de la décomposition du système capitaliste) allait favoriser la prise de conscience de la classe ouvrière, nous n'avons pas attendu pour an­noncer le contraire ([18] [38]). Par la suite, notamment en 1990-91, lors de la crise et de la guerre du Golfe puis du putsch de Moscou suivi de l'effondrement de l'URSS, nous avons relevé que ces événements allaient affecter également la lutte de classe, la capacité du prolétariat à faire face aux attaques croissantes que le capitalisme en crise allait lui asséner.

C'est pour cela que les difficultés traversées par la classe au cours de la dernière période n'ont pas échappé, ni surpris, notre organisation. Cependant, en analysant leurs causes véritables (qui ont peu de chose à voir avec un mythique besoin de « recomposition de la classe ouvrière ») nous avons, en même temps, mis en évidence les raisons pour lesquelles la classe ouvrière avait aujourd'hui les moyens de dépasser ces difficultés.

A ce sujet, il est important de reve­nir sur un des arguments du sieur Bihr pour accréditer l'idée d'une crise de la classe ouvrière : la crise et le chômage ont «fragmenté le prolétariat» en «renforçant les an­ciennes divisions et inégalités» en son sein. Pour illustrer son propos, et « charger la barque », Bihr nous fait le catalogue de tous ces «fragments» : «les travailleurs stables et garantis », « les exclus du travail, voire du marché du travail », « la masse flottante des travailleurs précaires». Et, dans cette dernière, il se délecte à distinguer des sous-catégories : « les travailleurs des entreprises travaillant en sous-trai­tance et en régie », « les travailleurs à temps partiel », «les travailleurs temporaires », «les stagiaires » et « les travailleurs de l'économie sou­terraine. »([19] [39]) en fait, ce que le doc­teur Bihr nous présente comme un argument n'est pas autre chose qu'un constat photographique, ce qui cadre tout à fait avec sa vision réformiste ([20] [40]). C'est vrai que, dans un premier temps, la bourgeoisie a mené ses attaques contre la classe ouvrière de façon sélective de façon à limiter l'ampleur des ripostes de cette dernière. C'est vrai également que le chômage, et particulière­ment celui des jeunes, a constitué un facteur de chantage sur certains secteurs du prolétariat et, partant, de passivité tout en accentuant l'action délétère de l'ambiance de décomposition sociale et de «chacun pour soi». Cependant, la crise elle-même, et son aggravation inexorable, se chargeront de plus en plus d'égaliser par le bas la condition des différents secteurs de la classe ouvrière. En particulier, les secteurs «de pointe» (informatique, télécommunica­tions, etc.) qui avaient paru échap­per à la crise, sont aujourd'hui frappés de plein fouet, jetant leurs travailleurs dans la même situation que ceux de la sidérurgie ou de l'automobile. Et ce sont mainte­nant les plus grandes entreprises (telles IBM) qui licencient en masse. En même temps, contraire­ment à la tendance de la décennie passée, le chômage des travailleurs d'âge mûr, qui ont déjà une expé­rience collective de travail et de lutte, augmente aujourd'hui plus vite que celui des jeunes, ce qui tend à limiter le facteur d'atomisation qu'il avait représenté par le passé.

Ainsi, même si la décomposition constitue un handicap pour le dé­veloppement des luttes et de la conscience dans la classe, la faillite de plus en plus évidente et brutale de l'économie capitaliste, avec le cortège d'attaques qu'elle implique contre les conditions d'existence du prolétariat, constitue l'élément dé­terminant de la situation actuelle pour la reprise des luttes et de la marche de celui-ci vers sa prise de conscience. Evidemment, on ne peut comprendre cela si l'on pense, comme l'affirme l'idéologie réfor­miste qui se refuse à envisager la moindre perspective révolution­naire, que la crise capitaliste pro­voque une « crise de la classe ou­vrière». Mais, encore une fois, les événements eux-mêmes se sont chargés de souligner la validité du marxisme et l'inanité des élucubrations des sociologues. Les luttes formidables du prolétariat d'Italie, à l'automne 1992, face à des at­taques économiques d'une violence sans précédent, ont, une fois de plus, démontré que le prolétariat n'était pas mort, qu'il n'avait pas disparu et qu'il n'avait pas renoncé à la lutte, même si, comme on pou­vait s'y attendre, il n'avait pas en­core fini de digérer les coups qu'il avait reçus dans les années précé­dentes. Et ces luttes ne sont pas destinées à rester des feux de paille. Elles ne font qu'annoncer (comme l'avaient fait les luttes ouvrières de mai 1968, il y a juste un quart de siècle, en France) un renouveau gé­néral de la combativité ouvrière, une reprise de la marche en avant du prolétariat vers la prise de conscience des conditions et des buts de son combat historique pour l'abolition du capitalisme. N'en déplaise à tous ceux qui se lamen­tent, sincèrement ou hypocrite­ment, sur la « crise de la classe ou­vrière » et sa « nécessaire recomposi­tion».

FM.


[1] [41] L'automobile est indispensable pour aller à son travail ou pour faire des achats lorsque les transports en commun sont insuffisants et que les distances à parcourir deviennent de plus en plus considérables. On ne peut se passer d'un réfrigérateur lorsque le seul moyen d'acquérir de la nourriture bon mar­ché est de l'acheter dans des grandes sur­faces, ce qu'on ne peut faire tous les jours. Quant à la télévision, qui fut présentée comme le symbole de l'accession à la «société de consommation », outre l'intérêt qu'elle présente comme instrument de pro­pagande et d'abrutissement entre les mains de la bourgeoisie (comme «opium du peuple», elle a remplacé avantageusement la religion), on la trouve aujourd'hui dans beaucoup de logis des bidonvilles du tiers-monde, ce qui en dit long sur la dévalorisa­tion d'un tel article

[2] [42] Marx appelait taux de plus-value ou taux d'exploitation le rapport P1/V où PI repré­sente la plus-value en valeur-travail (le nombre d'heures de la journée de travail que le capitaliste s'approprie) et le capital va­riable, c'est-à-dire le salaire (le nombre d'heures pendant lesquelles l'ouvrier produit l'équivalent en valeur de ce qu'il reçoit). C'est un indice qui permet de déterminer en termes économiques objectifs, et non sub­jectifs, l'intensité réelle de l'exploitation.

[3] [43] Evidemment, cette affirmation va à rencontre des mensonges proférés par tous les prétendus « défenseurs de la classe ouvrière », comme les socio-démocrates ou les staliniens, qui ont une longue expérience tant de la répression et de la mystification           des ouvriers que des cabinets ministériels. Lorsqu'un ouvrier « sorti du rang » accède au poste de cadre syndical, de conseiller municipal, voire de maire, de député ou de ministre, il n'a plus rien à voir avec sa classe d'origine.

[4] [44] Il est évidemment très difficile (sinon impossible) de déterminer ce niveau, lequel peut être variable dans le temps ou d'un pays à l'autre. L'important est de savoir que, dans chaque pays (ou ensemble de pays similaires du point de vue du développement économique et de la productivité du travail), il existe un tel seuil qui se situe entre le salaire de l'ouvrier qualifié et celui du cadre supérieur.

[5] [45] Pour une analyse plus développée sur tra­vail productif et travail improductif, on pourra se reporter à notre brochure <r La dé­cadence du capitalisme » (pages 78-84 dans la version en français).

[6] [46] Il faut cependant noter qu'en même temps, une certaine proportion des cadres voit ses revenus augmenter ce qui débouche sur son intégration dans la classe dominante.

[7] [47] Pour une analyse développée de la nature bourgeoise des syndicats, voir notre bro­chure «Les syndicats contre la classe ou­vrière».

[8] [48] Par exemple Le Monde Diplomatique, un mensuel humaniste français, spécialisé dans la promotion d'un capitalisme <r à visage hu­main», publie fréquemment des articles d'Alain Bihr. Ainsi, dans sa livraison de mars 91, on peut y trouver un texte de cet au­teur intitulé « Régression des droits sociaux, affaiblissement des syndicats, le prolétariat dans tous ses éclats ».

[9] [49] C'est ainsi que dans le n°22 de Perspective Internationaliste, organe de la <r Fraction ex­ terne (sic!) du CCI», on peut lire une contribution de GS (qui, sans que son auteur ne soit membre de la FECCI, rencontre, pour l'essentiel, l'assentiment de celle-ci) intitulée «La nécessaire recomposition du prolétariat» et qui cite longuement le livre phare de Bihr pour étayer ses assertions.

[10] [50] Le Monde Diplomatique, mars 1991.

[11] [51] « Du Grand Soir... »

[12] [52] Le Monde Diplomatique, mars 1991.

[13] [53] Le Monde Diplomatique, mars 1991.

[14] [54] « Du grand soir...»

[15] [55] Le Monde Diplomatique, mars 1991.

[16] [56] Voir la Revue Internationale n° 60,  63, 67, 70, et ce numéro.

[17] [57] Evidemment, si l'on considère, comme le Docteur Bihr, que les syndicats sont des organes de la classe ouvrière et non de la bourgeoisie, les progrès accomplis par la lutte de classe se convertissent en une ré­gression. Il est toutefois curieux que des gens, tels les membres de la FECCI, qui of­ficiellement reconnaissent la nature bour­geoise des syndicats, lui emboîtent le pas dans cette appréciation.

[18] [58] Voir « Des difficultés accrues pour le pro­létariat » dans la Revue Internationale n° 60.

[19] [59] Le Monde Diplomatique, mars 1991.

[20] [60] D'ailleurs, une des phrases favorites d'Alain Bihr est que «  le réformisme est une chose trop sérieuse pour la laisser aux réfor­mistes». Si par hasard il se prenait pour un révolutionnaire, nous tenons ici à le dé­tromper.

 

Questions théoriques: 

  • Le cours historique [61]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Le Marxisme : la theorie de la révolution [62]
  • La Révolution prolétarienne [63]

Vingt-cinq ans après mai 1968 : que reste-t-il de mai 1968 ?

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Les grandes luttes ouvrières laissent peu de traces visibles, quand elles sont terminées. Lorsque «l'ordre» revient, lorsque « la paix sociale » répand à nouveau son impitoyable chape de plomb quotidienne, il ne reste bientôt d'elles qu'un souvenir. Un «souvenir», cela semble bien, mais peu. En fait c'est une force re­doutable dans la tête de la classe révolutionnaire.

L'idéologie dominante tente en permanence de détruire ces images des moments où les exploités ont relevé la tête. Elle le fait en falsi­fiant l'histoire. Elle manipule les mémoires en vidant de leur force révolutionnaire les souvenirs de lutte. Elle génère des clichés muti­lés, vidés de tout ce que ces luttes avaient d'exemplaire, d'instructif et d'encourageant pour les luttes à venir.

A l'occasion de l'effondrement de l'URSS, les prêtres de l'ordre établi s'étaient adonnés à coeur joie à cet exercice, pataugeant comme jamais dans la boue du mensonge qui iden­tifie la révolution d'octobre 1917 au stalinisme. A l'occasion du 25e an­niversaire des événements de Mai 1968, ils recommencent, même si c'est à une moindre échelle.

Ce qui fut, par le nombre des parti­cipants et la durée, la plus grande grève ouvrière de l'histoire est pré­senté aujourd'hui comme une agita­tion estudiantine produit d'infanti­les rêveries utopiques d'une intelli­gentsia universitaire imbue des Rolling Stones et des héros stali­niens du « tiers-monde ». Qu'en resterait-t-il aujourd'hui ? Rien, sinon une preuve de plus que toute idée de dépassement du capitalisme est une rêvasserie creuse. Et les médias de se régaler à nous montrer les images des anciens leaders étu­diants «révolutionnaires», appren­tis-bureaucrates devenus, un quart de siècle après, de consciencieux et respectables gérants de ce capita­lisme qu'ils avaient tant contesté Cohn Bendit, « Dany le rouge », dé­puté du Parlement de Francfort ; les autres, conseillers particuliers du président de la république, mi­nistres, hauts fonctionnaires, cadres d'entreprise, etc. Quant à la grève ouvrière, on n'en parle que pour dire qu'elle n'est jamais allée au-delà de revendications immé­diates. Qu'elle a abouti à une aug­mentation de salaires qui fut annu­lée en six mois par l'inflation. Bref, tout cela n'était que du vent et il ne peut en rester que du vent.

Que subsiste-t-il en réalité de mai 1968 dans la mémoire de la classe ouvrière qui l'a fait ?

Il y a bien sûr les images des barri­cades en flammes où s'affrontaient la nuit, dans le brouillard des bombes lacrymogènes, étudiants et jeunes ouvriers contre les forces de police ; celles des rues dépavées du Quartier latin de Paris, le matin, jonchées de débris et de voitures les roues en l'air. Les médias les ont suffisamment montrées.

Mais la puissance des manipula­tions médiatiques a des limites. La classe ouvrière possède une mé­moire collective, même si celle-ci vit un peu sous forme «souter­raine », ne s'exprimant ouvertement que lorsque la classe parvient à nouveau à s'unifier massivement dans la lutte. Au-delà de ce côté spectaculaire, il reste dans les mé­moires ouvrières un sentiment dif­fus et profond à la fois : celui de la force que représente le prolétariat lorsqu'il sait s'unifier.

Il y a bien eu au début des événe­ments de 68 en France une agita­tion estudiantine, comme il y en avait dans tous les pays industriali­sés occidentaux, nourrie en grande partie par l'opposition à la guerre du Vietnam et par une inquiétude nouvelle sur l'avenir. Mais cette agitation restait cantonnée à une toute petite partie de la société. Elle se résumait souvent à des défi­lés d'étudiants qui sautillaient dans la rue scandant les syllabes du nom d'un des staliniens les plus meur­triers : « Ho-Ho, Ho-Chi-Minh ! ». A l'origine des premiers troubles en milieu étudiant en 68 en France, on trouve, entre autres, la revendica­tion des étudiants d'avoir accès aux chambres des filles dans les cités universitaires... Avant 1968, dans les campus, « la révolte » s'affirmait souvent sous la bannière des théo­ries de Marcuse, dont une des thèses essentielles était que la classe ouvrière n'était plus une force sociale révolutionnaire car elle s'était définitivement embour­geoisée.

En France, la bêtise du gouverne­ment du militaire De Gaulle, qui répondit à l'effervescence estudian­tine par une répression dispropor­tionnée et aveugle, avait conduit l'agitation au paroxysme des pre­mières barricades. Mais cela demeurait encore pour l'essentiel cir­conscrit dans le ghetto de la jeu­nesse scolarisée. Ce qui vint tout bouleverser, ce qui transforma « les événements de Mai» en une explo­sion sociale majeure ce fut l'entrée en scène du prolétariat. C'est lorsque, au milieu du mois de Mai, la classe ouvrière s'est jetée presque toute entière dans la bataille, pa­ralysant la quasi-totalité des méca­nismes essentiels de la machine économique, que les choses sé­rieuses ont commencé. Balayant la résistance des appareils syndicaux, brisant les barrières corporatistes, près de 10 millions de travailleurs avaient arrêté le travail tous en­semble. Et par ce seul geste ils avaient fait basculer l'histoire.

Les ouvriers, qui quelques jours auparavant étaient une masse d'individus épars, s'ignorant les uns les autres et subissant aussi bien le poids de l'exploitation que celui de la police stalinienne dans les lieux de travail, ceux-là mêmes qu'on avait dit définitivement embourgeoisés, se retrouvaient soudain réunis, avec, entre leurs mains, une force gigantesque. Une force dont ils étaient les premiers surpris et dont ils ne savaient pas toujours quoi faire.

L'arrêt des usines et des bureaux, l'absence de transports publics, la paralysie des rouages productifs démontraient chaque jour com­ment, dans le capitalisme, tout dé­pend, en fin de compte, de la vo­lonté et de la conscience de la classe exploitée. Le mot de « révolu­tion » revint dans toutes bouches et les questions de savoir ce qui était possible, où on allait, comment cela s'était passé dans les grandes luttes ouvrières du passé devinrent les sujets centraux de discussion. « Tout le monde parlait et tout le monde s'écoutait». C'est une des caractéristiques dont on se souvient le plus. Pendant un mois, le silence qui isole les individus en une masse atomisée, cette muraille invisible qui semble d'ordinaire si épaisse, si inévitable, si désespérante, avait disparu. On discutait partout : dans les rues, dans les usines occupées, dans les universités et les lycées, dans les «Maisons de jeunes» des quartiers ouvriers, transformées en lieu de réunion politique par les « comités d'action » locaux. Le langage du mouvement ouvrier qui appelle les choses par leur nom : bourgeoisie, prolétariat, exploitation, lutte de classes, révolution, etc. se développait parce qu'il était tout naturellement le seul capable de cerner la réalité.

La paralysie du pouvoir politique bourgeois, ses hésitations face à une situation qui lui échappait, confirmaient la puissance de l'impact de la lutte ouvrière. Une anecdote illustre bien ce qui était ressenti dans les antres du pouvoir. Michel Jobert, chef de cabinet du premier ministre Pompidou pen­dant les événements, racontait en 1978, dans une émission de télévi­sion consacrée au dixième anniver­saire de 68, comment un jour, par la fenêtre de son bureau, il avait aperçu un drapeau rouge qui flot­tait sur le toit d'un des bâtiments ministériels. Il s'était empressé de téléphoner pour faire enlever cet objet qui par sa présence ridiculi­sait l'autorité des institutions. Mais, après plusieurs appels, il n'était pas parvenu à trouver quelqu'un disposé ou ayant les moyens d'exécuter cette tâche. C'est alors qu'il avait compris que quelque chose de vraiment nouveau était en train de se produire.

La véritable victoire des luttes ou­vrières de Mai 68 ne fut pas dans les augmentations de salaires obte­nues,   mais  dans  le  ressurgissent même de la force de la classe ou­vrière. C'était le retour du proléta­riat sur la scène de l'histoire après plusieurs décennies de contre-révolution stalinienne triomphante.

Aujourd'hui, alors que les ouvriers du monde entier subissent les effets des campagnes idéologiques sur « la fin du communisme et de la lutte de classe », le souvenir de ce que fut véritablement la grève de masses en 1968 en France constitue un rappel vivant de la force que porte en elle la classe ouvrière. Alors que toute la machine idéologique s'efforce d'enfoncer la classe révolutionnaire dans une océan de doutes sur elle même, de convaincre chaque ou­vrier qu'il est désespérément seul et n'a rien à attendre du reste de sa classe, ce rappel constitue un in­dispensable antidote.

Mais, nous dira-t-on, qu'importe le souvenir s'il s'agit seulement de quelque chose qui ne se reproduira plus. Qu'est-ce qui prouve que dans l'avenir nous pourrons assister a de nouvelles affirmations massives, puissantes de l'unité combative de la classe ouvrière ?

Sous une forme un peu différente, cette même question se trouva po­sée au lendemain des luttes du prin­temps 68 : venait-on d'assister à un simple feu de paille spécifiquement français ou bien ces événements ouvraient-ils, à l'échelle internatio­nale, une nouvelle période histo­rique de combativité proléta­rienne ?

L'article ci-après, publié en 1969 dans le n°2 de Révolution Interna­tionale, se donnait pour tâche de répondre à cette question. A travers la critique des analyses de l'Internationale Situationniste ([1] [64]), il affirme la nécessité de comprendre les causes profondes de cette explo­sion et de les chercher non pas, comme le faisait l’IS, dans «  les manifestations les plus apparentes des aliénations sociales » mais dans « les sources qui leur donnent nais­sance et les nourrissent». «C'est dans ces racines (économiques) que la critique théorique radicale doit déceler les possibilités de son dépas­sement révolutionnaire... Mai 1968 apparaît dans toute sa signification pour avoir été une des premières et une des plus importantes réactions de la masse des travailleurs contre une situation économique mondiale allant se détériorant. »

A partir de là il était possible de prévoir. En comprenant le lien qui existait entre l'explosion de Mai 68 et la dégradation de la situation économique mondiale, en com­prenant que cette dégradation tra­duisait un changement historique dans l'économie mondiale, en comprenant que la classe ouvrière avait commencé à se dégager de l'emprise de la contre-révolution stalinienne, il était aisé de prévoir que de nouvelles explosions ou­vrières suivraient rapidement celle de Mai 68, avec ou sans étudiants radicalisés.

Cette analyse fut rapidement confirmée. Dès l'automne 1969 l'Italie connaissait sa plus impor­tante vague de grèves depuis la  guerre ; la même situation se repro­duisit en Pologne en 1970, en Es­ pagne en 1971, en Grande Bretagne en 1972, au Portugal et en Espagne en 1974-75. Puis à la fin des années 1970, une nouvelle vague interna­tionale de luttes ouvrières se déve­loppa avec en particulier le mou­vement de masse en Pologne en 1980-81, la lutte la plus importante depuis la vague révolutionnaire de 1917-1923. Enfin, de 1983 à 1989, c'est encore une série de mouve­ments de la classe qui, dans les principaux pays industrialisés, montrera à plusieurs reprises des tendances à la remise en cause de l'encadrement syndical, à l'extension et la prise en mains des luttes.

Le Mai 68 français n'avait été « qu'un début », le début d'une nou­velle ère historique. Il n'était plus «minuit dans le siècle». La classe ouvrière s'arrachait de ces « années de plomb» qui duraient depuis le triomphe de la contre-révolution social-démocrate et stalinienne dans les années 1920. En réaffir­mant sa force par des mouvements massifs capables de s'opposer aux machines syndicales et aux « partis ouvriers», la classe ouvrière avait ouvert un cours à des affrontements de classes barrant la route au dé­clenchement d'une troisième guerre mondiale, ouvrant la voie au développement de la lutte de classe in­ternationale du prolétariat.

La période que nous vivons est celle ouverte par 1968. Vingt cinq ans après, les contradictions de la so­ciété capitaliste qui avaient conduit à l'explosion de Mai ne se sont pas estompées, au contraire. Au regard de la dégradation que connaît aujourd'hui l'économie mondiale, les difficultés de la fin des années 1960 paraissent insignifiantes : un demi-million de chômeurs en France en 1968, plus de trois millions au­jourd'hui, pour ne prendre qu'un exemple qui est loin de rendre compte du véritable désastre éco­nomique qui a dévasté l'ensemble de la planète pendant ce quart de siècle. Quant au prolétariat, à tra­vers des avancées et des reculs de sa combativité et de sa conscience, il n'a jamais signé un armistice avec le capital. Les luttes de l'automne 1992 en Italie, en réponse au plan d'austérité imposé par une bourgeoisie confrontée à la plus violente crise économique depuis la guerre, et où les appareils syndicaux ont subi une contestation ouvrière sans précédent, viennent encore récem­ment de le confirmer.

Que reste-t-il de Mai 68 ? L'ouver­ture d'une nouvelle phase de l'histoire. Une période au cours de laquelle ont mûri les conditions de nouvelles explosions ouvrières qui iront beaucoup plus loin que les balbutiements d'il y a 25 ans.

RV, juin 93.

 

Vingt-cinq ans après mai 1968 : COMPRENDRE MAI - Révolution Internationale n° 2 (ancienne série), 1969

 

Les événements de mai 1968 ont eu comme conséquence de susciter une activité littéraire exception­nellement abondante. Livres, bro­chures, recueils de toutes sortes se sont succédés à une cadence accé­lérée et à des tirages forts élevés. Les maisons d'éditions - toujours à l'affût de « gadgets » à la mode - se sont bousculées pour exploiter à fond l'immense intérêt soulevé dans les masses par tout ce qui touche à ces événements. Pour cela, ils ont trouvé, sans difficultés, journalistes, publicistes, profes­seurs, intellectuels, artistes, hommes de lettres, photographes de toutes sortes, qui, comme cha­cun sait, abondent dans ce pays et qui sont toujours à la recherche d'un bon sujet bien commercial.

On ne peut pas ne pas avoir un haut-le-coeur devant cette récupé­ration effrénée.

Cependant dans la masse des com­battants de Mai, l'intérêt éveillé au cours de la lutte même, loin de ces­ser avec les combats de rue, n'a fait que s'amplifier et s'approfondir. La recherche, la discussion, la confrontation se poursuivent. Pour n'avoir pas été des spectateurs ni des contestataires d'occasion, pour s'être trouvées brusquement enga­gées dans des combats d'une por­tée historique, ces masses, reve­nues de leur propre surprise, ne peuvent pas ne pas s'interroger sur les racines profondes de cette ex­plosion sociale qui était leur propre ouvrage, sur sa significa­tion, sur les perspectives que cette explosion a ouvertes dans un futur à la fois immédiat et lointain. Les masses essaient de comprendre, de prendre conscience de leur propre action.

De ce fait, nous croyons pouvoir dire que c'est rarement dans les livres publiés à profusion que nous pouvons trouver le reflet de cette inquiétude et des interrogations de la part des gens. Elles apparaissent plutôt dans de petites publications, les revues souvent éphémères, les papiers ronéotés de toutes sortes de groupes, de comités d'action de quartier et d'usines qui ont survécu depuis Mai, dans leurs réunions, au travers de discussions souvent et inévitablement confuses. Au tra­vers et en dépit de cette confusion, se poursuit néanmoins un travail sérieux de clarification des pro­blème soulevés par Mai.

Après plusieurs mois d'éclipsé, et de silence, probablement consa­crés à l'élaboration de ses travaux, vient d'intervenir dans ce débat le groupe de « L'Internationale Situationniste », en publiant un livre chez Gallimard : « Enragés et Situationnistes dans le mouvement des occupations ».

On était en droit d'attendre de la part d'un groupe qui a effective­ment pris une part active dans les combats, une contribution appro­fondie à l'analyse de la significa­tion de Mai, et cela d'autant plus que le temps de recul de plusieurs mois offrait des possibilités meil­leures. On était en droit d'émettre des exigences et on doit constater que le livre ne répond pas à ses promesses.

Mis à part le vocabulaire qui leur est propre : « spectacle », « société de consommation », « critique de la vie quotidienne », etc., on peut dé­plorer que pour leur livre, les situationnistes aient allègrement cédé au goût du jour, se complaisant à le farcir de photos, d'images et de bandes de comics.

On peut penser ce que l'on veut des comics comme moyen pour la pro­pagande et l'agitation révolution­naire. On sait que les situationnistes sont particulièrement friands de cette forme d'expression que sont les comics et les bulles. Ils prétendent même avoir découvert dans le « détournement », l'arme moderne (?) de la propagande sub­versive, et voient en cela le signe distinctif de leur supériorité par rapport aux autres groupes qui en sont restés aux méthodes « surannées » de la presse révolu­tionnaire « traditionnelle », aux ar­ticles « fastidieux » et aux tracts ro­néotés.

Il y a assurément du vrai dans la constatation que les articles de la presse des groupuscules sont sou­vent rébarbatifs, longs et en­nuyeux. Cependant, cette consta­tation ne saurait devenir un argu­ment pour une activité de divertis­sement. Le capitalisme se charge amplement de cette besogne qui consiste sans cesse à découvrir toutes sortes d'activités culturelles (sic) pour les jeunes, les loisirs or­ganisés et surtout les sports. Ce n'est pas seulement une question de contenu mais aussi de méthode appropriée qui correspond à un but bien précis : le détournement de la réflexion.

La classe ouvrière n'a pas besoin d'être divertie. Elle a surtout be­soin de comprendre et de penser. Les comics, les mots d'esprit et les jeux de mots leur sont d'un piètre usage. On adopte d'une part pour soi un langage philosophique, une terminologie particulièrement re­cherchée, obscure et ésotérique, réservée aux « penseurs intellec­tuels », d'autre part, pour la grande masse infantile des ouvriers, quelques images accompagnées de phrases simples, cela suffit ample­ment.

Il faut se garder, quand on dénonce partout le spectacle, de ne pas tomber soi-même dans le specta­culaire. Malheureusement, c'est un peu par là que pêche le livre sur Mai en question. Un autre trait ca­ractéristique du livre est son aspect descriptif des événements au jour le jour, alors qu'une analyse les si­tuant dans un contexte historique et dégageant leur profonde signifi­cation eût été nécessaire. Remar­quons encore que c'est surtout l'action des enragés et des situationnistes qui est décrite plutôt que les événements eux-mêmes comme d'ailleurs l'annonce le titre. En rehaussant hors mesure le rôle joué par telle personnalité des enragés, en faisant un véritable pa­négyrique de soi, on a l'impression que ce n'est pas eux qui étaient dans le mouvement des occupa­tions, mais que c'est le mouvement de Mai qui était là pour mettre en relief la haute valeur révolutionnaire des enragés et des situation­nistes. Une personne n'ayant pas vécu, ignorant tout de Mai et se documentant au travers de ce livre, se ferait une curieuse idée de ce que ce fut. A les en croire, les situa­tionnistes auraient occupé une place prépondérante, et cela dès le début, dans les événements, ce qui révèle une bonne dose d'imagination et est vraiment « prendre ses désirs pour la réa­lité ». Ramenée à ses justes propor­tions, la place occupée par les si­tuationnistes a été sûrement infé­rieure à celle de nombreux autres groupuscules, et en tout cas pas supérieure. Au lieu de soumettre à la critique le comportement, les idées, les positions des autres groupes - ce qui aurait été intéres­sant, mais qu'ils ne font pas - mi­nimiser (voir dans les pages 179 à 181 avec quel dédain et combien superficiellement, ils font la « critique » des autres groupes « conseillistes ») ou encore passer sous silence l'activité et le rôle des autres est un procédé douteux pour faire ressortir sa propre grandeur, et ne mène pas à grand chose.

Le livre (ou ce qu'il en reste, dé­duction faite des bandes dessinées, photos, chansons, inscriptions mu­rales et autres reproductions) dé­bute par une constatation généra­lement juste : Mai avait surpris un peu tout le monde et en particulier les groupes révolutionnaires ou prétendus tels. Tous les groupes et courants, sauf évidemment les si­tuationnistes qui, eux, « savaient et montraient la possibilité et l’imminence d'un nouveau départ de la révolution». Pour le groupe de situationnistes, grâce à « la cri­tique révolutionnaire qui ramène au mouvement pratique sa propre théo­rie, déduite de lui et portée à la co­hérence qu'il poursuit, certainement rien n'était plus prévisible, rien n'était plus prévu, que la nouvelle époque de la lutte de classe... »

On sait depuis longtemps qu'il n'existe aucun code contre la pré­somption et la prétention, manie fort répandue dans le mouvement révolutionnaire -surtout depuis le « triomphe » du léninisme - et dont le bordiguisme est une manifesta­tion exemplaire : aussi ne dispute­rons-nous pas cette prétention aux situationnistes et nous contente­rons-nous simplement d'en prendre acte en haussant les épaules pour seulement chercher à savoir : où et quand, et sur la base de quelles données, les situationnistes ont-ils prévu les événements de Mai ? Quand ils affirment qu'ils avaient « depuis des années très exactement prévu l'explosion actuelle et ses suites », ils confondent visiblement une affirmation générale avec une analyse précise du moment. De­ puis plus de cent cinquante ans, depuis qu'existe un mouvement révolutionnaire du prolétariat, existe la « prévision » qu'un jour, inévita­blement surviendra l'explosion ré­volutionnaire. Pour un groupe qui prétend non seulement avoir une théorie cohérente, mais encore « ramener sa critique révolutionnaire au mouvement pratique », une prévision de ce genre est largement insuffisante. Pour ne pas rester une simple phrase rhétorique, « ramener sa critique au mouvement pratique » doit signifier l'analyse de la situation concrète, de ses limites et de ses possibilités réelles. Cette analyse, les situationnistes ne l'ont pas faite avant et, si nous jugeons d'après leur livre, ne la font pas en­core maintenant ; car quand ils parlent d'une nouvelle période de reprise des luttes révolutionnaires, leur démonstration se réfère tou­jours à des généralités abstraites. Et même quand ils se réfèrent aux luttes de ces dernières années, ils ne font rien d'autre que de consta­ter un fait empirique. Par elle seule, cette constatation ne va pas au-delà du témoignage de la conti­nuité de la lutte des classes et n'indique pas le sens de son évolu­tion, ni de la possibilité de débou­cher et d'inaugurer une période his­torique de luttes révolutionnaires surtout à l'échelle internationale, comme peut et doit l'être une ré­volution socialiste. Même une ex­plosion d'une signification révolu­tionnaire aussi formidable que la Commune de Paris ne signifiait pas l'ouverture d'une ère révolution­naire dans l'histoire, puisqu'au contraire elle sera suivie d'une longue période de stabilisation et d'épanouissement du capitalisme, entraînant comme conséquence, le mouvement ouvrier vers le réfor­misme.

A moins de considérer comme les anarchistes, que tout est toujours possible et qu'il suffit de vouloir pour pouvoir, nous sommes appe­lés à comprendre que le mouve­ment ouvrier ne suit pas une courbe continuellement ascendante mais est fait de périodes de montées et de périodes dé reculs, et est déter­miné objectivement et en premier lieu par l'état de développement du capitalisme et des contradictions inhérentes à ce système.

L'I.S. définit l'actualité comme « le retour présent de la révolution ». Sur quoi fonde-t-elle cette définition ? Voici son explication :

1.   « La théorie critique élaborée et répandue par l’I S. constatait ai­sément (...) que le prolétariat n'était pas aboli » (curieux vraiment que l'I.S. constate «aisément» ce que tous les ouvriers et tous les ré­volutionnaires savaient, sans recours nécessaire à l'I.S.)

2.   « ... que le capitalisme continuait à développer ses aliénations » (qui s'en serait douté ?).

3.   « ... que partout où existe cet an­tagonisme (comme si cet antago­nisme ne pouvait dans le capita­lisme ne pas exister partout) la question sociale posée depuis plus d'un siècle demeure » (en voilà une découverte !)

4.   « ... que cet antagonisme existe sur toute la surface de la planète » (encore une découverte !)

5.  « L'I.S.explique l'approfondis­sement et la concentration des alié­nations par le retard de la révolu­tion» (évidence...).

6.  «Ce retard découle manifeste­ment de la défaite internationale du prolétariat depuis la contre-révolu­tion russe » (voilà encore une vérité proclamée par les révolutionnaires depuis 40 ans au moins).

7.   En outre « l'I.S. savait bien (...) que l'émancipation des travailleurs se heurtait partout et toujours aux organisations bureaucratiques ».

8.   Les situationnistes constatent que la falsification permanente né­cessaire à la survie de ces appareils bureaucratiques, était une pièce maîtresse de la falsification géné­ralisée dans la société moderne.

9.   Enfin « ils avaient aussi reconnu et s'étaient employés à rejoindre les nouvelles formes (?) de subversion dont les premiers signes s'accumu­laient».

10. Et voilà pourquoi « ainsi les si­tuationnistes savaient et montraient la possibilité et l'imminence d'un nouveau départ de la révolution, »

Nous avons reproduit ces longs ex­traits afin de montrer le plus exac­tement possible ce que les situationnistes d'après leur propre dire «savaient».

Comme on peut le voir, ce savoir se réduit à des généralités que connaissent depuis longtemps des milliers et des milliers de révolu­tionnaires, et ces généralités si elles suffisent pour l'affirmation du projet révolutionnaire, ne contiennent rien qui puisse être considéré comme une démonstration de « l’imminence d'un nouveau départ de la révolution ». La « théorie éla­borée » des situationnistes se réduit donc à une simple profession de foi et rien de plus.

C'est que la Révolution Socialiste et son imminence ne sauraient se déduire de quelques « découvertes » verbales comme la société de consommation, le spectacle, la vie quotidienne, qui désignent avec de nouveaux mots les notions connues de la société capitaliste d'exploitation des masses travail­leuses, avec tout ce que cela com­porte, dans tous les domaines de la vie sociale, de déformations et d'aliénations humaines.

En admettant que nous nous trou­vions devant un nouveau départ de la révolution, comment expliquer d'après l'I.S. qu'il ait fallu attendre juste LE TEMPS qui nous sépare de la victoire de la contre-révolution russe, disons : 50 ans. Pourquoi pas 30 ou 70 ? De deux choses l'une : ou la reprise du cours révo­lutionnaire est déterminée fondamentalement par les conditions objectives, et alors il faut les expli­citer - ce que l'I.S. ne fait pas - ou bien cette reprise est uniquement le fait d'une volonté subjective s'accumulant et s'affirmant un beau jour et elle ne pourrait alors être que constatable mais non pré­visible puisque aucun critère ne sau­rait d'avance fixer son degré de ma­turation.

Dans ces conditions, la prévision dont se targue l'I.S. tiendrait da­vantage d'un don de devin que d'un savoir. Quand Trotsky écrivait en 1936 « La révolution a commencé en France», il se trompait assuré­ment, néanmoins son affirmation reposait sur une analyse autrement sérieuse que celle de l'I.S. puisqu'elle se référait à des don­nées telles que la crise économique qui secouait le monde entier. Par contre la « prévision » juste de l'I.S. s'apparenterait plutôt aux affirma­tions de Molotov inaugurant la fa­meuse troisième période de l'I.C. (Internationale Communiste) au début de 1929, annonçant la grande nouvelle que le monde est entré des deux pieds dans la pé­riode révolutionnaire. La parenté entre les deux consiste dans la gra­tuité de leurs affirmations respec­tives, dont l'étude est effectivement indispensable comme point de dé­part de toute analyse sur une pé­riode donnée, suffisent à détermi­ner le caractère révolutionnaire ou non des luttes de cette période : et c'est ainsi que, s'appuyant sur la crise économique mondiale de 1929, il croit pouvoir annoncer l'imminence de la révolution. L'I.S. par contre croit suffisant d'ignorer et de vouloir ignorer tout ce qui se rapporte à l'idée même d'une condition objective et néces­saire, d'où son aversion profonde pour ce qui concerne les analyses économiques de la société capita­liste moderne.

Toute l'attention se trouve ainsi di­rigée vers les manifestations les plus apparentes des aliénations so­ciales, et on néglige de voir les sources qui leur donnent naissance et les nourrissent. Nous devons ré­affirmer qu'une telle critique qui porte essentiellement sur les mani­festations superficielles, aussi radi­cale soit-elle, restera forcément circonscrite, limitée, tant en théo­rie qu'en pratique.

Le capitalisme produit nécessaire­ment les aliénations qui lui sont propres dans son existence et pour sa survie, et ce n'est pas dans leur manifestation que se rencontre le moteur de son dépérissement. Tant que le capitalisme dans ses racines, c'est-à-dire comme système éco­nomique, reste viable, aucune vo­lonté ne saurait le détruire.

«Jamais une société n'expire avant que soient developpees toutes les forces productives qu'elle est assez large pour contenir » (Marx, « Avant propos à la Critique de l'Economie Poli­tique »).

C'est donc dans ces racines que la critique théorique radicale doit déceler les possibilités de son dépas­sement révolutionnaire.

«A un certain degré de leur déve­loppement, les forces productives matérielles de la société entrent en collision avec les rapports de pro­duction... Alors commence une ère de révolution sociale» (Marx, idem).

Cette collision dont parle Marx, se manifeste par des bouleversements économiques, comme les crises, les guerres impérialistes et les convul­sions sociales. Tous les penseurs marxistes ont insisté sur le fait que pour qu'on puisse parler d'une pé­riode révolutionnaire, « il ne suffit pas que les ouvriers ne veuillent plus, il faut encore que les capita­listes ne puissent plus continuer comme auparavant ». Et voilà l'I.S. qui se prétend être quasiment l'unique expression théorique or­ganisée de la pratique révolution­naire d'aujourd'hui, qui bataille exactement dans le sens contraire. Les rares fois où, surmontant son aversion, elle aborde dans le livre les sujets économiques, c'est pour démontrer que le nouveau départ de la révolution s'opère non seule­ment indépendamment des fonda­tions économiques de la société mais encore dans un capitalisme économiquement florissant. « On ne pouvait observer aucune ten­dance à la crise économique (p. 25) (...) L'éruption révolution­naire n'est pas venue d'une crise économique (...) ce qui a été atta­qué de front en Mai, c'est l'économie capitaliste fonc­tionnant BIEN. » (Souligné dans le texte p. 209)

Ce qu'on s'acharne à démontrer évidemment ici, est que la crise ré­volutionnaire et la situation éco­nomique de la société sont deux choses complètement séparées, pouvant évoluer et évoluant de fait chacune dans un sens qui lui est propre, sans relation entre elles. On croit pouvoir appuyer cette « grande découverte » théorique dans les faits, et on s'écrie triom­phalement : « ON NE POUVAIT OB­SERVER AUCUNE TENDANCE A LA "CRISE ECONOMIQUE" » !

Aucune tendance ? Vraiment ?

Fin 1967, la situation économique en France commence à donner des signes de détérioration. Le chô­mage menaçant commence à préoccuper chaque jour davantage. Au début de 1968, le nombre de chômeurs complets dépasse les 500 000. Ce n'est plus un phéno­mène local, il atteint toutes les ré­gions. A Paris, le nombre des chômeurs croît lentement mais constamment. La presse se remplit d'article traitant gravement de la hantise du désemploi dans divers milieux. Le chômage partiel s'installe dans beaucoup d'usines et provoque des réactions parmi les ouvriers. Plusieurs grèves sporadiques ont la question du maintien de l'emploi et du plein emploi pour cause directe. Ce sont surtout les jeunes qui sont touchés en premier lieu et qui ne parviennent pas à s'intégrer dans la production. La récession dans l'emploi tombe d'autant plus mal que se présente sur le marché du travail cette géné­ration de l'explosion démogra­phique qui a suivi immédiatement la fin de la 2e Guerre Mondiale. Un sentiment d'insécurité du lende­main se développe parmi les ou­vriers et surtout parmi les jeunes. Ce sentiment est d'autant plus vif qu'il était pratiquement inconnu des ouvriers en France depuis la guerre.

Concurremment, avec le désemploi et sous sa pression directe, les sa­laires tendent à baisser et le niveau de vie des masses se détériore. Le gouvernement et le patronat profi­tent naturellement de cette situa­tion pour attaquer et aggraver les conditions de vie et de travail des ouvriers (voir par exemple les dé­crets sur la Sécurité Sociale).

De plus en plus, les masses sentent que c'en est fini de la belle prospé­rité. L'indifférence et le je-m'en-foutisme, si caractéristiques et tant décriés des ouvriers, au long des derniers 10-15 ans, cèdent la place à une inquiétude sourde et grandis­sante.

Il est assurément moins aisé d'observer cette lente montée de l'inquiétude et du mécontentement chez les ouvriers, que des actions spectaculaires dans une faculté. Cependant, on ne peut continuer à l'ignorer après l'explosion de Mai, à moins de croire que 10 millions d'ouvriers aient été touchés un beau jour par l'Esprit-Saint de l’Anti-spectacle. Il faut bien ad­mettre qu'une telle explosion mas­sive repose sur une longue accu­mulation    d'un    mécontentement réel de leur situation économique et de travail, directement sensible dans les masses, même si un obser­vateur superficiel n'en a rien aperçu. On ne doit pas non plus, attribuer exclusivement à la poli­tique canaille des syndicats et autres staliniens le fait des revendi­cations économiques.

Il est évident que les syndicats, le P.C., venant à la rescousse du gou­vernement, ont joué à fond la carte revendicative comme un barrage contre un possible débordement révolutionnaire de la grève sur un plan social global. Mais ce n'est pas le rôle des organismes de l'Etat capitaliste que nous discutons ici. C'est là leur rôle et on ne saurait leur reprocher de le jouer à fond. Mais le fait qu'ils ont facilement réussi à contrôler la grande masse des ouvriers en grève sur un terrain uniquement revendicatif, prouve que les masses sont entrées dans la lutte essentiellement dominées et préoccupées par une situation chaque jour plus menaçante pour eux. Si la tâche des révolution­naires est de déceler les possibilités radicales contenues dans la lutte même des masses et de participer activement à leur éclosion, il est avant tout nécessaire de ne pas ignorer les préoccupations immé­diates qui font entrer les masses dans la lutte.

Malgré les fanfaronnades des mi­lieux officiels, la situation écono­mique préoccupe de plus en plus le monde des affaires, comme le té­moigne la presse économique du début de l'année. Ce qui inquiète n'est pas tant la situation en France, qui occupe alors une place privilégiée, mais le fait que cette si­tuation d'alourdissement s'inscrit dans un contexte d'essoufflement économique à l'échelle mondiale, qui ne manquerait pas d'avoir des répercussions en France. Dans tous les pays industriels, en Europe et aux USA, le chômage se déve­loppe et les perspectives écono­miques s'assombrissent. L'Angleterre, malgré une multipli­cation des mesures pour sauvegar­der l'équilibre, est finalement réduite fin 1967 à une dévaluation de la Livre Sterling, entraînant der­rière elle des dévaluations dans toute une série de pays. Le gouver­nement Wilson proclame un pro­ gramme d'austérité exceptionnel : réduction massive des dépenses publiques, y compris l'armement - retrait des troupes britanniques de l'Asie -, blocage des salaires, ré­duction de la consommation in­terne et des importations, effort pour augmenter les exportations. Le 1er janvier 1968, c'est au tour de Johnson de pousser un cri d'alarme et d'annoncer des mesures sévères indispensables pour sauvegarder l'équilibre économique. En mars, éclate la crise financière du dollar. La presse économique chaque jour plus pessimiste, évoque de plus en plus le spectre de la crise de 1929, et beaucoup craignent des consé­quences encore plus graves. Le taux de crédit monte dans tous les pays, partout la bourse des valeurs accuse des bouleversements, et dans tous les pays, un seul cri : ré­duction des dépenses et de la consommation, augmentation des exportations à tout prix et réduc­tion au strict nécessaire des impor­tations. Parallèlement, la même détérioration se manifeste à l'Est dans le bloc russe, ce qui explique la tendance des pays comme la Tchécoslovaquie et la Roumanie à se détacher de l'emprise soviétique et à chercher des marchés à l'extérieur.

Tel est le fond de la situation éco­nomique d'avant mai.

Bien sûr, ce n'est pas la crise éco­nomique ouverte, d'abord parce que ce n'est que le début, et ensuite parce que dans le capitalisme ac­tuel, l'Etat dispose de tout un arse­nal de moyens lui permettant d'intervenir afin de pallier et partiellement, d'atténuer momenta­nément les manifestations les plus frappantes de la crise. Il est néces­saire toutefois de mettre en évi­dence les points suivants :

a)  Dans les 20 années qui ont suivi la 2e Guerre, l'économie capitaliste a vécu sur la base de la reconstruc­tion des ruines résultant de la guerre, d'une spoliation éhontée des pays sous-développés, qui au travers de la fumisterie de guerres de libération et d'aides à leur re­construction en Etats indépen­dants, ont été exploités au point d'être réduits à la misère et à la fa­mine ; d'une production croissante d'armements : l'économie de guerre.

b)  Ces trois sources de la prospé­rité et du plein-emploi de ces 20 dernières années, tendent vers leur point d'épuisement. L'appareil de production se trouve devant un marché d'autant plus saturé et l'économie capitaliste se retrouve exactement dans la même situation et devant les mêmes problèmes in­solubles qu'en 1929, encore aggra­vés.

c)  L'interrelation entre les écono­mies de l'ensemble des pays est plus accentuée qu'en 1929. De là : une répercussion plus grande et plus immédiate de toute perturba­tion d'une économie nationale sur l'économie des autres pays et sa généralisation.

d)  La crise de 1929 a éclaté après de lourdes défaites du prolétariat in­ternational, la victoire de la contre-révolution russe s'imposant complètement par sa mystification du « socialisme » en Russie, et le mythe de la lutte anti-fasciste. C'est grâce à ces circonstances his­toriques particulières que la crise de 1929 qui n'était pas conjonctu­relle mais bien une manifestation violente de la crise chronique du capitalisme en déclin, pouvait se développer et se prolonger de longues années, pour déboucher finalement dans la guerre et la des­truction généralisée. Tel n'est plus le cas aujourd'hui.

Le capitalisme dispose de moins en moins de thèmes de mystification capables de mobiliser les masses et de les jeter dans le massacre. Le mythe russe s'écroule, le faux di­lemme démocratie bourgeoisie contre totalitarisme est bien usé. Dans ces conditions, la crise appa­raît dès ses premières manifesta­tions pour ce qu'elle est. Dès ses premiers symptômes, elle verra surgir dans tous les pays, des réac­tions de plus en plus violentes des masses. Aussi, c'est parce qu'aujourd'hui la crise économique ne saurait se développer pleine­ment, mais se transforme dès ses premiers indices en crise sociale, que cette dernière peut apparaître à certains comme indépendante, suspendue en quelque sorte en l'air, sans relation avec la situation économique qui cependant la conditionne.

Pour bien saisir cette réalité, il ne faut évidemment pas l'observer avec des yeux d'enfant, et surtout ne pas rechercher la relation de cause à effet d'une façon étroite, immédiate et limitée à un plan lo­cal de pays et de secteurs isolés. C'est globalement, à l'échelle mondiale, qu'apparaissent claire­ment les fondements de la réalité et des déterminations ultimes de son évolution. Vu ainsi, le mouvement des étudiants qui luttent dans toutes les villes du monde, apparaît dans sa signification profonde et sa limite. Si les combats des étu­diants, en mai, pouvaient servir comme détonateur du vaste mou­vement des occupations des usines, c'est parce que, avec toute leur spécificité propre, ils n'étaient que les signes avant-coureurs d'une si­tuation s'aggravant au coeur de la société, c'est-à-dire dans la pro­duction et les rapports de produc­tion.

Mai 1968 apparaît dans toute sa si­gnification pour avoir été une des premières et une des plus impor­tantes réactions de la masse des travailleurs contre une situation économique mondiale allant en se détériorant.

C'est par conséquent une erreur de dire comme l'auteur du livre que : « L'éruption révolutionnaire n'est pas venue d'une crise économique, mais elle a  tout au contraire CONTRIBUE A CREER UNE SITUATION DE CRISE DANS L'ECONOMIE» et « cette économie une fois perturbée par les forces négatives de son dé­passement historique doit FONC­TIONNER MOINS BIEN » (p. 209).

Ici décidément, les choses mar­chent sur la tête : les crises écono­miques ne sont pas le produit né­cessaire des contradictions inhé­rentes au système capitaliste de production, comme nous l'enseigne Marx, mais au contraire, ce sont seulement les ouvriers par leurs luttes qui produi­sent ces crises dans une économie qui « FONCTIONNE BIEN ». C'est ce que ne cessent de nous répéter de tous temps, le patronat et les apo­logistes du capitalisme ;  c'est ce que De Gaulle reprendra en no­vembre, expliquant la crise du franc par la faute des enragés de mai. ([2] [65])

C'est en somme la substitution de l'économie politique de la bour­geoisie à la théorie économique du marxisme. Il n'est pas surprenant qu'avec une telle vision, l'auteur explique tout cet immense mouve­ment qu'était Mai comme l'oeuvre d'une minorité bien décidée et en l'exaltant : «L'agitation déclenchée en Janvier 1968 à Nanterre par quatre ou cinq révolutionnaires qui allaient constituer le groupe des en­ragés, devait entraîner, sous cinq mois, une quasi liquidation de l'Etat». Et plus loin «jamais une agitation entreprise par un si petit nombre n'a entraîné en si peu de temps de telles conséquences ».

Là où pour les situationnistes le problème de la révolution se pose en termes « d'entraîner», ne serait-ce que par des actions exemplaires, il se pose pour nous en termes d'un mouvement spontané des masses du prolétariat, amenées forcément à se soulever contre un système économique en désarroi et en dé­clin, qui ne leur offre plus désor­mais que la misère croissante et la destruction, en plus de l'exploitation.

C'est sur cette base de granit que nous fondons la perspective révolu­tionnaire de classe et notre convic­tion de sa réalisation.

MC


[1] [66] L'IS était un groupe qui eut une influence certaine en Mai 68, en particulier dans les secteurs les plus radicaux du milieu étudiant. Il trouvait ses sources d'une part dans le mouvement «  lettriste » qui, dans la conti­nuité de la tradition des surréalistes, voulait faire une critique révolutionnaire de l'art, et d'autre part dans la mouvance de la Revue Socialisme ou Barbarie fondée par l'ex-trotskiste grec Castoriadis au début des an­nées 50 en France. L'IS se réclamait ainsi de Marx mais pas du marxisme. Elle reprenait certaines des positions les plus avancées du mouvement ouvrier révolutionnaire, en par­ticulier de la Gauche communiste germano-hollandaise, (nature capitaliste de l'URSS, rejet des formes syndicales et parlemen­taires, nécessité de la dictature du proléta­riat par la voie des conseils ouvriers) mais les présentait comme ses propres découvertes, enrobées dans son analyse du phénomène du totalitarisme : la théorie de «la société du spectacle». L'IS incarnait certainement un des points les plus élevés que pouvaient atteindre des secteurs de la petite bourgeoisie estudiantine radicalisée : le rejet de leur condition («Fin de l’université ») pour tenter de s'intégrer dans le mouvement révolutionnaire du prolétariat. Mais leur adhésion restait imbibée des caractéristiques de leur milieu d'origine, en particulier par leur vision idéologique de l'histoire, incapables de comprendre l'importance de l'économie et donc la réalité de la lutte de classes. La revue de l'IS disparut peu de temps après 1968 et le groupe finit dans les convulsion d'une série d'exclusions réciproques.

[2] [67] Pour ceux qui voudraient voir dans la crise du franc en novembre, un simple fait de spéculation de « mauvais français », nous soumettons ces lignes de Marx extraites de « Revue de Mai à Octobre 1850 » : « La crise elle-même éclate d'abord dans le domaine de la spéculation, et ce n'est que plus tard qu'elle s'installe dans la produc­tion. A l'observation superficielle, ce n'est pas la surproduction, mais la sur spéculation - pourtant simple symptôme de la surproduc­tion - qui paraît être la cause de la crise. La désorganisation ultérieure de la production n'apparaît pas comme un résultat nécessaire de sa propre exubérance antérieure, mais comme une simple réaction de la spéculation en train de s'effondrer » (Publié par M.Rubel dans Etudes de Marxologie, n° 7, août 1963).

Géographique: 

  • France [68]

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Mai 1968 [69]

Approfondir: 

  • Mai 1968 [70]

Source URL:https://fr.internationalism.org/en/content/revue-internationale-no-74-3e-trimestre-1993

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