Depuis le début de l'année, la bourgeoisie française porte des coups de plus en plus rudes à la classe ouvrière sur tous les plans.
Toute une série de mesures sont mises en place pour accélérer le démantèlement de la protection sociale et imposer une réduction des dépenses de santé.
Un nouveau cap a été franchi dans la précarisation des emplois. Après la création, il y a six mois, du Contrat Nouvelle Embauche pour les entreprises de moins de 20 salariés (qui touche déjà 220 000 jeunes ouvriers), le Contrat Première Embauche élargit désormais la même mesure qui permet aux entreprises de moins de 50 salariés de licencier brutalement, sans motif ni autre procédure, les jeunes de moins de 26 ans pendant une période de deux ans. Et ce n'est pas fini : Villepin a fait part d'un projet de contrat de travail unique généralisant la "période d'essai" de 2 ans qui pourrait être adopté l'été prochain. Cette précarisation s'étendra d'ailleurs à toutes les tranches d'âge : pour les "seniors" (c'est-à-dire les travailleurs de plus de 57 ans) seront créés des contrats à durée déterminée de 18 mois, renouvelables une seule fois.
La flexibilité touchera aussi les plus de 60 ans, encouragés à reprendre un travail sous-rémunéré au-delà de l'âge de la retraite.
On dénombre déjà officiellement aujourd'hui 850 000 sans logis dont un tiers sont des salariés insuffisamment payés.
A cela s'ajoute un projet de révision de calcul du SMIC avec la mise en avant que la loi des 35 heures n'a pas été intégrée dans le calcul de base et qu'il devrait par conséquent être revu à la baisse.
De nouvelles lois viennent de durcir les conditions d'obtention des cartes de séjour et favoriser les mesures d'expulsion immédiate des travailleurs immigrés déjà surexploités.
Tandis que l'intensification des contrôles visent à radier de toute indemnisation un maximum d'ouvriers réduits au chômage, la réduction de la durée de leur indemnisation sera applicable aux nouveaux inscrits dès janvier 2006 grâce à l'accord d'une majorité des syndicats. 36 000 sans-emploi supplémentaires vont ainsi perdre leur allocation.
Les plans de licenciements continuent du plus belle : Ford dans la région bordelaise, les Chantiers de l'Atlantique, Seb, Nestlé, Areva, Arcelor, etc.
L'Etat donne également l'exemple à travers la détérioration des conditions de travail de ses fonctionnaires : 1 poste sur 2 n'est pas remplacé, suite aux départs en retraite ou aux mutations. Il en est de même dans la plupart des services publics, privatisés ou non (SNCF, La Poste, France Telecom, …) où des milliers d'emplois disparaissent au nom de la rentabilité insuffisante.
Pour prendre un seul exemple, dans l'Education nationale : parmi les récentes "réformes", le régime du cumul de 2 matières par enseignant pour le même salaire a été élargi, le recours au "volontariat" forcé pour pallier aux absences d'enseignants malades s'est généralisé. Cela se traduit par la suppression de 1500 postes d'enseignants dans le primaire où sont pourtant attendus 42 700 élèves supplémentaires, et de 2000 dans le secondaire (lycées et collèges) ; de même, il y a une diminution de 6000 postes dans les recrutements sur concours dans l'Education nationale, alors que se multiplient les embauches de non titulaires ou de titulaires sans poste fixe avec les divers statuts de vacataires, de contractuels, de maîtres-auxiliaires.
C'est l'ensemble de la classe ouvrière, quel que soit l'âge, le secteur d'activité, le niveau de qualification qui est frappée partout, massivement et simultanément. Ce que démontrent clairement ces attaques, c'est la faillite du capitalisme, c'est l'incapacité de plus en plus manifeste de ce système à assurer l'emploi, la protection sociale, le salaire, le logement, des conditions de travail et de vie décentes aux travailleurs qu'il exploite.
Ce qu'elles démontrent aussi, parce que tous les secteurs et toutes les générations de prolétaires sont attaqués aujourd'hui en même temps, c'est qu'il est nécessaire d'opposer à ces attaques une mobilisation massive et unie des ouvriers.
Face à l'éparpillement des luttes organisé par les syndicats (voir page 3), la classe ouvrière doit riposter massivement, autour de revendications unitaires, communes à tous. C'est le seul moyen de se défendre, de construire un réel rapport de forces face aux attaques de la bourgeoisie et de développer un combat capable de remettre en cause ce système d'exploitation.
W (27 janvier)
Partout sur la planète, les attaques pleuvent avec une violence redoublée sur les prolétaires de tous les secteurs et de tous les âges. Mais cette offensive d’une bourgeoisie prise à la gorge par l’enfoncement dans la crise économique de son système voit la classe ouvrière se dresser de plus en plus ouvertement contre les mesures capitalistes d’aggravation de ses conditions de vie et de travail. Ainsi, faits significatifs, la dernière semaine de l’année 2005, en plein dans la "trêve des confiseurs" de Noël où la classe dominante rêve de faire croire au Père Noël à tous les exploités, s’est achevée par deux grèves ouvrières d'envergure à la fois sur le vieux continent (les ouvriers de la SEAT dans la région de Barcelone) et sur le nouveau (dans les transports new-yorkais). Ces grèves ne sont pas des phénomènes isolés mais sont la claire manifestation d'une combativité montante au sein de la classe ouvrière à l'échelle internationale. Elles démontrent une volonté de plus en plus forte au sein du prolétariat de se défendre et de riposter aux attaques capitalistes. Elles viennent rappeler que la classe ouvrière est une classe internationale, pour laquelle les intérêts sont les mêmes, au-delà des nationalités, des couleurs de peau et des générations.
Ces grèves sont venues également illustrer le fait que les syndicats restent encore et toujours les pires ennemis de la lutte ouvrière, les véritables saboteurs et les briseurs de grève, ceux dont le travail de fond est en outre d’enrayer toute prise de conscience de la nécessité et de la possibilité de détruire le système capitaliste. Les ouvriers doivent garder la mémoire de leurs luttes et en tirer les leçons pour celles à venir.
Suite à la crise qui déchire le milieu anarcho-syndicaliste depuis quelques années, des débats animent toute une série de regroupements. La prise de position du bulletin « A trop courber l’échine » est représentative du type de questions qui y sont discutées :
Pour les marxistes, le caractère révolutionnaire du prolétariat n’est pas une profession de foi ou une déification de cette classe. La nature révolutionnaire du prolétariat ne s’explique pas en premier lieu par sa capacité à entrer en révolte contre l’ordre établi. Bien des classes exploitées du passé ont pu s’affronter à la classe dominante, ainsi que la révolte des esclaves de l’Antiquité (Spartacus) ou celle des serfs au Moyen Age (les jacqueries), ont pu se revendiquer d'un communisme et d'un égalitarisme grossiers, sans pour autant constituer la classe révolutionnaire de leur temps. Pour le marxisme, les classes révolutionnaires se distinguent des autres classes de la société par le fait que, contrairement à ces dernières, elles ont la capacité de renverser la classe dominante. Tant que le développement matériel des forces productives était insuffisant pour assurer l’abondance à l’ensemble des membres de la société, celle-ci était condamnée au maintien des inégalités économiques et des rapports d’exploitation en son sein. Dans ces conditions, seule une nouvelle classe exploiteuse pouvait s’imposer à la tête du corps social. L’esclavagisme a été dépassé par la classe féodale ; le féodalisme a été détruit par la bourgeoisie.
La nature révolutionnaire du prolétariat ne se fonde pas non plus sur la perspective du rétablissement d’une "équité" en faveur du prolétariat spolié de "ses droits" par la classe dominante. Ce qui confère sa nature révolutionnaire au prolétariat, c’est la place qu’il occupe dans les rapports capitalistes de production : si le capitalisme s’effondre, c’est non pas parce qu’il produit trop peu mais parce qu’il produit trop, faute de trouver une demande solvable suffisante. C’est dans l’incapacité de la société à acheter la totalité des marchandises produites, bien que les besoins humains soient bien loin d’être satisfaits, que réside cette calamité vraiment absurde de la crise de surproduction. Celle-ci a pour racine le règne généralisé des rapports d’échange marchands. L’unique moyen d’en surmonter les contradictions réside dans l’abolition de toutes les formes de marchandises et en particulier, de la marchandise force de travail (le rapport social du salariat qui fait de la force de travail du prolétariat une marchandise comme une autre). Ce n’est que lorsque les richesses de la société seront appropriées par celle-ci collectivement que pourront disparaître l’achat et la vente. Le levier de cette contradiction, c’est le prolétariat, la classe associée productrice de l’ensemble des biens de la société mais privée du produit de son travail. Seul le prolétariat, qui subit la forme spécifique de l’exploitation capitaliste, le salariat, peut se donner la perspective du dépassement des rapports sociaux capitalistes.
Le capitalisme, comme tous les systèmes d’exploitation avant lui est un système transitoire dans l’histoire, voué à disparaître. En se développant, il a créé les conditions de l’abondance matérielle, préalable à l’abolition de toute exploitation, mais aussi la classe, celle des prolétaires, la première dans l’histoire apte à faire du communisme une réalité matérielle. La spécificité du prolétariat est justement d’être la première classe de l’histoire à être à la fois une classe exploitée et une classe révolutionnaire ([2] [7]). La nature révolutionnaire de la classe ouvrière ne peut pas être comprise si l’on ne voit pas la dimension historique de son combat. Toute conception politique qui s’attache à une vision photographique, immédiate, à l’apparence d’une classe ouvrière divisée et "intégrée" au capital, ne peut que faire le jeu (et même servir) des intérêts de la classe dominante.
Le discours de A trop courber l’échine selon lequel la classe ouvrière d’aujourd’hui n’aurait plus rien à voir avec celle du passé pour affirmer, finalement, qu’on ne peut plus compter sur elle, n’est pas une nouveauté pour le mouvement ouvrier. Constamment les révolutionnaires ont dû - et devront - mener une lutte implacable contre ce type de poison. Ainsi, à la veille de 1905, comme le rappelle Trotsky, la bourgeoisie russe claironnait encore qu’"il n’y a pas de peuple révolutionnaire en Russie" au moment même où "le télégraphe transmettait au monde entier la grande nouvelle du début de la révolution russe… Nous l’attendions, nous ne doutions pas d’elle. Elle avait été pour nous, pendant de longues années, une simple déduction de notre ‘doctrine’ qui excitait les railleries de tous les crétins de toutes les nuances politiques. Ils ne croyaient pas au rôle révolutionnaire du prolétariat. (…) Il n’y avait pas de préjugés politiques qu’ils n’acceptassent les yeux fermés. Seule, la foi dans le prolétariat leur paraissait un préjugé." [3] [8]
Depuis quelques années, on assiste à la floraison de tout une littérature qui recycleles rengaines les plus éculées utilisées dans le passé par les adversaires de la classe ouvrière. Par exemple, pour le groupe "radical" Krisis, la lutte entre la bourgeoisie, "simple élite de fonction", et le prolétariat "dont les luttes ne permettent pas de sortir du capitalisme" n’est pas une lutte entre une classe dominante et une classe révolutionnaire, mais entre " deux intérêts différents" à l’intérieur du capitalisme. Il s’agirait de se libérer du travail "sans s’appuyer sur aucune loi de l’histoire" mais "sur le dégoût qu’éprouve l’individu face à sa propre existence." [4] [9]
En vue de garantir son emprise sur les exploités, et de les maintenir dans la passivité, la classe dominante n’hésite pas, à chaque occasion, à prononcer sentencieusement la disparition du prolétariat, son intégration, son embourgeoisement, etc., quitte à être, à chaque fois… démentis par les faits !
Ainsi, à la fin de la période de contre-révolution, dans les années 1960, le groupe de Castoriadis Socialisme ou Barbarie avait annoncé que l’antagonisme entre bourgeoisie et prolétariat, avait cédé la place à l’antagonisme entre "dirigeants et dirigés". Plus tard Marcuse, considérant la classe ouvrière "intégrée" à la société capitaliste, affirmait que les seules forces de contestation étaient les catégories sociales marginalisées, tels les noirs aux Etats-Unis, les étudiants ou les paysans des pays sous-développés. Ces élucubrations ont été balayées par la gigantesque grève de Mai 68 et le retour sur la scène de l’histoire du prolétariat dont les luttes des années 1970-80 allaient culminer avec la grève de masse en Pologne en 1980.
Les doutes sur la nature révolutionnaire du prolétariat de A trop courber l’échine ne sont pas seulement typiques des périodes où la lutte de la classe ouvrière ne révèle pas de façon explicite son caractère révolutionnaire. Plus généralement, ils expriment le poids et l'influence de l'idéologie de la classe dominante au sein de la société. Surtout, à la base de ces doutes, il y a les confusions de l’anarchisme.
Alors que devient de plus en plus apparente aux yeux de la classe ouvrière l’impasse dans laquelle se trouve le système capitaliste, où l’effondrement économique sans issue condamne des parties de plus en plus importante de la population à la misère absolue, où la guerre ravage des régions entières de la planète, la classe ouvrière est poussée à rechercher une alternative à ce désastre. L’idéologie bourgeoise n’hésite pas aujourd'hui à se donner les couleurs de "l’anti-capitalisme" - à l’aide de l’altermondialisme - pour maintenir en vie les illusions sur la possibilité de réformer le système, pour mieux saboter la confiance du prolétariat dans ses propres forces et le détourner de sa perspective révolutionnaire. Grâce à cette idéologie soi-disant "anticapitaliste", les syndicats et partis de gauche rénovent leur discours pour se rendre plus attractifs afin de mieux mystifier les ouvriers.. Exploitant la vulnérabilité encore importante de la classe ouvrière, la bourgeoisie cherche à dissoudre le prolétariat dans la "population". Elle joue sur le sentiment "anticapitaliste" largement répandu pour amener le prolétariat à exprimer sa colère dans le cadre des institutions de l’Etat démocratique, dans les urnes électorales; c’est-à-dire là où il est complètement impuissant.
En complément de l'idéologie réformiste de l’altermondialisme, l’idéologie anarchiste (qui en forme le versant radical), montre toute son utilité pour la bourgeoisie. Quel avantage la classe dominante peut-elle tirer de l'anarchisme, de cette idéologie, en apparence aussi "anti-étatique" et anti-bourgeoise ?
Celui du ‘révolutionnarisme’, trompeur, car inoffensif et incapable à mettre en péril la domination de la bourgeoisie, et cela du fait que l'anarchisme partage avec la bourgeoisie "démocratique" certaines conceptions qui l’enchaîne à la société capitaliste :
Aujourd’hui, le traumatisme historique du stalinisme, font que beaucoup de prolétaires à la recherche d’une perspective réellement révolutionnaire sont séduits par le courant "libertaire".
Dans ce milieu autour de l’anarchisme et de l’anarcho-syndicalisme, la clarification politique de ceux qui sont sincèrement attachés à la cause du communisme, passe par leur volonté de comprendre et de se réapproprier l'expérience historique réelle de la classe ouvrière.
[2] [11] Nous n’abordons pas dans cet article la question : qui fait partie de la classe ouvrière ? Nous indiquerons seulement que c’est "le fait d’être privé de moyens de production et d’être contraint pour vivre, de vendre sa force de travail à ceux qui les détiennent et qui mettent à profit cet échange pour s’accaparer une plus-value, [qui] détermine l’appartenance à la classe ouvrière." Pour plus de détails lire l’article "Le prolétariat est bien la classe révolutionnaire" dans les numéros 73 et 74 de la Revue Internationale.
[3] [12] L. Trotsky, 1905, Editions de Minuit, p. 76-77
[4] [13] R. Kurz, E. Lohoff, N. Trenke, Manifeste contre le travail, 2002, Ed. Léo Scherr.
L’article que nous publions ci-dessous a été rédigé avant les élections palestiniennes dont la tenue avait été auparavant unanimement saluée par toutes les grandes démocraties occidentales comme un pas important pour la démocratie au Moyen-Orient. La victoire retentissante du Hamas intégriste, évince d’emblée du pouvoir un Fatah profondément divisé et largement discrédité dans la population qui n’y a vu qu’un régime corrompu et rendu responsable d’années de misère et de répression. Cette victoire-surprise d’une fraction "extrémiste" jusqu’ici partisane d’une lutte à mort contre l’Etat d’Israël et dont la branche armée a signé les attentats-kamikazes les plus meurtriers et sanglants de ces dernières années, inquiète les principales puissances démocratiques de la planète. D’une part, cet événement constitue d’abord une illustration supplémentaire de l’enfoncement de cette région du monde dans l’engrenage d’une barbarie et d’un chaos que les grandes puissances ont de plus en plus de difficultés à contrôler. D’autre part, il représente en lui-même un puissant facteur d’accélération de ce chaos.
La disparition maintenant certaine de la scène politique d’Ariel Sharon, avant même sa mort effective, ont donné lieu à un véritable concert de louanges de la part de la bourgeoisie : partout il est proposé à la classe ouvrière de pleurer "cet homme de paix". Le 7 janvier nous pouvions lire dans Libération : "Le successeur d’Ariel Sharon aura-t-il les épaules assez larges pour relancer le processus de paix. La question semble tarauder depuis mercredi soir tous les états-majors politiques qu’ils soient palestinien, arabe, occidental ou bien sûr israélien." Le président américain, pour sa part, n’a pas fait dans la nuance : "C’est un homme bon, un homme fort, qui avait une vision de la paix." Tout ceci n’est qu’un ramassis de mensonges et d’hypocrisie. Si la bourgeoisie des plus grands pays verse aujourd’hui des larmes de crocodile, c’est qu’elle trouve son intérêt à mettre en scène la mort politique de l’un des siens. La classe bourgeoise poussée dans une fuite en avant impérialiste et guerrière, dont elle maîtrise de moins en moins le déroulement, tente une nouvelle fois, à travers cette campagne idéologique, de faire croire à la classe ouvrière qu’il peut exister un avenir de paix dans cette société capitaliste pourrissante.
Ariel Sharon, grand serviteur de la bourgeoisie
Cet "homme de paix" commence sa brillante carrière militaire en tant qu’officier dès l’age de 28 ans. Il y commande alors en 1956, pendant la guerre de Suez, la 202e brigade. Sharon participe activement à l’offensive militaire menée conjointement par Israël, l’Angleterre et le France contre l’Egypte et qui aboutit après de violents affrontements à un échec retentissant. le Likoud. Commence alors parallèlement à une élection comme député du Likoud sa carrière de chef de guerre à la solde de l’Etat hébreu. Pendant la guerre du Kippour à la fin des années 1970, il se rendra célèbre en tant que commandant des blindés, dans son affrontement avec la 11e armée égyptienne. Les aviations égyptiennes sont mises hors de combat en quelques heures. La péninsule du Sinaï et la Cisjordanie sont totalement occupées. Les conditions de l’enfoncement dans la barbarie sont ainsi mises en place au Moyen-Orient. En 1982, Sharon est le chef incontesté de l’armée israélienne qui assiège Beyrouth au Liban. Les troupes israéliennes pénètrent dans la capitale en septembre, laissant les phalanges chrétiennes massacrer près de 1500 personnes. Il sera reconnu "indirectement" responsable par la commission d’enquête dirigée par le juge en chef Yizhak Kahan, de la cour suprême, du massacre de ces populations civiles palestiniennes des camps de réfugiés de Sabra et Chatila. Il sera alors momentanément obligé de démissionner de son poste de ministre de la défense. Mais Sharon ne terminera pas là sa triste histoire politique. Sa présence provocatrice sur l’esplanade des Mosquées est le facteur déclencheur de la 2e Intifada. Elle traduit une volonté d’attiser la haine entre Palestiniens et Israéliens, après l’échec des négociations de Camp David à l’été 2000.
Réélu premier ministre de l’Etat d’Israël en mars 2003, il ne cessera depuis de mener la politique guerrière et barbare de l’Etat israélien en Cisjordanie et à Gaza. Au cours des trois dernières années, l’administration Sharon, tout en poursuivant raids et bombardements aériens sur les zones de population civile, ira jusqu’à légaliser les "attentats ciblés" : meurtres programmés et organisés par l’administration israélienne.
Le départ d’Ariel Sharon du Likoud il y a quelques mois et la fondation d’un nouveau parti entièrement rassemblé autour de sa personne ne traduisaient en rien une volonté de paix de la part du chef israélien. La politique internationale menée par son gouvernement est au contraire la politique impérialiste la mieux adaptée à la défense des intérêts d’Israël. Lorsque Gaza a été évacuée l’été dernier, les médias bourgeois pouvaient parler d’un pas important effectué en direction de la paix. On voit aujourd’hui ce qu’il en est réellement. Gaza est un territoire encerclé, coupé du monde et plongé dans une totale anarchie où les bandes armées privées font régner leur loi. Ce retrait israélien de la Bande de Gaza, orchestré par Sharon, correspondait au besoin d’un renforcement de la présence d’Israël en Cisjordanie. Le mur bâti autour de cette région et dont le tracé a été modelé par la bourgeoisie israélienne va permettre l’implantation de nouvelles colonies ; il permet également l’isolement total de Jérusalem-Est. Les limites d’Ariel Sharon n’étaient ni les exigences de l’Autorité palestinienne, ni celles de la communauté internationale. L’accord d’une majorité de la bourgeoisie israélienne et de l’administration Bush lui étaient seuls nécessaires.
Pour le Financial Times, la réalité est encore plus clairement affichée. La politique de Sharon n’est en rien compatible avec un minimum de stabilisation dans cette partie du Moyen-Orient, "car sa conception de la sécurité d’Israël est incompatible avec l’avènement d’un cadre de vie pour les Palestiniens."
Chaque jour en Israël, à Gaza, en Cisjordanie, connaît son lot de violence et d’attentats. La crise au sein de l’Autorité palestinienne ne cesse de s’aggraver. Comme nous l’avions déjà écrit dans notre presse, la mort de l’ancien leader palestinien Arafat ne pouvait être qu’un facteur d’accélération du chaos et de la barbarie.
L’enfoncement dans la barbarie guerrière, seule perspective au Moyen-Orient
Pour la bourgeoisie israélienne, comme pour la bourgeoisie palestinienne, il n’existe pas d'autre choix que la fuite en avant dans l’affrontement. La perspective de la restauration d’une autorité forte en territoires palestiniens, embryon d’un futur Etat est une pure illusion. Quant à Israël, sa perspective de fuite dans la barbarie impérialiste n’est pas dépendante du "centrisme" affiché du nouveau parti d’Ariel Sharon, comme de la radicalisation à droite du Likoud de Netanyahou, pas plus qu’à la propagande pacifiste d’une partie de la gauche israélienne. Depuis la fin du 2e conflit mondial, jamais la guerre n’a cessé au Moyen-Orient, dont l'histoire est ponctuée par des affrontements impérialistes caractérisés, avec la guerre de Suez en 1956, celles des Six Jours en 1967, du Kippour en 1973 et du Liban en 1982.
Depuis mai 2003, les négociations ont repris autour "d’une feuille de route", proposé par les Etats-Unis, l’ONU, l’Union Européenne et la Russie. Mais le développement féroce des intérêts impérialistes toujours plus divergents entre ces grandes puissances est la garantie dramatique de l’aggravation de la barbarie dans cette région du monde. Il n’y a pas de paix possible dans le capitalisme.
Tino (19 janvier)
Que nous proposent aujourd'hui les syndicats qui prétendent défendre nos intérêts pour résister aux attaques massives de la bourgeoisie ? Ils nous appellent à nous mobiliser à travers une ribambelle de journées d'actions à répétition en évoquant le "succès" de celle du 4 octobre dernier qui était restée sans lendemain.
Le 31 janvier, l'appel à des mobilisations inter-professionnelles locales "pour la défense de l'emploi, des salaires et des conditions de travail" est lancé par la seule CGT.
Le 1er février, syndicats d'enseignants et de parents d'élèves sont appelés à une manifestation contre le manque de moyens des écoles dans la banlieue parisienne.
Le 2 février, c'est au tour de toute la fonction publique que les principaux syndicats (CGT, FO, FSU, CFDT) ont appelé à manifester pour réclamer une hausse des salaires des fonctionnaires et une refonte de la grille indiciaire, tout en faisant l'impasse sur les suppressions massives de postes et la dégradation des conditions de travail. En fait, pour mieux morceler cette "riposte", trois syndicats ont donné, quelques jours auparavant, leur accord (ce qui a clôturé la négociation) à une augmentation symbolique proposée par le gouvernement : deux augmentations salariales de 0,5 % en juillet et en… février 2007, agrémentées d'un dérisoire point d'incice supplémentaire à tous les agents de l'Etat en novembre prochain.
Le 7 février, en pleine période de vacances scolaires, (ce qui est un bon moyen d'éviter une mobilisation massive) CGT, FO, CFDT, CFTC, FSU, UNSA ainsi que le syndicat UNEF pour les étudiants et UNL pour les lycéens, appellent à un large rassemblement et à des manifestations communes pour "le retrait du contrat première embauche".
Enfin, à l'appel de la Confédération Européenne des Syndicats, une manifestation est organisée à Strasbourg contre l'hydre de la directive Bolkestein.
Que peuvent retirer les ouvriers de ces journées d'action ? Rien, sinon un épuisement stérile de leur combativité, un sentiment d'impuissance et de démoralisation avec l'impression que "lutter ne sert à rien". Et c'est exactement le but recherché par les syndicats et l'ensemble de la bourgeoisie. C'est aussi le but recherché par les organisations trotskistes, comme celle d' Arlette Laguiller, qui font semblant de défendre les luttes ouvrières contre le sabotage syndical.
Dans son n° 1956 du 27 janvier, le journal "Lutte Ouvrière" adopte un ton "radical" dans un article sur la journée d'action syndicale du 2 février :"Emploi et salaire sont des exigences partagées par tous. Malheureusement, l'égrènement des dates des journées fixées par les centrales syndicales dilue dramatiquement la réponse des travailleurs (…) C'est bien la même riposte qu'il faut construire". Mais dans le même numéro, un communiqué de LO en encadré appelle à participer à la journée d'action syndicale du 7 non pas contre TOUTES les attaques de la bourgeoisie, mais uniquement contre le Contrat Première Embauche avec comme mot s'ordre : "Villepin doit retirer son projet !"
La multiplication des mobilisations syndicales, l'éparpillement, le saucissonnage de la riposte, n'est ni un produit de la division syndicale, ni le résultat d'une tactique erronée. C'est une manœuvre de sabotage de la lutte qui correspond à la fonction que les syndicats occupent depuis près d'un siècle : être des organes d'encadrement de la classe ouvrière au service de l'Etat capitaliste (<!--[if !supportFootnotes]-->[1]<!--[endif]--> [18]). C'est pour cela que la mise en avant de revendications particulières à tel ou tel secteur, divisant, opposant, les intérêts des ouvriers entre eux constitue la tâche quotidienne, ordinaire et sans relâche des syndicats. Ce travail de division s'oppose directement aux besoins d'unité et de solidarité de la classe ouvrière. Les syndicats (et leurs appendices trotskistes) se posent d'autant plus comme des obstacles au développement des luttes ouvrières que les attaques massives actuelles n'épargnent aucun secteur ni aucune génération.
La multiplication actuelle de leurs "journées d'action" sert à émietter et défouler la montée du mécontentement social et à épuiser la combativité des ouvriers. C'est pour empêcher la classe ouvrière de prendre des initiatives que les syndicats prennent les devants en quadrillant tout le terrain social.
L'action des syndicats sert en même temps à paralyser la réflexion de la classe ouvrière et à l'empêcher de comprendre l'enjeu réel de ses luttes immédiates : la perspective de renversement du capitalisme, la possibilité de construire une nouvelle société qui abolira la misère, le profit et l'exploitation.
Alors que l'aggravation des attaques de la bourgeoisie est l'expression de la faillite irrémédiable du système capitaliste, l'idéologie syndicale veut faire croire que ces attaques seraient le produit d'un choix, d'une politique libérale d'un gouvernement de droite faisant le jeu du patronat privé. Bref, qu'il suffirait d'une "bonne" gestion de l'économie (ou de "prendre dans la poche des riches") pour améliorer le sort de la classe ouvrière.
Cette propagande est un complément de la mystification démocratique et électorale qui vise à faire croire qu'un bulletin de vote pourrait changer la donne.
Pour pouvoir développer leurs luttes, les ouvriers ne peuvent pas s'en remettre aux syndicats, ni rester à leur remorque. Ils doivent prendre eux-mêmes la direction de leur combat, à travers les Assemblées Générales massives, ouvertes à toute la classe exploitée, aux jeunes comme aux "seniors", aux ouvriers actifs comme aux chômeurs
L'expérience de la grève de masse en Pologne en août 1980 a montré que la classe ouvrière est capable de s'organiser sans les syndicats pour développer, unifier ses luttes et faire trembler la bourgeoisie. Cette expérience a montré que c'est grâce au syndicat Solidarnosc (soutenu par certains syndicats occidentaux) que la bourgeoisie en Pologne a pu briser la dynamique de la grève de masse. C'est à cause des illusions sur le syndicalisme "libre" et "démocratique", un syndicalisme "à l'occidentale", que les ouvriers de Pologne ont été battus (ce qui a permis le coup d'Etat du général Jaruzelski en décembre 1981) (<!--[if !supportFootnotes]-->[2]<!--[endif]--> [19]).
Pour se défendre, opposer un front massif et uni face aux attaques de la bourgeoisie, les ouvriers doivent tirer les leçons de cette expérience : lutter derrière les syndicats, c'est aller à coup sûr à la défaite !
W (28 janvier)
<!--[if !supportFootnotes]-->[1]<!--[endif]--> [20] Lire notre brochure Les syndicats contre la classe ouvrière.
<!--[if !supportFootnotes]-->[2]<!--[endif]--> [21] Voir sur notre site Web notre article sur les leçons d'août 1980 en Pologne.
A l’occasion de la commémoration des dix ans de la mort de Mitterrand, début janvier 2006, le groupe trotskiste "Lutte Ouvrière" (LO) a, une fois encore, dévoilé son hypocrisie et sa duplicité.
Dans l’éditorial de son hebdomadaire n°1954, Arlette Laguiller n’a aujourd’hui pas de mots assez durs pour dénoncer Mitterrand, en rappelant que "cet ‘homme de gauche’ avait commencé sa carrière sous Pétain comme homme de droite (…)" et qu’il "s’était illustré par des déclarations de guerre du genre (…) : ‘La seule négociation, c’est la guerre’" (lors de la guerre d’Algérie).
A la fin de son éditorial, Arlette appelle donc la classe ouvrière à se souvenir de Mitterrand comme "d’un homme qui a rendu au grand patronat et à la bourgeoisie le fier service de faire passer pour une politique de gauche une politique de soutien sans faille au grand patronat, au détriment des intérêts élémentaires du monde du travail."
Notre Arlette nationale, ne se prive pas, au passage, d’épingler le PCF : elle lui reproche d’avoir mystifié les ouvriers en les appelant à voter pour Mitterrand en 1974 et 1981. Et, mieux encore, LO reproche au PC d’avoir dévoyé les luttes ouvrières sur le terrain électoral puisqu’il a fait "croire aux travailleurs que Mitterrand représentait un espoir, en propageant parmi eux l’idée funeste que ce n’était pas par leurs propres luttes qu’ils pouvaient se défendre mais en permettant à la gauche d’arriver au pouvoir".
Que LO exhorte la classe ouvrière à ne jamais oublier "le mal" que Mitterrand "faisait aux travailleurs", c’est très bien ! Qu’elle dénonce le PC comme rabatteur pour le PS lors des campagnes électorales des années 1970-80, c’est très bien ! Qu’elle affirme aujourd’hui que les ouvriers devaient "se défendre" par "leurs propres luttes" et non pas en votant pour la gauche, bravo ! Arlette a fait un "sans faute"…ou presque.
En effet, il y a dans son pensum juste deux ou trois petites choses qu’elle a "oublié" de rappeler à ses lecteurs. D’abord, le PC n’est pas le seul à avoir appelé les ouvriers à voter pour Mitterrand. LO a fait exactement la même chose ! En 1974, au second tour des présidentielles, voilà ce qu’on pouvait lire dans son hebdomadaire : "Le 19 mai, les travailleurs doivent voter Mitterrand, (…) pas une seule voix ouvrière ne doit manquer à la gauche" ("Lutte Ouvrière" n° 298). En 1981, si Mitterrand a pu être élu président c’est aussi grâce à la campagne de LO dont le mot d’ordre était "Le 10 mai, sans illusion MAIS SANS RÉSERVE, votons Mitterrand" ("Lutte Ouvrière" n°675) (<!--[if !supportFootnotes]-->[1]<!--[endif]--> [22]).
Arlette semble avoir la mémoire bien courte, ou plutôt une mémoire très sélective (avec l’âge, l’éternelle candidate de LO commencerait-elle à avoir ce type de problèmes ?).
Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. La vérité, c’est qu’avec ses grossiers mensonges "par omission", LO nous prend pour des imbéciles ! En appelant les travailleurs à "se souvenir" de la politique anti-ouvrière et militariste de Mitterrand, LO cherche tout simplement à faire oublier sa complicité avec le PC. Elle cherche à faire oublier son sale travail de dévoiement des luttes ouvrières sur le terrain bourgeois des élections et son propre rôle de rabatteur de la gauche.
C’est justement parce que LO a fait la même chose que le PC qu’elle utilise les mêmes méthodes que son grand frère stalinien. Ainsi, depuis 1992, LO refuse de nous attribuer un stand et des forums à sa kermesse annuelle, la "Fête de Lutte Ouvrière". La raison "officielle" invoquée par LO pour justifier cette décision était la suivante : nous aurions été "malpolis" à son égard lors d’un forum, l’année précédente. En effet, au cours d’une intervention, nous avions eu la "mauvaise idée" de rappeler, preuves à l’appui, que LO avait appelé les ouvriers à voter Mitterrand en 1974 et 1981. Dès que nous avons commencé à évoquer ces faits "gênants" en brandissant les pages de couverture de son hebdomadaire du 14 mai 1974 et du 9 mai 1981, LO nous a immédiatement empêché de parler en coupant le micro. C’est pour cela que nous avons protesté en dénonçant cette attitude digne des flics staliniens (voir RI n° 214, 244 et 291).
Aujourd’hui, LO a le culot d’affirmer, avec une répugnante duplicité, que les ouvriers "ne pouvaient se défendre" que "par leurs propres luttes" et non en votant pour Mitterrand. A travers ce "radicalisme" de façade, LO ne vise qu’un seul but : tenter de se refaire une virginité pour continuer à mystifier la classe ouvrière et mieux saboter ses luttes.
Si les ouvriers doivent se souvenir de la politique capitaliste de Mitterrand, ils doivent aussi se souvenir que cette politique n’a pu être menée que grâce à tous ceux qui, comme le PC et comme LO, ont appelé à voter pour lui. Ceux-là sont tous dans le camp de la bourgeoisie !
Sofiane
<!--[if !supportFootnotes]-->[1]<!--[endif]--> [23] Les premières pages des numéros 298 et 675 de Lutte Ouvrière, dont il est question, peuvent être adressés à tout lecteur qui nous en fera la demande.
Une tactique commune dans les attaques capitalistes contre les retraites et les allocations de santé est la tentative de créer des systèmes "multi-niveaux", dans lesquels les nouveaux employés perçoivent des avantages ou des retraites plus faibles, que cela prenne la forme de baisse de la valeur des avantages perçus par les plus récents employés ou celle d’exiger d’eux un paiement plus élevé des contributions à l’assurance maladie ou aux fonds de pension. Les ouvriers plus anciens sont bridés par la promesse que les coupes ne les affecteront pas, mais seulement ceux qui seront embauchés à l'avenir. Traditionnellement, les syndicats aident à faire passer ces "marchés", saluant leurs "efforts" pour avoir préservé les ouvriers déjà employés comme des "victoires". Cette tactique monte les ouvriers les uns contre les autres, opposant les intérêts des ouvriers employés de longue date à ceux fraîchement embauchés, la vieille génération contre la jeune – une recette désastreuse pour l’unité de la classe ouvrière – permettant aux directions de diviser les ouvriers et de vaincre leur résistance. Cela a précisément été la l'option choisie : diviser les ouvriers qui s’est trouvée au cœur de la récente lutte dans les transports de la ville de New York. La Metropolitan Transit Authority, contrôlée par le gouverneur, et dans une moindre mesure par le maire, a cherché à reculer l’âge de la retraite pour les nouveaux embauchés, des actuels 55 ans à 62 ans, et à exiger que ces derniers paient 6 % de leur salaire pour les fonds de pension. L’âge de la retraite à 55 ans (après 25 ans de service) est depuis longtemps en place du fait de la reconnaissance des conditions de travail extrêmement pénibles dans lesquelles triment les ouvriers des transports, dans des souterrains vieux de cent ans, avec un air vicié, le pullulement des rats et le manque général de structures sanitaires. La proposition du gouvernement n’aurait cependant touché aucun des ouvriers déjà employés.
Mais les ouvriers du métro et des bus n’étaient absolument PAS prêts à se laisser diviser par cette escroquerie. Instruits par l'expérience vécue chez nombre de leurs camarades dans d'autres secteurs ayant déjà subi une attaque sur leurs retraites, les ouvriers des transports ont refusé d’accepter qu'on touche à leur régime de retraites. De fait, ils se sont mis en grève pour protéger les retraites des ouvriers qui n’étaient pas encore au travail, ceux qu’ils appelaient "nos pas encore nés", leurs fururs collègues. En tant que telle, cette lutte est devenue l’incarnation la plus claire du mouvement pour réaffirmer l’identité de classe du prolétariat et sa solidarité à ce jour. Elle n’a pas seulement eu un impact profond sur les ouvriers qui ont participé à la lutte, mais aussi sur la classe ouvrière dans d’autres secteurs. Les ouvriers du métro se sont ainsi mis en grève par solidarité de classe avec la génération future, avec ceux qui n’étaient pas encore embauchés. Cette grève a eu un écho favorabche chez beaucoup d’ouvriers, dans de nombreuses industries, qui ont enfin vu des ouvriers se lever en disant : "Ne touchez pas aux retraites !".
La grève des 33 700 ouvriers du métro qui a paralysé la ville de New York trois jours durant dans la semaine avant Noël a été la lutte ouvrière la plus significative depuis quinze ans aux Etats-Unis. Elle a été importante pour un nombre de raisons qui sont liées :
La signification de cette grève ne doit pas être exagérée ; elle ne peut être comparée aux grèves des années 1980 qui ont non seulement été capables de remettre en cause l'autorité de l'appareil d'encadrement syndical destiné à contrôler et à faire dérailler les luttes ouvrières mais qui ont aussi posé la question de l’extension de la lutte à d’autres ouvriers. Cependant, considérant le contexte de conditions difficiles dans lesquelles la classe ouvrière lutte aujourd’hui, cette signification doit être clairement comprise.
Bien qu’elle soit restée strictement sous le contrôle d’une direction syndicale locale dominée par les gauchistes et les syndicalistes de base, la grève du métro a reflété non seulement la combativité montante de la classe ouvrière, mais aussi des pas en avant significatifs et importants dans le développement d’un sentiment retrouvé de l’identité et de la confiance en elle-même de la classe ouvrière, ainsi que de la compréhension de la solidarité de classe, de l’unité des ouvriers par-delà les frontières des générations et des lieux de travail. Les ouvriers du transports ont entrepris cette grève alors même qu’ils savaient être en violation de la loi Taylor de New York qui interdit les grèves dans le secteur public et pénalise automatiquement les grévistes de deux jours de salaire pour chaque jour de grève, ce qui veut dire perdre trois jours de salaire pour chaque jour de grève (un jour pour celui non travaillé et deux jours de pénalité). La ville a ainsi menacé de requérir une amende pénale de 25 000 dollars contre chaque ouvrier pour fait de grève, et de la faire doubler chaque jour : 25 000 dollars le premier jour, 50 000 le deuxième, 100 000 le troisième. Face à des manaces si lourdes brandies par la bourgeoisie, la décision de faire grève n’a pas été prise à la légère par les ouvriers mais a représenté un acte courageux de résistance.
Ce qui rend la grève des transports de New York si significative n’est pas simplement qu’elle a paralysé la plus grande ville de l’Amérique trois jours durant, mais par le niveau de progrès dans le développement de la conscience de classe qu’elle reflète.
Comme nous avons dit, la principale question dans la grève était la défense des retraites, qui subissent une attaque incroyable de la bourgeoisie partout dans le monde et spécialement aux Etats-Unis. Dans ce pays, les allocations gouvernementales de sécurité sociale sont minimales et les ouvriers comptent sur leur entreprise ou sur des fonds de pension liés à leur travail pour maintenir leur niveau de vie une fois à la retraite. Ces deux genres de pensions sont en danger dans la situation actuelle, la première sous les efforts de l’administration Bush pour "réformer" la sécurité sociale, et la deuxième à travers le véritable manque de finances et les pressions pour réduire le paiement des retraites.
La réaffirmation de la capacité de la classe ouvrière à se concevoir et à réagir en tant que classe a pu être constaté à plusieurs niveaux et dans de nombreuses manifestations dans la lutte des transports. Clairement, le problème central lui-même – la protection des retraites pour les futures générations d'ouvriers – contenait cet aspect. Ce n’est pas seulement à un niveau abstrait mais à un niveau concret qu’on pouvait le percevoir et l’entendre. Par exemple, à un piquet de grève d’un dépôt de bus de Brooklyn, des douzaines d’ouvriers se sont rassemblés en petits groupes pour discuter de la grève. Un ouvrier a dit qu’il ne pensait pas qu’il était juste de lutter sur les retraites pour de futurs ouvriers, pour des gens qu’on ne connaissait même pas. Ses collègues s'opposèrent à lui en argumentant que ces futurs ouvriers contraints d’accepter l’attaque contre les retraites "pouvaient être nos enfants". Un autre a dit qu’il était important de maintenir l’unité des différentes générations dans la force de travail. Il a montré que dans le futur il était probable que le gouvernement essaierait de diminuer les avantages médicaux ou le paiement des retraites "pour nous, quand nous serons en retraite. Et il sera important pour les gars au travail alors de se souvenir que nous nous sommes battus pour eux, afin qu’ils se battent pour nous et les empêchent de casser nos avantages". Des discussions similaires se sont passées ailleurs dans la ville, reflétant clairement et concrètement la tendance des ouvriers à se concevoir en tant que classe, à rechercher au-delà des barrières générationnelles que le capitalisme cherche à utiliser pour diviser les uns et les autres.
D’autres ouvriers passant devant les piquets de grève klaxonnaient en signe de solidarité et criaient des hourras de soutien. A Brooklyn, un groupe d’enseignants d’une école élémentaire a exprimé sa solidarité en discutant de la grève avec les élèves et a amené les classes d’élèves de 9-12 ans à rendre visite à un piquet de grève. Les enfants ont apporté des cartes de Noël aux grévistes avec des messages comme : "Nous vous soutenons. Vous vous battez pour le respect."
La grève des transports est devenue un point de référence pour les ouvriers dans d’autres secteurs. A côté des démonstrations de soutien et de solidarité mentionnées ci-dessus, il y a eu de nombreux autres exemples. Les ouvriers qui nne travaillaient pas dans les transports étaient bienvenus aux piquets de grève. Par exemple, un groupe de maîtres-assistants de l’université de New York en grève a rendu visite au piquet de Brooklyn ; ils se sont présentés pour discuter des problèmes de la grève et de sa stratégie avec les ouvriers. Dans d’innombrables lieux de travail autour de la ville, d’autres ouvriers d’autres secteurs ont parlé de l’importance de la solidarité comme étant un exemple sur la question de la défense des retraites.
La sympathie pour les grévistes est restée forte malgré une intense campagne de diabolisation des grévistes menée par la bourgeoisie dès le deuxième jour de la paralysie des transports. Les tabloïdes, comme le Post et le Daily News, traitaient les grévistes de "rats" et de "lâches". Même le libéral New York Times dénonçait la grève comme "irresponsable" et "illégale".
L’illégalité de la grève elle-même a déclenché des discussions importantes au sein de la classe ouvrière à travers la ville et dans le pays. Comment pouvait-il être illégal pour les ouvriers de protester en se retirant du travail ? demandaient beaucoup d’ouvriers. Comme l’a dit un ouvrier lors d’une discussion dans une école de Manhattan, "c’est presque comme si on ne pouvait faire grève que si elle n’avait aucun effet".
Alors que le syndicat local des ouvriers des transports, conduit par les gauchistes et syndicalistes de base contrôlait clairement la grève, employait une rhétorique combative et adoptait un langage de solidarité pour tenir fermement en mains la grève, le rôle du syndicat a été de miner la lutte et de minimiser l’impact de cette grève importante. Très tôt les syndicats ont laissé tomber la revendication d’une augmentation de salaire de 8 % pendant trois ans, et ont focalisé entièrement sur les retraites.
La collusion entre le syndicat et la direction a été révélée dans un reportage publié après la grève dans le New York Times. Tandis que le maire et le gouverneur appelaient bruyamment à la reprise du travail comme pré-condition à l’ouverture de négociations, des négociations secrètes étaient en fait en route à l’Hôtel Helmsley, et le maire acceptait secrètement une proposition de Toussaint d’obtenir de la direction le retrait de l’attaque sur les retraites en échange d’une augmentation des contributions des ouvriers à la couverture maladie, pour dédommager le gouvernement du coût représenté par le maintien des retraites pour les futurs employés.
Cette fin orchestrée par le syndicat et le gouvernement n’est bien sûr pas une surprise, mais simplement une confirmation de la nature anti-ouvrière de tout l’appareil syndical, et n’enlève rien à la signification des apports importants réalisés dans le développement de la conscience de classe. Cela nous remet en mémoire les tâches importantes qui restent devant la classe ouvrière pour se débarrasser du carcan syndical et pour garder le contrôle de la lutte dans ses propres mains.
D'après Internationalism (publication du CCI aux Etats-Unis)Décembre 2005
Le 23 décembre, dans l'entreprise automobile SEAT de Barcelone, les ouvriers des équipes du matin et de l’après-midi, se sont spontanément mis en grève, en solidarité avec les 660 camarades à qui la direction avait adressé le jour même une lettre de licenciement.
C’était le début de la riposte à une attaque criminelle contre leurs conditions de vie. Une attaque parfaitement préméditée et traîtreusement portée par le triangle infernal constitué par le patronat, la Généralité (<!--[if !supportFootnotes]-->[1]<!--[endif]--> [25]) et les syndicats. Une attaque qui va bien au-delà des 660 licenciements, puisqu’à ces derniers s’ajoutent les licenciements disciplinaires des ouvriers qui avaient participé aux actions de début décembre, des licenciements masqués sous couvert de 296 démissions "volontaires", les plans d’intensification de l’exploitation visant à augmenter la production et au moyen desquels on faisait payer aux travailleurs leurs "heures dues"… En définitive, c’est une attaque brutale qui ouvre la porte à de nouvelles attaques. Ce n’est pas gratuitement que le président de la compagnie a annoncé avec arrogance et de façon provocante que "les mesures contenues dans l’accord ne résorbent pas tout l’excédent de personnel".
Comme les camarades de SEAT et tous les travailleurs, nous devons lutter ; mais pour pouvoir lutter avec force, nous devons tirer au plus vite les leçons de la stratégie de manipulation et de démobilisation que le patronat, les gouvernants et les syndicats ont mise en place contre les travailleurs.
Une stratégie calculée pour démobiliser les travailleurs
Depuis l'annonce, à la mi-août, par l’entreprise de la "nécessité" de mener à bien une réduction de personnel, "échangeable" éventuellement contre une baisse des salaires de 10%, les dirigeants de l’entreprise, ainsi que ceux qui se prétendent "représentants" des ouvriers, c’est-à-dire les syndicats et le gouvernement de "gauche" de la Généralité, se sont partagé les rôles pour empêcher qu’une lutte ouvrière réelle puisse bloquer l’application du plan.
Pendant plus de deux mois, depuis août jusqu’au début de décembre, les représentants syndicaux se sont consacrés à tenter d’anesthésier l’inquiétude qui se propageait parmi les travailleurs face à la menace de licenciements, en disant que ceux-ci ne seraient pas justifiés puisque "l’entreprise était bénéficiaire", la crise de SEAT serait "conjoncturelle" ou conséquente à une "mauvaise politique commerciale". Avec de tels mensonges - que nous avons dénoncés dans notre tract "SEAT : Sauver l’entreprise signifie des licenciements et des contrats bidon. La seule riposte est la lutte ouvrière" - ils faisaient baisser la garde des travailleurs, leur faisant croire que ce n’était qu’une bravade du Patronat insatiable, à laquelle les études économiques des syndicats ou les pressions du gouvernement "progressiste" et de "gauche" de la Généralité, finiraient par mettre bon ordre. Ce même patronat a participé à cette mystification, jouant à cache-cache pendant des semaines jusqu’au 7 novembre où il a annoncé la ERE (Procédure de Régulation de l’Emploi) pour 1346 travailleurs.
Les syndicats avaient prévu ce jour-là une grève partielle, que les travailleurs ont débordée par des manifestations qui, dans la Zone Franche et à Martorell (<!--[if !supportFootnotes]-->[2]<!--[endif]--> [26]), ont coupé les routes. Face à une telle situation, la Plate-forme Unitaire (à laquelle participent l’UGT, les CCOO, et la CGT) (<!--[if !supportFootnotes]-->[3]<!--[endif]--> [27]) appellent à une grève d’une journée, le 10 novembre, et à une manifestation pour "exiger" que la Généralité "s’implique dans le conflit en faveur des travailleurs" (!). Les trois syndicats veulent par cette ‘action’ "confier notre sort à nos bourreaux, aux maîtres de la bonne parole et du coup de poignard dans le dos. L’État n’est pas le représentant du peuple mais le défenseur inconditionnel des intérêts du capital national. Toutes les autorités –du président du gouvernement au moindre maire- sont là pour veiller à la défense de celui-ci".
Après cette mascarade, les 3 syndicats se sont débarrassés du problème et n’ont plus appelé à la moindre action ! Jusqu’au 1er décembre ! Soit trois semaines pendant lesquelles les travailleurs ont été maintenus dans la passivité et l’attente, abrutis par d’interminables ‘négociations’, puis par la ‘médiation’ de Monsieur Rané, conseiller au Travail [à la Généralité]. Comme nous le dénonçons dans le tract, "cette tactique des 'pressions' et des 'pétitions' dupe les ouvriers et les rend passifs".
La Plate-forme Unitaire des 3 syndicats s’engagea à "revenir à la charge" après la semaine des "congés" (du 5 au 10 décembre). Mais ce n’était qu’un mensonge de plus ! Prétextant des limites légales imposées par le ERE, les pressions de la Généralité qui faisait planer la menace d’un "arbitrage",… ils ont "oublié" les mobilisations et, le 15 décembre, les CCOO et l’UGT (la CGT s’étant retirée le 13) ont signé l'accord pour les 660 licenciements.
Mais le pire était à venir : elles ont gardé le silence pendant toute une semaine sur l’identité des victimes, gardant pour le dernier jour précédant les vacances le "gros" des lettres de licenciements, et comble du cynisme et de l’humiliation, ils ont traité les travailleurs concernés de fainéants et de criminels. Cette manœuvre vile et lâche les démasque (ne disaient-ils pas avoir signé le "meilleur accord possible" ?) et démontre également qu’ils ont peur des travailleurs, car s’ils s’étaient sentis sûrs d’eux, ils auraient tout de suite annoncé les licenciements, et n’auraient pas multiplié les agents de sécurité privés qui gardent de près les sièges de l’UGT et de CCOO.
La lutte doit être menée par l’assemblée des travailleurs
La CGT joue le rôle du "bon syndicat" qui est proche des travailleurs. Il est certain que 145 de ses adhérents font partie des licenciés. Mais la souffrance de ces camarades et la solidarité avec eux ne peuvent cacher que la CGT n’a pas été une alternative à l’UGT-CCOO, et que, bien au contraire, elle n’a rien à leur envier. Pourquoi a-t-elle participé à la mascarade des "négociations" et de "lutte" de la Plate-forme Unitaire qu’elle n’a quitté qu’à la date tardive du 13 décembre ? Pourquoi, lorsque l’UGT et les CCOO ont signé, l’unique "mobilisation" à laquelle elle a appelé fut un rassemblement en dehors de l’usine, dont très peu d’ouvriers furent informés et à laquelle se rendirent 200 personnes seulement ? Pourquoi le matin du 23, avant les grèves spontanées, "la CGT a-t-elle décidé de limiter la protestation à quelques heures seulement" (Résumé du site Internet Kaosenlared, 24-12-05) alors que c’était le moment de foncer et qu’il y avait des forces comme le démontra l’équipe de l’après-midi qui se réunit en assemblée et décida de se mettre en grève pour la journée entière. Pourquoi toute alternative de sa part se réduisait-elle à "réviser au cas par cas chacun des licenciements et si nécessaire de faire un recours en justice." ?
Jusqu’au 23, les travailleurs ont été victimes d’une démobilisation, d’une stratégie pour empêcher toute riposte. Les syndicats ne se jouent pas de nous seulement en signant les licenciements ; ils se jouent de nous auparavant lorsqu’ils organisent leurs "Plans de Lutte". Leur action contre les ouvriers se concrétise en 3 facettes intimement liées :
- leurs pactes et accords avec le patronat et le gouvernement ;
- leurs plans de "lutte" qui sont en réalité des stratégies contre la lutte ;
- leur défense inconditionnelle de l’intérêt de l’entreprise et de l’économie nationale qu’ils prétendent faire coïncider avec celui des travailleurs alors qu’ils sont diamétralement opposés.
En cela, la principale leçon de la lutte de SEAT que les ouvriers eux-mêmes commencent à tirer dans la pratique avec les grèves spontanées et les assemblées du 23, est qu'on ne peut pas confier la lutte aux syndicats.
Le 23, les licenciés, au lieu de rentrer chez eux ruminer de façon solitaire l’angoissante perspective du chômage, se sont tournés vers leurs camarades, et ceux-ci, au lieu de se laisser aller à la consolation du "ce n’est pas à moi que ça arrive", ou derrière la réponse individualiste du "chacun se débrouille comme il peut", ont manifesté la solidarité de la lutte. Ce terrain de la solidarité, de la riposte commune des licenciés et de ceux qui conservent encore leur emploi, des chômeurs et des actifs, des précaires et des contrats à durée "indéterminée", c'est la base d’une réponse effective aux plans inhumains des capitalistes.
L’année 2006 commence avec le drame des 660 licenciés de SEAT, mais qui peut croire que ce seront les derniers ? Nous savons tous que non. Nous savons que le coup de poignard des licenciements, que le crime des accidents de travail, que l’angoisse de ne pouvoir payer un logement décent, que les menaces sur les retraites, que la "réforme" du travail que concocte le trio infernal gouvernement-patronat-syndicats, seront la source de nouvelles souffrances. Que dans le secteur de l’automobile, comme dans tous les pays, les attaques contre les conditions de vie des ouvriers vont se poursuivre ; que les horreurs de la guerre, la faim, la barbarie qui accompagnent le capitalisme, comme la faux accompagne la mort, vont continuer.
C’est pourquoi il faut se lancer dans la lutte. Mais pour que la lutte soit efficace et puissante, le développement de la solidarité de classe est nécessaire, et elle doit être organisée et contrôlée par les ouvriers eux-mêmes.
Le besoin de la solidarité de classe
Le problème de SEAT ne se réduit pas aux 660 licenciés ; le problème concerne tout le personnel. Ce n’est pas seulement le problème des ouvriers de SEAT mais de tous les travailleurs, aussi bien les fonctionnaires ayant un "emploi garanti" (jusqu’à quand ?) que les travailleurs des entreprises du privé, aussi bien les sans-papiers que ceux qui en ont. Nous sommes tous ou nous serons tous dans la même situation que SEAT !
Notre force est la solidarité de classe, l’unité dans la lutte. Une lutte limitée à SEAT et enfermée dans SEAT serait une lutte perdue.
Mais en quoi consiste la solidarité ? Est-ce de boycotter l’achat de voitures de cette marque ? (Est-ce que par hasard les autres marques ne licencient pas ?) Est-ce de faire des rassemblements de licenciés devant les portes de l’usine ? S’agit-il des déclarations de "soutien" de la part du "secteur critique" des Commissions ouvrières ou de EUA (<!--[if !supportFootnotes]-->[4]<!--[endif]--> [28]) ? Consiste-t-elle en des "actes citoyens" dans les quartiers, manipulation qui n'aura servi qu'à faire accepter les manoeuvres crapuleuses du trio infernal à la SEAT ?
Cette "solidarité" est aussi fausse que les "plans de lutte" de la Plate-forme Unitaire de SEAT. La seule solidarité effective est de s’unir dans la lutte ! Que les ouvriers des différents secteurs, des différents quartiers, se fondent dans une même lutte en brisant ces barrières qui nous affaiblissent tant : l’entreprise, le secteur, la nationalité, la race, au moyen de la force directe de délégations, d’assemblées et de manifestations communes.
La nécessité d'assemblées ouvrières souveraines
L’expérience de SEAT est claire : nous savons déjà ce qui arrive lorsque nous laissons les syndicats, les comités d’entreprise ou des "plateformes unitaires" jouer avec notre sort.
La direction de la lutte doit être entre les mains des travailleurs du début jusqu’à la fin. Ce sont eux qui doivent évaluer les forces sur lesquelles ils peuvent compter, les revendications à mettre en avant, les possibilités d’étendre la lutte. Leur riposte ne peut être influencée par les provocations de l’entreprise ou par les "plans de lutte" de ses complices des syndicats, mais par la décision collective des travailleurs organisés en assemblées et en comités élus et révocables. Les négociations avec le patronat ou avec le gouvernement doivent se faire sous les yeux de tous, comme ce fut le cas à Vitoria en 1976 en Espagne ou en Pologne en 1980. Ce sont les assemblées elles-mêmes qui prennent en charge la recherche de la solidarité, en organisant des délégations et des manifestations.
Le temps de la résignation, de la passivité et de la désorientation doit s’achever. La marge de manœuvre que cette situation a offert pendant des années au capital commence à diminuer. C’est l’heure de la lutte. La voix de la classe ouvrière doit se faire entendre avec de plus en plus de force.
Accion Proletaria
Section du CCI en Espagne
Décembre 2005
<!--[if !supportFootnotes]-->[1]<!--[endif]--> [29] La Généralité (Generalitat) est le gouvernement autonome de la région de Catalogne.
<!--[if !supportFootnotes]-->[2]<!--[endif]--> [30] Zones industrielles de la banlieue de Barcelone.
<!--[if !supportFootnotes]-->[3]<!--[endif]--> [31] L’UGT (Union Générale des Travailleurs) est la confédération de tendance socialiste. Les CCOO (Commissions Ouvrières) est la centrale dirigée par le Parti "communiste" espagnol. La CGT (Confédération Générale du Travail) est une centrale de tendance "syndicaliste révolutionnaire" issue d’une scission "modérée" d’avec la CNT (Confédération Nationale du Travail) anarcho-syndicaliste.
<!--[if !supportFootnotes]-->[4]<!--[endif]--> [32] EUA ("Esquerra Unida i Alternativa – Gauche Unie et Alternative") : déguisement du Parti communiste espagnol en Catalogne.
Une telle intervention au Brésil constituait une première pour le CCI ; elle n’a été possible que grâce aux bonnes initiatives de sympathisants sur place et à la collaboration avec le groupe prolétarien brésilien dénommé "Opposition Ouvrière"[1] [34] qui était l'organisateur des réunions publiques. Pour cette première intervention publique au Brésil, le CCI avait choisi des thèmes lui permettant le plus possible d'exprimer sa vision historique quant à la possibilité et à la nécessité de la révolution prolétarienne. Ainsi, l’exposé commun aux trois réunions publiques, consultable sur notre site en portugais, développait en particulier les aspects suivants :
Dans une de ces réunions publiques, celle de Salvador, suite à la présentation du CCI, était prévue une présentation de l’Opposition Ouvrière mettant en particulier en évidence le rôle fondamental de l'organisation de la classe ouvrière en conseils ouvriers pour le renversement du capitalisme.
Quant à l’exposé de la présentation à l’université, basé essentiellement sur l’article de notre site, "la Gauche communiste et la tradition marxiste", il était articulé autour des axes suivants :
ce qui distingue les fractions de gauche des autres organisations se revendiquant du marxisme ;
Pour rendre compte de ces quatre événements, nous avons pensé préférable de ne pas les traiter séparément mais bien plutôt de rapporter les questions et préoccupations qui, de façon dominante, se sont exprimées et ont donné lieu à des débats. Néanmoins, avant cela, nous pensons essentiel de faire ressortir l'importance qu'a revêtu cet événement tant par la participation nombreuse, parfois très nombreuse, à ces réunions que par le caractère animé et vivant de débats qui se sont à chaque fois poursuivis au delà du temps initialement prévu (aussi longtemps que le permettaient les contraintes locales).
Une participation et un dynamisme prometteurs
Il arrive que les révolutionnaires eux-mêmes soient surpris par l'importance de l'intérêt que leurs positions suscitent à un moment donné, alors que pourtant ils constituent cette partie du prolétariat chez qui existe au plus haut point la confiance dans les capacités révolutionnaires de leur classe, y compris lorsque celle-ci n’est pas traversée de façon immédiate par des préoccupations révolutionnaires explicites. Il faut reconnaître que nous avons été très agréablement surpris par l'ampleur de la participation à ces réunions dans la mesure où, pour certaines d'entre elles, elle a dépassé largement l'assistance ordinaire aux réunions publiques dans les villes où intervient régulièrement le CCI. En effet, près d'une centaine de personnes au total ont participé aux trois réunions publiques. Quant au thème de la Gauche communiste à l'université, il a attiré 260 personnes environ dans un grand amphithéâtre de celle-ci, pendant toute une première partie du débat. La réunion s’étant prolongée de presque deux heures, il restait encore environ 80 personnes lorsque nous avons dû clore, toutes les interventions n'ayant pas à ce moment-là reçu de réponse de notre part.
Il existe un faisceau de circonstances favorables qui ont favorisé une telle affluence. La première apparition publique d'une organisation révolutionnaire internationale n'existant pas au Brésil est évidemment de nature à susciter localement un intérêt particulier. De plus, les réunions publiques avaient bénéficié d’une publicité efficace, prise en charge par l'Opposition Ouvrière, seule ou bien conjointement avec nos sympathisants, selon les villes. Si on peut également invoquer l'intérêt académique, et pas exclusivement politique, qui a pu pousser certains étudiants et professeurs de l’université à participer au débat sur l’histoire de la Gauche communiste, il faut néanmoins prendre en considération le fait que, ce qui au départ, pour des raisons liées au règlement de l’Université, était annoncé comme la présentation d’un historien [2] [35] a de plus en plus ouvertement pris la forme d’un meeting politique présidé par l'un des organisateurs du débat, l'Opposition Ouvrière, et le CCI, avec une table présentant la presse du CCI à l’entrée de l’amphithéâtre.
En réalité, ce succès de nos réunions est en bonne partie imputable à l’existence au Brésil d’une écoute favorable vis-à-vis d’une critique radicale de la société et de ses institutions démocratiques dans la mesure où, dans ce pays, à la tête de telles institutions se trouve le gouvernement de Lula, le grand "leader ouvrier" de gauche au nom duquel sont indissolublement liés ceux du PT (Parti du Travail, fondé en 1980) et de la CUT (Centrale Unique de Travailleurs, premier syndicat "indépendant" depuis la fin de la dictature, fondé en 1983). Aujourd’hui, l’alliance gouvernement, Lula, PT et CUT doit assumer ouvertement le rôle de fer de lance des attaques contre la classe ouvrière requises pour la défense du capital national brésilien sur l’arène internationale, comme n’importe quel gouvernement ou parti de droite le ferait, permettant ainsi de faire apparaître au grand jour leur véritable nature d’ennemis de la classe ouvrière qu’ils ont toujours été. Au Brésil, comme dans les autres pays, la réponse de la classe ouvrière est encore loin de correspondre à l’ampleur des attaques capitalistes qu’elle subit continuellement. Néanmoins (et c’est justement là que réside l’essentiel de l’explication à l’intérêt certain pour ces réunions publiques), il existe aussi dans ce pays une préoccupation croissante pour l’avenir face à la faillite de plus en plus avérée du capitalisme et qui se traduit par un regain d’intérêt pour la perspective d’une alternative à la société actuelle.
Loin d’avoir été reçues comme des dogmes, l'analyse de l'histoire de notre classe et les perspectives de lutte politique en vue de la future société communiste, contenues dans nos présentations et interventions, ont suscité tout un questionnement et un enthousiasme, quelquefois aussi le scepticisme, mais également des marques de sympathie que certains ont tenu à venir nous manifester explicitement à la fin des réunions, en plus de nombreuses autres questions de leur part qu'ils n'avaient pas eu le temps de poser au cours de la séance.
Si l'importance de la participation à ces réunions nous a quelque peu surpris, elle a par ailleurs confirmé cette tendance croissante de la jeunesse à se situer au premier plan d'un questionnement politique face à l'avenir. C'est tellement vrai que, dans l'une des réunions publiques, à Vitoria da Conquista, plus de la moitié de l'assistance était constituée de jeunes et de très jeunes.
Les principales discussions
Nous rapportons ci-après les principales questions qui nous ont été posées de même que les réponses que nous leur avons apportées. Souvent les questions et nos réponses se sont recoupées d'une réunion à l'autre sans pour autant être identiques à chaque fois. Plutôt que de synthétiser par thème la problématique de l'ensemble des questions, nous avons pris le parti, pour chacun des thèmes, de retenir une question particulièrement représentative, ceci afin de refléter le caractère vivant qu’on eu les discussions. Pour ce qui est de nos réponses, nous les rapportons à travers de l'essentiel de l'argumentation que nous avons développée sur l'ensemble des réunions.
Nous sommes bien conscients que ce compte-rendu déjà long omet des questions précises tout à fait intéressantes. Afin de remédier en partie à cet inconvénient, nous appelons tous ceux qui prendront connaissance de ce compte-rendu à ne pas hésiter à nous faire part par écrit de tous leurs questionnements et désaccords n'ayant pas encore trouvé de réponse satisfaisante de notre part. Des réponses leurs seront faites individuellement qui, avec leur accord, pourront éventuellement participer d'animer un débat public dans la presse du CCI ou sur Internet. Nous encourageons également les lecteurs de ce compte-rendu à adopter une démarche analogue vis-à-vis de l'Opposition Ouvrière qui ne manquera pas de leur répondre. A ce sujet, nous voulons préciser que certaines réponses rapportées ci-dessous, n'ont pas été prises en charge par nous-mêmes mais par l'Opposition Ouvrière. Néanmoins, comme elles correspondaient tout à fait à ce que nous aurions dit, nous les faisons nôtres. Ce qui, par ailleurs, ne signifie pas que toutes les réponses apportées par l'une ou l'autre de nos organisations aient totalement été partagées par elles deux.
La nature des syndicats
Il n'existe en effet pas un seul pays où les syndicats, tous les syndicats, ne soient pas des défenseurs de l'ordre bourgeois. S'il en est ainsi c'est parce qu'ils sont devenus partout des organes de l'Etat bourgeois ayant pour fonction spécifique d'encadrer la classe ouvrière afin de saboter ses ripostes aux attaques et d'éviter qu'elles ne débouchent sur la remise en cause du capitalisme en crise.
Pour comprendre les facteurs profonds d'une telle situation, il est effectivement nécessaire de ne pas perdre de vue qu'au 19e siècle les ouvriers se battaient pour obtenir le droit de s'organiser en syndicats. C'est en menant des luttes importantes au moyen de ceux-ci qu’ils ont réussi à arracher des réformes durables ayant réellement permis des améliorations de leurs conditions de vie au sein du capitalisme. De plus, même si les idées réformistes (qui visaient à réduire le combat de la classe ouvrière aux seules luttes pour des réformes) étaient fortement présentes au sein du mouvement syndical, il n'en demeure pas moins que les syndicats constituaient également, à cette époque, un lieu privilégié de la propagande en faveur des idées révolutionnaire, une « école du communisme », comme le disait Marx.
Au début du 20e siècle s'est produit un événement considérable, inédit dans la vie du capitalisme, l'éclatement de la première guerre mondiale. En l'espace d'un temps relativement bref, les contradictions du capitalisme ont engendré une destruction considérable de forces productives, sans aucune mesure avec les conséquences des guerres ou des crises cycliques qui avaient jusque là émaillé la croissance du capitalisme. De telles contradictions étaient l’expression du fait que, de facteur de progrès de la société, le système s'était mu en menace de mort pour celle-ci. Ce sont le déchaînement d'une telle barbarie et la menace pour l'existence même de la vie de la société qui avaient constitué le ferment de la première vague révolutionnaire du prolétariat mondial.
Face à l'irruption de contradictions inconnues jusqu'alors dans la société bourgeoisie, l'État acquiert un rôle d'une importance qu'il n'avait jamais eue auparavant sous le capitalisme. C'est à lui qu'il revient de maintenir sous un corset de fer l'ensemble de la société afin de mobiliser et canaliser toutes ses ressources en vue de la défense nationale. Dans ce contexte, les ouvriers voient leurs anciens organes de lutte que sont les syndicats échapper à leur contrôle pour devenir des organes chargés de faire accepter la militarisation du travail. Un tel mouvement est irréversible et ceux des syndicats qui, comme la CNT espagnole, ne seront pas soumis à ce moment de vérité, parce que l'Espagne n'était pas impliquée dans la première guerre mondiale, seront néanmoins absorbés ultérieurement par l'Etat. Désormais, les seules organisations de masse et unitaires de défense des intérêts de la classe ouvrière ne peuvent surgir et se maintenir qu'avec la mobilisation de la classe ouvrière pour la lutte.
L'avant-garde du prolétariat mondial avait pris conscience qu'avec la Première Guerre mondiale et la première vague révolutionnaire était née l'époque des "Guerres et des révolutions", comme le proclamait la Troisième Internationale, posant comme enjeu à la lutte du prolétariat l'alternative suivante pour la société : "Socialisme ou barbarie". La massivité des faits imposait cette compréhension. Il était par contre nécessaire de pouvoir disposer de plus de recul pour en saisir toutes les implications concernant la vie de la société (le développement du capitalisme d'Etat) et les conditions de la lutte de classe : impossibilité pour la classe ouvrière de continuer à utiliser pour sa lutte le Parlement (dont la seule fonction est devenue celle de la mystification démocratique) et les syndicats. Mais, toutes les fractions du prolétariat mondial ne sont pas placées dans les mêmes conditions concernant leur propre expérience de la confrontation aux syndicats. Et, sur ce plan, la situation du prolétariat russe est spécifique vu que, dans ce pays, le régime tsariste, totalement anachronique, s'était montré incapable d'opérer l'intégration à l'Etat de syndicats par ailleurs assez peu puissants et apparus tardivement. De ceci il a résulté une plus grande difficulté de Lénine et de ses compagnons pour saisir pleinement la fonction de ces organes dans la nouvelle phase du capitalisme.
L'organisation de la classe ouvrière en conseils ouvriers et le rôle des révolutionnaires
C'est une question importante puisque ces paroles de Lénine avant la révolution de 1917, "les soviets sont la forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat", n'avaient pas une validité limitée à la première vague révolutionnaire mais une portée universelle.
Ainsi, dans les futures luttes révolutionnaires du prolétariat, celui-ci sera de nouveau organisé en soviets (le mot russe désignant les conseils). Ceux-ci font leur première apparition lors de la révolution de 1905 en Russie. Il sont la création spontanée de la classe ouvrière qui découvre ainsi par elle-même les moyens de lutte qui lui sont nécessaires afin de développer son combat dans des conditions nouvelles. Quelle est donc leur fonction ? La classe ouvrière en Russie trouve face à elle le pouvoir de l’Etat qui, de façon intransigeante et malgré la montée de la mobilisation, refuse de céder sur les revendications des ouvriers. Cette situation préfigure la situation générale du capitalisme dans la phase de décadence de ce système où les contradictions croissantes auxquelles il est confronté lui interdisent non seulement d’accorder des réformes durables à la classe ouvrière, comme cela pouvait être le cas en ascendance, mais encore le pousse en permanence à attaquer les conditions de vie des ouvriers. Dans ces conditions, la dynamique de la lutte elle-même amène les ouvriers à s’opposer à l’Etat capitaliste et à l’affronter de façon en plus en plus massive. De ce fait, la lutte acquiert spontanément une dimension politique qui se superpose à la dimension économique toujours présente.
Les syndicats ne correspondent plus aux nécessités de cette nouvelle forme de lutte ni à ses enjeux, et ce sont les soviets capables de regrouper l’ensemble de la classe ouvrière qui s’imposent alors. Désormais, les syndicats deviennent des organes inutilisables pour la lutte de classe. Mais, loin de dépérir, ils seront récupérés par l'Etat. Par ailleurs, cet épisode est l’aboutissement de tout un processus de constitution du prolétariat en classe au travers duquel il a acquis une maturité lui permettant désormais de construire dans le feu de l’action ses propres organes de lutte, sans être dépendant, pour entrer en lutte, de l’existence préalable de syndicats comme c’était le cas au 19e siècle.
Les soviets ne surgissent pas à tout moment indépendamment du niveau de la lutte de classe. Ils apparaissent lorsque la classe ouvrière est capable de poser le problème d’un affrontement décisif avec l’État capitaliste. Ils sont le produit d’une telle mobilisation du prolétariat et, lorsque celle-ci reflue, ils disparaissent ou bien ils sont investis par l’Etat. Cela signifie qu’il n’est pas possible qu’une minorité de la classe, plus avancée, mette en place la structure des soviets en vue de hâter la mobilisation ouvrière avant que celle-ci ne se manifeste explicitement.
Cela signifie-t-il que, en dehors des soviets, il n’existe pas de possibilité pour que s’expriment la mobilisation ouvrière et la lutte de classe, vu que les syndicats ne sont plus d’aucune utilité pour cette dernière ? Bien sûr que non. L’expérience vivante de la lutte de classe montre qu’une des formes élémentaires de la mobilisation des ouvriers est l’assemblée générale. Et ce n’est pas un hasard si les syndicats font tout afin qu’elle ne puisse se tenir ou, lorsqu’ils ne peuvent l’empêcher, afin qu’elle ne remplisse pas la fonction de lieu d’organisation et de décision de la lutte. Avec le développement de la lutte se fait sentir la nécessité de son organisation, de sa centralisation avec l’élection par les assemblées de délégués révocables. Un tel mode d’organisation de la classe ouvrière, en dehors de périodes pré-révolutionnaires, préfigure l’organisation en soviets, mais elle n’en est pas l’embryon. Elle en constitue une préparation indispensable en ce sens que c’est à travers ce type d’organisation que les ouvriers prennent confiance en eux-mêmes et en leur capacité de s’organiser.
Par ailleurs, si les évènements de 1905 illustrent la capacité de la classe ouvrière à s’auto organiser ainsi que sa nature de classe spontanément révolutionnaire, cela n’amoindrit pas pour autant le rôle fondamental de l’organisation des révolutionnaires et du parti. En effet, à propos des évènements de 1905, Rosa Luxemburg met en évidence que l’intervention de la social-démocratie révolutionnaire avait participé à préparer le terrain à l’irruption de la grève de masse. De même, en 1917, sans l’intervention du parti bolchevique au sein des conseils ouvriers pour combattre en leur sein l’influence dominante des partis liés à la bourgeoisie, ceux-ci n’auraient pas pu constituer l’instrument de la révolution prolétarienne. De même, aujourd’hui, il est de la responsabilité des révolutionnaires de rappeler à leur classe comment elle s’est organisée par le passé, de mettre en évidence que pour développer son combat il n’existe pas d’autre moyen que de prendre ses luttes mains à travers des assemblées générales souveraines.
La révolution russe, sa dégénérescence et la contre-révolution
Nous ne savons pas exactement ce qu’a dit Jacques Courtois, mais c’est tourner le dos à la réalité que d’affirmer une telle chose alors que les principaux pays du monde, impliqués dans la guerre mondiale, adoptent tous des mesures de militarisation de la société civile en vue d’imposer aux populations, et aux ouvriers en particulier, les sacrifices que requiert la boucherie mondiale, dont celui de leur propre vie sur les champs de bataille. Et c’est justement en réaction à une telle barbarie que se développe la vague révolutionnaire mondiale dont l’avant poste a été constitué par la prise du pouvoir par le prolétariat en Russie en 1917.
Il est possible que Jacques Courtois se fasse l’avocat des thèses bourgeoises du Menchevisme selon lesquelles la révolution d’Octobre n’avait été qu’un putsch ayant porté un coup fatal à l’œuvre démocratique de la révolution de février. Ce refrain bien connu des dénigreurs de la révolution russe veut lui aussi occulter la réalité des faits. Ce sont en effet les masses ouvrières, et à leur suite les masses paysannes, qui ont ôté le pouvoir à la bourgeoisie alors que celle-ci, arrivée au pouvoir en février et tenant une position majoritaire au sein des conseils ouvriers, démontrait dans la pratique, à travers la poursuite de la guerre impérialiste et d’une politique anti-ouvrière, qu’elle était la digne représentante d’un système à renverser qui ne pouvait qu’engendrer la guerre et la misère.
Pour bien comprendre ce qu’a signifié la défaite de la révolution russe à travers sa dégénérescence, il faut d’abord être clair sur ce que cette révolution a réellement représenté. Un îlot de socialisme au sein d’un monde capitaliste ? Certainement pas dans la mesure où l’abolition du capitalisme ne peut être réalisée qu’à l’échelle mondiale après la victoire de la révolution mondiale. Après la prise du pouvoir, tous les efforts et les espoirs du prolétariat révolutionnaire en Russie étaient tendus en direction de l’extension de la révolution mondiale, et notamment dans le pays déterminant pour l’évolution du rapport de forces entre les classes à l’échelle internationale, l’Allemagne. L'assaut révolutionnaire du prolétariat dans ce pays fut vaincu comme on le sait en janvier 1919, ouvrant ainsi la voie à une série de défaites majeures qui eurent raison de la vague révolutionnaire en Allemagne et à l’échelle mondiale. Dans ces circonstances, isolé et sorti exsangue de la guerre civile et de l’encerclement imposés par les principales puissances capitalistes, le pouvoir prolétarien en Russie dégénéra.
Ainsi, ce qui changea avec la contre-révolution en Russie, ce ne sont pas les rapports de production mais le fait que le pouvoir cessa d’être prolétarien. Le retour de la bourgeoisie s’y effectua, non pas avec le retour de l’ancienne classe bourgeoisie déchue, mais à travers la transformation en nouvelle classe exploiteuse de la bureaucratie au sein de l’Etat.
Sur le plan politique, la manifestation la plus significative du changement de nature du pouvoir en Russie, incarné désormais par le stalinisme, fut l’abandon de l’internationalisme prolétarien à travers l’adoption de la thèse du « socialisme en un seul pays ». Le plus dramatique de la défaite de la révolution russe, c’est la manière dont elle s’est produite, suite à sa dégénérescence interne et non pas à son renversement, permettant ainsi à la bourgeoisie mondiale, de l'extrême droite à l’extrême gauche, d’entretenir le mensonge du « socialisme en URSS », au nom duquel staliniens et trotskistes appelaient les prolétaires du monde entier à lutter, et à se faire massacrer durant la seconde guerre mondiale pour la défense de l'impérialisme russe.
Parti et Gauche communiste internationale
Nous partageons avec Lénine la conception d'un parti minoritaire d'avant-garde de la classe ouvrière ayant pour rôle de participer activement à la prise de conscience du prolétariat. Cependant, contrairement à lui (et à l’ensemble des marxistes d’avant 1917), nous estimons que son rôle n’est pas de prendre le pouvoir au nom du prolétariat, tâche qui revient à l’ensemble de la classe organisée en conseils ouvriers. Concernant le mode d’organisation du parti, nous nous revendiquons, pour l’essentiel, de la conception défendue par Lénine dans le congrès de 1903 du Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR) et telle qu'elle a été assumée en particulier par le parti bolchevique et, plus tard, par le KAPD (Parti Communiste Ouvrier d'Allemagne). De ce congrès, à propos duquel Lénine a écrit Un pas en avant, deux pas en arrière, nous retenons bien sûr la définition de qui est militant, quiconque s'engage à militer pour défendre les positions du parti, contre celle des mencheviks selon laquelle pour être membre du parti il suffit de partager ces mêmes positions. Mais nous retenons également le combat, au moins aussi important, qui y a été mené par Lénine en faveur d'un comportement militant animé par l'esprit de parti, contre l'esprit de cercle alors dominant au sein du POSDR du fait de ses origines à partir de toute une série de petits cercles qui étaient apparus en Russie et dans l’émigration à la fin du 19e siècle. En particulier, nous défendons l’idée d’un Congrès souverain dont les décisions doivent être appliquées avec discipline par l’ensemble des militants et nous rejetons la position des mencheviks qui estimaient qu’on pouvait se dispenser de cette discipline si on n’était pas d’accord avec ces décisions.
Ce n'est pas un oubli, et si le nom de Gramsci était apparu, cela aurait été pour le définir comme un des représentants de la politique de plus en plus opportuniste de l'Internationale Communiste au sein du Parti communiste d’Italie. Alors qu'au sein de ce parti, la Gauche avec Bordiga à sa tête était, de 1921 à 1924, largement majoritaire face à la tendance de droite animée par Gramsci, ce dernier fut placé autoritairement par l'IC à la tête du parti en vue de bâillonner la gauche. La démarcation vis-à-vis du Stalinisme que Gramsci a opéré par la suite a fait de lui une référence plus acceptable que Staline, mais pas révolutionnaire pour autant.
La nature de classe des partis sociaux-démocrates, des partis « communistes » et du courant trotskiste
«Quelle est la signification du programme de transition rédigé par Trotski en 1938 ?»
Trotski et l'Opposition de gauche ont animé dans les années 1920 une réaction prolétarienne face à la dégénérescence de la révolution russe et au stalinisme. Mais elle n'était pas la seule, ni la plus claire concernant d'une part les implications de la défaite de la vague révolutionnaire sur la classe ouvrière et, d'autre part, la fidélité au marxisme face au développement de l'opportunisme dans les rangs des partis de l'Internationale communiste. La Gauche communiste internationale a combattu très tôt, dans les années 1920, les différentes manifestations de cet opportunisme et en particulier la politique de Front unique avec d'anciens partis ouvriers passés dans le camp bourgeois, avec l'argument de ne pas se couper des masses ouvrières restées sous leur influence. De même, elle a su voir que, loin de pouvoir se lancer à nouveau dans une vague révolutionnaire, le prolétariat était face à une période de contre-révolution qui ne lui permettrait pas de s'opposer à la venue d'une seconde guerre mondiale dans laquelle ses différents secteurs nationaux allaient se trouver embrigadés derrière la défense d'un camp impérialiste ou d'un autre. Au contraire, Trotsky croit que la révolution est encore possible au cours des années 1930 et que ce qui lui manque est une direction véritablement révolutionnaire, ce qui le conduit à voir à tort les prémisses de mouvements révolutionnaires dans les mobilisations de 1936 en France et en Espagne. Son « Programme de transition », en réintroduisant des revendications minimum destinées selon lui à établir un pont avec le programme de la révolution socialiste, ne fait rien d'autre que tromper les masses avec l'idée qu'il pourrait exister, à l'époque des guerres et des révolutions, un programme de réformes au sein du capitalisme alors que le seul programme réaliste, même s’il n’est pas réalisable à tout instant, ne peut être que celui de la révolution. A travers le mot d'ordre de « Front unique ouvrier » avec les partis anciennement prolétariens, sociaux-démocrates et staliniens ayant trahi la cause du prolétariat, il ne fait que désarmer ce dernier face à ses pires ennemis.
Il existe des évènements majeurs de la vie de la société, comme la guerre et la révolution, qui tranchent dans la pratique la nature de classe d’une organisation, quoi qu’elle proclame sur son propre compte. Ainsi, en s’opposant à la révolution d’Octobre, les mencheviks signèrent leur appartenance au camp de la bourgeoisie. Face à la Première Guerre mondiale, la plupart des partis sociaux démocrates trahirent l’internationalisme prolétarien, et donc la classe ouvrière, en prenant fait et cause pour la défense du capital national. L’histoire démontre qu’une telle trahison est irréversible, c'est-à-dire qu'à partir du moment où elle a eu lieu, c'est en permanence une politique bourgeoise que défendent les anciens partis du prolétariat passés dans le camp ennemi. Aboutissement de leur dégénérescence opportuniste, les PC passèrent à leur tour dans le camp de la bourgeoisie dans les années 1930 alors que plus rien en leur sein ne s'opposait désormais à la défense nationaliste d'un camp impérialiste, préparant ainsi l'embrigadement du prolétariat en vue de la seconde guerre mondiale. L'éclatement de la Seconde Guerre mondiale a également constitué l'heure de vérité pour le Trotskisme qui a choisi son camp : non pas celui de l'internationalisme et du prolétariat comme Lénine en 1914, mais celui de la défense de l'impérialisme russe et de la démocratie (avec cependant des réactions en son sein de la part d’éléments qui, à cette occasion, ont rompu avec lui). Cet aboutissement tragique de la dynamique opportuniste d'un parti du prolétariat est le produit de la méthode politique erronée de Trotsky tout au long des années 1930. Cela dit, les graves erreurs qu’il a commises ne permettent pas d’affirmer qu’il aurait maintenu sa position jusqu’au bout du conflit impérialiste mondial. S'il n'avait pas été assassiné avant la fin de la guerre, peut-être celle-ci aurait-elle constitué une épreuve lui permettant de remettre en question ses dérives opportunistes passées. Après sa mort, sa femme, Natalia Sedova, qui avait toujours lutté à ses côtés, a rejeté la politique de défense de l’URSS et a rompu avec le mouvement trotskiste. De même, les derniers écrits de Trotsky annoncent une telle possible remise en cause de ses positions antérieures.
La décadence du capitalisme
Le capitalisme d'Etat est la réponse du capitalisme à l'irruption des contradictions insurmontables qui l'assaillent avec l'entrée en décadence, sur les trois plans : celui de la guerre, de la lutte de classe et de la crise. La crise de 1929 impose à la bourgeoisie de renouer avec les mesures de capitalisme d'Etat qui avaient été relâchées une fois terminée la première guerre mondiale. Ces mesures ne feront que se renforcer durant les années 1930, notamment avec les politiques keynésiennes d’injection massive de capitaux dans l’économie nationale par l’Etat, des politiques qui se sont notamment concrétisées par de grands travaux d’équipement et par le développement des armements en préparation de la Seconde Guerre mondiale.
Elles se poursuivront et seront intensifiées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Avant même que ne soit épuisée la période de prospérité ayant succédé à la Seconde Guerre mondiale, la bourgeoisie aura recours à des politiques d'endettement de plus en plus massif. Elle parvient ainsi à reporter dans le futur l'éclatement des contradictions de son économie, mais en aggravant celles-ci.
La période de décadence se traduit sur le plan économique par un freinage du développement des forces productives et non pas, comme le disait Trotsky dans le « Programme de transition », par un blocage complet de leur croissance. Pour vérifier si l'évolution économique au cours de la décadence exprime une telle tendance au freinage au développement des forces productives, il convient de considérer l'ensemble de cette période et non pas une phase spécifique de celle-ci, notamment celle, particulièrement faste, qui suit la Seconde Guerre mondiale. Or, le développement des forces productives sur la période couvrant les 70 premières années du 20e siècle s'effectue à un rythme inférieur à celui de la seconde moitié du 19e siècle. La différence serait encore plus importante si l'on considérait l'ensemble du 20e siècle.
La période de prospérité d'après la Seconde Guerre mondiale est un phénomène tout à fait exceptionnel au sein de la décadence qui ne se reproduira jamais plus dans la mesure où les facteurs qui sont à son origine sont épuisés :
1. l'utilisation d'un « trésor de guerre » issu de cycles passés de l'accumulation, les réserves d'or de l'Etat américain, injectées en bonne partie dans les économies d'Europe occidentale et du Japon afin de reconstruire et développer leur appareil productif, non par philanthropie mais en vue de les soustraire aux tentative de l'impérialisme russe de les placer dans sa sphère d'influence ;
2. l'exploitation méthodique et systématique des derniers marchés extra capitalistes, tant au sein des pays industrialisés, mais disposant encore d'un vaste marché agricole pré-capitaliste, que dans les ex-colonies en voie de décolonisation ;
3. un début de fuite en avant dans l'endettement de la part des principaux pays industrialisés, alors que le niveau global de l'endettement est encore relativement faible.
Il n'existe aucune perspective de solution véritable à la crise ouverte à la fin des années 1960 ; au contraire, elle est condamnée à une aggravation sans merci. Néanmoins, faire correspondre la phase de décadence avec cette seule période, c'est évacuer un phénomène majeur de la décadence, la Guerre mondiale, d’une ampleur et avec des destructions aux proportions totalement inconnues lors des guerres des périodes précédentes et qui constitue un facteur essentiel de risque de destruction de la société.
La baisse tendancielle du taux de profit est effectivement une contradiction du mode de production capitaliste, ainsi que Marx l’a mis en évidence dans le livre 3 du Capital.
Néanmoins, elle n’est pas la seule et pas nécessairement la plus déterminante. Comme nous l’avons déjà dit, l’avant-garde révolutionnaire était unanime, lors de la fondation de l’IC en 1919, pour reconnaître l’entrée du système en décadence. Elle était beaucoup plus hétérogène, on l’a vu également, concernant les implications de cette modification de la vie du capitalisme. C’est encore plus vrai concernant l’analyse des causes économiques du changement de période. Rosa Luxemburg et Lénine donneront deux analyses différentes de l'impérialisme. Celle de Rosa Luxemburg prend plus largement en compte la dynamique de développement du capitalisme au sein d'un monde non capitaliste et qui a besoin de marchés extracapitalistes pour se développer. Lorsque ces derniers commencent à se trouver en nombre insuffisant face aux énormes besoins de l'accumulation, alors la machine commence à se gripper. C’est au sein de ce cadre que, de notre point de vue, il faut prendre en compte la baisse tendancielle du taux de profit dont les effets négatifs pour l’économie capitaliste se conjuguent à ceux de la saturation des marchés.
Le pourrissement sur pied de la société capitaliste
Il n’est pas une réunion où cette question ne nous ait pas été posée. Il existe au moins deux raisons à cela : d’une part le battage médiatiques auxquels ces évènements ont donné lieu au Brésil, comme dans la plupart des pays du monde d’ailleurs ; d’autre part, la perplexité qu’ils suscitent. Nous ne rentrerons pas ici dans le détail de notre analyse qui est développée dans un communiqué sur notre site Internet, y inclus en langue portugaise. Nous avons surtout mis en évidence que ces révoltes stériles et sans lendemain exprimaient le désespoir et le manque total de perspective de cette partie des enfants de la classe ouvrière qui n’a jamais été intégrée au travail et ne le sera jamais, sinon dans la précarité et des conditions misérables. Nous avons bien insisté sur le fait que, non seulement, ils ne constituaient en rien une expression, même confuse, de la lutte de classe mais que, de plus, ils ne pouvaient qu’être utilisés contre la classe ouvrière, notamment à travers le renforcement des mesures de quadrillage policier des quartiers ouvriers.
La montée de l’intégrisme est une autre manifestation de l’absence totale de perspective au sein de la cette société qui conduit à des aberrations comme les attentats suicides. Et bien que de telles aberrations soient le produit de son propre système, cela n’empêche évidemment pas la bourgeoisie de les utiliser comme prétextes au déclenchement de guerres pour la défense de ses intérêts impérialistes. En fait, ce phénomène de pourrissement sur pied de la société capitaliste est le produit de l’accumulation des contradictions du capitalisme, et qui pourrait conduire à la destruction même de l’humanité si la classe ouvrière n’était pas capable d’imposer sa propre solution révolutionnaire.
Les luttes des opprimés et des couches non exploiteuses
La société de classes porte avec elle l’oppression de minorités, la discrimination raciale, l’inégalité entre hommes et femmes… Le capitalisme ne fait pas exception à cela. Cela dit, la lutte spécifique pour l’émancipation de la femme ou contre le racisme, non seulement n’a aucune chance d’aboutir tant que se perpétuera la société de classes mais, de plus, elle n’est pas de nature à changer la société dans la mesure où elle ne constitue pas une remise en cause des fondements de celle-ci. Toutes ces questions ne pourront trouver de solution véritable que lorsque aura été aboli le capitalisme et au cours de la transformation de la société vers des rapports communistes sur l’ensemble de la planète. Il n’existe donc aucune alternative à la lutte révolutionnaire de la classe ouvrière pour débarrasser l’humanité des inégalités et fléaux qui l’accablent actuellement.
La classe ouvrière est la seule classe révolutionnaire de la société. Néanmoins cela ne signifie pas qu’elle fera la révolution contre toute la société. Tout au contraire, il lui faudra pouvoir entraîner derrière elle, dans sa lutte révolutionnaire, toutes les classes non exploiteuses de la société, lesquelles ont objectivement intérêt au renversement du capitalisme. Mais pour être en mesure de jouer ce rôle d’entraînement, elle doit être capable de s’affirmer à travers sa lutte, comme la classe révolutionnaire de la société, et avec son projet révolutionnaire de renversement du capitalisme et d’instauration d’une autre société. La pire chose qui puisse arriver est que la classe ouvrière, en se diluant dans les mouvements de révolte de toutes ces couches plongées dans la misère par la crise, mais sans perspective aucune, soit incapable de s’affirmer en tant que force révolutionnaire de la société. Un tel danger est bien réel comme l’ont mis en évidence, par exemple, les révoltes stériles de 2001 en Argentine au sein desquelles de nombreux prolétaires avaient été entraînés aux côtés d’éléments de toutes sortes et en particulier de franges de la petite et moyennes bourgeoisies ruinées par la crise.
Cet exemple constitue une illustration de l’impossibilité actuelle de faire converger le mouvement de la classe ouvrière avec, derrière elle, celui des paysans sans terre tant que celui n’abandonne pas sa spécificité. Il est à présent de notoriété publique que ce mouvement est totalement encadré par l’Etat. En quoi ses revendications sont-elles conciliables avec celles de la classe ouvrière ? En rien. Alors que le refus par la classe ouvrière de subir les attaques requises par la crise du capitalisme constitue déjà la base de la remise en question de l’ordre capitaliste, il en va tout autrement des revendication parfaitement réactionnaires du Mouvement Sans Terre qui se résument au droit à la propriété pour tous.
Chavez, Lula, Castro, …, altermondialisme, … un même combat de la gauche du capital contre le prolétariat.
De nombreuses interventions ont signalé que la politique du gouvernement de gauche de Lula ne se différenciait pas de celle des gouvernements de droite qui l'ont précédé, ce que confirme déjà l'augmentation de la paupérisation au Brésil. Cependant la question du gouvernement Chavez a été l'objet de nombreuses interrogations, doutes et mêmes des marques de sympathie dans les interventions considérant que celui-ci mettait les ressources de l'Etat au service d'un combat courageux contre l'impérialisme américain, bien différent du timide positionnement de la bourgeoisie brésilienne.
Le fait qu'au Venezuela soit arrivée au pouvoir une fraction de la bourgeoisie "radicale" de gauche est une conséquence du haut niveau de décomposition de la bourgeoisie vénézuélienne qui s'est trouvée incapable de mettre au pouvoir des secteurs modérés de gauche comme cela a été le cas, par exemple, au Brésil. C'est pour cette raison que la fraction chaviste du capital national, constituée de secteurs de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie qui, dans leur majorité, avaient été exclues des gouvernements antérieurs, développe une politique d'exclusion vis-à-vis des autres secteurs de la bourgeoisie, ce qui occasionne une confrontation permanente entre fractions de la bourgeoisie, dans laquelle le prolétariat vénézuélien s'est trouvé impliqué.
Le Chavisme, qui bénéficie de l'appui du gouvernement cubain et d'une pléiade de dirigeants et intellectuels latino-américains et dans le monde, des mouvements anti-globalisation et altermondialistes, de même qu'il dispose d'une montagne de dollars provenant des exportations pétrolières (et de l'exploitation de la classe ouvrière vénézuélienne) a mis en place un programme de gouvernement appelé "révolution bolivarienne" dont le fondement est le programme national de capitalisme d'Etat symbolisé par les forces de la guérilla dans les années 1960. La dite "révolution bolivarienne" n'a rien à voir avec la révolution prolétarienne, tout au contraire. Elle vit de l'exploitation de la classe ouvrière à laquelle elle inflige une attaque idéologique et physique, à la manière des régimes staliniens et fascistes. Le Chavisme, tout comme les gouvernements de Lula au Brésil, Kirchner en Argentine, etc. n'a que des illusions à vendre au prolétariat et ne peut que redistribuer la misère entre les pauvres, ce qui est le propre de tout gouvernement qui a pour fondement l'exploitation de la classe ouvrière ; ceci expliquant que le niveau de paupérisation augmente au Venezuela comme dans les autres pays capitalistes.
Concernant "l'anti-impérialisme".
Dans le capitalisme décadent, tout Etat développe nécessairement une politique impérialiste contre les autres nations. Ceci résulte fondamentalement du fait que, face aux contractions croissantes sur le plan économique, chaque nation se voit obligée de renforcer toujours davantage une politique militariste pour se maintenir sur l'arène impérialiste mondiale.
L'influence d'un pays sur l'arène impérialiste dépend de sa force économique, militaire et de conditions géopolitiques. Par exemple, il est évident que les Etats-Unis, première puissance mondiale, disposent des capacités les plus grandes pour imposer leur politique impérialiste au niveau mondial.
"L'anti-impérialisme" bruyant de Chavez contre Bush et les Etats-Unis, n'est rien d'autre qu'une campagne idéologique développée tant au niveau interne qu'externe afin d'obtenir le soutien de la classe ouvrière et des exploités à la politique impérialiste de la bourgeoisie vénézuélienne pour le contrôle de ses aires d'influence (les Caraïbes, le Centre et d'autres parties de l'Amérique du Sud). Le gouvernement Chaviste engage d'importantes ressources financières au service d'une telle campagne afin que les dirigeants, les intellectuels et les groupes de la gauche "radicale" de la région lui servent de caisse de résonance. De même, il tente également de mettre à profit les difficultés de l'impérialisme américain dans d'autres parties du monde (principalement en Irak), celles-ci ne faisant qu'augmenter son impopularité et rendre plus difficile son opposition aux velléités impérialistes de la bourgeoisie vénézuélienne.
Les bourgeoisies de la région, en particulier ses fractions de gauche, partagent, appuient et utilisent en leur faveur la mégalomanie de Chavez et son anti-américanisme frénétique, dans la mesure où le discours chaviste correspond à leurs intérêts géopolitiques. En particulier, la stratégie impérialiste de la bourgeoisie brésilienne, plus discrète que celle du Venezuela, et se situant sur un plan plus diplomatique, est d'une plus grande efficacité contre les intérêts des Etats-Unis. On peut s'en rendre compte à travers la grande influence du Brésil dans les négociations de l'ALCA, où il utilise le fait qu'il est la première puissance économique de la région comme un atout géopolitique important que le gouvernement Lula exploite de façon très intelligente.
Le prolétariat doit confronter et dénoncer l'idéologie "anti-impérialiste", alors qu'elle est utilisée afin de l'embrigader derrière les oripeaux et intérêts du capital national. La lutte du prolétariat contre l'impérialisme est inscrite dans sa lutte quotidienne contre sa propre bourgeoisie car l'impérialisme est le mode de vie du capitalisme décadent.
La perspective révolutionnaire
La société actuelle n’est pas une société de consommation pour tout le monde. Ce n’est pas très difficile de s’en rendre compte. Le capitalisme a étendu et généralisé, comme aucune société ne l’avait fait avant lui le règne de la marchandise. Dans ce monde tout s’achète, tout est marchandise. Le capitalisme est aussi le système qui été capable de développer les forces productives comme aucun autre avant lui, si bien qu’il a rendu parfaitement imaginable la possibilité de l’abondance pour tous sur terre. La seule chose qui s’y oppose, c’est ce système lui-même qui produit non pas en vue de la satisfaction des besoins humains, mais en vue de faire du profit et d’accumuler. Une contradiction du monde actuel réside en ceci qu’une proportion croissante de l’humanité et de la classe qui produit les richesses, la classe ouvrière, n’a accès qu’à une partie toujours moindre des marchandises produites, même s’agissant de celles qui sont vitales. Ce contraste énorme entre ce que pourrait être la vie dans la société bénéficiant de toutes les richesses accumulées et ce qu’elle est en réalité est un facteur de prise de conscience de la nécessité du renversement révolutionnaire du capitalisme.
Selon la propagande bourgeoise, la révolution est la pire chose qui pourrait arriver parce qu’elle est anti-démocratique. De quoi s’agit-il en réalité. Elle est le renversement d’une classe minoritaire, la bourgeoisie, en vue du bien-être de l’immense majorité, la classe ouvrière et l’ensemble des couches non exploiteuses de la société.
Quant à la démocratie bourgeoise, elle n’est que le masque hypocrite de la dictature du capital. Et plus la classe ouvrière sera amenée à se confronter au capital, plus cette dictature apparaîtra dans sa réalité crue.
Qu’est-ce qui peut faire dire que la classe ouvrière aux Etats-Unis soutient sa propre bourgeoisie, à part une certaine propagande qui a intérêt à entretenir ce mensonge ?
La classe ouvrière aux Etats-Unis n’a pas actuellement les moyens de s’opposer à la guerre en Irak. Cela résulte d’un niveau encore insuffisant de la lutte de classe internationalement et dans ce pays. Cela signifie-t-il pour autant que cette fraction du prolétariat international adhère à cette guerre ? Certainement pas, comme en témoignent les difficultés de l’Etat américain pour recruter de nouveaux effectifs. Comme en témoignent également les actions de mères de familles pour interdire les accès des écoles aux sergents recruteurs. Nous ne sommes pas dans une période où des fractions majoritaires du prolétariat des pays les plus importants sont prêtes à soutenir l’effort de guerre de leur propre bourgeoisie, comme cela pouvait être le cas dans les années 1930. A cette époque, les prolétaires américains, anglais, allemands, français, russes, … se faisaient massacrer par millions, et massacraient, dans les armées régulières ou de résistance nationale, pour des intérêts qui n’étaient pas les leurs mais bien ceux des différentes fractions nationales de la bourgeoisie mondiale.
Les chômeurs sont une partie de la classe ouvrière et leur lutte n’est pas différente de celle de la classe ouvrière dans son ensemble. Le fait d’être privé d’emploi, et ainsi de la proximité de camarades de lutte, rend la mobilisation plus difficile en particulier du fait de l’atomisation croissante de la vie sociale. C’est la raison pour laquelle il est important qu’ils fassent tout ce qui est possible pour rejoindre les mobilisations des ouvriers ayant encore un emploi, lorsqu’elles se produisent, et que ces derniers appellent les chômeurs à participer à leurs manifestations.
Par ailleurs, il faut être conscient que l’Etat bourgeois ne reste pas inactif vis-à-vis du potentiel explosif que représente le nombre des chômeurs. C’est la raison pour laquelle il s’emploie à les encadrer, notamment en prenant en charge certains de leurs besoins les plus vitaux, à travers la distribution de nourriture assumée par des associations, l’église, les partis de gauche à sa solde (par exemple, dans des "Comedores" en Argentine). Une telle assistance n'est évidemment pas neutre et a pour objectif de maintenir les ouvriers qui en bénéficient dans la dépendance vis-à-vis de l'Etat, sans remettre en cause les fondements de la misère. Par ailleurs, de telles institutions sont également utilisées pour dévoyer la lutte de ceux qui sont au travail vers une fausse solidarité, opposée à la solidarité de classe (comme ce fut le cas lors de la vague de lutte durant l'été 2005 en Argentine).
La classe ouvrière aujourd'hui est toujours la classe qui produit l'essentiel des richesses de la société. Elle est toujours la classe exploitée et, sans elle, le capitalisme ne peut pas exister. Quelles que soient les modifications sociologiques ayant pu intervenir en son sein, celles-ci ne modifient en rien sa nature révolutionnaire. Si lors de la vague révolutionnaire de 1917-23, la proportion d'ouvriers industriels dans l’ensemble de la classe ouvrière était certainement plus importante qu'elle ne l'est à présent, ce n'est pas pour autant qu'il n'existe pas au sein de celle-ci des secteurs autres que les ouvriers de l’industrie capables d’une grande combativité et de développer une prise de conscience. La mobilisation dans le secteur de l’enseignement en Italie en 1987 a déjà illustré ce fait en plaçant ce secteur momentanément à la pointe de la volonté de s'organiser en dehors et contre les syndicats. Les ouvriers en Russie en 1917 avaient également cette réputation, bien que ne sachant généralement pas lire, de bien connaître l'histoire de leur classe, et en particulier l'histoire de la Commune de Paris. Sur ce plan, il existe effectivement une différence puisque les nouvelles générations sont caractérisées par une ignorance assez importante de l'histoire. Mais nous avons confiance dans la capacité du prolétariat révolutionnaire à se réapproprier sa propre histoire à mesure que les enjeux l'exigeront. Pour cela il pourra compter sur l’intervention des organisations révolutionnaires visant à susciter et accompagner un tel effort.
La révolution est plus que jamais une nécessité et elle est encore possible. La première vague révolutionnaire mondiale s'est développée en réaction à la plongée brutale dans la barbarie occasionnée par la Première Guerre mondiale. Aujourd'hui, la classe révolutionnaire chargée d'appliquer la sentence de mort que l'histoire a prononcée contre le capitalisme dispose d'énormes réserves de combativité pour développer sa lutte face à une crise économique insoluble et qui ne pourra que s'approfondir. Depuis qu'il a repris le chemin historique de sa lutte en 1968, le prolétariat a connu de nombreuses difficultés, en particulier un recul de plus de 10 ans de sa conscience et de sa combativité avec les campagnes sur « la mort du communisme » qui ont accompagné l'effondrement des régimes staliniens. Mais aujourd'hui il est de nouveau en mesure de développer, dans la lutte, sa conscience et la confiance en ses capacités révolutionnaires.
Une expérience à renouveler
C'est un bilan tout à fait positif que le CCI tire de ces quatre interventions publiques.
En plus de constituer une première pour le CCI, du fait qu’elles se déroulaient au Brésil, ces réunions ont constitué une des rares occasions qu’a eu le CCI d’effectuer une intervention commune avec une autre organisation prolétarienne[3] [36]. Pour notre part, c'est également un bilan très positif que nous tirons de cette expérience en ce qui concerne tant la qualité de la collaboration avec l'Opposition Ouvrière que l’impact qu’a pu avoir sur l’auditoire une telle unité d’intervention. En effet, le fait que deux organisations distinctes, avec des différences ou divergences existant entre elles, s’adressent conjointement à leur classe préfigure la capacité des différents éléments de l’avant-garde révolutionnaire à travailler ensemble pour la défense de la cause qui leur est commune, la victoire de la révolution. A ce sujet, il était entendu entre nos deux organisations que, dans les interventions des réunions publiques, la priorité serait donnée à la question de l’organisation du prolétariat à travers ses propres organes que sont les conseils ouvriers pour sa lutte révolutionnaire, ainsi qu'à celle de la dénonciation de la mystification démocratique et parlementaire et du rôle contre-révolutionnaire des syndicats. Mais il était également entendu entre nous que nous ne chercherions pas à masquer des approches parfois différentes concernant les explications à telle ou telle situation, et qui se sont effectivement exprimées dans l’argumentation des uns et des autres, ou même des différences concernant telle ou telle question. Il était également convenu entre nos deux organisations que ces différences devraient faire l’objet d’un débat approfondi entre elles visant à en cerner mieux la réalité et les implications.
Pour notre part, nous sommes plus que jamais disposés à renouveler l'expérience. Encore une fois, nous remercions nos sympathisants pour la qualité de leur engagement à nos côtés et nous saluons l'Opposition Ouvrière pour son attitude ouverte et solidaire, en un mot : prolétarienne.
CCI (2 décembre 2005)
[1] [37] Ce groupe, avec lequel le CCI développe une relation de discussion et collaboration politiques, appartient clairement au camp du prolétariat du fait en particulier de son engagement dans le combat internationaliste en vue de la victoire du communisme. Il démontre par ailleurs une clarté significative concernant la nature des syndicats et la mystification démocratique et électoraliste. Pour consulter son site : https://opop.sites.uol.com.br/ [38].
[2] [39] L’objectif militant était cependant clairement présent dés le départ dans l’intitulé de notre présentation puisque celle-ci avait comme surtitre "Le futur appartient à la lutte de classe".
[3] [40] Un précédent avait été constitué par la tenue d'une réunion publique commune avec la CWO (Communist Worker's Organisation), représentante du BIPR en Grande-Bretagne, à l'occasion du 80e anniversaire de la révolution de 1917. Malheureusement cette expérience n'a pas eu de suite, la CWO et plus généralement le BIPR estimant impossible de la renouveler à cause du prétendu idéalisme du CCI illustré en particulier par son analyse de l'existence d'un cours historique aux affrontements de classe.
"La guerre de 14-18 comme jamais nous ne l’avions vue au cinéma". C’est ainsi que débute la critique, pour le moins dithyrambique, du magazine Historia à propos du film Joyeux Noël de Christian Carion, sorti le 9 novembre dernier dans les salles, et sélectionné pour représenter la France aux Oscars 2006.
Que peut-il y avoir de si merveilleux dans ce film qui mérite un tel engouement ?
Le cinéaste a choisi de traiter une "soirée particulière" au cours de cette vaste boucherie, celle du 24 décembre 1914, la première nuit de Noël depuis le déclenchement de la guerre en août. Ce soir-là, comme le dit Carion dans le roman inspiré de son film, "l’impensable s’est produit". Malgré l’impératif qu’ils avaient de s’entretuer, malgré la haine du "boche" ou du "französe" apprise 10 ans plus tôt sur les bancs de l’école primaire en vue de cette guerre, les soldats de part et d’autre vont, ce soir-là, poser les fusils, chanter ensemble quelques cantiques de Noël puis vont tout aussi spontanément sortir des tranchées pour se serrer la main et partager le vin, le schnaps, le pain et les cigarettes. Des parties de football seront même organisées le lendemain, d’après les archives militaires. Ce sont ces moments de fraternisations de décembre 1914 que met en scène le film.
Evidemment, la bourgeoisie ne laisse pas entrer n’importe quel film dans le Panthéon de sa grande cinémathèque, surtout lorsqu’il traite d’un sujet aussi délicat que les fraternisations de la "Grande Guerre". Alors, si elle est prête à la gratifier d’un Oscar, c’est que la version de Carion lui convient parfaitement.
En effet, si les moments du film où les soldats fraternisent ne peuvent que nous submerger d’émotions vives, la signification, ou plutôt l’absence de signification donnée à cet événement est un véritable seau d’eau glacée jeté à la face du spectateur qui ne relève que de la falsification historique.
Finalement, Noël 1914 devient une jolie et émouvante parenthèse sans lendemain, qui devra très vite se refermer parce que "les affaires" doivent nécessairement reprendre. Les dialogues entre les officiers français, britanniques et allemands sont édifiants :
"- L’issue de la guerre ne se jouera probablement pas ce soir… Personne ne nous reprochera d’avoir posé nos fusils une nuit de Noël !
- Rassurez-vous ! C’est juste pour cette nuit renchérit Horstmayer, [l’officier allemand] qui veut "rassurer" son homologue français…"
Et dans l’épilogue du roman, on peut lire en guise de conclusion : "Bien sûr, la guerre a repris ses droits (…) Lorsque Noël 1915 a pointé son nez, les états-majors avaient bien retenu la leçon et ne se sont pas laissé prendre au dépourvu : ils ont fait bombarder les secteurs trop calmes à leurs yeux. Il n’y a plus eu de fraternisations comme en 1914." Et voilà, fin de l’histoire, pour reprendre les mots d’Audebert (l’officier français), la "parenthèse est refermée".
Dès 1914, les journaux, notamment ceux d’Angleterre, sont au courant des fraternisations de Noël mais ils ne chercheront pas à les dissimuler, bien au contraire, ils en feront l’étalage dans leurs colonnes avec un traitement similaire à celui que l’on retrouve aujourd’hui dans Joyeux Noël. Ainsi, on pouvait lire dans le Manchester Guardian du 7 janvier 1915 : "‘Mais ils sont rentrés dans leurs tranchées’ pourrait dire un observateur parfaitement avisé et totalement inhumain, venu d’une autre planète, ‘et ils se sont brutalement remis à tuer et à se faire tuer. A l’évidence, cette attitude qui partait d’un bon sentiment est restée sans lendemain’. Ce à quoi, naturellement nous aurions raison de lui rétorquer qu’il y avait encore beaucoup à faire – qu’il fallait encore délivrer la Belgique de l’horrible joug qui pesait sur elle, comme il nous fallait apprendre à l’Allemagne que la culture ne pouvait être imposée par l’épée."
"Il y a encore beaucoup à faire, donc trêve de plaisanterie et regagnons nos tranchées respectives", c’est exactement ce que Carion fait dire aux soldats de son film, à l’image de l’un des personnages principaux, le soldat allemand Nikolaus qui refuse la désertion que lui propose sa belle parce que, tout de même, "Je suis soldat ici ! J’ai des devoirs, des obligations comme tous les autres !".
C’est ici, dans cette morale à deux sous, que le film dérape copieusement pour devenir une pure fiction, un fantasme de la classe dominante qui réécrit l’Histoire à sa guise et confisque de cette manière celle de la classe ouvrière.
Les fraternisations de Noël 1914 n’ont jamais été ces sortes de "miracles sans lendemain" ou "une pause, un entracte avant l’acte suivant du drame effroyable", pour reprendre l’expression de l’historien Malcolm Brown, coauteur avec Marc Ferro de Frères de tranchées (disponible en librairie un peu avant la sortie du film de Carion).
Avant décembre 1914 et bien après, tout au long de la guerre, les scènes de fraternisation se sont répétées sur tout les fronts : à l’Ouest entre soldats allemands et britanniques ou français, à l’Est entre soldats russes et allemands ou austro-hongrois, sur le front austro-italien entre soldats autrichiens et italiens. Partout, les mêmes scènes de partage de boisson, nourriture et cigarettes qui volent de tranchée à tranchée, les mêmes tentatives pour s’échanger quelques mots (certains regrettent de ne pas parler la langue de celui d’en face). Et l'on s’entend le plus souvent pour ne pas s’entretuer (les historiens eux-mêmes ont appelé ça le "vivre et laisser vivre"). Les cas de fraternisation sont parfois si poussés que les officiers sont obligés de demander à l’artillerie ennemie de canarder leurs hommes pour qu’ils daignent enfin retourner dans leurs tranchées.
L’idée selon laquelle les fraternisations étaient "sans lendemain" implique un autre mensonge que celui consistant à dire que le phénomène fut "rare et limité". Le "sans lendemain" veut dire aussi "sans espoir" de mettre un terme au carnage. Le film, appuyé par une ribambelle d’historiens bourgeois, cherche en effet à vider de tout contenu politique de tels événements. Comme le fait Marc Ferro en disant : "C’était un cri de désespoir poussé contre les offensives inutiles par des soldats qui n’en pouvaient plus… Mais elles n’ont pas été un pas vers une remise en cause de la guerre", mieux, elles n’ont "pas eu de contenu révolutionnaire".
Si un prix Nobel de la mauvaise foi existait, alors Monsieur Ferro serait un sérieux concurrent. Il est pourtant évident que des soldats que l’on envoie s’entredéchirer et qui, au contraire, posent leurs fusils pour aller se serrer la main, remettent de facto en cause la guerre.
"Ces fraternisations n’ont pas de signification politique", mais c’est tout le contraire qui est vrai. En effet, elles expriment la nature internationale de la classe ouvrière, le fait qu’elle n’a aucun intérêt à se faire massacrer pour des intérêts qui sont ceux de ses exploiteurs et de leur patrie. Les fraternisations depuis 1914 puis les mutineries de 1917 (voir RI n°285, décembre 1998) [1] [44] sont l’expression de la révolte montante de la classe ouvrière, excédée au front comme à l’arrière par les souffrances imposées par la guerre, dont le point d’orgue sera la révolution russe de 1917. Les exemples de ce qu’annoncent les fraternisations ne manquent pas. Ainsi, le caporal Barthas rapporte qu’en décembre 1915, dans le secteur de Neuville-Saint-Vast, les tranchées étant inondées, soldats français et allemands durent sortirent et commencèrent à fraterniser. Un peu plus tard, après un discours, un soldat allemand brise son fusil dans un geste de colère, alors, écrit Barthas, "des applaudissements éclatèrent de part et d’autre et l’Internationale retentit". De même, un soldat français rapporte en janvier 1917 : " Les boches nous font signe avec leurs fusils qu’ils ne veulent plus tirer sur nous ; si on les obligeait, ils lèveraient en l’air" (lever la crosse en l’air est un signe de mutinerie). Encore dans le témoignage de Barthas, cette fois dans les Vosges en septembre 1917 : " … il y en a un [soldat allemand] qui a pris son fusil et l’a agité la crosse en l’air et il a achevé son geste en mettant son fusil en joue mais en nous tournant le dos et en visant vers l’arrière. C’était très explicite et nous en avons déduit qu’il faudrait qu’ils tirent mais vers ceux qui les menaient ".
Le mouvement ouvrier sait pertinemment la valeur et la signification des fraternisations. Lénine, lui-même, dans un article de la Pravda en date du 28 avril 1917 le dit magistralement : "Les capitalistes tournent en ridicule les fraternisations… or les ouvriers, les semi-prolétaires et paysans pauvres qui, guidés par l’instinct même des classes opprimées, marchent dans les traces des ouvriers conscients, voient les fraternisations avec la plus vive sympathie ; il est évident que les fraternisations sont une voie vers la paix."
Il est évident que cette voie ne va pas dans le sens des gouvernements capitalistes, mais va au contraire dans un sens opposé. Elle développe, renforce, consolide le sentiment de confiance fraternelle qui unit les travailleurs de différents pays. Elle commence à miner la discipline maudite des casernes-prisons… Il est évident que les fraternisations constituent une initiative révolutionnaire des masses, qu’elle signifie l’éveil de leur conscience, l’esprit de courage des classes opprimées, qu’elles sont en d’autres mots un des nœuds de la chaîne qui conduit à la révolution socialiste prolétarienne.
Vivent les fraternisations : vive la révolution socialiste mondiale prolétarienne !"
C’est cette réalité que le film Joyeux Noël fait disparaître. Il choisit les fraternisations de 1914 en escamotant leur contenu et ce qu’elles préfigurent : l’éclatement de la révolution prolétarienne de 1917 en Russie. Ce genre de film, sous couvert de bons sentiments humanistes et pacifiques " tourne en ridicule les fraternisations" pour confisquer et altérer la mémoire de la classe ouvrière et par là sa perspective révolutionnaire.
Azel (2/01/2006)
[1] [45] Article : "Les mutins de 1917 appartiennent à la mémoire du prolétariat international, pas à celle de la nation !"
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[2] https://fr.internationalism.org/en/tag/situations-territoriales/lutte-classe-france
[3] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/luttes-classe
[4] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/50/etats-unis
[5] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/41/espagne
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[7] https://fr.internationalism.org/ri365/echine.htm#_ftn2
[8] https://fr.internationalism.org/ri365/echine.htm#_ftn3
[9] https://fr.internationalism.org/ri365/echine.htm#_ftn4
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[13] https://fr.internationalism.org/ri365/echine.htm#_ftnref4
[14] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/lanarchisme-internationaliste
[15] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/57/israel
[16] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/decomposition
[17] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/guerre
[18] https://fr.internationalism.org/ri365/jactions.htm#_ftn1
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[20] https://fr.internationalism.org/ri365/jactions.htm#_ftnref1
[21] https://fr.internationalism.org/ri365/jactions.htm#_ftnref2
[22] https://fr.internationalism.org/ri365/lo.htm#_ftn1
[23] https://fr.internationalism.org/ri365/lo.htm#_ftnref1
[24] https://fr.internationalism.org/en/tag/situations-territoriales/vie-bourgeoisie-france
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[28] https://fr.internationalism.org/ri365/seat.htm#_ftn4
[29] https://fr.internationalism.org/ri365/seat.htm#_ftnref1
[30] https://fr.internationalism.org/ri365/seat.htm#_ftnref2
[31] https://fr.internationalism.org/ri365/seat.htm#_ftnref3
[32] https://fr.internationalism.org/ri365/seat.htm#_ftnref4
[33] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/question-syndicale
[34] https://fr.internationalism.org/ri365/bresil.htm#_ftn1
[35] https://fr.internationalism.org/ri365/bresil.htm#_ftn2
[36] https://fr.internationalism.org/ri365/bresil.htm#_ftn3
[37] https://fr.internationalism.org/ri365/bresil.htm#_ftnref1
[38] https://opop.sites.uol.com.br/
[39] https://fr.internationalism.org/ri365/bresil.htm#_ftnref2
[40] https://fr.internationalism.org/ri365/bresil.htm#_ftnref3
[41] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/54/venezuela
[42] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/influence-gauche-communiste
[43] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/lorganisation-revolutionnaire
[44] https://fr.internationalism.org/ri365/fraternisation.htm#_ftn1
[45] https://fr.internationalism.org/ri365/fraternisation.htm#_ftnref1
[46] https://fr.internationalism.org/en/tag/evenements-historiques/premiere-guerre-mondiale
[47] https://fr.internationalism.org/en/tag/6/413/fraternisation