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Revue Internationale no 50 - 3e trimestre 1987

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Lutte de classe internationale : le besoin de l'unification et la confrontation au syndicalisme de base

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La faillite de plus en plus évidente du capitalisme mondial, qui s'engage aujourd'hui dans une nouvelle récession, commence sérieusement à alarmer même les plus optimistes analystes des «perspectives» de l'économie dans tous les pays. En même temps, le mécontentement, la colère, la combativité ne cessent de monter dans la classe ouvrière contre des attaques de plus en plus généralisées des conditions de vie :

—    le chômage de moins en moins indemnisé, de longue durée, sans perspective de retrouver des emplois ; au contraire, de plus en plus de licenciements, au nom de la «restructuration», «reconversion», «privatisation»;

—    le démantèlement de toutes les réglementations de l'aide sociale de l'Etat, dans les domaines de la santé, des retraites, du logement, de l'éducation ;

—    la baisse des revenus par suppression de primes, augmentation du temps de travail, limitations et blocages des salaires ;

—    la déréglementation des conditions de travail : réintroduction du travail pendant les jours de congé, du travail de nuit des femmes, «flexibilisation» des horaires.

—    l'augmentation des sanctions sur les lieux de travail, le renforcement des contrôles policiers, notamment dans «l'immigration», au nom de la lutte «pour la sécurité», contre le «terrorisme» ou même «l'alcoolisme», etc.

Sur le plan de l'économie et des conséquences pour la vie des classes sociales exploitées et déshéritées de la société, ce sont les pays au capitalisme moins développé qui montrent l'avenir pour les pays industrialisés. Aujourd'hui, les caractéristiques de la faillite historique du capitalisme se manifestent très violemment dans ces pays (voir article sur le Mexique dans ce numéro). Cependant, ces caractéristiques ne sont pas réservées au «sous-développement» et le capitalisme des centres industriels les plus importants montre des symptômes de plus en plus flagrants de cette faillite au cœur même de son système : aggravation du chômage au Japon, endettement des Etats-Unis supérieur à celui du Brésil, plans de licenciements massifs en Allemagne de l'Ouest, pour ne donner que quelques indices les plus significatifs.

Face à cette tendance à unifier dans la crise du capitalisme les conditions d'exploitation et de misère pour les travailleurs de tous les pays, la classe ouvrière a répondu internationalement. Toute une série de luttes ouvrières se sont développées depuis 1983 et renforcées depuis 1986, parcourant tous les pays et tous les secteurs. La vague actuelle de luttes constitue une simultanéité de riposte ouvrière aux attaques capitalistes inconnue jusque là dans l'histoire. Dans les pays parmi les plus industrialisés d'Europe occidentale — Belgique, France, Angleterre, Espagne, Suède, Italie —, également aux Etats-Unis, dans les pays de capitalisme moins développé — en particulier en Amérique Latine —, en Europe de l'Est où se manifestent des signes récents d'une reprise de la combativité ouvrière, en Yougoslavie où déferle depuis plusieurs mois une vague de grèves ; partout dans le monde, dans tous les secteurs de l'économie, la classe ouvrière a entamé et va poursuivre le combat contre les attaques des conditions d'existence. La tendance à des mouvements touchant de plus en plus d'ouvriers, dans tous les secteurs, actifs et chômeurs, la tendance au surgissement de mouvements spontanés, au développement de la confiance en soi au sein du prolétariat, à la recherche de la solidarité active, sont présentes, à des degrés divers suivant les moments et les pays, dans les luttes ouvrières actuelles. Elles manifestent une recherche de l'unification dans la classe ouvrière, unification qui constitue le besoin central des luttes dans la période présente.

C'est à enrayer cette tendance à l'unification que s'emploie la bourgeoisie, surtout sur le terrain de la lutte classe par l'intervention des syndicats et du syndicalisme de base qui déploient toutes les tactiques possibles division et de détournement des objectifs et des moyens de lutte :

—    contre l'extension des luttes: l'isolement corporatiste, régional;

—    contre l'auto organisation : la fausse extension par les syndicats ;

—    contre les manifestations unitaires, l'utilisation des divisions syndicales et corporatistes, le trucage des convocations et du calendrier, etc.

Le tout est enveloppé d'un verbiage d'autant plus radical que la méfiance envers les syndicats se transforme de plus en plus en hostilité ouverte parmi les ouvriers et que la combativité est stimulée lorsqu'il y a mobilisation en nombre des travailleurs, dans des assemblées, dans des manifestations.,

«Les luttes de Belgique (printemps 1986) ont souligné la nécessité et la possibilité de mouvements massifs et généralisés dans les pays capitalistes avancés. Les luttes en France (hiver 1986-87) sont venues confirmer la nécessité et la possibilité d'une prise en mains par les ouvriers de leurs combats, de l'auto organisation de ceux- ci en dehors des syndicats, contre eux et leurs manœuvres de sabotage.

Ce sont ces deux aspects inséparables du combat ouvrier qui seront de plus en plus présents dans le mouvement de luttes qui a déjà débuté». (Revue Internationale n° 49, 2e trimestre 1987)

Après la grève des chemins de fer en France et la grève des télécommunications en Grande-Bretagne au début de l’année, les luttes ouvrières en Espagne et en Yougoslavie depuis plusieurs mois, et en ce moment même en Italie, confirment à leur tour les caractéristiques générales de la vague de luttes actuelles. La simultanéité des ripostes et les tendances à prendre en main la lutte face à la stratégie de la gauche, de l’extrème-gauche et des syndicats, confirment le développement d'un potentiel d'unification.

Espagne : divisions syndicales contre unité ouvrière

En Espagne, surtout depuis le mois de février, pas un jour ne se passe sans grèves, assemblées, manifestations : des mines à l'aviation, du secteur de la santé à celui de la sidérurgie, des chantiers navals aux transports, de l'enseignement à la construction. Le très sérieux journal Le Monde constate ainsi : «Nombre de travailleurs semblent désormais persuadés, à tort ou à raison, que descendre dans la rue constitue la seule manière de se faire entendre» (8/5/87). C'est évidemment «à raison» que la classe ouvrière ressent le besoin de descendre dans la rue pour tenter de rechercher la solidarité et l'unité face à la bourgeoisie. Ceci est vrai pour toute la classe ouvrière dans tous les pays. En Espagne, c'est une tradition, héritée en particulier de la période franquiste quand la police interdisait aux ouvriers en grève de rester dans les usines, que de manifester d'usine en usine et de rechercher immédiatement la solidarité. C'est ce qui avait déjà caractérisé les luttes massives de 1975-76 dans ce pays.

Dès le début du mouvement de cette année, des premières tentatives d'unification ont surgi dans certains secteurs de la classe ouvrière : les ouvriers agricoles de la région de Castellon ont multiplié les manifestations entraînant d'autres travailleurs et des chômeurs avec eux ; à Bilbao, les ouvriers de deux usines ont imposé contre l'avis des syndicats une manifestation commune, tout comme l'ont fait aux Canaries les travailleurs du port de Tenerife avec les ouvriers du tabac et les camionneurs. Cependant, malgré ces signes d'une poussée à la solidarité active, en février mars les syndicats parviennent à contenir l'extension et en particulier à isoler le mouvement de 20000 mineurs dans les Asturies au nord du pays : il n'y a dans ce mouvement pratiquement aucune assemblée générale qui se tient ni aucune manifestation organisée. Début avril, il semble que les syndicats vont parvenir à arrêter le mouvement grâce à ce déploiement sans précédent des tactiques de division de tous bords. Commissions Ouvrières, syndicat du PCE, UGT, syndicat du PSOE, CNT, syndicat anarchiste, et toute une kyrielle de syndicats de métier, de branche, y compris des syndicats de base comme la «Coordinadora des dockers des ports» (CEP), s'emploient à diviser par revendications, par secteurs, par régions, etc., à disperser par des arrêts de travail tournants, notamment dans les transports.

En fait, si les manœuvres syndicales parviennent à contenir le potentiel d'unification important qui existe, elles ne parviennent à étouffer la combativité à un endroit que pour la voir immédiatement ressurgir ailleurs. Beau­coup d'arrêts de travail, de courtes grèves, d'initiatives de manifestations, ont lieu hors de toute consigne syndicale et il règne dans de nombreux secteurs une ambiance de conflit larvé. La bourgeoisie, qui ne parvient pas à empêcher les travailleurs d'investir la rue, fait tout pour éviter que ceux-ci ne se rejoignent dans les manifestations et mettent en œuvre une solidarité active entre différents secteurs ; ceci par le jeu des divisions syndicales complété par l'intervention systématique des forces de police là où ces divisions ne suffisent pas. Ainsi, à certains endroits, toutes les énergies sont mobilisées dans les affrontements quasi quotidiens : dans le port de Puerto Real à Cadix, les ouvriers et beaucoup d'éléments de la population qui se joignent à eux, affrontent la police depuis plusieurs semaines ; dans les mines d'El Bierzo, près de Léon dans le nord, alors que le mécontentement se manifeste depuis -le début de l'année, depuis début mai, tous les jours il y a des bagarres avec la police auxquelles est mêlée toute la population. La mort d'un travailleur à Reinosa, zone sidérurgique près de Santander, dans des affrontements particulièrement violents, a une fois de plus tragiquement confirmé le véritable rôle de chien de garde du capitalisme qu'est, au même titre que la «droite», la «gauche» du capital, en l'occurrence le PSOE, parti «socialiste» au gouvernement.

L'engagement dans les affrontements avec la police dans les petites villes industrielles relativement isolées telles que Reinosa et Ponferrada dans le nord du pays, Puerto real dans le sud, montre la profondeur du mécontentement ouvrier, de la combativité et des ten­dances à s'unifier toutes catégories confondues contre le sort qui est fait aux conditions de vie des travailleurs, et contre l'envoi de la force publique. Cependant, ces affrontements systématiques constituent souvent un piège pour les travailleurs. Toutes les énergies sont mobilisées sur les seuls combats de rue, rituellement orchestrés par la police et par ceux qui, dans les rangs ouvriers, réduisent la question des objectifs et des moyens de la lutte à ces seuls affrontements. Syndicats et organismes de base «radicaux» se partagent le travail pour cette orchestra­tion ; c'est ainsi que depuis plusieurs semaines, à Puerto Real, les combats sont «programmés» le mardi au port et le jeudi en ville ! Ce n'est pas pour rien que les médias en Europe commencent seulement à parler maintenant des événements en Espagne, et seulement sur des bagarres avec la police, alors que les luttes ouvrières se développent depuis plusieurs mois. Dans ces combats isolés contre les forces de l'ordre, les ouvriers ne peuvent pas gagner. Ils ne peuvent qu'épuiser leurs forces au détriment d'une recherche de l'extension, de la solidarité, hors de la région, car seules des luttes massives et unies peuvent faire face à l'appareil d'Etat, à sa police et à ses agents en milieu ouvrier.

Les tendances à l'unité des luttes simultanées, dans des luttes massives et par la prise en charge de celles-ci par les travailleurs eux-mêmes, ne trouvent pas encore leur plein épanouissement dans l'unification de la classe ouvrière. Cependant, les conditions qui ont fait surgir ces tendances — attaques massives et frontales contre la classe ouvrière, maturation de la conscience de classe sur la nécessité de lutter ensemble — sont loin d'être épuisées, ni en Espagne, ni dans aucun autre pays.

Italie : le syndicalisme de base contre la prise en mains des luttes

Les tendances à la prise en mains des luttes par les ouvriers se sont manifestées à plusieurs reprises. C'est en particulier en France, dans la grève des cheminots du début de l'année, que la nécessité et la possibilité de l'auto organisation de la lutte ouvrière ont ressurgi au grand jour. Cette expérience a eu un profond écho dans toute la classe ouvrière internationalement.

Aujourd'hui en Italie, c'est à nouveau ce besoin de la prise en mains des luttes, hors du cadre syndical traditionnel, qui est au premier plan du mouvement qui se développe dans le pays dans de nombreux secteurs : chemins de fer, transports aériens, hôpitaux, et surtout dans l'enseignement. Dans ce dernier secteur, le rejet de la convention acceptée par les syndicats a conduit à une auto organisation en comités de base, d'abord dans 120 écoles de Rome, puis à' l'échelon national. En l'espace de quelques mois, le mouvement est devenu majoritaire par rapport aux syndicats et a organisé trois assemblées nationales à Rome, Florence et Naples de délégués élus par des coordinations provinciales. A l'intérieur du mou­vement se sont affrontées essentiellement la tendance à stabiliser les comités en un nouveau syndicat (Unione Comitati di Base, Cobas, majoritaire à Rome) et la tendance «assembléiste», majoritaire aux assemblées nationales, manifestant clairement un profond rejet du syndicalisme qui existe dans toute la classe ouvrière. Pour le moment, ceci s'exprime plus par un rejet généralisé de toute notion de délégué — ce qui laisse le champ plus libre au syndicalisme de base — que par une claire conscience de l'impossibilité de bâtir de nouveaux syndi­cats. Mais le fait que le syndicalisme, pour garder le contrôle de la mobilisation, soit contraint d'accepter les « comités de base », est significatif du lent dégagement des travailleurs de l'idéologie syndicaliste, et du besoin de prise en charge et d'unité des luttes qu'ils ressentent.

Toujours en Italie, dans les chemins de fer, le mouvement est parti d'une assemblée «autoconvoquée» à Naples qui a donné naissance à une coordination régionale, puis des organes semblables se sont constitués dans d'autres régions, pour former une coordination nationale dans une assemblée à Florence. Le besoin de l'unité s'est exprimé dans le fait que lors d'une manifes­tation nationale des cheminots à Rome, un tract-appel à lutter ensemble a été distribué par la minorité non syndicale du mouvement des comités de base de l'ensei­gnement. Dans les coordinations des cheminots, dès le début, le poids des gauchistes a été très fort. Democrazia Proletaria (DP, gauche radicale du type PSU en France, mais plus important), a tout de suite essayé de canaliser le mouvement en focalisant l'attention sur le double plan «hors/dans» les syndicats, ramenant les syndicats comme préoccupation du mouvement, et poussant ainsi au second plan la question de l'unité.

La profondeur du processus d'accumulation de mul­tiples expériences ponctuelles et de réflexion dans la classe depuis plusieurs années s'exprime de plus en plus ouvertement : par de courtes grèves «sauvages», comme celle de 4000 travailleurs de la municipalité de Palerme en Sicile ; par des regroupements pour discuter ce qu'il faut faire, comme la tenue d'une assemblée de 120 travailleurs de différentes catégories de la Fonction Publique, en mars à Milan, sur comment s'organiser face à la trahison des syndicats. Face à ce bouillonnement se développe un travail préventif de sape de la part des différentes fractions syndicalistes de base et extrême-gauche du capital. Pour la première fois en Italie, les trotskystes ont joué un rôle, dans l'enseignement. Les libertaires sont sortis de leur torpeur pour réchauffer le cadavre de l'anarcho-syndicalisme. DP fait tout un travail pour transformer les comités de base, organismes prolé­tariens au départ, en syndicats de base, pour contrôler la manifestation de 40000 travailleurs de l'enseignement à Rome fin mai, en polarisant l'attention sur la recon­naissance des Cobas pour «négocier» avec le gouverne­ment, au détriment de la jonction avec les autres secteurs qui tendent à se mobiliser.

Cependant, si la bourgeoisie, en battant le rappel de toutes les forces politiques susceptibles d'encadrer la classe ouvrière «à la base», garde le contrôle de la situation d'ensemble, la situation présente en Italie est une illustration de l'affaiblissement historique de la gauche de l'appareil politique de la bourgeoisie face à la classe ouvrière. Le Corriere della Serra, journal tout aussi «sérieux» que Le Monde, constate dans un article intitulé «Malaise incontrôlé»: «La crise des syndicats n'est pas épisodique, mais structurelle (...) ». De son point de vue bourgeois qui ne voit la classe ouvrière que dans les syndicats, il considère de ce fait «caducs les intérêts de classe» ! Mais il affirme aussitôt : «ceci ne signifie pas que les syndicats parviennent à contrôler les manifestations spontanées et centrifuges de franges (rebelles ? sauvages ? égoïstes ?) qui n'entendent pas renoncer à la défense de leurs propres intérêts» ! Et c'est bien pourquoi la bour­geoisie essaie de contrôler les mouvements :

—   par le jeu de la radicalisation de la gauche, incapable désormais de se contenter du syndi­calisme traditionnel complètement discrédité au yeux des ouvriers les plus combatifs de plus en plus nombreux,

—   par les tentatives de jeter le discrédit sur les franges les plus combatives de la classe ouvrière, présentées comme « égoïstes ». Tout ceci ne peut néanmoins cacher la réalité de la montée de la mobilisation, ainsi décrite concassement : «les en­seignants bloquent les vacances des hospitaliers qui ne soignent pas les cheminots qui ne transportent pas les employés de banque. Etc.   » ! (id.).

Alors que l'Italie avait connu relativement moins que dans d'autres pays des manifestations ouvertes de la vague internationale actuelle de la lutte de classe, les luttes de ce printemps 1987 montrent que la période d'émiettement et de dispersion des luttes a aussi tiré à sa fin dans ce pays. Les attaques renforcées contre la classe ouvrière, la méfiance et le ras-le-bol accumulés vis-à-vis des syndicats, une plus grande confiance en soi des travailleurs sur la possibilité d'agir par eux-mêmes, amè­nent la classe ouvrière à des actions plus massives et plus décidées.

Le développement de la perspective de l'unification

Les caractéristiques générales des luttes ouvrières actuelles ne se manifestent pas seulement dans les pays industrialisés d'Europe de l'Ouest. Dans les pays de capitalisme moins développé, comme au Mexique (voir le communiqué dans ce numéro), mais aussi dans les pays de l'Est (voir également dans ce numéro), la classe ouvrière montre une combativité montante qui confirme la dimen­sion internationale de la lutte.

En Yougoslavie également : depuis février 1987, une vague de grèves contre de nouvelles mesures gouverne­mentales sur les salaires (qui ont déjà baissé de 40 % en six ans), a déferlé dans le pays. La mesure consistant à faire rembourser par les travailleurs des augmentations versées depuis plusieurs mois a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase ! De 20000 travailleurs à Zagreb au départ, dans l'industrie, les hôpitaux, l'enseignement, les grèves se sont ensuite étendues à la province puis à tout le pays, et à d'autres secteurs tels que les ports, les chantiers, la sidérurgie, et le secteur agricole dans la région de Belgrade. Ce mouvement que la bourgeoisie yougoslave ne parvient pas à juguler depuis trois mois, revêt des caractéristiques d'extension, de combativité et d'initiatives prises directement par les ouvriers. Et cela d'autant plus fortement que les syndicats apparaissent ouvertement comme partie de l'appareil d'Etat, comme dans tous les pays de l'Est. De là une dynamique marquée par une ébullition dans toute la classe, des mouvements décidés hors de toute consigne syndicale, des décisions collectives d'ouvriers de quitter publiquement le syndicat officiel — qui dénonce les grévistes comme «anti­socialistes» —, des assemblées nombreuses où se discute et se décide l'action. Et face à cette situation les syndicats demandent une autonomie vis-à-vis du gouvernement afin de tenter de reprendre une emprise sur la classe ouvrière.

Dans tous ces événements, c'est la question de l'unification des luttes, de l'unité d'action et de la prise en mains des luttes qui se précise aussi bien en Espagne qu'en Italie, qu'en Yougoslavie. Dans les autres pays d'Europe de l'Ouest également, la classe ouvrière est loin d'être restée passive. En Belgique, les mineurs du Limbourg, qui avaient démarré le mouvement du printemps 1986 marquant le début de la nouvelle accélération dans la vague actuelle de lutte de classe, sont à nouveau repartis en lutte, dans un contexte de regain de combativité marqué par des grèves courtes dans plusieurs secteurs, après l'accalmie relative qui avait suivi le mouvement de l'an dernier. En Hollande, après que les dockers de Rotterdam aient été enfermés dans une «grève surprise» syndicale début mars, les travailleurs de la municipalité d'Amsterdam entamèrent une grève qui s'est étendue en deux jours à toute la capitale. Les syndicats avaient préparé le même scénario que pour le port de Rotterdam, mais les travailleurs ont démarré rapidement et simulta­nément la grève avec la menace de l'étendre aux postiers et aux chemins de fer, et ont refusé les «actions surprises» des syndicats. Cependant, sans trouver une alternative aux syndicats et avec le retrait rapide par la bourgeoisie de ses plans, les ouvriers ont alors repris le travail. Néanmoins, ce bref mouvement a marqué un change­ment dans le «climat social» dans le pays et approfondi la perspective du développement de luttes contre les mesures de plus en plus draconiennes que prend la bourgeoisie. En Allemagne également, face aux plans de licenciements de dizaines de milliers de travailleurs, en particulier dans la Ruhr, quelques manifestations dont une conjointe entre ouvriers de l'industrie et travailleurs municipaux, ont déjà montré que même dans ce pays où la mobilisation ouvrière est en retard par rapport à d'autres pays, des luttes ne vont pas manquer de se développer avec la plongée dans la récession de l'économie mondiale qui n'épargnera pas l'Allemagne et ses consé­quences pour la classe ouvrière.

Comités de lutte : une tendance générale au regroupement des ouvriers combatifs

Particulièrement significative de la maturation qui s'opère aujourd'hui dans la classe ouvrière est l'apparition encore embryonnaire de comités de lutte, regroupant des ouvriers combatifs autour des problèmes posés par la nécessité de lutter, de préparer la lutte, ceci hors des structures syndicales traditionnelles.

Dès le printemps 1986 en Belgique, un comité s'était constitué dans les mines du Limbourg, prenant l'initiative d'envoyer des délégations pour impulser l'extension (à l'usine Ford de Gand, aux meetings de Bruxelles) ; à Charleroi également, des cheminots s'étaient regroupés pour envoyer des délégations dans d'autres gares et dans d'autres secteurs de la région comme les transports urbains ; à Bruxelles, une coordination d'enseignants (Malibran) s'était également formée, regroupant des non-syndiqués et des syndiqués avec comme perspective de «combattre la division dans les luttes». Ces comités, surgis avec la lutte du printemps 1986, ont finalement disparu avec le recul du mouvement, après avoir été progressivement vidés de leur vie ouvrière et repris en main par les syndicalistes de base.

De tels regroupements n'apparaissent pas seulement comme fruit d'une lutte ouverte. Dans une lutte ouverte ils tendent à grouper un plus grand nombre de participants, à d'autres moments ils regroupent de plus petites minorités d'ouvriers. En Italie, il existe par exemple à Naples depuis plusieurs mois un comité d'éboueurs et un comité d'hos­pitaliers. Ce dernier, composé d'une petite minorité de travailleurs, se réunit régulièrement et est intervenu par tracts, affiches, prises de parole dans les assemblées convoquées par les syndicats, pour l'extension, contre les propositions syndicales. Il a rencontré un écho important dans le secteur (depuis, les syndicats ne convoquent plus d'assemblées dans l'hôpital !) et même au-delà parmi des cheminots. En France aussi des comités ont surgi. Au début de l'année, les syndicats ont tout fait pour essayer d'entraîner toute la classe ouvrière dans la défaite des cheminots, en organisant une extension bidon sous la houlette de la CGT — qui n'avait cessé de condamner la grève pendant la montée de celle-ci. Face à ce sabotage, des ouvriers du gaz électricité, puis des postes, ont constitué des comités pour tirer les leçons de la lutte des cheminots, établir des contacts entre les différents lieux de travail, se préparer pour les prochaines luttes.

Même si ces premières expériences de comités de lutte en sont à leur début, même si ces comités ne parviennent pas encore à se maintenir longtemps et fluctuent fortement en fonction des événements, ceci ne veut pas dire que ce ne sont que des phénomènes éphémères liés à une situation particulière. Au contraire, ils vont tendre à se multiplier parce qu'ils correspondent à un besoin profond dans la classe ouvrière. Dans le processus vers l'unification des luttes, c'est une nécessité que les travailleurs combatifs, convaincus du besoin de l'unité dans la lutte, se regroupent :

—   pour, au sein des luttes, défendre la nécessité de l'extension et de l'unification des combats,

—   pour y montrer la nécessité des assemblées générales souveraines et des comités de grève et coordinations élus et révocables par les assem­blées,

—   pour mener en leur sein, y compris en dehors des moments de lutte ouverte, la discussion et la réflexion la plus large, dans le sens de tirer les leçons des luttes précédentes et préparer les luttes à venir,

—   pour être des lieux de regroupements, ouverts à tous les ouvriers désirant y participer, quels que soient leur secteur et leur éventuelle appartenance individuelle à un syndicat.

De tels regroupements n'ont donc pas pour vocation de constituer des groupes politiques, définis par une plate­forme de principes, et ils ne sont donc pas non plus des organes unitaires englobant l'ensemble des travailleurs (assemblées générales d'actifs et de chômeurs, comités élus et révocables devant les assemblées) ; ils regroupent des minorités d'ouvriers et ne sont pas des délégations des organes unitaires.

En 1985, avec une relative dispersion des luttes, la méfiance grandissante envers les syndicats avait entraîné beaucoup de travailleurs à rester dans l'expectative, écœurés des manœuvres syndicales, et passifs vis-à-vis de l'action. L'accélération de la lutte de classe en 1986 a été marquée non seulement par les tendances à des luttes plus massives et à la prise en charge de celles-ci par les travailleurs, mais également par des tentatives plus nombreuses de la part de minorités combatives dans la classe, de se regrouper pour agir dans la situation. Les premières expériences de comités de lutte correspondent à cette dynamique : une plus grande détermination et confiance en soi, qui va se développer de plus en plus dans la classe ouvrière, et amener des regroupements de travailleurs sur le terrain de la lutte, hors du cadre syndical. Et ce n'est pas seulement une possibilité, mais une nécessité impérieuse pour développer la capacité de la classe ouvrière à trouver son unité, contre les manœuvres qui visent à enrayer le processus d'unification du prolé­tariat,

Cela, la bourgeoisie l'a bien compris. Le principal danger qui guette les comités de lutte est celui du syndicalisme. Les syndicalistes et gauchistes se font aujourd'hui les promoteurs de «comités de lutte». En y introduisant critères d'appartenance, plate-forme, voire cartes d'adhésion, ils ne font que tenter de recréer une variante de syndicalisme. En les maintenant dans le cadre corporatiste et les autoproclamant «représentatifs», alors qu'ils ne sont que l'émanation de ceux qui y participent et non d'assemblées de l'ensemble des ouvriers, ils les ramènent également sur le terrain du syndicalisme. Par exemple, dans le Limbourg en Belgique, les maoïstes réussirent à dénaturer la réalité du comité de lutte des mineurs en le proclamant «comité de grève» et le transformant ainsi en obstacle à la tenue d'assemblées générales de tous les travailleurs. En France des militants de la CNT (anarcho-syndicaliste) et des éléments venant de l'ex-PCI-Programme Communiste (aujourd'hui disparu en France), ont tenté une opération de récupération des comités des postiers et du gaz électricité. Ils proposèrent une plate-forme d'adhésion «pour un renouveau du syndicalisme de classe», reproduisant de façon «radicale» les mêmes objectifs et moyens que n'importe quel syndicat. Et contre le principe défendu par le CCI de la nécessaire ouverture à tout ouvrier désirant participer, un élément de la CNT opposa même le «danger de voir dans ces comités trop d'ouvriers "incontrôlés"» !.

Malgré les difficultés qu'il y a à constituer et faire vivre de tels groupes ouvriers, malgré le danger constant qu'ils soient tués dans l'œuf par le syndicalisme de base, les comités de lutte seront partie intégrante du processus de constitution du prolétariat en classe unie, autonome, indépendante de toutes les autres classes de la société. Tout comme l'extension et l'auto organisation de la lutte, le soutien et l'impulsion de tels comités doivent être défendus par les groupes révolutionnaires : leur dévelop­pement est une condition de l'unification des luttes ouvrières.

MG. 31/5/87

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [1]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La question syndicale [2]

Où en est la crise économique ? : Crise et lutte de classe dans les pays de l'est

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Récession, inflation, endettement, misère accrue pour la classe ouvrière : comme à l’Ouest, la crise se développe en force au sein du bloc de l’Est les vieilles rengaines staliniennes et trotskystes sur la nature «socialiste» des pays ou de certains pays du bloc russe, sur L’absence de crise, succombent sous l’évidence des faits. Non seulement la crise à l’Est, étant donné le relatif sous-développement de l’économie, prend une forme particulièrement brutale, mais le développement de la lutte de classe montre clairement la nature anti-ouvrière, bourgeoise, de ces régimes. La crise économique et sociale qu'ils subissent montrent qu'ils sont partie intégrante du capitalisme mondial

Dans le précédent numéro de la Revue Internationale du CCI (n° 49), la rubrique régulière sur la crise économique a été consacrée à la crise en URSS ; dans ce numéro nous continuons notre état des lieux du bloc de l’Est en traitant des autres pays d'Europe intégrés au COMECON. ([1] [3])

La faiblesse économique du bloc de l'Est

Les six pays européens du bloc de l'Est : RDA, Pologne, Tchécoslovaquie, Hongrie, Bulgarie et Roumanie constituent après l'URSS les pays les plus puissants économiquement de ce bloc. Cela permet de constater sa faiblesse profonde vis-à-vis de son rival occidental : le PNB global des 6 pays d'Europe de l'Est, égal en 1984 à 507 milliards de dollars, est à peine supérieur à celui de la France la même année : 496 milliards de dollars, et bien inférieur à celui de la RFA : 616 milliards de dollars ?

 

 

PNB 1984

PNB/habitant

 

(milliards de dollars)

(dollars)

RDA

145

8680

POLOGNE

160

4370

TCHECOSLOVAQUIE

100

6485

HONGRIE

20

1902

BULGARIE

43

4790

ROUMANIE

39

1750

URSS

500

5500

L'ensemble des pays du COMECON (avec le Vietnam et Cuba) totalise un PNB de 2020 milliards de dollars, ce qui est bien peu en comparaison de l'alliance économique rivale regroupée au sein de l'OCDE qui avec ses 8193,4 milliards de dollars, totalise quatre fois plus. A eux seuls, les pays de la CEE en 1984 représentaient un PNB de 2364 milliards de dollars, encore bien supérieur à celui du COMECON dans son ensemble.

Et encore faut-il relativiser les chiffres en provenance d'Europe de l'Est car ceux-ci selon certaines études ([2] [4]), sont pour les besoins de la propagande et à cause d'un mode de comptabilité bien différent, surestimés de 25 à 30%, à l'exception toutefois de la Hongrie qui appartient au FMI et qui, pour pouvoir accéder aux crédits pour pays pauvres, diminue volontairement de 50 % ses esti­mations !

Ce n'est donc certainement pas sur le plan écono­mique que le bloc de l'Est peut faire le poids face à son concurrent occidental. La seule issue pour l'URSS, afin de maintenir l'indépendance et l'unité de son bloc impérialiste, est de soumettre de manière draconienne le potentiel économique de celui-ci aux besoins de son économie de guerre. La production d'armements, néces­saire au renforcement de son potentiel militaire, est le seul plan sur lequel il peut concurrencer et s'opposer à la puissance du bloc adverse. Cette réalité détermine profondément la situation économique des pays d'Europe de l'Est depuis qu'à la fin de la seconde guerre mondiale, l'avancée de l'armée rouge et les accords de Yalta ont scellé leur soumission aux besoins de l'impérialisme russe.

Les pays d'Europe de l'Est ont payé très cher dans leur développement leur intégration au bloc russe. La réalité est bien différente de celle que voudraient faire croire les taux de croissance ronflants que nous servent les économistes staliniens depuis des décennies.

Le démantèlement des usines les plus compétitives pour en envoyer les machines en URSS au lendemain de la guerre, la réorientation à 180 degrés vers l'Est de toutes les voies de communication et des circuits d'échange traditionnels , la «collectivisation» forcée, le pillage systématique et l'imposition d'une division internationale de la production au sein du bloc pour les besoins de l'économie de guerre russe ont pesé très lourdement sur la croissance réelle de l'économie des pays d'Europe de l'Est. Sur ce plan, la Tchécoslovaquie est un cas tout à fait exemplaire : en 1963 le niveau de la production agricole était encore inférieur à celui de 1938, mais c'est surtout sur le plan industriel que cette dégradation est la plus nette, pour le pays qui avant la seconde guerre mondiale était connu pour la qualité de ses produits. Ainsi, en 1980, un Institut tchèque a réalisé une étude sur 196 produits portant le label «1re qualité» et destinés à l'exportation ; 113 étaient invendables à l'ouest car ils ne correspondaient pas aux critères de qualité requis. Les dirigeants russes eux-mêmes ont élevé une protestation officielle à propos de la mauvaise qualité des produits que l'URSS importe de Tchécoslovaquie.

 

 

Consommation énergétique (*)

Consommation d'énergie par unité de PNB

RDA

86

0,61

POLOGNE

114

0,71

TCHECOSLOVAQUIE

69

0,69

HONGRIE

28

1,35

BULGARIE

37

0,90

ROUMANIE

70

1,57

(*) millions de tonnes équivalent pétrole

La croissance industrielle des pays d'Europe de l'Est s'est faite sur la base d'une perte de qualité des produits, d'un retard technologique croissant qui se caractérise par le fait que l'essentiel des marchandises produites est considéré comme périmé selon les standards du commerce international et donc invendable sur le marché mondial en dehors du COMECON. Ce retard technologique pris par la production dans les pays d'Europe de l'Est ne se manifeste pas seulement par l'obsolescence de l'appareil productif (machines-outils périmées, recours abondant à la main-d'œuvre pour pallier le retard pris dans l'auto­matisation) et de ce qui est produit, mais aussi dans le gaspillage énergétique nécessaire à cette production.

Si l'on considère l'énergie nécessaire à la production d'une unité de PNB, le pays le plus compétitif d'Europe de l'Est arrive péniblement au niveau du Portugal (0,60), derrière la Grèce (0,54) et loin derrière la RFA (0,38) ou la France (0,36). Et encore faut-il considérer ces chiffres à la lumière de ce que nous avons dit auparavant sur l'estimation du PNB, c'est-à-dire les majorer de 25 à 30%. Cela traduit parfaitement le retard industriel inacceptable accumulé par les pays de l'Est durant les décennies de «croissance» de l'après-guerre par rapport à leurs concurrents ouest européens. Le développement des pays de l'Est depuis la deuxième guerre mondiale s'est fait dans une situation de crise permanente.

Convulsions de la crise du capital et réactions ouvrières

La crise, depuis la fin des années 60, a pris à l'Est des formes moins «dynamiques» et spectaculaires qu'à l'Ouest qui constitue l'épicentre de la surproduction généralisée. Dans les années 70, la crise a été marquée en Europe de l'Est par un ralentissement général de la croissance, et pour les pays les plus faibles (Pologne, Roumanie), par un endettement croissant en vue de tenter de moderniser une économie encore largement marquée par un important secteur agricole arriéré. L'accélération de la crise dans les années 80 va avoir de graves conséquences pour l'ensemble des pays d'Europe de l'Est : la chute des échanges Est-ouest, l'épuisement des sources de crédit, la chute des cours des matières premières, l'effondrement du marché du «Tiers-monde», et la concurrence exacerbée sur le marché mondial, l'intensifi­cation de la course aux armements menacent d'étrangler l'économie du COMECON.

Les attaques de la bourgeoisie contre les conditions de vie de la classe ouvrière déjà très difficiles se font chaque jour plus aiguës. Le mécontentement croît et l'écho des luttes ouvrières commence à percer le mur du silence qu'impose la bourgeoisie stalinienne.

Roumanie

Après avoir été en cessation de paiement en 1981, la Roumanie a vécu au rythme du remboursement accéléré de la dette passée de 9,9 milliards de dollars en 1981 à 6,5 fin 1985. Pour aboutir à ce résultat, un rationnement brutal et une intensification violente de l'exploitation ont été imposés à la population.

En deux ans (1984-85), la consommation d'électricité des familles a été diminuée de moitié pour aboutir à ce résultat : limitation du chauffage à 12° dans les maisons et les bureaux, interdiction d'utiliser des ampoules de plus de 15 watts, programmes de télévision ramenés à deux heures par jour. La liste des rassures bureaucratiques imposées par la terreur policière n'a pas de fin : interdiction de circulation des voitures privées à Bucarest pour économiser l'essence, rationnement drastique des produits alimentaires pour diminuer les importations et stimuler les exportations ; fin 86, face à la crise du logement, Ceausescu a demandé aux vieux retraités de Bucarest de déménager à la campagne ; devant la résistance de la population, il a annoncé durant l'été que «certaines catégories» de retraités se verraient refuser leur traitement médical s'ils ne déménageaient pas.

Symptômes soigneusement cachés par la bourgeoisie, la mortalité augmente et la famine gagne. En décembre 85, des paysans affamés du Banat ont tenté de s'emparer des silos à blé, témoignant du mécontentement profond de la population.

Les ouvriers sont soumis à une exploitation forcenée : suppression du salaire garanti en septembre 1983, obligation décrétée en juin 85, pour ceux qui n'auraient pas fait don d'une journée de travail, de dédommager l'Etat en espèces. Les «accidents» du travail se sont multipliés dans les mines et le grand chantier de la canalisation de la Volga a coûté des centaines de vies ouvrières.

Le mécontentement de la classe ouvrière s'est concrétisé dans les grèves qui ont duré plusieurs mois dans les mines de charbon et dans l'industrie pétrochimique en 1983-84. La répression a été brutale et sanglante, la militarisation du travail a été imposée dans ces secteurs ; cette mesure a été étendue en octobre 85 aux ouvriers des centrales qui produisent l'électricité. Des grèves éparses ont éclaté en novembre 1986 dans plusieurs villes de Transylvanie, contre le nouveau système de salaire. Au début de Tannée 1987, des tracts circulaient à Bucarest appelant à la grève générale pour renverser Ceausescu.

Pologne

L'économie polonaise s'enfonce dans l'abîme. Le revenu national a baissé de 30 % entre 1978 et 1982 ; il reste encore officiellement inférieur de 10 % à celui de 1979. Les taux de croissance positifs annoncés depuis 1983 sont à relativiser : par exemple, en 1983, le taux de croissance officiel annoncé est de 5,9 % mais il est estimé à seulement -0,7 % par l'OCDE. L'économie polonaise est en pleine récession.

La chute des cours du charbon (dont la Pologne est le 3e exportateur mondial) de - 25 % en 1986 et l'em­poisonnement de la récolte par les retombées radioactives de la catastrophe de Tchernobyl ont de graves conséquences sur les exportations qui ont déjà chuté vis à vis de l'Occident de 3,8 % en 1985. Malgré des dévaluations successives du zloty, la monnaie nationale (plus de 30 % de dévaluation en 1984-85), pour renforcer la compétitivité des exportations, et une diminution drastique des impor­tations, l'excédent commercial dégagé n'est même pas suffisant pour payer le service de la dette et celle-ci s'accroît allègrement : elle est passée de 29,5 milliards de dollars en 1985 à 33,4 en 1986 et vole vers les 35 en 1987.

L'inflation fait rage et les augmentations des prix se succèdent en cascade : en mars 86, les biens alimentaires essentiels sont devenus 8 % plus chers, le prix des autobus et des transports a grimpé de -66 % ; le 7 avril 86, le gaz et l'électricité ont augmenté de -80 % ; en août, c'est au tour de la viande : S %. Entre 1982 et 1986, le prix du pain a explosé de 3 à 28 zlotys.

Dans le même mouvement, les salaires ont été attaqués avec la réforme sur la «nouvelle autonomie des entreprises». Le travail le week-end, annulé par les accords d'août 80, a été rétabli dans les secteurs «vitaux» tels les mines. Avec l'intensification de l’exploitation, les normes de sécurité ne sont plus respectées et les accidents du travail se sont multipliés.

Face au mécontentement qui gronde, le gouvernement Jaruzelski a fait siennes les orientations de Gorbatchev : après la répression, les amnisties se sont succédées et la bourgeoisie essaie de présenter un visage plus libéral, Solidarnosc est toléré ; mais tout cela, c'est pour mieux faire accepter les attaques contre la classe ouvrière.

Bulgarie

La Bulgarie elle aussi est touchée par la récession. Si les estimations officielles de la croissance du PNB se situent à 4 % en 1982 et à 3 % en 1983, l'OCDE quant à elle les estime plus justement, respectivement pour ces deux années là, à : - 0,7 % et -0,2 %. En 1985, la production agricole a reculé de - 10 % et celle d'électricité de - 7 %, au lieu des 4,1 % prévus. La croissance a officiellement été revue à la baisse : 1,8 % finalement, le taux le plus bas depuis la guerre. Les hausses de prix s'accélèrent : en septembre 85, l'électricité a été aug­mentée de 41 % pour les ménages, l'essence de 35 %...

Pour économiser l'électricité, les coupures de courant se sont multipliées et le rationnement a été imposé : consommation électrique ramenée à 350 KWh par mois et par ménage là où un chauffage collectif existe, à 1100 KWh là où il n'existe pas, toujours dans le même but ; la fermeture des magasins a été avancée de deux heures, l'éclairage limité à des ampoules de 60 W dans les salons et de 45 W dans les autres pièces. En cas de désobéissance, c'est la coupure d'électricité.

Le mécontentement gronde et la bourgeoisie essaie de le dévier sur la question des minorités nationales en réprimant sauvagement la minorité turque pour en faire un bouc émissaire et renforcer le nationalisme. L'écho encore à confirmer de grèves durant l'hiver 86-87 est venu percer le black-out.

Hongrie

Vitrine libérale de l'Europe de l'Est, la Hongrie elle aussi s'enfonce de manière accélérée dans la crise. La croissance officiellement de -0,3 % en 83, de 2,8 % en 1984 a rechuté à 0,6 % en 1985 et il semble bien qu'elle soit inférieure à 1 % en 1986.

En 1986, les exportations vers l'Ouest ont stagné et l'année 1987 s'annonce mal ; alors que la Hongrie est essentiellement un exportateur agricole, les retombées de Tchernobyl ont rendu sa récolte invendable à l'Ouest tandis que l'entrée de l'Espagne dans le Marché Commun vient de lui rétrécir son principal marché occidental : la CEE.

Le taux d'inflation officiel est de 7 %. Les augmen­tations de prix tombent en cascade ; en 1985 les transports ont augmenté de 100 % ; les tarifs des postes de 85 % et la tendance s'est accélérée en 1986, rognant constam­ment le niveau de vie des ouvriers et des retraités.

L'attaque contre les conditions de vie de la classe ouvrière se fait de plus en plus vive ; en décembre 86, le conseil des ministres appelle à un gel des salaires de base, de nouveaux critères de qualité et de rendement qui diminuent les primes sont imposés. Les ouvriers ne peuvent maintenir leur niveau de vie qu'en cumulant des emplois et en doublant leur temps de travail.

Le modèle hongrois au niveau de consommation relativement haut a été une exception en Europe de l'Est qui atteint aujourd'hui ses limites, une chimère basée sur un endettement par tête vis à vis de l'Ouest plus élevé que celui de Pologne. Les attaques contre la classe ouvrière ne peuvent aller qu'en s'intensifiant, ce qui va exacerber le mécontentement croissant de la population. Les grèves de mineurs, dans la région de Tababanya, sont significatives de la tendance de la classe ouvrière en Hongrie à reprendre le chemin du combat de classe.

Tchécoslovaquie et RDA

La Tchécoslovaquie et la RDA sont les pays de l'Europe de l'Est les plus développés industriellement et qui ont le mieux résisté aux effets dévastateurs de la crise. Cependant, les signes de la crise qui les secoue, se font de plus en plus nets : la croissance stagne et la récession s'annonce. Pour la RDA la croissance officielle de 2,5 % en 1982 et de 4,4 % en 1983 est revue à la baisse par l'OCDE : respectivement 0,2 % et 0,8 %. le taux officiel de 4,8 % en 1985 est profondément surévalué. De même, en Tchécoslovaquie, les taux officiels de 0 % en 1982 et de 1,5 % en 1983, ce dernier taux revu à la baisse à 0,1 % par l'OCDE, montrent qu'en fait ce pays plus faible que la RDA a entamé la récession.

Si ces deux pays ont jusqu'à présent relativement bien défendu leurs exportations sur le marché mondial, l'avenir est cependant sombre étant donnée la perspective de rétrécissement du marché ouest-européen lui aussi touché par la crise et qui reste le principal domaine d'exportation en Occident pour ces deux pays. La Tchécoslovaquie dont la production de produits manufac­turés est de plus en plus périmée et inexportable, n'a pu rétablir sa balance commerciale qu'en vendant de plus en plus de produits semi-finis à moins faible valeur ajoutée.

L'endettement, croissant de la RDA vis à vis de l'Occident : 13 milliards de dollars en 1985, et de la Tchécoslovaquie vis à vis de l'URSS : 15 milliards de couronnes, pèse lourdement sur ces deux pays et le redressement des comptes implique à terme une attaque renforcée contre les conditions de vie des travailleurs.

Le niveau de vie en RDA et en Tchécoslovaquie est le plus élevé d'Europe de l'Est ; le PNB par habitant était respectivement de 8680 dollars et de 6485 dollars en 1984, soit des niveaux comparables à ceux de l'Autriche (8685) ou de l'Italie (6190). Cette situation « privilégiée » sur le plan du bien-être matériel en Europe de l'Est, conjuguée avec un quadrillage militaire et policier, a permis jusqu'à présent de maintenir un relatif calme social.

Cependant, ce constat reste à relativiser :

—   sur le plan du niveau de vie, pour comparer réellement avec l'Ouest, il faut diminuer les chiffres du PNB de 25 à 30 %. De plus, le PNB calcule la production et non la consommation, et ne tient pas compte de la cherté et de la mauvaise qualité des produits de consommation, ni du cadre militarisé d'une tristesse qu'aucun indice ne saurait mesurer. 150 allemands de l'Est passent clandestinement à l'Ouest chaque jour, 50 000 par an pour fuir le pays qui a le « meilleur » niveau de vie de toute l'Europe de l'Est.

—   la perspective est à la dégradation économique, non seulement pour la Tchécoslovaquie, mais aussi pour la RDA qui a jusqu'à présent le mieux résisté. Les attaques contre la classe ouvrière vont en s'accroissant. Le dernier congrès du parti en RDA a annoncé 1 million de licenciements. Cela ne va pas créer du chômage étant donnée la pénurie chronique de main-d'œuvre et la réembauche obligatoire, mais cela permet d'im­poser aux ouvriers des emplois moins bien rémunérés. Là encore, le cumul des emplois, le travail parallèle, est le seul moyen pour les ouvriers de maintenir leur niveau de vie. Le mécontentement croît et même s'il s'exprime encore de manière mystifiée, par les campagnes « d'opposition » démocratique et religieuse, il est significatif des futures luttes de classe à venir.

Comme le reste du capitalisme mondial, l'Europe de l'Est s'enfonce inexorablement dans la crise. Comme à l'Ouest, les attaques contre les conditions de vie de la classe ouvrière se font de plus en plus drastiques ramenant le niveau de vie de la classe ouvrière vers celui des années noires de l'après-guerre et de la guerre.

Le mécontentement partout s'accroît, et peu à peu s'impose à l'Est l'écho de la lutte de classe. Avec retard et difficulté, le prolétariat d’Europe de l'Est tend à s'intégrer dans la reprise internationale de la lutte de classe. C'est pour faire face à cette perspective que la bourgeoisie russe, sous l'impulsion de Gorbatchev, essaie d'imposer une fausse libéralisation afin d'utiliser au mieux les mystifications démocratiques, religieuses et nationalistes en vue de briser l'élan naissant de la lutte de classe. Cependant, l'expérience encore récente de la répression en Pologne est là pour montrer aux ouvriers le mensonge du cours nouveau de la propagande stalinienne à la sauce Gorbatchev. En Pologne, le difficile processus de tirer les leçons est en train de se faire ; cela prend souvent la forme de l'affirmation des luttes défensives sur le terrain de classe contre les «aventures politiques» de Solidarnosc et sa collaboration avec Jaruzelski. Aujourd'hui, Walesa est ouvertement contesté et critiqué. Si la classe ouvrière en Pologne a subi une défaite, pour autant son potentiel de combativité est encore très fort et les expériences répétées de 1970-76-80 sont un gage de la capacité du prolétariat polonais à développer ses luttes dans le futur.

La perspective du développement des luttes en Europe de l'Est, faisant écho à celles qui se mènent à l'Ouest, va poser de plus en plus la question de l'internationalisme prolétarien et de la solidarité ouvrière par-delà la division du monde en deux blocs militaires antagonistes, notamment avec le développement de ces luttes dans les pays plus développés, la Tchécoslovaquie et surtout la RDA, en contact direct avec les grandes concentrations industrielles d'Europe de l'Ouest.

JJ. 29/05/87



[1] [5] Nous ne traitons pas dans ces articles des racines historiques du capitalisme russe et de son histoire qui déterminent les caractéristiques présentes qui sont celles du bloc russe avec ses spécificités ; pour cela, nous renvoyons nos lecteurs à d'autres textes publiés précédemment par le CCI, parmi d'autres la brochure «La décadence du capitalisme», l'article «La crise dans les pays de l'Est» (Revue Internationale n° 23).

[2] [6] «The Soviet Union and Eastern Europe in the World Economy», P. Marer

 

Récent et en cours: 

  • Crise économique [7]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Stalinisme, le bloc de l'est [8]

Correspondance internationale : le développement de la vie politique et des luttes ouvrières au Mexique

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Le capitalisme est un tout. La crise chronique du capitalisme touche tous les pays du monde. Partout les gouvernements aux abois ont recours à la même politique, aux mêmes mesures : attaque forcenée et frontale contre les conditions de vie de la classe ouvrière. Partout la classe ouvrière riposte en s'engageant dans la lutte pour la défense de ses intérêts vitaux et partout la lutte prend de plus en plus un caractère massif. Et partout aussi les ouvriers se trouvent face à un ennemi qui a raffiné sa stratégie : le gouvernement attaque de front, pendant que la «gauche», les syndicats et les gauchistes se chargent de saboter les luttes de l'intérieur, briser et diviser l'unité ouvrière et s'emploient, avec un langage «radical», à dévoyer les luttes dans des impasses, assurant leurs défaites.

A l’encontre des divagations de tous les pessi­mistes et les déçus pour ce qui concerne la classe ouvrière et sa combativité, de ceux qui la cherchent sur la «Banquise» où ils se trouvent eux-mêmes (les modernistes) ou encore ceux qui, comme le GCI, passent leur temps à se plaindre de la classe ouvrière qu'ils voient toujours «passive et amorphe», les nouvelles qui nous arrivent du Mexique viennent leur porter un démenti et confirmer pleinement nos analyses sur le développement de la 3e vague de luttes qui atteint aussi bien les pays de l'Amérique Latine que ceux d'Europe.

Nous publions ci-dessous des extraits d'un com­muniqué adressé à tous les ouvriers et à tous les groupes révolutionnaires du monde par le «Collectif Communiste Alptraum» (CCA) sur les dernières luttes au Mexique. Ce groupe est peu connu en Europe. Aussi estimons-nous nécessaire de donner à nos lecteurs quelques informations à son sujet. Le CCA s'est constitué au début des années 1980 comme un groupe marxiste d'étude et de discussions. Sa trajec­toire a été une évolution lente et hésitante à devenir pleinement un groupe d'intervention politique. Cette évolution lente n'est pas seulement due à des «hé­sitations» devant les difficultés venant de l'ambiance politique pourrie qui règne au Mexique mais est, d'une certaine manière, le témoignage du sérieux, du sens des responsabilités de ces camarades cherchant à s'assurer un fondement théorique politique solide avant de se lancer dans une activité publique. Dans ce sens, c'est une leçon salutaire pour tant de petits groupes qui se laissent enivrer imprudemment par le seul goût de l'«action pratique», courant toujours le risque d'une vie éphémère et se perdant souvent dans la superficialité et la confusion.

Depuis 1986, le CCA — avec lequel nous sommes en étroite relation (voir Revue Internationale n° 40 et 44) — devenu un groupe politique à part entière, publie régulièrement la revue Comunismo avec un contenu aussi intéressant que sérieux. Nous sommes certains que les lecteurs liront avec un grand intérêt ce communiqué sur la situation au Mexique et la lutte ouvrière qui s'y développe. Intégrant la situation au Mexique dans le contexte international, l'analyse que fait le CCA emprunte la même démarche et tire les mêmes conclusions que nous.

Nous saluons le CCA, non seulement pour le contenu juste de ce communiqué mais également pour le souci qui les a guidés en l'adressant pour infor­mation aux révolutionnaires et aux ouvriers de tous les pays.

Simultanément au communiqué du CCA nous recevons du Mexique le premier numéro de la revue Revolucion mundial publiée par le Grupo Proletario Internacionalista (GPI). Le GPI a été constitué défi­nitivement en décembre 1986 par un certain nombre d'éléments qui ont parcouru un «pénible et long processus de décantation politique». C'est un groupe d'éléments solidement formés politiquement et fon­cièrement militants. La place nous manque dans ce numéro pour donner une plus ample information sur ce nouveau groupe et sur ses positions, nous ne manquerons pas dans notre prochain numéro de reproduire de larges extraits de leurs travaux théo­riques et prises de positions politiques. Pour le moment nous nous contenterons de donner l'extrait suivant de la présentation de leur revue :

«C'est dans cette situation de "croisée des chemins" historique et sous l'influence politique de la propa­gande communiste qu'est né le Grupo Proletario Internacionalista. C'est aussi dans ce cadre que voit le jour "Revolucion Mundial". Cette publication est le produit d'un pénible et long processus de décantation politique d'une période dédiée fondamentalement à la discussion, à la clarification, d'effort de rupture avec tout type de pratiques et influences bourgeoises ».

Nous ne pouvons qu'exprimer notre grande sa­tisfaction de voir les rangs révolutionnaires se ren­forcer avec la venue au jour de ce nouveau groupe communiste. Avec la venue de ce groupe s'ouvre une perspective, après les nécessaires discussions et confrontations des positions, d'un processus de re­groupement des forces révolutionnaires au Mexique dont l'importance et l'impact dépasseront largement les frontières de ce pays. Nous en sommes convaincus et ferons tout notre possible pour aider ce processus à se conclure positivement.

Nos chaleureuses salutations communistes au Grupo Proletario Internacionalista.

Le CCI

A TOUTES LES ORGANISATIONS REVOLUTIONNAIRES DANS LE MONDE AU PROLETARIAT INTERNATIONAL

 

COMUNISMO (MEXICO)

 (...) La misère croissante du prolétariat est devenue palpable avec la réduction et la liquidation des «programmes sociaux» de l'Etat, principalement dans les aires centrales du capitalisme ; avec la croissance accélérée de l'armée de réserve industrielle surtout en Europe, avec l'augmentation du taux d'exploitation dans toutes les aires capitalistes qui, dans le cas des pays de la périphérie, se combinent avec de très hauts taux d'inflation et rendent encore plus pénible l'existence du prolétariat.

(...) Le prolétariat mexicain n'a pas fait exception; La fraction mexicaine de la bourgeoisie mondiale a appliqué les mesures nécessaires pour maintenir les intérêts du capital mondial dans son ensemble.

(...) Au cours des trois dernières années, l'Etat a fermé des entreprises dans les secteurs de la sidérurgie, des transports et communications, des docks, des auto­motrices, des engrais, du sucre, ainsi que du secteur de l'administration centrale. Les subventions d'Etat à l'ali­mentation de base ont été suspendues et les dépenses pour l'éducation et la santé ont été fortement diminuées.

Une des mesures prises par l'Etat et appliquée de manière générale a été celle de maintenir les augmentations de salaire de tous les travailleurs en dessous du niveau de l'inflation et faire que les salaires accordés dans les contrats collectifs de travail soient toujours plus près du minimum légal. Pour donner une idée générale de la situation du prolétariat au Mexique, nous indiquerons quelques chiffres des statistiques bourgeoises :

—   6 millions de chômeurs, soit 19 % de la population active ;

—   4 millions de «sous-emplois» ;

—   le salaire minimum légal est passé de 120 dollars par mois en 1985 à 87 dollars par mois en 1986 ;

—   plus de 50 % des salariés recevaient en 1986 le salaire minimum légal.

(...) Pour 1987, étant donné le processus d'accélé­ration de la dévaluation et l'accélération de la croissance du taux d'inflation (115% annuel), la détérioration des salaires est encore plus grande, tandis que le nombre de chômeurs n'arrête pas d'augmenter.

 

La baisse importante des conditions de vie du prolétariat au Mexique dans les trois dernières années a atteint un point extrême au début de 1987. Ainsi par exemple, la situation salariale des ouvriers du secteur de l'électricité est l'illustration de ce qui arrive dans le secteur public. Après avoir perçu en 1982 des salaires qui allaient jusqu'à 11,5 fois le salaire minimum légal, en 1987 ils ne recevaient plus que 4 fois ce minimum légal.

L'inquiétude parmi les travailleurs du secteur public se faisait déjà sentir l'an dernier. La grande majorité des syndicats a réalisé les révisions du contrat collectif et fixé les salaires professionnels entre janvier et avril. La pression croissante des travailleurs pour demander des salaires plus élevés laissait prévoir aux syndicats du secteur public qu'il y aurait des mobilisations qui risquaient d'échapper à leur contrôle. En février, l'Etat a fait savoir aux travailleurs, à travers les syndicats, qu'«il n'y avait pas de fonds» pour couvrir la demande d'augmentation salariale d'«urgence» que les syndicats avaient fixée à 23 % (au Mexique le taux annuel de l'inflation dépasse les 110%).

En dépit des coups durs portés au prolétariat à DINA, RENAULT et FUNDIDORA de Monterrey (FUMOSA) en 1986, et immédiatement après que se soit terminée la grève des étudiants à Mexico — conflit typique des classes moyennes et avec lequel la bourgeoisie et la petite-bourgeoise ont tenté de donner au prolétariat une «leçon» sur les «bontés» de la démocratie bourgeoise — au milieu de la crise économique la plus aiguë de tous les temps, les électriciens (36000 au total) entamèrent le 28 février une grève dans la zone centrale du pays qui englobe le District Fédéral (Mexico) et les quatre dépar­tements qui l'entourent. Cela signifiait toucher un nerf central de l'appareil productif, étant donné que c'est la zone industrielle et concentration ouvrière la plus impor­tante du pays.

(...) La grève n'a duré que cinq jours, et les ouvriers ont été ramenés au travail sans rien obtenir. Mais dans ce bref laps de temps s'est exprimée plus nettement une série de tendances qui sont apparues dans les mobilisations actuelles du prolétariat, en Europe principalement, et dont certaines existaient déjà en germe dans la lutte à FUMOSA. Dans la grève de l'électricité s'est manifestée la tendance ouvrière à lutter massivement, avec de fortes possibilités d'extension à d'autres secteurs du prolétariat, comme cela s'est vu récemment en Belgique, en France et en Espagne. Un autre aspect significatif de cette grève a été sa durée réduite dans le temps, à la différence de celle de FUMOSA qui avait duré près de deux mois. Les particularités de la grève sont les suivantes :

1. A la différence de ce qui est arrivé à DINA, RENAULT et FUMOSA l'année dernière, où les conflits ont duré plus longtemps, la grève des électriciens a pris immédiatement un caractère politique. Deux heures avant l'éclatement de la grève, l'Etat, par ordre présidentiel, a réquisitionné les installations de la Compagnie d'Electricité «pour sauvegarder l'intérêt national». Certaines installations de production d'énergie électrique ont été occupées et gardées par les forces de l'ordre. L'armée était prête à intervenir à tout moment. Devant le caractère clairement politique acquis par la grève, le syndicat, avec l'aide de la gauche du capital, n'a fait que marteler dans la tête des ouvriers que le mouvement «était une affaire nationale de défense du droit, de la légalité, de la Constitution», de la «souveraineté nationale», etc.

(...) En insistant en permanence sur le fait « qu'on ne peut déclarer la grève illégale que si on prouve qu'il y a eu des actes de violence de la part des travailleurs », le syndicat a empêché la mise en place de la plupart des piquets de grève ainsi que l'appel à se joindre à la grève aux travailleurs non syndiqués et des autres agences (transformés par décret en « jaunes ») qui ont été amenés à travailler à leur place.

2. (...) Le syndicat a montré une grande capacité de flexibilité pour s'adapter aux conditions que lui a imposées le mouvement des ouvriers afin de le récupérer, le canaliser et le soumettre.

Les syndicats qui sont plus étroitement et plus ouvertement liés à l'appareil de l'Etat ont plus de possibilité de perdre leur crédibilité aux yeux des ouvriers avec des actes aussi brutaux que celui qu'ils ont commis à FUMOSA (14000 licenciements directs et 40000 indirects) ; c'est à cause de cela que doivent entrer en jeu les tendances de gauche du capital et les gauchistes, afin de maintenir l'ordre et ramener la mobilisation sur les rails de la «paix sociale».

Dans ce cas, et contrairement à ce qui était arrivé à FUMOSA où les ouvriers étaient assujettis à un syndicat , clairement identifié par eux comme faisant partie de la structure étatique, le syndicat mexicain des électriciens (SME) est un syndicat « démocratique » qui en plus fait , le pont entre le syndicalisme officiel et le syndicalisme de base («de classe») animé par la gauche du capital et les gauchistes. Pour cela même, depuis la première minute de la grève, le syndicat n'a pas cessé de marteler aux ouvriers l'idée que « l'organisation syndicale était en péril», raison pour laquelle il était nécessaire de se plier aux décisions du Comité Central du syndicat. Cela a permis au SME de se mouvoir de droite à gauche et vice versa, radicalisant son langage en même temps qu'il manipulait des consignes dans un sens purement idéologique natio­naliste.

Les ouvriers se sont laissés littéralement mener par ce que décidait le SME : dans leur grande majorité ils ont quitté les lieux de travail et se sont concentrés autour de l'immeuble du syndicat... immobilisés tout le temps pour «éviter la violence»... et ont laissé le syndicat chercher la «solidarité»... des autres syndicats. Le SME a fait exactement la même chose que les syndicats des automotrices et des mineurs à DINA, RENAULT et FUMOSA enfermant les ouvriers dans le pire corporatisme, les isolant du reste des ouvriers et maintenant le conflit dans les strictes limites locales. De plus le SME, comme un des principaux impulseurs de la «table de concertation syndicale» — véritable concile où se réunit toute la gamme des syndicats «démocratiques» et syndicalistes de base pour fabriquer des caricatures de «journées de solidarité», s'est chargé de remplir les pages de la presse bourgeoise avec une véritable «solidarité»... de papier, pendant que le reste des syndicats maintenait tranquilles -«leurs» ouvriers.

La gauche du capital, à travers ses partis et groupes politiques et syndicalistes s'est chargée de son côté de bombarder les électriciens avec l'idée qu'il fallait défendre ce «bastion de la démocratie» qu'est le SME et surtout qu'il était nécessaire d'engager la mobilisation dans les voies de la «souveraineté nationale» et «contre le paiement de la dette extérieure», etc.

4.  (...) La seule marche qu'ont pu réaliser les électriciens avec la participation de centaines de milliers de personnes à Mexico a réussi à concentrer de grands contingents d'électriciens provenant des quatre départements de la zone centrale. A cette marche se sont joints beaucoup de travailleurs du secteur public (métro, banque du commerce extérieur, téléphone, tramways, agences de change, universités, etc. et de l'industrie (confection), ainsi que de petits noyaux d'ouvriers d'entreprises moyennes (brasserie Moctezuma, aciérie Ecatepec). A la marche se sont joints aussi des groupes d'habitants des quartiers marginaux et des lycéens.

Face à la visible possibilité d'extension massive de la grève à d'autres secteurs, le Tribunal du Travail a déclaré, deux jours après la marche, que la grève était «inexistante», appelant les ouvriers à reprendre immédiatement le travail sous la menace de licenciements massifs. Le syndicat a obligé les ouvriers à reprendre le travail, leur disant : «Nous sommes respectueux de la loi». Quand le syndicat en a informé l'assemblée de travailleurs qui était restée dans le local syndical, les grévistes ont manifesté leur mécontentement. Il y a eu des cris de «traîtres» contre les dirigeants syndicaux. Mais toute cette colère s'est diluée dans la frustration puis dans la résignation. Seule une minorité d'ouvriers a été capable de réagir contre le syndicat. (...)

5.  Pendant que l'Etat frappait les électriciens, les autres syndicats sabotaient toute tentative de mobilisation dans les autres secteurs. En trois occasions, ils ont empêché qu'éclatent des grèves dans des secteurs clés, comme le téléphone, l'aéronavale et les tramways de la ville. Ils ont aussi démoralisé les ouvriers des universités, du cinéma et les enseignants du primaire. Secteur après secteur, les syndicats ont manipulé et se sont imposés aux travailleurs afin qu'ils acceptent la décision de l'Etat de n'accorder aucune augmentation du salaire général d'urgence. Après avoir arrêté la grève des électriciens, il était visible que les ouvriers du téléphone allaient se mettre en grève. Le syndicat a tenté de contenir jusqu'au bout l'éclatement de la grève, la «remettant» sans cesse à plus tard. Mais dans les assemblées syndicales, la détermination des ouvriers à s'engager dans la grève était ferme. L'Etat a appliqué alors la même tactique qu'il avait employée avec les électriciens : deux heures avant l'éclatement de la grève, il a réquisitionné l'entreprise et le syndicat a tout de suite fait entrer les ouvriers au travail. (...) Finalement, on a pu observer que les syndicats, dans leurs diverses variantes, sont un véritable obstacle pour la lutte reven­dicative du prolétariat. Loin d'exprimer les intérêts du mouvement revendicatif des ouvriers, ils incarnent les intérêts bourgeois nationaux et de l'Etat. L'Etat bourgeois a imposé sa politique salariale avec l'aide des syndicats, brisant la résistance des ouvriers et retenant les tendances vers la massivité, l'extension et la simultanéité.

6. Le mouvement de résistance aux mesures salariales du capital qu'ont réussi à mener les électriciens, malgré toutes ses limitations comme le corporatisme, la confiance dans les syndicats et le manque de confiance dans ses propres forces, l'isolement et le grand poids de l'idéologie bourgeoise nationaliste qui pesait sur eux, a été très important, car il a montré aux ouvriers que la lutte pour les revendications économiques se transforme inévitable­ment en un mouvement politique, étant donné qu'inexo­rablement l'Etat bourgeois la confronte. Il a montré aussi qu'il existe une tendance vers la grève de masse où les possibilités de l'extension du mouvement vers d'autres secteurs sont chaque fois plus évidentes. (...) C'est dans ces mouvements qu'apparaît la nécessité de forger l'ins­trument politique du prolétariat qui lui donne les éléments de son identité comme classe, c'est-à-dire le Parti Com­muniste International qui incarne dans chaque moment de sa lutte la perspective du programme communiste. (...)

Comunismo Mexico, avril 1987

Géographique: 

  • Mexique [9]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La lutte Proletarienne [10]

Comprendre la décadence du capitalisme (3) : la nature de la Social-Démocratie

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La continuité des organisations politiques du prolétariat : la nature de la Social-Démocratie

Comprendre la décadence du capitalisme c'est aussi comprendre les spécificités des formes de la lutte prolétarienne à notre époque et donc les différences avec celles d'autres phases historiques. A travers la compréhension de ces différences se dégage la continuité qui traverse les organisations politiques du prolétariat.
Ceux qui, tel le Groupe Communiste Internationaliste (GCI), ignorent la décadence du capitalisme, rejettent «logiquement y dans le camp de la bourgeoisie la 2e Internationale (1889-1914) et les partis qui l'ont constituée. Ce faisant ils ignorent cette continuité réelle qui constitue un élément fondamental de la conscience de classe.

En défendant cette continuité il ne s'agit pas pour nous de glorifier pour aujourd'hui les partis qui ont constitué la 2e Internationale. Encore moins de considérer comme valable pour notre époque, leur pratique. 11 ne s'agit surtout pas de revendiquer l'héritage de la fraction réformiste qui glissait vers le K social-chauvinisme y et est passée, avec l'éclatement de la guerre, définitiuem?nt dans le camp de la bourgeoisie. Ce dont il s'agit c'est de comprendre que la 2e Internationale et les partis qui l'ont constituée ont été des expressions authentiques du prolétariat durant un moment de l'histoire du mouvement ouvrier.

Un de ses mérites, et non le moindre, consistait à achever la décantation qui avait commencé dans les dernières années de la 1ère Internationale en éliminant l'anarchisme, cette expression idéologique du processus de décomposition de la petite bourgeoisie et de sa prolétarisation, fort mal acceptée par certaines couches de l'artisanat.

La 2e Internationale se situe d'emblée sur les bases du marxisme qu'elle inscrit dans son programme.

11 y a deux façons de juger la 2e Internationale et les partis social-démocrates : l'une avec la méthode marxiste, c'est à dire critique, la situant dans son contexte historique. L'autre c'est celle de l'anarchisme, qui sans méthode cohérente et de façon a-historique se contente simplement de nier ou d'effacer son existence dans le mouvement ouvrier. Et pour cause !

La première est celle qu'ont toujours empruntée les gauches communistes, et que reprend le CCI. La deuxième est celle des irresponsables qui, sous une phraséologie « révolutionnaire » aussi creuse qu'incohérente, cachent mal leur nature et leur démarche semi-anarchiste. Le GCI appartient à cette dernière.

Un nihilisme apocalyptique

« Avant moi le chaos ». Pour celui qui croit qu'il n'y a pas d'avenir, « no future », l'histoire passée semble inutile, absurde, contradictoire. Tant d'efforts, tant de civilisations, tant de savoir pour n'en arriver qu'à la perspective d'une humanité affamée, malade, et menacée d'être détruite par le feu nucléaire. « Après moi le déluge » ... « Avant moi le chaos ».

Ce genre d'idéologie « punk » suintée par le capitalisme dans cette époque de décadence avancée, pénètre à des degrés divers l'ensemble de la société. Même des éléments révolutionnaires, supposés être convaincus - par défini­tion - de l'existence, sinon de l'imminence d'un avenir révolutionnaire pour la société, subissent parfois, lorsqu'ils sont peu armés politiquement, la pression de ce « nihilisme apocalyptique », où plus rien dans le passé n'a de sens. L'idée même d'une « évolution » historique leur semble saugrenue. Et l'histoire du mouvement ouvrier, l'effort d'un siècle et demi de générations de révolutionnaires organisés, pour accélérer, stimuler, féconder la lutte de leur classe, tout cela est considéré comme peu de chose, voire même comme des éléments de conservation, d'« auto­régulation » de l'ordre social existant. C'est une mode qui revient parfois, véhiculée surtout par des éléments en provenance de l'anarchisme ou allant vers celui-ci.

Depuis quelques années, le GCI, Groupe Communiste Internationaliste, joue de plus en plus ce rôle. Le GCI est une scission du CCI (1978), mais les éléments qui l'ont constitué provenaient en partie, avant d'être au CCI, de l'anarchisme. Après un flirt passager avec le bordiguisme, au lendemain de la rupture, le GCI a évolué par la suite vers les amours d'enfance de certains de ses animateurs, l'anarchisme, avec ses élucubrations désespérées a-histo­riques sur la révolte éternelle ; mais il ne s'agit pas d'un anarchisme déclaré, ouvert, capable d'affirmer par exemple nettement que Bakounine ou Proudhon avaient raison sur le fond contre les marxistes de l'époque ; c'est un anarchisme honteux, qui n'ose pas dire son nom et qui défend ses thèses à coups de citations de Marx et de Bordiga. Le GCI a inventé l'« anarcho-bordiguisme punk ».

Comme un adolescent en mal d'affirmation de son identité et de rupture parentale, le GCI considère qu'avant lui et sa théorie, c'était le néant ou presque. Lénine ? « (Sa) théorie de l'impérialisme - nous dit le GCI - n'est qu'une tentative de justifier sous une autre couleur (anti­impérialiste !) le nationalisme, la guerre, le réformisme... la disparition du prolétariat comme sujet de l'histoire » ([1] [11]). Rosa Luxemburg ? Les Spartakistes allemands? « des sociaux-démocrates de gauche ». Et la social-démocratie elle-même, celle du 19e siècle et du début du 20e siècle, à la fondation de laquelle participèrent Marx et Engels, dans laquelle se formèrent non seulement les bolcheviks et les spartakistes, mais aussi ceux qui allaient constituer la gauche communiste de la 3e Internationale (gauches italienne, allemande, hollandaise, etc.) ? Pour le GCI, la Social-démocratie (ainsi que la 2e Internationale qu'elle a créée) était « de nature essentiellement bourgeoise ». Tous ceux qui, au sein de la 2e Internationale puis de la 3e, ont défendu, contre les réformistes qui la niaient, l'inéluc­tabilité puis la réalité de la décadence du capitalisme ? « Anti-impérialiste ou luxemburgiste, la théorie de !a déca­dence n'est qu'une science bourgeoise visant à justifier idéologiquement la faiblesse du prolétariat dans sa lutte pour un monde sans valeur ».

Avant le GCI, il semblerait - au nombre de citations utilisées - qu'il n'y ait eu en fait de révolutionnaire que Marx et peut-être Bordiga... quoiqu'on soit en droit de se demander ce que pouvaient avoir de révolutionnaire - dans la conception du GCI - un fondateur d'organisations « de nature essentiellement bourgeoise » comme Marx, et un élément comme Bordiga qui ne rompt avec la Social­démocratie italienne qu'en 1921 !

En fait, pour le GCI, c'est la problématique même de savoir quelles ont été les organisations prolétariennes du passé et quels ont été leurs apports successifs au mouvement communiste qui est un non-sens. Pour le GCI, se réclamer d'une continuité politique historique des organisations du prolétariat, comme l'ont toujours fait les organisations communistes, comme nous le faisons, c'est tomber dans l'esprit de « famille ». Ce n'est là qu'une des facettes de sa vision chaotique de l'histoire, une des perles de la bouillie théorique qui est supposée servir au GCI de cadre pour son intervention. Dans les deux articles précédents ([2] [12]), consacrés à l'analyse de la décadence du capitalisme et à la critique qu'en fait le GCI, nous avons montré d'une part la vacuité anarchiste qui se cache derrière le verbiage marxisant du GCI avec son rejet de l'analyse de la décadence du capitalisme et de l'idée même d'évolution historique, d'autre part des aberrations politiques, des positions nettement bourgeoises - appui aux guérilleros staliniens du Sentier Lumineux au Pérou, par exemple - auxquelles conduit cette méthode, ou plutôt cette absence totale de méthode. II s'agit donc dans cet article de combattre l'autre volet de cette conception a-historique : le rejet de la nécessité pour toute organisation révolutionnaire de comprendre et de se situer dans le cadre de la continuité historique des organisations communistes du passé.

L'importance de la continuité historique dans le mouvement communiste

Dans toutes nos publications, nous écrivons : « Le CCI se réclame des apports successifs de la Ligue des Com­munistes, des le, 2e et 3e Internationales, des fractions de gauche qui se sont dégagées de cette dernière, en particulier des gauches allemande, hollandaise et italienne ». Voila qui donne la nausée au GCI.

« Les communistes - écrit le GCI      - n'ont pas de problème de "paternité", l'attachement à la "famille" révolutionnaire est une manière de nier l'impersonnalité du programme. Le fil historique sur lequel circule le courant communiste n'est pas plus une question de "personne" que d'organisation formelle, c'est une question de pratique, cette pratique étant portée tantôt par tel individu, tantôt par telle organisation. Laissons donc les décadentistes séniles caqueter sur leurs arbres généalogiques, à la recherche de leurs papas. Occupons-nous de la révolution ! »

Obsédé par des problèmes de « révolte contre le père », le GCI ne parle de « fil historique » que pour en faire une abstraction éthérée, vide de chair et de réalité, planant au dessus des « personnes » et des «organisations formelles ». Se réapproprier l'expérience historique du prolétariat et donc les leçons tirées par ses organisations politiques, le GCI appelle cela « rechercher son papa ». « Occupons-nous plutôt de la révolution », oppose-t-il, mais ces mots sont des formules creuses et inconséquentes quand on ignore l'effort et la continuité de l'effort des organisations qui depuis plus d'un siècle et demi... « s'occupent de la révolution ».

Ce n'est pas à partir du passé de l'histoire qu'on s'intéresse au présent, c'est à partir des besoins présents et à venir de la révolution que l'on s'intéresse au passé. Mais sans cette compréhension de l'histoire, on est inévitablement désarmé vis-à-vis de l'avenir.

La lutte pour la révolution communiste n'a pas commencé avec le GCI. Cette lutte a déjà une longue histoire. Et si celle-ci est jalonnée surtout de défaites du prolétariat, elle a fourni à ceux qui aujourd'hui veulent véritablement contribuer au combat révolutionnaire des leçons, des acquis qui sont de précieux et indispensables instruments de combat. Or ce sont justement les organi­sations politiques du prolétariat qui tout au long de cette histoire se sont efforcées de dégager et de formuler ces leçons. C'est du charlatanisme de révolté à la petite semaine que d'appeler à « s'occuper de la révolution » sans s'occuper des organisations politiques prolétariennes du passé et de la continuité de leur effort. Le prolétariat est une classe historique, c'est-à-dire porteuse d'un avenir à l'échelle de l'histoire. C'est une classe qui, contrairement aux autres classes opprimées qui se décomposent avec l'évolution du capitalisme, se renforce, se développe, se concentre tout en acquérant au travers des générations, à travers des milliers de combats de résistance quotidienne et quelques grandes tentatives révolutionnaires, une conscience de ce qu'elle est, de ce qu'elle peut et de ce qu'elle veut. L'activité des organisations révolutionnaires, leurs débats, leurs regroupements comme leurs scissions, font partie intégrante de ce combat historique, ininterrom­pu depuis Babeuf jusqu'à son triomphe définitif.

Ne pas comprendre la continuité qui lie politiquement celles-ci au travers de l'histoire, c'est ne voir dans le prolétariat qu'une classe sans histoire ni conscience... tout au plus révoltée. C'est la vision qu'a la bourgeoisie de la classe ouvrière. Pas celle des communistes ! Le GCI voit un problème psychologique de « paternité » et d'« attachement à la famille » là où il s'agit en fait du minimum de conscience qui puisse être exigé d'une organisation qui prétend s'élever au rôle d'avant-garde du prolétariat.

De quelle continuité nous réclamons-nous ?

Le GCI affirme que se réclamer d'une continuité avec les organisations communistes du passé c'est « nier l'im­personnalité du programme ». Il est évident que le programme communiste n'est ni l'oeuvre ni la propriété d'une personne, d'un génie. Le marxisme porte le nom de Marx en reconnaissance du fait que ce fut lui qui jeta les fondements d'une conception prolétarienne véritable­ment cohérente du monde. Mais cette conception n'a cessé de s'élaborer à travers la lutte de la classe et ses organisations depuis ses premières formulations. Marx lui­même se revendiquait de l'oeuvre des Egaux de Babeuf, des socialistes utopistes, des chartistes anglais,etc. et considérait ses idées comme un produit du développement de la lutte réelle du prolétariat.

Mais pour « impersonnel » qu'il soit, le Programme communiste n'en est pas moins l'oeuvre d'êtres humains en chair et en os, de militants regroupés dans des organisations politiques, et il n'en existe pas moins une continuité dans l'oeuvre de ces organisations. La vraie question n'est pas de savoir s'il existe ou non une continuité, mais de savoir quelle est cette continuité.

Montrant qu'il ne comprend même pas ce qu'il prétend critiquer, le GCI laisse entendre que se revendiquer d'une continuité des organisations politiques prolétariennes re­viendrait à se réclamer de ce que tout le monde a pu dire, à n'importe quel moment, dans le mouvement ouvrier.

Un des principaux reproches que fait le GCI à ceux qui défendent l'idée de l'existence d'une décadence du capitalisme, c'est qu'ils « entérinent ainsi, de façon a­critique, l'histoire passée, et principalement le réformisme social-démocrate justifié en un tour de main puisqu'il se situait "dans la phase ascendante du capitalisme" ». Dans l'esprit borné du GCI, assumer une continuité historique ne peut signifier qu'« entériner de façon a-critique ». Dans la réalité, pour ce qui est des organisations du passé, l'histoire s'est chargée elle-même d'exercer une critique impitoyable en tranchant dans les faits la question.

Ce ne sont pas des tendances quelconques qui ont pu assumer la continuité entre l'ancienne organisation et la nouvelle. Entre les trois principales organisations politiques internationales du prolétariat, c'est la gauche qui a toujours assumé cette continuité.

Ce fut elle qui assura la continuité entre la 1e et la 2e Internationales à travers le courant marxiste, en op­position aux courants proudhonien, bakouniniste, blan­quiste, et autres corporativistes. Entre la 2e et la 3e Internationales c'est encore la gauche, celle qui mena le combat tout d'abord contre les tendances réformistes, ensuite contre les «social -patriotes », qui assura la conti­nuité pendant la lere guerre mondiale en formant l'Internationale communiste. De la 3e Internationale, c'est encore la gauche, la « gauche communiste », et en particulier les gauches italienne et allemande, qui ont repris et développé les acquis révolutionnaires foulés au pied par la contre­ révolution social-démocrate et stalinienne. Cela s'explique par la difficulté de l'existence des organisations politiques du prolétariat. L'existence même d'une authentique or­ganisation politique prolétarienne constitue un combat permanent contre la pression de la classe dominante, pression qui est d'ordre matériel : manque de moyens financiers, répression policière, mais aussi et surtout d'ordre idéologique. L'idéologie dominante tend toujours à être celle de la classe économiquement dominante. Les communistes sont des hommes et leurs organisations ne sont pas miraculeusement imperméables à la pénétration de l'idéologie qui imprègne toute la vie sociale. Les organisations politiques du prolétariat meurent souvent vaincues, en trahissant, en passant dans le camp de l'ennemi. Seules les fractions de l'organisation qui ont eu la force de ne pas laisser tomber leurs armes devant la pression de la classe dominante - la gauche - ont pu assumer la continuité de ce que ces organisations conte­naient de prolétarien.

En ce sens, se réclamer de la continuité qui traverse les organisations politiques prolétariennes c'est se réclamer de l'action des différentes fractions de gauche qui seules ont eu la capacité d'assurer cette continuité. Se revendi­quer « des apports successifs de la Ligue des Communistes, des le, 2e et 3e Internationales », ce n'est pas « entériner de façon a-critique » les Willich et Schapper de la Ligue des Communistes, ni les anarchistes de la l" Internationale, ni les réformistes de la 2e, ni les bolcheviks dégénérescents de la 3e. Au contraire, c'est se revendiquer du combat politique mené par les gauches généralement minoritaires contre ces tendances. Mais ce combat n'était pas mené n'importe où. Il se déroulait au sein des organisations qui regroupaient les éléments les plus avancés de la classe ouvrière. Des organisations prolétariennes qui avec toutes leurs faiblesses ont toujours été un défi vivant à l'ordre établi. Elles n'étaient pas l'incarnation d'une vérité inva­riable éternelle et définie une fois pour toutes -- comme le prétend la théorie de l'Invariance du Programme communiste, empruntée par le GCI aux bordiguistes. Elles ont été « l'avant-garde » concrète du prolétariat comme classe révolutionnaire à un moment donné de l'histoire et à un degré donné du développement de la conscience de classe.

A travers les débats entre la tendance Willich et celle de Marx au sein de la Ligue des Communistes, à travers la confrontation entre les anarchistes et les marxistes au sein de la le Internationale, entre les réformistes et la gauche internationaliste au sein de la 2e, entre les bolcheviks dégénérescents et les gauches communistes au sein de la 3e, c'est l'effort permanent de la classe ouvrière pour se donner les armes politiques de son combat qui se concrétise. Se revendiquer de la continuité politique des organisations politiques du prolétariat, c'est se situer en continuité des tendances qui ont su assumer cette continuité, mais aussi de l'effort en lui-même que repré­sentent ces organisations.

La nature de classe de la social-démocratie de la fin du 19e siècle, début du 20e.

Pour le GCI, ce qui interdit le plus de parler de continuité des organisations politiques prolétariennes c'est que l'on puisse considérer les partis social-démocrates du 19e siècle et la 2e Internationale comme des organisations ouvrières. Pour lui, la social-démocratie est de nature « essentiellement bourgeoise ».

Comme on l'a vu dans les articles précédents, le GCI reprend la vision anarchiste d'après laquelle la révolution communiste a toujours été à l'ordre du jour depuis les débuts du capitalisme : il n'y a pas différentes périodes du capitalisme. Le programme du prolétariat se réduit à un mot d'ordre éternel : la révolution communiste mondiale tout de suite. Le syndicalisme, le parlementarisme, la lutte pour des réformes, rien de cela n'a jamais été ouvrier. En conséquence, les partis social-démocrates puis la 2e Internationale, qui ont fait de ces formes de lutte l'axe essentiel de leur activité ne pouvaient être que des instruments de la bourgeoisie. La 2e Internationale d'Engels serait la même chose que les ententes entre Mitterrand et Felipe Gonzales. Pour les avoir abordées longuement dans deux articles précédents, nous ne reviendrons pas ici sur des questions telles que l'existence de deux phases historiques fondamentales dans la vie du capitalisme et sur la place centrale de l'analyse de la décadence du capitalisme dans la cohérence marxiste (Revue Internatio­nale n° 48) ; nous ne redévelopperons pas non plus la question des différences qui découlent du changement de période pour la pratique et les formes de lutte du mouvement ouvrier (Revue Internationale n° 49).

Nous situant ici du point de vue de la question de la continuité historique des organisations révolutionnaires, nous voulons mettre en relief ce qui, au delà de ses faiblesses, dues aux formes de lutte de l'époque, et de sa dégénérescence, était prolétarien dans la Social­démocratie et quels sont les apports dont les révolution­naires marxistes se sont revendiqués par la suite.

                                  ***

Quels sont les critères pour juger de la nature de classe d'une organisation. On peut en définir trois importants :

  • le programme., c'est-à-dire la définition de l'ensemble des buts et des moyens de son action ;
  • la pratique de l'organisation au sein de la lutte de classe ;
  • enfin, son origine et sa dynamique historique.

Cependant, ces critères n'ont évidemment de sens que si l'on sait tout d'abord resituer l'organisation en question dans les conditions historiques de son existence. Et cela non seulement parce qu'il est indispensable de tenir compte des conditions historiques objectives pour définir ce que sont et peuvent être les objectifs immédiats et les formes de la lutte prolétarienne. Il est aussi indispensable d'avoir à l'esprit quel était le degré de conscience atteint historiquement par la classe prolétarienne à un moment donné pour juger du degré de conscience d'une organi­sation spécifique.

Il y a un développement historique de la conscience. Il ne suffit pas de comprendre que le prolétariat existe comme classe autonome politiquement au moins depuis le milieu du 19e siècle. Encore faut-il comprendre que pendant tout ce temps il n'est pas resté une momie, un dinosaure empaillé. Sa conscience de classe, son pro­gramme historique ont évolué, s'enrichissant de l'expé­rience, évoluant avec les conditions historiques murissantes. Pour juger du degré de conscience exprimé par le programme d'une organisation prolétarienne du 19e siècle, il serait absurde d'en exiger la compréhension de ce que seules des décennies d'expérience et l'évolution de la situation pouvaient permettre de comprendre plus tard.

Rappelons donc brièvement quelques éléments sur les conditions historiques dans lesquelles se forment et vivent les partis social-démocrates dans le dernier quart du 19e siècle et jusqu'à la période de la le guerre mondiale, moment où meurt la 2e Internationale et où éclatent les partis, les uns après les autres, sous le poids de la trahison de leurs directions opportunistes.

Les conditions de la lutte du prolétariat à l'époque de la social-démocratie

Dans la conception figée et statique du GCI selon laquelle le capitalisme serait « invariable » depuis ses débuts, la fin du 19e siècle apparaît comme identique à l'époque actuelle. Aussi son jugement sur la social­démocratie de cette époque se résume à une identification de celle-ci avec les partis social-démocrates ou staliniens de notre temps. En réalité, ce genre de projections infantiles selon lequel ce que l'on connaît est la seule chose qui n'ait jamais pu exister n'est autre chose qu'une plate négation de l'analyse historique. Les générations actuelles connaissent un monde qui depuis plus de trois quarts de siècle a vécu au rythme des plus grandes manifestations de barbarie de l'histoire de l'humanité : les guerres mondiales. Quand ce n'est pas la guerre mondiale ouverte, c'est la crise économique qui s'abat sur la société, seules faisant exception deux périodes de « prospérité » fondées sur la « reconstruction » au lendemain des le et 2e guerres mondiales. A cela doit s'ajouter depuis la fin de la 2e guerre, l'existence de guerre locales en perma­nence dans les zones les moins développées et une orientation de l'économie, au niveau mondial , essentiel­lement vers des objectifs militaires et destructifs.

L'appareil chargé du maintien de cet ordre décadent n'a cessé de développer son emprise sur la société et la tendance au capitalisme d'Etat, sous toutes ses formes, se concrétise dans tous les pays de façon toujours plus puissante et omniprésente dans tous les secteurs de la vie sociale, au premier rang desquels se trouvent évidem­ment les rapports entre les classes. Dans tous les pays, l'appareil d'Etat s'est doté de toute une panoplie d'ins­truments pour contrôler, encadrer, atomiser la classe ouvrière. Les syndicats, les partis de masse sont devenus des rouages de la machine étatique. Le prolétariat ne peut plus affirmer son existence comme classe que sporadiquement. En dehors des moments d'effervescence sociale il est, en tant que corps collectif, atomisé, comme chassé de la société civile.

Tout autre est le capitalisme du dernier quart du 19e siècle. Sur le plan économique, la bourgeoisie connaît la plus longue et puissante période de prospérité de son histoire. Après les crises cycliques de croissance qui, presque tous les 10 ans, avaient frappé le système de 1825 à 1873, le capitalisme connaît jusqu'en 1900, près de 30 ans de prospérité quasi ininterrompue. Sur le plan militaire, c'est aussi une période exceptionnelle : le capi­talisme ne connaît aucune guerre importante. Dans ces années de prospérité relativement pacifiques, difficilement concevables pour des gens de notre époque, la lutte du prolétariat se déroule dans un cadre politique qui, s'il demeure - évidemment - celui de l'exploitation et l'oppression capitalistes, n'en possède pas moins des caractéristiques très différentes de celles du 20e siècle.

Les rapports entre prolétaires et capitalistes sont des rapports directs, et d'autant plus éparpillés que la plupart des usines sont encore de taille réduite. L'Etat n'intervient dans ces rapports qu'au niveau des conflits ouverts qui risquent de « troubler l'ordre public ». Les négociations salariales, l'établissement des conditions de travail sont pour l'écrasante majorité des cas une affaire qui dépend des rapports de forces locaux entre les patrons (souvent d'entreprises de type familial) et des ouvriers dont la grande majorité vient directement de l'artisanat et de l'agriculture. L'Etat est à l'écart de ces négociations.

Le capital conquiert le marché mondial et étend sa forme d'organisation sociale aux quatre coins de la planète. La bourgeoisie fait exploser le développement des forces productives. Elle est chaque jour plus riche et trouve même un profit dans l'amélioration des conditions d'exis­tence des prolétaires. Les luttes ouvrières sont fréquem­ment couronnées de succès. Les grèves longues, dures, même isolées, parviennent à faire céder des patrons qui - outre le fait qu'ils peuvent payer - affrontent souvent les ouvriers en ordre dispersé. Les ouvriers apprennent à s'unifier et à s'organiser de façon permanente (les patrons aussi d'ailleurs). Leurs luttes imposent à la bourgeoisie le droit d'existence d'organisations ouvrières : syndicats, partis politiques, coopératives. Le prolétariat s'affirme comme force sociale dans la société, même en dehors des moments de lutte ouverte. Il y a toute une vie ouvrière au sein de la société : il y a les syndicats (qui sont des « écoles de communisme »), mais il y a aussi des clubs ouvriers où on parle de politique, il y des « universités ouvrières » où l'on apprend aussi bien le marxisme qu'à lire et écrire, (Rosa Luxembourg et Pannekoek furent enseignants dans la social démocratie allemande), il y a des chansons ouvrières, des fêtes ouvrières où l'on chante, danse et parle du communisme.

Le prolétariat impose le suffrage universel et obtient d'être représenté par ses organisations politiques dans le parlement bourgeois - les parlements sont encore des lieux où le théâtre mystificateur n'a pas tout dévoré ; le pouvoir réel n'est pas encore totalement dans le seul exécutif au gouvernement ; les différentes fractions des classes dominantes s'y affrontent réellement et le prolé­tariat parvient parfois à utiliser les divergences entre partis bourgeois pour imposer ses intérêts. Les conditions d'existence de la classe ouvrière en Europe connaissent des améliorations réelles : réduction du temps de travail de 14 ou de 12 à 10 heures ; interdiction du travail des enfants et des travaux pénibles pour les femmes ; élévation générale du niveau de vie, élévation du niveau culturel. L'inflation est un phénomène inconnu. Les prix des biens de consommation baissent au fur et à mesure que les nouvelles techniques de production sont introduites dans la production. Le chômage est réduit à celui minimum d'une armée de réserve où le capital en expansion peut puiser la nouvelle force de travail dont il a en permanence besoin. Un jeune chômeur peut aujourd'hui avoir du mal à imaginer ce que cela pouvait être, mais cela devrait être une évidence pour toute organisation qui se réclame du marxisme.

La social-démocratie ne s'identifie pas avec le réformisme

Les partis ouvriers social-démocrates et « leurs » syn­dicats étaient le produit et l'instrument des combats de cette époque. Contrairement à ce que peut laisser entendre le GCI, ce n'est pas la social-démocratie qui a « inventé » la lutte syndicale et politique parlementaire au début des années 1870. Dès les premières affirmations du prolétariat comme classe, dans la première moitié du 19e siècle, la lutte pour l'existence de syndicats ou le suffrage universel (Chartistes en Angleterre en particulier) se développait dans la classe ouvrière. La social-démocratie n'a fait que développer, organiser un mouvement réel qui existait bien avant elle et se développait indépendamment d'elle. Pour le prolétariat la question était - comme aujourd'hui - toujours la même : comment combattre la situation d'ex­ploitation qui lui est faite. Or la lutte syndicale et politique parlementaire étaient alors des moyens de résistance véritablement efficaces. Les rejeter au nom de « la Révolution » c'était ignorer, rejeter le mouvement réeel et le seul cheminement possible à l'époque vers la révolution. La classe ouvrière devait s'en servir pour limiter l'exploitation mais aussi pour prendre conscience de soi, de son existence comme force autonome, unie.

  • « La grande importance de la lutte syndicale et de la lutte politique réside en ce qu'elles socialisent la connais­sance, la conscience du prolétariat, l'organisent en tant que classe », écrit Rosa Luxemburg dans « Réforme ou Révo­lution » (I,5).

C'était le «programme minimum ». Mais celui-ci s'ac­compagnait d'un «programme maximum », réalisable par une classe devenue capable de mener son combat contre l'exploitation jusqu'au bout : la révolution. Rosa Luxem­burg formulait le lien entre ces deux programmes :

  • « Selon la conception courante du Parti, le prolétariat parvient, par l'expérience de la lutte syndicale et politique, à la conviction de l'impossibilité de transformer de fond en comble sa situation au moyen de cette lutte et de l'inéluctabilité d'une conquête du pouvoir. »

Tel était le programme de la social-démocratie.

Le réformisme se définit, par contre par son refus de l'idée de la nécessité de la révolution. Il considère que seule la lutte pour des réformes au sein du système peut avoir un sens. Or la social-démocratie se constitue en opposition directe aussi bien aux anarchistes - qui croient la révolution à l'ordre du jour à toute heure - qu'aux possibilistes et a leur réformisme considérant le capitalisme comme éternel. Voici par exemple comment le Parti ouvrier français présentait son programme électoral en 1880 :

  • «  .... Considérant,
  • Que cette appropriation collective ne peut sortir que de l'action révolutionnaire de la classe productive - ou prolétariat - organisé en parti politique distinct ;
  • Qu'une pareille organisation doit être poursuivie par tous les moyens dont dispose le prolétariat, y compris le suffrage universel, transformé ainsi d'instrument de duperie qu'il a été jusqu'ici en instrument d'émancipation ;
  • Les travailleurs socialistes français, en donnant pour but à leurs efforts dans l'ordre économique le retour à la collectivité de tous les moyens de production, ont décidé, comme moyens d'organisation et de lutte, d'entrer dans les élections avec le programme minimum suivant... » ([3] [13]).

Quelque fut le poids de l'opportunisme vis à vis du réformisme au sein des partis social-démocrates, leur programme rejettait explicitement le réformisme. Les partis social-démocrates avaient comme programme maxi­mum la révolution ; la lutte syndicale et électorale était essentiellement le moyen pratique, adapté aux possibilités et nécessités de l'époque, pour préparer la réalisation de ce but.

Les acquis de la 2e Internationale

L'adoption du marxisme

Le GCI ne reconnait évidemment aucun apport pour le mouvement ouvrier de toutes ces organisations de nature « essentiellement bourgeoise ». « Entre social-dé­mocratie et communisme, dit-il, il y a la même frontière de classe qu'entre bourgeoisie et prolétariat ».

Le rejet de la social-démocratie et de la 2e Internationale du 19e siècle n'est pas nouveau. II a toujours été le fait des anarchistes. Ce qui est relativement nouveau ([4] [14]) c'est de prétendre faire ce rejet en se réclamant de Marx et Engels... (par souci d'autorité parentale peut-être).

Le problème c'est que l'adoption des conceptions marxistes et le rejet explicite des conceptions anarchistes par des organisations de masses constitue sans aucun doute le principal acquis de la 2e Internationale par rapport à la première.

La 2e Internationale, fondée en 1864, regroupait, surtout à ses débuts, toutes sortes de tendances politiques en son sein : mazzimistes, proudhoniens, bakouninistes, blanquistes, les trade-unionistes anglais, etc. Les marxistes n'y étaient qu'une infime minorité (le poids de la person­nalité de Marx au sein du Conseil général de celle qui s'appelait Association ou Internationale des Travailleurs, ne doit pas faire illusion). Pendant la Commune de Paris il y avait un seul marxiste, Frankel, et il était hongrois.

La 2e Internationale par contre se fonde, avec Engels, dès le départ, sur la base des conceptions marxistes. Le congrès d'Erfurt en 1891 le reconnaît explicitement.

En Allemagne, dès 1869, le Parti Ouvrier Social­Démocrate fondé à Eisenach par Wilhelm Liebknecht et August Bebel, proches de Marx, après avoir scissionné de l'organisation de Lassalle (l'Association générale des ouvriers allemands) se fonde sur le marxisme. Lorsqu'en 1875 se réalisera la réunification, les marxistes sont majoritaires, même si le programme qui est adopté est tellement rempli de concessions aux conceptions lassal­liennes que Marx écrira dans une lettre d'accompagnement de sa célèbre critique du Programme de Gotha :

  • « ... après le congrès de coalition, nous publierons, Engels et moi, une brève déclaration où nous dirons que nous sommes fort éloignés dudit programme de principes, et que nous nous en louons les mains ». Mais il ajoute : « Un seul pas du mouvement réel est plus important qu'une douzaine de programmes ».

Quinze ans plus tard, sa confiance dans le mouvement réel se confirmait par l'adoption des conceptions marxistes par l'ensemble de la 2e Internationale dès ses premiers moments.

C'était là un apport fondamental au renforcement du mouvement ouvrier.

Le GCI rappelle le rejet par Marx et Engels du terme de « social-démocrate » qui en réalité reflétait des faiblesses lassalliennes du parti allemand : dans « tous ces écrits je ne me qualifie jamais de social-démocrate, mais de com­rnuniste. Pour Marx comme pour moi il est donc absolument impossible d'employer une expression aussi élastique pour désigner notre conception propre ». (Engels dans la brochure « Internationales aus dem Volkstaat », 1871-1875).

Mais le GCI « oublie » de rappeler que les marxistes n'en déduisent pas pour autant qu'il fallait rompre avec le parti mais s'en faire une raison en menant le combat sur le fond. Ainsi Engels précisait-il : « Il en va autrement aujourd'hui, et ce mot peut passer à la rigueur, bien qu'il ne corresponde pas davantage aujourd'hui à un parti dont le programme économique n'est pas seulement socialiste en général, mais directement communiste, c'est à dire à un parti dont le but final est la suppression de tout Etat et, par conséquent, de la démocratie. »

L'adoption des conceptions de base du marxisme par l'Internationale ne fut pas un cadeau de la Providence mais un acquis conquis par le combat des éléments les plus avancés.
La distinction entre organisations unitaires et organi­sations politiques du prolétariat

Un autre apport important de la 2e Internationale par rapport à la première fut la distinction entre deux formes distinctes d'organisation. D'une part, les organisations unitaires regroupant les prolétaires sur la base de leur appartenance de classe (syndicats, et plus tard les soviets ou conseils ouvriers) ; d'autre part, les organisations politiques regroupant des militants sur la base d'une plate­forme politique précise.

La 1e Internationale, surtout à ses débuts, regroupait aussi bien des individus que des coopératives, des associations de solidarité, des syndicats ou des clubs politiques. Ce qui en faisait un organe qui ne parvint jamais à remplir véritablement ni des tâches d'orientation politique claires, ni des tâches d'unification des prolétaires.

C'est donc tout naturellement que les anarchistes qui rejettent aussi bien le marxisme que la nécessité des organisations politiques, combattent la 2e Internationale dès sa naissance. D'ailleurs, beaucoup de courants anar­chistes continuent de se réclamer aujourd'hui de l'AIT.

Ici encore le GCI n'innove pas et demeure invariablement ... anarchiste.

Le pourquoi et le comment du combat des révolutionnaires dans les partis de la 2e Internationale

Est-ce-à dire que la social-démocratie et la 2e Internationale furent des incarnations parfaites de ce que doit être l'organisation politique d'avant-garde du prolétariat ? Il est évident que non.

Le congrès de Gotha se tient quatre ans après l'écrasement de la Commune ; la 2e Internationale se fonde après près de vingt ans de prospérité capitaliste ininterrompue dans l'élan d'une poussée de grèves provoquée non par l'aggravation de l'exploitation due à une crise économique, mais par la prospérité elle-même qui situe le prolétariat en relative position de force. La séparation des crises cycliques du capitalisme, le progrès de la condition ouvrière par la lutte syndicale et parle­mentaire, créaient inévitablement des illusions parmi les ouvriers, même dans leur avant-garde.

Dans la vision marxiste, la révolution ne peut être provoquée que par une crise économique violente du capitalisme. L'éventualité d'une telle crise semblait s'éloi­gner au fur et à mesure que se prolongeait la prospérité. Les succès mêmes de la lutte pour des réformes crédi­bilisaient l'idée des réformistes de l'inutilité et de l'impossibilité de la révolution. Le fait même que les résultats de la lutte pour des réformes dépendent essentiellement du rapport de forces existant au niveau de chaque Etat­nation et non du rapport de forces international - comme c'est le cas pour la lutte révolutionnaire - enfermait de plus en plus l'organisation du combat dans le cadre national, les tâches, les conceptions internationalistes étant souvent réléguées à un second plan ou repoussées aux calendes grecques.

En 1898, sept ans après le congrès d'Erfurt, Bernstein formule dans l'Internationale la remise en question de la théorie marxiste des crises et l'inévitabilité de l'effondre­ment économique du capitalisme (celle-là même que rejette le GCI) : seule la lutte pour des réformes est viable, « Le but n'est rien, le mouvement est tout ».

Les groupes parlementaires du parti sont souvent facilement englués dans les filets de la logique du jeu démocratique bourgeois et les responsables syndicaux tendent à devenir trop « compréhensifs » à l'égard des impératifs de l'économie capitaliste nationale. L'ampleur du combat que menèrent Marx et Engels contre les tendances conciliatrices avec le réformisme au sein de la social-démocratie naissante, le combat des Luxemburg, Pannekoek, Gorter, Lénine, Trotsky, dans la social­démocratie dégénérescente sont une preuve de l'impor­tance du poids de cette forme de l'idéologie bourgeoise au sein des organisations prolétariennes... Mais le poids du réformisme dans la 2e Internationale ne fait pas plus de celle-ci un organe bourgeois que celui du réformisme proudhonien ne fit de l'AIT un instrument du capital.

Les organisations politiques du prolétariat n'ont jamais été un bloc monolithique de conceptions identiques. Qui plus est, les éléments les plus avancés s'y sont retrouvés souvent en minorité - comme nous l'avons illustré précédemment. Mais ces minorités qui vont de Marx et Engels aux gauches communistes des années 30 savaient que la vie des organisations politiques du prolétariat dépendait d'un combat non seulement contre l'ennemi dans la rue et les lieux de travail, mais aussi d'un combat permanent contre les influences bourgeoises - toujours présentes - au sein même de ces organisations.

Pour le GCI ce genre de combats était un non-sens, une aide à la contre-révolution.

  • « La présence de révolutionnaires marxistes (Pannekoek, Gorter, Lénine...), écrit le GCI, au sein de la 2e Internationale ne signifiait pas que cette dernière défendait les intérêts du prolétariat (tant "immédiats" qu'historiques) mais per­mettait de cautionner - par manque de rupture - toute la pratique contre-révolutionnaire de la social-démocratie. »

Remarquons en passant que voici Pannekoek, Gorter et Lénine, cette gauche d'une organisation séparée du communisme « ou une frontière de classe » élevés par le GCI soudain au rang de « révolutionnaires marxistes ». Merci pour eux. Mais ce faisant, le GCI nous laisse entendre que des organisations « de nature essentiellement bourgeoise » peuvent avoir une gauche constituée d'au­thentiques « révolutionnaires marxistes » ... et cela pendant des décennies ! C'est probablement la même « dialectique » qui conduit le GCI à considérer que l'aile gauche du stalinisme latino-américain (les maoïstes du « Sentier Lu­mineux » au Pérou) peuvent être dans ce pays « l'unique structure capable de donner une cohérence au nombre toujours croissant d'actions directes du prolétariat ».

N'en déplaise à nos dialecticiens punk, le stalinisme maoiste péruvien n'est pas plus « une structure capable de donner une cohérence » aux actions du prolétariat » que les « révolutionnaires marxistes » de la 2e Internationale ne furent des « cautions d'une pratique contre-révolutionnaire ».

Le prolétariat se prépare aujourd'hui à livrer des combats décisifs contre le système capitaliste qui ne parvient plus à se relever de la crise ouverte qui le frappe depuis maintenant près de vingt ans, depuis la fin de la reconstruction à la fin des années 60.

Marx et Engels, Rosa et Lénine, Pannekoek et Gorter n'étaient pas des imbéciles incohérents qui pensaient pouvoir lutter pour la révolution en militant et animant des organisations bourgeoises. C'étaient des révolution­naires qui, contrairement aux anarchistes - ... et au GCI - avaient une compréhension des conditions concrètes de la lutte ouvrière suivant les époques historiques du système

On peut critiquer le retard avec lequel un Lénine prit conscience de la gravité de la maladie opportuniste qui rongeait la 2e Internationale ; on peut critiquer l'incapacité de Rosa Luxemburg à mener un véritable travail organi­sationnel de fraction au sein de la social-démocratie dès le début du siècle, mais on ne peut rejeter la nature du combat qu'ils menèrent.

On doit par contre saluer la lucidité de Rosa Luxemburg qui, dès la fin du siècle dernier, fit la critique impitoyable du courant révisionniste qui s'affirmait au sein de la 2e Internationale tout comme la capacité des bolchéviks à s'organiser en fraction indépendante, avec ses propres moyens d'intervention au sein du Parti Ouvrier social­démocrate de Russie. C'est pour cela qu'ils purent être l'avant-garde du prolétariat dans la vague révolutionnaires de la fin de la première guerre mondiale.

Le GCI croit-il que c'est par hasard que ceux qu'il appelle parfois les « marxistes révolutionnaires » prove­naient de la social-démocratie et non de l'anarchisme ou autre courant ? Il est impossible de répondre à cette question élémentaire sans comprendre l'importance de la continuité des organisations politiques du prolétariat. Et ceci ne peut être compris sans comprendre l'analyse de la décadence du capitalisme.

Toute l'histoire de la 2e Internationale ne peut apparaître que comme un chaos dénué de sens si l'on n'a pas à l'esprit que son existence se situe dans la période charnière entre la période historique d'ascendance du capitalisme et celle de sa décadence.

Conclusion

Il part vers ces combats, relativement dégagé des mystifications que la contre-révolution stalinienne a fait peser sur lui pendant près de quarante ans ; ayant perdu dans les pays à vieille tradition de démocratie bourgeoise, ses illusions sur la lutte syndicale ou parlementaire, dans les pays moins développés les illusions sur le nationalisme anti-impérialiste.

Cependant, en se dégageant de ces mystifications, les prolétaires ne sont pas encore parvenus à se réapproprier toutes les leçons des luttes ouvrières du passé.

La tâche des communistes n'est pas d'organiser la classe ouvrière - comme le faisait la social-démocratie au 19e siècle. L'apport des communistes à la lutte ouvrière est essentiellement au niveau de la pratique consciente, de la praxis de la lutte. Et à ce niveau ce n'est pas tant par les réponses qu'ils contribuent, mais par la façon d'envisager, de poser les problèmes. C'est une conception du monde et une attitude pratique qui mettent toujours en avant les dimensions mondiale et historique de chaque question à laquelle est confrontée la lutte.

Ceux qui, tel le GCI, ignorent la dimension historique de la lutte ouvrière, en niant les différentes phases de la réalité du capitalisme, en niant la continuité réelle des organisations politiques du prolétariat, désarment la classe ouvrière au moment où elle a le plus besoin de se réapproprier sa propre conception du monde.

Il ne suffit pas d'être « pour la violence », « contre la démocratie bourgeoise » pour pouvoir se repérer et tracer à chaque moment des perspectives dans la lutte de classe. Loin de là. Entretenir des illusions à cet égard est dangereux et criminel.

RV.

[1] [15] Voir « Comprendre la décadence du capitalisme», Revue Internationale n° 48, 1e trimestre 1987, ainsi que « Comprendre les conséquences politiques de la décadence du capitalisme », Revue Internationale n° 49, 2e trimestre 1987.
[2] [16] Sauf indication contraire, toutes les citations du GCI sont tirées des articles «Théories de la décadence, décadence de la théorie » parus dans les n° 23 et 25 de Le Communiste, novembre 1985 et novembre 1986.
[3] [17] Rédigé par Marx, K. Marx, Oeuvres, La Pleiade, T. 1.
[4] [18] En réalité c'est la vieille rengaine des modernistes ou anarchistes « honteux », surtout depuis 1968.

Approfondir: 

  • Comprendre la décadence du capitalisme [19]

Questions théoriques: 

  • Décadence [20]

Polémique : réponse à « Battaglia Comunista » sur le cours historique

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Depuis 1968, les groupes révolutionnaires qui ont été amenés à former le CCI défendent le fait que la vague de luttes ouvrières qui a débuté cette année-là en France a marqué une nouvelle période dans le rapport de forces entre bourgeoisie et prolétariat : la fin de la longue période de contre-révolution consécutive au reflux de la vague révolutionnaire de 1917-23 ; l'ouverture d'un cours vers des confrontations de classe généralisées. Alors que l'accélération de l'écroulement de l'économie capitaliste ne pouvait que pousser la bourgeoisie vers une nouvelle guerre mondiale, cette même désintégration économique provoquait une forte résistance de la part d'une nouvelle génération d'ouvriers qui n'a pas connu la défaite. En conséquence, le capitalisme ne peut pas aller à la guerre sans, d'abord, écraser le prolétariat ; d'un autre côté, la combativité et la conscience croissantes du prolétariat conduisent inévitablement vers des combats de classe titanesques dont l'issue déterminera si la crise du capitalisme débouchera sur la guerre ou sur la révolution.

Il n'y a pas beaucoup de groupes du milieu politique prolétarien qui partagent cette vision du cours historique, et c'est le cas en particulier du courant le plus important en dehors du CCI, le Bureau International pour le Parti Révolutionnaire (BIPR). Après une longue période pendant laquelle le BIPR montrait peu ou pas d'intérêt à discuter avec le CCI, on ne peut que saluer sa récente contribution sur cette question parue dans « Battaglia Comunista » (BC), publication de l'organisation du BIPR en Italie : le Parti Communiste Internationaliste (article « Le CCI et le cours historique : une méthode erronée », BC n° 83, mars 87, publié en anglais dans la « Communist Review » n° 5). Cela, non seulement parce que le texte contient des passages qui indiquent que BC s'éveille à certaines réalités de la situation mondiale actuelle, en particulier la fin de la contre-révolution et les « signes » — au moins cela — d'une reprise des luttes de classe. Mais aussi parce que, même là où le texte défend des positions fondamentalement erronées, il pose les questions essentielles : le problème de la méthode marxiste dans la compréhension de la dynamique de la réalité ; les conditions qui permettent le déchaînement d'une nouvelle guerre mondiale ; le niveau réel de la lutte de classe aujourd'hui, et l'approche de cette question qu'a faite notre ancêtre commun, la Fraction Italienne de la Gauche Communiste dans les années 1930 et 1940.

 

La méthode marxiste : indiquer la direction ou agnosticisme ?

 

Dans la Revue Internationale n° 36 nous avons publié une autre polémique avec BC sur la question du cours historique (« Le cours historique : les années 80 ne sont pas les années 30 »). Un texte émanant du 5e Congrès de BC avait affirmé qu'il n'était pas possible de dire si les tourmentes sociales provoquées par la crise éclateraient avant, pendant ou après une guerre impérialiste mondiale. Dans notre réponse, ainsi que dans un texte de base sur le cours historique émanant de notre 3e Congrès en 1979 (voir Revue Internationale n° 18), nous disions que c'est une tâche cruciale et fondamentale des révolutionnaires que d'indiquer la direction générale dans laquelle évoluent les événements sociaux. C'est dommage que le texte de BC ne réponde pas vraiment à ces arguments. En fait, il ne fait pas grand chose d'autre que citer de nouveau le passage que nous avons longuement critiqué dans la Revue Internationale n° 36 ! Mais dans une autre partie de l'article, BC essaie au moins d'expliquer pourquoi il lui semble nécessaire de maintenir une attitude agnostique, considérant qu'il est impossible de se déterminer au sujet du cours historique ; et, plutôt que de répéter simplement tous les arguments qui sont contenus dans nos deux précédents articles, on va répondre à cette nouvelle « explication ».

Voici comment BC pose le problème :

« En ce qui concerne le problème que le CCI nous pose, de devenir des prophètes exacts du futur, la difficulté est que la subjectivité ne suit pas mécaniquement les mouve­ments objectifs. Bien qu'on puisse suivre de manière précise les tendances et les probables contre-tendances dans les structures du monde économique, ainsi que leurs rapports réciproques, il n'en va pas de même pour ce qui concerne le monde subjectif, ni pour la bourgeoisie ni pour le prolétariat. Personne ne peut croire que la maturation de la conscience, même de la plus élémentaire conscience de classe, puisse être déterminée de manière rigide à partir de données observables et mises dans un rapport rationnel. »

Il est parfaitement exact que les facteurs subjectifs ne sont pas déterminés mécaniquement par les facteurs objectifs et que, en conséquence, il n'est pas possible de faire des prédictions exactes sur les lieu et place des luttes prolétariennes à venir. Mais cela ne veut pas dire qu'historiquement le marxisme se soit confiné à prédire seulement les tendances de l'économie capitaliste. Au contraire : dans le Manifeste Communiste, Marx et Engels ont défini les communistes comme ceux qui « ont l'avantage d'une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien ». Et durant toute leur vie ils ont essayé de mettre en pratique cette proposition théorique, alignant étroitement leur activité organisationnelle sur les perspectives qu'ils traçaient pour la lutte des classes (soulignant la nécessité de réflexion théorique après les défaites des révolutions de 1848, pour la formation des 1ére et 2e Internationales dans des périodes de reprise des luttes, etc. ). Ils se sont parfois trompés et ont dû réviser leurs prédictions, mais ils n'ont jamais abandonné l'effort qui a fait d'eux les éléments qui ont vu le plus loin dans le mouvement prolétarien. De même, les positions révolutionnaires intransigeantes adoptées par Lénine en 1914 et en 1917 se basaient sur une confiance inébranlable dans le fait que les horreurs « objectives » de la guerre impérialiste faisaient mûrir en profondeur la conscience de classe du prolétariat. Et quand la Fraction italienne dans les années 30 a insisté si fortement sur la nécessité de fonder toute son activité sur une analyse adéquate du cours historique, elle ne faisait que suivre la même tradition. Et ce qui s'applique à la dimension historique plus large s'applique aussi à la lutte immédiate ; afin de pouvoir intervenir concrètement dans un mouve­ment de grève, les communistes doivent développer leur capacité d'évaluer et réévaluer la dynamique et la direction des luttes. Le fait d'avoir affaire à des facteurs « subjectifs » n'a jamais empêché les marxistes d'accomplir ce travail essentiel.

 

Les conditions de la guerre généralisée aujourd'hui

 

Le CCI a toujours soutenu que, pour pouvoir envoyer le prolétariat à une nouvelle guerre, le capitalisme a besoin d'une situation caractérisée par « l'adhésion crois­sante des ouvriers aux valeurs capitalistes (et à leurs représentants politiques et syndicaux) et une combativité qui soit tend à disparaître, soit apparaît au sein d'une perspective totalement contrôlée par la bourgeoisie » (Revue Internationale n° 36, « Cours historique : les années 80 ne sont pas les années 30 »).

Peut-être parce qu'il ne veut pas continuer à insister (comme il la fait dans le passé) sur le fait que le prolétariat est encore aujourd'hui écrasé par le talon de fer de la contre-révolution, BC fournit une nouvelle réponse :

«...la forme de guerre, ses moyens techniques, son rythme, ses caractéristiques par rapport à l'ensemble de la population, ont beaucoup changé depuis 1939. Plus pré­cisément, la guerre aujourd'hui nécessite moins de consensus ou de passivité de la part de la classe ouvrière que les guerres d'hier. Qu'il soit clair que nous ne sommes pas en train de théoriser la séparation complète du "militaire" et du "civil" qui, particulièrement au niveau de la production, sont de plus en plus interconnectés. Plutôt, nous voulons mettre en relation la rapidité et le haut contenu technique de la guerre, avec son cadre économique, politique et social. Cette relation est telle que l'engagement dans des actions de guerre est possible sans l'accord du prolétariat. Chaque bourgeoisie est capable de compter sur sa victoire pour rétablir un consensus ainsi que sur les autres choses qu'amène la victoire : occupation de territoires, etc. Et il est évident que chaque bourgeoisie entre en guerre en pensant à la victoire. »

En lisant ce passage, il est difficile de comprendre de quelle guerre parle BC. Les conditions mentionnées ci-dessus pourraient s'appliquer à des aventures impérialistes très limitées telles que les divers raids et expéditions que l'Occident a faits au Proche-Orient — quoique même ces actions doivent s'accompagner de campagnes idéologiques intenses pour embobiner le prolétariat sur ce qui est en train de se passer. Mais nous ne parlons pas d'actions limitées ou locales mais de guerre mondiale, une troisième guerre mondiale dans un siècle où les guerres ont été chaque fois plus globales — embrassant la planète entière —  et totales, exigeant la coopération active et la mobilisation de toute la population. BC suggérer ait-il sérieusement que la 3e guerre mondiale pourrait se faire avec des armées professionnelles, sur un champ de bataille « distant », et que l'« interconnexion » des secteurs civils et militaires qui s'ensuivrait n'imposerait pas des sacrifices monstrueux à toute la population travailleuse ? Avec une vision si moyenâgeuse de la guerre mondiale, il n'est pas surprenant que BC puisse encore avoir des espoirs sur une révolution prolétarienne victorieuse pendant et même après le prochain conflit mondial ! Ou alors, par « moyens techniques » et « rythme », BC veut dire que la 3e guerre commencera d'emblée par le bouton qu'on appuie et qui déclenche la guerre atomique. Mais, si c'est le cas, cela n'a aucun sens de parler de victoire de la bourgeoisie ou du prolétariat, vu que le monde serait réduit à des décombres.

En fait, il est pratiquement certain que l'escalade d'une troisième guerre mondiale aboutirait à l'holocauste nu­cléaire, ce qui est une raison suffisante pour ne pas parler à la légère de la révolution prolétarienne émergeant pendant ou après la prochaine guerre. Mais nous sommes d'accord sur le fait que « chaque bourgeoisie va à la guerre en pensant à la victoire ». C'est pourquoi la bourgeoisie ne veut pas plonger tout de suite dans la guerre nucléaire, c’est pourquoi elle dépense des milliards à chercher des moyens de gagner la guerre sans tout annihiler au passage. La classe dominante sait aussi que les enjeux essentiels de la prochaine guerre seraient les cœurs industriels de l'Europe. Et elle est certainement assez intelligente pour reconnaître que pour que l'Occident puisse occuper l'Europe de l'Est ou pour que la Russie s'empare des richesses de l'Europe de l'Ouest, il faudrait l'engagement et la mobilisation totale des masses prolé­tariennes, soit dans les fronts militaires soit dans les lieux de production, et cela particulièrement en Europe.

Mais pour que cela soit possible, la bourgeoisie doit s'assurer au préalable non seulement de la « passivité » de la classe ouvrière, mais de son adhésion active aux idéologies de guerre de ses exploiteurs. Et c'est précisé­ment de cela que la bourgeoisie ne peut pas s'assurer aujourd'hui.

 

Le resurgissement historique du prolétariat

 

En 1982 le texte du congrès de BC disait que « si le prolétariat aujourd'hui, confronté à la gravité de la crise et subissant les coups répétés des attaques bourgeoises, ne s'est pas encore montré capable de riposter, cela signifie simplement que le long travail de la contre-révolution mondiale est encore actif dans les consciences ouvrières » ; que le prolétariat aujourd'hui « est fatigué et déçu, bien que pas définitivement battu ».

Le texte de BC le plus récent sur le sujet dénote un progrès certain sur ce point. Pour la première fois, il constate sans équivoque que « la période contre-révolu­tionnaire qui a suivi la défaite de la révolution d'octobre a pris fin » et qu'« il ne manque pas de signes d'une reprise de la lutte de classe et on ne manque pas de les signaler ». Et en fait on a déjà signalé que les pages de Battaglia ont montré un suivi conséquent des mouvements de classe massifs en Belgique, France, Yougoslavie, Espagne, etc.

Cependant, l'attitude sous-jacente du BIPR demeure une attitude de profonde sous-estimation de la profondeur réelle de la lutte de classe aujourd'hui et c'est cela par­dessus tout qui le rend incapable de voir à quel point le prolétariat représente un obstacle aux plans de guerre de la bourgeoisie ([1] [21]).

Battaglia a peut-être remarqué quelques « signes » de riposte de la classe ouvrière dans les années 86-87. Mais ces « signes » sont en réalité le point le plus avancé d'une succession de vagues internationales qui remontent à mai 68 en France. Mais quand la première de ces vagues s'est manifestée, que ce fût en France en 1968 ou lors de l'« automne chaud » en Italie (1969), Battaglia n'y a pas attaché d'importance, les qualifiant d'éruptions bruyantes des couches petites-bourgeoises étudiantes ; elle a ridiculisé les arguments des prédécesseurs du CCI sur l'ouverture d'une nouvelle période et puis est retournée se coucher. Lors de son 5e congrès, en 1982, elle projetait encore sa propre fatigue sur le prolétariat, malgré le fait qu'il y avait déjà eu une seconde vague de luttes entre 78 et 81, qui a culminé dans les grèves de masses en Pologne. Et, après un court reflux après 1981, une nouvelle vague a débuté en Belgique, en septembre 83 ; mais ce n'est qu'en 86, trois ans après le début de cette vague, que BC a commencé à voir les « signes » d'une reprise des luttes de classe ! Ce n'est donc pas surprenant que BC ait du mal à voir où va le mouvement de la classe, vu l'ignorance qu'il a d'où il vient. Typique de cet aveuglement, même par rapport au passé, est cet extrait de son dernier article selon lequel : « après 74 et 79 la crise  a poussé  la  bourgeoisie  à  asséner  des  attaques beaucoup plus sérieuses sur la classe ouvrière, mais la combativité ouvrière qui a été tellement saluée, n'a pas augmenté». La vague de luttes de 78 à 81 se trouve donc effacée de l'histoire...

N'interprétant les luttes actuelles que comme un premier et timide début de reprise des luttes plutôt que de les situer dans une dynamique historique en évolution depuis presque vingt ans, BC est par conséquent incapable de mesurer la réelle maturation de la conscience de classe qui a été à la fois un produit et un facteur actif de ces luttes.

Ainsi, quand le CCI dit que les idéologies que le capitalisme utilisait afin de mobiliser la classe pour la guerre dans les années 30 — fascisme/anti-fascisme, défense de la Russie « socialiste », etc. — sont maintenant usées, discréditées aux yeux des ouvriers, Battaglia affirme que la bourgeoisie peut toujours trouver des alternatives au stalinisme ou aux campagnes sur fascisme/antifascisme des années 30. Mais, assez curieusement, il ne nous dit pas lesquelles. Si, par exemple, quand il parle de trouver d'« autres obstacles » au stalinisme il veut dire des obstacles à la gauche du stalinisme, cela apporte de l'eau à notre moulin : parce que quand la bourgeoisie est obligée de mettre son extrême gauche en première ligne pour faire face à la menace prolétarienne, cela ne fait que traduire un processus réel de radicalisation qui s'opère dans la classe.

La vérité est que le désengagement croissant du prolétariat des principales idéologies et institutions de la société bourgeoise est un problème réel pour la classe dominante, en particulier quand elle affecte les principaux organismes chargés de discipliner les ouvriers : les syndi­cats. Et, à ce niveau, BC semble particulièrement aveugle à ce qui se passe dans la classe ouvrière :

«Le CCI devrait indiquer ici les termes dans lesquels se présente le cours qu'ils ont adopté : une renaissance de la combativité, la faillite des vieux mythes, la tendance à se débarrasser des entraves syndicales... Comme il n'existe pas de réelles pièces à conviction (de cela)... il lui est nécessaire de tricher avec la réalité, l'exagérer, la distordre, l'inventer. »

Ainsi, la tendance croissante à la désyndicalisation (dont la presse bourgeoise se lamente dans beaucoup de pays), le nombre croissant de grèves qui éclatent spontanément, ignorant ou débordant les directives syndicales (comme en Belgique en 83 et 86, au Danemark en 85, la grève de British Telecom début 86, les cheminots en France, les mineurs et métallurgistes en Espagne, et beaucoup d'autres mouvements), les ouvriers qui de plus en plus souvent huent les discours syndicaux, ignorent les pseudo­ actions syndicales ou les transforment en vraies actions de classe, l'apparition de formes d'auto organisation ou­vrière indépendantes et unitaires (comme à Rotterdam en 1979, en Pologne en 1980, en France fin 86-début 87 avec la grève des cheminots, ou la grève des enseignants en France et en Italie...), le surgissement de noyaux d'ouvriers combatifs en dehors des structures syndicales (Italie, Belgique, France, Grande-Bretagne...) toutes ces « pièces à conviction » sur « la tendance à se débarrasser des entraves syndicales» que la presse du CCI suit et commente depuis des années, tout cela ne serait que « pure invention » de notre part, ou au mieux, une « distorsion » de la réalité.

 

Est-ce que la lutte de classe affecte la bourgeoisie ?

 

Si l'idée d'une marée montante de résistance proléta­rienne n'est qu'une pure invention du CCI, alors il devrait s'ensuivre que la bourgeoisie n'a pas à prendre la classe ouvrière en considération lorsqu'elle élabore ses stratégies économiques ou politiques. Et BC n'hésite pas à tirer cette conclusion :

«Il n'existe pas une seule politique dans l’économie politique des pays métropolitains (à l'exception peut-être de la Pologne et la Roumanie) qui ait été modifiée par la bourgeoisie par suite de luttes du prolétariat ou de fractions de celui-ci. »

Si ce que Battaglia veut dire est que la bourgeoisie n'élabore pas ses attaques économiques (ou ses campagnes de propagande, ses stratégies électorales, etc.) en antici­pant sûr les réactions qu'elles vont provoquer chez les ouvriers alors il prend la bourgeoisie pour une imbécile — erreur que les marxistes peuvent difficilement se permettre. En même temps, BC laisse entendre que les bourgeoisies polonaise et roumaine seraient les plus rusées du monde ! En fait, ce n'est pas un hasard si ces deux exemples sont cités. La forme stalinienne de capitalisme d'Etat met souvent plus en relief des tendances qui sont moins évidentes parce que plus banales dans les variantes occidentales du capitalisme d'Etat. On peut toutefois se demander quelles modifications de la politique de la bourgeoisie BC discerne en Roumanie jusqu'à présent. Quant aux modifications de la politique de la bourgeoisie en Pologne pour mieux attaquer la classe ouvrière, qu'on a vues à l'œuvre face à la lutte de classe en 1980 : fausse libéralisation, utilisation du syndicalisme « rénové » à la sauce Solidarnosc, étalement des attaques dans le temps, etc., ce sont celles employées couramment depuis des décennies en Occident. Ce sont les mêmes que Gorbatchev veut généraliser à l'ensemble de son bloc pour mieux confronter la lutte de classe renaissante. Même les fractions les plus rigides et brutales de la bourgeoisie sont aujourd'hui amenées à modifier et adapter leur politique pour mieux confronter la lutte de classe en plein développement.

Par ailleurs, dire que le prolétariat, malgré toutes les luttes massives de ces dernières années, n'a aucunement réussi à faire reculer les mesures d'austérité de la classe dominante, c'est dénier toute signification aux luttes défensives de la classe. Logiquement cela impliquerait que seule la lutte immédiate pour la révolution peut défendre les intérêts ouvriers. Mais, bien qu'en termes globaux il soit vrai que la révolution est la seule ultime défense du prolétariat, il est aussi vrai que les luttes actuelles de la classe sur le terrain des revendications économiques ont à la fois retenu la bourgeoisie de faire des attaques encore plus sauvages, et, dans bon nombre de circonstances, obligé la bourgeoisie à remettre des attaques qu'elle essayait d'imposer. L'exemple de la Belgique en 86 est particulièrement significatif à ce sujet, parce que c'est la menace réelle d'unification des luttes qui a obligé la bourgeoisie à reculer temporairement.

Mais la signification la plus profonde de la capacité prolétarienne à faire reculer les attaques économiques de la classe dominante c'est qu'elle représente aussi la résistance du prolétariat à la poussée du capitalisme vers la guerre. Parce que si la bourgeoisie ne peut pas obliger les ouvriers à se résigner à faire des sacrifices toujours plus lourds au nom de l'économie nationale, elle ne pourra pas plus mettre en place la militarisation du travail que requiert une guerre impérialiste.

Pour Battaglia, cependant, le prolétariat n'est pas encore à la hauteur. Les preuves que nous donnons d'un désengagement croissant de l'idéologie bourgeoise, d'une combativité et d'une conscience en développement, tout cela en fait, «présenté par le CCI comme une "preuve', est extrêmement faible et insuffisant pour caractériser un cours historique. »

Le fait est que pour Battaglia, la seule chose qui pourrait avoir un effet quelconque sur la poussée à la guerre est la révolution elle-même. Notre texte de 1979 répondait déjà à cet argument : « Certains groupes, tel "Battaglia Comunista", estiment que la riposte prolétarienne à la crise est insuffisante pour constituer un obstacle au cours vers la guerre impérialiste. Ils estiment que les luttes devraient être "de nature révolutionnaire" pour qu'elles puissent contrecarrer réellement ce cours et basent leur argumentation sur le fait qu'en 1917-18, c'est la révolution seule qui a mis fin à la guerre impérialiste. En fait, ils commettent une erreur en essayant de transposer un schéma en soi juste sur une situation qui n'y rentre pas. Effecti­vement, un surgissement du prolétariat dans et contre la guerre prend d'emblée la forme d'une révolution :

—  parce que la société est alors plongée dans la forme la plus extrême de sa crise, celle qui impose aux prolétaires les sacrifices les plus terribles,

—  parce  que  les prolétaires  en   uniforme  sont  déjà armés,

—  parce que les mesures d'exception (loi martiale, etc.) qui sévissent alors rendent tout affrontement de classe plus violent et frontal,

—  parce que la lutte contre la guerre prend immédiatement une forme politique  d'affrontement avec l'Etat qui mène la guerre sans passer par l'étape de luttes économiques qui, elles, sont beaucoup moins frontales.

Mais toute autre est la situation quand la guerre ne s'est pas encore déclarée.

Dans ces circonstances, toute tendance, même limitée à la montée des luttes sur un terrain de classe suffit à enrayer l'engrenage dans la mesure où :

—  elle traduit un manque d'adhésion des ouvriers aux mystifications capitalistes,

—  l'imposition aux travailleurs de sacrifices bien plus grands que ceux qui ont provoqué les premières réactions risque de déclencher de leur part une réplique en proportion. » (« Revue Internationale » n° 18, « Le Cours historique », p. 23.)

Ce à quoi nous ne pouvons qu'ajouter qu'aujourd'hui, pour la première fois dans l'histoire, on se dirige vers une confrontation de classes généralisée provoquée non par une guerre mais par une crise économique qui s'étend dans le temps. Le mouvement de luttes qui pose les fondations pour cette confrontation est par conséquent lui-même très long et paraît même très peu spectaculaire en comparaison aux événements de 1917-18. Néanmoins, rester fixé sur les images de la première vague révolutionnaire et méses­timer les luttes actuelles, c'est bien la dernière chose à faire pour se préparer aux explosions sociales massives qui vont venir.

La Fraction Italienne et le cours de l'histoire

 

La manière dont le CCI pose la question du cours historique se base en grande partie sur la méthode de la Fraction Italienne de la Gauche communiste, dont l'activité politique, dans les années 30 était fondée sur la recon­naissance du fait que la défaite de la vague révolutionnaire de 1917-23 et l'assaut de la crise de 1929 avaient ouvert un cours vers la guerre impérialiste.

Bien que le Parti Communiste Internationaliste reven­dique aussi une continuité organique avec la Fraction, il n'a pas réellement assimilé beaucoup de ses contributions les plus vitales, et cela est particulièrement vrai par rapport à la question du cours historique. Ainsi, alors que ce que nous voyons dans la clarté avec laquelle la Fraction traite ce problème c'est que cela lui a permis d'apporter une réponse internationaliste aux événements d'Espagne 1936-39 — contrairement à tous les autres courants prolétariens, du trotskysme à Union Communiste et la minorité de la Fraction elle-même, qui ont succombé à des degrés divers à l'idéologie de l'antifascisme — Battaglia est seulement avide de trouver l'« erreur méthodologique » de la Fraction :

«La Fraction (spécialement son CE. et en particulier Vercesi) dans les années 30, ont évalué la perspective comme étant vers la guerre de manière absolue. Avaient-ils raison ? Certes, les faits leur ont donné intégralement raison. Mais même alors le fait de faire du cours quelque chose d'absolu a conduit la Fraction à faire des erreurs politiques...

L'erreur politique était la liquidation de toute possibilité d'intervention politique révolutionnaire en Espagne avant la défaite réelle du prolétariat, avec le consécutif durcisse­ment des divergences entre la minorité et la majorité sur une base où aucune des deux n'était à son avantage. Les "internationalistes" se sont laissés absorber par les milices du POUM dont ils ont vite été déçus et sont retournés à la Fraction. La majorité est restée à regarder et pontifier : "II n'y a rien à faire..." »

Revenant au CCI aujourd'hui, Battaglia poursuit :

« Aujourd'hui l'erreur du CCI est fondamentalement la même, même si l'objet est inversé. On fait un absolu du cours vers les affrontements avant la guerre ; toute l'attention est tournée vers cette ingénieuse et irresponsable sous-évaluation de ce qui est devant les yeux de tout le monde en ce qui concerne la course de la bourgeoisie à la guerre. »

Ce passage est rempli d'erreurs. Pour commencer, BC semble mélanger les notions de cours et celle de tendances produites par la crise. Quand il nous accuse de « faire un absolu » du cours vers les affrontements de classe il semble penser que nous voulons nier la tendance à la guerre. Mais ce que nous voulons dire par cours aux affrontements de classe est que la tendance à la guerre — permanente en décadence et aggravée par la crise — est entravée par la contre tendance aux soulèvements prolétariens. Par ailleurs, ce cours n'est ni absolu ni éternel : il peut être remis en question par une série de défaites de la classe ouvrière. En fait, simplement parce que la bourgeoisie est la classe dominante de la société, un cours vers les affrontements de classe est plus fragile et réversible qu'un cours à la guerre.

Deuxièmement, BC déforme complètement l'histoire de la Fraction ; nous ne développerons pas ici en détail l'histoire complexe des groupes de la Gauche commu­niste ([2] [22]). Il faut cependant préciser rapidement quelques points.

Ce n'est pas vrai que la position de la majorité était qu'« il n'y avait rien à faire ». Alors qu'elle s'opposait à toute idée d'engagement dans les milices antifascistes, la majorité a envoyé une délégation de camarades en Espagne pour étudier la possibilité de créer un noyau communiste sur place, malgré le danger évident que représentaient les troupes de choc staliniennes : ces camarades ont manqué de peu se faire assassiner à Barcelone. En même temps, en dehors de l'Espagne, les Fractions italienne et belge (et aussi mexicaine : « Groupe ouvrier marxiste ») ont émis un certain nombre d'appels dénonçant le massacre en Espagne et insistant sur le fait que la meilleure solidarité avec les ouvriers espagnols était que les prolétaires des autres pays se mettent en lutte pour leurs propres revendications.

C'est vrai que, devant la 2e guerre mondiale, une tendance s'est cristallisée autour de Vercesi, qui niait « l'existence du prolétariat pendant la guerre » et rejetait toute possibilité d'activité révolutionnaire. C'est aussi vrai que les Fractions de gauche en général ont plongé dans le désarroi et l'inactivité peu avant l'éclatement de la guerre. Mais la source de ces erreurs réside précisément dans l'abandon de leur précédente clarté sur le cours historique. La théorie, formulée surtout par Vercesi, d'une « économie de guerre » qui aurait surmonté les crises de surproduction et par conséquent toutes autres guerres, preuve d'une solidarité inter-impérialiste pour écraser le danger prolétarien, a abouti à la disparition de la revue « Bilan » et la publication d'« Octobre » qui se voulait une anticipation d'une nouvelle reprise révolutionnaire. Les Fractions s'en sont trouvées complètement désarmées à la veille de la guerre : loin de « fixer toute leur attention sur la guerre » comme le dit BC, « Octobre » a interprété l'occupation de la Tchécoslovaquie et les accords de Munich comme des tentatives désespérées de prévenir la révolution ! Il faut dire qu'une minorité significative de l'organisation s'est opposée à cette révision radicale des analyses précédentes de la Fraction. Quelques-uns des porte-parole les plus clairs de cette minorité ont été réduits à silence dans les camps de mort nazis. Mais en France on a continué à défendre cette position même pendant la guerre ; et ce n'est pas par hasard que les mêmes camarades qui ont insisté sur la nécessité de poursuivre l'activité communiste pendant la guerre ont aussi été capables de résister à la fièvre activiste qu'ont provoquée les mouvements prolétariens en Italie en 1943, quand la majorité des camarades de la Gauche Italienne y ont vu un nouveau 1917 décident que le moment de former le parti était venu. Le Parti Communiste Internationaliste est l'héritier direct de cette erreur de mé­thode ([3] [23]).

Dans ce contexte, cela vaut aussi la peine de signaler que les éléments de la minorité « internationaliste » ne sont pas retournés à la Fraction comme le dit BC. Ils sont revenus à Union Communiste, qui était à mi-chemin entre la gauche communiste et le trotskysme. Et après 1943 ils sont retournés... au Parti Communiste Internatio­naliste. Ils se sentaient sans doute plus à l'aise dans une organisation dont les ambiguïtés concernant les formations de partisans en Italie étaient sensiblement les mêmes que leurs propres ambiguïtés envers les milices antifascistes en Espagne... ([4] [24]). De même Vercesi, d'abord opposé à la formation prématurée du parti, finit par le rejoindre dans l'activisme et la confusion après avoir participé à un « comité anti-fasciste » à Bruxelles !

 

Le danger qui guette Battaglia

 

Comme nous venons de le voir, les origines mêmes de Battaglia reposent sur une analyse erronée du cours historique. La formation précipitée du PCI pendant la 2e guerre mondiale a abouti à un abandon de la clarté qu'avait atteinte Bilan sur beaucoup de points, en parti­culier sur les questions de « fraction », « parti » ou « cours historique ». Ces erreurs ont atteint leur forme la plus caricaturale dans le courant « bordiguiste » qui a scissionné du courant de Battaglia en 1952 ; mais c'est très difficile pour ce dernier de dépasser les ambiguïtés qui lui restent sans remettre en question ses propres origines.

Dans son récent article BC affirme que les erreurs de méthode du CCI, ses déformations de la réalité, ont entraîné des scissions et en amèneront d'autres. Mais le fait est que les pronostics du CCI se sont avérés fondamentalement justes depuis 1968. Nous avons été les premiers à réaffirmer la réapparition de la crise historique à la fin des années 60. Nos prédictions sur le développement de la lutte de classes se sont confirmées avec les différentes vagues qui ont eu lieu depuis lors. Et, malgré tous les sarcasmes et les incompréhensions du milieu politique, il devient de plus en plus évident que la « gauche dans l'opposition » est bien la stratégie politique essentielle de la bourgeoisie dans la période actuelle. Ceci n'est pas pour dire que nous n'avons pas fait des erreurs ou subi des scissions. Mais avec un cadre d'analyses qui est fondamentalement valable, dans une période pleine de possibilités pour le travail révolutionnaire, les erreurs peuvent se corriger et les scissions peuvent aboutir à un renforcement de l'organisation.

Le danger qui guette Battaglia est d'un ordre différent. Il est tellement attaché à sa fausse analyse du cours historique, tellement lié à un certain nombre de conceptions politiques dépassées, qu'il risque de voir éclater l'« homogénéité » dont il fait montre aujourd'hui en une série d'explosions provoquées par la pression constante de la lutte de classe, la contradiction croissante entre ses analyses et la réalité de la lutte des classes.

Que cela plaise à Battaglia ou pas, nous allons vers des confrontations de classe immenses. Les courants qui n'y seront pas préparés risquent de se faire emporter par le souffle de l'explosion.

MU



[1] [25] On parle ici à un niveau général. A certains moments — et en totale contradiction avec l'article auquel nous répondons ici — Battaglia va même jusqu'à appuyer la thèse selon laquelle le capitalisme doit d'abord réduire à silence le prolétariat avant de pouvoir l'envoyer à la guerre. Ainsi, dans le même numéro de Battaglia où est paru cet article, on peut lire un article « Réaffirmons quelques vérités sur la lutte de classes » qui dit : « réaffirmons pour la nième fois aux ouvriers que ne pas lutter contre les sacrifices qu'impose la bourgeoisie revient à laisser la bourgeoisie consolider la paix sociale requise comme prélude à une troisième guerre impérialiste. » (Souligné par nous).

 

[2] [26] Voir notre brochure « La Gauche communiste d'Italie ».

[3] [27] On trouvera une documentation plus fournie sur la réponse de la Fraction à la guerre en Espagne et la 2e guerre mondiale dans notre brochure « La Gauche Communiste d'Italie ».

[4] [28] Sur les ambiguïtés du PCI sur la question des partisans, voir la Revue Internationale n° 8 : « Les ambiguïtés sur "les partisans" dans la constitution du PCI en Italie 1943 ».

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [29]
  • Battaglia Comunista [30]

Approfondir: 

  • Polémique dans le milieu politique : sur le cours historique [31]

Questions théoriques: 

  • Le cours historique [32]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La décadence du capitalisme [33]

La gauche hollandaise de 1914 au début des années 1920 (3° partie)

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L'ANNEE 1918 : ENTRE LA REVOLUTION ET L'OPPORTUNISME, LA NAISSANCE DU PARTI COMMUNISTE HOLLANDAIS

L'année 1918 est une année décisive pour le mouvement révolutionnaire hollandais. La minorité du SDP, constituée de différentes fractions, devient une opposition structurée contre l'opportunisme de la direction Wijnkoop-Van Ravesteyn. Cette opposition se développe numériquement au rythme de la croissance du SDP, qui se proclame en novembre Parti communiste, au moment où la révolution frappe aux portes des Pays-Bas.

L'offensive de la minorité dans le SDP: entre la fraction et l'opposition

Au printemps 1918, le SDP connaît une crise sans précédent en son sein. La minorité est directement menacée d'écrasement par la direction autoritaire de Wijnkoop. Celui-ci fait suspendre — phénomène inouï dans l'histoire du SDP — la section de La Haye, Tune des plus combatives dans l'opposition à Wijnkoop. Cette suspension venait après plusieurs exclusions individuelles de militants de l'opposition. Ces mesures, en contradiction avec la démocratie ouvrière, faisaient apparaître la direction comme de dignes émules de Troelstra.

L'opposition ne tarda pas à se regrouper, lors d'une réunion commune tenue le 26 mai 1918. Elle était composée de groupes qui jusqu'ici avaient réagi de façon dispersée à l'opportunisme dans la SDP:

—   l'Union de propagande Gauche de Zimmerwald, d'Amsterdam, dirigée par Van Reesema, qui œuvrait pour le rattachement du parti à la gauche bolchevik ;

—   le groupe de Luteraan, à Amsterdam, en relation étroite avec Gorter ;

—   le groupe de Rotterdam ;

—   la section de La Haye.

L'opposition représentait un tiers des militants du parti. Elle se dota d'un organe bimensuel, «De Internationale», dès juin. Une commission de rédaction était mise en place. La commission de presse, qui se réunissait tous les trois mois, et était composée des représentants des 4 groupes ([1] [34]) formait dans les faits un organe exécutif. Cette opposition était bien près de former une fraction à l'intérieur du SDP, avec son journal et sa commission. Il lui manquait, cependant, une plate-forme clairement établie, faute d'homogénéité. Elle souffrait aussi cruelle­ment de l'absence de Gorter, qui de Suisse ne contribuait aux débats que sous forme d'articles, dont la parution était d'ailleurs soumise à la mauvaise volonté de la rédaction de « De Tribune », entièrement contrôlée par Wijnkoop et Van Ravesteyn. ([2] [35])

La cause de ce regroupement des oppositions était l'hostilité croissante à la politique du parti, de plus en plus tournée vers les élections. Celles-ci, qui s'étaient déroulées, le 3 juillet, avaient été un véritable succès pour le SDP. Pour la première fois, il siégeait au Parlement : Wijnkoop et Ravesteyn devenaient députés, cela avait été rendu possible par une alliance avec le petit parti socialiste (S. P.), sorti du SDAP en 1917. Celui-ci dirigé par un chef du NAS — Kolthek ([3] [36]) — était ouvertement pro Entente. Avec les chrétiens sociaux, autre composan­te de ce «front uni» électoral, il obtenait un siège à l'As­semblée.

L'opposition, par suite de cette alliance, qu'elle dénon­çait comme une «union monstrueuse» avec les éléments syndicalistes pro Entente, souligna que le succès électoral était un succès démagogique. Les voix glanées chez les militants syndicalistes du NAS l'avaient été par une campagne qui apparaissait comme un soutien à la politique des USA. Alors que les Etats-Unis retenaient dans ses ports la flotte de commerce hollandaise, pour l'utiliser dans la guerre contre l'Allemagne, en échange de denrées alimentaires pour les Pays-Bas, Wijnkoop affirmait que tous les moyens étaient bons pour obtenir des USA ces denrées. Une telle politique fut vivement dénoncée par Gorter et la section de Bussum, mais beaucoup plus tard, en novembre. Avec Gorter, l'opposition voyait de plus en plus en Wijnkoop un nouveau Troelstra, dont l'amour pour la révolution russe était «purement platonique» et la politique purement parlementaire ([4] [37]).

L'approche de la fin de la guerre, avec les événements révolutionnaires qui l'accompagnèrent, plaça au second plan la lutte de l'opposition contre la politique pro Entente de Wijnkoop. De plus en plus elle souligna ([5] [38]) le danger d'une politique parlementaire. Elle combattit avec force le syndicalisme révolutionnaire, celui du NAS, qui s'était mis à travailler avec le syndicat réformiste NVV, soumis au parti Troelstra. En germe, se trouve la politique anti­parlementaire et antisyndicale de la future Gauche Com­muniste hollandaise. Cette politique signifiait une rupture avec l'ancien «tribunisme».

La révolution avortée de novembre 1918

C'est un parti en pleine croissance numérique, mais menacé d'éclatement, qui subit l'épreuve du feu des événements révolutionnaires de novembre.

Ce sont les événements en Allemagne, où le gouver­nement est tombé fin octobre, qui créent une véritable atmosphère révolutionnaire aux Pays-Bas. De véritables mutineries éclatent dans les camps militaires les 25 et 26 octobre 1918. Elles succèdent à une agitation ouvrière permanente contre la faim, durant les mois de septembre et octobre, à Amsterdam et Rotterdam.

Il est symptomatique de voir la social-démocratie officielle de Troelstra se radicaliser. Au grand étonnement des autres chefs du SDAP, le dirigeant du parti tient des discours enflammés pour la révolution, pour la prise du pouvoir par la classe ouvrière. Il proclame, à la stupéfaction de la bourgeoisie hollandaise, qu'il était son adversaire irréductible :

«Ne sentez-vous pas peu à peu avec les événements que vous êtes assis sur un volcan...L'époque du système gouvernemental bourgeois est révolu. A présent, la classe ouvrière, la nouvelle force montante, doit vous prier de lui laisser la place et une place qu'il revient de lui remettre. Nous ne sommes pas vos amis, nous sommes vos adversaires, nous sommes, pour ainsi dire (sic), vos ennemis les plus résolus »

Troelstra, un «révolutionnaire» de la dernière heure ? Il tenait en fait un double langage. Dans le secret d'une réunion des instances du SDAP, tenue le 2 novembre — soit trois jours avant cette déclaration enflammée à la chambre des députés — Troelstra avouait crûment que sa tactique était de devancer l'action des révolutionnaires, encouragés par la révolution en Allemagne :

«Dans ces circonstances les contrastes s'accentueront dans la classe ouvrière et une partie croissante de celle-ci se placera sous la direction d'éléments irresponsables.»

Jugeant la révolution inévitable et pour neutraliser un éventuel « spartakisme » hollandais, Troelstra proposait d'adopter la même tactique que la social-démocratie allemande dans les conseils ouvriers ; en prendre la direction pour mieux les détruire :

«Nous n'appelons pas maintenant la révolution, mais la révolution nous appelle ... Ce qui s'est passé dans les pays qui font l'épreuve d'une révolution me fait dire : nous devons dès qu'elle arrive jusque là en prendre la direction.»

La tactique adoptée fut d'appeler à la formation de conseils ouvriers et de soldats, le 10 novembre, si l'exemple allemand devait gagner la Hollande. «Wijnkoop ne doit pas être le premier», affirmait Oudegeest, un des chefs du SDAP.

Mais le SDP fut le premier à appeler à la formation de conseils de soldats et à la grève, dès le 10 novembre. Il se prononçait pour l'armement des ouvriers et la formation d'un gouvernement populaire sur la base des conseils. Il exigeait aussi une « démobilisation immédiate » des appelés, mot d'ordre ambigu, puisque sa conséquence était le désarmement des soldats.

C'est ce mot d'ordre que reprit le SDAP, dans cette intention. A cela, il ajoutait le programme de la social-démocratie allemande, pour désamorcer les revendications révolutionnaires : socialisation de l'industrie, assurance chômage complète et travail de huit heures.

Mais les événements montrèrent que la situation aux Pays-bas était loin d'être encore révolutionnaire. Il y eut bien le 13 novembre un début de fraternisation entre ouvriers et soldats d'Amsterdam ; mais le lendemain, la manifestation se heurta aux hussards qui tirèrent sur la foule, laissant plusieurs morts sur le pavé. L'appel à la grève lancé par le SDP pour le lendemain, en protestation contre la répression, resta sans écho chez les ouvriers d'Amsterdam. La révolution était bien écrasée avant d'avoir pu pleinement se développer. L'appel à former des conseils ne rencontra qu'un succès limité ; seuls quelques groupes de soldats, dans des lieux isolés de la capitale — à Alkmaar et en Frise — se constituèrent en conseils. Constitution sans lendemain.

Si la situation n'était pas mûre pour une révolution, on doit constater que l'action du SDAP a été décisive pour empêcher tout mouvement de grève en novembre. Plus de 20 ans après, Vliegen, dirigeant du SDAP, l'avouait sans ambages :

«Les révolutionnaires n'ont pas accusé en vain le SDAP d'avoir en 18 étranglé le mouvement de grève, car la social-démocratie l'a alors consciemment freiné.»

Mais, à côté de la politique du SDAP pour empêcher la révolution, celle pratiquée par les syndicalistes du NAS et par le RSC — auquel adhérait le SDP — ne fut pas sans provoquer un désarroi dans les masses ouvrières. En effet, au cours des événements de novembre, le NAS entreprit de se rapprocher du SDAP et du NVV afin d'établir un éventuel programme d'action commune. Cette politique de « front uni » avant la lettre, vivement critiquée dans les assemblées du RSC, donnait l'impression que le RSC, auquel adhérait le NAS, et le SDAP se situaient sur le même terrain. La politique de sabotage du mouvement de grève n'était pas mise à nu. D'autre part, la direction du SDP n'émit aucune critique véritable du syndicalisme révolutionnaire ; elle estima, lors du congrès de Leiden tenu les 16 et 17 septembre, que «le NAS avait agi correctement » pendant la semaine révolution­naire du 11 au 16 septembre.

La fondation du Parti communiste en Hollande (CPN)

La transformation du SDP en Parti communiste faisait de celui-ci le deuxième parti du monde, après le parti russe, à avoir abandonné l'étiquette «social-démocrate». Il se formait avant même le parti communiste allemand.

Petit parti, le CPN était en pleine croissance : plus de 1000 membres au moment du congrès ; chiffre qui doubla en l'espace d'un an.

Cette transformation ne mit pas fin à la politique autoritaire et manoeuvrière de Wijnkoop. Trois semaines avant le congrès, lui et Ceton, par un avis paru dans «De Tribune», s'étaient autoproclamés respectivement président et secrétaire du parti. Tous deux, en anticipant les résultats du congrès, donnaient un curieux exemple de démocratie. ([6] [39])

Cependant, le nouveau parti demeurait le seul pôle révolutionnaire aux Pays-Bas. Ce fait explique que le résultat du congrès de fondation fut la désagrégation de l'opposition. «De Internationale», organe de l'opposition, cessait de paraître en janvier 19. La démission des 26 membres de la section de La Haye en décembre 1918 qui refusaient de devenir membres du CPN apparaissait irresponsable. Sa transformation en groupe de « Com­munistes internationaux » pour se rattacher aux sparta­kistes et aux bolcheviks, sur une base antiparlementaire et de solidarité avec la révolution russe, fut sans lendemain. Ses membres, pour la plupart, ne tardèrent pas à regagner le parti. Le groupe Gauche de Zimmerwald, au sein du parti, ne tarda pas à se dissoudre lui aussi. Seule restait l'opposition « gortérienne » d'Amsterdam autour de Barend Luteraan. C'est ce groupe qui maintint la continuité avec l'ancienne opposition, en faisant paraître son propre organe, dès l'été 1919 : «De Roode Vaan» (« Le drapeau rouge »).

Contrairement à une légende qui en a fait un fondateur du parti communiste, Gorter était absent du congrès. Il s'était de plus en plus détaché du mouvement hollandais pour se consacrer entièrement au mouvement communiste international. Fin décembre, il était à Berlin, où il eut un entretien avec Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht. De là, il rentrait aux Pays-Bas. Il refusait, malgré la demande pressante de Luteraan, de prendre la tête de l'opposition dans le CPN. La direction d'une opposition était pour lui «aussi bonne qu'impossible», en raison de son état de santé dégradé.

Il ne s'agissait pas de sa part d'un refus de toute activité politique. Quelques mois plus tard, il se retirait de toute activité au sein du CPN, pour se consacrer entièrement au mouvement communiste en Allemagne. Il devenait de fait un militant et le théoricien de l'opposition qui allait former le KAPD en avril 1920. Son activité se déployait totalement au sein de l'Internationale commu­niste, dans l'opposition.

Pannekoek, à la différence de Gorter, ne devint pas membre du KAPD. Il resta dans l'opposition au sein du CPN jusqu'en 1921, pour en démissionner. Ses contri­butions furent essentiellement théoriques plus qu'organisationnelles. Il s'agissait pour lui de déployer ses activités théoriques au sein du mouvement communiste mondial, principalement en Allemagne.

Ainsi, les têtes théoriques du «tribunisme» se déta­chaient du CPN. Elles constituaient l'Ecole hollandaise du marxisme, dont le destin était lié désormais théoriquement et organiquement à celui du KAPD en Allemagne. Désormais, la gauche communiste aux Pays-Bas était liée, jusqu'au début des années 30, à la gauche communiste allemande. Celle-ci, étroitement dépendante de l'Ecole hollandaise du marxisme, constituait le centre du com­munisme de gauche international, sur le terrain pratique de la révolution et sur le plan organisationnel. Quant au CPN, en dehors de l'opposition qui finit par s'en détacher, son histoire devient celle d'une section de plus en plus « orthodoxe » de l'Internationale communiste.

CH. (Fin du chapitre)



[1] [40] De Internationale, n° 1, 15 juin 1918, «Ons Orgaan», p. 1. Les lignes directrices du regroupement étaient : le rattachement politique à la Gauche zimmerwaldienne ; le combat contre l'Etat impérialiste néerlandais ; la lutte la plus aiguë contre toute les tendances réformistes et impérialistes parmi les syndiqués organisés dans le NAS et le NW (syndicat du SDAP).

[2] [41] Depuis août 1917, Wijnkoop et Van Ravesteyn étaient les seuls rédacteurs du quotidien.

[3] [42] Kolthek, qui fut élu député, était collaborateur d'un journal bourgeois « De Telegraaph », qui avait l'orientation la plus vigou­reusement pro Entente. Avec son parti, le SP, et le BVSC, le SDP obtenait plus de 50 000 voix, dont 14 000 pour Wijnkoop à Amsterdam — soit la moitié de celles du SDAP. Les trois députés élus formèrent une «fraction parlementaire révolutionnaire» à la chambre.

[4] [43] Gorter rédigea un article assimilant Wijnkoop à Troelstra, publié sous le titre « Troelstra-Wijnkoop », le 18 septembre 1918 dans De Tribune. De Tribune, du 26 octobre 1918 soulignait : «l'amour du comité directeur pour la révolution russe est purement platonique. En réalité toutes les puissances de son amour sont dirigées vers l'extension de la popularité et de la croissance du parti avec l'aide des secours du parlement.»

[5] [44] L'opposition ne rejetait pas encore le parlementarisme ; elle souhaitait une discussion sérieuse dans le mouvement ouvrier pour déterminer la tactique future : « ...d'importants problèmes dans cette phase du mouvement ouvrier ne pouvaient s'éclaircir...Au sujet du parlementarisme, la rédaction soutient le point de vue que chacun doit pouvoir son avis là dessus dans "De Internationale". Cette question pourtant ne doit pas être encore épuisée... La même chose vaut pour la participation ou la non-participation aux élections. » (De Internationale, n° 9, 12 octobre 1918, « Landelijke conferentie van "de Internationale"».

[6] [45] De Tribune, 26 octobre 1918. Cité par WIESSING ; op. cit., p. 86. La nomination anticipée sous forme d'avis était annoncée de la façon suivante : « Attention ! étant donné que Wijnkoop est le seul candidat pour le poste de président du parti, il est par cela même déclaré élu à ce poste. Etant donné que l'unique candidat pour le poste de secrétaire du parti est Ceton, il est en conséquence déclaré élu. Les candidats pour le poste de vice-président sont: A. Lisser et B. Luteraan. »

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Conscience et organisation: 

  • La Gauche Germano-Hollandaise [47]

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [29]

La gauche hollandaise en 1919-1920 (1° partie) : la troisième internationale

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En janvier 1919, était envoyée à différents partis communistes, qui venaient à peine de se constituer, et à des fractions ou oppositions révolutionnaires dans les anciens partis, une lettre d'invitation au congrès de la « nouvelle Internationale révolutionnaire ». A l'origine, il ne s'agissait pas de convoquer un congrès, mais une simple « conférence socialiste internationale », pour pré­parer la fondation de la 3e Internationale. Elle devait se tenir avant le premier février, soit à Berlin, soit en Hollande, clandestinement. L'écrasement de l'insurrection de janvier à Berlin modifia le plan originel : la conférence dut se tenir à Moscou, du 2 au 6 mars 1919.

Le parti communiste hollandais reçut la convocation. Il avait déjà décidé lors de son congrès de novembre 1918 d'envoyer un délégué lorsque serait connue la convocation au congrès de la troisième Internationale. Pourtant, l'attitude de la direction du CPN fut exactement la même que celle qu'elle avait adoptée pour les trois conférences du mouvement de Zimmerwald. Bien qu'ayant reçu tous les moyens pour faire le voyage vers Moscou, Wijnkoop ne « réussit » pas à se mettre en route. Il s'agissait en fait de sa part d'un refus. Pour expliquer ce refus, toujours camouflé derrière une phrase sectaire, il fit paraître les articles du journaliste bourgeois Ransome qui prétendait que le congrès de la troisième Internationale n'aurait été qu'une « pure opération slave ».

Finalement, le parti communiste des Pays-Bas fut représenté indirectement, et uniquement avec voix consul­tative, au premier congrès de la nouvelle internationale. Son représentant, Rutgers, ne venait pas directement des Pays-Bas : il avait quitté le pays en 1914 pour les Etats-Unis, où il était devenu membre de la Ligue américaine de propagande socialiste ([1] [48]). Parvenu à Moscou, via le Japon, il ne représentait en fait que ce groupe américain, sans mandat. C'est par son intermédiaire qu'aux USA, la gauche Hollandaise était connue. L'un des chefs du communisme de gauche américain, Fraina ([2] [49]), son ami, était très influencé par Gorter et Pannekoek.

Le parti communiste hollandais finissait par adhérer à la troisième Internationale, en avril 1919. Rutgers fut associé aux travaux du comité exécutif.

Les courants de gauche dans l'Internationale en 1919

La gauche dans la troisième Internationale s'est déve­loppée au cours de Tannée 1919 sous l'influence de la révolution allemande. Celle-ci représentait pour tous les courants de gauche l'avenir du mouvement prolétarien dans l'Europe occidentale industrialisée. Malgré la défaite de janvier 1919 à Berlin, où le prolétariat avait été écrasé par la social-démocratie de Noske et Scheidemann, jamais la révolution mondiale n'avait semblé aussi proche. La république des conseils avait été instaurée aussi bien en Hongrie qu'en Bavière. La situation demeurait révolution­naire en Autriche. De grandes grèves de masses secouaient la Grande-Bretagne et s'ébauchaient en Italie. Le continent américain lui-même était secoué par la vague révolution­naire de Seattle jusqu'à Buenos-Aires ([3] [50]). Le prolétariat des pays les plus développés se mettait en branle. La question de la tactique à adopter dans les pays centraux du capitalisme, où la révolution serait plus purement prolétarienne qu'en Russie, devait nécessairement être examinée à la lueur d'une prise du pouvoir, que les révolutionnaires pensaient devoir se produire dans un futur très proche.

La vague révolutionnaire, c'est-à-dire l'expérience même des ouvriers confrontés à l'Etat, se traduisait par un changement de tactique avec la fin de l'ère pacifique de croissance du capitalisme. Tous les courants révolutionnaires reconnaissaient la validité des thèses du Premier Congrès de la Troisième Internationale :

« 1) La période actuelle est celle de la décomposition et de l'effondrement de tout le système capitaliste mondial, et ce sera celle de l'effondrement de la civilisation européenne en général, si le capitalisme, avec ses contra­dictions insurmontables, n'est pas abattu.

2) La tâche du prolétariat consiste maintenant à s'emparer du pouvoir d'Etat. La prise du pouvoir d'Etat signifie la destruction de l'appareil d'Etat de la bourgeoisie et l'organisation d'un nouvel appareil du pouvoir prolétarien. » ([4] [51])

Dans la nouvelle période, c'est la praxis même des ouvriers qui remettait en cause les vieilles tactiques parlementaire et syndicale. Le parlement, le prolétariat russe l'avait dissous après la prise du pouvoir, et en Allemagne une masse significative d'ouvriers s'était pro­noncée en décembre 1918 pour le boycottage des élections. En Russie comme en Allemagne, la forme conseils était apparue comme la seule forme de lutte révolutionnaire en lieu et place de la structure syndicale. Mais la lutte de classe en Allemagne avait révélé l'antagonisme entre prolétariat et syndicats. Lorsque les syndicats eurent participé à la répression sanglante de janvier 19 et que surgirent des organismes politiques de lutte — les Unions (AAU) — le mot d'ordre fut non la reconquête des vieux syndicats, mais leur destruction ([5] [52]).

En donnant comme base fondamentale de PIC aussi bien le programme du PC allemand que celui du parti bolchevik, l'Internationale acceptait de fait les courants de gauche antiparlementaires et antisyndicaux. Le congrès du Spartakus Bund n'avait-il pas rejeté la participation aux élections ? Même si Rosa Luxembourg en cela n'était pas d'accord avec la majorité, elle défendait une ligne antisyndicale : «(...) (les syndicats) ne sont plus des organisations ouvrières, mais les protecteurs les plus solides de l'Etat et de la société bourgeoise. Par conséquent, il va de soi que la lutte pour la socialisation ne peut pas être menée en avant sans entraîner celle pour la liquidation des syndicats. Nous sommes tous d'accord sur ce point. » ([6] [53])

A ses débuts, l'Internationale communiste acceptait dans ses rangs des éléments syndicalistes révolutionnaires, com­me les IWW, qui rejetaient aussi bien le parlementarisme que l'activité dans les anciens syndicats. Mais ces éléments rejetaient par principe l'activité politique et donc la nécessité d'un parti politique du prolétariat. Ce n'était pas le cas des éléments de la gauche communiste qui d'ailleurs étaient le plus souvent hostiles au courant syndicaliste révolutionnaire qu'ils ne souhaitaient pas voir accepter dans l'Internationale, organisme non syndical, mais politique ([7] [54]).

C'est au cours de l'année 1919 qu'apparaît véritable­ment le courant communiste de gauche sur une base politique et non syndicaliste, dans les pays développés. La question électorale est dans certains pays la question clef pour la gauche. En mars 1918, le parti communiste polonais — issu lui-même du SDKPIL de Rosa Luxembourg et Jogiches — boycotte les élections. En Italie, est publié le 22 décembre 1918 «Il Soviet» de Naples, sous la direction d'Amadeo Bordiga. A la différence de Gramsci, et de son courant syndicaliste, qui défend la participation aux élections, le courant de Bordiga prône l'abstention­nisme communiste en vue d'éliminer les réformistes du parti socialiste italien, pour constituer un « parti purement communiste ». Formellement, la Fraction communiste abs­tentionniste du PSI est constituée en octobre 1919. En Grande-Bretagne, la Worker's Socialist   Fédération de Sylvia Pankhurst se prononce contre le parlementarisme «révolutionnaire» afin d'éviter tout «gaspillage d'énergie» ([8] [55]). En Belgique le groupe «De Internationale» des Flandres et le groupe de War van Overstraeten ([9] [56]) sont contre l'électoralisme. Il en est de même dans les pays plus « périphériques ». Au Congrès du parti communiste bulgare, en mai 1919, une forte minorité s'était prononcée pour la condamnation de l'action parlementaire ([10] [57])

Les Hollandais, par contre, en dépit d'une légende tenace étaient loin d'être aussi radicaux sur la question parlementaire. Si la majorité autour de Wijnkoop était électoraliste... la minorité était hésitante. Gorter lui-même était pour l'activité révolutionnaire au Parlement ([11] [58]).

Pannekoek, par contre, défendait une position antipar­lementaire. Comme tous les communistes de gauche il soulignait le changement de période historique et la nécessité de rompre avec le principe démocratique ancré dans les masses ouvrières d'Europe occidentale. Pour le développement de la conscience de classe, il était néces­saire de rompre avec la « démocratie parlementaire » ([12] [59]).

L'Internationale communiste en 1919 ne considérait pas que le rejet de la participation aux parlements bourgeois était un motif d'exclusion de la gauche. Lénine, dans une réponse à Sylvia Pankhurst ([13] [60]) était d'avis que « la question du parlementarisme est actuellement un point particulier, secondaire... Etre indissociablement lié à la masse ouvrière, savoir y faire une propagande constante, participer à chaque grève, faire écho à chaque revendication des masses, voilà ce qui est primordial pour un parti communiste... Les ouvriers révolutionnaires dont les attaques ont pour cible le parlementarisme ont parfaitement raison dans la mesure où elles expriment la négation de principe du parlementarisme bourgeois et de la démocratie bour­geoise. » ([14] [61])

Sur cette question, pourtant, la circulaire du comité exécutif de TIC du 1er septembre 1919, marque un tournant. Si les actions parlementaires et les campagnes électorales sont encore définies comme des «moyens auxiliaires», la conquête du parlement apparaît comme une conquête de l'Etat. L'I.C. revient à la conception social-démocrate du Parlement comme centre de la lutte révolutionnaire: « (les militants)... vont au parlement pour s'emparer de cette machine (souligné par nous) et pour aider les masses, derrière les murs du Parlement, à le faire sauter.»

Beaucoup plus grave, comme point de rupture entre la gauche et l'IC était la question syndicale. Dans une période où les conseils ouvriers n'étaient pas encore apparus, fallait-il militer dans les syndicats, devenus contre-révolutionnaires, ou au contraire les détruire en instaurant de véritables organismes de lutte révolutionnaire ? La gauche était divisée. La fraction de Bordiga penchait pour la constitution de « vrais » syndicats rouges : le parti communiste d'Amérique de Fraina était partisan de travailler avec les syndicalistes révolutionnaires des IWW, rejetant tout « entrisme » dans les syndicats réformistes. La minorité du CPN, avec Gorter et Pannekoek, était hostile de plus en plus à une activité dans le NAS, estimant la rupture inéluctable avec le courant anarcho-syndicaliste.

L'exclusion de la gauche allemande, pour antiparle­mentarisme et antisyndicalisme, va cristalliser l'opposition de gauche internationale. La minorité hollandaise se trouve de fait, théoriquement, à la tête du «Linkskommunismus» allemand et international.

(A suivre)

Ch.



[1] [62] La Ligue américaine de propagande socialiste naquit en 1916 au sein du Parti socialiste, dans le Massachussetts, contre l'orientation électoraliste de la direction du parti. Elle publia «The Internationalist» qui combattit la majorité orientée vers le pacifisme en 1917. En 1919, elle prit la dénomination d'«Aile gauche du parti socialiste », et publia à Boston — sous la direction de Fraina l'hebdomadaire «Revolutionary Age». Dans ses Thèses, elle se prononçait en 19 pour la sortie de la deuxième Internationale et le rattachement à la troisième Internationale : pour l'élimination des revendications réformistes contenues dans la plate-forme du P. S.

[2] [63] Louis Fraina (1894-1953) : né en Italie du Sud, avait émigré aux USA avec ses parents à l'âge de deux ans. A 15 ans, il devenait membre du SLP deléoniste qu il quitta en 1914. Il devint membre du PS américain et actif, avec J. Reed, dans son aile gauche, qui décida la scission lors d'une conférence en juin 19. De cette scission naquit le Communist Labor Party of America de Fraina le plus avancé théoriquement — en septembre 1919. Après la conférence d'Amsterdam de février 1920, il participa au second congrès de l'I. C., après avoir été lavé du soupçon d'être un « agent provocateur». Il prit alors avec Katayama et un certain Jésus Ramirez la direction du «Bureau panaméricain du Komintern» à Mexico, en 1920-21, sous le pseudonyme de Luis Corey. En 1922, il cessait de militer et se faisait connaître comme journaliste sous ce pseudonyme. Devenu professeur d'université en économie, il se fit par la suite essentiellement valoir pour ses ouvrages d'économie.

[3] [64] Les IWW furent à la tête de la grève de Seattle qui se généralisa à Vancouver et Winnipeg, au Canada. La même année 19, éclatèrent des grèves très dures chez les métallos de Pennsylvanie. Ces grèves furent combattues par les syndicats et durement réprimées par la police patronale et le gouvernement fédéral. En Argentine, la «Semaine sanglante» de Buenos-Aires se solda par des dizaines de morts chez les ouvriers. A l'extrême sud du continent, les ouvriers agricoles de Patagonie furent sauvagement réprimés.

 

[4] [65] « Lettre d'invitation du Congrès » dans « La révolution alle­mande » de Broué, p. 40.

[5] [66] La première union (AAU) qui ne soit pas anarcho-syndicaliste > — comme dans la Ruhr — naquit à l'automne 1919 à Bremen. Son organe Kampfruf (Flugzeitung fur die revolutionàre Betrieb-sorganisation) affirmait clairement qu'elle ne voulait pas «devenir un nouveau syndicat » Se prononçant « pour la conquête du pouvoir politique», l'AAU de Bremen dénonçait les syndicalistes comme « des adversaires de la dictature politique du prolétariat ». (In « Kampfruf», n° 1, 15 octobre 1919, « Was ist die AAU ? »).

[6] [67] Cité par Prudhommeaux, « Spartacus et la Commune de Berlin 1918-19 », « Spartacus », p. 55)

[7] [68] Bordiga était le plus ferme partisan de cette séparation entre Internationale politique et Internationale d'organisations écono­miques. Jusqu'en 1920, l'I.C. acceptait dans ses rangs aussi bien des organisations communistes que des syndicats nationaux, régio­naux de métier et d'industrie. Cela dura jusqu'à l'instauration de l'Internationale syndicale rouge (Profintern). Le KAPD voulait instaurer, à côté de l'Internationale communiste, une internationale des organisations d'entreprise sur des bases politiques : antiparlementarisme, destruction des svndicats contre-révolutionnaires, conseils ouvriers, destruction de 1 Etat capitaliste.

[8] [69] S. Pankhurst, « Pensée et action communistes dans la troisième Internationale » publié dans « Il Soviet » de Bordiga le 20 septembre 1919.

[9] [70] War van overstaeten (1891-1981), peintre ; d'abord anarchiste, il devint pendant la guerre le rédacteur en chef du journal des Jeunes Gardes Socialistes : « Le socialisme », zimmerwaldien. Il est à l'origine du groupe communiste de Bruxelles, fondé en 1919, qui devait publier le 1er mars 1920 « L'ouvrier communiste » (« De Kommunistische Arbeider » en Flandre). Il défendit au seond congrès de l'IC les thèses antiparlementaires de Bordiga. Il fut l'un des principaux artisans de la fondation du PC belge en novembre 1920, auquel adhéra la Fédération flamande en décembre (« De Interna­tionale »). Au troisième congrès de l'IC, il se trouvait très proche du KAPD. Sous la pression de l'IC, il dut admettre le groupe « centriste » : « Les amis de l'exploité » de Jacquemotte et Massart, en septembre 1921, lors du congrès d'unification. Contrairement à Bordiga, il continua toujours à défendre les positions antiparle­mentaires. Hostile aux partis de «masse» et à la «bolchevisation», il fit partie en 1927 du groupe unifié de l'opposition. Il fut exclu avec l'opposition en 1929 et devint proche de la Ligue des communistes internationalistes de Hennaut, fondée en 1931, après la séparation d'avec l'aile trotskyste. En Espagne de 1931 à 1935, en contact avec des groupes de la gauche communiste, il se retira par la suite de tout engagement politique.

[10] [71] Une forte opposition s'était constituée dans le PC bulgare autour d'Ivan Gantchev, journaliste et traducteur de Goethe. C'est lui qui se chargea de traduire en bulgare un certain nombre d'ouvrages de Gorter. En Hongrie, les positions antiparlementaires furent connues grâce au groupe de communistes hongrois exilés à Vienne, après la fin de la « Commune hongroise ». Au sein de ce groupe, Lukacs était antiparlementaire, tandis que Bêla Kun préconisait une tactique curieuse : participation aux élections pour les dénoncer ; aucun envoi de députés au parlement. En Suède, la fédération de la jeunesse social-démocrate (Social-démokratiska ungdomsfôrbundet) de C. J. Bjôrklund, qui avait adhéré à l'IC en mai 1919, était résolument antiparlementaire ; en contact avec le KAPD en 1920, elle dénonçait l'opportunisme de Hôglund au Parlement, ce dernier étant présenté par Lénine comme le «Liebknecht» suédois. L'antiparlementarisme s'étendit jusqu'à l'Amérique latine : au sein du Partido socialista internacional d'Argentine — futur parti communiste d'Argentine, créé en décembre 1920 — se forma en 1919 une forte minorité, se réclamant de Bordiga, préconisant le boycott des élections.

[11] [72] Quelques semaines avant de rédiger sa « Réponse à Lénine », Gorter écrivait le 1ermai 1920 à Lénine ces mots : «Je ne suis pas un adversaire du parlementarisme. Je vous écris cela seulement pour vous montrer — à vous et au comité central — combien il est dangereux de trop parler en faveur des communistes opportunistes. » (cité par Wiessing « Die Hollàndische Schule des Marxismus », p. 91)

[12] [73] A. Pannekoek, « De strijd over de kommunistische taktiek in Duistland », in « De Nieuwe Tijd », 1919, p. 695.

[13] [74] Sylvia Pankhurst (1882-1960) avait milité dans le mouvement des « suffragettes » fondé par sa mère Emma. Elle avait fondé en 1914 l'East London Fédération of Suffragettes qui publiait « The Womens Dreadnaught ». Sous l'effet de la guerre, son mouvement rompit avec le féminisme. Il se transforma en 1917 en Workers Socialist Fédération, dont l'organe était « The Workers Dread­naught » (« Le cuirassé ouvrier »). Elle se prononce pour les bolcheviks. En 1919, elle est présente au congrès de Bologne du PSI. Elle devient correspondante rémunérée de « l'Internationale Communiste », organe de l'IC. Elle participe activement, de retour en Italie, à la conférence de Frankfurt puis à la conférence d'Amsterdam. Refusant toute tactique parlementaire et toute en­trisme dans le Labor Party, elle contribue en juin 1920 à la fondation du Communist Party (British Section of the Third International). Elle défendra la même année, avec le shop steward Gallacher, les positions antiparlementaires et antisyndicales au second congrès de l'IC. Son parti est obligé de fusionner, en janvier 1921 à Leeds, avec le CP of Great Britain (CPGB) qui défend l'orthodoxie de l'IC. « The Workers Dreadnaught » reste l'organe indépendant de sa tendance dans le PC « unifié ». Jetée en prison par le gouvernement britannique, elle sera libérée pour être exclue du CPGB, avec ses partisans, en septembre 1921. En février 1922, elle fondera avec les exclus le Communist Workers Party, section de la KAI de Gorter, qui subsistera jusqu'en juin 1924. Sylvia Pankhurst, à partir de cette date, cesse d'être une communiste de gauche et une militante prolétarienne. Elle revient à ses premières amours féministes et se prend de passion pour l'espéranto. Elle devient même en 1928 l'apôtre d'une croisade « antiraciste ». Elle forme en 1932 un Womens International Matteoti Committee, mouvement féministe antifasciste. Elle soutient le Negus, lors de la guerre de 1935 entre l'Italie et l'Ethiopie. Elle part en Ethiopie pour devenir finalement catholique. Amie du Negus, elle meurt à Addis-Abeba en 1960, où elle est enterrée.

[14] [75] la lettre de Pankhurst et la réponse de Lénine (août 1919) se trouvent dans « Die Kommunistische Internationale », n° 4-5, p. 91-98 (« der Sozialismus in England »).

 

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