Il y a 90 ans, au mois de septembre 1915, se tenait à Zimmerwald la première conférence socialiste internationale, à peine plus d’un an après le début de la Première Guerre mondiale. Revenir sur cet événement, ce n’est pas seulement rouvrir une page d’histoire du mouvement ouvrier, mais raviver la mémoire ouvrière sur la signification centrale et toujours valable de cette conférence : la lutte du prolétariat est de façon indéfectible et intrinsèquement liée à une lutte contre son exploitation et contre la guerre pour abattre le capitalisme, et, dans ce cadre, la responsabilité des révolutionnaires est vitale pour orienter cette lutte vers sa perspective révolutionnaire.
La multiplication des conflits guerriers, la propagande guerrière des grandes puissances impérialistes et leurs appétits concurrents et mortifères inondent la planète d’une barbarie toujours plus féroce. C’est en ce sens que "l’esprit" et les enseignements de Zimmerwald sont pour le prolétariat d’une brûlante actualité.
Zimmerwald a été la première réaction prolétarienne face au carnage de la première boucherie mondiale, et son écho grandissant a rendu espoir aux millions d’ouvriers submergés par les horreurs sanglantes de la guerre. L’entrée en guerre le 4 août 1914 est une catastrophe sans précédent pour le mouvement ouvrier. En effet, parallèlement à un matraquage idéologique nationaliste intense de la part de la bourgeoisie, l’élément décisif qui va l’entraîner dans cette tuerie ignoble est la félonie des principaux partis ouvriers sociaux-démocrates. Leurs fractions parlementaires votent les crédits de guerre au nom de l’Union Sacrée, poussant les masses ouvrières à s’entretuer pour les intérêts des puissances impérialistes dans une hystérie chauvine des plus abjectes. Les syndicats eux-mêmes déclarent toute grève interdite dès le début de la guerre. Ce qui avait été la fierté de la classe ouvrière, la IIe Internationale, se consume dans les flammes de la guerre mondiale, après le ralliement infâme de ses partis les plus importants, le Parti Socialiste français et surtout le Parti Social-démocrate allemand. Bien que gangrenée par le réformisme et l’opportunisme, la IIe Internationale, sous l’impulsion de ses minorités révolutionnaires, la Gauche allemande et les Bolcheviks notamment s’étaient très tôt prononcés contre les préparatifs guerriers et la menace de guerre. Ainsi, en 1907, au Congrès de Stuttgart, confirmée au Congrès de Bâle en 1912 et jusqu’aux derniers jours de juillet 1914, elle s’était élevée contre la propagande guerrière et les visées militaristes de la classe dominante. Ainsi plusieurs décennies de travail et d’effort sont anéanties d’un seul coup. Mais, restée fidèle et intransigeante sur le principe de l’internationalisme prolétarien, la minorité révolutionnaire ayant combattu des années durant l’opportunisme au sein de la IIe Internationale et de ses partis, va résister et mener le combat :
- en Allemagne, le groupe "Die Internationale" constitué de fait en août 1914 autour de Luxembourg et Liebknecht, les "Lichtsrahlen", la gauche de Brême ;
- en Russie et dans l’émigration, les Bolcheviks ;
- en Hollande le Parti Tribuniste de Gorter et Pannekoek ;
- en France, une partie du syndicalisme révolutionnaire autour de Rosmer et Monatte ;
- en Pologne, le SDKPIL, etc.
Un autre courant, hésitant, centriste, va également se développer, oscillant entre une attitude d’appel à la révolution et une position pacifiste (les Mencheviks, le groupe de Martov, le Parti Socialiste italien), et dont certains vont chercher à renouer avec les traîtres social-chauvins. C’est donc progressivement dans la confrontation que le mouvement révolutionnaire va initier la lutte contre la guerre impérialiste, préparer les conditions de la scission inévitable au sein des partis socialistes et la formation d’une nouvelle Internationale.
La tâche primordiale de l’heure est donc de favoriser le regroupement international des révolutionnaires, et aussitôt des contacts sont pris entre les différents internationalistes ayant rompu avec le social-patriotisme. La lutte contre la guerre est impulsée, en Allemagne en tout premier lieu, où le 2 décembre, Liebknecht est le seul à voter ouvertement contre les crédits de guerre, imité dans les mois qui suivent par d’autres députés. L’activité de la classe ouvrière contre la guerre se développe, à la base des partis ouvriers mais aussi dans les usines et dans la rue. La réalité hideuse de la guerre avec son hécatombe de morts, de mutilés sur le front, le développement de la misère à l’arrière, vont dessiller les yeux de plus en plus d’ouvriers et les sortir des brumes de l’ivresse nationaliste. En Allemagne, dès mars 1915, se produit la première manifestation contre la guerre de femmes mobilisées dans la production d’armement. En octobre, des affrontements sanglants entre la police et des manifestants ont lieu. En novembre de la même année, près de 15 000 personnes défilent là encore contre la guerre à Berlin. Des mouvements de la classe apparaissent aussi dans d’autres pays, en Autriche, en Grande-Bretagne, en France. Cette renaissance de la lutte de classe, alliée à l’activité des révolutionnaires qui, dans des conditions très dangereuses, distribuent du matériel de propagande contre la guerre, va accélérer la tenue de la Conférence de Zimmerwald (près de Berne) où, du 5 au 8 septembre 1915, 37 délégués de 12 pays européens se réunissent. Cette Conférence va symboliser le réveil du prolétariat international, jusqu’alors traumatisé par le choc de la guerre et être une étape décisive sur le chemin menant à la révolution russe et la fondation de la IIIe Internationale. Le Manifeste qui en sort est le fruit d’un compromis entre les différentes tendances. En effet, les Centristes se prononcent pour mettre fin à la guerre dans une optique pacifiste mais sans faire référence à la nécessité de la révolution ; ils s’opposent durement à la Gauche, représentée par le groupe "Die Internationale", les ISD et les Bolcheviks, qui fait du lien entre guerre et révolution la question centrale. Lénine critique très fermement ce ton pacifiste et l’absence des moyens pour combattre la guerre qui transparaît dans le Manifeste : "Le mot d’ordre de la paix n’a par lui-même absolument rien de révolutionnaire. Il ne prend un caractère révolutionnaire qu’à partir du moment où il s’adjoint à notre argumentation pour une tactique révolutionnaire, quand il s’accompagne d’un appel à la révolution, d’une protestation révolutionnaire contre le gouvernement du pays dont on est citoyen, contre les impérialistes de la patrie à laquelle on appartient." (1) En d’autres termes, le seul mot d’ordre de l’époque impérialiste est: "transformation de la guerre impérialiste en guerre civile". Malgré ces faiblesses, la Gauche, sans abandonner les critiques, considère ce Manifeste "comme un pas en avant, vers la lutte réelle avec l’opportunisme, vers la rupture et la scission" (1) Ce Manifeste de Zimmerwald va cependant connaître un énorme retentissement dans la classe ouvrière et parmi les soldats. Avec la poursuite d’une forte reprise de la lutte de classe internationale, la lutte sans concession de la gauche pour opérer un clivage dans les rangs centristes, la deuxième Conférence internationale à Kienthal en mars 1916, s’orienta nettement plus à gauche et marqua une nette rupture avec la phraséologie pacifiste.
L’élargissement considérable de la lutte de classe pendant l’année 1917 en Allemagne, en Italie et surtout l’éclatement de la Révolution russe, premier pas vers la révolution mondiale, allaient rendre caduc le mouvement de Zimmerwald qui avait épuisé toutes ses potentialités. Désormais la seule perspective était la création de la nouvelle Internationale qui, tenant compte de la lente maturation de la conscience révolutionnaire, la formation de partis communistes conséquents et l’attente du surgissement d’une révolution en Allemagne, allait se faire un an et demi plus tard en 1919.
Ainsi, malgré ses faiblesses, le Mouvement de Zimmerwald a eu une importance décisive dans l’histoire du mouvement révolutionnaire : symbole de l’internationalisme prolétarien, étendard du prolétariat dans sa lutte contre la guerre et pour la révolution. Il a véritablement représenté un pont entre la IIe et la IIIe Internationale.
Une des grandes leçons de Zimmerwald, toujours valable pour notre époque d’exacerbation inouïe des tensions et conflits impérialistes, doit être la réaffirmation de l’importance de la question de la guerre pour le prolétariat. Au même titre que son combat contre l’exploitation, le combat contre la guerre, contre les menées guerrières de la bourgeoisie, est partie intégrante de sa lutte de classe. L’histoire du mouvement ouvrier démontre que la classe ouvrière a toujours considéré la guerre comme une calamité dont elle est systématiquement la première victime. La guerre n’est pas un phénomène aberrant dans le capitalisme et d’autant plus dans sa période de décadence. Elle fait partie de son fonctionnement et est devenue un aspect permanent de son mode de vie. L’illusion réformiste d’un capitalisme possible sans guerre est mortelle pour le prolétariat. Engluées dans leurs contradictions, dans une crise économique qui n’a pas d’issue du fait de la saturation des marchés solvables au niveau mondial, les différentes fractions nationales de la bourgeoise ne peuvent que s’entredéchirer pour conserver leur part de gâteau, s’approprier celle des autres ou gagner des positions stratégiques nécessaires à leur domination. C’est en ce sens que prétendre qu’on peut lutter pour une amélioration de ses conditions de vie ou pour la paix en soi, SANS TOUCHER AUX FONDEMENTS DU POUVOIR CAPITALISTE, est une mystification, une impossibilité. Sans perspective de lutte massive politique, révolutionnaire de la classe ouvrière, il n’y a pas de véritable lutte contre la guerre capitaliste. Le pacifisme est une idéologie réactionnaire utilisée pour canaliser le mécontentement et la révolte du prolétariat provoqués par la guerre afin de le réduire à l’impuissance. De même, pour les prolétaires, tomber dans le piège de la défense de la démocratie bourgeoise en faisant cause commune avec ses exploiteurs en adhérant aux campagnes bellicistes de la classe dominante, c’est se soumettre pieds et poings liés à toujours plus de barbarie, à la dynamique guerrière du capitalisme en décomposition qui, de guerre "locale" en guerre "locale" finira par mettre en péril la survie même de l’humanité. La lutte de la classe ouvrière pour ses intérêts propres, en vue du renversement de cette société pour le communisme est la seule lutte possible contre la guerre.
SB
(1) Lénine, Contre le Courant, tome 1.
Dans Internationalisme 319 et 321, nous avons montré que l’Etat belge était une création contre-révolutionnaire et artificielle, mise en place par les grandes puissances de l'époque, comme un cadre étriqué et non progressif, défavorable pour l'industrialisation et l'instauration de rapports sociaux modernes. A travers une exploitation féroce du prolétariat, la bourgeoisie belge a cependant réalisé une expansion économique et impérialiste impressionnante à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, qui a fait de la Belgique un des capitalismes les plus développés et puissants. Toutefois, la bourgeoisie ne sut pas profiter de la période d’expansion du capitalisme pour effacer les contradictions économiques, politiques et linguistiques qui découlaient de la création artificielle de son Etat. Cette incapacité va se ressentir de plus en plus ouvertement lorsque, avec la 1ère guerre mondiale, le capitalisme mondial glisse lentement mais sûrement, dans une situation de crise et de guerre permanente.
L’entrée en décadence du capitalisme met inexorablement à nu le manque inhérent de cohésion de la ‘nation belge’ et tend à exacerber de plus en plus les contradictions au sein de la bourgeoisie. Cela s’exprime de façon éclatante au cours même de la première guerre mondiale où une fraction de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie flamande fait alliance avec l’impérialisme allemand, par le fait qu’elle estime toute perspective de défense de ses intérêts bloquée au sein de l’Etat belge par la bourgeoisie francophone dominante.
Dans la période entre les deux guerres mondiales, le centre de gravité de l’économie belge glisse de plus en plus vers la région flamande : la stagnation de la production industrielle wallonne s'amorce, alors que la Flandre profite de la position stratégique du port d'Anvers et des nouvelles mines du Limbourg, exploitées sur le mode de la grande dimension et selon une technologie avancée, et connaît un développement économique réel. Même la crise de 1930 altère peu la progression du processus d'industrialisation de la Flandre, tandis qu'en Wallonie, l'emploi industriel stagne suite à la rationalisation importante du secteur sidérurgique entre 1930-1939. Sur le plan politique par contre, le blocage au niveau du contrôle de l’Etat reste entier, ce qui provoque dans les années ’30 une poussée au sein de la bourgeoisie et petite-bourgeoisie flamande d’un courant contestataire, voire séparatiste, qui s’exprime par la montée en puissance du VNV (‘Union nationale Flamande’) ‘autonomiste’ et du Verdinaso ‘pan-néerlandais’.
Après la seconde guerre mondiale, dans la période de développement d’après-guerre, le déclin de l'industrie wallonne s'amplifie tandis que le développement de la Flandre s'accentue encore, favorisé par l'afflux massif de capitaux étrangers dans le secteur du pétrole, de la pétrochimie (60% s'installera à Anvers), de l’automobile et de l'électronique. Au niveau politique, une lutte d’influence s'engage alors pour de bon au sein de l’appareil politique traditionnel entre l'ancienne bourgeoisie francophone et la nouvelle bourgeoisie flamande qui veut traduire son pouvoir économique par un poids correspondant dans l'appareil étatique.
L’apparition de la nouvelle crise du capitalisme à la fin des années ‘60/ début des années ’70 exacerbe encore les contradictions : les formations politiques traditionnelles de la bourgeoisie (Sociaux-chrétiens, socialistes, libéraux) éclatent toutes en partis flamands et francophones tandis qu’apparaissent sur l’échiquier politique une floraison de partis ‘régionalistes’, comme la ‘Volksunie’ en Flandre, le ‘Rassemblement wallon’ en Wallonie ou le ‘Front des Francophones’ à Bruxelles. La bourgeoisie s’engage alors dans une interminable ‘fédéralisation’ de l’Etat visant à essayer de trouver un fragile équilibre entre ses fractions régionales.
L’extension de la décomposition et du ‘chacun pour soi’ dans le monde à la fin du 20e siècle rend la recherche et l’imposition de ces équilibres de plus en plus illusoire et incertaine, rend les tensions et les contradictions encore plus explosives : "La Wallonie meurt parce que la Flandre accapare tous les investissements" affirme la bourgeoisie francophone en chœur. "Si nous subissons la crise, c'est parce qu’on nous fait payer pour ce gouffre à millions qu’est l'industrie wallonne non rentable’’ rétorque sa consoeur flamande. Et si la bourgeoisie a essayé d’éliminer les partis régionalistes en les faisant absorber par les partis traditionnels, cela lui est revenu à la figure tel un boomerang puisque cela n’a eu comme résultat qu’une déstabilisation de ces mêmes partis traditionnels et la forte expansion d’un parti ouvertement séparatiste, le Vlaams Blok (Belang) qui monte en puissance depuis les années ‘90.
Si les poussées centrifuges et les tensions communautaires expriment bien la malformation congénitale de la bourgeoisie belge, liée à la constitution de son Etat, cela ne signifie pas qu’elle serait une bourgeoisie impuissante et faible envers la classe ouvrière, bien au contraire. Il s’agit d’une bourgeoisie économiquement forte, rompue, de par l’exiguïté du territoire national, à la guerre de concurrence internationale et extrêmement expérimentée dans le combat contre son ennemi mortel, le prolétariat.
Depuis le début du 20e siècle, la bourgeoisie belge s’est montrée particulièrement experte dans l’utilisation de toute la gamme des mystifications démocratiques contre les travailleurs. Mais de plus, elle a aussi amplement démontré sa maîtrise à utiliser ses tensions internes contre la classe ouvrière. L’exploitation systématique de celles-ci est une constante de la politique anti-ouvrière de la bourgeoisie belge depuis la première guerre mondiale et en particulier depuis la reprise de la lutte de classe à la fin des années ’60, et ceci sur plusieurs plans :
- La politique de ‘transfert de pouvoir aux régions’ sert tout d’abord de légitimation à la mise en place de restructurations dans l’industrie et l’administration, comme le démontre encore de façon caricaturale le récent ‘Plan Marshall pour la Wallonie’ du gouvernement régional wallon. Depuis les années ’70, la réduction des budgets et des effectifs sous le couvert d’une ‘meilleure efficacité est une caractéristique des administrations ‘régionalisées’, tels l’enseignement, les travaux publics, les transports en commun, le personnel communal ou le chômage. Quant aux industries déficitaires, telles la sidérurgie en Wallonie ou les chantiers navals en Flandre, elles ont été rationalisées et fermées au nom du dynamisme régional qui ne peut s’encombrer de ‘canards boiteux’.
- Les confrontations communautaires et régionales sont en outre savamment montées en épingle et dramatisées pour camoufler les attaques contre la classe ouvrière. Un parfait symbole de cela est le fait que la résurgence des luttes ouvrières en 1968 va de pair en Belgique avec une crise communautaire aiguë (scission de l’Université de Louvain) et cela deviendra une constante dans la politique d’austérité de la bourgeoisie. Ainsi, tout au long des années ‘90, le processus de fédéralisation de l’Etat a occupé la une des médias au moment même où des mesures d’austérité extrêmement dures étaient prises pour restreindre de manière drastique le déficit budgétaire de l’Etat. Les menaces verbales de séparatisme auxquelles répondent des professions de foi unitaristes sont accentuées pour polariser l’attention de la population, surtout évidemment des travailleurs, et pour les détourner des vrais enjeux.
- Un battage médiatique constant est développé pour mobiliser les travailleurs derrière les intérêts de ‘leur’ communauté linguistique et tout est fait pour instiller une concurrence entre régions. En 1918-19 déjà, l’impact de la vague révolutionnaire parmi les ouvriers flamands contre l’horreur des massacres guerriers était contrée par les discours sur les “soldats flamands envoyés au carnage par des officiers francophones dont ils ne comprenaient pas les ordres”. Et aujourd’hui, les médias bourgeois martèlent à longueur de journée que “la Flandre ne veut plus payer pour l’acier wallon déficitaire”, que “la Wallonie n’a rien à voir avec les chantiers navals flamands sans avenir”, “que l’enseignement serait plus performant en Flandre”, que “les chômeurs seraient moins sanctionnés en Wallonie”, etc. La Belgique n’est pas – nous l’avons vu – le fruit d'un long processus de maturation historique, économique et social, comme par exemple la France ou Allemagne. Elle ne pourra dès lors pas développer les mêmes mystifications nationalistes d'une ‘nation indépendante et solidaire, forte et unitaire’. Mais la bourgeoisie belge utilise habilement ses propres limites pour entraver la prise de conscience du prolétariat. La mystification ‘sous-nationaliste’ du ‘pouvoir régional’ est donc inhérente à des nations comme la Belgique tout comme celle de ‘l'effort national’ l'est pour des nations plus ‘cohérentes’. Elles visent fondamentalement à obtenir le même résultat : mobiliser les ouvriers derrière leur bourgeoisie (nationale ou régionale), dresser ainsi les ouvriers wallons contre leurs frères de classe flamands ou vice versa et leur faire accepter l'inéluctabilité de la crise, des sacrifices, de la guerre.
- Le poison ‘régionaliste’ est enfin une arme systématiquement utilisée par la bourgeoisie pour diviser et isoler les luttes ouvrières qui surgissent. Il s’agit là d’un barrage crucial qui pèse depuis les années 1930 sur le développement du combat des travailleurs : les luttes insurrectionnelles de 1932 ont été limitées à la Wallonie (essentiellement Charleroi et le Borinage) ; lors de la grève générale de ’60-’61, les socialistes et les syndicalistes wallons exploitèrent la mystification du fédéralisme pour diviser la lutte ouvrière et la dévoyer vers une impasse ; le nationalisme flamand a joué un rôle non négligeable dans les grèves sauvages des mineurs limbourgeois en 1966 et en 1970 ; l’arme régionaliste fut encore un puissant instrument pour contenir et désamorcer les combats contre la fermeture des mines, d’abord en Wallonie, puis en Flandre, de la sidérurgie wallonne et des chantiers navals flamands.
La mystification régionaliste ‘sous-nationaliste’ essaie de cacher à la classe ouvrière que c'est une crise mondiale généralisée qui tue l'industrie wallonne et qui détruit l'industrie flamande, que c'est le capitalisme dans son entièreté qui est en crise et qui doit être mis en question. Et la bourgeoisie utilise habilement les distorsions de son état et ses propres contradictions pour entraver tout développement de la conscience parmi les travailleurs de cette réalité, pour désamorcer leur combativité et pour essayer de les lier à ‘leur’ bourgeoisie régionale pour la ‘défense de leur région’. Ce n'est pas un hasard si ce sont ses agents parmi les travailleurs, les socialistes, qui sont les plus ardents propagandistes de la défense de ‘sa’ région et appellent au "sens des responsabilités" des travailleurs" pour sauver la Wallonie, en collaboration avec les autres ‘citoyens’, si ce sont les dirigeants syndicalistes les plus "à gauche" en Wallonie qui défendent la "fédéralisation" et si des voix s'élèvent dans les syndicats en Flandre (surtout dans les secteurs déjà fortement touchés par la crise : textile, alimentation, meuble) pour une collaboration plus "positive" avec le patronat flamand et pour "le maintien de l'argent flamand en Flandre".
Face à cela, les travailleurs doivent prendre en exemple les grèves massives dans le secteur public en ’83 et surtout la vague de grèves ouvrières d’avril-juin 1986, dont une des forces avait justement été la nette tendance à dépasser l’enfermement régionaliste et à refuser la voie sans issue du régionalisme et la fausse opposition entre ouvriers wallons et ouvriers flamands. Le sauvetage d’une nation ou d’une région est l’objectif de la bourgeoisie, pas le nôtre. C'est leurs structures, leurs institutions, leurs privilèges qu'ils essaient de sauver. Aujourd'hui la crise est générale, mondiale et elle conduit la bourgeoisie en droite ligne à un cycle infernal de guerres, de destruction et de chaos, si nous n'imposerons pas notre solution : le pouvoir international de la classe ouvrière pour bâtir une société enfin au service de l'homme. Et ce n'est qu'unis, en brisant les barrières régionales et nationales, que nous y parviendrons.
Jos
Comme nos lecteurs le savent, le CCI tient régulièrement des réunions publiques et des permanences. Les débats vivants qui s’y déroulent portent sur des thèmes divers et variés, en lien avec les questionnements d’actualité ou plus historiques qui touchent le combat de la classe ouvrière. Lors de notre permanence du 11 juin dernier à Nantes, l’un des participants a présenté un tract (co-rédigé avec de jeunes éléments critiques) et qu’il a diffusé à Rennes pour dénoncer la campagne idéologique et le référendum sur la constitution européenne. Cette démarche s’inscrit pleinement dans l’effort du prolétariat pour développer son combat de classe.
Voici quelques extraits de ce tract : "(…) L’histoire de l’Europe, ce n’est pas autre chose que l’histoire du capital et de ses répugnantes créatures, les Etats-Nations. Ce n’est que la réalisation, rendue nécessaire par la dynamique mondiale du capitalisme, d’un cartel d’Etats, pour la défense, commune jusqu’à un certain point, de leurs impérialismes respectifs, et pour la répression, trop divisée encore, de la frayeur partagée : le prolétariat et les quelques fractions encore remuantes de celui-ci, qu’il s’agirait de réduire au calme silence de la démocratie.
Cette unification fallacieuse sous la coupe réglée d’une poignée d’Etats dominants, cette mise en commun des moyens de nuire, on nous la présente comme la plus désirable réalisation de l’ère démocratique, et comme la justification toujours à venir de nos souffrances présentes.
Quant à nous, habitués à discerner, sous les traits charmants de la sage et heureuse démocratie, le visage hideux du capital et de sa sanglante dictature, nous affirmons : "de même que la France, cette vieille sorcière édentée, nous est de tout temps étrangère, de même la charogne Europe, trouvera toujours en nous des ennemis mortels, rêvant au jour de sa chute dans les basses-fosses de l’histoire. Contre les nations et les super nations, berceaux pourris du capital, contre l’idéologie démocratique moisie et rongée aux vers, notre patrie, c’est l’Internationale prolétarienne, c’est l’Internationale qui mettra à sac tous les palais, toutes les capitales du vieux monde (…) On nous propose un référendum sur une pompeuse Constitution européenne dont nous nous torchons le cul. Crachons d’abord sur ces pauvres nigauds et les parfaites ordures qui ont décidé, les uns, de respecter tout l’écoeurant "débat démocratique" orchestré par les autres" (…) Nous ne devons la très relative bonhomie de nos bons et loyaux Etats démocratiques qu’à l’absence temporaire du prolétariat révolutionnaire sur le champ de bataille de l’histoire (mais rassurez-vous, la vieille Taupe creuse toujours, et un jour paiera son travail de sape).
En démocratie, les décisions prises ne s’appliquent que si la réalité l’exige : c’est la nécessité du mouvement de l’histoire qui tranche, et non les pathétiques assemblées et les gentils référendums. Dites "oui" dites "non" : rien ne changera sinon que vous aurez participé une fois de plus au cirque électoral et consolidé ainsi la mascarade démocratique, que nous vomissons.
Pour que crèvent enfin toutes les sanglantes baudruches nationales et supranationales et leurs marionnettes étatiques ! A bas la France ! A bas l’Europe ! Vive le prolétariat ! Vive la révolution !". Et le tract est signé "Des communistes".
L’initiative et le contenu d’un tel tract ont été particulièrement salués par le CCI et les participants. Il s’agit en effet d’un effort réfléchi et conscient d’une minorité de la classe ouvrière pour dénoncer la démocratie bourgeoise et le battage médiatique de la classe dominante. Ceci est d’autant plus à souligner que la démocratie est le véritable cœur de l’idéologie de la classe dominante, un des piliers majeurs du système capitaliste. Le contexte de très forte intensité de la campagne de mystification démocratique – vantant les institutions, la "construction européenne", faisant croire que l’avenir de chaque prolétaire était conditionné par un simple bulletin de vote - rendait d’autant plus courageux le fait d’exprimer à la fois son indignation et le fruit d’une réflexion pour dénoncer cette propagande d’Etat. Plusieurs interventions ont aussi mis en exergue l’attaque de la bourgeoisie sur la conscience du prolétariat et les dangers que représente l’idéologie démocratique très justement dénoncée. La discussion a donc bien mis en évidence que la réflexion développée dans le tract représente une force politique pour sortir de la gangue du poison démocratique et nationaliste. Et il est clair que cette dynamique positive va dans le sens de la clarification, en permettant aux camarades qui en ont eu l’initiative, de tenter d’approcher les positions révolutionnaires de la Gauche communiste et de se les réapproprier.
L’effort du tract est aussi positivement significatif de la période actuelle, de la réalité du développement d’une maturation souterraine au sein de la classe ouvrière. Il est la traduction d’un autre phénomène corollaire, d’une qualité plus particulière : celui de l’apparition d’une réflexion dans la jeunesse sur la réalité barbare du capitalisme et la nécessité de trouver une perspective autre que le "no future" et les miasmes de la décomposition sociale.
Bien entendu, le désir inévitable que "cela bouge tout de suite", en dehors d’un cadre organisationnel et structuré, s’est manifestée dans le tract par une réaction de révolte devant "les pauvres nigauds" qui ont "respecté tout l’écoeurant débat démocratique". Ce rejet immédiatiste a été critiqué à des degrés divers par certains participants. Mais en fait, cette réaction de révolte envers "ceux qui gobent la propagande bourgeoise" peut apparaître légitime de la part d’éléments qui expriment une impatience et une révolte devant le fait que les ouvriers aillent voter pour une fraction ou une autre de la bourgeoisie. La discussion a également montré qu’une telle attitude traduit des concessions à l’idéologie anarchisante, ce qui tend bien plus à désarmer ces camarades face à l’anarchisme ambiant entretenu par la bourgeoisie et dont une des composantes idéologique classique est la culpabilisation (des "nigauds"). Il s’agit là aussi du poids idéologique de visions individualistes de la lutte de classe qui pousse à faire en sorte de rejeter certaines parties de la classe ouvrière, perçues comme "moins claires", voire à les mépriser. Mais ce produit idéologique a été en même temps rapidement combattu, puisqu’un des rédacteurs présent a précisé que ce tract avait été écrit "pour faire réagir". Dans le mouvement ouvrier, les révolutionnaires ont toujours œuvré dans le sens de faire réagir la classe ouvrière, mais jamais en l’insultant, ni en traitant les ouvriers mystifiés par l’idéologie bourgeoise d’imbéciles. Une des tâches principales des révolutionnaires est bien plus de dénoncer les pièges de l’idéologie bourgeoise et d’expliquer patiemment et inlassablement à la classe ouvrière les dangers qui la guettent si elle adhère aux mensonges électoraux de la classe dominante. L’attitude consistant à stigmatiser "les nigauds" qui vont voter ne peut que braquer des éléments en recherche ou qui ont des doutes. Elle entrave la réelle réflexion en les rejetant d’emblée dans le camp de ceux qui se "font avoir" mais sans donner de réponse claire et réellement critique.
La discussion, dans ce sens, a montré la nécessité de débattre fraternellement pour faire avancer la réflexion. Et c’est bien cette démarche qui a été engagée par le camarade qui est venu pour défendre un texte émanant d’éléments combatifs, en s’inscrivant très positivement dans la discussion.
Le camarade est ainsi intervenu dans le débat pour répondre, développer son point de vue et justement exposer ses désaccords: "Notre tract n’a pas pour but d’éclairer, mais il a été rédigé contre le consensus et pour faire réagir (…) j’ai une vision différente du CCI sur la question de l’organisation et du militantisme. Le CCI n’est certainement pas d’accord avec notre analyse sur ce plan, qu’il qualifierait de conseilliste. Nous ne sommes pas révolutionnaires sans les masses qui font la révolution. L’organisation est faite pour répondre à une tâche et des nécessités précises. En dehors de la période révolutionnaire, elle n’a pas son utilité et dans ce cadre est amenée à se bureaucratiser. Pourquoi avoir besoin d’une organisation ? Les meetings, les tracts etc. peuvent très bien se faire sans elle. (…). Marx et Engels ont été des théoriciens et des interprètes du mouvement social. Entre 1852 et 1864, il n’y avait pas d’organisation et les idées de Marx n’ont pas dégénéré. Ma critique porte sur le fait que les organisations dégénèrent quand leur rôle est terminé (…) Le CCI intervient dans la classe ouvrière, le CCI veut bien discuter. Bien ! Mais je ne suis pas sûr qu’en faisant des réunions publiques cela développe une influence. Il n’y a pas forcément des prolétaires qui viennent ou convaincus. J’ai l’impression que cela n’apporte rien de discuter par rapport à un texte (NDLR : le camarade fait allusion à nos textes introductifs lors des réunions publiques). On n’a pas besoin d’un cours ! (…) je ne nie pas la nécessité d’une organisation, mais seulement en période révolutionnaire"
Selon le point de vue développé ici par le camarade, l’organisation ne se réduirait qu’à un aspect immédiatement utilitaire et limité à la période révolutionnaire. Mais surtout, elle présenterait un danger après la révolution. On retrouve, comme le reconnaît d’ailleurs lui-même le camarade, la vieille antienne conseilliste qui, derrière une vague considération sur "l’utilité éventuelle" de l’organisation, la conçoit a priori comme une sorte de menace, une "machine à corrompre", un "instrument" aux mains de "leaders". En fin de compte, il apparaît bien de ce fait que le camarade n’est pas convaincu de l’utilité d’une organisation, y compris d’ailleurs pour la "période de la révolution". Pour lui, la classe ouvrière est parfaitement capable de s’organiser elle-même, et nous sommes d’accord là-dessus. Mais nous touchons ici au nœud de la problématique du camarade qui voit aussi dans le parti un danger potentiel permanent pour la classe ouvrière. Pour lui, le parti ne peut inévitablement que confisquer au prolétariat le contrôle de sa lutte et en conséquence est un ennemi à terme du développement de son combat et ne peut que s’identifier pleinement à la prise du pouvoir au sein de l’Etat.
D’où provient l’organisation ? Des masses elles-mêmes ? Quelle serait alors sa tâche et par rapport à quelles nécessités ?
Le camarade passe en réalité à côté de ces questions essentielles, ce qui renforce sa propension à assimiler confusément le parti à l’Etat et donc à ne voir avant tout dans le parti qu’un "danger". Comme un fatum, la dynamique de "bureaucratisation", selon la terminologie conseilliste, devient alors inévitable de ce point de vue. Or, il n’y a au contraire aucune fatalité et la vie d’une organisation n’est qu’un combat permanent dont l’issue n’est pas écrite à l’avance. Il doit être clair que le parti n’a pas pour rôle de prendre le pouvoir, même "au nom de la classe" et qu’il reste toujours un organe d’orientation politique qui, loin de s’identifier à l’Etat, lui est étranger. Cela avant, pendant et après la révolution, y compris donc dans une période post-insurrectionnelle. Il reste en cela une sécrétion de la classe ouvrière et de son combat historique. Seule une défaite du courant marxiste et une victoire de l’opportunisme, c'est-à-dire la pénétration de l’idéologie dominante en son sein, représente un danger potentiel qui peut être effectivement mortel. Mais cela n’infirme pas qu’à tous moments, il est vital pour les minorités les plus conscientes d’être organisées, pour être facteur actif dans le combat pour participer activement et efficacement à accélérer l’homogénéisation de la conscience dans la classe.
En réalité, ce qui peut paraître difficile à comprendre, c’est que le mouvement ouvrier doit accomplir des tâches organisationnelles en permanence, y compris lorsque les grandes masses paraissent totalement absentes de la scène de l’histoire ou lorsqu’elles sont défaites. S’il est vrai que les partis prolétariens surgissent en lien avec la montée des luttes de la classe ouvrière, se développent ensuite et disparaissent dans les phases contre-révolutionnaires, comme ce fût le cas formellement pour la Ligue en 1852, cela ne signifie pas pour autant une disparition totale de l’activité organisée.
De ce point de vue, entre 1852 et 1864, Marx n’était pas un "individu isolé" qui s’est "retiré pour ses études", un "penseur" ou "philosophe génial" comme se plait à le présenter la bourgeoisie, mais est resté au contraire un vrai militant communiste : "Marx n’a pas dissout autoritairement la Ligue en 1850, pas plus que l’AIT en 1872. Il a simplement expliqué que les révolutionnaires doivent se préparer à affronter la prochaine désagrégations de ces partis, en s’organisant pour maintenir même en leur absence le fil rouge de l’activité communiste" (Revue Internationale n°64 : "Le rapport fraction-Parti dans la théorie marxiste"). Les individus isolés, a contrario, ne peuvent avoir aucun champ réel d’action et le mouvement conscient de la classe ne peut jamais se réduire à la réflexion d’une somme d’individus éparpillés. Durant cette période de reflux de la lutte de classe, Marx et Engels ont au contraire toujours manifesté le souci de maintenir des liens organisés et de publier une presse révolutionnaire. Par l’expérience historique de la classe, Marx et Engels ont su préciser ainsi davantage à ce moment les contours de la notion de parti en faisant ce qu’on pourrait appeler un travail de "fraction" avant la lettre : "le processus de maturation et de définition du concept de fraction trouve donc son origine (mais pas sa conclusion) dans ce premier réseau de camarades qui avaient survécu à la dissolution de la Ligue des Communiste" (idem).
L’exemple de la Gauche italienne dans les années 1930, repris dans la discussion, constitue un démenti significatif à l’idée selon laquelle les organisations seraient inutiles en dehors de mouvements révolutionnaires. En effet, mené dans les conditions les plus terribles du stalinisme triomphant, les travaux de la Gauche italienne ont été des plus féconds sur différents plans théoriques, notamment organisationnels. Sans ce travail de fraction et donc d’organisation, notamment mené par Bilan, il n’y aurait pas aujourd’hui d’expression organisée aussi élaborée de la gauche communiste que le CCI ! Nous pouvons aussi ajouter plus simplement qu’avec le raisonnement du camarade appliqué à la phase ascendante du capitalisme, où la révolution n’est pas encore possible du fait de l’immaturité des conditions historiques, où le prolétariat se constitue en classe, on en viendrait rapidement à jeter aux orties les combats organisationnels de Marx et d’Engels, de Rosa Luxemburg et de Lénine ! Comme l’a affirmé justement un participant : "(…) L’organisation n’est pas seulement présente à des moments historiques particuliers. Il existe un rapport social qui fait que l’organisation est là pour lutter contre l’idéologie dominante. L’organisation est une nécessité pour pouvoir faire face à la pression de l’idéologie bourgeoise qui est permanente. Il s’agit d’un facteur fondamental qui s’exerce en profondeur et en étendue."
C'est justement à travers la discussion politique la plus large et la plus étendue et à travers la reconnaissance que les organisations révolutionnaires représentent son intérêt que le prolétariat sera le mieux à même de se renforcer politiquement et de se confronter à la bourgeoisie.
Le patient travail de regroupement international va de pair avec la construction de l’organisation du prolétariat. Le souci de la continuité pour transmettre un patrimoine politique à une nouvelle génération de militants est aujourd’hui indispensable pour préparer le futur parti et le prochain assaut révolutionnaire. Si les conditions du surgissement du parti sont liées à la lutte de classe, ce dernier n’en est pas un produit mécanique qui apparaît ex nihilo. Il doit surtout son existence à la clarté et la détermination, au combat de l’avant-garde révolutionnaire. Comme l’a montré la révolution russe, le parti bolchevik s’est construit bien avant la révolution, permettant une intervention féconde qui a préparé l’effervescence dans les meetings, les grèves et manifestations, dans les conseils ouvriers. Ceci, afin de remplir une fonction irremplaçable, celle de catalyser le processus de maturation de la conscience prolétarienne vers la victoire. Aujourd’hui, alors que l’impasse du capitalisme en crise pousse à nouveau le prolétariat à poursuivre et développer son combat, la tâche des révolutionnaires est d’œuvrer au travail de regroupement, à l’unité des énergies révolutionnaires en vue de la construction du futur parti mondial. De ce point de vue, nous ne pouvons partager la vision du camarade qui voit dans nos réunions et dans l’élaboration d’une démarche politique un "cours" qui ne lui "apporte rien". Contrairement à cette vision qui ferait du CCI une sorte de "professeur" et les participants des "élèves passifs" qui devraient ingurgiter des "leçons" formatées, nous affirmons que le prolétariat n’adopte pas ce type de démarches "pédagogiques" étrangères au marxisme. Tout au contraire, les réunions, encore une fois, sont des lieux de débats qui doivent permettre une confrontation politique en vue d’une clarification pour les besoins du combat. Elles participent du processus de prise de conscience nécessaire pour lutter contre la pression idéologique de la bourgeoisie, développer la lutte et préparer le futur.
WH / 20.8.05
Dans la première partie de cet article, paru dans le numéro précédent de Internationalisme, nous avons montré l’évolution de la crise économique du capitalisme depuis la fin des années 1960 suite à la période de reconstruction de l’après Deuxième Guerre mondiale. Dans cette deuxième partie nous allons nous attacher à démontrer que le monde capitaliste s ‘enfonce dorénavant dans une nouvelle récession mondiale, que la bourgeoisie se voit obligé de faire payer toujours plus fortement à la classe ouvrière.
Face à cette dégradation de l ‘économie capitaliste, la bourgeoisie, au début des années 2000, a voulu de nouveau nous faire croire à une nouvelle phase d’expansion économique, notamment aux Etats-Unis mais également en Chine et en Inde. Pour ce qui concerne ces pays d’Asie et devant la propagande éhontée de la bourgeoisie, nous reviendrons plus en détail sur cette question dans un prochain article du journal.
Pour ce qui concerne les Etats-Unis, première puissance économique du monde, il n’est pas difficile de montrer la vacuité des mensonges bourgeois en la matière ! Sans un déficit public dont l’ampleur et la rapidité de l’augmentation font peur à la bourgeoisie elle-même, l’économie américaine connaîtrait sans aucun doute la récession.
Mais quels sont donc les autres facteurs présidant à cette "fameuse reprise" américaine ?
La première raison est le soutien massif développé par l’administration américaine à la consommation des ménages. Cette politique est due à une spectaculaire baisse des impôts des classes aisées et moyennes, au prix d’une accélération de la dégradation du budget fédéral.
En deuxième lieu, la baisse des taux d’intérêts passant de 6,5% début 2001 à 1% début 2004, a propulsé ainsi en avant l’endettement des ménages.
Enfin, une ponction toujours plus grande de l’épargne, qui fond comme neige au soleil, passant de plus de 12% en 1980 à un petit 2% en ce début des années 2000.
La baisse spectaculaire des taux d’intérêts et la ponction phénoménale de l’épargne se sont donc traduits par un endettement massif des ménages aux Etats-Unis.
L’état américain a notamment soutenu ainsi totalement artificiellement le marché immobilier et le marché de l’automobile. La bourgeoisie américaine a poussé les ménages, quelque fois même avec des prêts à taux zéro, à acheter leur propre habitation, ce qui a été la source d’emprunts records. Depuis 1977, l’endettement hypothécaire américain a augmenté de 94% pour atteindre 7,4 milliards de dollars. Depuis 1977, les crédits bancaires destinés à l’acquisition d’immeubles se sont accrus de 200%. Depuis 1988 les prix des immeubles ont plus que doublés. En moyenne, aux Etats-Unis, la dette hypothécaire correspond pour une famille de 4 personnes à un endettement moyen de quelques 120 000 dollars. L’augmentation à la hausse accélérée des prix de l’immobilier s’est ainsi traduit également par une spéculation effrénée dans ce secteur. Tant que les taux d’intérêts restaient bas, proche de zéro, l’endettement des ménages pouvaient être supportable. Mais avec la hausse des taux d’intérêts qui s’amorce et l’élévation de la dette qui en résulte c’est la ruine pure et simple qui attend une très grande quantité des ménages américains.
Et pour finir, les Etats-Unis, grâce à cette politique des taux d’intérêts extrêmement bas, mènent sans vergogne une politique de dévaluation compétitive du dollar leur permettant de reporter sur le reste du monde les effets les plus marquants de l’aggravation de la crise économique. Devant la gravité actuelle de celle-ci, chaque bourgeoisie se lance dans une guerre commerciale sans merci.
Le prolétariat en Europe et en France n’a pu qu’en faire l’amère expérience avec le développement massif des licenciements et le démantèlement de "l’Etat providence" (remboursement de soins, bradage des retraites…) Mais ce qui est encore plus significatif, c’est que malgré l’ampleur sans précédent des moyens adoptés, cette reprise aura été extrêmement brève. La nouvelle récession et le retour de l’inflation ne laissent aucun répit à la bourgeoisie. Déjà la récession s’annonce et l’inflation fait sa réapparition. Le Groupe Financier Banque TD qui se veut particulièrement rassurant annonce pourtant un ralentissement de la croissance mondiale : "Le PIB mondial réel ralentira probablement de 4,8% en 2004 à 4,2% en 2005 et à 3,9% en 2006… En fait la croissance américaine devrait ralentir de 4,4% en 2004 à 3,8% en 2005, puis à 3,2% en 2006, tandis qu’en Chine on prévoit que le taux de croissance oscillera entre 8% et 8,5%…par rapport au plus 9% de 2004." Cependant ces prévisions apparaissent, là encore de la part des experts bourgeois, sous-estimer la réalité, ce qui n’empêche celle-ci de prévoir des jours sombres pour l’économie capitaliste, contredisant ainsi ouvertement les campagnes idéologiques de la bourgeoisie.
Le 22 février dernier, de nouveaux troubles importants sont apparus sur les marchés financiers, indiquant encore une fois les conditions désastreuses dans lequel se trouve le système financier international. Le 24 février le principal éditorial du New York Times mettait en avant : "La liquidation du dollar mardi n’a pas provoqué d’effondrement. Mais elle en a sans aucun doute donnée un avant goût (…) L’épisode de mardi à ses origines dans les déséquilibres structurels américains…" Quant au Washington Post, au cours du même mois, il écrivait : "L’horloge continue d’avancer nous rapprochant du désastre. Une superstructure financière délabrée se fait secouer par une nouvelle crise de l’énergie, l’agitation du dollar et des finances américaines hors de contrôle." Il y a encore peu, le dollar s’échangeait à 1,32 contre 1 euro. Cette perspective de baisse du dollar semblait s’imposer. Cependant, la crise secouant actuellement l’espace économique européen a bousculé momentanément la donne. Le 3 juin dernier l’euro atteignait son plus bas niveau depuis huit mois, en lien avec une brusque ruée sur le dollar.
La bourgeoisie se retrouve confrontée à des turbulences monétaires de plus en plus graves, lui interdisant toute vision à moyen terme. A cela il faut ajouter, qu’au cours des dernières années, le dollar était principalement soutenu par le Japon, l’Arabie Saoudite et la Chine. On sait que, depuis 2 ans, les saoudiens détournent leurs investissements des Etats-Unis, vers d’autres régions du monde. Aujourd’hui, la Chine montre qu’elle arrive également dans ce domaine à un point insupportable pour son économie. Le porte parole du ministère des affaires étrangères Ain Gang a déclaré à Pékin en avril : "Si un pays est incapable de soutenir ces déficits avec une épargne interne, il ne peut dépendre de l’épargne d’un autre pays". En terme clair, à son tour la Chine, n’est plus en mesure de financer l’énorme déficit américain. Les banques centrales asiatiques, japonaises et chinoises inondées d’avoirs en dollar, avec des banques au bord de la faillite ne pourront plus en absorber davantage. Les plus grands détenteurs de reconnaissance de dettes de l’Etat américain sont les banques centrales d’Asie et de la région du Pacifique. A elles seules, celles du Japon et de la Chine possèdent des obligations d’Etats américains se chiffrant à plus de 1 milliard de dollars. La Chine écoule une grande partie de sa production sur le marché intérieur américain. Elle est alors payé en dollars, qu’elle utilise en partie pour acheter des bons du trésor américain, finançant ainsi le déficit colossal des Etats-Unis. Cette politique permet en retour à Pékin d’ouvrir chaque jour de nouvelles usines de biens exportables avec l’aval des Etats-Unis, sur le marché américain. Cependant l’économie chinoise est subventionnée par le déficit budgétaire et le déficit d’Etat. Celui-ci ne cesse de se creuser atteignant comme aux Etats-Unis une zone de haute turbulence. Il était d’un peu plus de 100 milliards de yuans en 1987, il est aujourd’hui de près de 500 milliards. Déficit qui est financé essentiellement par le système bancaire chinois, qui se retrouve ainsi noyé de créances plus que douteuses. L’instabilité croissante du dollar fait aujourd’hui courir un risque majeur au système financier international.
Pour la majorité des pays, posséder des dollars, n’a de sens que dans la mesure où il s'agit de la principale monnaie du commerce mondial. C’est bien cette fonction qui est mise en danger par son effondrement toujours possible. Malgré, la reprise actuelle du dollar face à l’affaiblissement de l’euro, le niveau faramineux d’endettement de l’économie américaine ne peut que pousser, dans la période à venir, à nouveau le dollar à la baisse. Face à cette réalité, le danger vient de la nécessité pour de nombreux pays de diversifier leur avoir en devises fortes. La flambée du cours des matières premières, qui le 8 mars à partir de l’indice CRB ( Commodity research bureau) qui couvre 17 des plus importantes matières premières a atteint son plus haut niveau depuis 24 ans. Il n’y a pas que le pétrole qui grimpe même si le baril qui était de 10 dollars il y a 6 ans a franchi celui des 55 dollars aujourd’hui. La spéculation toujours aussi présente, y compris en formant une bulle immobilière maintenant toute proche de l’implosion et l’état catastrophique du système monétaire international ont poussé l’or a battre un niveau historique de 440 dollars l’once. Deux jours plus tard l’ancien premier ministre australien, Paul Keating, déclarait : "Qu’il fallait se préparer à un krach catastrophique du dollar et à une explosion de panique."
Malgré la pression à la baisse sur les prix par une politique de régression salariale, partout cet endettement généralisé fait ressurgir conjointement avec la récession, le spectre de l’inflation. La pression excessivement forte à la baisse sur la masse salariale, induisant une tendance à la baisse des prix, n’est ainsi plus en mesure de freiner durablement les tendances inflationnistes. Tous les pays industrialisés d’Europe, d’Asie et d’Amérique elle-même connaissent à nouveau des tensions inflationnistes. La réduction de la masse monétaire qui en découle inéluctablement sera un facteur actif supplémentaire dans la récession qui se profile à nouveau. La bourgeoisie est ainsi elle même obligée de prendre des mesures qui vont ralentir l’économie, alors que la récession est pourtant à nouveau déjà présente. Avec en 2003 une dette équivalente à 58% du PIB et un taux de 60% de la croissance attribuable aux dépenses militaires, la récession américaine qui s’approche donne ainsi le ton pour l’ensemble de l’ économie mondiale. L’affaiblissement de la cohérence économique atteinte dans l’Espace Européen, notamment en matière monétaire, se traduira dans ce contexte international par une entrée encore plus forte dans la récession. Les turbulences que va connaître le système financier international ne manqueront pas également d’avoir des conséquences encore difficilement mesurables sur la dégradation de l’économie capitaliste.
Alors que la très courte reprise économique de ce début des années 2000 s’est traduite par une accélération massive du chômage et de la paupérisation de la classe ouvrière, nous pouvons alors imaginer l’ampleur de l’attaque que le capitalisme tentera d’infliger au prolétariat. Un des symboles de cette fameuse reprise qui vient de s’écouler est peut-être la faillite virtuelle des deux plus grands constructeurs automobiles mondiaux : Général Motors et Ford. Devant une telle détérioration de l’économie capitaliste, un tel développement de l’exploitation ouvrière, plus que jamais le prolétariat ne doit pas se tromper d’ennemi. Celui-ci n’est pas le libéralisme ou la libre concurrence, ou le patronat, pas plus que ce qui est appelé mondialisation. C’est le capitalisme aujourd’hui en faillite, la classe bourgeoise et son état qui sont les seuls véritables ennemis de la classe ouvrière et de l’humanité tout entière. D’ores et déjà, nous pouvons affirmer que la nouvelle récession sera beaucoup plus profonde que toutes celles qui ont existé depuis la fin de la période de reconstruction. Mais le prolétariat ne doit pas se décourager devant cette perspective. Si la crise économique s’accélère et avec elle les attaques contre la classe ouvrière, celles-ci se développent au moment ou le prolétariat à travers la remontée de sa confiance en lui-même, retrouve le chemin des luttes et du développement de sa solidarité et de sa conscience de classe. Cette situation est riche et pleine de potentialité pour la lutte de classe.
Tino
Depuis quelques années, les catastrophes naturelles ne cessent de se multiplier. Bien pire encore, les conséquences humaines de ces drames gigantesques prennent des proportions toujours plus grandes. Pourtant, l’attitude des bourgeoisies nationales varient fortement d’une catastrophe à l’autre. L’ignominie de la bourgeoisie se manifeste chaque fois qu’il est question de "secours" à apporter aux populations sinistrées. Il suffit de voir comment après chaque catastrophe, celles-ci sont utilisées directement à des fins impérialistes.
Au mois de décembre, l’année dernière, le tsunami ravageait l’Asie du sud. Ce raz de marée devait faire plus de 500 000 morts, touchant l’Indonésie, Sumatra, la Thaïlande et l’Inde. Les médias bourgeois pouvaient partout verser leurs larmes de crocodiles et en appeler à la mobilisation générale des secours, la préoccupation des principaux Etats capitalistes étaient en vérité ailleurs. Dans cette région du monde où les tensions entre nations sont fortes, notamment entre l’Inde et le Pakistan, toutes les grandes puissances impérialistes ont tenté de se positionner au mieux de leurs intérêts en avançant à peine cachées derrière leurs ONG respectives. Ainsi, face à la totale inefficacité sur le terrain des aides humanitaires, même les journalistes sont obligés d’avouer que "Le climat de concurrence dans lequel opèrent les organisations non gouvernementales et les agences des Nations Unies forme une autre explication. Quatre études récentes en arrivent indépendamment à des conclusions similaires : la manne financière, que représente l’aide humanitaire internationale, a entraîné une ruée plutôt inconvenante vers les ressources de donateurs, souvent au détriment des populations affectées par des catastrophes et des situations d’urgence et à celui donc de l’intégrité des organisations… Celles-ci sont souvent guidées par les priorités de leur donateur, qui allouent les fonds de manière à favoriser leurs intérêts nationaux" (souligné par nous, Le Monde Diplomatique du 17 octobre). Bien pire encore, "l’absence de coordination et la multiplicité des initiatives des différentes ONG ont engendré des phénomènes de rivalités et de double emploi ou d’aides inadaptées" (Libération du 20 octobre). La réalité ne peut pas être plus cyniquement exprimée. Cette concurrence inter-impérialiste dont les ONG sont le fer de lance se traduit ainsi dans les faits par un gaspillage, voire une stérilisation de toute une partie des misérables moyens des secours octroyés par les Etats ou même provenant des dons des particuliers indignés par autant de souffrance humaine.
L’intérêt réel que porte le capitalisme à la vie humaine, ses motivations en matière de politique "humanitaire" se montrent dans toute leur clarté et cruauté lorsque des catastrophes touchent des zones géographiques qui n’ont pas d’intérêts géostratégiques majeurs. Quelques mois seulement avant que le Tsunami ne frappe en Asie du sud-est, de terribles inondations ont ravagé Haïti et Saint-Domingue. Il y a eu des milliers de morts et pratiquement aucun moyen de secours, aucune publicité, aucune campagne médiatique de "solidarité" envers les populations sinistrées (qui n'a été, lors du tsunami, qu'un gigantesque racket à l'échelle planétaire). La même constatation s’impose pour ce qui est de l’Amazonie qui connaît depuis 4 ans la plus terrible sécheresse de son histoire et dont la population est tout simplement abandonnée à son triste sort. Ou encore, au cours du mois de septembre, la tempête Stan a frappé de plein fouet le Guatemala, mais aussi le Salvador, le Nicaragua et le sud-est du Mexique. des milliers de morts et des dizaines de milliers de sinistrés ont été dénombrés. A titre d’exemple, le dimanche 9 octobre, les informations télévisées ne sont restées que quelques secondes sur ce qu’elles ont nommé un fait divers : une coulée de boue dans un village reculé du Guatemala. Cette brève d’info recouvrait en réalité un carnage abominable. Les 1400 habitants de ce village ont péri. Tous y sont passés, hommes, femmes et enfants, noyés, étouffés ou écrasés sous les glissements de terrains ou les pluies torrentielles.
Face à cette nouvelle tragédie, Washington a promis très "généreusement" d’envoyer six hélicoptères pour faciliter les évacuations. La majeure partie des ONG, les principales puissances impérialistes du monde se sont totalement désintéressées de ce drame humain, laissant cette région du monde sombrer dans l’indifférence, la souffrance et les épidémies.
Lorsqu’il y a quelques semaines seulement, le cyclone Katrina a frappé massivement la Nouvelle-Orléans et plus généralement le sud-est des Etats-Unis, l’attitude des bourgeoisies a été radicalement différente. L’indifférence a été remplacée par une sur-médiatisation. A la télévision, dans les journaux, à tout moment de la journée étaient montrées des images de populations pauvres, prises au piège, sans ressource, sans abri, sans secours et encadrées par les soldats américains l’arme au poing. Tout cela n’avait rien d’innocent. Il s’agissait pour les principales bourgeoisies nationales rivales de montrer l’inhumanité, l’indifférence et l’incapacité des Etats-Unis de protéger leur propre population, eux qui par ailleurs déploient des moyens militaires faramineux pour bombarder les populations d'Irak et de l'Afghanistan. La campagne idéologique anti-américaine s’est exprimée pleinement, permettant alors à des puissances impérialistes comme la France ou l’Allemagne de faire savoir qu’elles étaient prêtes à venir au secours de l’Etat américain défaillant. Même Condolezza Rice a été amenée à tempérer les propos de l’administration américaine et du président Bush qui avaient immédiatement et vivement réagi à ces propositions : "Dans un interview à la chaîne ABC, Bush a d’abord déclaré "Nous apprécions l’aide, mais nous allons nous en sortir nous-mêmes". Puis le président américain a précisé :"Nous ne leur avons pas demandé de nous aider".
L’utilisation cynique de cette catastrophe par les principales puissances rivales des Etats-Unis a momentanément porté ses fruits en montrant aux yeux du monde entier l’incurie de la première puissance mondiale face à la détresse de sa propre population.
Sur ce terrain, le développement des tensions inter-impérialistes n’allait connaître aucun répit. Dès le mois d’octobre, un nouveau tremblement de terre allait toucher la région du Cachemire indien et pakistanais. Dix jours après ce séisme, le nombre de victimes ne cesse encore de croître, dépassant pourtant déjà les 50 000 morts. Comme lors du tsunami, les ONG de tous horizons se sont précipitées pour proposer leur aide, et derrières elles, toutes les grandes puissances ont manifesté leur volonté de participer activement aux secours. Pour quel résultat ?
"Je ne pense pas que beaucoup de gens puissent survivre dans ce froid […]. Nous avons vu apparaître ces derniers jours des cas de diarrhée, de fièvre, des infections respiratoires" (Docteur Bilal cité par Courrier International du 16 octobre).
Dans cette région du Cachemire, l’odeur de mort et de putréfaction prend à la gorge, et les survivants errent en quête d’abri affluant des montagnes.
Plusieurs semaines après cette gigantesque catastrophe, la réalité des secours mis en œuvre sur le terrain est donc pratiquement insignifiante. Cette zone du monde est d’une très grande importance géostratégique et impérialiste en tant que point cardinal entre l’Europe, l’Asie et la Russie. Ainsi, depuis des années, cette région est le théâtre des rivalités guerrières entre l’Inde et le Pakistan. Le contraste est absolument saisissant entre les moyens logistiques armés déployés dans cette région du monde et le dénuement extrême des populations. En fait, ces moyens militaires ne peuvent en aucun cas être mis à la disposition des secours. En effet, "la source d’approvisionnement en hélicoptères la plus proche est l’Inde, mais les relations sont tendues entre les deux pays qui se disputent la souveraineté du Cachemire". Le président pakistanais Pervez Musharraf a dit "qu’il accepterait les hélicoptères indiens, à condition qu’ils arrivent sans équipages" (Libération du 22 octobre). Mais plus clair et inhumain encore, celui-ci a défendu ses positions en ces termes "il y a des plans de défense militaires, il y a là-bas des déploiements militaires, partout, comme du côté indien. Nous ne voulons pas que les militaires viennent ici, pas du tout". Si le président Pervez Musharraf réagit ainsi, c’est qu’il sait très bien que derrière ces propositions humanitaires se cache en réalité une tentative d’avancée guerrière. Mais les rivalités impérialistes concernant l’Inde et le Pakistan impliquent aussi directement l’ensemble des grandes puissance impérialistes : Etats-Unis, Chine, France, Allemagne, Angleterre… aucune grande puissance ne peut se désintéresser de cette région du monde. Pour preuve, "L’OTAN a décidé l’envoi de 500 à 1000 hommes dans le nord du Pakistan, mais sera en revanche incapable de répondre à l’appel des Nations Unies à la création d’un vaste pont aérien pour rompre l’isolement des centaines de milliers de sinistrés menacés par le froid et la faim" (Libération du 22 octobre). Si les instances internationales, OTAN et ONU, sont ainsi incapables de coordonner le moindre effort en matière de secours, c’est tout simplement parce que leur vocation n'a rien d'humanitaire. Elles ne sont qu'un lieu de confrontations impérialistes entre ces mêmes grandes puissances.
Les dégâts occasionnés par les catastrophes dites naturelles au cours des années 90 ont été trois fois plus importants que durant la décennie précédente et quinze fois plus que dans les années 50. Si de plus en plus de zones géographiques et de populations sont détruites par les conséquences de ces catastrophes, il doit être clair aux yeux du prolétariat que ce terrain n’intéresse la bourgeoisie que dans la mesure où elle peut y exploiter ouvertement ses intérêts impérialistes et nationaux. Dans les zones sinistrées qui ne sont pas laissées à l’abandon, parce qu’elles représentent un enjeu géostratégique, l’intervention dite humanitaire est de fait un facteur d’aggravation de la situation sur place, accentuant désordre, pagaille et chaos.
La fuite en avant du capitalisme dans ces tensions inter-impérialistes participe directement à l’aggravation de la barbarie humaine résultant de ces catastrophes. La classe ouvrière est la seule classe capable de renverser le capitalisme et de mettre un terme à ce processus suicidaire en instaurant la société communiste qui abolira à tout jamais les rapports d'exploitation et de profit qui engendrent ces horreurs.
Tino / 22.10.05
Pacte pour l’emploi qui généralise la flexibilité, assainissement de la Sécu, Plan Marshall wallon, dégraissage de la fonction publique, rationalisations dans les entreprises privées, … Après la signature du dernier-né des plans d’attaque contre les conditions de vie des travailleurs, le “contrat de solidarité entre les générations”, concocté par les ministres PS/SPa et libéraux et avalisé par deux syndicats, des milliers d’ouvriers se sont mis en grève et sont descendus dans la rue pour crier leur colère : NON au chômage ! NON à l’allongement du nombre d’années requis ! NON au report de l’âge minimal pour les préretraites ! En un mot : Ras-le-bol de la spirale infernale d’austérité et de sacrifices, ras-le-bol de la “solidarité” avec un système capitaliste qui nous propose de plus en plus clairement comme seule perspective : crève-toi d’abord au travail et crève tout court ensuite !
Les multiples débrayages spontanés ainsi que la volonté de manifester ensemble dans la rue le mécontentement et la colère montrent que la véritable solidarité ouvrière est à l’opposé de celle que veut nous imposer la bourgeoisie et qui se résume à faire payer la crise du système capitaliste par les travailleurs.
Le “pacte entre générations” appelle “les vieux” à travailler plus longtemps par “solidarité” avec “les jeunes” car, nous explique-t-on la main sur le coeur, l’augmentation de l’espérance de vie et le vieillissement de la population menaceraient d’entraîner les caisses de retraite vers la faillite et hypothèqueraient de la sorte le futur de la jeunesse. Il y a quelques années encore, la bourgeoisie nous affirmait avec la même hypocrisie qu’il fallait travailler moins pour donner des emplois aux jeunes. Le cynisme de la bourgeoisie est sans bornes !Ce qu’elle tente de cacher ainsi, c’est que cette nécessité absolue de s’attaquer aux retraites et préretraites des salariés découle de l’ampleur du chômage, qui lui-même est le produit de la crise: il est évident que lorsque le chômage explose et que des dizaines de milliers d’emplois sont supprimés, l’assiette des cotisants se trouve singulièrement rétrécie et le système des retraites s’effondre.
Face à sa crise, la bourgeoisie cherche à réduire toujours plus drastiquement la part des dépenses improductives comme le sont, de son point de vue, les retraites, les allocations chômage ou l’assurance maladie. Son objectif majeur avec le “contrat entre générations” est donc bien d’allonger la vie active afin de réduire au maximum le montant des pensions à payer.
La question des retraites anticipées ne révèle donc pas un “manque de solidarité” entre travailleurs mais bien plus fondamentalement la faillite du capitalisme et de son “Etat social”, qui n’est plus capable d’intégrer la population dans le salariat, qui rejette les masses croissantes de chômeurs dans la misère et poursuit le démantèlement du régime des pensions (rappelons nous que la bourgeoisie avait déjà rallongé de cinq années l’obtention de la pension pour les travailleuses !).
Ces attaques ne sont limitées ni à tel ou tel type de gouvernement ni à tel ou tel pays. En France ou en Autriche en 2003, en Allemagne et en Hollande en 2004, en Grande-Bretagne aujourd’hui, des mesures similaires ont été appliquées ou sont en voie de l’être. La crise s’aggrave et la bourgeoisie doit cogner de plus en plus fort. Dès lors, la remise en cause du régime des préretraites n’est que le début d’une nouvelle série d’attaques massives et frontales en préparation.
Pendant des années, la bourgeoisie a essayé démasquer l’ampleur du phénomène du chômage. Elle a employé tour à tour la manipulation des statistiques en éliminant toute une série de catégories, ainsi que le système des pré-pensions afin d’éviter le développement du mécontentement social. Mais aujourd’hui, avec la crise économique qui s’aggrave, elle ne peut plus utiliser ces expédients, c’est pourquoi elle a mis en place une chasse aux chômeurs visant à les exclure du bénéfice de leurs allocations et commence maintenant à remettre en cause le système des prépensions. Après une dure vie de labeur, les travailleurs n’ont plus aucunes certitudes d’obtenir une retraite bien méritée.
Les patrons avaient même très souvent utilisé l’argument de la possibilité des pré-pensions pour plus facilement faire accepter des sacrifices sur le plan des salaires ou de la flexibilité et, les ouvriers, contraints et forcés, les avaient subis en sachant qu’une retraite anticipée était quasi certaine. Aujourd’hui la bourgeoisie n’a plus que du sang et des larmes à nous promettre : d’abord pour les ouvriers au travail, pressurés de plus en plus pour des salaires de misère, ensuite pour les ouvriers au chômage, qui voient leurs allocations diminuer et se voient exclus en masse, et enfin pour les futurs pensionnés qui atteindront ce seuil de plus en plus difficilement et sans certitude d’une pension décente.
Cette agression concerne donc tous les salariés et requiert une riposte déterminée afin d’arrêter la continuelle paupérisation et dégradation des conditions de travail que veut nous imposer la bourgeoisie. Et notre riposte d’aujourd’hui doit s’inscrire dans un combat plus général contre un système qui n’a plus rien à nous offrir si ce n’est que plus de souffrances et de misères.
Même Verhofstadt qui, jusqu’il y a peu, prétendait que “tout va bien en Belgique” est obligé de reconnaître la réalité de la récession. La bourgeoisie arrive de moins en moins à masquer la gravité de la crise et n’a d’autre choix que d’aller toujours plus loin dans ses attaques anti-ouvrières. Son souci principal est aujourd’hui: comment faire passer les attaques ? Comment désamorcer l’inévitable colère ouvrière ? Depuis des mois, elle a répandu un énorme brouillard afin de déboussoler la classe ouvrière. Dans des négociations interminables, gouvernement, patronat et syndicats ont déplacé des points et des virgules, fait des déclarations musclées, annonçant le pire pour, après négociation, trouver un “texte de compromis honorable pour tous”.
Le gouvernement comptait faire passer son “contrat” sans trop de réactions incontrôlées, s’appuyant sur ses fidèles serviteurs – les syndicats – pour étouffer et canaliser toute contestation. Ceux-ci ont d’abord organisé la division des travailleurs par un astucieux partage des tâches : le 7 octobre, la FGTB lançait une grève générale, tandis que la CSC menait une vaste campagne médiatique sur les “dix bonnes raisons de ne pas faire grève”. De toute façon, la FGTB prenait soin d’éviter les rassemblements ou les manifestations empêchant ainsi les ouvriers des différents secteurs de se rencontrer, de sentir qu’ils représentent une même force et surtout d’entamer un début de réflexion sur la gravité de la situation.
Si aujourd’hui tous les syndicats appellent à la grève générale et à la manifestation nationale … à la veille d’un long week-end, c’est pour récupérer la colère ouvrière et l’orienter vers un soutien aux organisations syndicales pour négocier “un meilleur pacte entre générations”, c’est-à-dire faire passer l’essentiel des mesures avec quelques adaptations superficielles. Aussi, il ne faut pas se laisser prendre par les discours musclés actuels des syndicats, aidés qu’ils sont en cela par les déclarations provocatrices des ministres ou du patronat et par le refus affiché du gouvernement de renégocier l’accord. Le rôle des syndicats – comme des ministres socialistes d’ailleurs, qui prétendent imposer ces mesures pour sauvegarder “le meilleur système de protection sociale du monde” – consiste à faire accepter la logique de gestion du capital, de défense de l’Etat bourgeois, qui implique d’accepter d’emblée les licenciements, la diminution du salaire social, pour ne pas affaiblir le capital national face à la concurrence internationale.
L’enjeu ne se réduit donc pas à la question des préretraites. Les mesures gouvernementales représentent une attaque contre toute la classe ouvrière: les vieux comme les jeunes, les actifs comme les chômeurs, les travailleurs de toutes les régions et toutes les communautés. Face aux attaques, il n’y a pas d’autres alternatives que de lutter pour défendre ses conditions de vie et de travail. Et l’actualité sociale montre que le prolétariat est bien vivant et qu’il n’a pas d’autre choix que de développer son combat partout dans le monde. C’est déjà ce qu’ont montré, face à des attaques du même ordre, les travailleurs de la fonction publique en France et en Autriche en 2003, les manifestations en Allemagne ou encore les trois cent mille manifestants contre les plans du gouvernement Balkenende aux Pays-Bas en 2004. Les ouvriers savent très bien qu’ils doivent imposer un rapport de force en leur faveur et que les négociations syndicales ne servent qu’à avaliser les mesures scélérates et confirmer les défaites. Ce n’est que dans la lutte que la classe ouvrière peut faire reculer la bourgeoisie.
Contre les discours syndicaux affirmant que “cela ne concerne pas un tel et un tel”, contre le régionalisme et le sectorialisme, contre le dévoiement des luttes par les syndicats vers la capitulation par rapport aux mesures de la bourgeoisie, les travailleurs doivent mettre en avant la solidarité entre eux, la recherche de l’unité, la mise en avant de l’intérêt général contre la mise en avant par les syndicats des spécificités. Cette solidarité de classe s’exprime avec de plus en plus de vigueur en Europe ces derniers temps, dépassant les divisions syndicales et sectorielles :
– à Daimler-Benz en 2004 en Allemagne, les travailleurs des autres sièges de l’entreprise se sont mis en grève en solidarité avec un siège qu’on voulait fermer ;
– à Heathrow en Grande-Bretagne récemment, un millier de travailleurs de l’aéroport se sont mis spontanément en grève par solidarité avec les 670 ouvriers de l’entreprise de restauration dès l’annonce de leur licenciement ;
– aux Etats-Unis, lors de la grève de 18 500 mécaniciens de Boeing, les ouvriers ont refusé tout net la manoeuvre de division entre “nouveaux” et “anciens”, jeunes et vieux. Ils se sont également opposés à une tentative de la direction au cours de la négociation d’opposer les intérêts des ouvriers entre eux avec la proposition d’introduire des mesures différentes entre 3 grandes usines de production.
La crise contraint toutes les bourgeoisies nationales à prendre les mêmes mesures plus brutalement, plus massivement. L’uniformisation de ces attaques au niveau mondial, révèle les contradictions du système, la faillite du capitalisme et son impasse historique. Elle doit stimuler l’émergence chez les travailleurs d’un questionnement sur les perspectives d’avenir réelles pour la société qu’offre la bourgeoisie.
OUI à la solidarité de classe dans la lutte contre les attaques !
OUI au combat pour la construction d’une société basée sur les besoins humains et non pas sur le profit !
Internationalisme, 27.10.05
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