La classe ouvrière, après deux mois de mouvements revendicatifs de grève, a non seulement rien gagné mais a épuisé des forces considérables dans des luttes qui l'ont surtout plus enfoncée et enracinée dans le régime capitaliste actuellement en décomposition.
Au début, cédant à l'activisme de certains groupes trotskistes croyant trouver une issue au mécontentement généralisé et à la politique de famine du gouvernement, les travailleurs se sont rejetés dans une lutte revendicative de salaire où la surenchère des partis dits ouvriers devait jouer.
Les mouvements du début de la vague -la grève Renault- ne puisaient pas leur combativité dans les mots d'ordre économiques avancés par les trotskistes ou la CGT, mais essentiellement dans la situation sociale aggravée au lendemain des décrets de réduction des denrées alimentaires contingentées. N'importe quel prétexte pouvait provoquer une grève à ce moment, mais l'issue de cette grève était dépendante de la possibilité de concrétiser le mécontentement général, en liant toutes les masses travailleuses, indépendamment de la corporation, sur un objectif qui oblige le gouvernement à céder ou à manifester son vrai rôle de répression au service de la bourgeoisie.
Par là même, la lutte revendicative devait s'écarter du terrain purement économique et syndical pour se poser sur le plan social comme cela eut lieu à Lyon et à Toulouse.
Pour les grèves qui se déclenchèrent après la grève de Renault, nous ne prétendons pas qu'elles ont été créées de toutes pièces par le parti stalinien, mais ce parti démissionnaire du gouvernement a profité du mécontentement général pour diriger et fomenter au besoin les grèves, dans le seul but de créer des ennuis à la clique gouvernementale et l'obliger à composer politiquement avec lui. De là la synchronisation parfaite de ces grèves par paquet. Commençant par les fédérations syndicales les plus stalinisantes, les revendications se succèdent les unes aux autres. C'est la métallurgie, puis les gaziers-électriciens avec M. Paul en tête, ensuite la première grande grève générale des cheminots, les banques, enfin la grève avortée des services publics. Mais cette dernière tentative de grève trouve non seulement une classe ouvrière épuisée et lasse, mais le PCF se rend compte que sa politique d'intimidation envers le gouvernement n'a pas pris.
Les masses ouvrières lassées par ce jeu de grève stérile et épuisant, le PCF voyait son influence sur les masses ouvrières diminuer non par une cristallisation de ces dernières vers un autre parti, mais de guerre lasse. Le bureau politique du PCF prenant conscience de cet état de fait nouveau, n'ayant en rien obligé le gouvernement à un compromis politique -surtout étrangère- votait une résolution rancardant une fois de plus l'arme de la grève. Même les trotskistes, ces activistes impénitents qui remuent du vide, parlent de pause.
La grève des services publics avorte, les conversations deviennent interminables et la classe ouvrière s'en remet encore une fois à la mansuétude du parlement bourgeois, qui ne fait qu'entériner les décisions du gouvernement sans avoir, comme d'habitude, oublié de faire de la démagogie -se rappeler la résolution présentée par le groupe socialiste et retirée en dernière minute.
Mais si la lutte de classe piétine, s'épuise et se perd sur le terrain que lui présentent la bourgeoisie et son État, les rivalités impérialistes ne s'en développent que plus. Après les discours acrimonieux des trois grands sur l'échec de la conférence de Paris, où chacun brandit les foudres de la guerre en rejetant la responsabilité sur les autres, le plan Marshall s'élabore entre treize nations occidentales à Paris, tandis que la Russie -après avoir jeté l'interdit sur ce plan et empêcher ses satellites d'y participer- tente, elle aussi, de mettre sur pied un plan économique pour les nations de L'Europe orientale et centrale. Les deux blocs impérialistes se séparent de plus en plus. Si la menace de guerre est à l'horizon, nous ne devons quand même pas penser qu'elle est pour très bientôt. Le prétexte existe déjà ; nous passerons encore par des moments de grands flirts entre les deux blocs impérialistes, mais le déclenchement de la guerre dépend en dernier ressort de l'attitude de soumission de la classe ouvrière à la bourgeoisie.
Toute lutte à venir de la classe ouvrière devra donc être dirigée dans le sens de la lutte contre les préparatifs de guerre des deux blocs impérialistes. À la base, dans tous les conflits quotidiens, il faut rattacher les objectifs immédiats à la lutte contre la troisième guerre mondiale. C'est là la seule possibilité de salut.
Sadi.
Dans les compétitions internationales, la guerre de 1914 a fait passer au second plan les deux grandes puissances coloniales qu'ont été l'Angleterre et la France. La lutte d'expansionnisme colonialiste des impérialismes passe également au second plan pour poser la lutte impérialiste sur un plan supérieur de rivalités où s'affirme un expansionnisme purement économique de conquêtes des marchés, de lutte pour assurer, sur ces marchés, la vente de produits créés en surabondance et menaçant de ne pas trouver de débouchés.
L'Allemagne -qui a consolidé sa puissance en Europe en battant la France en 1870- est devenue une des plus grandes puissances industrielles du monde. Les États-Unis -qui se sont développés en paix d'une manière considérable- sont déjà en passe, en 1914 , de devenir la plus grande puissance industrielle de monde.
L'ouverture de cette nouvelle phase amène la formation de deux blocs où persistent toutes les contradictions capitalistes antérieures. C'est ensuite la crise de 1929, crise de surproduction, et son seul remède capitaliste : la guerre de 1939-45.
Pendant toute cette période, à partir de 1914, l'Angleterre et la France passent au second plan dans les rivalités de blocs et perdent progressivement leur puissance malgré leurs efforts désespérés. Cependant la puissance coloniale et économique de l'Angleterre était mieux assise historiquement que celle de la France, ce qui permet de comprendre que l'Angleterre aujourd'hui peut résister à une décadence complète et rester une des plus grandes puissances de second ordre, alors que la décadence de la France ne fait que s'accentuer chaque jour.
La guerre du Tonkin puis les guerres du Maroc (dont la fameuse guerre du Rif), dernières velléités d'expansionnisme colonialiste de la France, lui ont coûté cher sans lui rapporter dans l'immédiat. Il faut ajouter que la France - qui avait eu beaucoup de mal à se relever de la guerre de 1870, se trouvait affaiblie à cette époque même où, sur le plan international, la lutte pour la concurrence prenait une acuité intense et demandait au contraire un développement considérable de la puissance. C'est ce qui explique en grande partie que la guerre de 1914-18 a été la dernière épreuve de la France en tant que puissance mondiale. Cette guerre où l'Allemagne fut vaincue eut pour résultat l'élimination de l'impérialisme français, alors que l'Allemagne devait encore se développer et rester une des plus grandes puissances industrielles du monde.
La guerre de 1939-45 devait encore accentuer cette déchéance et donner à la France une importance de 3ème ordre.
On peut se demander, dans ces conditions, ce qui peut bien constituer les lettres de noblesse de la politique extérieure de la France. Elles sont constituées par quatre éléments principaux :
Dans l'état actuel de l'économie française, il est en effet étonnant de voir la France tenir un si grand rôle en politique internationale. Les plumes de paon, dont se revêt la politique extérieure française, cachent une réalité actuelle de chute totale de sa puissance réelle, déjà fortement handicapée après la guerre de 1914. La déchéance à tous les degrés de l'économie française et le fait que la France manifeste un verbiage et tient une place dans tous les grands conseils des 4 puissances paraissent en effet étonnants si on les confronte. C'est que la France joue le rôle du fou dans la politique internationale et que les puissances ont besoin que quelqu'un joue ce rôle ; et que ce quelqu'un soit la France, c'est à cause de sa situation géographique, du "prestige de son histoire passée", dans le domaine philosophique-intellectuel bourgeois comme dans le domaine de la parade et de la fanfaronnade militaire.
La France est démographiquement le pays le plus affaibli du monde entier et par conséquent le plus vieux. En 1914, il y a, sur un total de 41.500.000 habitants en France, 40.300.000 Français et 1.200.000 étrangers.
En 1946, on ne compte plus qu'un total de 40.500.000 habitants, dont 1.700.000 étrangers + 2.100.000 étrangers naturalisés entre les deux guerres.
La situation démographique de la France est à l'image de sa situation économique en général. Pour lutter contre ce vieillissement, l'État a eu beau tenter des transfusions de sang de l'étranger, le remède s'est avéré, comme tous les palliatifs employés par la France dans tous les domaines de l'économie, non comme un remède véritable mais comme un toxique qui ne fait qu'aggraver le mal.
En effet, en même temps que le vieillissement de la population, plusieurs autres phénomènes démographiques s'y ajoutent. Les Français qui travaillent dans la production voient leur âge moyen productif s'abaisser de plus en plus rapidement, en même temps que la quantité relative de Français travaillant directement dans la production s'abaisse elle aussi graduellement.
La productivité des Français baisse indépendamment de l'appareil productif qui est lui-même à la fois vieux et délabré.
L'appareil productif de la France est dans un état lamentable et la comparaison avec les pays étrangers met en évidence une des tares principales dont souffre l'économie française, évincée chaque année un peu plus de la concurrence internationale.
Le parc des machines-outils françaises se monterait, d'après un sondage effectué en 1943[1], à un effectif réparti de la manière suivante : 25 mille machines environ ont plus de 50 ans, 35 mille ont de 40 à 50 ans, 80 mille ont de 30 à 40 ans, 230 mille de 20 à 30 ans, 110 mille de 10 à 20 ans et 80 mille moins de 10 ans. Soit un total de 550 mille machines environ (dont 40 % de provenance étrangère) qui ont un âge moyen de 25 à 27 ans.
Le parc aviation avait environ 12 à 14 ans ; le parc automobile 20 ans ; le parc SNCF 30 ans et le parc des constructeurs de machines-outils 16 à 18 ans.
Le rapport ajoute : "... quatre années d'occupation et de destructions ou de travail dans des conditions difficiles (absence de lubrifiants, main-d’œuvre inhabile, sabotages...) n'ont pas amélioré la situation. Un minimum de 30 mille machines auraient été détruites ou prises par les Allemands…”
L'âge moyen des machines-outils était aux environs de 1943 : en Allemagne, de 5 à 7 ans, ainsi qu'en Italie ; aux USA, en Angleterre, en URSS et au Canada, de 4 à 6 ans.
De plus, depuis 1933, l'Allemagne a quadruplé le nombre de ses machines-outils puisqu'en 1943 elle disposait de 3 millions de machines, dont présentement une assez faible proportion serait inutilisable.
Aux USA, la production de machines-outils aurait augmenté de 650 % ; quant au Canada, si sa production annuelle d'avant-guerre était de 1 million de dollars, elle est de 25 millions en 1942-43.
En URSS, l'industrie mécanique était de 22 fois supérieure en 1940 qu'en 1928 (début du premier plan quinquennal) et, entre 1941 et 1944, les productions essentielles, conditionnées par la machine-outil, ont quadruplé pour l'aviation, sextuplé pour mat. d'art. et octuplé pour les chars.
Enfin, ajoutons que la production française de machines-outils était de 20 mille par an environ en 1945, alors qu'elle était de 60 mille en Suisse et de 400 mille aux USA.
Dans ces conditions, la France ne peut plus se permettre de se poser industriellement sur le plan international. Elle ne peut que fabriquer, à un prix de revient plus élevé qu'a l'étranger, une marchandise de moins bonne qualité, en obtenant un rendement moindre de ses machines, c'est-à-dire en faisant supporter à sa population productive :
C'est ce qui constitue en définitive le seul véritable intérêt du capitalisme français, capitalisme que l'État essaye en vain de sauver.
Un bref examen de la balance des comptes et de la balance commerciale de France montrera également l'évolution générale, depuis 1914, vers la chute.
BALANCE DES COMPTES
Paiements courants (en millions de francs de 1928)
Balance des comptes
Soldes | 1913 | 1920 | 1926 | 1929 | 1938 | 1945 |
---|---|---|---|---|---|---|
Créditeur | 1894 | 9255 | 9255 | 4489 | ||
débiteur | 27693 | 120 | 24653 |
La balance des comptes est établie à l'aide d'opérations en capital. Quand le solde des paiements courants est créditeur, l'État achète de l'or, souscrit à des emprunts à l'étranger, augmente sa réserve de devises. Dans l'éventualité inverse, si les paiements courants ont un solde débiteur, l'État se trouve dans l'obligation d'exporter de l'or, de faire des emprunts français à l'étranger, de diminuer ses réserves de devises, de demander des avances aux banques d'émissions et autres palliatifs.
BALANCE COMMERCIALE (en francs 1928)
Pour l'année 1945, les dépenses d'importations se sont élevées à 19.301.000.000 frs ; les recettes d'exportations à 1.256.000.000
Nous aurons une idée plus exacte en faisant une comparaison depuis 1914.
SOLDE DÉBITEUR DE LA BALANCE COMMERCIALE (en millions de francs)
1913 | 1920 | 1926 | 1929 | 1938 | 1945 |
7302 | 35910 | 2000 | 10011 | 6100 | 18048 |
Remarquons les soldes d'après les deux guerres.
Enfin, voici la BALANCE DES COMPTES pour 1945 (en millions de frs de 1945)
BALANCE DES COMPTES pour 1945
Recettes | Dépenses | |
Balance commerciale | 2111 | 44849 |
des paiements totaux | 17027 | 90986 |
Solde débiteur des paiements courants : 73959 millions de francs
Un tel tableau serait incomplet sans un aperçu de l'ensemble de la production et de sa tendance.
PRODUCTION AGRICOLE:
MOYENS DE PRODUCTION
avant 1914 | avant 1939 | 1945 | 1946 | |
Main-d'oeuvre -en milliers d'hommes) |
8855 | 7204 | 6500 | 6500 |
Surfaces cultivées (en ha)
|
27300 |
11800 |
2400 |
|
chevaux de plus de 3 ans (en milliers) | 2550 | 2220 | 1750 | |
Tracteurs (en milliers) | 30 | 35 |
(*) Observations : diminution des terres labourées au profit des prairies et pâturages - la mécanisation dans les campagnes est pour l'instant insignifiante.
PRODUITS AGRICOLES
avant 1914 | avant 1939 | 1945 | 1946 | |||
Blé (en milliers de tonnes) |
8840 |
|
4320 3940 4090 |
6670 5450 6320 |
||
Vin (en millions d'hl) | 53,4 | 62,5 | 28,6 | 34,9 | ||
Effectifs des troupeaux
|
14,8 |
15,6 |
14,3 |
|||
Poids moyen d'un bovin (en kg)
|
|
280 |
200 |
Pour le blé, on observe également une baisse tendancielle des superficies ensemencées de 1/6ème du total entre 1910 et 1937 ; et, en même temps, une baisse du rendement de 1/13ème.
PRODUCTION INDUSTRIELLE
Comparaison d'indices de la PRODUCTION MONDIALE (base 100 en 1938)
PRODUCTION MONDIALE
1939 | 1941 | 1942 | 1943 | 1944 | 1945 | 1946 | |
États-Unis | 122 | 182 | 124 | 269 | 264 | 224 |
janv : 180 |
Canada | 109 | 181 | 233 | 279 | 278 | 233 |
janv : 198 |
Mexique | 98 | 102 | 107 | 112 | 115 | 123 | 129 |
Chili | 99 | 114 | 113 | 112 | 116 | 133 |
janv : 119 |
INDICE GÉNÉRAL DE LA PRODUCTION FRANÇAISE
PRODUCTION FRANÇAISE
(Base 100 en 1913) | (Base 100 en 1938) | |||
1913 | 100 | 1938 | 100 | |
1929 | 169 | 1944 | 41 | |
1938 | 92 | 1945 | janvier | 32 |
juin | 45 | |||
décembre | 65 | |||
1946 | janvier | 45 | ||
juin | 84 | |||
octobre | 87 |
Quand on examine l'ensemble de la production, on se rend compte de la place qu'y occupe la France. Mais pour bien comprendre la signification de ces statistiques, il faut faire une mise au point.
Il y a un phénomène du capitalisme en général qui atteint un pays comme la France plus profondément que tout autre.
En 1929, les grands pays industriels, USA, Allemagne, Angleterre (la Russie en dehors se relevait péniblement de la révolution et commençait à tâtons son premier plan quinquennal), avaient atteint un tel niveau de production (en productivité et en quantité) que d'autant plus grande fut la crise de 1929. Le niveau atteint en 1929 fut tel que tous les pays, même les USA, n'avaient pas encore réussi à l'atteindre en 1939, à la veille de la guerre, c'est-à-dire au moment de la course aux armements. Ce n'est qu'en 1940-41 que la production dépasse celle de 1929, pour aller beaucoup plus loin en 1943, année optimum de la production dans tous les pays du bloc américain (y compris la Russie) sauf la France.
En 1943, vu l'état de son appareil productif, la France n'atteint pas encore le stade de 1938, alors que tous les pays ont dépassé de loin le stade de 1929 en raison de la production de la guerre accélérée ; on voit là le degré de déchéance de l'économie française.
À l'heure actuelle, il y a, dans le monde entier, le même phénomène qu'après 1929. Une fois la guerre finie, tous les pays ont essayé de conserver le rythme de production de la guerre et même de le dépasser. On peut constater qu'aujourd'hui il y a crise puisque les pays du monde entier - à part les USA qui dépassent encore le niveau mondial - produisent moins qu'en pleine guerre. En effet, le capitalisme tend à résoudre sa crise dans la guerre mondiale qui est la concrétisation de sa crise permanente. Dans ces conditions, la plupart des pays ont une économie qui leur permet en cas de guerre de dépasser, en quantité et en productivité, leur production actuelle, laquelle est ralentie faute de débouchés ; alors que la France, elle, a du mal à atteindre, en saignant à blanc sa classe productive, le niveau de 1938. Dans un conflit futur, l'appareil économique de la France compte pour rien et ses hommes sont justes bons à faire soit des soldats, soit du cheptel humain de main d'œuvre réquisitionnée pour l'exportation.
Pour terminer ce tableau d'ensemble de la déchéance de la France, il est nécessaire de montrer la répercussion de la situation économique sur la situation financière, sur la monnaie.
Les guerres de 1914-18 et de 1938-45 ainsi que la crise de 1939 ont affaibli la France d'une manière qui nous fait très bien saisir la suite ininterrompue de dévaluations de sa fortune nationale.
En 1912, année record, la fortune de la France s'élève à 285 milliards de francs germinal environ. La guerre de 1914-18 ampute de 30 % cette fortune ; évaluée en 1928, elle se serait montée à 214 milliards. En 1933, à la faveur de la stabilisation Poincaré, elle est relevée à 235 milliards. Les dévaluations successives de 1936 à 1938 diminuèrent la fortune nationale qui fut abaissée à 181 milliards. L'appauvrissement résultant de la 2ème guerre mondiale serait environ de 40 %, ce qui amènerait, en 1945, la fortune nationale à environ 75 ou 80 milliards en francs germinal.
D'après une estimation personnelle, les dévaluations successives de 1945 à 1947 auraient porté un coup à cette fortune, un coup à peu près identique à celui de la période de 1936-38, c'est-à-dire encore plus de la moitié[2].
Il y a plusieurs manières de présenter des estimations de la valeur du franc, nous en avons choisi deux :
ESTIMATION DE LA VALEUR DU FRANC D'APRÈS SON POUVOIR D'ACHAT (note 2)
Prix de gros Prix de détail
Indice de 45 art. | Indice de la valeur du franc |
Indice de 34 art. | Indice de la valeur du franc |
Indice 100 en 1914 |
|
1914 | 104 | 96,2 | 100 | 100 | |
1938 | 540 | 15,6 | 706 | 14,2 | |
1945 | 2400 | 4,2 | 2778 | 3,6 | |
1946 | 4653 | 2,1 | 5544 | 1,8 | |
1946 | 4533 | ||||
1947
|
6042 |
Si l'on résume donc le sens de cette statistique, on peut faire les remarques suivantes : en 1938, le franc a perdu 6 fois de sa valeur par rapport à 1914 ; en 1947, le franc a perdu la moitié de sa valeur par rapport à 1938, ce qui donne :
1914=100 1938=15,6 1945=3,6 1947=1,8
Dans ce sens, si l'on examine les effets de l'expérience Blum en mars 1947, on remarque que, sur le tableau d'ensemble, cela correspond uniquement à un coup de frein dans une descente trop rapide mais non à une baisse réelle du coût de la vie.
Voici, pour faire une comparaison intéressante avec les prix pratiqués en France, un regard sur l'évolution des prix de gros en GB et aux USA.
L'ÉVOLUTION LES PRIX DE GROS EN ANGLETERRE ET AUX USA
ANGLETERRE ET USA
1945 | 1946 | 1947 | |
Angleterre Indice 100 en 1930 |
169 |
180 |
183 |
États-Unis |
105,8 155,7 |
|
Nous terminons ce coup d'œil général sur la situation économique de la France en montrant l'évolution du budget de l'État qui vient peser lourdement sur un pays déjà si appauvri chez les classes riches, qui subissent l'appauvrissement général du pays, mais surtout sur la classe ouvrière qui, en fin de compte, supporte toujours les plus lourdes charges : dans des salaires plus bas, dans un prix de la vie qui ne fait que monter sans cesse, et cela sans aucun rapport avec les augmentations infimes de salaires consenties par l'État, démagogiquement, pour justifier de constantes dévaluations ; enfin la classe ouvrière doit supporter en plus des impôts de plus en plus écrasants, directs et aussi indirects.
BUDGET (en millions de francs)
Dépenses | Recettes | Déficit | |
1913 | 5067 | 5092 | +25 |
1938 | 82345 | 54553 | -27692 |
1946 | 586271 | 372552 | -213719 |
(à suivre)
Philippe
[1] D'après un rapport de René Plaud (commissaire à l'office professionnel de la machine-outil), paru dans un article de la "Revue économique et sociale" de juillet 1943 intitulé "Le rôle de la machine-outil dans la reconstruction française", d'où sont tirées toutes ces statistiques concernant la France et les pays étrangers pour la machine-outil.
[2] D'après l'article "Dévaluations et fortune nationale" de Gerville-Reache - "Une semaine dans le Monde" - 28 juin 1947
L'influence croissante des idées de Mach au sein du mouvement socialiste russe s'explique aisément par les conditions sociales existantes. La jeune intelligentsia russe n'avait pas encore trouvé, comme en Europe occidentale, sa fonction sociale au service d'une bourgeoisie. L'ordre social était encore barbare, pré-bourgeois. Elle ne pouvait donc viser qu'à une chose : renverser le tsarisme en adhérant au parti socialiste russe. Mais en même temps, elle restait en liaison spirituelle avec les intellectuels occidentaux et participait aux divers courants de la pensée occidentale. Il était ainsi inévitable que des efforts fussent tentés pour combiner ces courants au marxisme.
Lénine, bien sûr, avait parfaitement raison de s'y opposer. La théorie marxiste ne peut rien tirer d'important des idées de Mach. Dans la mesure où les socialistes ont besoin d'une connaissance plus approfondie de la pensée humaine, ils peuvent la trouver dans l'œuvre de Dietzgen. L'œuvre de Mach était importante parce qu'il déduisait de la pratique des sciences de la nature, des idées analogues à celles de Dietzgen et qui étaient utiles aux savants pour leurs travaux. Il est d'accord avec Dietzgen lorsqu'il ramène le monde à l'expérience, mais il s'arrête à mi-chemin et, imprégné des courants anti-matérialistes de sa classe sociale et de son époque, il donne à ses conceptions une forme vaguement idéaliste. Ceci ne peut en aucune manière se greffer sur le marxisme et bien plus, c'est justement ici que la critique marxiste devient nécessaire.
Cependant Lénine, lorsqu'il attaque les conceptions de Mach, commence par présenter cette opposition d'une façon inexacte. Partant d'une citation d'Engels, il dit :
Il est clair que ce n'est pas là l'expression véritable de l'antithèse. D'après le matérialisme, le monde matériel donne naissance à la pensée, à la conscience, à l'esprit, à tout ce qui est spirituel. La doctrine contraire, selon laquelle le spirituel donne naissance au monde matériel, enseignée par la religion, se trouve chez Hegel, mais pas du tout chez Mach. L'expression "aller de..." ne sert ici qu'à mélanger deux choses tout à fait différentes. Aller des choses à la sensation et à la pensée veut dire que les choses donnent naissance aux pensées. Aller non pas des pensées aux choses, comme Lénine le faisait dire à tort à Mach, mais des sensations aux choses signifie que ce n'est qu'à travers nos sensations que nous pouvons arriver à la connaissance des choses. Leur existence toute entière est construite à partir de nos sensations ; et pour souligner cette vérité, Mach dit : elles consistent en nos sensations.
Ici apparaît clairement la méthode suivie par Lénine dans sa controverse. II essaie d'imputer à Mach des conceptions que celui-ci n'a jamais eues. Et notamment la doctrine du solipsisme. Et il poursuit ainsi :
Or, s'il y a quelque chose qu'on peut affirmer sans aucun doute possible à propos de Mach et d'Avenarius, c'est bien que leur doctrine n'a rien à voir avec le solipsisme ; le fondement même de leur conception du monde est précisément l'existence, déduite avec une logique plus ou moins stricte, d'autres hommes semblables à moi-même. Toutefois, Lénine ne se préoccupe manifestement pas de savoir ce que Mach pense en réalité, tout ce qui l'intéresse c'est ce qu'il devrait penser s'il suivait la même logique que la sienne.
De là, ne découle qu'une seule conclusion : "Le monde n'est fait que de mes sensations". Mach n'a pas le droit de mettre comme il le fait, "nos" au lieu de "mes"." (p. 42)
En vérité, voilà une méthode agréable pour discuter. Ce que j'écris comme étant l'opinion de mon adversaire, celui-ci a le culot de le remplacer sans raison apparente par ses propres écrits. D'ailleurs, Lénine sait très bien que Mach parle de la réalité objective du monde, témoins les nombreux passages que lui-même cite. Mais Lénine ne se laisse pas tromper par Mach, comme tant d'autres :
N'aurait-il pas mieux fait d'essayer de comprendre le sens que Mach donne à l'affirmation que les objets se composent de sensations ?
Lénine a aussi bien des difficultés avec les "éléments". Il résume en six thèses la conception de Mach des éléments ; nous y trouvons dans les thèses 3 et 4 :
Quiconque connaît un tant soit peu Mach, se rend immédiatement compte que sa théorie est ici déformée, jusqu'à en devenir absurde. Voici ce que Mach affirme en réalité : chaque élément, bien que décrit par de nombreux mots, est une unité inséparable, qui peut faire partie d'un complexe que nous appelons physique mais qui, combiné à d'autres éléments différents, peut former un complexe que nous appelons psychique. Lorsque je sens la chaleur d'une flamme, cette sensation, avec d'autres sensations sur la chaleur, les indications des thermomètres, rentrent avec certains phénomènes visibles dans le complexe "flamme" ou "chaleur" appartenant au domaine de la physique. Combinée à d'autres sensations de douleur et de plaisir, avec des souvenirs et des perceptions du système nerveux, la même chose rentre alors dans le domaine de la physiologie ou la psychologie. "Aucun (de ces rapports) n'existe tout seul, dit Mach, tous les deux sont toujours présents en même temps". Car en fait ce sont les éléments d'un même tout, combinés de façons différentes. Lénine en déduit que les rapports ne sont pas indépendants et ne peuvent exister qu'ensemble. Mach ne sépare à aucun moment les éléments en éléments physiques et éléments psychiques, pas plus qu'il ne distingue dans ces mêmes éléments une partie physique et une partie psychique ; le même élément sera physique dans un certain contexte et psychique dans un autre. Lorsqu'on voit de quelle manière approximative et inintelligible Lénine reproduit les conceptions de Mach, on ne s'étonne pas qu'il la trouve absurde et qu'il parle de "l'assemblage le plus incohérent de conceptions philosophiques opposées" (p. 53). Si l'on ne prend pas la peine, ou si l'on est incapable de découvrir les véritables opinions de son adversaire, si l'on prend quelques phrases par-ci par-là pour les interpréter à sa manière, rien d'étonnant à ce que le résultat soit sans queue ni tête. Et personne ne peut appeler cela une critique marxiste de Mach.
Lénine déforme de la même façon Avenarius. Il reproduit un petit tableau d'Avenarius donnant une première division en deux catégories des éléments : ce que je trouve présent, c'est en partie ce que j'appelle le monde extérieur (par exemple : je vois un arbre) et en partie autre chose (je me souviens d'un arbre, je me représente un arbre). Avenarius appelle les premiers éléments-objets (sachhaft), et les seconds éléments-pensées (gedankenhaft). Sur ce, Lénine, indigné, s'écrie :
Il ne se doute visiblement pas à quel point il frappe faux.
Dans un chapitre intitulé ironiquement "L'homme pense-t-il avec son cerveau ?", Lénine cite (p. 87) le passage où Avenarius dit que la pensée n'est pas l'habitant etc., du cerveau. II en tire la conclusion que, selon Avenarius, l'homme ne pense pas avec son cerveau ! Pourtant, un peu plus loin, Avenarius explique, dans sa terminologie, artificielle certes, mais cependant assez nettement, que ce sont les actions du monde extérieur sur notre cerveau qui produisent ce que nous appelons les pensées. Mais cela Lénine ne l'a pas remarqué. Manifestement, il n'a pas eu la patience de traduire en termes communs le langage abscons d'Avenarius. Mais pour combattre un adversaire, il faut avant tout connaître son point de vue. L'ignorance n'a jamais pu servir d'argument. Ce qu'Avenarius conteste ce n'est pas le rôle du cerveau, mais le fait que la pensée soit baptisée produit du cerveau, que nous lui assignions, en tant qu'être spirituel, un siège dans le cerveau, que nous disions qu'elle vit dans le cerveau, qu'elle le commande, ou qu'elle soit une fonction du cerveau. Or, comme nous l'avons vu, la matière cérébrale occupe précisément une place centrale dans sa philosophie. Toutefois, Lénine considère que tout ceci n'est qu'une "mystification" :
Le critique Lénine peste contre une auto-mystification sans aucune base réelle. Il trouve de l'idéalisme dans le fait qu'Avenarius parte d'éléments primaires et que ces éléments soient les sensations. Cependant, Avenarius ne part pas des sensations mais simplement de ce que l'homme primitif et inculte trouve autour de lui : des arbres, des choses, le milieu environnant, ses semblables, un monde, ses songes, ses souvenirs. Ce que l'homme trouve devant lui ce ne sont pas des sensations mais le monde. Avenarius essaie de construire, à partir des "données immédiates, une description du monde sans utiliser le langage courant (de choses, de matière et d'esprit) avec ses contradictions. Il trouve que des arbres sont présents, que chez les hommes existent des cerveaux et, du moins le croit-il, des variations dans les cerveaux produits par ces arbres, et des actes, des paroles des hommes déterminés par ces variations. Visiblement Lénine ne soupçonne même pas l'existence de tout cela. Il essaie de transformer le système d'Avenarius en "idéalisme", en considérant le point de départ d'Avenarius, l'expérience, comme constituée de sensations personnelles, de quelque chose de "psychique", si l'on en croit sa propre interprétation matérialiste. Son erreur est ici de prendre l'opposition matérialisme/idéalisme au sens du matérialisme bourgeois, en prenant pour base la matière physique. Ainsi, il se ferme complètement à toute compréhension des conceptions modernes qui partent de l'expérience et des phénomènes en tant que réalité donnée.
Lénine invoque alors toute une série de témoins pour qui les doctrines de Mach et d'Avenarius ne sont qu'idéalisme et solipsisme.
Il est naturel que la foule des philosophes professionnels, conformément à la tendance de la pensée bourgeoise d'affirmer la primauté de l'esprit sur la matière, s'efforce de développer et de souligner le côté anti-matérialiste des deux conceptions ; pour eux aussi, le matérialisme n'est rien d'autre que la doctrine de la matière physique. Et peut-on demander quelle est l'utilité de tels témoins ? Les témoins sont nécessaires lorsque des faits litigieux doivent être éclaircis. Mais à quoi servent-ils lorsqu'il s'agit d'opinions, de théories, de conceptions du monde ? Pour déterminer le contenu véritable d'une conception philosophique, il faut simplement lire soigneusement et reproduire fidèlement les passages où elle s'exprime, tenter de comprendre et de restituer ses sources ; c'est le seul moyen de trouver les ressemblances ou les différences avec d'autres théories, de distinguer les erreurs de la vérité. Cependant pour Lénine les choses sont différentes. Son livre s'insère dans un procès juridique et pour cette raison il importait de faire défiler toute une série de témoins. Le résultat de ce procès était d'une importance politique considérable. Le "machisme" menaçait de briser les doctrines fondamentales, l'unité théorique du parti. Les représentants de cette tendance devaient donc être mis rapidement hors de combat. Mach et Avenarius constituaient un danger pour le parti ; par conséquent, ce qui importait ce n'était pas de chercher ce qu'il y avait de vrai et de valable dans leurs théories, de voir ce qu'on pouvait en tirer pour élargir nos propres conceptions. Il s'agissait de les discréditer, de détruire leur réputation, de les présenter comme des esprits bouillons, pleins de contradictions internes, ne racontant que des idioties sans queue ni tête, essayant en permanence de dissimuler leurs véritables opinions et ne croyant même pas à leurs propres affirmations[1](1).
Tous les philosophes bourgeois, devant la nouveauté de ces idées, cherchèrent des analogies et des relations entre les idées de Mach et d'Avenarius et les systèmes philosophiques précédents ; l'un félicite Mach de renouer avec Kant, d'autres lui découvrent une ressemblance avec Hume, ou Berkeley, ou Fichte. Dans la multitude et la variété des systèmes philosophiques, il n'est pas difficile de trouver partout des liaisons et des similitudes. Lénine reprend tous ces jugements contradictoires et c'est ainsi qu'il découvre le confusionnisme de Mach. Même méthode pour enfoncer Avenarius. Par exemple :
"Et il est difficile de dire lequel des deux démasque plus douloureusement le mystificateur Avenarius, Smith avec sa réfutation nette et directe, ou Schuppe par son éloge enthousiaste de l'œuvre finale d'Avenarius. Le baiser de Wilhelm Schuppe ne vaut pas mieux en philosophie que celui de Piotr Strouvé ou de M. Menchikov en politique." (p. 730).
Mais quand on lit la "lettre ouverte" de Schuppe, dans laquelle il exprime son accord avec Avenarius, en termes élogieux, on se rend compte qu'il n'avait pas du tout saisi l'essence des idées d'Avenarius. Il interprète Avenarius d'une façon aussi fausse que Lénine, à cette différence près que ce qui lui plaît déplaît à Lénine ; il croit que son point de départ est "le moi" alors qu'Avenarius construit précisément ce "moi" à partir des éléments qu'on trouve devant soi, à partir des données immédiates. Dans sa réponse, Avenarius, dans les termes courtois d'usage entre professeurs, exprime sa satisfaction devant l'approbation d'un penseur si célèbre, mais n'en réexpose pas moins une fois de plus le véritable contenu de sa pensée. Mais Lénine ignore complètement cette mise au point qui réfute ses conclusions et ne cite que les courtoisies compromettantes. (à suivre)
[1] "Sa philosophie se réduit à une phraséologie creuse et superflue en laquelle l'auteur lui-même n'a la moindre foi..." (p. 2)
Lors des élections parlementaires en Italie à la fin de 1946, un article leader -qui était tout un programme à lui seul- est paru dans l'organe central du PCI d’Italie ; "Notre force" avait-il pour titre et avait pour auteur le secrétaire général du parti.
De quoi s'agissait-il ? Du trouble provoqué dans les rangs du PCI par la politique électorale du parti. Toute une partie des camarades, obéissant plus, parait-il, au souvenir d'une tradition abstentionniste de la fraction de Bordiga qu'à une position claire d'ensemble, se révoltait contre la politique de participation aux élections. Ces camarades réagissaient plus par une mauvaise humeur, par un manque d'enthousiasme, par des "négligences" pratiques dans la campagne électorale que par une franche lutte politique et idéologique au sein du parti. D'autre part, un certain nombre de camarades poussaient leur enthousiasme électoraliste jusqu'à prendre parti dans le Référendum "pour la monarchie ou la République" en votant évidemment pour la République, en dépit de la position abstentionniste sur le référendum qui était celle du comité central.
Ainsi, en voulant éviter de "troubler" le parti par une discussion générale sur le parlementarisme, en reprenant la politique périmée dite de "parlementarisme révolutionnaire", on n'a fait que troubler effectivement la conscience des membres qui ne savaient plus à quel "génie" se vouer. Les uns participant trop chaudement, les autres trop froidement, le parti en a attrapé un chaud et froid et il est sorti tout malade de l'aventure électoraliste[1].
C'est contre cet état de fait que s'élève avec véhémence le secrétaire général dans son éditorial. Brandissant la foudre de la discipline, il pourfend les improvisations politiques locales de droite ou de gauche ? Ce qui importe n'est pas la justesse ou l'erreur d'une position mais de se pénétrer du fait qu'il y a une ligne politique générale celle du comité central à qui on doit obéissance. C'est la discipline. La discipline qui fait la principale force du parti… et de l'armée ajouterait le premier sous-off venu. Il est vrai que le secrétaire spécifie : "une discipline librement consentie". Que Dieu soit loué ! Avec cet appendice, nous sommes complètement rassurés…
Des résultats bienfaisants n'ont pas manqué de suivre ce rappel à la discipline ; du sud, du nord, de la droite et de la gauche, un nombre de plus en plus grand de militants ont traduit à leur façon "la discipline librement consentie" par la démission librement exécutée. Les dirigeants du PCI ont beau nous dire que c'est la "transformation de la quantité en qualité" et que la quantité qui a quitté le parti a emporté avec elle une fausse compréhension de la discipline communiste, nous répliquerons à cela que notre conviction est faite : que ceux qui sont restés et, en premier lieu, le comité central ont gardé non pas une fausse compréhension de la discipline communiste mais une fausse conception du communisme tout court.
Qu'est-ce que la discipline ? UNE IMPOSITION DE LA VOLONTÉ D'AUTRUI. L'adjectif "librement consentie" n'est qu'un ornement, une plume au derrière pour rendre la chose plus attrayante. Si elle émanait de ceux qui la subissent, il n'y aurait nul besoin de la leur rappeler et surtout de leur appeler sans cesse qu'elle a été "librement consentie".
La bourgeoisie a toujours prétendu que SES lois, SON ordre, SA démocratie sont l'émanation de la "libre volonté" du peuple. C'est au nom de cette "libre volonté" qu'elle a construit des prisons sur le fronton desquelles elle a inscrit en lettre de sang "Liberté, Égalité, Fraternité." C'est toujours à ce même nom qu'elle embrigade le peuple dans les armées où, pendant les entractes des massacres, elle leur révèle leur "libre volonté" qui s'appelle discipline.
Le mariage est un libre contrat, paraît-il ; aussi le divorce, la séparation devient une décision intolérable. "Soumets-toi à la volonté" a été le summum de l'art jésuitique des classes exploiteuses. C'est ainsi, enveloppé dans des papiers de soie et joliment enrubannée, qu'elles présentaient aux opprimés leur oppression. Tout le monde sait que c'est par amour, par respect de leur âme divine, pour la sauver que l'inquisition chrétienne brûlait les hérétiques qu'elle plaignait sincèrement. L'âme divine de l'inquisition est devenue aujourd'hui "le libre consentement".
"Une-deux, une-deux, gauche-droite… En avant -marche !" Exercez votre discipline "librement consentie" et soyez heureux !
Quelle est donc la base de la conception communiste et, nous le répétons, non de la discipline mais de l'organisation et de l'action ?
Elle a pour postulat que les hommes n'agissent librement qu'en ayant pleinement conscience de leurs intérêts. L'évolution historique, économique et idéologique conditionne cette prise de conscience. La "liberté" n'existe que quand cette conscience est acquise. Là où il n'y a pas de conscience, la liberté est un mot creux, un mensonge, elle n'est qu'oppression et soumission, même si c'est formellement "librement consenti".
Les communistes n'ont pas pour tâche d'apporter on ne sait quelle liberté à la classe ouvrière. Ils n'ont pas des cadeaux à faire. Ils n'ont qu'à aider le prolétariat à prendre conscience "des fins générales du mouvement" comme s'exprime d'une manière remarquablement juste le Manifeste communiste.
Le socialisme, disons-nous, n'est possible qu'en tant qu'acte conscient de la classe ouvrière. Tout ce qui favorise la prise de conscience est socialiste, MAIS UNIQUEMENT CE QUI LA FAVORISE. On n'apporte pas le socialisme par la trique. Non pas parce que la trique est un moyen immoral, comme le dirait un Koestler, mais parce que la trique ne contient pas d'élément de la conscience. La trique est tout à fait morale, quand le but qu'on s'assigne est l'oppression et la domination de la classe, car elle réalise concrètement ce but, et il n'existe pas et ne peut exister d'autres moyens. Quand on recourt à la trique -et la discipline est une trique morale- pour suppléer au manque de conscience, on tourne le dos au socialisme, on réalise les conditions de non-socialisme. C'est pourquoi nous sommes catégoriquement opposés à la violence au sein de la classe ouvrière après le triomphe de la révolution prolétarienne et nous sommes des adversaires résolus du recours à la discipline au sein du parti.
Qu'on nous entende bien !
Nous ne rejetons pas la nécessité de l'organisation, nous ne rejetons pas la nécessité de l'action CONCERTÉE. Au contraire. Mais nous nions que la discipline ne puisse jamais servir de base à cette action, étant, dans sa nature, étrangère à elle. L'organisation et l'action concertée communistes ont UNIQUEMENT pour base la conscience des militants qui la compose. Plus grande, plus claire est cette conscience, plus forte est l'organisation, plus concertée et plus efficace est son action.
Lénine a plus d'une fois dénoncé violemment le recours à la "discipline librement consentie", comme une trique de la bureaucratie. S'il employait le terme de discipline, il l'entendait toujours -et il s'est mainte fois expliqué là-dessus- dans le sens de la volonté d'action organisée, basée sur la conscience et la conviction révolutionnaire.
On ne peut exiger des militants, comme le fait le comité central du PCI, d'exécuter une action qu'ils ne comprennent pas ou qui va à l'encontre de leurs convictions. C'est croire qu'on peut faire œuvre révolutionnaire avec une masse de crétins ou d'esclaves. On comprend alors qu'on ait besoin de la discipline, hissée à la hauteur d'une divinité révolutionnaire.
En réalité, l'action révolutionnaire ne peut être le fait que des militants conscients et convaincus. Et alors cette action brise toutes les chaînes, y compris celles forgées par la sainte discipline.
Les vieux militants se souviennent quel guet-apens, quelle arme redoutable contre les révolutionnaires constituait cette discipline entre les mains des bureaucrates et de la direction de l'IC. Les hitlériens en formation avaient leur sainte Vehme, les Zinoviev à la tête de l'IC avaient leur sainte discipline. Une véritable inquisition, avec ces commissions de contrôle torturant et fouillant dans l'âme de chaque militant.
Un corset de fer passé sur le corps des partis, emprisonnant et étouffant toute manifestation tendant à la prise de conscience révolutionnaire. Le comble du raffinement consistait à obliger les militants à défendre publiquement ce qu'ils condamnaient dans les organisations, dans les organismes dont ils faisaient partie. C'était l'épreuve du parfait bolchevik. Les procès de Moscou ne diffèrent pas, de nature, avec cette conception de la discipline librement consentie.
Si l'histoire de l'oppression des classes n'avait pas légué cette notion de "discipline", il aurait fallu à la contre-révolution stalinienne la réinventer.
Nous connaissons des militants, et de premier ordre, du PCI d'Italie qui, pour échapper à ce dilemme de participer à la campagne électorale contre leurs convictions ou de manquer à la discipline, n'ont rien trouvé d'autre que la ruse d'un voyage opportun. Ruser avec sa conscience, ruser avec le parti, désapprouver, se taire et laisser faire, voilà les plus clairs résultats de ces méthodes.
Quelle dégradation du parti, quel avilissement des militants !
La discipline du PCI ne s'étend pas seulement aux membres du parti d'Italie, elle est également exigée de la part des fractions belge et française.
L'abstentionnisme était une chose qui allait de soi dans la GCI. Aussi, une camarade de la FFGC écrit, dans son journal, un article essayant de concilier l'abstentionnisme avec le participationnisme du PCI. Selon elle, ce n'est point une question de principe, donc est parfaitement admissible la participation du PCI ; cependant, elle croit qu'il eut été "préférable" de s'abstenir. Comme on le voit, une critique pas très "méchante", dictée surtout par les besoins de justifier la critique de la FFGC contre la participation électorale des trotskistes en France.
Bien mal lui en a pris. Il ne lui en fallait pas plus pour se faire tirer les oreilles et se faire rappeler à l'ordre par le secrétaire du parti d'Italie. Fulminant, ledit secrétaire déclare inadmissible la critique à l'étranger de la politique du comité central d'Italie. Pour peu, on reprenait l'accusation du "coup de couteau dans le dos" mais cette fois l'accusation venait de l'Italie contre la France.
Marx et Lénine disaient : "Enseigner, expliquer, convaincre." "Discipline… discipline…" leur répond en écho le comité central.
Il n'y a pas de tâche plus importante que de former des militants conscients par un travail persévérant d'éducation, d'explication et de discussion politique. Cette tâche est en même temps l'unique moyen garantissant et renforçant l'action révolutionnaire. Le PCI d'Italie a découvert un moyen plus efficace : la discipline. Cela n'a rien de surprenant après tout. Quand on professe le concept du Génie, se contemplant et se réfléchissant en lui d'où jaillit la lumière, le comité central devient l'État-major distillant et transformant cette lumière en ordres et oukases, les militants en lieutenants, sous-offs et caporaux, et la classe ouvrière en masse de soldats à qui on enseigne que "la discipline est notre principale force".
Cette conception de la lutte du prolétariat et du parti est celle d'un adjudant de carrière de l'armée française. Elle a sa source dans une oppression séculaire et une domination de l'homme par l'homme. Il appartient au prolétariat de l'effacer à jamais.
Il peut paraître ahurissant, après les longues années de luttes épiques au sein de l'IC pour le droit de fraction, de revenir aujourd'hui sur cette question. Elle semblait résolue, pour tout révolutionnaire, par l'expérience vécue. C'est pourtant ce droit de fraction que nous sommes obligés de défendre aujourd'hui contre les dirigeants du PCI d'Italie.
Aucun révolutionnaire ne parle de la liberté ou de la démocratie en général, car aucun révolutionnaire n'est dupe des formules en général ; il cherche toujours à mettre en lumière leur contenu social réel, leur contenu de classe. Plus qu'à tout autre, on doit à Lénine d'avoir déchiré les voiles et d'avoir mis à nu les mensonges éhontés que couvraient les beaux mots de "liberté" et "démocratie" en général.
Ce qui est vrai pour une société de classe l'est aussi pour les formations politiques qui agissent en son sein. La 2ème Internationale fut très démocratique mais sa démocratie consistait à noyer l'esprit révolutionnaire dans un océan d'influence idéologique de la bourgeoisie. De cette démocratie où toutes les vannes sont ouvertes pour éteindre l'"étincelle" révolutionnaire, les communistes n'en veulent pas. La rupture d'avec ces partis de la bourgeoisie qui se disaient socialistes et démocratiques fut nécessaire et justifiée. La fondation de la 3ème Internationale, sur la base de l'exclusion de cette soi-disant démocratie fut une réponse historique. Cette réponse est un acquis définitif pour le mouvement ouvrier.
Quand nous parlons de démocratie ouvrière, de démocratie à l'intérieur de l'organisation, nous l'entendons tout autrement que la Gauche socialiste, les trotskistes et autres démagogues. La démocratie à laquelle ils nous convient, avec des trémolos dans la voix et le miel sur les lèvres, est celle où l'organisation est libre de fournir des ministres pour la gestion de l'État bourgeois, celle qui appelle à participer à la guerre impérialiste. Ces démocraties organisationnelles ne nous sont pas plus proches que les organisations non-démocratiques de Hitler, Mussolini et Staline qui font exactement le même travail. Rien n'est plus révoltant que l'annexion (les partis socialistes s'y connaissent en matière d'annexion impérialiste) de Rosa Luxemburg faite par les tartuffes de la Gauche socialiste, pour opposer son "démocratisme" à "l'intolérance bolchevik". Rosa, comme Lénine, n'a pas résolu le problème de la démocratie ouvrière ; mais, l'un comme l'autre savaient à quoi s'en tenir sur la démocratie socialiste et ils la dénoncèrent pour ce qu'elle valait.
Quand nous parlons de régime intérieur, nous entendons parler d'une organisation basée sur des critères de classe et sur un programme révolutionnaire et non ouvert au premier avocat venu de la bourgeoisie. Notre liberté n'est pas abstraite en soi, mais essentiellement concrète ; c'est celle des révolutionnaires regroupés, cherchant ensemble les meilleurs moyens d'agir pour l'émancipation sociale. Sur cette base commune et tendant au même but, bien des divergences surgissent immanquablement en cours de route. Ces divergences expriment toujours soit l'absence de tous les éléments de la réponse, soit les difficultés réelles de la lutte, soit l'immaturité de la pensée. Mais elles ne peuvent être ni escamotées ni interdites ; mais, au contraire, elles doivent être résolues par l'expérience de la lutte elle-même et par la libre confrontation des idées. Le régime de l'organisation consiste donc non à étouffer les divergences mais à déterminer les conditions de leur solution. C'est-à-dire, en ce qui concerne l'organisation, de favoriser, de susciter leur manifestation au grand jour au lieu de les laisser cheminer clandestinement. Rien n'empoisonne plus l'atmosphère de l'organisation que les divergences restées dans l'ombre. Non seulement l'organisation se prive ainsi de toute possibilité de les résoudre mais elles minent lentement ses fondations. À la première difficulté, au premier revers sérieux, l'édifice qu'on croyait en apparence solide comme un roc craque et s'effondre, laissant derrière lui un amas de pierres. Ce qui n'était qu'une tempête se transforme en catastrophe décisive.
Il nous faut un parti fort, disent les camarades du PCI, un parti uni ; or l'existence des tendances, la lutte de fractions le divisent et l'affaiblissent. Pour appuyer cette thèse, ces mêmes camarades invoquent la résolution présentée par Lénine et votée au 10ème congrès du PC russe, interdisant l'existence de fractions dans le parti. Ce rappel de la fameuse résolution de Lénine et son adoption aujourd'hui marquent on ne peut mieux toute l'évolution de la Fraction italienne devenue parti. Ce contre quoi la Gauche italienne (et toute la gauche dans l'IC) s'est insurgée et a combattu pendant plus de 20 ans est devenu aujourd'hui le crédo du "parfait" militant du PCI. Rappellerons-nous aussi que la résolution en question a été adoptée par un parti 3 ans après la révolution (elle n'aurait jamais pu être même envisagée auparavant) qui se trouvait aux prises avec des difficultés innombrables : blocus extérieur, guerre civile, famine et ruine économique à l'intérieur. La révolution russe était dans une impasse terrible. Ou la révolution mondiale allait la sauver, ou elle succombait sous la pression conjuguée du monde extérieur et des difficultés intérieures. Les bolcheviks au pouvoir subissent cette pression et reculent sur le plan économique et, ce qui est mille fois plus grave, sur le plan politique. La résolution sur l'interdiction des fractions, que Lénine présentait d'ailleurs comme provisoire, dictée par les conditions contingentes terribles dans lesquelles se débattait le parti, fait partie d'une série de mesures qui, loin de fortifier la révolution, n'a fait qu'ouvrir un cours de dégénérescence.
Le 10ème congrès a vu à la fois le vote de cette résolution, l'écrasement par la violence étatique de la révolte ouvrière de Cronstadt et le début de la déportation massive en Sibérie des opposants du parti.
L'étouffement idéologique à l'intérieur du parti ne se conçoit qu'allant de pair avec la violence au sein de la classe. L'État, organe de violence et de coercition, se substitue aux organismes idéologiques, économiques et unitaires de la classe : le parti, les syndicats et les soviets. La Guépéou remplace la discussion. La contre-révolution prend le pas sur la révolution sous le drapeau du socialisme ; c'est le plus inique régime du capitalisme d'État qui se constitue.
Marx disait à propos de Louis Bonaparte que les grands événements de l'histoire se produisent pour ainsi dire 2 fois, et il ajoutait : "La première fois comme une tragédie, la seconde comme une farce." Le PCI d'Italie reproduit en farce ce que fut la grandeur et la tragédie de la révolution russe et du Parti bolchevik : le Comité de coalition antifasciste de Bruxelles pour le soviet de Petrograd, Vercesi à la place de Lénine, le pauvre comité central de Milan pour l'Internationale communiste de Moscou où siégeaient les révolutionnaires de tous les pays, la tragédie d'une lutte de dizaines de millions d'hommes pour les petites intrigues de quelques chefaillons. Autour de la question du droit de fraction se jouait en 1920 le sort de la révolution russe et mondiale. "Pas de fraction", en Italie en 1947, est le cri des impuissants ne voulant pas être forcés de penser par la critique et être dérangés dans leur quiétude. "Pas de fraction" menait à l'assassinat d'une révolution en 1920. "Pas de fraction" en 1947 est tout au plus une petite fausse couche d'un parti non viable.
Mais même en tant que farce, l'interdiction de fraction devient un handicap sérieux de la reconstruction de l'organisation révolutionnaire. La reconstruction du Bureau international de la GCI pourrait nous servir d'exemple palpable de la méthode à l'honneur.
On sait que ce Bureau international s'est retrouvé disloqué avec l'éclatement de la guerre. Pendant la guerre, des divergences politiques se sont manifestées au sein des groupes et entre les groupes se réclamant de la GCI. Quelle devait être la méthode de reconstruction de l'unité organisationnelle et politique de la GCI ? Notre groupe préconisait la convocation d'une conférence internationale de tous les groupes se réclamant de la GCI et se fixant pour objectif la discussion la plus large pour toutes les questions en divergences. Contre nous prévalait l'autre méthode qui consistait à mettre le maximum de sourdine sur les divergences, à exalter la constitution du parti en Italie et autour de qui devait se faire le nouveau regroupement. Aussi, aucune discussion ou critique internationale ne fut tolérée et un simulacre de conférence eut lieu à la fin de 1946. Notre esprit de critique et de franche discussion fut considéré comme intolérable et inacceptable ; et, en réponse à nos documents (les seuls qui avaient été soumis à la discussion de la conférence), on a non seulement refusé de les discuter mais, en plus, on a estimé préférable de nous éliminer de la conférence, tout simplement.
Nous avons publié dans Internationalisme n°16 de décembre 1946 notre document destiné à tous les groupes se réclamant de la GCI en vue de la conférence. Dans ce document, nous avons, selon notre vieille habitude, énuméré toutes les divergences politiques existantes dans la GCI et expliqué franchement notre point de vue. Dans le même numéro d'Internationalisme, on trouve également la "réponse" de ce singulier Bureau international. "Puisque, dit cette réponse, votre lettre démontre, une fois de plus, la constante déformation des faits et des positions politiques prises soit par le PCI d'Italie soit par les fractions française et belge" et, plus loin, "que votre activité se borne à jeter la confusion et de la boue sur nos camarades, nous avons exclu à l'unanimité la possibilité d'accepter votre demande de participation à la réunion internationale des organisations de la GCI."
On pensera ce qu'on voudra de l'esprit dans laquelle a été faite cette réponse, mais on doit constater, à défaut d'arguments politiques, qu'elle ne manque pas d'énergie et de décision... bureaucratique. Ce que la réponse ne dit pas et qui est, à un très haut point, caractéristique de la conception de la discipline vraiment générale, professée et pratiquée par cette organisation, c'est la décision suivante prise en grand secret.
Voilà ce que nous écrit, à ce sujet, un camarade du PCI au lendemain de cette réunion internationale[2] :
Cette décision intérieure et secrète a-t-elle encore besoin d'être commentée ? Nous ajouterons seulement qu'à Moscou Staline a évidemment des moyens plus appropriés pour isoler les révolutionnaires : les cellules de la Loubianka (prison de la Guépéou), les isolateurs de Verkhni Ouralsk et, au besoin, une balle dans la nuque. Dieu merci, la GCI n'a pas encore cette force (et nous ferons tout pour qu'elle ne l'ait jamais) mais ce n'est vraiment pas de sa faute. Ce qui importe, en définitive, c'est le but poursuivi et la méthode, consistant à chercher à isoler, à vouloir faire taire la pensée de l'adversaire, de ceux qui ne pensent pas comme vous. Fatalement, et en correspondance avec la place qu'on occupe et la force qu'on possède, on est amené à des mesures de plus en plus violentes. La différence avec le stalinisme n'est pas une question de nature mais uniquement de degré.
Le seul regret que doit avoir le PCI, c'est d'être obligé de recourir à ces misérables moyens "d'interdire aux membres tout contact avec les fractions dissidentes".
Toute la conception sur le régime intérieur de l'organisation et de ses rapports avec la classe se trouve illustrée et concrétisée par cette décision, à notre avis, monstrueuse et écœurante. Excommunication, calomnie, silence imposé, telles sont les méthodes qui se substituent à l'explication, la discussion et la confrontation idéologique. Voilà un exemple type de la nouvelle conception de l'organisation.
Un camarade de la GCI nous écrit une longue lettre pour "décharger, comme il dit, son estomac de tout ce qui lui pèse, depuis la coalition antifasciste jusqu'à la nouvelle conception du parti."
"Le parti, écrit-il dans la lettre, n'est pas le but du mouvement ouvrier ; il est seulement un moyen. Mais la fin ne justifie pas les moyens. Ceux-ci doivent être imprégnés du caractère de la fin qu'ils servent pour l'atteindre ; la fin doit se retrouver dans chacun des moyens employés ; par conséquent, le parti ne pourra pas être érigé suivant les conceptions léninistes, car cela signifierait, une fois de plus, l'absence de démocratie : discipline militaire, interdiction de la libre expression, délits d'opinion, monolithisme, mystification du parti.
Si la démocratie est la plus belle fumisterie de tous les temps, cela ne doit pas nous empêcher d'être pour la démocratie prolétarienne dans le parti, le mouvement ouvrier et la classe. Ou bien qu'on propose un autre terme. L'important est que la chose reste. 'Démocratie prolétarienne' signifie droit d'expression, liberté de pensée, liberté de ne pas être d'accord, suppression de la violence et de la terreur, sous toutes leurs formes, dans le parti et naturellement dans la classe."
Nous comprenons et partageons entièrement l'indignation de ce camarade quand il s'élève contre l'édification du parti-caserme et contre la dictature sur le prolétariat. Combien est loin cette saine et révolutionnaire conception de l'organisation et du régime intérieur de cette autre conception que nous a donnée récemment un des dirigeants du PCI d'Italie. "Notre conception du parti, a-t-il dit textuellement, est un parti monolithique, homogène et monopoliste."
Une telle conception -jointe au concept du chef génial, à la discipline militaire- n'a rien à voir avec l'œuvre révolutionnaire du prolétariat où tout est conditionné par l'élévation de la conscience, par la maturation idéologique de la classe ouvrière. "Monolithisme, homogénéité et monopolisme" est la trilogie divine du fascisme et du stalinisme.
Le fait qu'un homme ou un parti se disant révolutionnaire puisse se revendiquer de cette formule, indique tragiquement toute la décadence, toute la dégénérescence du mouvement ouvrier. Sur cette triple base on ne construit pas le parti de la révolution mais plutôt une nouvelle caserne pour les ouvriers. On contribue effectivement à maintenir les ouvriers à l'état de soumission et de domination. On fait une action contre-révolutionnaire.
Ce qui nous fait douter de la possibilité du redressement du PCI d'Italie, plus que ses erreurs proprement politiques, ce sont ses conceptions de l'organisation et de ses rapports avec l'ensemble de la classe. Les idées par lesquelles s'est manifestée la fin de la vie révolutionnaire du parti bolchevik et qui marquèrent le début de la déchéance - l'interdiction de fraction, la suppression de la liberté d'expression dans le parti et dans la classe, le culte de la discipline, l'exaltation du chef infaillible - servent aujourd'hui de fondement, base au PCI d'Italie et à la GCI. Persistant dans cette voie, le PCI ne pourra jamais servir la cause du socialisme. C'est en pleine conscience et mesurant toute la gravité que nous leur crions : "Halte-là. Il faut rebrousser chemin, car ici la pente est fatale."
Marc
[1] Aux dernières nouvelles, le PCI d'Italie ne participerait pas aux prochaines élections. Ainsi a décidé le comité central. Est-ce à la suite d'un réexamen de la position et d'une discussion dans le parti ? Détrompez-vous. Il est toujours trop prématuré d'ouvrir une discussion qui risquerait de "troubler" les camarades, nous dit notre dirigeant bien connu. Mais alors ? Tout simplement le parti a perdu beaucoup de membres et la caisse est vide. Ainsi, faute de munitions, le comité central a décidé d'arrêter la guerre et de ne pas participer aux PROCHAINES élections. C'est une position commode qui arrange tout le monde et a, en plus, l'avantage de ne troubler personne. C'est ce que notre dirigeant appelle encore "la transformation renversée de la quantité en qualité !"
[2] Il s'agit du camarade Jober qui était alors en discussion avec nous au nom de la fédération de Turin du PCI qu'il représentait. Depuis, la fédération de Turin, protestant contre les méthodes du comité central, est devenue autonome et, à ce titre, a participé à la conférence internationale de contact (voir Internationalisme n°24).
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