Des amis nous demandent pourquoi "l'Etincelle" ne paraît plus. En effet, depuis novembre 1946, date de parution du numéro 15 de "l'Etincelle", nous avons suspendu sa publication. Pourquoi ?
"L'Etincelle", en tant qu'organe politique traitant de questions d'actualité, s'est posé pour objectif de toucher de larges couches d'ouvriers. Un tel objectif dépend non de la volonté des militants mais de la situation et de la tendance -réelle et non imaginaire- se faisant jour dans le prolétariat à rompre avec les forces de classe ennemies et à reprendre ses luttes de classe propres et indépendantes. Une telle situation se vérifie entre autres par l'écho vivant que rencontre la presse révolutionnaire parmi les ouvriers.
CET ÉCHO AUJOURD'HUI N'EXISTE PAS. Une presse destinée aux masses ouvrières, non soutenue par elles, est un bluff. C'est un luxe que se paient quelques militants pour leur propre satisfaction d'amour-propre et pour se donner des airs de faire de l'agitation. Cela convient peut-être à des aventuriers et à des littérateurs mais pas à des militants sérieux.
Dans une situation réactionnaire existe momentanément mais inévitablement UNE SÉPARATION ENTRE LE COURANT DANS LEQUEL SONT ENTRAÎNÉES LES MASSES OUVRIÈRES ET LES NOYAUX DE RÉVOLUTIONNAIRES FORÇANT UNE MARCHE À CONTRE-COURANT.
On peut déplorer, regretter ce fait mais non l'empêcher
La presse destinée à l'agitation -ce qu'on entend par des journaux à large diffusion-, si elle ne veut pas se contenter d'être des cris dans le désert, un effort stérile, si elle veut continuer à être une arme au service de la classe, doit s'aligner sur le rapport de force de classe tel qu'il existe réellement et correspondre aux tâches immédiates des militants révolutionnaires dans la situation donnée. Elle ne peut manquer de perdre son caractère d'agitation pour se transformer en une tribune où l'étude, la recherche et la discussion théoriques prennent la place de l'agitation. C'est ainsi que notre journal "l'Etincelle" perdait ses caractères, ne se distinguant plus de notre revue théorique. "L'Etincelle" doublait "Internationalisme" et perdait sa raison d'être.
En suspendant immédiatement sa parution, nous ne renonçons pas à la publication ultérieure de "l'Etincelle". Cela dépendra des événements et du développement de la situation. Nous restons attentifs et sommes toujours prêts à porter dans le prolétariat "l'Etincelle" de la révolution.
Depuis août 1945, nous avons émis l'idée d'une création de revue théorique avec la participation de tous les groupes et militants isolés, se situant sur le terrain de classe et restés fidèles au marxisme révolutionnaire. Si, à la suite de notre inlassable effort, a pu se former un Cercle d'études et de discussion rassemblant des militants ouvriers de tendances diverses, il n'en a pas été de même pour la revue qui est restée à l'état de projet.
Des groupes, comme le RKD et l'OCR, se sont disloqués ou évoluent, dans le silence, vers un "anti-marxisme" anarchisant et désespérément creux. Le groupe FFGC s'use dans l'agitation, professant un mépris caractéristique pour tout et tous ceux qui tendent vers un travail de recherche théorique. C'est une église qui cherche à faire des fidèles et non à former des militants conscients. Notre groupe est trop faible à lui seul pour lancer et assurer la publication régulière d'une revue imprimée.
Pourtant la parution d'une telle revue répond à un besoin incontestable ressenti par tous les militants révolutionnaires. Nous continuerons à faire tous les efforts pour sa réalisation. Mais, en attendant et dans ce but, nous nous efforcerons de faire de "Internationalisme" une réponse aux besoins des militants, en faisant paraître des articles de camarades non forcément d'accord avec nous (voir les articles de Bergeron), en publiant des œuvres telles que celle de J. Harper, en cherchant à enrichir son contenu par des études et en laissant à chacun la liberté de discussion.
Parallèlement au contenu, nous porterons également notre attention sur l'amélioration technique de "Internationalisme" en veillant à sa parution régulière, en augmentant le nombre de pages, en soignant sa présentation.
C'est là un travail dont nous ne saurons pas nous acquitter seuls, sans l'aide continue de nos amis et sympathisants, de tous ceux qui trouvent intérêt à sa publication. Nous convions tous les militants à participer, à apporter leur collaboration par des critiques, par des articles et études, par la diffusion, à la publication de "Internationalisme". Il nous faut aussi une aide active, matérielle, financière des abonnements, des souscriptions.
A tous les militants, amis et sympathisants de nous aider afin qu'ensemble nous puissions assurer que la pensée révolutionnaire du marxisme reste vivante et se développe.
Gauche Communiste de France
Si l'analyse des événements comporte cette monotonie, telle une partie d'échecs qui dure jusqu'au mat : la 3ème guerre mondiale, il est ridicule de voir dans chaque manœuvre une préparation directe à la guerre.
Le soin de compter les coups, de lancer des suppositions, d'imaginer des revirements, ce soin est du ressort de tout bon ou mauvais journaliste bourgeois. Pour de tels gens, le métier les transforme en machine enregistreuse plus ou moins bonne.
Viennent ensuite les troubadours du patriotisme voit partout et en tout une atteinte à l'honneur de leur pays. Criant à la provocation, ils se font les propagandistes zélés d'une paix guerrière et répètent au tout venant la célèbre phrase : "Si tu veux la paix, prépare la guerre".
Puis vient cette masse tourbeuse de fabricants ou découvreurs d'atrocités et de légendes sadiques.
Couronnant tout ceci, les diplomates et l'ONU donnent un cachet de politesse aux négociations serrées et délicates, d'impartialité bien bourgeoise.
Et tous ces acteurs, au grand jour ou par l'intermédiaire d'articles de journaux prétentieux et "impartiaux", montent la grande comédie qui va se jouer à Moscou.
Le problème allemand, point culminant de la guerre qui vient de se dérouler, est-il réellement le véritable enjeu de la conférence ? Ne verra-t-on pas nos bons délégués alliés prévoir le réveil de la "bête allemande", chercher par un traité, chef-d’œuvre de dentelle diplomatique, à préserver le monde d'un retour offensif de ces "boches" ?
Personne n'est dupe de ce jeu ; personne sauf le lecteur naïf, sauf la masse des travailleurs à qui on présente une victoire qui a déjà coûté tant de sacrifices et qui réclame encore tant de sacrifices.
Moscou n'est pas le lieu où s'échafaude un véritable traité de paix comme Paris n'a pas vu la signature de véritables traités de paix. Et ceci, non en fonction des réclamations venant des pays signataires ou menant les pourparlers, mais parce qu’IL NE PEUT Y AVOIR DE VÉRITABLE PAIX BOURGEOISE.
Les traités signés à Paris n'ont exprimé qu'une division de zones d'influence entre les deux Grands. La conférence de Moscou planifiera l'Allemagne aux besoins impérialistes et guerriers des mêmes Grands.
La lutte serrée se jouera, non sur la part de bénéfice qui doit revenir à chacun des alliés, mais essentiellement sur le contrôle des points industriels et stratégiques importants de l'Allemagne.
Si avant 1914 un traité pouvait s'établir sur une certaine foi en les signatures, de nos jours la signature se remplace par l'occupation.
Et, après Moscou, quand l'Allemagne sera apprêtée à la sauce "alliés", quand les deux Grands auront joué la carte du fait accompli, alors la fin de la partie d'échecs se dessinera ; la guerre apparaîtra injuriée par ceux qui l'accepterons avec soulagement : les bourgeoisies du monde entier.
Pourquoi cet avant-propos ? Dans la multitude des interprétations "scientifiques et révolutionnaires" des camarades de l'avant-garde que de fois n'entend-on pas que la guerre recule parce que le prolétariat bouge ; et en avant pour la révolution ! Ou bien décriant un pessimisme défaitiste, ils déclarent, preuves et statistiques en main, que la guerre est loin et que nous entrons dans une ère de production de paix. Ou bien encore ils passent, de semaine en semaine, d'un optimisme "révolutionnaire" à un pessimisme "décevant".
Tout ceci parce qu'on a voulu interpréter séparément chaque événement politique, chaque grève, chaque mouvement financier, militaire et social. Comme par le passé, comme si les 30 dernières années n'avaient été que des pages blanches, on médite les événements un à un et l'on baptisera "vérité" ses désirs, ses déceptions.
Les désirs conduisent à l'opportunisme, à l'activisme ; les déceptions au "je-m'en-foutisme", au "sacrifice inutile" ou à la lassitude. La tâche de l'avant-garde tombe dans le sommeil ou dans le bourbier des idéologies bourgeoises.
Pendant ce temps la bourgeoisie, économiquement conduite vers la guerre, répercute, dans toutes les branches d'activités sociales, une atmosphère de préparation de guerre. Le sacrifice, la bonne volonté des masses sont mis à contribution. C'est tantôt l'inflation, tantôt le ravitaillement que l'on offre comme épouvantail et surtout comme moyen de noyer tout essai de réflexion des ouvriers. Comme nourriture spirituelle, on offre alors les brillantes polémiques d'un Koestler, d'un Courtade. À remarquer que l'un et l'autre crient au danger de guerre dès qu'ils se voient réciproquement. Confusion nécessaire !
La partie s'est jouée hier sur le fascisme et l'anti-fascisme, elle se jouera demain sur le russisme et l'anti-russisme.
L'Europe vient de subir une des plus terrifiantes catastrophes de tous les temps. De 1939 à 1945, la guerre a porté ses ravages jusque dans le plus petit hameau. Tout le monde a subi cette calamité doublée des sacrifices les plus affreux - froid, famine, mort - et personne ne s'est encore libéré de ces visions infernales. Partout l'on se ressent encore de cette guerre malgré les discours ronflants de paix des seigneurs de la guerre.
Deux ans après cette guerre, une famine intolérable vient s'installer à demeure dans chaque logis. L'Ukraine, la Roumanie subissent une crise agricole épouvantable ; les pays de l'Europe centrale, dépossédés de leurs moyens de production par les occupations militaires successives, se voient contraints de revenir vers une certaine économie artisanale et, avec ces pauvres ressources, devoir entretenir des troupes d'occupation venues en "libératrices". Et c'est encore les masses qui voient se réduire la portion bien congrue de leur subsistance.
En Allemagne, les grèves provoquées par la fin et le froid font renaître un nationalisme de désespoir. En Italie, un gouvernement impuissant signe un traité de paix au milieu de luttes confuses de séparatisme et d'irrédentisme. Le marché noir remplace officiellement le rationnement gouvernemental ; une cuisine parlementaire défraie la chronique des amusements.
En Angleterre, le froid immobilise la production et le ravitaillement des grands centres. Encore des chômeurs et les plus grands sacrifices pour les masses travailleuses. Le besoin, pour l'État capitaliste, d'exporter, d'économiser les devises étrangères, de faire face à une situation économique sans précédent a déjà diminué, encore plus que le froid, le pouvoir d'achat des ouvriers.
En tout point de l'Europe, la faim gronde ; des faims qui nous font comprendre l'étendue de la famine en Chine et aux Indes.
Que fait-on contre ceci ? La guerre en Indochine, la guerre en Grèce, la répression en Palestine, aux Indes, la déportation en Pologne, en Russie, dans toute l'Europe centrale.
Les quatre Grands et l'ONU s'occupent plus de prédominance impérialiste que du sort des masses affamées par la guerre. La conférence de Moscou discutera plus des possibilités stratégiques des zones d'occupation en Allemagne que de solutionner la fin de la 2ème guerre mondiale. Et aux cris de famine de toutes les masses travailleuses on leur répondra, on leur demandera un surcroît de travail, non pour augmenter leur subsistance vitale mais pour qu'elles forgent encore les armes d'une nouvelle guerre mondiale, la plus grande catastrophe de tous les temps.
La guerre n'est pas sortie de l'horizon bourgeois car il n'y a pas d'économie de paix pour le capitalisme. Si pour quelques simples d'esprit l'ouverture en 1914 de la crise permanente du capitalisme était une perspective lointaine, aujourd'hui les faits sont là et nous prouvent que, loin de diminuer les antagonismes impérialistes, la deuxième guerre mondiale n'a fait que les exacerber.
A une atmosphère de lassitude et d'acceptation de plus grands maux chez les masses travailleuses, à une frénésie de voir une montée révolutionnaire chez quelques groupes de l'avant-garde, les révolutionnaires doivent lancer un cri de détresse devant la perspective d'une troisième guerre mondiale qui peut être le dernier signe de vie de toute société organisée.
Notre devoir, notre tâche est de dénoncer, par tous les moyens, les nouveaux préparatifs de guerre de quelque côté qu'il vienne.
AUX NOUVELLES IDÉOLOGIES BOURGEOISES QUI PRÉPARENT CETTE 3ÈME GUERRE IMPÉRIALISTE, TELS LE RUSSISME ET L'ANTI-RUSSISME, L'AVANT-GARDE DOIT LUTTER POUR EMPÊCHER UN NOUVEAU MASSACRE.
LES PROLÉTAIRES N'ONT PAS DE PATRIE ET N'ONT RIEN À GAGNER DANS UNE GUERRE IMPÉRIALISTE SI CE N'EST DE NOUVELLES CHAÎNES.
Mousso
Un des problèmes que la révolution d'octobre 1917 a laissé en suspens, c'est bien le problème de l'État de la période transitoire après la prise du pouvoir par la classe ouvrière.
Si la Commune de Paris avait révélé la nécessité de détruire l'État capitaliste, sa trop brève vie a laissé au deuxième plan le problème de l'État après la prise du pouvoir.
Octobre 17 avait donc vérifié les données théoriques de ce problème, telles que Marx et Engels les avaient énoncées, et elle avait à les compléter si elle le pouvait.
Les réflexions qui vont suivre n'ont pas la prétention d'être une étude mais simplement de libres propos.
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Nous savons tous que, depuis près d'un siècle, la grande discussion théorique entre anarchistes et marxistes réside dans le problème de l'État. Tandis que les anarchistes ne veulent voir la cause de tout le mal que dans l'existence de l'État et n'étudient le capitalisme qu'au travers de son État, les marxistes considèrent le problème à l'inverse.
Toute société, quels que soient les hommes qui la composent, ne peut vivre qu'au travers d'un mode de production. Les lois de ce mode de production -basées jusqu'ici sur LA DIVISION DE LA SOCIÉTÉ EN CLASSES ANTAGONIQUES, déterminent certaines obligations et contraintes sociales qui nécessitent un appareil de police et de coercition.
Cette coercition (et cette police) ne se comprend que parce que, dans la société divisée en classes antagoniques, la production se fait dans l'intérêt d'une classe au détriment des autres.
Considérer l'État comme expression de la volonté de puissance d'un homme est une vue de l'esprit qui n'explique nullement la continuité que l'on retrouve dans le déroulement historique des sociétés.
Considérer Napoléon comme le créateur au sens direct du mot de l'État capitaliste par sa seule volonté de puissance et sa forte personnalité n'explique nullement les assises économiques nécessaires à son État et à son empire.
Ainsi la chute de Robespierre et la montée de Napoléon ne peuvent se déterminer par la seule volonté de puissance et de soif de pouvoir. Les éléments qui contribuèrent à l'échec du premier et à la victoire du second sont principalement d'ordre économique.
Il ne peut qu'apparaître que l'État, dans son expression définitive, est une résultante d'un certain ordre économique existant. Sa fonction n'est pas créatrice mais essentiellement conservatrice puisqu'elle s'oppose aux changements sociaux par tout le système de lois et de règles qu'elle applique. Sa nature est coercitive puisque le maintien du système de production existant contre de nouvelles formes exige une force de police et de répression.
A ces lois générales, qui s'appliquent à toutes les formes d'État depuis l'antiquité jusqu'au capitalisme, vient s'ajouter le caractère essentiel de tout le déroulement historique : LA LUTTE DES CLASSES.
L'État sera toujours l'instrument d'une classe qui profite du système de production, c'est-à-dire qui exploité au détriment des autres classes qui subissent le mode de production en se faisant exploiter.
Ainsi se comportait la féodalité par rapport aux "bourgeois" et aux "vilains" -les querelles des parlements et les libertés communales en sont des preuves-, ainsi se comporte le capitalisme par rapport au prolétariat.
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Ainsi si la révolution bourgeoise n'exprimait qu'un changement de dominateur en raison du caractère d'exploitation du système capitaliste, LA RÉVOLUTION PROLÉTARIENNE PORTE, DANS SON PROGRAMME, LA NÉCESSITÉ D'ÉDIFIER UN SYSTÈME QUI ÉLIMINE L'EXPLOITATION DE L'HOMME PAR L'HOMME, DONC TEND NÉCESSAIREMENT À DÉGAGER LA SOCIÉTÉ DE SA DIVISION EN CLASSES. Et ce caractère de la révolution prolétarienne existe aussi dans le processus de lutte politique de cette classe.
Tandis que la classe bourgeoise peut édifier son système économique à l'intérieur d'un cadre politique et économique féodal, la classe ouvrière ne peut même pas esquisser les prémisses de son mode de production dans un cadre économique et politique bourgeois.
La révolution bourgeoise ne s'exprime qu'au travers de la maturité de son système économique, la révolution prolétarienne préface sa construction économique.
Ces données générales n'excluent pas la période de lutte et de guerre civile, classe contre classe. Car la révolution prolétarienne, qui prélude à la construction socialiste, ne s'arrête pas à la simple prise du pouvoir par le prolétariat mais s'étend jusqu'à sa généralisation aux secteurs les plus importants du point de vue industriel et à l'abattement définitif de la bourgeoisie.
Face à un capitalisme dépossédé et encore fort, la classe ouvrière doit appliquer une force répressive contre la bourgeoisie qui, tant qu'elle ne disparaît pas, aura toujours tendance à saisir toutes les occasions pour reprendre le pouvoir. Que cette force répressive se fasse au travers de la Commune Libertaire et Fédéraliste ou au travers d'une force prolétarienne centralisée, le caractère étatique de cette force de police ne disparaît pas. Au lieu d'un État post-révolutionnaire on aura autant d'États que de Communes libertaires. Ce qui se solderait par une confusion dans la classe ouvrière, par une faiblesse face aux forces de la bourgeoisie. Et les anarchistes, au lieu d'éliminer l'État, le reproduiront en plusieurs millions d'exemplaires ; et parce que très petits, ces États standardisés, fabriqués en série ne seront que plus tyranniques et plus difficiles à dépérir.
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Donc la nécessité de lutter contre le retour de la bourgeoisie, contre le chaos dans lequel le capitalisme dépossédé jette la société, cette nécessité implique une force de répression sur la bourgeoisie. Cette force de répression, c'est l'État.
Seulement la différence de l'État post-révolutionnaire d'avec l'État bourgeois ou de toutes sociétés divisées en classes réside dans le fait que le premier est institué en vue d'empêcher le retour offensif de la bourgeoisie, c'est-à-dire d'un mode de production, tandis que le deuxième réprime pour assurer la bonne marche sociale du système d'exploitation en vigueur. L'État post-révolutionnaire repousse les assauts de la bourgeoisie mais n'intervient pas dans les nouveaux rapports sociaux et économiques ; l'État capitaliste, lui, maintient l'exploitation et intervient dans les rapports sociaux et économiques.
Cette différence définit bien les normes d'action de l'État post-révolutionnaire ainsi que ses limites historiques.
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Il n'a pourtant pas échappé aux marxistes, et l'expérience russe est là pour le rappeler en cas d'oubli, le danger que présente un tel État post-révolutionnaire, danger qui viendrait d'une augmentation de son champ d'action sur le plan de la construction socialiste.
Toute révolution, demain, courra un tel danger si, aujourd'hui, à la lumière de l'expérience russe, on ne tire pas les premiers enseignements, négatifs il est vrai, parce qu'ils indiquent ce qu'il ne faut pas répéter.
Un premier élément de ce danger réside dans la tendance assez sentimentale d'appeler l'État post-révolutionnaire : "État ouvrier".
Si l'on peut parler de dictature du prolétariat, on ne peut pas parler d'"État ouvrier". La dictature du prolétariat indique la nécessité pour la classe ouvrière d'employer une forme politique d'abord pour imposer la société socialiste. La dictature du prolétariat exprime la volonté de la classe d'imposer la seule solution historique au monde capitaliste décadent et en crise permanente : la RÉVOLUTION MONDIALE et la CONSTRUCTION DU SOCIALISME ; et c'est une FORCE IDÉOLOGIQUE qui a à son service l'État post-révolutionnaire pour ce qui est de la lutte contre la bourgeoisie, et les organismes socialistes pour ce qui est de la révolution et de la construction socialiste.
L'État ouvrier, au contraire, indiquerait plutôt la perpétuation d'une société divisée en classes et tendant par sa force de coercition à sauvegarder découlant de cette société de classes. Car la notion d'ouvrier est indissolublement liée à la notion de classe bourgeoise, et la tâche de la dictature du prolétariat c'est la société sans classes.
Ces deux notions -dictature du prolétariat et État ouvrier- sont donc en contradiction flagrante ; les identifier donnera comme résultat de confondre les tâches bien distinctes de la dictature du prolétariat et de l'État post-révolutionnaire, confusion qui nous ferait répéter l'expérience étatique russe.
Nous répétons : il n'y a pas d'"État ouvrier" après la révolution car la tâche de cette dernière consiste essentiellement à faire disparaître le système d'exploitation capitaliste, les classes antagoniques, et nous entendons par là non seulement la classe bourgeoise mais aussi la classe ouvrière.
Cet État, n'ayant donc pas à sauvegarder les privilèges de la classe ouvrière -privilèges qui ne peuvent être que les chaînes et l'esclavage-, a, au contraire, à lutter contre le retour d'un système économique qui ré-instituerait les classes ouvrière et bourgeoise. Cet État ne peut se dénommer "ouvrier". Et ceci n'est pas une querelle de mot.
Ainsi, une fois compris la tâche de l'État post-révolutionnaire, nous ne nous illusionnerons plus sur lui jusqu'à en faire le but de la révolution.
De plus, ayant limité son action coercitive, nous diminuerons du même coup ses possibilités d'intervention dans la construction socialiste et surtout dans les nouveaux rapports sociaux et politiques.
L'État post-révolutionnaire - mal que nous héritons des sociétés divisées en classes, ne joue un rôle que dans ce qui rattache encore la révolution aux formes passées ; et nous devons comprendre par-là que la lutte contre le capitalisme. Et nous ne devons jamais perdre de vue que, peut-être, demain, le mot capitalisme pourra cacher une immixtion de l'État dans les nouveaux rapports sociaux. L'histoire ne délivre pas de garantie car le problème est toujours de nature idéologique.
De par sa fonction unique de lutte contre le capitalisme, l'État doit dépérir avec la disparition par l'anéantissement du capitalisme. Ce dépérissement que Engels pouvait considérer comme aboutissement logique et fatal de la révolution, l'expérience russe nous a prouvé qu'il nous faut avoir plus de garantie. Et cette garantie ne peut résider que dans la méfiance de la classe ouvrière envers l'État post-révolutionnaire et sa volonté de le faire dépérir, au besoin par la force.
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Cette méfiance envers l'État post-révolutionnaire, la classe ouvrière la ressent car ELLE NE S'IDENTIFIE JAMAIS AVEC CET ÉTAT.
Quand nous parlons de la classe ouvrière, nous n'entendons pas seulement la masse anonyme des ouvriers mais aussi son organisme idéologique : le parti, ses organismes de construction socialiste : les soviets, ses organismes de défense de ses intérêts immédiats et économiques, les syndicats.
Les grands problèmes post-révolutionnaires seront donc la résolution des rapports délicats entre le parti, les soviets, les syndicats et surtout la classe dans son ensemble avec ses tendances retardataires en son sein. Car de la confusion qui naitrait dans ces rapports, l'État post-révolutionnaire pourra se perpétuer et remplacer les solutions idéologiques et socialistes par la solution toujours employée : la force coercitive.
La résolution de ces rapports sociaux, condition pour la construction d'un mode de production de société sans classe, ne sera pas aisée et facile et surtout ne s'acquerra pas du premier coup. La classe et son avant-garde n'a pas le sens divinatoire.
Une seule garantie nous est donnée -et elle est bien petite-, c'est de ne jamais confondre les problèmes vitaux avec les problèmes organisationnels, c'est-à-dire disciplinaires. Et c'est en ceci que réside la DÉMOCRATIE SOCIALISTE ; c'est aussi la seule possibilité d'élever la conscience socialiste de demain. Préparons-nous aujourd'hui à admettre que demain nous pourrons faire des erreurs, les amoindrir par le seul travail de discussion théorique et politique des problèmes socialistes, et ne pas élever, par la force, l'infaillibilité au rang de méthode révolutionnaire. Mais aussi ne crions pas à la contre-révolution si des erreurs sont commises, car cette méthode ne résout rien ; elle n'indiquerait que des tendances socialistes utopiques et, par-là, retardataires.
SADI
L'absence de toute analyse sérieuse des événements des dernières années et des forces qui, par leur présence ou absence ont déterminé l'évolution des événements dans un sens profondément révolutionnaire est actuellement le trait frappant des militants révolutionnaires et des groupes qui se disent d'avant-garde. L'habitude prise d'appliquer des schémas tirés du passé aux situations nouvelles, réelles qui se présentent a en quelque sorte libéré les militants du souci de la nécessité de se livrer à des études qui leur semblent pénibles et les fatiguent. À quoi bon, se disent-ils, analyser, étudier la situation présente quand, d'après les schémas, ils savent ce qu'elle devrait être. Il ne leur reste qu'à savoir bien appliquer la tactique adéquate... et à bien organiser l'agitation.
Il est dans l'ordre des choses qu'avec un tel esprit la plupart des groupes devaient proclamer "révolutionnaire" ou "pré-révolutionnaire" ou, plus prudemment, "cours montant des luttes de classe" la situation qui a surgi à la cessation de la guerre. Ils estimaient inutile de s'arrêter sur la signification des premières tentatives d'action de classe du prolétariat italien en 1943 et sur la défaite subie. Ils voyaient encore moins l'importance de la destruction du foyer de révoltes qu'était l'Allemagne au début de 1945. Ils proclamaient l'ouverture d'une situation révolutionnaire, non en partant de l'analyse de la situation réelle qui, elle, était un produit de défaite, de dévoiement de la classe et, en conséquence, profondément réactionnaire, mais en vertu du schéma du lendemain de la première guerre mondiale et de la vague révolutionnaire qui a suivi.
Il n'est pas étonnant que les groupes qui venaient directement du trotskisme - où, pendant des années, ils ont désappris à penser - aient été les plus acharnés à présenter la situation réactionnaire du lendemain de la guerre comme une situation de montée révolutionnaire, et à se livrer à la phraséologie la plus ronflante et la plus creuse. Tel le groupe qui a quitté l'organisation trotskiste à la fin de 1944 pour constituer, avec le RKD, l'Organisation Communiste Révolutionnaire. Si ce groupe s'est distingué du trotskisme en rompant avec "la défense de l'URSS" ce qui représentait indiscutablement un grand pas en avant -, il avait néanmoins gardé en héritage toutes les tares du trotskisme et, en premier lieu, celui de remplacer l'analyse et la pensée par la phrase et le schéma. C'est ainsi que le dernier numéro de son organe "Le pouvoir ouvrier", sorti en mars 1946, portait en gros titre : "La révolution inévitable". Cette affirmation idéaliste et mystique - que l'on pourrait à la rigueur admettre comme une profession de foi - tenait lieu et place d'analyse de la situation. "Le pouvoir ouvrier" ne paraissant plus depuis, "la révolution inévitable" apparaît maintenant comme le dernier cri d'un désespéré.
La réalité n'ayant pas intégré le schéma comme le demandaient les "vrais bolcheviks" (OCR), le désespoir de l'OCR fut immense et sa déception fut telle que, dans la rage de son amertume, il s'en est pris à ses idoles et les a brûlées.
Hier on pouvait concevoir autrement que la situation après la deuxième guerre mondiale devait reproduire fidèlement la situation du lendemain de la première guerre, c'est-à-dire la montée de la vague révolutionnaire. Mais la réalité d'aujourd'hui n'est pas une montée révolutionnaire. Alors c'est que les schémas mentent ; on nous a menti sur la réalité d'hier ; c'est qu'Octobre 1917 ne fut pas non plus révolutionnaire ; tout ce qu'on nous a dit ou enseigné sur l'histoire n'est que mensonge. Le système des schémas continue à tenir lieu d'examen critique mais, cette fois, à rebours.
Ce n'est plus la réalité d'aujourd'hui qui doit entrer dans leurs schémas d'hier ; mais on exige de la réalité d'hier d'intégrer leurs nouveaux schémas crées aujourd'hui. Et toute l'histoire est refaite et corrigée d'après leur nouveau modèle.
Nos anciens "vrais bolcheviks", en désespoir de cause, n'ont pas compris leurs erreurs dues à leur schématisme politique et à leur méconnaissance théorique. Ils cherchent les responsables en dehors d'eux et, ainsi, ont-ils été amenés à se confronter à l'histoire, à découvrir qu'Octobre 1917 était le triomphe de la contre-révolution, que les bolcheviks, Lénine et Trotsky en tête, n'ont été que des ambitieux assoiffés du désir de domination et d'oppression, jusqu'à Marx et Engels qui deviennent les théoriciens et les représentants les plus qualifiés du capitalisme d'État.
Si le marxisme est avant tout l'étude objective de la réalité et l'effort de la comprendre pour pouvoir intervenir efficacement dans son évolution, il est tout à fait naturel que ceux qui placent l'intervention volontariste indépendamment et en dépit de la réalité des situations doivent trouver pour fondement à leur existence idéologique l'anti-marxisme.
L'aventure politique à laquelle aboutit ce mécanisme de la pensée, si médiocre que soit son importance pour l'avenir du mouvement révolutionnaire, comporte quand même un enseignement à méditer.
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Il est absolument juste de constater qu'aucun des groupes issus tardivement et directement du trotskisme n'a su s'affranchir du mode de penser et de la façon d'être du trotskisme. Tous ces groupes, du RWL d'Amérique aux RKD et CR, conçoivent leur existence et la justifie par l'agitation plus ou moins grande qu'ils tendent à faire "dans les masses". Cela est tout à fait compréhensible pour les trotskistes qui considèrent qu'avec les thèses et les résolutions des 4 premiers congrès de la 3ème Internationale se trouvent achevées les données essentielles du programme de la révolution et de l'édification de la société socialiste, ainsi que les questions de la tactique et de la stratégie. Les résolutions et thèses des 4 premiers congrès de l'IC auront été non seulement justes au moment de leur élaboration mais encore seront valables pour l'avenir et seront considérés comme une série de préceptes applicables aux situations les plus variées. Il ne s'agirait plus, pour l'avant-garde du prolétariat, qu'à bien apprendre à appliquer ces préceptes et à faire le maximum d'agitation dans les masses, sur la base de mot-d’ordres appropriés et convenablement choisis, pour assurer une marche ascendante de la révolution jusqu'à son triomphe final.
Tout cela est d'une logique implacable et d'une simplicité déconcertante. Mais, dès qu'on se tourne vers la réalité des 25 dernières années, tout s'écroule et il apparaît que, non seulement les travaux des 4 premiers congrès n'ont pas assuré la marche triomphale de la révolution mais étaient incapables même de maintenir les cadres révolutionnaires existants et d'empêcher que les larges masses du prolétariat ne retombent à nouveau sous l'influence de l'idéologie bourgeoise et se laissent entraîner, dans tous les pays, à la participation du plus grand massacre que fut la deuxième guerre mondiale.
Si, dans les milieux révolutionnaires, on s'accordait généralement à considérer les conditions objectives de la révolution données par le fait de la crise permanente du capitalisme, il s'est avéré qu'il n'en a pas été de même en ce qui concerne la maturité du facteur subjectif de la classe appelée à accomplir cette révolution.
Il n'existe pas d'automatisme dans le rapport entre une situation objective existante et la prise de conscience qui peut accuser des retards notables. Cette immaturité de la conscience, déterminée par les conditions historiques dans lesquelles évoluent la formation et la vie de la classe, trouve son reflet dans les propositions inachevées et erronées du programme qui, en se cristallisant, deviennent autant d'éléments contribuant à la défaite de la classe. L'expérience vivante de la lutte, en confirmant certaines parties du programme et en infirmant d'autres, en faisant surgir des nouvelles données, des éléments nouveaux, rend nécessaire d'incessantes modifications et fait que le programme ne peut être conçu que comme une interminable élaboration et un continuel dépassement.
La rapidité foudroyante de la dégénérescence de la 3ème Internationale ne pouvait être expliquée uniquement et exclusivement par les défaites du prolétariat mais devait être également recherchée dans les énoncés du programme, dans les positions erronées qu'il contenait et qui ont par ailleurs grandement contribué aux échecs du prolétariat dans différents pays. Le problème de la révolution sociale, les conditions objectives une fois données, n'est pas une question de rapport de forces physiques entre le capitalisme et le prolétariat mais de rapport de forces idéologique. Et ce rapport de forces se trouve matérialisé et au plus haut point exprimé dans le programme du parti révolutionnaire de la classe. Quand, à la suite de grandes luttes révolutionnaires où tous les espoirs d'émancipation sociale furent permis, surgit non la victoire mais la défaite, celle-ci entraînera alors, dans son gouffre, les meilleures forces de la révolution et le parti de classe s'effondrera d'autant plus rapidement et complètement que son armature idéologique, ses principes et son programme, aura contenu plus de lacunes et d'erreurs et offriront une résistance moindre. Dans une telle période de recul, les forces révolutionnaires s'effritent et les militants passent les uns avec armes et bagages dans le camp de la contre-révolution, les autres désillusionnés se retirent et quittent la lutte, d'aucuns s'accrochent désespérément aux formulations passées des positions erronées et se consolent en s'usant dans une agitation stérile, d'autres encore brûlent leurs dieux de la veille les accusant d'avoir été impuissants à les préserver de la catastrophe, deviennent des "hérétiques" à la recherche de nouveaux dieux et passent leur temps à se venger, par les insultes, de ce qu'ils adoraient la veille.
Peu nombreux sont ceux qui ne perdent pas la tête, qui ne cherchent pas à tromper leur désespoir par des agitations vaines et ont une préparation théorique suffisamment solide pour éviter de tomber dans les fantaisies qui tiennent lieu de pensée aux autres. Ceux-là prennent le chemin de l'étude objective du passé, l'analyse minutieuse de l'expérience de la lutte et des causes et des conditions de la défaite, et soumettent le programme d'hier à un examen critique à la lumière de l'expérience. En se livrant à ce travail, ils s'efforcent non seulement de comprendre les enseignements de l'expérience –ce qui est une condition de l'action consciente de demain- mais ils continuent à forger l'arme de la révolution en élaborant les principes, en élaborant les fondements du programme nouveau, indispensable au prolétariat pour avancer et triompher dans sa lutte pour une société socialiste.
Cette tâche du militant révolutionnaire ne fut comprise, dans la période noire entre les deux guerres, que par une petite phalange de militants formant quelques groupes dispersés dans le monde et, au premier chef, par le groupe de la Fraction de Gauche Italienne qui donnera naissance à la Gauche Communiste Internationale.
La Gauche Communiste n'a jamais eu la prétention d'avoir résolu tous les problèmes laissés en suspens par l'expérience passée, ni de représenter la seule organisation révolutionnaire du prolétariat. Au contraire, la Gauche Communiste, considérant son travail comme une simple contribution à l'œuvre d'élaboration du programme communiste mais dont la réussite dépassait ses propres forces, exigeait la collaboration théorique active de tous les courants marxistes révolutionnaires qu'elle n'a cessé de convier à ce travail.
Isolée trop longtemps dans son effort, la Gauche Communiste Internationale n'a pas échappé complètement aux ravages et aux errements politiques et théoriques. L'éclatement de la guerre a trouvé la Gauche Communiste en pleine crise de luttes de tendances et a surpris la majorité de l'organisation professant la théorie de l'économie de guerre qui nie l'existence des antagonismes inter-impérialistes et la possibilité de guerres impérialistes généralisées. La guerre, elle-même, devait achever de disloquer la Gauche Communiste en plusieurs tendances évoluant séparément dans des sens politiques opposés, au point de retrouver, au moment de la libération, une de ces tendances qui avait participé aux Comités socialistes anti-fascistes.
Mais, dans les dernières années de la guerre et, pour prendre une date précise, à partir des événements de juillet 1943 en Italie, un certain nombre d'ouvriers a rompu avec les organisations qui, dans un camp ou dans l'autre, participaient effectivement à la guerre. Ces ruptures reflétaient moins une évolution individuelle qu'un processus plus profond de rupture avec la guerre impérialiste qui commençait à se faire dans la classe et qui s'est exprimé encore embryonnairement, dans les événements de 1943 en Italie et dans les manifestations contre la guerre au printemps 1945 en Allemagne.
La plupart de ces éléments ne sont pas allés plus loin que de rompre avec leurs anciennes organisations ; une faible partie a donné jour à des petits groupes organisés comme l'OCR et l'UCI en France, un petit nombre a rejoint les divers groupes de la Gauche Communiste. C'est surtout en Italie où la situation sociale était la plus convulsée qu'un nombre relativement important de trois mille ouvriers s'est regroupé autour des militants de la Gauche Italienne pour constituer le Parti Communiste Internationaliste de la Gauche Communiste Internationale.
Les prémices d'une reprise de lutte révolutionnaire contenues dans les troubles des années 1943 et début 1945 furent rapidement circonscrites et anéanties par le capitalisme international. Avec elles ont été également compromis les espoirs d'un regroupement et d'un renforcement du mouvement révolutionnaire international. Les groupes révolutionnaires qui avaient surgi périclitent, s'effritent ou se perdent dans des théories fantaisistes. La Gauche Communiste Internationale -emballée par la construction prématurée d'un nouveau parti en Italie, envahie par des jeunes éléments politiquement neufs, comme c'est le cas en Italie, ou venant du trotskisme, comme c'est le cas en France, et qui n'ont pas assimilé les idées fondamentales de la GCI- se jette dans l'agitation, croit le moment venu de la construction des partis et reproduit l'erreur si caractéristique du trotskisme dans le passé : la création hâtive et artificielle des partis et d'un Secrétariat International.
L'impatience est le point de départ de l'opportunisme et de l'aventurisme. Vivant toujours en retard d'une situation, la nouvelle majorité de la Gauche Communiste découvrira que la situation réactionnaire -qui s'est ouverte à la cessation de la guerre dans la deuxième moitié de 1945- est précisément celle d'un cours montant de luttes de classe. À chaque moment, elle verra les ouvriers se détacher des partis traîtres et les diverses péripéties des intrigues, des luttes et des arrangements entre les partis de la bourgeoisie pour l'exercice du pouvoir seront ridiculement interprétés en rapport avec "la menace du prolétariat", justement au moment où le prolétariat est malheureusement totalement absent de l'arène politique.
Chaque grève économique en Amérique sera saluée comme le début d'une offensive de classe et la grève des postiers en France -qui fut avant tout une machination électorale contre la clique stalinienne- sera vue sous l'angle d'un débordement spontané des chefs par les masses combatives. La situation internationale -qui, dans son ensemble, est celle de la continuation de la guerre sous une forme localisée en attendant la reprise généralisée-, les massacres en Grèce, en Iran, dans les colonies -qui n'expriment que le déchaînement des appétits des divers impérialismes luttant pour s'emparer du maximum de butin- seront doctement expliqués par la Fraction belge de la GCI comme le commencement de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile révolutionnaire, transformation qui ne pouvait se faire qu'après la fin de la guerre. Pas moins que cela !
Les stupidités les plus criantes trouveront leur source dans cette appréciation complètement renversée de la situation réelle. Il n'est pas étonnant que, marchant ainsi à contre-sens et levant les pieds en descendant les escaliers, ceux qui dirigent la GCI (s'il est possible d'appeler "direction" une telle marche) voient d'un très mauvais œil et supportent mal les incrédules, ceux qui ne partagent pas leur façon originale d'apprécier les événements.
Il y avait crise dans la Gauche Communiste Internationale à la veille de la guerre ; il y avait formation de tendances et confrontation passionnée des positions que les années de guerre n'ont fait qu'accentuer. Les luttes d'idées n'ont jamais affaibli mais au contraire enrichi le mouvement révolutionnaire. Et même si des déviations apparaissent présentant un danger certain, on ne pouvait les surmonter par des décrets et des oukases mais uniquement en recourant à l'arme de la critique, de la discussion et de la clarification.
La Gauche Communiste Internationale, aujourd'hui, a résolu tous les problèmes, a liquidé toutes les divergences, a fini avec les tendances en son sein ; et ce miracle a été obtenu par l'élimination pure et simple des uns (dont nous sommes), par la réduction au silence des autres qui s'y prêtent (cas de la tendance Vercesi) et le triomphe de la bonne agitation stérile. Mais, en le faisant, la GCI a rompu avec ses traditions ; elle s'est vidée de son contenu, elle s'asphyxie dans un monolithisme et un manque d'oxygène ; et sous l'étiquette de la GCI revit aujourd'hui les conceptions et les méthodes d'un néo-trotskisme.
* * *
La correcte appréciation de la situation présente est une condition primordiale pour l'activité des militants et groupes révolutionnaires.
Cette appréciation se rattache étroitement à la compréhension qu'on a de l'évolution du capitalisme libéral classique vers sa forme capitaliste d'État ; à l'inévitabilité, dans la période présente, de l'inféodation de toute large organisation économique stable des ouvriers, comme les syndicats, à l'État capitaliste ; à l'inefficacité de toute lutte sur la base des revendications dites transitoires, économiques, démocratiques ; au problème de la participation aux campagnes électorales et de ce qu'on appelait la politique du parlementarisme révolutionnaire. La défaite subie par le prolétariat dès ses premières manifestations à la fin de la 2ème guerre mondiale montre non seulement l'immaturité du programme en ce qui concerne les principes et la stratégie qui doivent guider l'action révolutionnaire du prolétariat mais -et cela est encore peut-être plus important- la nécessité de réviser l'appréciation classique du capitalisme dont la capacité de résistance s'est avérée autrement plus redoutable que ne le pensaient les révolutionnaires au début de l'IC.
Durant les premières 20 années de notre siècle, le mouvement ouvrier s'est heurté au problème de l'impérialisme qui représentait un phénomène nouveau de l'évolution du capitalisme. De l'analyse économique de l'impérialisme et de son appréciation politique dépendait le développement révolutionnaire de l'idéologie de la 2ème Internationale ou sa dégénérescence et sa chute dans l'opportunisme et la trahison. Toute cette période est justement remplie de travaux sur l'impérialisme, problème auquel s'attaquent, sans exception, tous les théoriciens, tous les penseurs du mouvement ouvrier. Tous ont senti, dans la question de l'impérialisme, la question-clé et son importance telle que, même dans la période fiévreuse de la révolution entre février et octobre 1917, Lénine et les bolcheviks estiment indispensable de modifier leur programme et de le compléter par une analyse de l'impérialisme.
Ce qui valait pour la question de l'impérialisme vaut pour la nouvelle phase du capitalisme : le capitalisme d'État.
Face au prolétariat n'existe plus un capitalisme individuel mais un État capitaliste ou même un groupe d'États capitalistes. L'État a cessé de jouer le rôle d'arbitre pour le maintien de l'ordre, pour devenir le maître capitaliste. Il possède aujourd'hui non seulement la force politique et de répression mais également tous les leviers de commande de la production et de l'économie de la société. La structure économique et politique a subi de profondes modifications qui entraînent à leur tour un changement profond dans les rapports entre les classes et modifient le comportement des classes dans leur stratégie de la lutte. Il suffit de jeter un coup d'œil sur la Russie -où l'organisation sociale est telle que l'État est parvenu à empêcher, durant ces vingt dernières années, toute manifestation de lutte de classe, de remarquer que le prolétaire est en train de perdre sa position sociale de salarié-ouvrier libre pour se transformer en un type d'esclave moderne- pour comprendre toute l'importance que représente l'évolution du capitalisme moderne, de ses profondes modifications de structure et les conséquences que cela entraîne pour la lutte révolutionnaire du prolétariat.
Or une appréciation erronée de la situation présente frappe de cécité les groupes et les militants qui ne voient rien de tous ces problèmes et continuent tranquillement, en perroquets savants, à rabâcher les vieilles formules usées et à propager les vieilles conceptions périmées. Plus particulièrement, l'erreur d'appréciation de la situation présente entraîne une méconnaissance fatale des tâches actuelles des groupes et des militants d'avant-garde.
Dans un article paru dans Internationalisme n° 2 (organe de la FFGC), le camarade Chazé essaie de répondre aux arguments que nous avons donné dans notre article "sur les tâches politiques de l'heure" (Internationalisme n°1) où nous nous prononçons contre la fabrication artificielle des partis et pour la formation des cadres. Chazé est un vieux militant récemment converti aux idées de la Gauche Communiste, aussi intitule-t-il son article : "La formation du parti de classe, hier non, aujourd'hui oui".
Ce titre déjà prometteur est suivi d'une affirmation qui ne laisse subsister aucun doute quant aux intentions décidées de la FFGC. Voilà le début de cet article :
"Nous avons appelé les ouvriers les plus conscients à former le parti de classe. Et cet appel nous l'avons renouvelé dans ce journal et dans chaque réunion où il nous a été possible de nous exprimer. Parfaitement. Nous ajoutons même que notre organisation va travailler de toutes ses forces à cette formation du parti."
Et, après nous avoir expliqué l'impossibilité de former le parti hier, dans une situation qui allait déboucher dans la guerre, il tend à démontrer ce qu'il y a de changé aujourd'hui, "... ce sur quoi nous basons notre opinion que la formation du parti de classe est une tâche à entreprendre maintenant" :
"Ce qu'il y a de nouveau, c'est le développement lent mais indubitable d'un courant contraire à celui qui a entraîné les ouvriers dans la guerre."
"- Une cassure s'est amorcée entre les dirigeants politiques et syndicaux, staliniens et socialistes réformistes, et une partie des travailleurs."
"- ... le divorce amorcé (?) ne pourra que s'approfondir (évidemment) peu à pe ; plus nombreux seront les ouvriers qui se libéreront des mots d'ordre tendant à les asservir au capitalisme."
Il est évidemment difficile de discuter avec des gens qui, en guise d'arguments, vous offrent un tableau tiré de leur propre besoin de se consoler et ne pas désespérer. Tout homme qui a observé l'évolution politique en France depuis la "libération" chercherait en vain "le développement indubitable d'un courant contraire à la guerre", à moins que l'absence de toute réaction des ouvriers, si petite soit-elle, contre le massacre en Indochine, leur profonde apathie soit cet "indubitable courant" qu'a entrevu Chazé. Quant aux cassures et divorces amorcés entre les dirigeants et les ouvriers qui "peu à peu etc.…", ce sont là des mots creux, dénués de toute réalité, n'ayant d'autres fondements que les sentiments et souhaits de l'auteur. Il est vrai que Chazé retombe, par instant, de ses nuages pour constater "et des huit mois après l'arrêt des hostilités que la situation générale internationale, aussi bien que nationale, évolue manifestement vers horizons bien noirs" ou bien encore "... le spectre d'une nouvelle guerre est là devant nous" et encore "certes les perspectives offertes par la situation restent sombres..." Mais cette réalité le terrifie tellement qu'à l'instar de l'autruche il préfère se cacher la tête pour ne plus la voir. La contradiction est évidemment criante entre ce "spectre de la guerre" qui est devant nous, entre cette situation générale qui "évolue vers des horizons bien noirs" et ce cri du début Aujourd'hui, oui. Parfaitement." C'est là une manifestation typique de l'héroïsme de la peur plutôt qu'une démonstration politique. De crainte de tomber dans un pessimisme noir, on a recours à l'optimisme de commande. La seule alternative que Chazé et la FFGC semblent connaître c'est le désespoir ou la formation maintenant du parti de classe. "Parfaitement."
Nous ne savons pas si la méthode Coué a des rapports avec le marxisme mais c'est certainement cette méthode qu'ils appliquent en guise d'analyse. "Avant la guerre, nous dit l'article, seuls des individus en pleine maturité politique purent se détacher du stalinisme ; il n'en est plus de même aujourd'hui. Déjà, en France, l'expérience du Front populaire avait provoqué le début d'une rupture avec de larges couches de militants. La guerre stoppa ce processus. Actuellement IL A REPRIS ET IL S'ACCÉLÉRERA car les dirigeants staliniens ont fait le pas décisif ; ils ont participé au gouvernement."
Ne nous arrêtons pas sur le dernier argument qui est tout hypothétique et qui fait partie de cet arsenal de schémas connus. L'expérience des 40 dernières années de participation des socialistes aux gouvernements sans que ces partis aient fatalement perdu la confiance des larges masses ouvrières, comme on s'y attendait, devrait inciter à plus de prudence dans l'emploi de cet argument qu'on voudrait décisif. Mais, pour revenir à ce processus de rupture avec le stalinisme qui, parait-il, "a repris et s'accélérera", Chazé pouvait vérifier immédiatement sa prophétie. Aux élections à l'assemblée nationale -qui ont eu lieu quelques jours après son article- le parti stalinien est sorti renforcé, premier parti de France totalisant plus de 5 millions de voix. Mais allez discuter avec un adepte de Coué. L'article ne pouvait se terminer, naturellement, sans une prosternation -qui est de règle- devant le Parti Communiste Internationaliste d'Italie : "Ils nous donnent l'exemple de ce qui peut être fait. Cet exemple nous le suivrons."
Le PCI d'Italie, entre autres, donne l'exemple de la participation aux élections parlementaires et municipales. Un exemple à ne pas suivre. Il fait sienne la vieille position de l'IC qui a fait faillite sur la question syndicale : militer pour conquérir la direction syndicale. Dans ce but, le PCI forme des minorités syndicales dans la CGT d'Italie. Encore un exemple plutôt à ne pas suivre. Tout démontre que la constitution du parti en Italie fut prématurée et que cette constitution préjuge gravement du développement idéologique des militants. Exemple à méditer et à ne pas répéter. Et puisque nous parlons d'exemple, nous disons que l'article en question est bien un exemple parfait de ce que c'est de comprendre une situation à l'envers. ET SURTOUT À NE PAS SUIVRE.
(à suivre)
Marco
"L'opportunisme veut tenir compte d'une situation de conditions sociales qui ne sont pas arrivées à maturité. Il veut 'un succés immédiat'. L'opportunisme ne sait pas attendre et c'est pourquoi les grands événements lui paraissent toujours inattendus." Trotsky ("1905", la réaction et les perspectives de la Révolution)
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La FBGC[1] vient de publier le premier numéro d'une revue imprimée "Entre deux mondes". Le numéro de cette revue est entièrement consacré à l'affaire espagnole. De nombreuses remarques s'imposent à nous à propos du contenu de cette brochure.
La première et la plus importante, c'est sur l'idée qui semble avoir présidé consistant à présenter la situation de 1936 en Espagne et dans le monde comme ayant une analogie avec la période présente.
Extrêmement curieuses l'inconscience et la naïveté des camarades de la FB qui présentent une étude historique et veulent lui donner un rapport avec la situation actuelle en disant : "Voyez quelles sont les expériences que nous avons faites et les leçons que nous en avons tirées.", alors qu'en réalité leurs faits et gestes, leurs actions politiques et certaines de leurs positions pratiques sont en contradiction d'un jour à l'autre, d'un lieu à l'autre.
Dans cette brochure il y a quatre parties : un éditorial, un article dit "d'actualité", une citation d'un article de Maurice donnée comme axe idéologique de la brochure, un article posthume de Jehan écrit en polémique dans la scission au sein de la Ligue des Communistes Internationalistes belges contre la tendance Henneau.
L'article, ou plutôt l'étude de Jehan est très sérieuse et, de plus, a la valeur d'une prise de position de classe dans une des périodes historiques les plus noires du mouvement ouvrier. C'est sur la base de la position exprimée par Jehan que s'est constituée la Fraction belge. Dans l'étude de Jehan, on voit presque le développement de la pensée critique du militant en face des problèmes. Il passe chaque fait en revue ; sa position ne se complète qu'au fur et à mesure de la poursuite de son analyse, elle ne se dégage pleinement qu'à la fin ; et il semble qu'il en est de même dans le processus de la pensée du militant.
Ce texte a incontestablement une très grande valeur quoiqu'ayant une forme polémique et que la position ne soit dégagée pleinement plutôt après réflexion sur l'article lui-même. Cela est tout à fait normal et c'est ce qui fait l'intérêt et la valeur aujourd'hui pour nous.
Jehan, dans une telle période historique, dégage peu à peu une position de classe. Il démontre ici toute la signification de classe de l'antifascisme et se dresse pour appeler les ouvriers à ne pas participer à la guerre impérialiste. Tandis que tout ce qui "l'accompagne" dans le reste de la brochure, en plus d'une fausse position, met la FB dans une situation grotesque.
En effet, non seulement les camarades de la FB semblent vouloir remettre à l'ordre du jour le dilemme fasciste-antifasciste pour la préparation idéologique à la 3ème guerre impérialiste mondiale mais encore ils ont bien montré, dans les faits, que, s'ils tirent les enseignements de l'antifascisme pour les autres -c'est-à-dire le mouvement ouvrier international- eux ont embrassé l'idéologie bourgeoise antifasciste et ont réalisé le plus beau front unique, réédition d'un "frente popular italien en Belgique.
"Mais vous êtes des maniaques, des hystériques !" nous réplique-t-on, "La position de participation au Comité anti-fasciste de Bruxelles a été condamnée par le CC[2] du PCI d'Italie, par la FFGC[3] et par le BI[4] ; cela ne vous suffit pas encore ?"
Oh que oui ! Il nous suffit seulement, en conclusion à toutes ces "décisions", "résolutions" et "condamnations", de signaler
1. que ce sont ceux qui ont été "condamnés" qui publient un bulletin dans lequel est exprimée "la ligne" de l'organisation ; et que ce sont justement ceux-là qui ont fait le Comité anti-fasciste de Bruxelles et qui restent intégralement sur leur position et qui cessent d'affirmer à qui veut bien les entendre qu'ils sont prêts à recommencer, dans une situation identique, la même politique !
[Ici, nous ne condamnons pas seulement la position de ces camarades mais surtout leur attitude de "soumission honteuse" à "la ligne".]
2. qu'intéressant également est de rappeler que la FFGC - deuxième édition - a été formée avec, comme élément premier, ceux-là justement qui avaient scissionné d'avec la FI sur cette même question espagnole avant la guerre et que ces camarades ont exprimé publiquement qu'ils étaient entrés avec leurs positions, sans aucun abandon, que c'était au contraire la GCI qui avait "fait des concessions" sur ce terrain.
Dans ces conditions il n'y a plus qu'à "tirer l'échelle" devant l'inconséquence politique d'une organisation, la lâcheté des militants et les petites cuisines à qui l'on mêle la figure "du camarade mort dans les camps de concentration de la bourgeoisie allemande", Jehan, qui eut, en son temps, plus de décision et de valeur que tous ces Gauche-communistes en peau de caméléon d'aujourd'hui.
* * *
L'axe de la brochure se trouve être une courte citation d'un article de Maurice intitulé : "L'Espagne sanglante, terre d'élection de la contre-révolution mondiale".
Ici on émet l'idée que, en cas de perspective d'une 3ème guerre mondiale, l'Espagne serait de nouveau le théâtre des prémisses du conflit.
Il n'y a aucune identité entre la situation présente et celle de 1936, quoique les perspectives nous paraissent, en toute évidence, évoluer vers une 3ème guerre mondiale.
En 1936, l'affaire d'Espagne a été la conclusion de tout un cours historique de recul du prolétariat en même temps qu'un des premiers actes de la guerre impérialiste généralisée. Il fut le plus important dans le sens des conclusions historiques qu'il permettait de tirer pour l'avant-garde, pour sa préparation idéologique à la guerre.
Mais aujourd'hui le terrain de préparation idéologique à la guerre est déplacé. Il ne se trouve plus sur le terrain de fascisme/anti-fascisme. Aujourd'hui tout le monde accuse son voisin de fasciste : les États-Unis et la Grande-Bretagne parlent du régime fasciste stalinien. Les staliniens parlent du fascisme des capitalistes anglo-américains. La droite accuse la gauche de fascisme rouge et la gauche traite la droite de fasciste comme une tradition de la droite fasciste. Les staliniens appellent même les trotskistes "hitléro-trotskistes".
Les uns et les autres ont très peu de mal à se convaincre de fascisme, l'époque présente restant profondément viciée par tout ce que le vrai fascisme a légué à la société corrompue et décadente du capitalisme mourant. De plus les contradictions actuelles du régime créent une exacerbation des rapports entre les classes, les différents secteurs capitalistes, les individus eux-mêmes ; une telle exacerbation qu'on peut dire que, quoique dépassé, le fascisme est plus que jamais présent dans toute la société actuelle.
On ne peut aujourd'hui parler sérieusement de lutte contre le fascisme sans voir, en son nom, se dresser de toute part gauche, droite, centre etc.
Le terrain de préparation idéologique à la prochaine guerre se trouve dans le dilemme anglo-américain/russe. Et c'est au travers du mot-d'ordre, aujourd'hui dépassé et devenu réactionnaire, du "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes" et au nom de la liberté et de la démocratie que déjà se joue le premier acte de préparation à la prochaine guerre.
La Russie se bat sur ses frontières en attaques défensives contre l'impérialisme américain. C'est tantôt en Iran, en Inde, en Chine du nord ou en Grèce que des "soulèvements" nationalistes viennent en réalité à point pour défendre les intérêts et le jeu de l'impérialisme russe.
Aujourd'hui, c'est en Indochine, demain en Palestine, après-demain de nouveau en Grèce ou en Chine ; la lutte se poursuit.
Si demain une "guerre civile" devait conclure le cours vers la guerre et ouvrir le conflit généralisé, nous pencherions plutôt pour un pays comme la France.
* * *
Pour terminer ces quelques remarques, citons encore :
Curieuse conception du sens historique de la dictature du prolétariat. Curieux parallèle entre la révolution bourgeoise et la révolution socialiste. Que ces camarades ne se plaignent pas quand des Rodion ou des Méric montrent le socialisme, le marxisme comme la théorie du capitalisme d'État. Ce n'est somme toute que l'envers de la même médaille, les uns et les autres partant de conceptions erronées, bizarrement tronquées du socialisme et de la dictature du prolétariat.
* * *
Une dernière remarque :
Les leçons jaillissent avec une telle spontanéité chez ces camarades qu'ils ne font que répéter comme des perroquets tous les bégaiements du bolchevisme sur "l'État ouvrier", "la révolution dirigée par le parti" et sur "les soviets". Toujours la même ligne "bolcheviste-léniniste", les mêmes fadaises que le trotskisme sur ce sujet.
La FB ne cesse de répéter, dans tous ses écrits, que la garantie de réussite dans la prochaine révolution se trouve assurée si tous les militants lisent bien "L'État et la révolution" de Lénine et s'ils en tirent les enseignements nécessaires.
Or, si la révolution russe a apporté un enseignement pour l'avant-garde c'est surtout, au sujet de l'État, un enseignement négatif. En effet toute l'expérience de "l'État ouvrier" est inscrite comme "à ne pas refaire", en premier, dans la longue liste des enseignements de la révolution russe. "L'État et la révolution" de Lénine est un essai fait "à-priori", incomplet et contenant de grandes lacunes confirmées par l'expérience de "l'État ouvrier" russe.
L'État est par excellence l'instrument d'oppression des classes dominantes dans toute la longue histoire de la domination des classes.
Que la transformation de la société après la révolution exige la dictature momentanée de la dernière des classes opprimées de l'histoire et l'oblige à se servir d'une forme étatique de domination ne veut pas dire qu’il ne puisse jamais y avoir identité entre l'État et la classe ouvrière. En effet, même si le prolétariat a à se servir d'un appareil étatique et bureaucratique d'administration et d'oppression, il doit toujours rester indépendant vis-à-vis de celui-ci et le considérer, historiquement, comme une survivance de tous les États précédents qui ont maintenu les classes opprimées dans la servitude. Rien ne nous dit en effet que "le dépérissement de l'État", considéré par Engels comme automatique, ne doive être précipité par la volonté révolutionnaire du prolétariat. L'État reste et restera toujours un instrument réactionnaire et conservateur, non seulement étranger mais ennemi de tout ce qui est révolutionnaire (À ce sujet, voir Internationalisme n° 9 : "Thèses sur la nature de l'État et la révolution prolétarienne").
Pour ce qui est de la direction de la révolution par le parti, nous savons très bien quelle signification elle a chez ces camarades. Il s'agit d'une conception bureaucratique, monolithique du Parti-Dieu qui conduit d'un côté au stalinisme et de l'autre à une conception négative, individualiste comme celle exprimée récemment par A. Koestler.
Le parti dirige la révolution dans le sens où il la représente idéologiquement. Dans ce sens , une nouvelle conception du parti doit se former dans une nouvelle situation révolutionnaire, en correspondance avec les nouvelles tâches qui se présenteront au prolétariat. Pour l'instant le parti est en gestation ; ce sont les différents groupes qui tendent vers la révolution et cherchent à constituer un programme futur, à montrer justement les nouvelles tâches. De toutes façons, les idées exprimées par Lénine à propos du centralisme et par Rosa Luxemburg à propos du démocratisme sont dépassées. La démocratie n'est pas une garantie en soi et le centralisme poussé jusqu'au monolithisme est une grave entrave au développement idéologique du parti. Il faut dépasser et faire une synthèse qui fasse du parti l'avant-garde vivante du prolétariat destiné à faire la révolution et à être capable d'évoluer sans cesse vers le socialisme et le communisme, c'est-à-dire à englober réellement en son sein toutes les possibilités réelles d'évolution idéologique vers un stade sans cesse supérieur. Tout en restant, aux heures de la révolution et après, capable d'être ce que le parti bolchevik fut aux heures de la révolution d'octobre 1917. Le problème est loin d'être résolu et mieux vaut s'expliquer que de répéter les phrases creuses, aujourd'hui malheureusement chargées d'un sens funeste, sur le parti "directeur" de la révolution. La FB n'a malheureusement rien apporté de nouveau, pas même des balbutiements sur toutes ces questions ; elle ne fait que répéter, d'une façon monotone, des conceptions inachevées, souvent erronées, à travers des phrases toutes faites et équivoques.
Philippe.
Nous commençons dans ce numéro d'Internationalisme la publication de l'ouvrage de J. Harper : "Lénine en tant que philosophe".
Cette brochure de plus de 100 pages est parue en 1937 en allemand. De larges extraits ont été publiés dans plusieurs revues d'avant-garde en Amérique. Elle paraît aujourd'hui, pour la première fois, en France. Malheureusement nos faibles moyens ne peuvent assurer une grande diffusion, en une édition imprimée, comme nous aurions voulu le faire, de ces écrits en tous points remarquables.
J. Harper occupe, dans le mouvement révolutionnaire, une place prépondérante dans la lutte contre les déformations idéologiques et l'opportunisme politique. Dans cet ouvrage il aborde des problèmes fondamentaux du mouvement ouvrier et de l'idéologie marxiste. Que l'on soit d'accord ou non avec toutes les conclusions qu'il donne, personne ne saurait nier la valeur énorme de son travail qui fait de cet ouvrage au style simple et clair un des meilleurs écrits théoriques des dernières décades.
Dans "Lénine en tant que philosophe", J. Harper continue la voie de la pensée socialiste dans ce qu'elle a de plus scientifique et de plus dynamique. À ce titre, il apporte une contribution de premier ordre au mouvement révolutionnaire et à la cause de l'émancipation du prolétariat.
La dégénérescence de l'IC a entraîné un désintéressement inquiétant dans le milieu de l'avant-garde pour la recherche théorique et scientifique. À part la revue Bilan -publiée avant la guerre par la Fraction italienne de la Gauche Communiste- et les écrits des Communistes de conseils -dont fait partie le livre de J. Harper-, l'effort théorique du mouvement ouvrier européen est quasi inexistant. Et rien ne nous paraît plus redoutable, pour la cause du prolétariat, que l'engourdissement théorique dont font preuve ces militants.
Parlant du magnifique développement qu'a connu le mouvement socialiste en Allemagne, dans les années 1870, Engels explique qu'une des raisons, et non la moindre, de ce développement est le fait que les ouvriers d'Allemagne ont conservé ce sens de la théorie presque complètement perdu par les classes dites "éclairées" ; et il ajoute :
"Combien est immense cet avantage ; c'est ce que montrent, d'une part, l'indifférence à toute théorie qui est une des principales raisons pour lesquelles le mouvement ouvrier anglais progresse si lentement malgré la magnifique organisation des métiers et, d'autre part, le trouble et les hésitations qu'a provoqué le proudhonisme, sous sa forme primitive, chez les Français et les Belges et, sous sa forme caricaturale - que lui a donnée Bakounine -, chez les Espagnols et les Italiens."
Jamais encore le mouvement ouvrier n'a connu, plus qu'à l'heure actuelle, le trouble et les hésitations dont parle Engels. Cela est le produit, d'une part, de la longue chaîne de défaites terribles essuyées par le prolétariat dans tous les pays et, d'autre part, la conséquence de l'habitude prise par les militants révolutionnaires de substituer à l'étude des problèmes l'application des formules toutes faites.
Le marxisme a cessé d'être ce qu'il était pour Marx, Engels et leurs compagnons, c'est-à-dire une méthode d'investigation permettant de saisir la réalité sociale et d'intervenir. Il s'est transformé, entre les mains des adeptes bornés, en un catalogue de préceptes tout prêt à être appliqué aux maux sociaux. D'une méthode scientifique, ils ont fait du marxisme un système dogmatique. Et, plus que jamais, Marx aura eu raison de dire : "Moi, je ne suis pas marxiste."
Cette déformation du marxisme -que nous devons aux "marxistes" aussi empressées qu'ignorants- trouve son pendant dans ceux qui, non moins ignorants, font de l'anti-marxisme leur spécialité propre. L'anti-marxisme est devenu aujourd'hui l'apanage de toute une couche de semi-intellectuels petits-bourgeois déracinés, déclassés, aigris et désespérés qui, répugnant au monstrueux système russe issu de la révolution prolétarienne d'Octobre et au travail ingrat, dur de la recherche scientifique, s'en vont de par le monde, les cendres de deuil sur la tête, dans une "croisade sans croix" à la recherche de nouveaux idéaux non à comprendre mais à adorer.
Dans une période réactionnaire comme est la nôtre, la fuite et la désertion sont inévitables dans les rangs des révolutionnaires et les cris des sceptiques, devenus philosophie du désespoir, trouvent naturellement un certain écho parmi les militants.
Contre les apologistes ignorants et les non moins ignorants- destructeurs du marxisme, également nuisibles au mouvement d'émancipation de la classe ouvrière, les militants révolutionnaires ne sauraient réagir qu'en s'inspirant de ce conseil du vieil Engels :
"NE JAMAIS OUBLIER QUE LE SOCIALISME, DEPUIS QU'IL EST UNE SCIENCE, EXIGE DÊTRE TRAITÉ COMME UNE SCIENCE, C'EST-À-DIRE D'ÊTRE ÉTUDIÉ."
"Internationalisme"
(*) Pseudo d'Anton Pannekoek
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