En juin 1940, après onze mois de guerre, la France s'effondre et demande l'armistice. C'est ainsi que dans une défaite militaire écrasante se concrétise et éclate la décadence de ce vieux capitalisme.
Si on compare en effet ces onze mois, dont les deux derniers constituent un exemple typique de guerre-éclair, aux quatre années de lutte contre l'Allemagne de la dernière guerre, on s'aperçoit du décalage qui s'est produit entre le développement économique des deux pays.
La raison de ce décalage, de cette décadence de la France, s'explique en quelques mots : le déséquilibre entre le capital financier et le capital industriel dans ce pays. Déjà, avant 1914, l'exportation du capital français se faisait aux dépens de l'industrie nationale. La bourgeoisie française tirait, dès cette époque, des prêts faits aux autres États un revenu supérieur à celui de son industrie. Cette tendance devait aller en s'accentuant après la guerre où la France trouva un placement usuraire de ses capitaux dans les emprunts des nouveaux États créés par le traité de Versailles en Europe. Par contre le rythme de développement de l'industrie française subit le ralentissement caractéristique de l'époque de décadence pour tous les capitalismes et aussi un ralentissement par rapport à celui des autres grandes puissances dans la même période.
Une autre ressource du capitalisme français, en même temps qu'un facteur relatif d'équilibre pour son industrie, était constitué par son vaste empire colonial. Ce sont ces facteurs qui expliquent la faiblesse des remous sociaux d'après - guerre en France et l'atténuation de la crise et du fléchissement de la production en 1929-30, par rapport à ceux des États-Unis, de l'Allemagne ou de l'Angleterre.
Ses intérêts financiers dans le monde et son empire colonial permettaient à la France de mener, au lendemain de 191418, une politique impérialiste et, par la suite, de s'assigner un rôle de grande puissance sur le plan international, ce qui ne correspondait plus à sa puissance réelle et devait se terminer par sa ruine. On peut dire que le décalage entre sa jactance et ses moyens réels n'est que le reflet de ce déséquilibre croissant entre son capital industriel et son capital financier et commercial.
Si nous examinons maintenant la situation du prolétariat français à l'éclatement de la deuxième guerre mondiale, nous y voyons reflétées toutes les contradictions de ce capitalisme pourrissant sur place, avec son retard industriel et sa force de puissance colonialiste et usuraire.
L'incapacité de ce prolétariat à se dégager de l'idéologie anti-fasciste, inculquée par des années de politique stalinienne et renforcée dans le cours de la guerre d'Espagne de 1936-39, contraste avec la passivité et le début d'indifférence envers "les destins de la nation française", bien opposés au déchaînement du chauvinisme de 1914-18.
Ceci s'explique, non par une augmentation de sa conscience révolutionnaire, mais par la décrépitude du capitalisme français tout entier qui se retrouve dans les discussions au sein de la bourgeoisie, dans l'anachronisme et l'incapacité de l'armée.
La défaite de 1940 ne devait pas provoquer l'explosion de mouvements prolétariens, comme ce fut le cas en 1871 pour la Commune de Paris, ce qui s'explique par le retard politique du prolétariat français et par la situation internationale d'alors dominée encore par les victoires et la puissance économique de l'Allemagne.
Cette absence de mouvements révolutionnaires allait permettre à son tour l'intégration d'une partie de l'industrie lourde française à l'appareil productif allemand, parant pour quelque temps le capitalisme français de la crise économique inévitable d'après-guerre.
La défaite et la collaboration avec l'Allemagne allaient diviser la bourgeoisie française en deux fractions : la première, celle de Vichy, ralliait derrière son programme de collaboration l'industrie lourde dont les intérêts étaient traditionnellement liés avec ceux de certains secteurs économiques allemands, complémentaires du point de vue économique et à laquelle, malgré la défaite, la production de guerre pour les besoins de l'Allemagne permettait encore de réaliser des profits.
La deuxième, groupée derrière De Gaulle, était constituée par le capital financier dont une victoire de l'Allemagne aurait miné et détruit le système de crédits et de prêts usuraires, et aussi par la plus grande partie de l'industrie de consommation ruinée par le blocus, la réquisition des matières premières, des moyens de transport et des sources d'énergie par l'Allemagne. Cette fraction - poursuivant une politique belliciste sans avoir la base économique nécessaire : une production de guerre - ne pouvait qu'être un instrument entre les mains des Anglo-Américains qui, disposant seuls de la puissance économique, disposaient également du sort de la France.
En face de ces deux fractions de la bourgeoisie, le prolétariat ne parvient pas à prendre une position propre de classe. La réaction à l'exploitation économique forcenée de la guerre, à l'oppression politique qui le prive de toutes ses organisations de classe et à la menace constante de la déportation en Allemagne, le met en opposition avec la fraction bourgeoise de Vichy, mais le rejette vers la fraction "démocratique" d'Alger et de la Résistance.
Car si la défaite de la France a réduit à néant les facteurs historiques qui lui ont permis de figurer comme un chaînon résistant de la chaîne des puissances capitalistes depuis la fin du 19ème siècle, ces facteurs n'en continuent pas moins à peser sur la conscience du prolétariat.
Ce retard idéologique de la classe ouvrière uni aux conditions objectives sous l'occupation permettent à cette fraction "démocratique" d'utiliser le mécontentement du prolétariat pour la défense de ses propres intérêts bourgeois au travers du mouvement nationaliste qui l'oppose au capitalisme allemand.
En effet, la présence d'un capitalisme étranger, traditionnellement opposé au capitalisme français, se substituant à la domination de celui-ci et présentant d'autre part une forme plus violente d'oppression capitaliste, enfin l'intégration de l'économie française à l'économie allemande masquent encore les problèmes posés par la défaite, empêchent le prolétariat français de prendre conscience de l'antagonisme de classe en le canalisant vers l'antagonisme inter-impérialiste : on peut dire que l'occupation allemande a été l’âge d'or de la démagogie "démocratique".
Tous les partis groupés dans la Résistance, parti socialiste, parti stalinien, CGT illégale contribuent par leur propagande et leur action à entraîner le prolétariat dans une lutte contre-révolutionnaire et à renforcer ainsi sa soumission à sa propre bourgeoisie. Tandis que les grèves sur les lieux de travail sont presque inexistantes, le sabotage et le terrorisme prennent une grande extension ; devant les déportations en Allemagne les ouvriers, ne pouvant s'y opposer en tant que classe, se réfugient individuellement dans les maquis.
Le débarquement anglo-américain, fonction du renversement du rapport de forces sur le terrain économique entre l'Allemagne et les Alliés, qui revêt du fait de la menace révolutionnaire en Europe le caractère politique de croisade contre la révolution, voit la manifestation ouverte de cette situation. Succédant et amplifiant les luttes du maquis, la lutte des FFI alimente et renforce le chauvinisme, empêche une cristallisation du mécontentement dans l'armée allemande en défaitisme révolutionnaire et rend ainsi impossible toute fraternisation. C'est une explosion du nationalisme et de l'antifascisme renforcée par quatre années d'occupation et qui englobe avec la masse inconsciente de la petite-bourgeoisie le prolétariat lui-même. L'insurrection de Paris, commandée d'en haut par le Comité d'Alger, constituait à la fois une manœuvre pour exacerber le patriotisme et un sondage de la situation par la bourgeoisie : bien qu'elle n'ait pas englobé de grandes masses, elle a répondu positivement aux Alliés et à De Gaulle, le prolétariat était neutralisé.
La "libération" trouve la France dans une situation qui révèle toute l'ampleur de sa décadence, exprimée par la défaite de 1940 et camouflée par l'occupation allemande : appareil d' État désorganisé, appareil productif en partie détruit, crise économique catastrophique résultant de la désintégration de l'économie française et de l'appareil productif allemand.
La situation politique, qui voit le prolétariat à la remorque du mouvement nationaliste, va pourtant permettre à la bourgeoisie française de surmonter momentanément ces difficultés.
Le gouvernement De Gaulle qui succède à la dictature de Vichy n'est lui-même qu'une nouvelle dictature militaire : la multiplicité de partis défendant tous la même politique bourgeoise et l'existence d'un appareil syndical complètement asservi à cette politique ne parviennent pas à lui donner même une apparence de démocratie ; toute expression révolutionnaire est interdite, les militants révolutionnaires sont réduits à la même illégalité que pendant l'occupation allemande.
En ce qui concerne la reconstruction de l'appareil d'État, si derrière le problème de l'épuration se jouent des dissensions réelles entre diverses fractions de la bourgeoisie, le point de vue capitaliste de classe l'emporte en dernier lieu. En déclarant que "la restauration de la France réclame la collaboration de tous ses fils, même ceux qui se sont trompés", De Gaulle a exprimé la position de la bourgeoisie française. Car comment exclure des affaires et de la gestion de l' État une partie, et pas la moins puissante économiquement, de cette même bourgeoisie ? Des gens qui ont sauvé le capitalisme français d'une situation fort difficile en lui permettant de continuer à produire, même partiellement, et en maintenant l'oppression du prolétariat. En réalité, l'épuration est surtout une propagande démagogique destinée à faire croire aux ouvriers "qu'une fois changée l'enseigne, la taverne ne sera plus la même".
Par contre la dissolution ou l'intégration à l' État des organes de lutte issus de la Résistance et qui, depuis la "libération", ne représentent plus qu'une structure périmée, est une nécessité réelle de la bourgeoisie française pour contrôler, concentrer et renforcer son appareil d' État, instrument de sa domination.
Si d'une part l'opposition manifestée par une partie de la Résistance à la dissolution de ses organes - MP et Comités de Libération - s'explique comme étant une manœuvre démagogique tendant à empêcher le prolétariat de se placer sur son terrain propre de lutte, d'autre part elle exprime aussi le mécontentement d'une fraction de la bourgeoisie devant la paralysie économique ; elle revêt le caractère d'une pression sur le gouvernement en vue d'activer la reprise de la production au travers de l'aide économique des Anglo-Américains.
L'attitude subversive du parti stalinien à cette occasion s'explique par son rôle d'agent et de serviteur d'un impérialisme étranger : l'URSS ; elle est à la fois un aspect de sa politique tendant à maintenir le prolétariat dans les cadres politiques bourgeois de la Résistance et une pression exercée sur la politique extérieure du gouvernement pour un rapprochement avec l'URSS.
Le fait que le gouvernement soit sorti victorieux - en faisant certaines concessions de forme - de cet épisode s'explique par le ralliement de la Résistance, déterminé par l'affermissement de la position internationale de la France au travers de la reconnaissance par les Anglo-Américains de ses besoins économiques et militaires, ouvrant la perspective d'une reprise de la production de guerre ; d'autre part par l'abandon par le parti stalinien de son attitude subversive, ceci en fonction du rapprochement avec l'URSS aboutissant plus tard au pacte de Moscou, et par la non-intervention du prolétariat (contrairement à ce qu'il arriva en Belgique dans cette lutte.
Ces événements ont montré cependant que le problème le plus grave pour la bourgeoisie française, celui qui est à l'origine réelle de ses luttes internes, est la situation économique.
L'effondrement de l'occupation allemande, interrompant la production de guerre qui permettait au capitalisme français de subsister, a aggravé la crise économique en ouvrant une phase suraiguë de celle-ci.
Le pays est appauvri par les saignées effectuées par l'impérialisme allemand, son appareil productif est démantelé par la guerre, enfin son empire colonial est hypothéqué par les Anglo-Américains.
Tous ces facteurs font de la France la vassale de l'Amérique et de l'Angleterre : sa reprise économique dépend de leur aide.
La décadence générale du système capitaliste et la guerre se manifestant en France par la perte des marchés extérieurs et des sources de matières premières, par l'inexistence d'un marché intérieur, par une situation économique catastrophique et la dépendance vis-à-vis des Anglo-Américains, il est évident que toute tentative de reprise économique ne peut se faire au travers d'un rétablissement de l'économie normale mais uniquement par une poursuite de la production de guerre et de la guerre elle-même.
Par ailleurs, bien que la crise générale du capitalisme rende illusoire ce rétablissement en obligeant la bourgeoisie à se précipiter dans des guerres de plus en plus rapprochées, la lutte inter-impérialiste se maintient pour chaque pays autour de la défense ou de la conquête des positions économiques. Aussi, voyons-nous la bourgeoisie française prétendre mener une politique impérialiste sur le dos de l'Allemagne, qui lui permette de regagner ses positions d'avant-guerre.
Produire pour la guerre, faire la guerre, occuper l'Allemagne, c'est là l'objectif impérialiste derrière lequel elle a essayé d'entraîner son prolétariat en le présentant comme la condition à l'amélioration de ses conditions de vie, "au retour à des nouveaux 1936".
Tous les partis, Résistance, parti socialiste, parti stalinien, les directions syndicales asservies, ont oeuvré pour la réussite de cette manœuvre.
La campagne pour la reconstruction, axée autour de la lutte contre les collaborateurs et la 5ème colonne, a servi à masquer au prolétariat que la situation de chômage et de misère qu'il subissait n'était que l'expression de la décomposition du système capitaliste, de l'incapacité de celui-ci à lui rendre jamais des conditions de vie supportables et qu'elle constituait une image de ce que serait le lendemain de cette guerre où il allait de nouveau l'entraîner.
De la même manière les "nationalisations" et la formation des comités de gestion, organes de collaboration de classes, ne devaient servir qu'à attacher la classe ouvrière au programme de guerre en lui donnant l'illusion de gagner des positions dans l'économie capitaliste.
Le dernier événement politique de cette phase transitoire où la France fut rejetée hors de la production de guerre et cherchait par tous les moyens de s'y réintroduire, fut le pacte de Moscou. Celui-ci marque le dernier pas de la bourgeoisie française vers la guerre, à la fois parce qu'il représente une pression sur les Anglo-Américains en vue d'activer leur aide, et parce qu'il tendait à créer les conditions politiques pour que le prolétariat encore trompé par l'illusion de l' État russe comme " État ouvrier" accepte plus facilement d'être envoyé au massacre.
L'aide économique des Alliés à la France, qui est aujourd'hui un fait acquis, a été surtout déterminée, ainsi que Roosevelt l'a exprimé, par la crainte de voir la situation de crise apporter dans ce pays des troubles sociaux qui empêcheraient l'écrasement de la révolution en Allemagne. Cette aide économique et les assurances qu'ils donnent au capitalisme français d'avoir une place dans les conférences internationales réglant le sort de l'Allemagne, ainsi que les accords de Moscou et la politique chauvine du parti stalinien français, indiquent que la bourgeoisie internationale a choisi la France comme un des principaux gendarmes de l'Europe et bourreaux de la révolution allemande.
Cela met en évidence le sens politique de classe de la reprise de la guerre destinée à maintenir divisés et hostiles les prolétariats allemand et français pour les réduire tous deux à l'impuissance.
Si la politique impérialiste de la bourgeoisie française a réussi aujourd'hui à obtenir satisfaction, elle n'a en rien changé sa situation réelle et par suite celle de son prolétariat. Toute politique impérialiste doit se baser sur une puissance économique dont la France est aujourd'hui privée. Elle est dominée par les grandes puissances alliées qui lui apportent, seulement contre l'hypothèque de ses colonies, une aide économique limitée et ce n'est pas demain une lutte inégale contre celles-ci qui lui permettrait de les reconquérir.
Ainsi la guerre où elle est engagée aujourd'hui, si elle semble lui rendre une importance dans l'arène internationale, n'offre en réalité aucune perspective d'amélioration dans l'après-guerre qui va au contraire précipiter dans la crise ces grandes puissances elles-mêmes.
Aussi la politique de "la guerre pour la reconquête de nouveaux 1936" et de "la renaissance française", défendue par le parti stalinien, est-elle un mensonge et une trahison à double titre : la décadence historique du capitalisme et la situation de la France en particulier.
Si, d'un point de vue immédiat, la rentrée de la France dans le conflit repousse pour la bourgeoisie la grave crise qui éclatera inévitablement lorsque les mouvements prolétariens imposeront l'arrêt de la guerre, pour le prolétariat elle ne fait qu'empirer sa situation. Sans doute le chômage sera-t-il résorbé partiellement mais le manque de produits de consommation, de ravitaillement, de moyens de chauffage, ainsi que la cherté de la vie ne peuvent que se maintenir et s'aggraver car ils découlent de la guerre elle-même. Bien plus, du fait de la mobilisation, il se voit contraint de participer physiquement au massacre. Son peu d'enthousiasme devant cette mobilisation, le mécontentement devant l'aggravation des restrictions - qui s'est manifesté par des mouvements spontanés (manifestation à Lyon, manifestations dans le Nord, particulièrement à Denain) - ne pourront qu'évoluer vers une reprise de la lutte des classes.
Ainsi, la solution bourgeoise momentanée de la guerre contient en elle-même sa contradiction. Aggravant les conditions de vie du prolétariat, l'obligeant en partie à subir les épreuves du front militaire, elle va lui révéler que l'origine de ses souffrances ne se trouvait pas dans la domination allemande mais dans le régime capitaliste lui-même ; que le capitalisme anglo-américain et russe a œuvré non pour sa libération mais pour son asservissement et son massacre.
La Résistance et tous les partis ainsi que les bureaucrates syndicaux vont travailler certes encore pour rejeter sur les Anglo-Américains toute la faute et pour l'entraîner dans une opposition nationaliste qui peut encore rebondir si l'aide économique ne se révèle pas suffisante. Le parti stalinien surtout essaiera de maintenir en lui un dernier espoir dans le capitalisme russe, en jouant sur les contrastes impérialistes qui opposent celui-ci aux Anglo-Américains.
Mais les événements de la Grèce et de la Belgique ont déjà démasqué le rôle de répression des Alliés en Europe ; la politique impérialiste de la Russie en Europe centrale ainsi que l'expérience directe de la guerre vont oeuvrer pour diminuer l'influence de leurs démagogies sur le prolétariat. C'est contre la guerre impérialiste elle-même qu'il sera appelé à lutter, que ce soit à travers des revendications économiques, que ce soit en réponse à l'éclatement des mouvements de classe en Allemagne.
Seule cette reprise de la lutte des classes contre la guerre, en déjouant la manœuvre de la bourgeoisie qui voudrait l'utiliser pour l'écrasement de la révolution allemande et en créant les conditions de transformation de la fraction de gauche communiste, aujourd'hui faible et isolée, en un fort parti révolutionnaire, le mènera à sa propre émancipation.
Pour dégager les traits saillants de la situation actuelle et en tirer les perspectives du prolétariat révolutionnaire, il faut en premier lieu, pour un marxiste, caractériser la période historique dans laquelle elle se situe.
Cette période historique est celle de la décadence du système capitaliste. Qu'est-ce que cela signifie ? La bourgeoisie -qui, avant la première guerre mondiale, vivait et ne peut vivre que dans une extension croissante de sa production- est arrivée à ce point de son histoire où elle ne peut plus dans son ensemble réaliser cette extension. Élargir toujours la production, cela signifie trouver toujours de nouveaux marchés pour le capitalisme qui exploite et qui vend mais qui ne produit pas pour les besoins des hommes. C'est pourquoi il est parti à la conquête du monde. Les nouveaux marchés, il les a trouvés dans des contrées qui ignoraient son mode de production, des pays extra-capitalistes. Il les a conquis, spoliés, prolétarisés, intégrés à son système. Ainsi il les a détruits en tant que marchés. Mais bien plus, sa course aux profits croissants l'a porté aux limites géographiques du monde exploitable par lui. Aujourd'hui, à part des contrées lointaines inutilisables, à part des débris dérisoires du monde non capitaliste, insuffisants pour absorber la production mondiale, il se trouve le maître du monde, il n'existe plus devant lui les pays extra-capitalistes qui pouvaient constituer pour son système des nouveaux marchés : ainsi son apogée est aussi le point où commence sa décadence.
Les conséquences de ce fait, du point de vue du prolétariat révolutionnaire, sont immenses. Dès 1914, c'est-à-dire le début de la décadence, Lénine dégageait celles-ci en caractérisant la période qui s'ouvrait alors comme "l'ère des guerres et des révolutions" et, plus tard, en posant comme perspective centrale la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile.
En effet la décadence du système capitaliste -en posant comme une nécessité l'instauration d'un système nouveau qui, en produisant pour les besoins des hommes, échappe à la contradiction entre la production et le marché, c'est-à-dire la nécessité de la révolution prolétarienne- posait en même temps la maturité, la possibilité historiques de cette révolution.
Ceci n'est plus à remettre aujourd'hui en question : la révolution russe de 1917, première révolution prolétarienne victorieuse de l'histoire, les vagues révolutionnaires qui à partir de 1917 déferlèrent sur l'Europe et jusqu'en Asie ont prouvé la maturité historique de la révolution, comme le prouve en marchant le mouvement.
Même la défaite finale du prolétariat dans cette période, si elle a clairement démontré que sans parti révolutionnaire le prolétariat est incapable de parvenir à la victoire, n'a en rien ébranlé les positions communistes de Lénine et de la 3ème Internationale. Car, en laissant momentanément la direction de la société aux mains criminelles de la classe exploiteuse, elle n'a pas ouvert une période de prospérité et de rajeunissement du système capitaliste mais une période de crise économique permanente, de destructions et de conflits qui ont finalement débouché, comme Lénine le prévoyait, dans la 2ème grande guerre impérialiste.
Les marxistes doivent donc affirmer, comme base d'une analyse révolutionnaire de la situation, que la guerre actuelle est non le produit de la volonté diabolique de telle ou telle race mais l'expression monstrueuse d'une société condamnée ; que la perspective qui s'ouvre est non pas la paix, la reconstruction, la stabilisation capitalistes mais la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, la crise économique insoluble pour le capitalisme, la lutte révolutionnaire du prolétariat mondial.
Tous ceux qui ont tu ou caché au prolétariat cette réalité l'ont trahi. Ils couronnent aujourd'hui leur trahison en lui taisant et en lui cachant que, dans cette guerre actuelle, la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile a déjà commencé et qu'elle domine la situation actuelle.
Au printemps de la quatrième année de guerre, en 1943, commence à se manifester un changement dans le déroulement monotone et étouffant des événements du conflit impérialiste.
On annonce des vastes grèves revendicatives en Amérique, en Angleterre, en Italie. Les premiers indices du mécontentement de la classe ouvrière viennent démentir les phrases menteuses d'Union sacrée des classes pour la guerre, témoigner aux transfuges du prolétariat qui l'ont oublié de la persistance irréductible du contraste de classe, aviver l'espoir des révolutionnaires cherchant avant tout à déceler dans les événements le réveil de la classe ouvrière.
La signification du mouvement se serait pourtant bornée à cela, s'il s'était limité à ces grèves. Mais si la bourgeoisie parvenait aisément dans ces bastions de résistance, en Amérique et en Angleterre, à juguler momentanément le contraste de classes, en Italie le mouvement revendicatif de mars 1943 allait aboutir quelques mois plus tard, en juillet, à une opposition ouverte de classe contre la guerre impérialiste et au déclenchement de la guerre civile dans ce pays.
L'Italie représente en effet dans cette guerre le secteur le plus faible de ce chaînon du capitalisme que constitue l'Europe, unifiée dans une certaine mesure par l'économie de guerre et minée de contrastes.
Le capitalisme italien, partageant dans le monde capitaliste la place désavantageuse dévolue aux capitalismes derniers- nés, pauvre en ressources naturelles nécessaires à la poursuite victorieuse d'une politique impérialiste, a engendré en même temps qu'une bourgeoisie vantarde et impuissante, vouée aux échecs militaires et aux expéditions et aux revendications coloniales sans issue, sa contradiction dans un prolétariat hautement conscient et combatif. C'est cette situation historique qui devait l'obliger à recourir la première - sur les défaites des puissants mouvements déclenchés par son prolétariat en réponse à la guerre 1915-18 - à la forme la plus brutale de son oppression de classe : le fascisme.
Mais, si le fascisme parvint à se maintenir pendant vingt ans, ce fut en muselant toute expression de classe et non pas en apportant une solution à la situation économique et sociale de l'Italie ; à elle seule, l'absurde guerre d'Abyssinie en 1935 prouve assez qu'il ne pouvait exister aucune solution impérialiste à celle-ci. L'entrée de l'Italie dans le conflit mondial actuel ne pouvait donc qu'aggraver la situation générale et faire resurgir avec violence le contraste de classe.
Le prolétariat italien est, dès le début, hostile à la guerre, comme il l'était en 1915. C'est pourquoi, une fois le mouvement prolétarien déclenché en mars 1943, ni la bourgeoisie italienne ni l'impérialisme allemand ne parviendront à l'empêcher d'évoluer en quelques mois du terrain des revendications économiques à une lutte de classe ouverte et généralisée pour la cessation de la guerre impérialiste, non plus que d'empêcher l'armée italienne de se décomposer.
Car si l'aggravation de la situation d'ensemble du pays au cours de la guerre se traduit pour la classe révolutionnaire en une montée, un assaut contre la guerre, c'est dans une crise qu'elle se reflète pour la classe exploiteuse en Italie. Celle-ci se trouve, au moment du déchaînement du mouvement, en proie à des dissensions qui vont atteindre jusqu'au parti fasciste et ses dirigeants ; non que devant la menace de classe et la perspective qui se dessine d'un effondrement de l'Allemagne impérialiste où elle serait entraînée, la bourgeoisie italienne, pas plus que la bourgeoisie russe en 1917, se rallie à un programme pacifique qui l'opposerait au fascisme, mais d'une part cette menace de classe lui impose un changement de méthodes dans l'oppression et le démagogie, d'autre part le déroulement du conflit impérialiste lui rend nécessaire un changement d'alliance. Les éléments de la crise interne de la bourgeoisie italienne seront aussi les éléments de la chute du fascisme qui advient en juillet sous la poussée du mouvement des masses prolétariennes contre la guerre.
Mais il faut essentiellement distinguer entre l'enjeu réel du mouvement et l'objectif que la bourgeoisie a prétendu lui assigner : le premier se relie à une profonde réalité historique, à la décadence du capitalisme telle qu'elle s'exprime en particulier dans la situation de l'Italie, le second ne peut qu'exploiter les apparences les plus superficielles pour masquer l'enjeu bourgeois de la situation, en contradiction avec l'histoire et la volonté des masses.
L'enjeu bourgeois de la situation de juillet 1943 en Italie c'est le maintien de la domination de classe du capitalisme et la poursuite de la guerre. C'est à cela que tous les partis s'emploient, démocrates, social-démocrates ou staliniens, en présentant au prolétariat, comme l'enjeu de son propre mouvement, le renversement et la destruction du fascisme. Derrière ce mot d'ordre ne se cache pourtant que la peur bourgeoise devant la menace ouvrière qui l'oblige à changer de masque, à utiliser d'autres formes politiques avec des démagogies différentes mais animées du même esprit bourgeois, pour désorienter les masses et repousser le spectre de la révolution, et aussi les intérêts impérialistes qui, en poussant le capitalisme italien à changer de camp, l'obligent à sacrifier en même temps la forme fasciste liée à la politique d'alliance avec l'Allemagne.
L'enjeu réel du mouvement était tout autre et c'est l'idéologie marxiste et communiste qui nous permet de le dégager. L'enjeu d'un mouvement c'est la solution des problèmes sociaux qu'il pose. En juillet 1943, les masses prolétariennes d'Italie ont laissé éclater la révolte accumulée par des années de misère, d'expéditions coloniales et d'oppression politique. Elles ont exprimé clairement leur volonté d'en finir avec la guerre impérialiste. Or ce n'est pas le fascisme mais le capitalisme qui a engendré la misère et la guerre. Le fascisme ne fut que la forme de domination la plus adaptée aux nécessités de classe du capitalisme italien ; et sa faillite c'est la faillite de la bourgeoisie décadente en Italie à résoudre les problèmes économiques et sociaux.
Ainsi l'enjeu de ce mouvement, qui fait en lui-même tout le procès du capitalisme, c'est le renversement du système bourgeois et la révolution prolétarienne, tout comme en Russie 1917 où le mouvement ne devait pas s'arrêter aux revendications démocratiques contre l'absolutisme tsariste mais aboutir à la révolution socialiste.
La situation révolutionnaire était donc ouverte en Italie et, avec elle, la phase de transformation de la fraction en parti. Seul le Parti révolutionnaire aurait pu rendre le prolétariat conscient de cet enjeu de son mouvement et le guider dans sa réalisation, non seulement par la propagande mais par la participation active à tous les conflits en posant à ceux-ci des objectifs susceptibles de les canaliser en une lutte unifiée pour le renversement de l'Etat capitaliste, en un mot par une tactique étroitement liée à l'objectif final de la situation : la prise du pouvoir.
L'absence du parti a permis à la bourgeoisie internationale non pas d'intervenir mais d'intervenir avant que le prolétariat italien ait pu réaliser cette conscience et atteindre à des positions de classe supérieures, peut-être même jusqu'à des insurrections contre l'État bourgeois.
Ce fait ne peut manquer d'avoir eu et d'avoir encore des conséquences sur le terrain international où les événements d'Italie, défigurés par la bourgeoisie actuellement, auraient pu être un exemple pour la classe ouvrière de tous les pays et contribuer ainsi à accélérer le renversement du rapport des forces entre les classes ; en Italie même, en permettant à la démagogie des partis traîtres au prolétariat de rendre plus confuse la situation politique aux yeux des ouvriers, il rend aussi plus difficile l'édification du parti de classe.
Mais ce qui détermina la possibilité pour le capitalisme d'intervenir et, momentanément, d'écraser physiquement le mouvement fut que le mouvement des prolétaires italiens ne trouva pas une réponse et un soutien immédiats dans le prolétariat international. Dans l'état de délabrement de l'avant-garde, seuls cette réponse et ce soutien auraient pu lui donner la marge de temps suffisante pour regrouper ses forces révolutionnaires, qui s'exprimèrent isolément, pour former et développer le parti de classe, marcher organisés et encadrés à la prise du pouvoir et, en tous cas, seuls ils auraient pu leur donner la force de maintenir leurs conquêtes.
Devant le retard et la passivité du prolétariat international, le capitalisme intervint, après une brève période d'hésitation et de crainte, en se divisant le travail de répression : les Anglo-Américains suspendirent les opérations militaires pour laisser les allemands faire les gendarmes, mais de leur côté ils bombardèrent violemment les grands centres industriels pour en disperser le prolétariat. L'impérialisme allemand intervint dans le nord pour imposer le retour de Mussolini après la déclaration d'armistice de Badoglio, tandis que la bourgeoisie italienne, impuissante à réprimer, déployait avec sa démagogie antifasciste et "démocratique", la manœuvre classique de toute bourgeoisie qui se sent menacée et n'est pas encore assez forte pour étouffer la menace dans le sang.
Cette intervention devait aboutir à la situation actuelle d'une Italie partagée en deux zones. Le nord sous la domination de Mussolini, le sud gouverné "démocratiquement". Cette situation, issue de l'écrasement momentanée de la première vague révolutionnaire de juillet 1943, rend à son tour difficile l'évolution de la situation en isolant le cœur industriel du mouvement, c'est-à-dire le nord, du sud agricole.
C'est pourtant dans ces conditions que le prolétariat italien continue à prouver la profondeur des contrastes sociaux qui explosèrent en juillet et l'impossibilité de faire subir une défaite durable à un prolétariat dans une situation internationale qui évolue implacablement vers des explosions semblables et généralisées.
Du côté fasciste, comme du côté démocratique, la bourgeoisie est obligée de faire appel à toutes ses ressources de démagogie : Mussolini avec la proclamation de la "République sociale" et des "nationalisations", Badoglio avec la participation des "communistes"-staliniens au gouvernement. Mais ni d'un côté ni de l'autre, elle ne parvient à reconstituer l'armée, à réintégrer le prolétariat dans la guerre.
L'agitation reprend dans le nord après quelques semaines, sans que nous possédions jusqu'à présent assez d'éléments pour préciser quelles sont les positions prise par le prolétariat dans ce secteur depuis lors. Pourtant si la nouvelle situation n'exclut pas le danger de formation d'un certain mouvement nationaliste, de sabotages et même d'attentats et de maquis, qui rendraient confuse la situation politique, l'importance des mouvements sur les lieux de travail prouve que la bourgeoisie n'est pas parvenue à utiliser, pour ses intérêts impérialistes, la classe ouvrière et à canaliser dans ce sens son mécontentement.
Dans le sud, la situation est mieux connue. Successivement, la démission du roi, la chute de Badoglio, les crises du cabinet Bonomi viennent exprimer l'impossibilité à laquelle se heurte la bourgeoisie italienne pour apporter la moindre solution aux problèmes économiques et sociaux.
Le mouvement de prise des terres, à la fin de 1944, ainsi que les soi-disant mouvements séparatistes en Sicile qui surgissent en réalité du problème de la terre et de l'opposition des masses à la mobilisation pour la guerre sont la clé des avatars gouvernementaux ; après une longue agitation qui a provoqué le voyage de Churchill en Italie au printemps 1944 et sa fameuse déclaration : "Seuls seront libres les peuples qui le mériteront", et le discours du "communiste" stalinien Togliatti, ministre bourgeois, avouant "le mécontentement des masses contre le gouvernement démocratique", le prolétariat agricole et les paysans pauvres sont entrés en conflit direct avec les exploiteurs séculaires, les agrariens quasi féodaux, maîtres des grands latifundia du sud.
Devant cette situation la bourgeoisie, avec en premier lieu l'aide des chefs staliniens, ne peut et ne sait plus opposer, à toutes les revendications et les problèmes sociaux impossibles à résoudre, que l'objectif de la participation active à la guerre qui fait ressurgir plus fort toutes les colères du prolétariat.
En conclusion, la situation révolutionnaire reste ouverte en Italie. Le capitalisme international semble observer jusqu'à aujourd'hui la plus grande prudence de classe vis-à-vis de cette situation. La lenteur des opérations militaires en Italie tend vraisemblablement à maintenir le plus longtemps possible la division de la péninsule en deux secteurs, qui est un obstacle à la liaison du prolétariat agricole et industriel, au développement des mouvements révolutionnaires et à la formation du parti de classe.
Mais la perspective est celle d'un rebondissement inévitable de cette situation avec le déclenchement des mouvements prolétariens dans les autres pays, principalement en Allemagne.
Ici apparaît toute l'importance de la formation du parti de classe au travers des mouvements actuels, de son organisation et de sa centralisation, de sa liaison avec les masses, dans le nord et dans le sud, par le travail illégal.
Les événements d'Italie ont une signification internationale, non seulement parce qu'ils ont ouvert le chemin que doit inévitablement emprunter le prolétariat de tous les pays pour en finir avec la guerre impérialiste, parce qu'ils marquent ainsi le début de transformation de cette guerre en guerre civile dans le monde, mais parce que leur éclosion correspond à une situation nouvelle en Europe.
Celle-ci se caractérise par une modification du rapport de forces économiques et militaires entre l'Allemagne hégémonique et l'impérialisme allié. Dès la deuxième année de la campagne de Russie, le cours ascendant de guerre- éclair et de victoires allemandes fait place, en effet, à un piétinement et à un cours de défaites pour l'Allemagne.
Pourtant les événements d'Italie éclatent sans éveiller un écho direct et rapide dans le prolétariat international et principalement allemand et ceci en fonction du décalage qui subsiste encore aujourd'hui entre la situation plus avancée d'Italie et celle du reste de l'Europe.
La généralisation des mouvements révolutionnaires contre la guerre ne s'étant pas produite, celle-ci se poursuit et se développe. Le cours des défaites de l'Allemagne s'accentue, créant les conditions pour l'avance des Alliés aux deux confins de l'Europe, des Russes en Pologne, dans les Balkans et en Europe centrale, des Anglo-Américains en France et en Belgique au travers du grand débarquement sur le continent.
Mais la nouvelle situation, d'où sont surgis les mouvements révolutionnaires italiens et qui se précise avec la pression militaire des Alliés, présente pour la bourgeoisie allemande de graves difficultés économiques et militaires auxquelles se relie inévitablement, et bien qu'elle ne se soit pas encore nettement manifestée, la menace de classe de son prolétariat. La perspective de l'éclatement des mouvements prolétariens contre la guerre en Allemagne domine alors la situation en Europe ; et, de fait, l'avance impérialiste sur l'Allemagne revêt également le caractère politique d'une marche du capitalisme international contre la révolution allemande.
Onze mois après le déclenchement des mouvements italiens, cette situation d'ensemble se manifeste à son tour dans une grave crise de la bourgeoisie allemande. Crise politique de la bourgeoisie devant la perspective de la défaite et la menace de classe du prolétariat qu'elle voudrait prévenir avant qu'elle ne se concrétise dans des mouvements révolutionnaires, voilà ce que signifie l'attentat contre Hitler en juin 1944, quelque temps après le débarquement.
Cette nature bourgeoise du complot et la profondeur de la crise sont nettement indiquées par la compromission d'une importante partie des hauts cadres militaires et des personnalités rattachées à la grande industrie, comme Hugenberg (arrêté plus tard) ancien chef du parti nationaliste, des Casques d'acier et homme politique de la bourgeoisie.
La tendance qu'elle manifeste de sacrifier l'hitlérisme exécré des masses pour retarder l'explosion de la guerre civile et, du point de vue impérialiste, pour essayer d'obtenir certaines conditions de paix, est identique à celle qui se fit jour dans la bourgeoisie italienne à la veille de juillet 1943. La différence essentielle entre les deux situations est que le prolétariat, cette fois-ci, ne manifeste pas ouvertement son opposition à la guerre.
La bourgeoisie étant incapable d'arrêter la guerre en réalisant un compromis, seul le mouvement prolétarien aurait pu briser le cours du conflit et renverser l'hitlérisme. Le fait que celui-ci ne se déclencha pas devait forcément amener à l'échec du complot ou, tout au moins, au maintien de la forme national-socialiste.
Cette absence du prolétariat s'explique par divers éléments. Éléments historiques de la tradition politique de la classe ouvrière allemande, l'histoire de sa lutte de l'après-guerre jusqu'en 1933, les conditions d'avènement du fascisme. Cette histoire est dominée par les erreurs d'un parti communiste sans homogénéité politique et bientôt corrompu par le centrisme stalinien. Les directives de lutte contre le traité de Versailles livrant idéologiquement le prolétariat allemand à la propagande revancharde des nationaux-socialistes, le blocage avec ceux-ci contre la social-démocratie le livrant physiquement à l'assaut hitlérien devaient se couronner par la trahison de 1933 où le prolétariat, devant la passivité du parti communiste (comptant encore 600.000 membres et 6 millions de voix aux élections), faute de directives, dût subir la défaite et l'avènement d'Hitler et sa "peste brune". Éléments économiques de la situation du capitalisme allemand qui lui permirent, contrairement à ce qui se passa en Italie, de mener avec succès, avant le conflit mondial, une politique d'annexions en Europe. Tout cela explique l'emprise de la démagogie nazie déployée onze années durant sur un prolétariat privé de toute organisation, de toute possibilité d'expression de classe.
Mais c'est surtout la situation politique sous l'occupation allemande qui retarde l'explosion du mouvement de classe en Allemagne et aida le capitalisme, non seulement allemand mais international, à sortir du mauvais pas que constituait pour lui la crise de juin 1944. Cette situation politique avait été créée par le rôle de l'impérialisme allemand en Europe, rôle d'oppression et d'exploitation économique que la politique des "démocrates" de toutes nuances exploita pour détourner le mécontentement de la classe ouvrière de ses origines réelles : la guerre impérialiste et son propre capitalisme, pour le faire servir, au travers des mouvements de maquis, pour la défense des intérêts de sa bourgeoisie spoliée.
Menant une propagande haineuse où les dirigeants russes excellèrent, elle représentait l'Allemagne comme la seule responsable de tous les maux engendrés par le régime capitaliste, confondait volontairement l'impérialisme et les nazis allemands avec le prolétariat, faisait partagé à celui-ci - trahi par les mêmes démocrates, chefs socialistes et staliniens en 1933 - la responsabilité des massacres commis par les SS sous les ordres des chefs militaires (dont les Alliés "apprécient hautement la valeur") et de la bourgeoisie impérialiste : elle menaçait l'ensemble de la population allemande des pires souffrances et châtiments.
Ainsi elle renforçait le nationalisme dans le prolétariat allemand et empêchait la classe ouvrière européenne de prendre le chemin de la lutte de classes, complétant la politique nazi qu'elle prétendait combattre pour la prolongation de la guerre impérialiste, se révélant une fois de plus comme l'ennemie jurée du prolétariat international.
Les conséquences de cette politique de la bourgeoisie et le retard du prolétariat européen devaient se manifester par le maintien du front intérieur allemand jusqu'à aujourd'hui. Bien que la pression militaire des Alliés approfondit la crise de la bourgeoisie allemande, qui se traduit par des luttes opposant une partie des chefs militaires à la Gestapo et aux nazis, dont l'exemple le plus frappant est celui d'un officier supérieur refusant d'obéir à "une politique criminelle menant à la guerre civile" et essayant d'entraîner les autres chefs militaires sur le front de l'ouest, du fait que les défaites répétées ne font pas jaillir encore des grands mouvements de classe, que la démoralisation de l'armée ne se transforme pas en fermentation révolutionnaire, la bourgeoisie allemande parvient, au travers de Himmler et de la répression féroce des premières manifestations de mécontentement dans les usines et dans l'armée, à reprendre momentanément la situation en main. C'est cette stabilisation momentanée - qui ne peut être que très brève - que permet un raidissement de la défense militaire sur certains secteurs.
Cette neutralisation du prolétariat allemand réagit à son tour sur le terrain international en permettant, lors de l'arrivée des Anglo-Américains, l'épanouissement des mouvements nationalistes contre-révolutionnaires opposant des fractions très larges des ouvriers des pays occupés aux soldats - dont la plus grande partie des ouvriers aussi - de l'armée allemande, revêtant très souvent le caractère de "pogrom" et de massacre aveugle. L'exemple le plus frappant est celui de Varsovie où la bourgeoisie polonaise parvient à entraîner, sous la direction d'officiers réactionnaires et semi-Internationalisme, organe théorique de la Fraction française de la Gauche Communiste, année 1945 fascistes, l'ensemble de la population dans sa croisade anti-allemande se terminant par l'anéantissement de dizaines de milliers d'hommes et de femmes dont la majorité des ouvriers allemands en uniforme et des ouvriers polonais.
Unis aux bombardements terroristes massifs des Anglo-Américains et des Russes sur les villes industrielles de l'Allemagne entraînant la mort de centaines de milliers de prolétaires - surtout des femmes et des enfants -, ils n'ont pu que contribuer à maintenir cette neutralisation et à prolonger la guerre.
La libération des pays occupés par l'Allemagne, en modifiant la situation économique et politique en Europe, va aussi agir puissamment pour la modification du rapport de forces de classe qui correspondait aux mouvements nationalistes.
La première phase de la période qu'elle a ouverte s'est caractérisée par l'arrêt de la production de guerre des industries nationales "libérées", du fait de leur désintégration de l'économie allemande et de leur non intégration à l'économie anglo-américaine.
Elle nous a ainsi donné une image de ce que sera la situation économique du capitalisme une fois que le mouvement révolutionnaire lui aura imposé l'arrêt de la production de la guerre.
En effet, loin de parvenir à rétablir une production normale et à hausser le niveau de vie des ouvriers, la bourgeoisie voit son industrie tomber dans le marasme et la crise économique.
Tous les partis s'emploient à masquer cette expression de la faillite du capitalisme en attribuant la responsabilité de la situation de chômage et de misère aux sabotages des collaborateurs de la 5ème colonne ou à la forme capitalistes des trusts.
C'est le contenu capitaliste de classe de toute la campagne de l'épuration et des nationalisations.
Les événements de Belgique et de Grèce, qui correspondent à cette phase en même temps qu'ils expriment une première réaction du prolétariat au chômage et au manque de ravitaillement, prouvent la réussite de cette manœuvre dans une situation intermédiaire où la classe ouvrière ne se trouve pas engagée directement dans la guerre et ne peut, comme en Italie, relier directement ses revendications à l'arrêt de celle-ci.
On voit, en effet, dans ces événements se croiser le mouvement bourgeois de la Résistance, derrière lequel agissent des contrastes et des intérêts impérialistes (les partis staliniens par leur politique ne représentent que l'impérialisme russe opposé à l'impérialisme anglo-américain), avec un mouvement revendicatif proprement prolétarien.
Toutefois, ce dernier ne dépasse pas dans son expression politique les cadres bourgeois de la Résistance puisqu'il se débat dans le dilemme d'un gouvernement plus ou moins démocratique.
L'objectif à présenter au prolétariat dans cette situation par les communistes ne pouvait pas être celui d'un changement de gouvernement, ni de maintien des Milices Patriotiques ou autres organisations similaires, pas plus qu'il ne pouvait lui être opposé celui de la prise du pouvoir.
L'action des communistes ne pouvait être que de s'efforcer de détacher les revendications économiques ouvrières des revendications politiques bourgeoises en les reliant à la perspective de transformation de la guerre impérialiste en guerre civile.
C'est là la grande différence avec le mouvement prolétarien en Italie qui, en posant le problème insoluble de la cessation de la guerre et en commençant à le résoudre par la guerre civile, ouvrait la crise de pouvoir de la bourgeoisie dont la seule solution était le renversement de l'État bourgeois.
Mais si les mouvements belge et grec n'ont pas marqué l'ouverture d'une situation révolutionnaire, ils contiennent en eux-mêmes leur contradiction car, tout en liant le prolétariat aux nationalistes anti-allemands, ils l'ont mis pour la première fois en contact avec la répression du capitalisme allié et, d'autre part, leur échec a ouvert au point de vue international -la situation de la Grèce qui ne possède pas d'industrie lourde reste particulière- la deuxième phase de la situation.
En l'absence de mouvements révolutionnaires, celle-ci va voir comme seule solution à la crise économique la réintégration des capitalismes libérés, en particulier la France et la Belgique, dans la guerre.
La pression des bourgeoisies nationales, à la pointe desquelles se plaçait la Résistance, et l'expérience belge et grecque ont posé la nécessité pour le capitalisme anglo-américain d'apporter rapidement une aide économique permettant aux pays "libérés" de recommencer une production de guerre.
Si, pour ces bourgeoisies, cette question de reconstruction et d'effort de guerre est liée à la volonté impérialiste de reconquérir leurs positions internationales, l'attitude du capitalisme anglo-américain s'exprimant par la bouche de Roosevelt a bien marqué la signification politique bourgeoise de cette réintégration en déclarant nettement qu'il ne suffisait pas de former une armée dans ces pays, mais qu'il fallait aussi remettre en marche les industries "afin d'éviter les désordres graves", c'est-à-dire les troubles sociaux.
L'attaque allemande en Belgique et en Alsace vient fort à propos, dans cette situation, en permettant le battage démagogique destiné à mobiliser idéologiquement et physiquement les prolétaires qui répugnent à la guerre.
La perspective générale de cette situation est, comme nous l'avons vu, la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile.
Le mouvement du prolétariat allemand se trouve au centre de cette perspective. En effet, le rôle de l'Allemagne dans cette guerre ayant été la base objective de la mobilisation du prolétariat européen sur des positions nationalistes et contre-révolutionnaires, la rupture entre les deux classes en Allemagne est le principal facteur de l'évolution du rapport des forces en Europe.
D'autre part, la haute concentration industrielle de l'Allemagne, la gravité de la situation dans le pays et la dureté de vie de ce prolétariat -qui a plus que tout payé son tribut à la guerre- en font une lourde et terrible menace pour le capitalisme international.
La politique des bourgeoisies alliées devant cette menace a tendu et tendra à mobiliser les ouvriers de tous les pays, principalement européens, contre leurs frères allemands et à établir un cordon sanitaire pour les "protéger" du danger de contagion révolutionnaire qu'entraîneront les futurs mouvements révolutionnaires dans ce pays, autour de l'Allemagne.
Ses plans d'après-guerre prévoient une division de l'Allemagne en zones différentes d'occupation et des vastes déportations d'ouvriers allemands sous prétexte de reconstruire dans les autres pays mais en réalité pour disperser ce prolétariat et en briser la force révolutionnaire.
A la tête de la grande manœuvre bourgeoise se trouve l'URSS, soi-disant État ouvrier et souffleur en chef des partis nationaux-"communistes".
Entrée dans la guerre avec derrière elle de nombreuses années d'une économie essentiellement orientée en vue du conflit impérialiste, la Russie d'aujourd'hui n'a plus rien à voir avec celle de la révolution d'Octobre 1917, celle du pouvoir ouvrier des soviets, de Lénine et du parti bolchevik. Toutes les conquêtes d'Octobre ont été abolies, les communistes fusillés et remplacés par des arrivistes, des bureaucrates et des nouveaux bourgeois. Au nom de cette nouvelle bourgeoisie, l'État gère l'économie et la production ; la plus grande partie est absorbée par le développement de l'industrie de guerre et par les nouveaux bourgeois. Elle a bâti sa puissance militaire et économique sur la grande défaite de la vague révolutionnaire d'après-guerre, sur la trahison et l'abandon des prolétariats révolutionnaires en échange d'avantages économiques obtenus de leurs bourreaux capitalistes, et sur l'exploitation intensive et barbare de la classe ouvrière russe.
Ce visage capitaliste de la Russie des maréchaux, des popes et des nouveaux bourgeois d'aujourd'hui est le résultat de l'évolution qui, issue de l'isolement où elle s'est trouvée par suite des défaites du prolétariat dans l'immédiat après- guerre et des erreurs de l'IC, l'a intégré au capitalisme mondial en s'accompagnant d'une altération complète de la nature et la fonction de l'État. Comme Lénine l'avait prévu, la bourgeoisie a pu vaincre et s'intégrer l'État ouvrier grâce à la politique des accords économiques.
Aujourd'hui elle joue le rôle de grande puissance parmi les autres pays capitalistes et c'est en grande partie dans l'économie et dans la guerre elle-même, qui n'apportait au prolétariat russe et international que misère et mort, que l'État russe, lui, a puisé cette puissance.
Il est devenu ainsi un chaînon du monde capitaliste et le pire ennemi des nouvelles révolutions prolétariennes qui, en balayant l'économie capitaliste de destruction et la guerre, créeront aussi des conditions pour le réveil de la classe ouvrière russe et pour l'écroulement de la nouvelle bourgeoisie et de ses serviteurs : Staline et ses maréchaux.
En occupant des pays européens, l'État russe ne lutte donc pas seulement pour ses intérêts impérialistes mais aussi pour prévenir et étouffer les mouvements révolutionnaires.
Avant 1939 déjà, au travers des partis "communistes" des différents pays, bureaucratisés et devenus des simples annexes des Ambassades russes, l'URSS parvenait à polariser autour d'elle, en exploitant le souvenir d'Octobre 1917 et le passé révolutionnaire de l'IC des premières années de l'après-guerre, une grande partie du mouvement ouvrier dont les directives n'obéirent pourtant plus à des intérêts de classe mais aux nécessités de la politique extérieure de cet État.
Antimilitaristes encore en 1933, le rapprochement de l'URSS avec les capitalismes "démocratiques", rivaux de l'Allemagne, a comme effet de convertir les partis "communistes" en défenseurs de "la patrie" contre "le boche" et en partisans de la guerre et de l'union sacrée avec la bourgeoisie. En 1939, le pacte germano-soviétique les reconvertit au défaitisme et à la lutte contre l'impérialisme anglais, "le plus fort de tous". La déclaration de guerre entre la Russie et l'Allemagne en juillet 1941 en fait de nouveau des patriotes et des résistants.
Mais c'est aujourd'hui que la menace révolutionnaire devient le premier souci de la bourgeoisie en guerre, que la Russie de Staline démasque son vrai visage d'impérialisme et de gendarme du capitalisme en Europe devant le prolétariat international longtemps dupé.
Nous l'avons vu conclure une paix impérialiste avec la Finlande. Ou bien ce traité était-il dans l'intérêt du prolétariat finlandais ? Il oblige la Finlande à céder des bases militaires et à faire des concessions économiques : c'est à son prolétariat que la bourgeoisie finlandaise, soigneusement épargnée par la Russie, fera payer les frais de cette paix.
Elle a occupé la Bulgarie et, tout en respectant scrupuleusement les intérêts sacro-saints des agrariens et des bourgeois bulgares, a obligé ce pays à entrer en guerre contre l'Allemagne, livrant ainsi son prolétariat au massacre.
Nous l'avons vu laisser périr le mouvement nationaliste de Varsovie, permettant ainsi l'anéantissement de 200.000 polonais, pour la plupart des ouvriers (après avoir encouragé ce mouvement dans la mesure où il servait ses propres intérêts impérialistes) le jour où, dirigé par Londres, il présentait le danger de reconstituer un État polonais sous l'influence d'un autre impérialisme non-russe.
En Hongrie, elle forme un gouvernement présidé par le général Miklos - décoré par Hitler en 1941, nazi hongrois converti, une sorte de Darlan hongrois - où les représentants des grands agrariens coudoient ceux du parti "communiste" et les "collaborateurs" d'hier avec Hitler et les valets de Horthy -le bourreau de la Commune hongroise de 1919- sont les bienvenus chez les maréchaux de Staline.
Pendant que cela s'accomplit et qu'au cours de son avance militaire elle assure aux bourgeoisies des pays qu'elle occupe le respect et le maintien de leur système d'exploitation économique, frère du sien propre, le maréchal allemand prisonnier Paulus parle à Radio Moscou, au nom du Comité de l'Allemagne libre, pour préparer le nouveau gouvernement bourgeois et pro-soviétique qui succédera à Hitler. Car le plus grand danger qui menace la bourgeoisie est la révolution allemande et c'est en vue de réprimer ce danger que l'État russe réclame l'anéantissement de l'Allemagne- tout en utilisant Paulus, car il faut beaucoup de cartes pour gagner -c'est-à-dire de son prolétariat, la déportation de millions d'ouvriers allemands en Russie.
Son avance militaire actuelle contre l'Allemagne, l'occupation qui va suivre, sauront dessiller les yeux du prolétariat mondial : il verra que ce que l'URSS apporte avec son armée dite "rouge" et sa GPU c'est une force de police dans les mains de la bourgeoisie internationale, la plus sauvage répression contre le prolétariat révolutionnaire, l'oppression politique et économique.
Mais les possibilités répressives de l'impérialisme russe, comme celles de toute la bourgeoisie internationale, seront en rapport avec la situation d'ensemble de l'Europe et dépendront de la plus ou moins grande rapidité du prolétariat international, principalement européen, à reprendre sa lutte de classe révolutionnaire.
Si, au moment de la libération, la bourgeoisie a pu réussir dans sa manœuvre de mobilisation du prolétariat contre l'Allemagne et pour des intérêts purement bourgeois, la réintégration de la classe ouvrière des pays "libérés" dans la guerre, en exacerbant les contrastes de classe qui commencent déjà à se faire jour dans le mécontentement du prolétariat et en donnant une base commune à la lutte de la classe ouvrière d'Europe, diminue le danger de mobilisation chauvine de celle-ci contre les mouvements révolutionnaires d'Allemagne.
Cela est vrai même pour la France que le capitalisme international a choisi comme gendarme de demain en Europe, en lui offrant pour cela une place aux Conférences internationales réglant le sort de l'Allemagne.
La guerre, qui ne laisse subsister que quelques grandes puissances capitalistes et réduit les autres au rang de vassales, mûrit en même temps un prolétariat révolutionnaire ; malgré les efforts de tous les partis et tendances, servant la bourgeoisie et continuant jusqu'au bout et à rebours de l'histoire de la politique nationaliste et réformiste, l'éclatement de puissants mouvements prolétariens dans toute l'Europe est inévitable.
Mais c'est seulement par la formation d'une avant-garde internationale, rompant avec la guerre et l'illusion de l'URSS comme État ouvrier, luttant pour le renversement du système capitaliste et pour l'établissement de la dictature du prolétariat, que la classe ouvrière internationale pourra se dégager de l'idéologie bourgeoise et entraînant à sa suite les autres couches exploitées de la société, transformer ces mouvements révolutionnaires en insurrections organisées et généralisées pour la prise du pouvoir.
Si cette avant-garde ne parvient pas à se dégager de la première vague révolutionnaire rompant avec la guerre, celle-ci sera inévitablement écrasée.
Mais les communistes savent que les contrastes de classe n'en surgiront plus tard qu'avec plus de force. La situation économique du capitalisme sera en effet plus désespérée qu'avant le déclenchement de la guerre.
Pour les pays vaincus, un appareil industriel démantelé par les destructions, la ruine de toutes les couches moyennes dont la prolétarisation s'accentue rapidement dès le début de la guerre, de la classe capitaliste même spoliée par les concurrents impérialistes, sans pouvoir d'achat, sans marchés et impuissante à faire marcher la production ; pour le prolétariat, la famine et le chômage.
Pour les pays vainqueurs, avec un appareil productif de guerre hypertrophié mais ne correspondant plus à la demande d'un marché réduit encore par les années de guerre et par la diminution du pouvoir d'achat des masses en chômage et des couches ruinées, l'alternative sera : surproduction ou inutilisation et la marge pour les manœuvres de renflouage économique extrêmement réduite. La seule solution possible serait dans la continuation de la guerre impérialiste dans d'autres secteurs. Mais cela comporte la mobilisation idéologique et physique des prolétariats sortant à peine de la guerre. Malgré l'écrasement momentané des mouvements, il est certain que cette tentative ne ferait que faire rebondir la situation révolutionnaire. D'autre part, la bourgeoisie ne pouvant plus faire une production normale de consommation et l'exacerbation des contrastes inter-impérialistes étant poussée au maximum par suite du rétrécissement des marchés, la poursuite de la guerre apparaît comme la seule voie possible pour le capitalisme en décomposition.
C'est sur cette impossibilité de reconstruction et de stabilisation capitaliste, et l'incapacité de la bourgeoisie à gérer plus longtemps la société, sur la force révolutionnaire du prolétariat et la solidité de l'idéologie communiste que les communistes fondent leur certitude de la victoire finale de la classe prolétarienne.
Les syndicats, première forme d'organisation de la classe ouvrière, surgissent dans la période ascendante du capitalisme pour lutter pour la hausse des salaires et l'amélioration des conditions de vie des ouvriers.
Pendant la période d'industrialisation croissante et de développement du système capitaliste, la hausse des salaires était possible en fonction de l'augmentation de la plus-value globale : malgré la tendance de la bourgeoisie à diminuer le capital variable pour réaliser des surprofits et compenser les pertes subies pendant les crises périodiques, la lutte des syndicats se développe donc sur un terrain favorable.
À partir de l'époque où la croissance du capital social global atteint un plafond limité par l'inexistence de nouveaux marchés, les conditions objectives deviennent de moins en moins favorables au développement victorieux de la lutte des syndicats sur le terrain purement économique. La bourgeoisie ne peut plus tolérer une hausse des salaires. Le système économique capitaliste étant entré dans la période de la décomposition, la classe dominante essaie au contraire de rattraper ses pertes sur le dos des salariés et elle intensifie l'oppression économique du prolétariat.
Mais aussi bien dans la période ascendante que dans celle que nous vivons actuellement, la lutte du prolétariat pour la satisfaction de ses besoins vitaux se concrétise et se développe au travers de ces organisations syndicales. La crise permanente du régime capitaliste se traduisant par une augmentation de la misère des masses, la lutte pour des conditions de vie humaines et supportables est l'objectif immédiat qui se présente d'abord aux masses travailleuses.
Les organisations syndicales surgies du contrastes capital-travail sont la seule forme au travers de laquelle s'est concrétisée historiquement la nécessité d'un regroupement des grandes masses pour l'engagement et la poursuite de ces combats.
Elles offrent la possibilité à la classe ouvrière de se constituer en un corps organique au travers d'un vaste réseau d'organismes de lutte qui s'oppose au réseau économique et répressif du système capitaliste.
Elles offrent ainsi la possibilité à l'avant-garde révolutionnaire d'influencer les plus larges couches d'ouvriers industriels et agricoles jusqu'à transformer, dans une situation révolutionnaire, ces organismes syndicaux en une véritable école révolutionnaire de masses et en un instrument non seulement de lutte sur le terrain économique mais de destruction du système économique capitaliste.
C'est seulement par l'intervention du parti et l'existence d'une organisation communiste internationale qu'au travers de la maturation des situations la lutte du prolétariat sur le terrain des revendications économiques peut se hausser au niveau d'une lutte politique organisée et généralisée menant à la destruction du pouvoir bourgeois.
C'est pourquoi les communistes combattent les théories "syndicalistes" qui prétendent que l'action des organisations syndicales suffit pour aboutir à l'écroulement du système capitaliste et à l'édification d'une nouvelle organisation sociale.
L'expérience historique a démontré que si la lutte revendicative économique des ouvriers offre la meilleure base pour l'organisation des plus larges masses, elle ne peut par elle-même abattre le pouvoir de la classe capitaliste. Au contraire, la lutte économique ne dépassant pas les cadres de l'État bourgeois, cet État peut à un certain moment détruire toutes les conquêtes économiques du prolétariat et briser pour une longue période les possibilités de reprise des mouvements et la capacité combative de ce prolétariat en détruisant ses organismes unitaires.
Mais par contre nous devons aussi combattre les tendances qui, partant du fait de l'existence d'une bureaucratie syndicale extrêmement forte, formant une couche réactionnaire avec des intérêts homogènes opposés aux intérêts de classe du prolétariat et à la révolution prolétarienne, affirment que les organisations syndicales sont dépassées en tant qu'instruments de lutte anti-capitalistes. Du fait que l'appareil bureaucratique dans les syndicats a souvent réussi à freiner les mouvements revendicatifs de la classe ouvrière, que d'autre part, dans des périodes de dégénérescence idéologique du mouvement ouvrier et de cours vers la guerre, les syndicats ont pu être utilisés comme auxiliaires de la démagogie bourgeoise dans le prolétariat, ils concluent à la faillite des organisations syndicales en tant qu'organismes unitaires permettant le développement de la lutte prolétarienne. Par là même ils concluent soit à une politique d'abandon des syndicats par les ouvriers et l'avant-garde et à la nécessité de nouvelles formes d'organisation unitaire, soit à la non- nécessité de ces formes, l'action du parti communiste devant suffire pour entraîner les masses ouvrières au combat.
Mais l'expérience de l'entre-deux guerres nous a montré l'erroné de ces conceptions. La formation d'une couche de bureaucrates syndicaux serviteurs des intérêts bourgeois est un phénomène découlant des conditions historiques mêmes. La constitution de puissantes organisations syndicales entraîne inévitablement la formation d'un appareil de fonctionnaires. Mais le passage en bloc de ces fonctionnaires dans le camp de la bourgeoisie, tout en conservant la direction des syndicats, ne peut être expliqué que par l'absence ou la faiblesse de l'influence de l'avant-garde révolutionnaire sur la classe ouvrière, soit en fonction d'une situation objective défavorable soit en fonction d'erreurs politiques.
Le freinage des mouvements spontanés du prolétariat par les directions bureaucratiques est la conséquence de la non- transformation de ces mouvements spontanés de revendications économiques en mouvements politiques embrassant l'ensemble des masses travailleuses. La décroissance de la vague révolutionnaires d'après 1914-18 - dont nous avons trop souvent analysé les cause pour répéter ici cette analyse -, les erreurs des partis communistes et leur dégénérescence ensuite peuvent seuls expliquer ces freinages et cette puissance bureaucratique. De la même manière que la disparition politique du prolétariat dans le cours vers la guerre après 1933 et dans la guerre elle-même explique la possibilité offerte à la bourgeoisie d'utiliser l'appareil syndical pour des buts capitalistes. Ce ne sont pas les facteurs de réaction dans les organismes syndicaux qui ont déterminé en dernier lieu les échecs du prolétariat mais ces échecs qui ont permis l'existence et le renforcement de ces facteurs.
D'autre part la naissance de nouvelles formes organisationnelles unitaires du prolétariat n'est pas un phénomène découlant de la volonté de l'avant-garde et ne peut être créée d'une manière artificielle à côté des syndicats déjà existants.
Le rôle et la formation des Soviets en Russie - comme forme d'organisation nouvelle de la classe prolétarienne - découle de la situation particulière de la société capitaliste russe : développement très rapide créant les conditions pour l'existence des syndicats et répression politique entraînant l'illégalité presque permanente et empêchant ceux-ci de s'étendre, d'établir des liaisons sur le plan national et de se fortifier. C'est dans ces conditions que les "Conseils de délégués ouvriers" naissent comme forme de lutte. Ils interviennent en 1905. En 1917, la rapidité de l'évolution de la situation amène le prolétariat à les utiliser comme arme politique et économique à la fois - les deux phases de la lutte s'entremêlant mais le caractère politique passant rapidement au premier plan. Ce qui permit au parti bolchevik de leur donner de plus en plus un caractère politique de classe se concrétisant dans le mot d'ordre de "Tout le pouvoir aux Soviets".
Nous ne devons donc pas, en répétant les erreurs de l'IC, généraliser et schématiser la formule des Soviets sur modèle russe, et encore moins vouloir les substituer de par la volonté de l'avant-garde aux organisations syndicales déjà existantes. L'expérience des Soviets - ainsi que celle des Conseils en Allemagne et en Italie - nous montre surtout la nécessité pour le prolétariat de pouvoir disposer dès le début de la période insurrectionnelle d'un instrument plus souple et plus direct que le syndicat sous sa forme traditionnelle, permettant en même temps le regroupement de toutes couches prolétariennes jusqu'aux plus arriérées avec les alliés du prolétariat, les paysans pauvres et les ouvriers agricoles, en un seul front d'action et l'engagement de ces forces sur le plan insurrectionnel.
La naissance de ces Conseils, leur forme structurelle concrète, leur rôle précis dans le déroulement du cours révolutionnaire ne peuvent être fixés d'avance vu l'impossibilité de déterminer les conjonctures futures dans chaque pays. Tout ce que nous pouvons affirmer dès aujourd'hui c'est qu'ils ne naîtront qu'à un stade avancé du processus révolutionnaire, qu'ils ne peuvent se substituer aux syndicats dans les luttes revendicatives économiques et qu'au contraire leur action devra être étroitement liée à celle des organisations syndicales. Leur rôle sera essentiellement politique et par là ils deviendront forcément les organes du pouvoir prolétarien face au pouvoir de l'État capitaliste.
Cette conception sur le rôle des syndicats et des conseils est en opposition avec celle du parti révolutionnaire seul face aux masses prolétariennes inorganisées. Le processus révolutionnaire n'étant pas le déroulement d'une lutte entre une minorité révolutionnaire et une autre minorité bourgeoise mais le combat de deux classes antagonistes, le prolétariat (entraînant à sa suite les autres couches exploitées de la société) contre la bourgeoisie, l'organisation de la classe ouvrière apparaît lentement et progressivement comme un résultat de cette lutte même. Elle est une nécessité historique ne dépendant pas de la volonté d'une minorité mais des conditions du développement capitaliste. L'existence de ce réseau d'organisation est une condition indispensable pour que l'avant-garde puisse influencer et diriger le cours de la lutte, l'orientant vers la prise du pouvoir.
Certes, le parti révolutionnaire ne trouve pas tout prêts les instruments de cette lutte. Son rôle et sa tâche sont précisément d'aider le prolétariat à les forger.
Il faut qu'il travaille dans le sein de toutes organisations syndicales existantes pour le regroupement et la fusion de ces organisations sur le plan national. Pour la disparition de l'esprit étroitement professionnel, alimenté par la bureaucratie qui s'en sert pour diviser le prolétariat, et pour l'organisation par industrie, c'est-à-dire un seul syndicat pour tous les ouvriers de la même entreprise.
Les fractions syndicales du parti doivent tendre à créer les liens de solidarité les plus étroits entre tous les syndicats professionnels, à l'unification de toutes les revendications partielles en revendications embrassant tous les ouvriers de la même branche d'industrie et à l'élargissement des mouvements des mouvements par la présentation simultanée de revendications dans plusieurs branches d'industrie.
Dans ce rôle de regroupement et d'organisation de la classe ouvrière, l'avant-garde révolutionnaire doit s'occuper spécialement du problème du chômage industriel et agricole.
La formation d'une imposante couche de travailleurs ayant perdu leurs moyens de subsistance constitue évidemment un grand danger pour l'Etat bourgeois mais met aussi en péril l'existence même des organisations syndicales dont la raison d'être fondamentale est de lutter sur le terrain de la production pour l'obtention d'un meilleur niveau de vie des producteurs. Si le syndicat ne comprend pas la nouvelle situation découlant de l'aggravation du chômage et n'emploie pas les moyens appropriés de lutte, les masses d'ouvriers sans emploi se détachant de ces organisations syndicales devenues inutiles, ne pouvant plus se regrouper sur leur terrain naturel de lutte, deviennent un facteur de désagrégation du mouvement prolétarien.
En effet, il arrive alors que la couche la plus misérable des prolétaires, celle qui souffre le plus des conséquences de la crise et des contradictions capitalistes, et qui par ce fait devrait être à la première place dans le processus révolutionnaire, n'y participe pas en tant que classe organisée et peut devenir par contre un poids négatif, facilement utilisable pour la bourgeoisie, sur les luttes revendicatives des ouvriers producteurs.
Nous avons dit plus haut que l'existence d'une organisation unitaire de la classe ouvrière est un facteur indispensable pour que l'avant-garde puisse influencer et orienter le cours du processus révolutionnaire vers la prise du pouvoir. Il ne peut donc y avoir d'équivoque : le parti ne peut s'adresser et influencer des éléments prolétariens sortis de la production, se désagrégeant en une foule inconsciente et manœuvrable, et prétendre l'entraîner telle quelle sur la voie révolutionnaire.
Seuls l'organisation et l'encadrement de ces couches de travailleurs industriels et agricoles dans les syndicats, leur étroite union au travers cet encadrement avec les ouvriers travaillant dans la production, permettront de les intégrer à la lutte révolutionnaire de l'ensemble du prolétariat et les transformeront en un des ferments plus actifs de la décomposition et de l'écroulement du régime capitaliste.
Il revient au parti d'accomplir cette tâche au travers des syndicats et au moyen d'une action de solidarité efficace et réelle. Les fractions syndicales communistes doivent oeuvrer pour l'adoption par les assemblées et les comités syndicaux des mesures propres à la réaliser effectivement.
Sans refuser les subsides que l'Etat peut accorder aux chômeurs, tout au contraire en luttant pour l'obliger à les rapprocher le plus possible du niveau des salaires des autres catégories d'ouvriers, les syndicats doivent s'orienter vers des formes de lutte plus directes. Les fractions syndicales doivent proposer aux comités d'usine d'exiger de leur entreprise l'entretien de ses ouvriers en chômage. L'entreprise doit leur verser le salaire complet. Les syndicats ne doivent pas accepter la politique défaitiste et de trahison qui justifie le licenciement d'ouvriers et le refus de leur payer des allocations par suite de la diminution des bénéfices de l'entreprise.
A un stade plus avancé du cours révolutionnaire et en liaison avec les mouvements prolétariens pour le contrôle de la production, la lutte des masses de chômeurs pourra être orientée vers l'occupation et la mise en marche forcée, sous la direction des Comités d'usine, des entreprises fermées.
C'est à l'avant-garde révolutionnaire, suivant le développement de la situation et l'accroissement de sa propre influence sur le prolétariat, que revient la tâche d'orienter (au travers des fractions syndicales) les syndicats dans cette voie et d'établir à chaque phase de la lutte la tactique correspondante.
Pour que le parti puisse jouer ce rôle d'organisateur de la classe prolétarienne et en vue de la conquête des syndicats - ce qui ne veut pas dire conquête des postes bureaucratiques mais des masses de syndiqués et des organes de base - il faut que les rapports entre l'avant-garde et les organismes unitaires du prolétariat prennent la forme d'un réseau de groupes adhérant à l'ensemble de la structure syndicale. Ce réseau est formé par les fractions syndicales communistes de chaque syndicat et doit s'élargir à chaque usine ou entreprise.
La fraction syndicale communiste est formée par tous les militants de l'organisation communiste appartenant au même syndicat.
En tant que partie intégrante du syndicat, ses rapports avec les autres ouvriers syndiqués sont ceux d'un groupement défendant des positions de classe. En tant que fraction politique, elle représente et défend la politique du parti sur le terrain syndical.
Si, à l'intérieur des syndicats, elle accepte la discipline démocratique, reconnaissant les décisions de la majorité, elle ne peut en aucun cas renoncer à sa liberté de critique et de propagande.
Ses rapports avec d'autres groupements qui, incidemment, peuvent être en opposition avec les directions bureaucratiques doivent s'appuyer sur les bases principielles de l'organisation communiste. Les fractions syndicales peuvent donc établir des accords avec ces groupements pour des buts concrets immédiats, en sauvegardant leur liberté de critique et d'action mais en aucun cas conclure des pactes permanents comportant une plateforme syndicale d'action, même si ces groupements ne présentent pas apparemment un caractère politique, et encore moins se dissoudre dans leur sein ou fusionner avec eux. La fraction syndicale communiste est une organe du parti comme sa politique est la politique du parti.
Les fractions syndicales communistes se relient localement et nationalement formant des Comités pour chaque syndicat, Union syndicale locale et Fédération nationale. Elles dépendent et sont subordonnées aux comités locaux et à la CE du parti.
Le réseau des fractions syndicales et Comités syndicaux n'est pas seulement constitué en vue de la conquête des organisations syndicales mais il doit être considéré comme une institution permanente qui subsistera et aura un rôle après l'avènement de la dictature du prolétariat.
Notre plateforme syndicale
Les militants de la GCF ne peuvent accepter des postes responsables que dans les organes de base élus directement par les ouvriers et en aucun cas dans les organes de direction élus au second degré ; ceci, bien entendu, dans le cas où la politique des fractions syndicales communistes est minoritaire
La Conférence, à l'unanimité des camarades, affirme comme position de principe inaltérable pour des communistes face aux mouvements nationaux et coloniaux qui surgissent et peuvent surgir à l'époque de décadence du capitalisme :
Du fait que les mouvements nationalistes, en raison de leur nature de classe capitaliste, ne présentent aucune continuité organique et idéologique avec les mouvements de classe du prolétariat, de ce fait le prolétariat, pour rejoindre ses positions de classe, doit rompre et abandonner tous les liens avec les mouvements nationalistes.
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Dans la question des discussions au sein de la Gauche italienne, la Fraction française prend position sur la base de la Déclaration Politique issue de la conférence italienne de mai 1944, condamne le courant de V. comme courant révisionniste et appelle, avec le groupe de la GCI en France, la GCI à se délimiter et à rompre avec ce courant
La situation de la France se caractérise par une double contradiction : tout d'abord une aggravation de la crise économique issue de la brisure de l'économie de guerre française d'avec l'économie allemande et qui se relie à l'impossibilité pour la bourgeoisie de reconstruire une économie de paix une fois la production de guerre interrompue, qui a contrasté avec le maintien du cours politique de guerre impérialiste, c'est-à-dire avec l'absence du prolétariat sur l'arène politique.
Cette contradiction a conduit à une réintégration du capitalisme français dans la guerre permettant une reprise partielle de l'industrie mais qui, à son tour, ne va servir qu'à exacerber le contraste de classe qui éclatera demain dans l'opposition directe du prolétariat à la guerre impérialiste.
Cela signifie que, malgré la gravité de la situation économique, la bourgeoisie française est parvenue à instaurer une dictature militaire qui interdit toute expression révolutionnaire légale et à poursuivre, groupée derrière son gouvernement, une politique impérialiste sans rencontrer une opposition nette dans le prolétariat par la reprise de la lutte des classes.
Nous ne nous trouvons donc pas actuellement en France devant une situation révolutionnaire.
En conclusion, les tâches politiques qui se présentent à nous ne peuvent pas être centrées autour de la formation du parti de classe, de la mobilisation et de la direction des grandes masses prolétariennes sur des directives révolutionnaires, mais autour d'un travail de fraction, d'élaboration programmatique et politique du parti de demain et de la formation de ses cadres.
Ces tâches de la fraction de la Gauche Communiste en France doivent s'effectuer par la double voie du travail théorique interne, de la lutte idéologique et de la propagande générale de l'idéologie marxiste d'une part, de l'élaboration d'une politique communiste spécifique répondant à cette lutte d'autre part.
a) Nos tâches théoriques : le travail fractionnel reste notre première tâche, non pas dans un sens chronologique mais dans le sens qu'il représente la condition nécessaire à l'établissement d'une politique communiste, à la polarisation des forces révolutionnaires dont la naissance doit nécessairement accompagner l'évolution objective vers la reprise de la lutte aiguë des classes, en un mot la formation d'un véritable parti communiste en France.
Ce travail ne doit pas porter seulement sur les problèmes que nous avons besoin de résoudre aujourd'hui pour établir notre tactique mais sur les problèmes qui se poseront demain à la dictature du prolétariat.
En synthèse, notre tâche de fraction est :
1. de dégager l'armature principielle d'ensemble qui nous guidera dans l'établissement de la tactique au cours de la lutte des classes jusqu'à la prise du pouvoir. C'est-à-dire qu'il faut raffermir ou développer, selon les cas, les positions de principe de la Gauche Communiste Internationale concernant les rapports de l'avant-garde révolutionnaire avec les organismes unitaires de la classe ouvrière et son attitude devant les organes de défense surgissant de sa lutte ; sur les rapports de l'avant-garde révolutionnaire avec les organisations politiques se réclamant du prolétariat ; enfin la position du prolétariat vis-à-vis des autres couches exploitées et de la lutte d'émancipation nationale dans les colonies et les pays opprimés.
2. De rétablir et développer les notions principielles du marxisme sur la dictature du prolétariat et sur le socialisme, en précisant les normes économiques et sociales de la période transitoire, en dégageant les rapports entre le parti, l'Etat et les organismes de la classe ouvrière, entre l'Internationale et l'Etat après la prise du pouvoir.
Il ne s'agit ni de prétendre "résoudre tout à l'avance" ni de vouloir substituer le travail du cerveau à l'expérience mais d'utiliser les matériaux fournis par l'histoire de la révolution russe et de sa dégénérescence ainsi que des luttes ouvrières dans la période de l'entre-deux guerres impérialistes qui ont été laissés inexploités par la trahison de ceux qui prétendaient constituer le nouveau mouvement communiste.
Ce travail représente la seule possibilité de transformer ces événements historiques en expérience du prolétariat. Il nous incombe la tâche de cristalliser le processus d'édification du prolétariat en classe en lui rendant ses propres expériences révolutionnaires, soit la responsabilité de le laisser retomber dans de nouvelles défaites en ne tirant pas les leçons de ses luttes.
b) La lutte idéologique : le travail théorique, étant donné la nature antagoniste de la société capitaliste et les formes variées de l'influence bourgeoise au sein du prolétariat, est lié indissolublement à la lutte idéologique et politique contre les partis qui trahissent la classe ouvrière et les tendances qui jettent la confusion en son sein.
Actuellement cette lutte doit être dirigée principalement sur trois points :
L'idéologie de guerre impérialiste et le néo-réformisme s'infiltrant surtout dans le prolétariat par le canal de la défense de l'URSS et de l'illusion de l'Etat russe considéré comme Etat prolétarien, cette lutte doit s'attacher à souligner le rôle contre-révolutionnaire joué par la Russie à mesure qu'il se dégage des événements.
En ce qui concerne le troisième point, notre attitude vis-à-vis des organisations néo-trotskistes doit marquer sans équivoque notre délimitation principielle sur la notion du travail de fraction.
c) La propagande générale : la propagande générale du programme maximum et de l'idéologie marxiste est une tâche qui répond au problème de la formation des cadres révolutionnaires et non de la mobilisation des masses prolétariennes pour la lutte contre le capitalisme.
Elle ne peut remplacer l'oeuvre du parti "participant à tous les conflits, profitant de ces conflits pour apprendre au prolétariat à lutter et pour le conduire vers la révolution", ni se substituer à la maturation de la situation objective qui fait surgir ces conflits.
On ne doit donc en aucun cas sacrifier son expression intégrale aux illusions d'un large travail dans les masses. Dans la situation actuelle, cela signifie qu'elle ne peut se faire qu'au travers d'organes illégaux. La légalité ne peut être demandée à la bourgeoisie par la minorité révolutionnaire et c'est en s'appuyant sur le prolétariat que cette minorité peut conquérir son droit de libre expression.
De la même manière l'extension de cette propagande dépend du développement de la lutte prolétarienne et de notre capacité à nous relier à cette lutte.
Elle doit être faite, dans chaque situation, le plus largement possible en tenant compte de son rôle propre et des possibilités de l'organisation.
d) Le travail politique : mais c'est essentiellement dans la participation aux mouvements ouvriers et dans l'établissement d'une politique communiste par rapport à ces mouvements que la Fraction trouve le chemin pour relier son programme à la lutte des classes et les bases de son développement et de son renforcement en tant qu'organisation.
C'est au travers de cette tâche qu'elle réalise pleinement son rôle d'avant-garde révolutionnaire.
La situation économique et politique actuelle de la France ouvre la perspective, à brève échéance, de mouvements prolétariens. Entraînant comme conséquence les bas salaires, la persistance et même l'aggravation des restrictions alimentaires, des moyens de chauffage, des transports ainsi que du chômage - même partiel - et aussi l'obligation pour les jeunes travailleurs de se faire tuer sur le front impérialiste, elle met dès aujourd'hui en évidence les bases d'où ils surgiront.
Le marasme économique provient à la fois de la destruction des moyens de production - appareil productif et capital - et de l'inexistence d'un marché intérieur capable d'animer une véritable reprise économique.
La reprise de la guerre est donc liée, pour la bourgeoisie française, à la reconquête de ses positions internationales du point de vue économiques, en particulier de son empire colonial.
C'est là l'objectif qu'elle tente et tentera d'opposer aux revendications du prolétariat.
En ligne générale donc, notre lutte doit tendre à préparer le prolétariat, au travers de ses luttes, à opposer sa solution révolutionnaire à la solution capitaliste de la crise.
Ainsi, à tous les stades de la lutte, la Fraction doit poser clairement comme la perspective centrale des communistes : la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile.
La situation semble avoir dépassé, en France, le stade des manifestations anti-prolétariennes, du genre des insurrections de "libération". Précisons que, dans ce cas, la Fraction doit opposer sa position de principe à la guerre impérialiste, dénoncer le caractère impérialiste des mouvements, quelles que soient les couches d'ouvriers qui y participent, et appeler les ouvriers à les abandonner en leur démontrant que ces manifestations -loin de présenter un danger pour la bourgeoisie, d'être un stade nécessaire de la lutte révolutionnaire- ne sont qu'une confirmation de l'emprise de la bourgeoisie sur le prolétariat. De tels mouvements -qui ne représentent pas une rupture du cours de la guerre, qui ne sont pas des mouvements de classe du prolétariat et présentent une nature essentiellement différente de ceux qui demain inaugureront le cours de la Révolution- n'offrent aucune base pour développer une intervention de l'organisation politique de la classe ouvrière (Fraction ou Parti) car ils ne surgissent pas du contraste capital-travail, quelles que soient les causes qui déterminent la participation subjective des ouvriers.
Par contre, l'éventualité de l'intervention de regroupements à nature de classe (syndicats) sur la base du mécontentement du prolétariat contre la situation économique, dans des manifestations à origine nationaliste (Belgique, Grèce) peut se présenter à nouveau en France sous d'autres formes. Dans ce cas, la Fraction ne doit pas s'opposer aux grèves mais prendre nettement position contre l'orientation donnée à celles-ci.
Elle doit s'efforcer de détacher les ouvriers des deux positions bourgeoises en présence en établissant une démarcation nette entre les revendications prolétariennes posées et les revendications bourgeoises. Elle doit appeler les ouvriers à l'indépendance d'action en posant leurs revendications spécifiques comme seul objectif à la lutte.
Dans la perspective d'une série de mouvements prolétariens surgissant directement de la crise économique et contre le chômage et les bas salaires, la tâche de la Fraction est d'intervenir pour mettre en évidence la signification de classe de ces mouvements et les unifier sur le but immédiat et contingent de la lutte contre la guerre impérialiste.
Elle devra toujours opposer le principe de la lutte de classes à la politique réformiste et de collaboration avec le capitalisme et l'appliquer dans sa politique sur chaque question contingente (comités de gestion, nationalisations...).
La Fraction réalisera ces tâches au travers du travail syndical et de la propagande proprement politique.
En conclusion, ce travail d'extériorisation des positions politiques doit strictement correspondre au rôle spécifique de la Fraction qui est celui de former les cadres du parti de classe de demain et non de conquérir les masses.
Le travail de masses ou "le large travail dans les masses" correspond à un stade ultérieur du développement de la situation, marqué par une série de prise de position par le prolétariat qui posent déjà les conditions politiques pour la transformation de la fraction en parti.
e) Travail international : sur le terrain international, notre tâche devra consister à conserver et consolider les liaisons internationales et, au besoin, aider au regroupement politique des militants isolés dans l'émigration.
« Il faut construire le programme ; sans programme pas de parti » disions-nous dans l’Introduction au premier numéro de cette revue. Il y a trop de charlatans dans le mouvement ouvrier – qui pensent mener le prolétariat à la révolution par l’action pratique pure et les improvisations – pour qu’il soit inutile de réaffirmer ce principe.
Mais le problème est loin de se borner là. Il n’est aujourd’hui personne parmi les défaitistes qui ne brandisse le drapeau où est écrit : « Bilan du passé ! », « Tirer les leçons de l’expérience ». Mais les positions politiques et la pratique ressemblent tellement à celle d’avant-guerre que nous devons inlassablement poser la question : « Partir de quoi et par quelles méthodes entendez-vous construire le programme ? »
La psychologie avec laquelle on aborde cette question dans les débris du « communisme de gauche » porte tous les stigmates de la défaite et du découragement entraînés par la confusion que l’on fît autour d’elle avant la guerre et entretient encore cette confusion.
Le premier trait de cette psychologie est ce que l’on pourrait appeler « la théorie de la table rase », qui se résume dans le leitmotiv « tout a failli » et qu’un éditorial de « La Flamme », organe de l’Union des Communistes Internationalistes, intitulé, naturellement, « Élaborer un programme », illustre de la manière suivante :
Puisqu’on parle de faillite, voyons la position de ces « oppositions » en face de la guerre. Il n’est pas, en effet, d’épreuve plus décisive pour départager la faillite, c’est-à-dire le passage à la bourgeoisie, du maintien des positions politiques de classe. En gros, ces oppositions communistes, surgies contre la dégénérescence opportuniste de l’Internationale Communiste, se divisaient en deux courants : l’Opposition trotskiste et le courant de la Fraction de gauche italienne.
En 1939, le courant trotskiste, avec ses divers groupes, se trouvait dans le camp de la bourgeoisie par sa position de « défense de l’URSS » et de la simple « opposition politique » dans les pays alliés de celle-ci. Seules, c’est un fait historique, les Fractions de gauche restaient sur le terrain du prolétariat par le défaitisme révolutionnaire dans tous les pays.
Pourtant, ce n’est pas 1939 mais déjà 1936 qui devait retracer entre les Fractions de gauche et le centrisme trotskiste la même frontière de classe qui, en 1914, séparaient sans retour les révolutionnaires des réformistes de la 2ème Internationale. En effet, les événements d’Espagne, bien que sans précédents historiques, présentaient de nouveau et sans équivoque possible à l’avant-garde l’épreuve de la guerre.
Contre la théorie de l’antifascisme prolétarien, les Fractions de gauche démontraient que l’attaque de Franco représentait l’attaque de la classe capitaliste contre le prolétariat espagnol ; celui-ci ne pouvait briser qu’en dirigeant sa lutte contre l’Etat capitaliste lui-même. Elles flagellaient la duperie d’une soi-disant « guerre révolutionnaire » ou « guerre civile » sans pouvoir révolutionnaire et avertissaient le prolétariat que c’est justement au travers de la guerre contre Franco que la bourgeoisie, au moyen du gouvernement républicain, avait raison de lui. Ceci devait être prouvé par la dissolution du Comité Central des milices de Catalogne puis à la militarisation de celles-ci.
Alors que ces faits servaient à des éléments confus de point de départ pour proclamer le défaitisme, les Fractions de gauche montraient au contraire que ce n’étaient pas des décisions formelles qui changeaient la nature de classe de la guerre et des milices mais que celles-ci étaient elles-mêmes un produit du changement du rapport des forces, en faveur de la bourgeoisie, provoqué par l’abandon du terrain de classe. Elles dénonçaient cet abandon dès le moment où la lutte ascendante de la première semaine contre l’État capitaliste et la bourgeoisie atteignait - du fait de l’absence d’un parti révolutionnaire qui seul aurait pu la pousser plus haut jusqu’à la prise du pouvoir - son point culminant pour nécessairement retomber et laisser place à la lutte militaire contre Franco. C’est dès ce moment que les Fractions appelaient les ouvriers à quitter les colonnes militaires de l’antifascisme pour lutter sur le terrain de classe. Ces positions ont été pleinement confirmées par la suite des événements et les Fractions de gauche furent malheureusement les seules organisations qui les défendirent.
Par contre, l’épreuve espagnole devait sanctionner l’opportunisme trotskiste par la trahison définitive de sa participation à la guerre antifasciste.
Ces faits demandent quelque réflexion.
Quand il s’agit d’une situation aussi confuse que celle de l’Espagne, il serait absurde de les attribuer au hasard. Ils ont bien été en fait le produit de l’évolution, profondément divergente des deux courants. Ils démentent de manière flagrante la théorie vulgaire de la « faillite générale » et il faut les rétablir, les souligner inlassablement.
Pourquoi ? Pour instituer un monopole de groupe ? Rien ne serait plus ridicule. Les marxistes ne peuvent pas séparer la lutte des groupes ou organisations politiques de la lutte de classes. Si nous rappelons ces faits c’est non pas parce qu’ils « nous » appartiennent mais parce qu’ils appartiennent au prolétariat, à son effort pour se dégager de la confusion semée par la bourgeoisie, parce qu’ils représentent une victoire dans son ascension vers une claire conscience de classe. Aussi dire : « Élaborons un programme révolutionnaire » tout en s’empressant, de fourrer dans le même sac tout le passé politique d’après la. 3è'me Internationale pour le jeter à la mer comme « failli » est une inconséquence dont même un petit enfant s’apercevrait ; car que penserait même un petit enfant d’un homme qui préférerait démolir une maison neuve construite sur les ruines de l’ancienne, sous prétexte qu’elle n’est pas terminée, plutôt que de travailler à l’achever ?
Mais démolir la maison ne représente pas seulement l’inconséquence des soi-disant « communistes de gauche » aujourd'hui. C’est un aveu d’impuissance devant les grands débats et les grands problèmes qui ont animé le mouvement ouvrier face à la dégénérescence de la H®116 Internationale et après sa mort. C’est une lâcheté qui empêche de chercher pourquoi le trotskisme - qui, bon gré mal gré, directement ou indirectement, entraînait, derrière lui la majorité des « communistes de gauche » - a failli. C’est parfois, nous le verrons, de la simple ignorance.
C’est cette impuissance, cette lâcheté, cette ignorance qui engendrent nécessairement un éclectisme absolument inapte à former la base de reconstruction du programme.
C’est pourtant cet éclectisme qui constitue' le' deuxième trait caractéristique de la psychologie au sein du nouveau « communisme de' gauche ». Il se manifeste de différentes manières selon les courants, sans cesser de se caractériser par la même absence de cette large vue historique dont nous avons besoin pour comprendre en quoi le programme issu de la révolution russe était erroné, en quoi Il était Inachevé, par le même arbitraire dans la prise de positions politiques et même seulement dans l'adoption d’une plateforme de discussion.
Par exemple, l’Union des Communistes Internationalistes déclare : « Nous n 'avons pas peur d'utiliser tout ce qu’il y a de sain dans le bolchévisme, le luxembourgisme, l’anarcho-syndicalisme et d’en rejeter ce qui nous semble erroné, ou dépassé. Il ne- s'agit pas d'opérer un dosage savant mais d'élaborer une solution dynamique. »
On peut déclarer, tant qu’on veut, rechercher une solution dynamique (qui ne le fait pas ?) ; la vérité c’est que le dynamisme dépend inexorablement de la méthode qu’on emploie.
Mais que fait l’Union Communiste Internationaliste ? Elle déclare tout simplement (après la victoire russe qui a historiquement confirmé les thèses du communisme) qu’il n’est possible de tirer hors du communisme des éléments du nouveau programme : elle ressuscite pour cela le vieil anarcho-syndicalisme qui a pourtant prouvé, dans sa faillite en Espagne, son caractère retardataire et petit-bourgeois.
Ailleurs les Communistes Internationalistes se réservent d’emprunter des notions programmatiques à un certain « luxembourgisme » qu’ils mettent en parallèle avec le bolchévisme. Mais on sait par expérience que mettre bolchévisme et luxembourgisme en parallèle c’est, en réalité, les opposer sur la question du parti.
C’est en effet la théorie du parti et le type nouveau d'organisation, qu’il a créé en adaptation aux buts nouveaux de la lutte ouvrière, c’est-à-dire la prise du Pouvoir, qui a fait du bolchévisme une école révolutionnaire originale dans la 3éme internationale. Par contre le luxembourgisme ne constitue pas vraiment une école dans le mouvement communiste; les quelques positions politiques prises par Rosa Luxemburg en opposition à Lénine sur les questions agraire et nationale ne pourraient suffire à le caractériser.
Ce que les Communistes Internationalistes se réservent de choisir c’est entre la conception bolchévique du parti, que les caricatures ultérieures de la 3è™c Internationale ne sauraient entamer, et la conception de Rosa fortement marquée de social-démocratie, périmée et infirmée au prix de la défaite du prolétariat allemand en 1919.
Tout ceci nous fait bien penser aux bavardages des éclectiques bernsteiniens sur la « liberté de critique » ; et, dans les deux cas, leur méthode n’est-elle pas une négation de la méthode expérimentale historique du marxisme ?
Au reste, le même arbitraire historique se trouve chez ceux que l’Union Communiste Internationaliste combat comme les "partisans du léninisme déifié".
Ils fixent au léninisme une date de validité : 1921. Au-delà tout est bon et ils reprennent mot par mot les formules et les mots d’ordre sans se donner le moins du monde la peine de voir s’ils correspondent, à la réalité actuelle. Mais après 1921, par contre, ils rejettent tout en bloc sans plus d’analyse politique.
Évidemment cet arbitraire ne se limite pas à la période de formation de l’internationale Communiste. Il embrasse sa phase de dégénérescence et le mouvement ouvrier après sa mort. Ici les formules vagues « il faut tirer les leçons de l'IC et des diverses oppositions communistes » (qui ont toutes sans exception « fait faillite ») et« rénovation de l'arsenal révolutionnaire » recouvrent la même attitude qui, au lieu de chercher à atteindre une claire vision du cours historique de la révolution russe et de sa dégénérescence, à une formulation théorique des problèmes qu’elle a soulevés, ce qui exige une nette appréciation du rôle historique des différents courants, préfère grappiller, recouper, assembler de ci de là des solutions politiques déterminées, dépourvues du soutien d’une véritable analyse théorique.
Une autre forme d’éclectisme manifestée par l’UCI est ce qu’on pourrait appeler « scientisme ».
Tout ceci serait très bien si..., en premier lieu, on s’était soucié de dégager la caractéristique historique de l’époque actuelle comme phase décadente. Les Communistes Internationalistes ne nous disent ni où en est la société de son mouvement perpétuel ni quelle est cette « mue » qui engendre la crise révolutionnaire. Sans cette condition, une analyse, si sérieuse soit-elle, ne servira jamais au prolétariat. « A l’état actuel de la science disait Lénine, nous n 'aurons jamais épuisé, l’étude des formes de l'impérialisme ; comme toute autre, cette science est infinie. »
Ce qui nous intéresse ce n’est pas l’étude approfondie des formes de l'impérialisme mais ce qu’elles expriment historiquement et la position politique à prendre devant elles : par exemple, nous devons mettre en évidence, aux yeux du prolétariat, que le capitalisme d’État (allié à n’importe quelle forme politique) est une expression de cette décadence, tout comme les trusts et les cartels étalent l’expression de la phase ultime du développement du capitalisme.
Ce sont par contre les défenseurs actuels de l’URSS, qui sont aussi des réformistes partisans des nationalisations, qui s’obnubilent et obnubilent le prolétariat sur des formes plus ou moins nouvelles et ignorent ou veulent ignorer la période historique décadente et le contenu, capitaliste de ces formes.
Si, ensuite, on avait cherché, d’un point de vue de classe, en quoi consiste le problème fasciste, la guerre d’Espagne, la guerre actuelle l'indiquent bien parce qu’il sert à mobiliser le prolétariat sur un dilemme bourgeois fascisme- démocratie et à l’attacher ainsi au capitalisme.
Notre tâche essentielle est donc non de faire des études descriptives approfondies des systèmes fascistes mais de révéler au prolétariat, de lui dénoncer au travers des événements l’identité de nature de classe de ces deux forces politiques, le rôle de la démocratie bourgeoise dans la genèse du fascisme, le but de classe de celui-ci : écraser la révolution prolétarienne ; et le dépérissement de la démocratie bourgeoise en tant que telle dans les périodes des révolutions et des guerres.
Nous avons vu l'éclectisme grappiller dans les théories et les écoles, remettre en chantier des problèmes politiques amplement résolus. Mais ce n’est pas tout : sa méthode ahistorique le pousse à agir de même face à l’histoire elle- même : « Tirons les leçons des révolutions russes, et allemande, puisons dans l'expérience espagnole récente les éléments positifs, en dégager toutes les ■ insuffisances. »
Pour nous il est évident que le programme doit être la synthèse des principes nouveaux de lutte prolétarienne tirés de l’expérience historique. Mais il est non moins évident que seule une expérience supérieure aux points les plus hauts atteints par le prolétariat dans sa lutte peut aujourd’hui nous aider à forger de nouveaux principes ou en infirmer d’anciens. La révolution russe est à un degré supérieur à la Commune de Paris et pose des nouveaux problèmes, de même les luttes révolutionnaires d’après-guerre posent des problèmes qui n’ont pas été résolus par le parti russe. Mais le cours de reflux du prolétariat qui débouche dans la guerre et qui contient l'expérience espagnole ne peut pas nous apporter des nouveaux enseignements positifs : il faudrait pour cela supposer que cette même expérience espagnole a historiquement dépassé celle des périodes révolutionnaires d'après-guerre ou la révolution russe elle-même. Pourtant de tels événements peuvent enrichir l’avant-garde mais seulement dans la mesure où on n’y cherchera pas d’enseignements positifs nouveaux mais une réaffirmation, une trempe de ces principes.
Les Fractions de la Gauche communiste ne peuvent prétendre avoir épuisé l’élaboration du programme même par rapport: aux matériaux historiques existants. Mais elles ont montré le seul chemin à prendre pour échapper à la maladie éclectique qui sévit aujourd’hui encore malgré l’expérience trotskiste et pour reconstruire le programme : le chemin des fractions.
On ne sait plus aujourd’hui ce que cela signifie. Par exemple, on reproche à la Gauche italienne d’avoir voulu régénérer l’IC centriste, menant ainsi une politique trotskiste. Mais on oublie de se demander par quels moyens la GC et Trotsky entendaient régénérer l'internationale. Trotsky croyait possible de redresser la direction opportuniste du Parti et même d’obtenir des victoires avec cette direction. La GC, elle, proclamait que seule la constitution de fractions de gauche « ayant pour tâche, d’exprimer la survivance et la continuité de la conscience prolétarienne et de forger les nouvelles armes idéologiques exigées par l'étape plus progressive de la lutte pour la révolution communiste » en face de la direction défaillante et la conquête de cette direction par les fractions par un renversement du centrisme en liaison avec la reprise des mouvements prolétariens pouvait permettre la régénérescence du Parti.
Cette position non seulement reliait la Gauche Communiste Italienne à tout ce qui est désormais acquis par le prolétariat (que l'éclectisme, lui, remet en question) mais elle l’amenait à faire ce dont fut toujours incapable le trotskisme : une critique fondamentale de la 3ème Internationale.
Après le passage définitif des partis dans le camp de la bourgeoisie, acquérant désormais une fonction de trahison, les deux positions politiques se retrouvèrent identiquement opposées sur le problème de la reconstruction de la nouvelle avant-garde. La CE de la Fraction Italienne exprimait ainsi, en 1933, les divergences :
On sait aujourd’hui à quelles honteuses compromissions cette politique devait mener le trotskisme.
Quand les Communistes Internationalistes écrivent :
Ils manifestent bien qu’ils ne comprennent pas plus le véritable problème que ceux qui perpétuent le climat et les méthodes encore en question aujourd’hui.
Bien avant les éclectiques, la Fraction a dénoncé et combattu ce danger sur son véritable terrain qui est politique et non pas moral, en opposant à la position des faiseurs du parti trotskiste et à leur méthode d’espionnage, de noyautage aussi bien que leurs fusions et scissions sans principes, le travail fractionnel conséquent pour la reconstruction du programme.
La CE de la GCF
Les événements en Grèce, où l'impérialisme anglais a donné la pleine mesure d'une répression sauvage pour défendre ses intérêts impérialistes, ont été l'occasion de mettre en lumière les positions politiques des divers partis et groupes se revendiquant du prolétariat.
Nous ne nous arrêterons pas sur les protestations venant des Partis Socialistes et Partis Communistes. Ces protestations verbales, ces indignations de façade n'ont jamais empêché "ces oppositions de Sa Majesté le Capital" de continuer à le servir fidèlement. Bien plus, la bourgeoisie a besoin de l'existence des partis pouvant "protester" de temps à autre pour mieux duper ainsi le prolétariat et canaliser le mécontentement des masses dans des manifestations de "protestations" inoffensives. Empêcher la colère des masses d'éclater et de se diriger contre l'oppression de l'État capitaliste, en lui faisant emprunter la voie pacifique et impuissante, la politique de tampon, a depuis toujours été la fonction des partis bourgeois à masque ouvrier.
Mais encore ne faudra-t-il pas, à la place d'expliquer, se contenter de nier, contre toute évidence, la "sympathie" pour la Résistance grecque, exprimée par les partis socialistes et staliniens en accord d'ailleurs avec toute la presse de la Résistance en France. Il va de soi qu'il ne s'agit là nullement d'une manifestation de sentiment révolté par la sanglante répression à laquelle se livre l'impérialisme anglais en Grèce. La bourgeoisie française, avec ses partis de droite, - qui, sous le gouvernement du Front populaire, n'a pas hésité à défendre ses droits d'exploitation en réprimant, dans des flots de sang, les mouvements de révolte dans ses colonies – est prête aujourd'hui à participer joyeusement à toute œuvre de brigandage et de rapine. Si la bourgeoisie et ses partis qui se disent ouvriers ont "protesté" contre l'attitude de l'Angleterre en Grèce, cela est dû à deux raisons :
1. Un lien d'intérêt unit toutes les bourgeoisies nationales de l'Europe face à la rapacité des grandes puissances impérialistes qui dominent le monde. Le sort des petits États faibles est identique et leurs positions économiques nationales sont catastrophiques. Toutes ces bourgeoisies sont plus ou moins dépendantes et doivent subir, à un degré plus ou moins grand, la domination d'une des grandes puissances impérialistes. La France, dans la guerre, a perdu sa place de grande puissance ; ses colonies, son Empire colonial lui ont été enlevés. Elle est tombée au rang de puissance secondaire et subit, de ce fait, au même titre que les autres bourgeoisies des États faibles, la domination étrangère. Cette communauté d'intérêt contre la domination de l'impérialisme anglais lui dicte ces manifestations de sympathie pour la pauvre Grèce et d'antipathie pour la puissante Angleterre.
2. Une autre raison de son attitude de "sympathie" pour la Grèce réside dans la politique internationale de la France qui joue, pour le moment, la carte russe. Dans l'antagonisme entre les intérêts de l'impérialisme anglo-américain et ceux de la Russie, antagonisme se retrouvant autour du pétrole de l'Iran, dans le Proche-Orient et dans les Balkans, les intérêts de la France se trouvent momentanément plus proches, ou moins opposés, de la Russie que de l'Angleterre. Les intérêts impérialistes de l'Angleterre et de l'Amérique se heurtent et menacent directement les positions et les intérêts du capitalisme français. Aussi, la France tente de s'appuyer sur la Russie dans ses intrigues sur l'échiquier mondial.
Dans les événements en Grèce, entre autres facteurs, se jouait une lutte sourde de la Russie contre l'Angleterre. Aussi les manifestations de "sympathie" de la France "libérée", mais en fait soumise par l'Angleterre, allaient non à la Grèce mais à l'impérialisme russe. Le parti stalinien qui a deux patries, celle de sa bourgeoisie nationale et l'impérialisme russe, s'est trouvé à cette occasion particulièrement à l'aise pour les concilier dans son cœur sous le nom de "défense de la Résistance grecque".
Un peu ahurissante (pour ceux qui ne les connaissent pas de longue date) est la position des trotskistes rere-réunifiés sous le nom de PCI. Dans un tract que ce parti a publié et intitulé "Bas les pattes devant la Révolution grecque", ils prétendent que ce qui se passe en Grèce n'est rien moins que la Révolution prolétarienne. Nous sommes habitués depuis longtemps aux élucubrations de ces gens qui jettent de grands mots à tort et à travers. Leur irresponsabilité politique légendaire n'aurait pas grande importance si, toutefois, ils n'entretenaient pas la confusion dans le mouvement ouvrier, l'empêchant de se reconnaître dans la complexité de la situation. Ces hurluberlus non seulement gratifient les ouvriers du trouble qui règne dans leur propre cerveau mais encore les conclusions politiques qu'ils apportent au prolétariat sont immanquablement des solutions contre-révolutionnaires de l'ennemi de classe.
En vain cherchera-t-on dans leur tract une analyse de la situation générale de l'Europe dont la situation grecque et les événements ne sont que des reflets. Cette situation qui est donnée par la sortie des pays "libérés" de l'orbite de la production de guerre allemande qui faisait marcher leur production et de leur non-intégration dans la production de guerre anglo-américaine (celle-ci suffisant elle-même pour les besoins de la conduite de la guerre). C'est pourtant là la base de toute la situation critique où se trouve l'économie des différents pays de l'Europe. Aucune production de paix n'étant possible à l'époque décadente du capitalisme, la sortie d'un pays de la production de guerre ouvre immédiatement pour lui une situation économique catastrophique.
Cette situation est celle de la Belgique, de l'Italie, de la France, de la Grèce, avec des degrés plus ou moins accentués d'après les positions de résistance intérieure de chaque bourgeoisie et de la possibilité existant pour chacune d'elle de sa réintégration partielle dans la production de guerre et sa participation dans la guerre.
L'activité économique de la Grèce était toujours fonction de sa position de pays transitaire et du trafic maritime. Déjà l'occupation allemande devait gravement attenter aux sources de sa vie économique, d'où la situation de misère de la Grèce pendant l'occupation et la résistance de la bourgeoisie nationale. L'occupation anglaise n'a fait qu'aggraver cette situation, n'offrant aucune activité économique de remplacement, et accule toute l'économie grecque au bord de l'abîme le mécontentement est général dans toutes les classes du pays et particulièrement aigu chez les ouvriers réduits à la famine. Se présentant comme le porte-parole de l'intérêt général, la bourgeoisie grecque a canalisé ce mécontentement des masses afin d'obtenir certaines concessions économiques de la part de l'occupant anglais et le masquant, pour mieux duper les masses, sous les phrases de l'«indépendance» et du «droit du peuple à disposer de lui-même.
Le mécontentement des masses trompées par la bourgeoisie permet à cette dernière de se servir du sang des prolétaires comme monnaie d'échange et moyen de pression auprès de l'impérialisme étranger pour l'obtention de quelques concessions économiques.
Les événements en Grèce se sont trouvés, en plus, attisés par les intrigues impérialistes du gouvernement de Staline et exploités contre l'antagonisme auquel il se heurte dans les Balkans : l'impérialisme anglais.
Le sang des ouvriers grecs trompés est versé à flot pour les intérêts de la bourgeoisie grecque et ceux de l'impérialisme russe. Pour le moment, le prolétariat grec n'a pas réussi à rompre avec sa bourgeoisie, à se mettre sur son terrain de classe en opposition à la bourgeoisie nationale et aux impérialismes étrangers. Et c'est cette situation tragique du prolétariat, se faisant massacrer pour les intérêts de son ennemi de classe, que les trotskistes français représentent comme la Révolution prolétarienne. Il montre l'exemple à tous les opprimés, etc. Naturellement quand on représente la tragédie du prolétariat grec comme la révolution, on doit aussi la considérer comme "la première entrée" et passer sous silence "la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile" commencée par le prolétariat italien en juillet 1943. Il n'y a rien de commun entre la position de classe du prolétariat italien luttant contre la guerre impérialiste - contre les deux occupants impérialistes, allemands et anglais, contre l'Etat capitaliste aussi bien sous sa forme fasciste que démocratique – et la position du prolétariat grec se faisant massacrer sur le terrain de classe du capitalisme.
Entre les deux positions, du prolétariat italien et du prolétariat grec, les trotskistes ont choisi ; et c'est la position du prolétariat grec qu'ils offrent en exemple à suivre aux ouvriers du monde !
Il est tout à fait caractéristique que les trotskistes remplacent volontiers le terme de "prolétariat" par celui très vague de "peuple". C'est au secours du "peuple grec" qu'ils appellent, estompant la notion de classe qui, la seule, nous permet de comprendre la signification des événements et leur nature de classe.
A ce sujet, nous comptions revenir, une autre fois, sur la question de la notion de "peuple" en général et de "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes" en particulier que d'autres groupes, en particulier les RKD, représentent comme un mot-d'ordre de classe du prolétariat.
Et que demandent les trotskistes aux ouvriers ? d'imposer aux directions des partis socialistes, staliniens et de la CGT une unité d'action pour sauver la révolution grecque. Autrement dit, ils remettent le sort du prolétariat grec entre les mains des partis chauvins impérialistes. Pratiquement et positivement, ils appellent pour "commencer des collectes pour l'envoi d'armes modernes au peuple grec".
Lorsque le prolétariat espagnol se faisait massacrer pour le compte de sa bourgeoisie divisée en deux camps, les trotskistes réclamaient l'envoi d'armes pour l'Espagne. Lorsque Tchang Kaï-Chek, bourreau de la révolution chinoise a commencé, pour le compte de l'impérialisme américain, sa guerre de "défense nationale" contre le Japon, les trotskistes appelaient les ouvriers à se solidariser avec la Chine et à boycotter les produits japonais. Après, il fallait se solidariser avec la Pologne de Pilsudski. Pendant l'occupation, les trotskistes emboîtaient le pas aux staliniens et appelaient les ouvriers français à "la défense de notre empire colonial".
Décidément et chaque fois que le capitalisme a réussi à jeter les prolétaires dans les carnages de la guerre impérialiste, les trotskistes sont là pour mobiliser le prolétariat des autres pays à participer dans ces guerres volontairement par l'envoi des armes. Durant toute la guerre et jusqu'à aujourd'hui, ils sont pour la défense de l'impérialisme russe, entretenant le mythe et la duperie d'un État prolétarien en Russie.
Ces gens –qui, par toutes leurs positions politiques, n'ont depuis longtemps rien de commun avec les positions du prolétariat– appellent aujourd'hui les ouvriers à envoyer des armes pour la continuation, sur le champ du capitalisme, du massacre du prolétariat grec et international.
À travers les événements de la Grèce, le Trotskisme apparaît à nouveau comme un mouvement centriste à phraséologie révolutionnaire et à fonction contre-révolutionnaire.
En pleine guerre impérialiste, en 1915, dans un petit village de Suisse, des révolutionnaires de tous pays d'Europe se réunissaient en vue de lutter contre la guerre, non sur des bases pacifistes mais au nom de la classe prolétarienne.
Cet événement -qui, à l'époque, n'effraya pas la bourgeoisie- devait se conclure par la Révolution d'octobre 1917 en Russie et servir de lien entre les divers mouvements révolutionnaires jusqu'en 1919. La 3ème Internationale normalement rendait caduque et régressive l'idéologie de Zimmerwald ainsi que l'existence de son bureau, dissous d'ailleurs dès le 1er congrès de l'IC.
Ce fait politique important de la guerre 1914-18 renfermait donc en lui cette contradiction d'être un pas en avant en 1915 et déjà en retard dès 1917. Est-ce à dire que les conditions politiques étaient changées de 1915 à 1917 ? Du point de vue uniquement de la conjoncture -en raison de l'exacerbation du contraste capital-travail et de l'épuisement du fait de la guerre- oui ; mais la situation historique était changée depuis 1914, exprimant pour la société en général un tournant vers une crise permanente du régime et l'ouverture d'une ère de guerre et de révolution.
Le problème de Zimmerwald ne se présente donc pas comme un principe révolutionnaire mais, tout au contraire, comme une tactique du moment pouvant par-là avoir des effets contraires selon la conjoncture, ce qui est le fait de toute tactique.
A la faillite de la 2ème Internationale qui livrait la classe ouvrière à la bourgeoisie, se posait pour les révolutionnaires un problème de regroupement du prolétariat sur des bases de classe.
Il y avait pour Lénine deux méthodes à employer. Ou rester fidèle à la lettre au "Que faire" et décider, d'une manière orthodoxe et sur papier, la création de fractions bolchéviques dans les autres pays d'Europe, ou bien dans l'esprit de "Que faire" concentrer la lutte des avant-gardes dans chaque pays sur le problème de classe le plus important du moment, pour donner à la lutte de classe la plus large possibilité de généralisation et permettre à l'histoire de vérifier les armes de lutte du prolétariat. C'est la deuxième méthode que Lénine a choisie et c'est celle qui convenait le mieux à la situation et qui jetait les bases du nouveau regroupement des forces révolutionnaires.
Certains sectaires, au nom des inaltérables principes acquis par l'expérience ouvrière, verront là un début de politique opportuniste puisque la notion de fraction était mise à l'écart. Pour nous, Lénine avait raison de considérer que le problème n'était pas dans l'application stérile, verbale et statique de principes révolutionnaires mais que cette application ne pourrait se faire que par l'action. Car seule cette action rendait de plus en plus nécessaire, aux yeux de la classe ouvrière, la nécessité (création) du parti et d'une nouvelle Internationale.
Poser en 1915, comme condition indispensable pour une action commune, la rupture avec la 2ème Internationale ainsi que l'acceptation des données révolutionnaires de "Que faire", c'était d'une part laisser les mains libres à la bourgeoisie dans sa propagande pour la lutte impérialiste, ne pas admettre que le point central de délimitation des frontières de classe était la guerre ; et transformer les moyens de lutte en but de la lutte de classe d'autre part, c'était empêcher la cristallisation de l'énergie révolutionnaire et poser la réalisation du parti et de la nouvelle Internationale à priori, en dehors du contexte historique, c'est-à-dire de l'action.
Cette méthode aurait faussé non seulement le développement de la conscience ouvrière, qui ne se serait pas retrouvée dans les discussions sans discrimination d'importance de l'avant-garde, mais n'aurait nullement garanti les principes de base de l'avant-garde parce que cette dernière serait morte avant terme.
La dialectique d'un Lénine était conséquente et tangible et sa tactique reflétait plus les principes révolutionnaires au travers des mouvements de classe et leurs aspirations inconscientes mais réelles que des références verbales aux Internationalisme, principes révolutionnaires. Ainsi, nous voyons se dessiner un des premiers aspects de la tactique. L'action révolutionnaire doit se concentrer sur le point central à l'ordre du jour et seule cette action permet à l'avant-garde de se fortifier en éliminant les éléments de hasard qui se sont introduits dans son sein et d'intervenir efficacement dans les mouvements sociaux ; jusqu'en 1914, la lutte était axée sur la politique réformiste de la 2ème Internationale.
Les bolcheviks et la gauche de la 2ème Internationale combattaient avec insistance cette politique funeste qui donnait dans le jeu de la perspective du moment : la guerre impérialiste. Le point central de la lutte tournait autour de la guerre impérialiste bien que tous les partis socialistes proclamaient jusqu'à la veille d'août 1914 leur volonté antimilitariste. L'action révolutionnaire consistait donc dans la démonstration quotidienne du caractère de guerre impérialiste de la politique réformiste.
Après 1914, le point central devint la lutte contre la guerre et la perspective la guerre civile. Ici, l'avant-garde n'a plus un rôle défensif pour éviter la perspective bourgeoise mais un rôle offensif pour faire éclore la perspective de classe.
Une fois posée cette perspective de classe, la lutte tourne autour d'elle et, telle une centrifugeuse, elle permet la concentration révolutionnaire et la séparation d'avec les éléments non-prolétariens.
La perspective actuelle est la même que celle de 1914 ; le critère de la délimitation, en plus de la lutte contre la guerre, s'est enrichi de deux autres points : la dénonciation de l'État contre-révolutionnaire russe et la non-compromission avec les idéologies fascistes et anti-fascistes.
Un Zimmerwald aurait été possible pendant cette guerre sur la base des trois points cités plus haut mais, actuellement devant l'imminence des mouvements allemands, il semble que ce soit trop tard. La classe ouvrière part aujourd'hui dans la lutte avec une avant-garde divisée non seulement en rapport avec les principes d'action mais aussi parce qu'elle n'a pas eu les possibilités de réduire la confusion par un Zimmerwald.
Sadi
Nous publions un extrait d'une conférence faite par Bordiga en 1924, à une époque où il défendait encore les positions marxistes et révolutionnaires. Nous présentons cet extrait pour l'esquisse qu'il contient sur le problème de la tactique et de l'opportunisme, qui répond à certains débats en cours, sans pour cela prendre la responsabilité de toutes les concessions politiques qu'il apporte sur certains points de l'expérience russe[1].
Le point le plus délicat et le plus difficile quand on étudie la figure de Lénine concerne ses critères tactiques que nous allons maintenant aborder ; la tactique n'est pas une question indépendante de la doctrine, du programme et de la politique générale. C'est essentiellement pour cette raison que nous repoussons de toutes nos forces l'interprétation selon laquelle, dans la pratique, Lénine aurait fait des concessions fatales à une équivoque nécessité de souplesse, à une diplomatie cauteleuse et à ce que le boutiquier et le philistin appellent "réalisme". La vérité est que nul n'a su mieux que Lénine fustiger l'opportunisme dont Engels, comme s'il prévoyait les déviations bernsteiniennes, a dit qu'il consiste à sacrifier la vision et la préparation des buts finaux du programme au succès dans les petites questions quotidiennes, ce qui en constitue historiquement la première définition.
Le bourgeois insiste sur cette note fausse pour faire parade d'on ne sait quelle revanche sur l'"utopisme" stupidement attribué à Lénine et à son école. L'opportuniste fait de même pour des raisons analogues et l'anarchiste pour pouvoir prétendre que lui seul est capable -quelle illusion !- de garder en toutes circonstances l'attitude intégralement révolutionnaire ! Pour de multiples raisons, je ne peux exposer ici toute la question de la tactique communiste qui demanderait bien d'autres développements. Je me propose seulement de faire quelques observations sur la tactique et la manœuvre politiques de Lénine et revendiquer ce qui est le véritable caractère de son œuvre. Demain, un débat de cette nature peut devenir de première importance car il n'est pas exclu, et nous verrons pourquoi, que certains se mettent à invoquer un prétendu enseignement de Lénine qui, perdant de vue l'unité de son œuvre, n'en serait que le travestissement. Entre le Lénine rigide et implacable des années de discussion et de préparation et celui des multiples réalisations révolutionnaires, il n'existe en effet, selon nous, pas la moindre discordance.
Ici aussi, il faut examiner la tactique de Lénine d'abord comme chef de la révolution russe puis comme chef de l'Internationale. Il y aurait beaucoup à dire sur ce que fut la tactique du parti bolchevique avant la révolution. Nous avons déjà retracé son œuvre programmatique et critique ; il resterait à traiter son comportement à l'égard des partis voisins dans une série de situations contingentes qui précédent la grande action autonome de 1917. Les communistes russes ne prennent jamais position sur les problèmes de la tactique internationale sans invoquer ces exemples, et c'est là sans aucun doute un matériel très important dont il faut tenir exactement compte, ce qu'on ne manquera jamais de faire dans les débats de l'Internationale.
Limitons-nous à rappeler un épisode de première importance, qui provoqua à l'époque des dissensions parmi les camarades russes eux-mêmes, la paix de Brest-Litovsk de 1918, avec l'Allemagne impérialiste, voulue avant tout par la clairvoyance de Lénine. Constitue-t-elle un compromis avec le militarisme du Kaiser et des capitalistes ? Oui, si l'on juge d'un point de vue superficiel et formel, non, si l'on applique un critère dialectique et marxiste ; dans cette occasion Lénine dicta la véritable politique qui tenait compte des nécessités révolutionnaires suprêmes.
Il s 'agissait de mettre en évidence l'état d'esprit qui avait provoqué le grand élan révolutionnaire des masses russes : sortir du front des guerres entre les nations pour renverser l'ennemi intérieur. Et il s'agissait de créer le reflet de cette situation défaitiste dans les rangs de l'armée allemande, comme ce fut fait dès le début avec la "fraternisation". L'avenir a donné raison à Lénine et non à ceux qui jugeaient superficiellement qu'on devait continuer la lutte contre l'Allemagne militariste sans se soucier, ni des considérations à longue échéance programmatique, ni des considérations pratiques immédiates (pour une fois elles coïncidaient, ce qui n'est pas toujours le cas et rend alors le choix tactique difficile) qui démontraient la certitude de la défaite pour des raisons de technique militaire. Dans ses mémoires, le général Ludendorff a déclaré que l'effondrement du front allemand, après une série de victoires retentissantes sur ses différents points et à un moment où la situation était techniquement bonne à tous égards, ne s'explique que par des raisons morales, c'est-à-dire politiques : les soldats n'ont plus voulu se battre. C 'est que, tout en parlant le langage diplomatique avec les envoyés du Kaiser, la politique génialement révolutionnaire de Lénine avait su réveiller sous l'uniforme du soldat-automate allemand, le prolétaire exploité et conduit au massacre dans l'intérêt de ses exploiteurs.
Brest-Litovsk n'a pas seulement sauvé la révolution russe de l'attaque du capitalisme allemand, bientôt remplacé par les capitalismes de l'Entente dont la haine de la révolution n'était pas moindre ; mais, après que les bolcheviks aient gagné les quelques mois nécessaires pour faire de l'armée rouge un rempart invincible, Brest-Litovsk a déterminé en outre la défaite de l'Allemagne à l'ouest, imputée bien à tort à l'habileté stratégique des Foch ou des Diaz, de ces chefs militaires de l'Entente dont la guerre a démontré cent fois l'infériorité professionnelle.
Venons-en maintenant à l'argument sur lequel on insiste le plus pour présenter Lénine comme l'homme des compromis et des transactions : la Nouvelle Politique Économique russe.
Nous avons rappelé plus haut le caractère graduel et international des transformations économiques après la révolution prolétarienne ainsi que la signification théorique et politique des rapports que les prolétaires industriels de Russie devaient logiquement établir avec les classes paysannes. Nos adversaires répliquent qu'au lieu d'une lente progression vers l'économie socialiste et communiste, il y a eu un véritable recul sur des positions dépassées, un rétablissement de formes purement bourgeoises et qu'on avait espéré abolir, enfin des concessions au capitalisme mondial à qui on avait déclaré une guerre sans merci. Cela démontrerait que Lénine et les communistes se seraient convertis à la pratique opportuniste qu'ils avaient bruyamment reprochée aux autres.
Nous soutenons, au contraire, qu'on ne peut parler pas d'opportunisme à propos de la N.E.P. En effet cette grandiose manoeuvre tactique a été conduite sans jamais perdre de vue les intérêts supérieurs de la révolution, sans jamais renoncer à la victoire finale sur les formidables et multiples résistances du capitalisme. Cela est prouvé par l'argumentation théorique de Lénine lorsqu'il la présenta, par son application pratique qu'il dirigea heure par heure jusqu'à il y a deux ans environ et, pour être clair, par la magnifique formulation que Léon Trotsky a donné au problème dans son puissant discours au IVe Congrès mondial. Le seul mot "Lénine" est une garantie de tout cela.
Dans une première période, le problème fondamental de la révolution russe a été la lutte militaire qui continuait directement l'offensive révolutionnaire d'Octobre ; il fallait en effet repousser la contre-offensive ennemie non seulement sur le front politique intérieur mais sur tous ceux que les bandes blanches soutenues par les puissances bourgeoises petites et grandes avaient militairement organisées. Cette lutte épique que je n'ai pas à rappeler ici ne sera pratiquement terminée qu'à la fin de 1920. L'armée et la police rouges s'y comportèrent de façon si brillante et décidée que personne ne se hasardera à parler de compromis et de renoncement à la lutte. La politique du premier Etat ouvrier et paysan se fonde sur l'antagonisme mondial du prolétariat et du capitalisme et rien n'autorise jusqu'ici à supposer qu'elle perdra de sa décision quand cet antagonisme viendra à s'aiguiser de nouveau ou, pour mieux dire, à reprendre une forme militaire. Dans la période de la guerre civile, la construction du socialisme apparaissait comme un problème secondaire. Ce qui importait, c'était d'une part d'empêcher le renversement des conquêtes politico-militaires du prolétariat et d'autre Internationalisme, part de provoquer l'extension de la victoire de la révolution à d'autres pays. Au début de 1921, il est clair que s'ouvre une phase nouvelle où la révolution européenne, au moins momentanément, est comme renvoyée à plus tard face au phénomène général de l'offensive capitaliste contre les organisations prolétariennes, tandis que d'un autre côté les puissances bourgeoises renoncent à renverser par la force le régime des Soviets ; il ne s'agit plus seulement de vivre au jour le jour et, contre le danger d'une restauration bourgeoise et tsariste, de mener une lutte dont la nécessité soudait ensemble les différentes classes révolutionnaires. Il s'agit d'organiser, par des formules qui ne peuvent être que transitoires et contingentes, l'économie d'un pays comme la Russie où la force politique du capitalisme et des autres formes réactionnaires (comme la féodalisme agraire) ont été battues mais où, après 7 ans de guerre, de révolution et de blocus, l'absence des conditions techniques, économiques et sociales, empêchent de songer à constituer un régime économique pleinement socialiste.
Sous le prétexte qu'on ne pouvait pas instaurer d'un coup l'économie communiste, fallait-il donc convoquer les représentants des hordes blanches vaincues et dispersées et leur rendre le pouvoir pour qu'ils administrent le pays à la façon bourgeoise ? Pouvait-on remédier aux difficultés de la situation en supprimant l'armée et le pouvoir révolutionnaires et en faisant appel aux mystérieuses initiatives "libres" et "spontanées" du "peuple", comme disent les anarchistes sans comprendre que cela serait revenu à rendre le pouvoir aux blancs ? Ce sont là des positions à laisser aux fous ou aux simples d'esprit.
L'analyse qui guide les bolcheviks et Lénine à leur tête vers la difficile solution est bien autrement claire et courageuse.
Dans la première période, les mesures économiques adoptées ne le furent pas pour elles-mêmes mais pour briser la résistance de certaines classes et couches sociales. C'est ce que Lénine a appelé le "communisme de guerre". Sans s'arrêter à des demi-mesures, il fallut démolir de fond en comble le vieil appareil administratif de l'industrie russe qui, dans ce pays arriéré, était cependant très concentrée ; on expropria non seulement les grands propriétaires terriens mais même les propriétaires terriens moyens parce qu'ils représentaient une couche anti-révolutionnaire à mettre hors de combat ; enfin on monopolisa le commerce des grains parce qu'il n'y avait pas d'autre moyen d'assurer le ravitaillement des villes et de l'armée. Les nécessités politiques et militaires ne laissaient pas le temps de se demander si l'État prolétarien serait en mesure de remplacer les formes abolies par une organisation socialiste stable.
Cette période terminée, le problème économique venait au premier plan et il fallut par conséquent le résoudre par des solutions nouvelles et différentes. La chose apparaît très claire aujourd'hui pour qui fait une analyse exempte de préjugés pseudo-révolutionnaires. Dans la société russe, dit Lénine, existent les formes économiques les plus variées : le régime agraire patriarcal, la petite production agricole mercantile, le capitalisme privé, le capitalisme d'Etat et le socialisme. La lutte n'est pas encore arrivée au niveau économique où se situe le passage du capitalisme d'Etat au socialisme ; il s'agit plutôt de la lutte entre ce "capitalisme d'État" d'une part, et la "pieuvre" de l'économie paysanne petite-bourgeoise et le capitalisme privé d'autre part. Ce qu'est le capitalisme d'État indiqué par Lénine, Trotsky l'a bien expliqué dans le discours dont nous avons déjà parlé (qu'il faudrait publier en italien dans une brochure à grande diffusion). Il s'agit non pas d'une socialisation effectuée par l'Etat bourgeois, comme dans l'acception traditionnelle, mais d'une socialisation de certains secteurs de l'économie effectuée par le pouvoir prolétarien mais avec des réserves et des limitations qui équivalent à maintenir intact le contrôle politique et financier suprême de l'État tout en adoptant les méthodes de la "comptabilité commerciale" capitaliste.
En Russie l'État remplit donc des fonctions d'entrepreneur et de producteur mais, étant donnée l'arriération économique du pays, il ne peut pas être "le seul" entrepreneur comme ce serait le cas en régime "socialiste", il doit donc renoncer à distribuer lui-même les produits et tolérer un marché de type bourgeois où on laisse agir le petit paysan, le petit entrepreneur industriel et, dans certains cas, le moyen capitaliste local et le grand capitaliste étranger, mais dans des organisations et des entreprises soumises au contrôle étroit de la république ouvrière et de ses organes correspondants.
Agir autrement, surtout dans le domaine agricole, n'aurait pu que paralyser toute possibilité de vie productive. L'agriculture russe était trop arriérée pour permettre une socialisation ou même une gestion étatique d'ampleur appréciable. Il n'y avait donc pas d'autre moyen d'inciter le paysan à produire que de rétablir la liberté du commerce des produits agricoles en supprimant les réquisitions de 1'époque du "communisme de guerre" et en les remplaçant par le versement d'un impôt "en nature" à l'État.
Cette nouvelle orientation de la politique économique apparaît comme une sorte de retraite ; mais cette retraite, dans le sens véritable qui lui est donné aujourd'hui, n'est qu'un moment inévitable de l'évolution complexe du capitalisme et du pré-capitalisme vers le socialisme, moment prévisible aussi pour les autres révolutions prolétariennes, mais évidemment d'une importance d'autant moins grande que le grand capitalisme sera plus développé et plus étendu le "territoire" de la victoire prolétarienne.
Il faut relever un autre danger que la NEP a conjuré à temps : le "déclassement" du prolétariat industriel. Les difficultés de ravitaillement dans les grands centres avaient provoqué une migration des travailleurs urbains vers les campagnes. Celle-ci eut des conséquences non seulement économiques mais aussi politiques et sociales très graves : en retirant à la révolution et à ses organes leur base principale, la classe ouvrière des villes, elle compromettait les conditions essentielles de toute l'évolution future. Les mesures adoptées permirent de conjurer ce péril en relevant le niveau de vie et aussi de combattre le fléau naturel de la disette qui était malheureusement venue s'ajouter à toutes les difficultés suscitées par l'adversaire.
Parmi les mesures qui caractérisent la N.E.P., on doit naturellement inclure l'établissement d'un modus vivendi économique et même diplomatique avec les États bourgeois. Aucune théorie sérieuse de la révolution ne peut prétendre qu'entre États bourgeois et prolétariens la guerre doive être permanente ; cette guerre est certes un fait possible mais l'intérêt révolutionnaire est de ne la susciter que lorsqu'elle peut favoriser l'éclosion d'une situation de guerre civile à l'intérieur des pays bourgeois, ce qui est la voie "naturelle" pour la victoire du prolétariat. Comme cela n'est pas possible du point de vue communiste et que les États bourgeois ont de leur côté constaté l'impossibilité de susciter en Russie une révolte anti-communiste, il n'est pas étonnant qu'il y ait une période de trêve militaire et l'établissement de rapports économiques dont le besoin concret est ressenti des deux côtés. Il serait parfaitement ridicule de réduire le problème à une question de répugnance pour certains contacts et certaines exigences d'étiquette.
Les causes mêmes de la rupture de la Conférence de Gênes démontrent que le gouvernement russe ne renonce nullement à ses principes et ne se prépare en aucune façon à revenir, même momentanément à l'économie privée, contrairement à ce qu'insinuent continuellement nos adversaires. En arrachant au capitalisme quelques-uns de ses facteurs de la grande production, quitte à lui en payer le prix à l'aide des nombreuses ressources naturelles russes, on continue l'œuvre théorisée par Lénine qui consiste à supprimer progressivement la petite entreprise industrielle, agricole et commerciale qui est le principal ennemi du prolétariat là où, comme en Russie, l'organisation de la domination politique du grand capital a déjà été mise hors de combat. Et la solution donnée au problème des rapports avec les paysans n'est aucunement entachée d'opportunisme. Des concessions sont faites sans doute au petit exploitant mais personne n'oublie que si ce dernier représentait un élément révolutionnaire quand sa lutte contre le propriétaire foncier se soudait avec celle du prolétariat contre le capitalisme, dans la période ultérieure le programme ouvrier doit dénoncer et dépasser définitivement le programme paysan de l'alliance.
[1] Pour cette édition (juillet 2004), le choix a été fait d'abandonner la traduction du texte de Bordiga parue dans Internationalisme en 1945 et de lui préférer celle qui est parue dans "Programme Communiste" N° 12 de juillet-septembre 1960.
Dans le N° 1 d'«Internationalisme», la fraction française de la GC a publié des thèses sur la situation internationale et française. Ces thèses marquent un progrès réel, un travail constructif, un apport substantiel dans l'œuvre de l'édification du programme communiste que la fraction considère comme la tâche principale.
Comparées aux documents de discussion d'avant la Conférence, ces thèses sont la meilleure preuve de la valeur et de la fécondité des débats de la Conférence. La Conférence n'a certes pas pu pousser la discussion et la clarification politique sur tous les problèmes qui se sont posés devant la fraction ; elle a laissé inachevées certaines questions politiques en litige mais il serait ridicule et injuste de partir de cette constatation pour en diminuer les résultats et en amoindrir la portée.
La discussion politique et théorique doit se poursuivre. C'est au travers de celle-ci que nous pourrons apprécier le degré d'assimilation des positions acquises et aussi de vérifier leur solidité. La discussion nous permettra de mettre en lumière les points faibles, les lacunes qui ont pu se glisser soit dans la formulation soit, ce qui est encore plus important, dans la pensée elle-même et de voir les corrections à apporter, les rectifications à faire. C'est à cette intention que répondent ces "quelques remarques". Elles ne portent ni sur la ligne ni sur le fond des thèses, qui paraissent être solidement échafaudées et basées sur des conceptions marxistes révolutionnaires. Par ces "quelques remarques", je voulais attirer l'attention sur quelques points qui me semblent restés obscurs ou mal traités dans les thèses ; et quoique étant de détails, ces points ont une certaine importance.
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Il me semble que les thèses contiennent ici une petite erreur qu'il faudrait corriger et compléter.
Il n'est pas tout à fait exact de dire que le fléchissement de la production était moindre en France par rapport aux autres grandes puissances capitalistes et ensuite que cela découlerait du fait que la France possédait un vaste empire colonial. D'abord parce que le marché colonial - qui a incontestablement permis d'atténuer les effets de la crise – existait aussi pour l'Angleterre et les Etats-Unis comme pour la France. Ensuite parce que la production française accuse un fléchissement sensiblement égal aux autres pays.
Tableau approximatif de la production industrielle (ind. général) France
La France entrera avec plus de lenteur dans la crise et elle atteindra le fond comme les autres capitalismes en 1932-33. La baisse du commerce extérieur à la suite de la crise des puissances capitalistes nous fournira une nouvelle indication. Pour la période allant de 1930 à 1933, la baisse du commerce extérieur (exportations-importations) s'établit ainsi :
Ce qui est caractéristique pour la France, c'est que les autres pays - qui devront coute que coute trouver une base de reprise – atteindront et dépasseront dès 1935 le niveau de la production de 1929, alors qu'elle ne reviendra jamais à ce niveau. En plus, du fait que le capitalisme français n'est pas essentiellement un capital industriel, il y a encore le fait que l'économie française s'appuie largement sur un secteur agricole, d'une paysannerie parcellaire, aisée, ce qui lui permet d'amortir le choc de la crise industrielle mondiale.
Mais si la crise industrielle ne détermine pas de grands remous sociaux relativement aux remous provoqués dans les autres pays, il faut l'attribuer, en plus des facteurs indiqués plus haut, à deux facteurs de première importance que nous ne trouvons pas dans les thèses :
1. La composition du prolétariat français
Le problème démographique en France est très particulier. C'est le seul pays en Europe qui, au lendemain de la guerre 1914-18, accuse un manque constant de main d'œuvre. Tandis qu'en Allemagne, en Angleterre, en Italie, des millions d'ouvriers ne rentreront plus jamais dans la production et le chômage deviendra un fait constant, la France par contre cherchera dans tous les pays de l'Europe à embaucher de la main d'œuvre. Le nombre des ouvriers étrangers qui entreront en France après la guerre se montera à plus de 3 millions. La présence de cette immense armée de travailleurs, placés dans la position de hors-la-loi, permettra au capitalisme de l'utiliser contre les ouvriers français et d'opposer les ouvriers français à cette masse "d'étrangers".
Recensement de 1936 (Population masculine de 20 à 50 ans en France, en millions)
Ces chiffres concernant les étrangers sont incomplets car un grand nombre, illégal, échappe au recensement. En tenant compte de cette remarque et du fait qu'en 1931 et 1936 le nombre d'étrangers est passé de 2.891.000 à 2.433.000, ce qui a fait baisser leur proportion de 69,1 à 58,5, le tableau fait ressortir avec force la place qu'occupent réellement les étrangers dans la population active et tout particulièrement dans la population travailleuse.
A l'ouverture de la crise, le capitalisme français aura la possibilité de faire porter la plus grande partie du poids du chômage sur cette masse par des mesures administratives de toutes sortes : refoulement, expulsions, etc. Il camouflera et réduira le nombre des chômeurs en même temps que cela lui servira de moyen pour détourner le mécontentement des ouvriers dans la xénophobie. La présence de cette masse de main d'œuvre immigrée influencera profondément le déroulement de la lutte de classe en France et jouera un rôle d'atténuation des remous sociaux.
L'économie de la France est par excellence une économie semi-agricole où la moitié de la population est paysanne. L'agriculture française n'est pas cette grande agriculture capitaliste concentrée, avec une classe nombreuse d'ouvriers agricoles, comme en Allemagne ou dans le sud de l'Italie, mais typiquement la moyenne exploitation agricole avec une nombreuse paysannerie parcellaire, aisée, telle qu'elle est sortie de la grande révolution française de 1789.
Cet état donne à l'économie française une assise, un équilibre relatif en comparaison des autres grandes puissances impérialistes ; et, compte tenu des multiples attaches entre les ouvriers des villes et la campagne, cela a grandement joué dans l'atténuation des remous sociaux en France.
Il est regrettable qu'on n'ait pas tenu compte, dans les thèses, de ces facteurs qui ont joué et joueront encore un grand rôle dans l'évolution des situations en France. Tout particulièrement, il faut souligner la lacune de l'absence du problème paysan, sur lequel nous ne trouvons pas la moindre allusion tout au long des thèses.
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Si on comprend bien, cette proposition signifierait que l'intégration de l'industrie française dans l'appareil productif allemand est due à l'absence de mouvements de classe du prolétariat. D'une façon générale cela est juste, comme il est juste de dire que l'absence de mouvements révolutionnaires dans n'importe quel pays permit au capitalisme de poursuivre la guerre et la production de guerre ; mais concrètement, en ce qui concerne la possibilité d'intégration de la France dans la production allemande, rechercher les fondements de cette possibilité économique dans l'absence du mouvement révolutionnaire, cela est absolument faux. La défaite de 1940, surtout la rapidité de la défaite presque sans combat, plus rapide que celle de la Pologne, est due surtout au fait de la division du capitalisme français dont une fraction, la bourgeoisie industrielle, pouvait s'accommoder de la domination économique de l'Allemagne. En 1914, toute la bourgeoisie française se trouvait unie dans son intérêt commun contre l'Allemagne, soit que les intérêts du capital financier usuraire et coloniale de la France étaient heurtés par les visées impérialistes de l'Allemagne, soit par les désirs violents de la fraction industrielle de la bourgeoisie française cherchant à s'emparer des régions riches en matières premières : l'Alsace et la Lorraine. En 1939, la situation se présente de la façon suivante : l'industrie française, pour vivre, est tributaire du charbon anglais ou allemand ; sa production d'acier, de fer, de fonte, est complémentaire de l'activité industrielle de transformation qui est celle de l'Allemagne. De ce fait, les intérêts d'une partie du capitalisme français, la partie industrielle, étant moins en opposition irréductible avec le capitalisme allemand, pouvait s'entendre avec lui.
C'est ce fait économique qui devait permettre l'intégration de l'industrie française dans l'appareil productif allemand. Et c'est cette possibilité, devenue réalité, qui a atténué et résorbé momentanément une situation de crise économique pouvant engendrer des mouvements de mécontentements des masses ouvrières.
Les sentiments contre la guerre des masses se traduisaient dans leur passivité et dans leur indifférence dans la conduite de la guerre et ont trouvé satisfaction dans la défaite et dans la rapide démobilisation. Il aurait été très épineux alors pour le capitalisme de les maintenir et de vouloir les conduire au combat. Si la défaite n'a pas provoqué des explosions de mécontentement, c'est qu'elle s'est produite avant que le prolétariat ait été exacerbé par de longs mois de souffrance et de famine, et profondément satisfait de la fin rapide de la sinistre comédie. Même l'occupation par l'Allemagne les laissera longtemps indifférents, sans provoquer un large et profond mouvement de chauvinisme. Par ailleurs, le gouvernement de Pétain devait rejeter démagogiquement la faute de la guerre sur les gouvernements précédents, "incapables et coupables", sur les magnats de l'argent, sur la fraction financière et commerciale du capitalisme. Une certaine "liberté", contrastant avec l'atmosphère étouffante vécue sous Daladier et Raynaud, servira aussi au commencement de détente psychologique. La situation matérielle ne connaît pas encore de restrictions et le gouvernement de Vichy usera de largesses surprenantes dans les allocations de chômage à l'égard des ouvriers et des populations en exode.
Tandis que le nombre des chômeurs secourus avant la guerre ne dépassera jamais, dans les années 1934-35-36, le chiffre de 500.000, il s'établit ainsi au lendemain de la défaite :
En décembre 1941, il y aura encore 115.000 chômeurs secourus qui ne disparaîtront progressivement qu'à la fin de 1942.
Satisfaits d'avoir terminé la guerre, protégés momentanément dans une sécurité contre les bombardements, préoccupés à retrouver leur foyer et leur famille et à se réinstaller, matériellement soutenus avec la réintroduction progressive des masses dans la reprise de la production, telle est la situation où se trouvent les ouvriers ; ce qui permet à la bourgeoisie française d'éviter l'apparition de remous sociaux.
Les thèses sur ce point ne donnent qu'une image renversée en renversant le problème.
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Nous avons déjà souligné que ce n'est pas la défaite qui allait diviser mais que c'est cette division existante avant la guerre qui devait largement contribuer à la défaite. Quiconque a vécu les dernières années d'avant la guerre doit se rappeler la cristallisation de cette fraction s'organisant et s'opposant, du point de vue des intérêts du capitalisme français, à la guerre contre l'Allemagne. la politique de concessions, d'entente économique et politique avec l'Allemagne a trouvé sa consécration dans la politique de Munich. La fraction munichoise groupait, à un moment donné, une partie importante du capitalisme français et dominait l'opinion publique. La défaite n'a fait que creuser la division existante dans le capitalisme français et non l'engendrer comme semble le laisser croire les thèses.
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Caractériser, dans ces quelques lignes, toute la période de 4 ans, c'est ou bien trop incomplet ou faux. En effet, c'est nier complètement toute lutte, même revendicative, même partielle du prolétariat durant toute cette période. En réalité, de telles luttes de classe surgissaient, existaient, traduisant le mécontentement des masses qui tendaient à s'opposer à la surexploitation s'aggravant.
En hiver 1941-42, avant que ne fut créée aucune organisation sérieuse du mouvement de la Résistance, des grèves éclatent dans les mines du Nord et du Pas-de-Calais. Les revendications sont : augmentation des salaires, meilleur ravitaillement. Ces grèves sont suivies par d'autres dans le Centre et dans le Midi. De petites grèves surgissent çà et là dans des localités isolées, spontanément comme dans les chantiers navals de La Ciotat. Partiellement avec succès, ces grèves sont toujours suivies de répression, d'arrestations et de déportations.
Vers la fin de 1942 les déportations en masse des ouvriers vers l'Allemagne (qui a un grand besoin de main d'œuvre) provoque un mouvement de grèves de masse dans la région lyonnaise, nécessitant l'intervention de l'État et des forces massives de la police. Le fait que les ouvriers trouvent face à eux l'occupant étranger permet à la fraction capitaliste "démocratique" d'encourager ces grèves en tentant de les dévoyer d'une manifestation de classe en une manifestation chauvine. Malgré cela, les grèves des ouvriers de Lyon, s'opposant à se laisser mobiliser et déporter en Allemagne, expriment une lutte de classe et de défense des intérêts ouvriers.
Le capitalisme ne suscite pas de grèves mais il tend à utiliser les grèves et le mécontentement des ouvriers. Il s'orientera d'ailleurs à mobiliser les ouvriers hors de leur terrain de lutte, vers des formations militaires, volontaires, les maquis, les sabotages, le terrorisme. Dans les usines, les manifestations de mécontentement garderont leur caractère de classe. Nous assisterons à des grèves dans plusieurs centres notamment à Paris, aux chantiers navals de La Seyne où elle prendra des aspects violents d'échauffourées entre la police, l'armée et les ouvriers en grève. Sous la pression des ouvriers, la bourgeoisie procèdera, à plusieurs reprises, à des augmentations substantielles du salaire nominal, notamment au printemps 1944. Mais, de plus en plus, la revendication centrale des ouvriers sera un ravitaillement meilleur. Sur la base de cette revendication, les ouvriers passeront à des actions multiples jusqu'à la forme d'une grève générale spontanée qui eut lieu au mois de mai à Marseille.
Il ne s'agit pas de surestimer, de surévaluer le mouvement de classe ; mais il serait faux et pédant d'effacer toute trace de lutte de classe durant les années de l'occupation.
Faut-il voir là une trace, un reste de la fameuse théorie de "l'inexistence sociale du prolétariat" pendant la guerre et la justification à posteriori de l'inutilité et de l'impossibilité de toute activité révolutionnaire ?
Thèses sur la situation internationale
Dans le passage traitant des événements de juillet 1943 en Italie, il est justement souligné que l'absence du Parti au cours des événements révolutionnaires de juillet à septembre 1943 a permis à la bourgeoisie internationale d'intervenir avant que le prolétariat italien n'ait pu réaliser la conscience des objectifs de sa lutte et d'écraser momentanément le premier assaut de la révolution. Cela pose le problème de la responsabilité historique de la Fraction italienne de la Gauche communiste. On ne peut passer sous silence la manquement grave de la Fraction italienne qui porte en partie la responsabilité de la situation créée en Italie.
Ce n'est pas la place ici d'analyser en détail les raisons qui ont présidé à ce manquement. Elles sont d'ordre politique et également organisationnelle. Il ne s'agissait certes pas de faire l'examen de ces raisons dans les thèses mais il importait de ne pas passer sous silence le fait que les erreurs, les hésitations de l'avant-garde ont déterminé son absence au moment nécessaire, ce qui pesé lourdement dans l'évolution de la situation italienne.
Dans le 3ème chapitre parlant de la situation nouvelle créée en Europe après les événements d'Italie, les thèses la caractérisent ainsi :
Ce schéma de la situation nouvelle qui voit la guerre se continuer et se développer n'est pas tout à fait exact. Je sais bien qu'on parlera après dans les thèses d'une menace révolutionnaire "bien qu'elle ne se soit pas encore manifestée", d'une perspective vague, mais ce n'est pas cette menace qui, selon les thèses, caractérise la situation nouvelle. Et c'est là l'erreur des thèses.
La modification des rapports de force entre l(Allemagne et le bloc allié n'est pas seulement économique et militaire, elle est aussi dans la différence entre la combustion de mécontentement des masses ouvrières en Europe, en Allemagne et dans les pays alliés. C'est cet aspect de la question qui donne la signification réelle, la caractéristique de la situation nouvelle. Il est regrettable que les thèses aient négligé cet aspect de première importance, l'escamotant en quelque sorte.
Parmi les facteurs qui déterminent une modification militaire entre les 2 blocs dans une guerre impérialiste moderne, le facteur de classe, c'est-à-dire la plus ou moins acceptation par le prolétariat de la guerre de sa bourgeoisie, est de première importance. Si l'Allemagne subit de plus en plus des défaites, cela témoigne d'une manifestation d'un mécontentement grandissant des masses ouvrières déguisées en soldats, se détachant de la guerre impérialiste de son capitalisme.
On essaie, dans les thèses, de donner les raisons de "l'absence" (!) du prolétariat allemand durant cette période. Un grand nombre de ces raisons sont valables aussi pour les autres prolétariats et notamment pour le prolétariat italien. Par contre, on n'a pas remarqué un fait qui, à mon avis, est essentiel pour comprendre la différence existant entre la situation du prolétariat allemand et celle des autres prolétariats. Tandis que le prolétariat d'Italie (comme celui des autres pays) -tout en fournissant un contingent de soldats- reste dans sa majeure partie sur place, sur le lieu de travail, dans ses villes et quartiers, dans sa position d'ouvrier, le prolétariat allemand, dans sa grande majorité sinon dans sa totalité, sera lui mobilisé sur les champs de bataille. De cette différence de situation résultera que – tandis que, dans les autres pays, le mécontentement se produira essentiellement à l'arrière et se manifestera d'une façon classique par des grèves – le prolétariat allemand, lui, sera disloqué, hors de l'Allemagne, à tous les points de l'Europe, encadré dans l'armée par une bande de SS et soumis à une discipline militaire de fer. Sa lutte à lui ne se manifestera pas par des grèves dans les usines occupées par les femmes, les enfants et les millions de prisonniers étrangers ; mais elle ne pourra se manifester que dans sa non volonté aux combats militaires.
Il est pour le moins exagéré d'affirmer que le prolétariat allemand est "absent" ou inexistant. Le thermomètre, à tort placé dans les usines en Allemagne, a marqué le point mort, mais ce sont les défaites retentissantes de l'armée allemande, là où se trouve concentré le prolétariat, qui renseigne réellement de l'existence, de la présence du prolétariat et du degré de son mécontentement.
Faute d'avoir mal brandi l'objectif, la photo que nous présentent les thèses nous donne une image un peu déformée de la réalité de la situation européenne en 1944.
20 janvier 1945
L'objet de cette conférence ne consiste pas à faire une analyse détaillée du mouvement ouvrier français mais de donner un aperçu général de divers groupements politiques et syndicaux qui agissent au sein du prolétariat français, de tracer dans les grandes lignes leur orientation, la place qu'ils occupent dans la lutte de classe, leur possibilité de développement ultérieur, d'indiquer l'attitude, la position politique critique que prend notre fraction de la Gauche communiste à l'égard de chacun des groupes.
L'étendue d'un tel exposé ne peut que s'accompagner d'un schématisme inévitable. Il va de soi que cette conférence ne prétend nullement épuiser l'analyse et la critique des divers groupes agissant et surgissant dans le prolétariat ; elle ne fait que passer en revue, que donner un tableau général du mouvement ouvrier en France à l'heure actuelle. Dans son activité politique, dans sa presse et dans ses conférences, notre fraction aura plus d'une fois l'occasion de revenir et de combattre en détail les positions défendues par chacun de ces groupes.
On appelle "Libération" de la France le changement d'occupation. L'occupation ouverte et brutale de la France par l'impérialisme allemand, avec un gouvernement Pétain-Laval, a cédé la place à une occupation qui, plus camouflée; plus hypocrite, n'en est pas moins réelle économiquement, politiquement et militairement par les puissances "démocratiques" anglo-américaines. Le gouvernement De Gaulle est plus "indépendant" que celui de Pétain dans la mesure où il entre bénévolement et volontairement dans les vues de la politique des maîtres anglo-saxons.
Toute velléité de faire une politique indépendante, en opposition aux intérêts du capitalisme anglo-américain, se heurte à des barrières infranchissables, ramenant la bourgeoisie française et son gouvernement à une compréhension plus réaliste de ses possibilités.
Le capitalisme français ne s'est pas libéré, il n'a fait que changer de tuteur. Il a irrémédiablement perdu son indépendance économique (et politique) et est condamné à vivre et à évoluer dans l'ornière des autres grandes puissances impérialistes.
Si la "Libération" n'a pas apporté, pour le capitalisme français, un changement substantiel dans le sens de l'indépendance, elle a encore moins apporté une modification dans le sort et dans la vie du prolétariat. Les illusions savamment entretenues par le capitalisme sur l'amélioration de ses conditions de vie matérielles aussi bien que politiques s'évanouissent et se dissipent chaque jour davantage. La guerre, les massacres et la misère continuent ; au lieu de mourir pour l'hégémonie de l'impérialisme allemand, on les fait mourir pour l'hégémonie de l'impérialisme anglo-américano-russe ; à la place des Légions de volontaires de Pétain-Doriot, c'est la mobilisation militaire obligatoire de De Gaulle-Thorez ; à la place du travail obligatoire de l'organisation Todt, c'est le travail obligatoire de Parodi. Le nom, l'étiquette, (…) ont changé mais le contenu, l'exploitation et la misère sont restés les mêmes. Dans le domaine de la liberté politique, la "démocratie" n'a changé que le droit d'applaudir De Gaulle au lieu de Pétain mais aucune liberté de classe – la liberté de réunion, la liberté de presse, la liberté de grève – n'est accordée aux ouvriers. Tout comme sous l'occupation allemande, les révolutionnaires sont traqués et obligés (…) dans l'illégalité.
L'accusation de "5ème colonne" des staliniens a remplacé celle "d'agent de Moscou" des doriotistes pour terroriser et réprimer toute manifestation de mécontentement de classe des ouvriers.
Mais la "Libération" a toutefois apporté quelque chose. Elle a usé et tari la source du chauvinisme si largement exploitée pendant des années par le capitalisme français pour dévoyer le prolétariat qui se trouvait dans le fait de l'occupation et de la répression féroce de l'impérialisme allemand. La fin de l'occupation allemande devait faire apparaître au grand jour les positions et les programmes de tous les partis et ce qu'ils présentaient de positif, de constructif pour remédier à la misère du prolétariat. La fin de l'occupation allemande devait entraîner la caducité des slogans chauvins d'anti-boches et permettre aux ouvriers de commencer à mieux distinguer et reconnaître, dans cette masse, les différents partis jusque-là camouflés derrière les rideaux de mensonge de l'anti-fascisme.
La confusion n'est certes pas encore complètement dissipée. Tel groupe ou parti a disparu au cours de la guerre ou tend à disparaître ; d'autres, des nouveaux, surgissent. Mais au travers de cette confusion, de disparitions et d'apparitions des groupes et des partis, nous pouvons déjà les distinguer et les classer dans trois grandes tendances :
1. ceux qui sont, dans leur nature et leur fonction, consciemment des organes de la bourgeoisie dans le prolétariat ;
2. ceux qui, tout en croyant défendre les intérêts du prolétariat, sont prisonniers en fait d'une série de positions qui les rattache et les relie plus ou moins directement aux positions de classe de la bourgeoisie ;
3. ceux qui représentent les tendances révolutionnaires du prolétariat.
Le parti stalinien qui s'intitule encore PCF est incontestablement le parti le plus à "droite" dans le mouvement ouvrier. Quand nous employons le terme de "droite", nous ne voulons nullement dire que c'est un parti ouvrier de droite, un parti opportuniste. Le parti stalinien, depuis longtemps, a perdu tout caractère ouvrier. Nous employons ici le terme de "droite" dans un tout autre sens. C'est pour le situer par rapport aux autres partis bourgeois qui agissent au sein du prolétariat. La caractéristique particulière de ce parti issu de la dégénérescence et de la trahison du centrisme au sein de la 3ème Internationale, c'est d'être passé à la droite du parti socialiste issu de la dégénérescence et de la trahison de la 2ème Internationale en 1914 et qui est lui aussi un parti de la bourgeoisie. Cette évolution du parti stalinien, qui surprend et semble à première vue paradoxale, trouve son explication dans le rôle particulier et différent qu'a eu à jouer ce parti dans la lutte de classe. Le parti socialiste passé dans le camp de la bourgeoisie n'a jamais joué qu'un rôle d'auxiliaire de la bourgeoisie nationale. Même quand il remplit la haute fonction, tenant en main le gouvernail de l'État, même quand il se charge de l'ignoble fonction de bourreau sanglant contre la révolution comme Noske en Allemagne, il ne fait qu'être au service commandé de la bourgeoisie qui reste toujours l'unique et véritable maître de la société. Toute autre est la position du stalinisme. La bourgeoisie russe fut défaite par la Révolution d'Octobre et expropriée durant les premières années de la révolution prolétarienne. La contre-révolution en Russie ne pouvait être faite avec les débris des anciennes classes disloquées. C'est au sein de la bureaucratie maîtresse de l'État que surgissent les éléments qui donnent naissance à la nouvelle bourgeoisie, en s'appuyant d'ailleurs sur les éléments de l'ancienne bourgeoisie qu'elle incorporera. Cette évolution de renaissance du capitalisme trouvera dans le stalinisme et dans ce que fut autrefois le parti du prolétariat, épuré de ses éléments prolétariens (physiques et idéologiques) la base, l'organe de l'accomplissement de la contre-révolution. De même que la contre-révolution de la bourgeoisie thermidorienne trouvait son expression dans les jacobins de Thermidor, de la même façon la contre-révolution capitaliste en Russie devait trouver son expression et son représentant dans le parti stalinien.
Les mesures préventives que prend une classe contre la menace révolutionnaire d'une autre classe sont toujours plus clémentes que les représailles contre-révolutionnaires exercées en retour par une classe un moment dépossédée de ses privilèges. L'histoire nous enseigne jusqu'où peut aller le déchaînement de vengeance et la férocité sanguinaire d'une classe contre-révolutionnaire. L'exemple de la Commune de Paris, noyée dans le sang par le retour du gouvernement républicain de Thiers, n'est désormais plus un exemple unique dans l'histoire. Noske le social-démocrate, Hitler le fasciste devaient confirmer dans le sang des ouvriers allemands cet enseignement de la Commune.
La violence du stalinisme en Russie est en proportion du temps et de la force de la révolution qu'il était appelé à anéantir directement et pour son propre compte. Et rien n'est donc paradoxal et surprenant dans le fait que les partis liés à l'État russe soient justement les partis les plus réactionnaires et les chauvins les plus hystériques.
Usurpant les souvenirs de la Révolution d'Octobre restés toujours chers au cœur des ouvriers, l'influence du parti stalinien dominait le prolétariat français. Encore aujourd'hui, c'est le parti le plus fort dans le sein du prolétariat de ce pays. Mais aussi le point culminant de son influence marque son talon d'Achille.
De même que la politique de la Russie, ses occupations finissent par dessiller les yeux des ouvriers sur sa vraie nature impérialiste, le parti stalinien en France, qui vit sur le prestige de l'État russe, va en se démasquant. La rentrée dans un gouvernement capitaliste, devenu un parti gouvernemental, l'oblige à prendre de plus en plus ouvertement des positions anti-ouvrières. Le dernier discours de Thorez à Ivry a fait de ce secrétaire et de son parti le champion de la croisade anti-ouvrière. Obligé d'abandonner la démagogie, Thorez s'est clairement prononcé contre les revendications économiques, contre les illusions de réformes de structure, de maintien des milices patriotiques, pour la formation d'une police et d'une armée fortes. Tout pour l'effort de guerre.
Si toute la bourgeoisie a longuement et chaleureusement applaudi à ce langage viril du nouvel "homme d'État" (l'Ordre de Buré), les ouvriers staliniens se trouvaient consternés. Le mécontentement s'est brusquement fait jour dans les rangs et ce mécontentement va en s'accentuant. C’est dans la jeunesse, plus directement touchée par la mobilisation, que le mécontentement s'est le plus nettement manifesté. C'est pour éviter à ce mécontentement de la jeunesse de s'élargir et de s'approfondir que Thorez a décidé la dissolution des Jeunesses Communistes provoquant des protestations multiples des groupes de JC.
Le parti stalinien, quoiqu’encore le plus fort parti, perd du terrain et de l'influence sur les masses ouvrières. Aucun doute que cette tendance ira en s'accentuant dans les mois à venir. Le battage sur l'unification avec le PS dans un parti unique ne semble pas être vraiment sérieux. L'existence de ces deux partis sert mieux les intérêts de la bourgeoisie par la confusion qu'elle entretient. Une autre raison est qu'une fraction du capitalisme français, réduit à la position de vassal des puissances anglo-américaines, s'oriente et se tourne vers la Russie. Cette fraction de la bourgeoisie trouve dans le parti stalinien son expression, tandis que le PS est et restera le commis anglo-américain. Et la dernière raison, et non la moindre, est dans l'intérêt qu'a l'État russe d'avoir et d'entretenir l'agence perfectionnée et profitable qu'est le PC, d'autant plus que la perspective d'une guerre impérialiste américano-russe reste toujours une éventualité de demain.
La décomposition du parti socialiste durant la guerre n'a d'égal que celle du parti radical. Comme ce dernier, il s'est discrédité à la tête du gouvernement et du front populaire. Les ouvriers n'ont pas oublié que c'est à Blum qu'ils doivent d'avoir été dupés en 1936. Blum avait raison de se vanter, dans le procès de Riom, que c'est grâce à lui que la bourgeoisie s'est tirée à si bon compte en 1936. "Les usines aux patrons, les ouvriers dans les usines et la rue à la police" était vraiment une politique très habile. Accords de Matignon, la pause, l'arbitrage obligatoire, voilà les étapes de l'étranglement des mouvements revendicatifs du prolétariat pour le mener, sous l'égide du Front Populaire, à la guerre impérialiste.
La défaite de la France en 1940 a produit la dislocation de ce parti dont une grande partie devait voter pour Pétain. La défection des meilleurs de ses militants, comme son secrétaire général Paul Fort et autres munichois, des autres avec Spinasse qui publiaient le journal "L'effort" ont servi de soutien du gouvernement Pétain-Laval. Ce parti a même fourni des ministres sous l'occupation, comme Chassaigne. Toute cette décomposition a réduit le PS presque à zéro.
La "libération" devait mettre à nu cet état. Une indication est fournie par la pauvreté des nouveaux chefs. L'exemple est donné dans le fait de voir un Daniel Mayer, un homme de 10ème ordre, occuper la place d'un Faure ou d'un Blum.
Seul l'ultra-chauvinisme des staliniens et leur parti lié à l'impérialisme russe a fait qu'en partie le PS a pu regrouper certains éléments qui, non sans être chauvins, répugnent au déchaînement hystérique des staliniens. Le PS, dont la composition est nettement petite-bourgeoise, se retrouve maintenant que l'ouragan est passé. Incapables d'affronter la moindre lutte sérieuse, ces éléments sont par contre tout à leur aise dans l'eau douce et trouble du parlementarisme qui est leur élément naturel. Même décapité de ses chefs, ce parti a gardé l'échine souple ; et son habileté dans la démagogie lui permet, face au chauvinisme sanguinaire des staliniens, de paraître comme un parti plus à gauche, plus démocrate. Son attitude démagogique qui frise parfois une attitude d'opposition au gouvernement fait qu'il se renforce et regagne du terrain aux dépens des staliniens. Le prolétariat français rencontrera encore plus d'une fois, lui barrant sa route, ce parti visqueux de la démocratie bourgeoise.
L'appendice de gauche du parti socialiste, l'ancien PSOP, est pour le moment inexistant. Tandis que "le grand chef" de ce parti, Marceau Pivert, a offert - de Mexico où il s'est réfugié le lendemain de la défaite - ses services à De Gaulle "tout comme Lénine s'est servi d'anciens officiers tsaristes" (déclaration de Pivert en 1941). Les petits chefs, les Collinet et autres Patri, enseignent le marxisme, du bureau de Londres, dans les colonnes de la "Volonté". Leur influence sur les ouvriers est à jamais finie.
Un autre groupe – qui, avec Ferrat et Rimbert, publiait "Que faire" avant la guerre – a enfin trouvé la réponse tant cherchée pendant des années. Que faire ? Mais de la Résistance voyons ; et tout en faisant mine de protester contre l'erreur de morcellement de l'Allemagne et les appétits impérialistes trop prononcés des vainqueurs, il bénit néanmoins cette guerre Sainte contre le "fascisme" allemand. Le journal hebdomadaire que ce petit groupe publie s'appelle "Liberté". La liberté et la légalité sont évidemment accordées par l'impérialisme à ceux qui le servent.
Ce qui est particulier à la CGT, c'est l'opposition existant entre sa base et sa nature d'une part, en tant qu'organisme unitaire économique du prolétariat, et son rôle, son orientation, sa fonction et sa direction d'autre part, nettement anti-prolétariens.
L'évolution récente du mouvement syndical pose certainement la question de savoir dans quelle mesure cette organisation exprime et peut exprimer encore des possibilités de la lutte du prolétariat pour ses revendications. Il serait trop long d'ouvrir ici aujourd'hui le débat et de tenter de donner une réponse définitive. Contentons-nous pour l'instant de souligner les caractères nouveaux de cette évolution. La nature de classe des syndicats, même les plus réformistes, était donnée :
1)°par le fait qu'ils groupent les ouvriers en tant que salariés dans le but de la défense de leurs intérêts immédiats et élémentaires face au patronat ;
2) par le caractère de formation volontaire par les ouvriers eux-mêmes, contrairement aux corporations, aux syndicats uniques fascistes qui sont une obligation imposée par l'État ;
3) par leur indépendance organique à l'égard du patronat et de l'État.
Le propre du mouvement syndical à la suite de la "Libération" consiste non pas de lutter pour une amélioration ou même pour la défense du maintien des conditions de vie des ouvriers. Les directions syndicales sont des outils, entre les mains de l'État, pour gêner leur défense et, en certains cas même, pour imposer leur aggravation (comme dans les journées de travail gratuit pour la reconstruction, le prélèvement imposé sur les salaires pour parrainer l'effort de guerre et, encore plus directement, dans le maintien d'un salaire inférieur dans les usines dites nationalisées et gérées par les comités syndicaux par rapport aux salaires en cours dans les usines privées de la même industrie).
D'organismes spontanés de défense des intérêts élémentaires des travailleurs, les syndicats tendent à devenir les organes imposés par l'État pour la mobilisation des ouvriers en vue de la poursuite de la guerre et de l'effort de guerre dans la production. Ainsi ce seront les syndicats qui assureront l'interdiction de la grève et dénonceront les ouvriers mécontents à la police en les chassant de leur lieu de travail. D'organismes crées spontanément, naturellement et volontairement par les ouvriers, les syndicats deviendront des organismes importés, imposés aux ouvriers, contrôlant (et faisant la police pour le compte de l'État) les ouvriers sur leur lieu d'exploitation. De l'indépendance organique, il n'est plus question.
Autrefois, dans les guerres de conquêtes coloniales, l'impérialisme faisait marcher, derrière l'armée, le missionnaire et la prostituée. Dans les guerres de "libération", la force militaire est toujours suivie du missionnaire religieux ou politique, mais la place de la prostituée est occupée par… la direction toute prête des centrales syndicales.
En France, la CGT trouve encore ce caractère accusé du fait de sa totale domination par les hommes du parti stalinien. Elle participe officiellement au bloc gouvernemental dans la "Résistance" d'abord, dans la guerre, dans l'assemblée consultative et elle va se présenter demain aux élections. La CGT est une organisation gouvernementale. Son grand nombre d'adhérents (4 millions) est dû surtout à une pression exercée sur les ouvriers sur les lieux de travail plutôt qu'à un élan des ouvriers pour se syndiquer.
La perte de l'influence de la CGT est indiscutable. On constate, ces derniers temps, une tendance très nette et accélérée des ouvriers à quitter les syndicats. Les grèves qui éclatent sont généralement faites malgré et contre la volonté des directions syndicales ; et très souvent elles sont spontanées et extra-syndicales, c'est-à-dire mettant les organisations syndicales devant le fait accompli.
Hautement significatifs sont les objectifs des mouvements. Ils portent moins sur les revendications de salaires et de conditions de travail que sur les problèmes de ravitaillement. Débordant le cadre étroit des revendications corporatives et économiques en tant que salariés, ils acquièrent un caractère social plus large, touchant toute la masse travailleuse. Telles sont les manifestations spontanées des 10.000 ouvriers à Lyon en janvier, l'action directe des mineurs de Denain et d'ailleurs, envahissant les carreaux de la mine et distribuant gratuitement les stocks de charbon, la grève spontanée, la manifestation et l'occupation, pendant des heures, de la préfecture, et bien d'autres.
Dans la région parisienne où se trouve concentrée toute la bureaucratie qui, au travers de l'ossature syndicale, contrôle mieux la masse ouvrière, cette dernière n'a toutefois pas pu empêcher l'éclatement des grèves des dockers du port de Paris, des imprimeurs, du commerce, du cinéma et certains mouvements dans la métallurgie.
Il se dessine un large courant de mécontentement parmi les ouvriers ; la CGT tente de la dévier et de la freiner par des pourparlers dans la commission gouvernementale des salaires. On doit s'attendre qu'en cas de fiasco de ces promesses gouvernementales, un accroissement du mécontentement dans les usines de la région parisienne pourra aboutir à des grèves de masses.
Signalons encore une tendance, encore très faible mais existante dans certaines usines, à la formation des comités d'usine. ces comités d'usine, tout en étant liés partiellement aux syndicats, sont toutefois quelque chose de plus large que la cadre des organisations syndicales. Ils groupent tous les ouvriers, tous les ouvriers sur la base de l'usine, c'est-à-dire sur une base non professionnelle ou syndicale mais locale. Rien ne permet de prévoir si cette forme a des chances immédiates d'élargissement. Mais, dès maintenant, la plus grande attention doit être portée à cette nouvelle forme de comités d'usine et l'on doit y participer activement là où ils surgissent. Dans des circonstances favorables, ces comités peuvent rapidement se développer en un véritable réseau présentant un type nouveau de conseils d'usine.
Devant le mécontentement grandissant, subissant sa pression et craignant de voir les masses et leurs actions échapper à son contrôle, la CGT s'oriente vers un tournant à "gauche". Déjà le mot-d'ordre initial de "travailler d'abord, revendiquer ensuite" est visiblement mis de côté, la direction de la CGT multiplie maintenant des meetings et, dans les colonnes du "Peuple", commence à parler des revendications.
Il suffit de lire les articles précédant le CCN pour s'attendre à ce qu'il sorte de ces assises une position en quelque sorte revendicative. Il va de soi qu'aucune confiance ne peut être faite à la sincérité des dirigeants de la CGT. Ce tournant à gauche ne serait qu'une manœuvre tendant à rattraper le contrôle sur les masses qui échappent à la direction et aussi une manœuvre ayant en vue l'ouverture de la campagne électorales pour les élections municipales.
Dénoncer la politique de la direction de la CGT, dénoncer surtout ses manœuvre s de gauche en vue de mieux torpiller les mouvements de la masse ouvrière est une tâche urgente et de chaque instant des militants révolutionnaires.
Un certain nombre de groupes et de mouvements ont surgi avec des plates-formes plus ou moins confuses. Ce processus de formation relève d'un côté du fait de la position chauvine nette, de la participation à outrance des partis socialiste et stalinien et de la CGT à la guerre impérialiste, produisant une rupture d'avec certains éléments évoluant sur la gauche, et de l'autre côté du fait de la disparition de groupements -comme le PSOP, Les Amis des Syndicats de Belin, La Révolution Prolétarienne, etc.- qui canalisaient autrefois une partie de ces éléments.
De même que, sur le terrain social, une classe, la petite-bourgeoisie, trouve sa place entre les classes fondamentales de la société, de même, sur le terrain politique, cette classe hétérogène trouve son expression dans l'existence des organisations hésitantes, constamment ballottées entre les partis de la bourgeoisie et du prolétariat.
Stationnaires et piétinant sur place dans les époques calmes, ces groupes sont particulièrement troublés et agités dès que la situation a perdu sa stabilité. N'ayant pas une position achevée propre, ces groupes sont destinés, dans une situation bouleversée, à évoluer à un rythme accéléré dans des sens opposés ; les unes vers les positions capitalistes, les autres vers celles du prolétariat. Il ne suffit pas de porter un jugement d'ensemble sur ce qu'on appelle le marais ou le centre, il faut encore suivre chaque groupe séparément dans son évolution et son orientation.
Ce groupe a été constitué depuis la "Libération" par l'ancien groupe de La Démocratie ouvrière (DO) qui dirigeait la Fédération des Techniciens avec des éléments de L'Abondance, des éléments dirigeants de la Confédération Générale de l'Agriculture et une partie d'anarchistes. La Démocratie ouvrière est une branche cadette de l'anarcho-syndicalisme. Sortant du sein du parti communiste, ce groupe, se réclamant du marxisme, concevait même la nécessité d'un regroupement de l'avant-garde en une tendance politique mais dirigée, dans son action envers la classe, au travers du mouvement syndical. Le syndicat devenait l'unique organe guidant la lutte du prolétariat vers son aboutissement historique : la révolution. Le groupement politique du prolétariat, n'ayant pas un rôle propre à jouer, est réduit à la fonction de conseiller et d'éducateur politique du mouvement syndical. Négation de la nécessité d'une lutte politique du prolétariat et d'une organisation politique de la classe, la Démocratie ouvrière apparaît comme une idéologie syndicaliste, apparentée à la fois à l'économie russe et à l'anarcho-syndicalisme français, du syndicalisme suffisant à tout
Mais la reconnaissance de la nécessité d'un groupement politique influençant de l'intérieur le mouvement syndical ne s'est pas traduite logiquement par la réclamation de droit de fraction et de tendance à l'intérieur du mouvement syndical. Au contraire, la DO est un adversaire acharné du principe de fraction politique dans les syndicats. Cela ne l'a jamais empêché, comme tout opportuniste, de construire sa propre fraction, d'agir fractionnellement et d'une façon manœuvrière, tout en condamnant publiquement, par principe, le droit d'existence des fractions.
Sa position la plus nette est son anti-stalinisme. Tout en s'opposant et en dénonçant la politique syndicale de collaboration de classes, de l'union sacrée et de la guerre impérialiste, ce groupe - dont des militants sont à la direction de la Fédération des Techniciens – n'a jamais osé affronter les foudres des réformistes et des staliniens dans les assises et congrès de la CGT. Ce sont des syndicalistes révolutionnaires "honteux" qui, depuis que les grèves de 1936 ont fait d'eux des dirigeants d'une grande fédération, n'ont jamais cessé d'évoluer de plus en plus vers le réformisme. Ils étaient les propagateurs zélés du plan de la CGT avant la guerre. Rien d'étonnant qu'ils se soient mis en ménage avec l'Abondance de Duboin, cette caricature réformiste aux lieux communs en guise de "trouvaille économique géniale".
Tel que, le mouvement du CETES groupe plusieurs centaines de membres dans la région parisienne. Il tient des conférences privées une fois par mois, dont l'auditoire se compose, dans sa grande majorité, d'employés et de techniciens. Dans une certaine mesure, ce groupement canalise et exprime une opposition timide à la guerre impérialiste et est pour la reprise de l'action directe revendicative des masses. Ce même esprit se retrouve dans sa publication mensuelle "Nos cahiers".
La dissolution de la Fédération des Techniciens et l'intégration des syndicats au sein de leur fédération ouvrière d'industrie respective, décision prise par le Comité Confédéral portera un coup à l'influence des CETES. Par ailleurs, ce groupement est destiné à évoluer de plus en plus de l'action directe de lutte de classe vers un réformisme le plus plat.
Son orientation lui destine d'occuper dans les mouvements ouvriers la place laissée vacante par Belin et Cie
Un mouvement bien plus caractéristique de mécontentement des ouvriers contre la politique de collaboration de la direction de la CGT est celui de la minorité syndicaliste.
Au commencement de l'année 1945, plusieurs vieux militants de la CGT et de la CGTSR se sont réunis pour donner naissance à ce groupement ; et le premier acte de cette minorité fut une lettre adressée à la Conférence syndicale de Londres dans laquelle ils critiquent sévèrement cette Conférence, sans toutefois la dénoncer nettement, comme une machination des impérialismes alliés.
La minorité syndicale est en quelque sorte une reproduction de l'ancien groupement minoritaire qui existait dans la CGT avant 1939, connu sous le nom de "Cercle lutte de classe", sans toutefois reproduire exactement la même composition. Avant 1939, le "Cercle lutte de classe" groupait les différents éléments oppositionnels de gauche de l'ancienne CGTU, plus des militants du Syndicat de l'enseignement - qui fut toujours à l'extrême gauche dans la CGTU et qui gardait des traditions révolutionnaires de la lutte contre la guerre qu'il a mené en 1914-18. La plupart des militants du "Cercle lutte de classe" furent des anciens membres du Parti Communiste, qui l'ont quitté ou furent exclus parce que s'opposant à la politique opportuniste et nationaliste triomphant dans le PC. Le caractère du Cercle fut nettement politique, en opposition au groupe de "La Révolution prolétarienne" de Monatte, Lauzon et Chambelland qui représentait et continuait la tendance du syndicalisme pur, anti-politique et anti-communiste.
L'éclatement de la guerre devait marquer l'effondrement et la disparition de ces deux minorités syndicales sans laisser aucune trace. Mais, tandis que les militants du "Cercle lutte de classe" devaient se maintenir au travers des courants politiques dont ils faisaient partie, la dislocation du groupe de "La Révolution prolétarienne" devait être totale et signifier la faillite définitive du syndicalisme pur.
C'est encore une des caractéristiques de la profonde différence d'époque entre celle de la guerre 1914-18 et celle de la guerre 1939-45. Alors, face à l'opportunisme et au parlementarisme du parti socialiste, un groupement tel le syndicalisme révolutionnaire représentait une profonde réaction prolétarienne, élémentaire et confuse certes, mais indiscutablement révolutionnaire. C'est uniquement ce groupe qui, en 1914, relève en France le drapeau de l'internationalisme et de la lutte contre la guerre. C'est ce groupe - qui publie "La Vie Ouvrière" -qui polarise les premières manifestations prolétariennes contre la guerre ; et lui, qui fut toujours l'adversaire le plus acharné de toute organisation politique indépendante de la classe, deviendra le partisan le plus enthousiaste, le groupe ouvrier le plus assidu de la reprise des relations internationales des socialistes des différents pays restés fidèles à la lutte de classe. Tandis qu'il faudra attendre jusqu'à la fin de la guerre, jusqu'à l'éclatement de la révolution russe pour voir se former une aile gauche révolutionnaire dans le parti socialiste, le groupe syndicaliste révolutionnaire de Monatte et Rosmer, qui prendra immédiatement position contre la guerre, établira des contacts et une collaboration étroite avec les internationalistes russes, avec Trotsky et la rédaction de Natché Slovo (organe des internationalistes russes paru à Paris durant la guerre 1914-18) et participera, au travers de Merheim et Bourderon, à la conférence de Zimmerwald. C'est encore eux, ces syndicalistes, qui seront les premiers représentants du prolétariat français, en la personne de Rosmer, au 1er congrès constitutif de l'Internationale Communiste en 1919 et les éléments fondateurs du Parti Communiste de France. Mais, dès ce moment, le rôle historique du groupe des syndicalistes révolutionnaires sera épuisé. Pendant les années d'ascension du capitalisme français et d'épanouissement de sa politique de conquêtes coloniales, se produisit une profonde corruption de l'organisation politique qui devait finalement l'emporter ; la réaction prolétarienne à cette corruption devait se cristalliser, dans le moment historique d'alors, à l'intérieur de l'organisation unitaire et de résistance de la classe ouvrière, les syndicats, autour de la lutte intransigeante contre le patronat et contre l'ordre social dirigée et inspirée par les syndicalistes révolutionnaires.
Si le syndicalisme révolutionnaire – qui fut la rançon de l'opportunisme dominant le parti politique – devait en tant que plate-forme et théorie manifester toute son inconsistance et son insuffisance, ne pouvant servir de base programmatique à l'émancipation sociale, il n'est pas moins vrai qu'il rassemble les énergies révolutionnaires et les éléments les plus sains de la classe ouvrière en France, opposant une plus grande résistance à la corruption de la bourgeoisie.
Les syndicalistes révolutionnaires d'avant 1914 n'apportaient, par leur plate-forme, aucune solution positive, aucune réponse permettant au prolétariat d'avancer vers la prise du pouvoir ; ce chemin fut donné uniquement par les bolcheviks au travers du travail de fraction en vue de la construction du parti politique de la classe. Cependant leur mérite historique fut d'être une digue de résistance à la corruption parlementaire et opportuniste qui emportait, morceau par morceau, les partis socialistes, et ils purent offrir cette résistance grâce à leur farouche raccrochement à la lutte revendicative, économique, élémentaire de la classe et à la méthode de l'action directe.
Avec la fin de la guerre et l'ouverture du cours révolutionnaire, la plate-forme du syndicalisme révolutionnaire dépassée par les objectifs immédiats de la lutte, posant le problème de la conquête révolutionnaire du pouvoir, devait perdre même son caractère de résistance contre l'opportunisme. Dans l'étape historique plus avancée qui s'ouvre après 1918, la lutte entre bourgeoisie et prolétariat se manifeste essentiellement sur le terrain politique, autour de l'État capitaliste et du parti communiste. Le syndicalisme en opposition à la lutte politique de la classe ne peut plus garder comme avant sa qualification révolutionnaire et, de résistance à l'opportunisme, il devient la plate-forme des éléments retardataires et réactionnaires.
Le sens de son orientation – de l'opportunisme vers la révolution – se renverse et il deviendra le canal qui conduit du communisme à l'opportunisme. Telle sera désormais la place qu'occupera, dans le prolétariat, le syndicalisme révolutionnaire exprimé par la revue "La Révolution Prolétarienne".
Ce sont là les raisons historiques qui font que ce groupement, qui a lutté contre la guerre impérialiste en 1914-18, sera complètement liquidé dès l'ouverture de la nouvelle guerre en 1939 et dont les militants se retrouveront individuellement dans diverses minorités syndicales après avoir plus ou moins activement participé à des groupes de la Résistance.
La nouvelle minorité syndicale d'aujourd'hui est un composé d'éléments et tendances de l'ancien "Cercle lutte de classe", de "La Révolution Prolétarienne" et des anarchistes syndicalistes de l'ancienne CGTSR qui, elle aussi, s'est liquidée pendant la guerre.
L'expérience du mouvement syndical en France depuis la dégénérescence de l'IC est pleine de ces tentatives de formation de minorités syndicales qui, toutes, devaient conduire, non à des redressements de la ligne politique des organisations syndicales, même pas seulement à créer un front de résistance susceptible d'endiguer la mainmise du capitalisme sur les syndicats, mais à une aggravation de la confusion dans les cerveaux des ouvriers et à leur propre discrédit.
La politique syndicale, l'orientation syndicale et les méthodes d'action sont fonction de la position générale qu'on a sur la situation générale, sur les perspectives, sur la lutte de classe, le but de cette lutte et la voie à emprunter. En un mot, la politique syndicale relève du programme et de la doctrine dont se réclame chaque courant idéologique qui participe et agit à l'intérieur des syndicats. Autant de courants, autant d'orientations et de politiques syndicales. Et ce n'est qu'au travers de leurs confrontations ouvertes, par le canal de leur fraction dans les syndicats, que les ouvriers peuvent prendre pleinement conscience et choisir librement l'orientation syndicale la plus apte à la défense de leurs intérêts immédiats.
Tout autre est la voie des minorités syndicales. Confondant dans un bloc permanent des tendances et des courants aussi variés qu'opposés, allant des syndicalistes purs, des anarchistes, des anarchistes syndicalistes, des syndicalistes révolutionnaires, aux trotskistes et autres éléments oppositionnels, fondant tous ces programmes pour extraire un programme commun, on ne permet pas l'édification d'une politique syndicale nécessaire aux ouvriers dans leur lutte contre le capitalisme mais on crée un programme de confusion, de compromis et d'éclectisme. D'autre part, les divers courants composant cette minorité, au lieu de parvenir, au travers de la confrontation et l'expérimentation, à vérifier leur propre position, perpétuent dans la confusion leur existence où la discussion fait place à la petite manœuvre et à l'intrigue pour imposer ses vues à l'ensemble de l'organisation. La minorité syndicale paraît ainsi groupée, non pour faire triompher une politique propre qu'elle ne peut avoir, mais pour combattre une politique. C'est cette position négative qui est le seul lien, le seul trait d'union et qui constitue la base commune de ces genres de minorités vagues et confuses.
Dans la situation présente et devant le mécontentement grandissant des ouvriers à la politique des staliniens et des socialistes qui sont les maîtres de la CGT, cette minorité syndicale est appelée à un certain développement dans la mesure où elle exprime son opposition à la direction. Le journal qu'elle publie illégalement, "La bataille syndicaliste", trouve un écho favorable parmi les ouvriers. Les positions essentielles défendues dans le journal sont : contre la guerre, pour l'internationalisme, pour une action revendicative, contre l'existence des fractions dans les syndicats. Le journal se réclame aussi d'une position apolitique des syndicats sur la base de la Charte d'Amiens de 1907. Dans la question de Comité de gestion dans les usines, tout en étant contre, il préconise de laisser faire l'expérience.
La formation de la minorité syndicale exprime à la fois une manifestation du mécontentement des ouvriers se détachant des agents ouverts du capitalisme dans les rangs du prolétariat, les partis communistes et socialistes, et en même temps l'extrême confusion qui règne dans les cerveaux des ouvriers, à laquelle cette minorité, par son activité, va apporter sa contribution.
Nous avons déjà dit plus haut que, parmi les organisations qui se sont écroulées pendant la guerre, se trouve la CGTSR (Confédération Générale du Travail Syndicaliste Révolutionnaire).
Au lendemain de la guerre 1914-18, l'opposition révolutionnaire à l'intérieur de la CGT – contre la politique de trahison de la clique de Jouhaux et Cie qui pratiqua l'union sacrée la plus abjecte pendant les 4 années de guerre et qui poursuivait cette politique de collaboration et de trahison – se développait et grandissait de jour en jour.
Syndicats et fédérations passèrent les uns après les autres entre les mains de l'opposition. Devant l'éventualité de perdre la direction de la CGT, les réformistes et la clique bureaucratique de Jouhaux poussèrent à la provocation de la scission de la CGT. L'opposition révolutionnaire, stimulée par l'IC qui se trouvait dans la période de pleine montée de la vague révolutionnaire en Europe, a commis cette grave erreur de ne pas éviter la scission syndicale recherchée par la bureaucratie réformiste. L'opposition est tombée dans le panneau de la provocation et a accepté la scission. La CGTU, groupant la majorité des syndicats ouvriers, était née. Dans son sein, se retrouvèrent les 3 courants anti-réformistes : les syndicalistes révolutionnaires, les anarchistes syndicalistes et les communistes.
La fraction communiste qui dirigeait la CGTU a commis plusieurs fautes. L'erreur fondamentale du parti communiste résidait dans la reproduction servile, dans le décalquage mécanique de tout ce qui se passait en Russie et dans l'inféodation bureaucratique du mouvement syndical au parti communiste. Tout en condamnant la scission syndicale, le parti communiste et l'IC n'avaient pas réellement une position précise et une attitude nette contre la scission. A ce sujet il faudrait réexaminer non seulement toute l'expérience de l'ISR mais le principe même de sa fondation. Plusieurs erreurs de taille ont été commises à ce sujet. D'abord l'entrecroisement permanent entre les 2 Internationales dont les délégués siégeaient d'une façon permanente et de droit dans les 2 centrales Internationales et réciproquement. Ce principe de la réciprocité subordonnait en fait l'Internationale Syndicale Rouge à l'IC. Ensuite il est difficile de concevoir une politique anti-scissionniste à l'intérieur des mouvements syndicaux nationaux tout en maintenant la scission sur le plan international. Cette position contradictoire devait entretenir une équivoque qui ne pouvait être favorable qu'à la bureaucratie réformiste de l'Internationale syndicale d'Amsterdam.
Lorsque, après les événements de Cronstadt et de Makhno, la lutte entre les anarchistes et le parti communiste s'est faite âpre en Russie, la répercussion de cette lutte devait se faire sentir d'une façon extrêmement violente au sein de la CGTU. Nous avons déjà dit que les communistes ne sont jamais parvenus à faire comprendre aux ouvriers le crime contre le mouvement ouvrier qu'est la scission syndicale. Ils n'étaient pas tellement convaincus de cela eux-mêmes. Et il n'est pas étonnant dans ces conditions que les anarchistes syndicalistes, qui étaient une minorité, aient pu provoquer une nouvelle scission dans la CGTU et créer une 3ème confédération syndicale en France, la CGTSR.
En France, cette nouvelle confédération groupait de plus larges masses que dans quelques centres, notamment la corporation du bâtiment surtout dans la région lyonnaise, de Saint-Étienne, dans la région de Toulouse et dans les régions limitrophes de la frontière espagnole où prédominait l'influence de la CNT espagnole.
Sur le plan international la CGTSR faisait partie de l'AIT (Association Internationale des Travailleurs) qui groupait quelques organisations ouvrières anarchistes dont la cheville ouvrière était la CNT, la plus forte organisation syndicale en Espagne. L'unité syndicale réalisée entre la CGT et la CGTU, l'afflux d'adhérents à la nouvelle CGT au travers de la vague de grèves de 1936, portait un coup terrible à cette petite organisation syndicale qui se trouvait être submergée par les événements et ne pouvait pas jouer un rôle dans le vaste mouvement de grèves. Mais le coup de grâce leur vint de l'extérieur, de la CNT qui en coulant devait la faire couler et la noyer.
Les événements de 1936 en Espagne – la participation de la CNT au gouvernement capitaliste, trahissant ainsi sa propre plate-forme anti-étatique, le massacre des ouvriers de Barcelone par le gouvernement républicain-anarchiste-stalinien, la victoire finale de Franco -devaient jeter le discrédit sur le programme et l'idéologie anarchistes, provoquer des troubles et des discussions dans leurs rangs.
Les anarchistes, se raccrochant à "l'anti-fascisme" et aux blocs "anti-fascistes", se trouvaient en bien mauvaise posture devant les autres "anti-fascistes", autrement plus rusés et plus démagogues qu'eux, qu'étaient les staliniens. Dans la concurrence à l'anti-fascisme, les anarchistes étaient battus d'avance. Dorénavant, la CGTSR végètera sans force et sans âme. La guerre de 1939, qui sera le summum, le point culminant de l'anti-fascisme, sera aussi le tombeau sans honneur de la CGTSR.
Quelques militants de l'ancienne CGTSR groupés autour de leur ancien secrétaire général, Besnard, tentent à nouveau, non pas de ressusciter la CGTSR mais de former un courant anarcho-syndicaliste dans la CGT, la FSF qui se réclame toujours de l'AIT. Leur plate-forme est l'indépendance du syndicat à l'égard des partis politiques et de l'État, l'action directe pour la défense des revendications ouvrières et la lutte contre la "Synarchie" qu'ils ont découverte pour rajeunir et introduire quelque chose de nouveau dans leur plate-forme qui est un peu vieillie.
Il est évident que ce groupe, par lui-même, par sa plate-forme, n'offre aucune possibilité réelle de reprise de la lutte révolutionnaire. Le seul intérêt qu'il présente c'est qu'il est une manifestation du mécontentement qui règne dans certains milieux ouvriers se détournant de la politique officielle de la CGT, politique de collaboration de classe et de trahison.
Ce groupe publie un journal illégal imprimé, "L'Action", et ses membres militent dans la minorité syndicaliste. Parallèlement et en étroite collaboration avec la FSF, existe un petit groupe de jeunes ouvriers qui est un peu l'organisation de la jeunesse de la FSF. C'est la JSR ! Dans le premier tract, ce groupe proclame la lutte contre la guerre, contre le militarisme, contre l'État capitaliste et pour la révolution prolétarienne. Très vague quant à sa plate-forme, à la façon propre aux anarchistes, ce groupe semble toutefois exprimer une volonté d'action révolutionnaire. "Le cri des jeunes" qu'il annonce nous permettra de mieux juger de son orientation et de son évolution.
4° – Le mouvement libertaire
Il n'est pas nécessaire de présenter aux camarades ce qu'est le mouvement anarchiste. Nous avons examiné tout à l'heure l'une de ses branches, les anarchistes syndicalistes, et ce qu'il est advenu de sa centrale syndicale.
Nous allons maintenant en quelques mots tracer l'évolution de l'ensemble de ce mouvement et la place qu'il occupe actuellement.
Avant 1939, le mouvement anarchiste était scindé en UA (Union Anarchiste) et FAF (Fédération Anarchiste Française), sans compter les groupes des anarchistes individualistes qui publiaient "En dehors" et la CGTSR qui groupait les syndicalistes anarchistes. Les événements d'Espagne de 1936-38 devaient encore provoquer des scissions entre les participationnistes et les orthodoxes anti-gouvernementaux. La guerre de 1939 a liquidé et dispersé tous ces groupements.
Les uns allaient participer à la guerre, suivant en cela la tradition de leurs aînés, Kropotkine et Sébastien Faure, qui ont accepté déjà la guerre de 1914-18 au nom de la lutte contre le militarisme prussien. Le militarisme prussien serait remplacé en 1939 par le fascisme hitlérien et la guerre impérialiste sera acceptée comme guerre de libération anti-fasciste. D'autres, comme Bernard, se retrouveront, on ne sait pas bien comment, autour du berceau de la "Charte du travail" à l'époque Pétain-Belin. D'autres encore se glorifieront d'une participation au maquis et à la Résistance.
Durant la guerre, aucune publication, aucune activité exprimant une position officielle des anarchistes ne sera faite. L'organisation aura sauté en l'air et chaque membre, en digne anarchiste, agira dans des sens opposés selon ce que lui dictera sa "conscience" personnelle.
Ce n'est qu'après la libération, en septembre ou octobre 1944, que se tiendra dans une ville du Midi de la France un congrès anarchiste, groupant tous les vestiges, tous les morceaux, résidus des anciens courants. Les anciennes divergences et divisions seront proclamées dépassées et sans intérêt. Des questions surgiront bien autour de l'attitude à prendre envers les militants qui ont participé à tel ou tel autre mouvement durant la guerre. Typiquement caractéristique aux anarchistes, ce n'est pas envers les mouvements même qu'on allait prendre une position nette, mais envers les militants qui ont participé à ces mouvements. Finalement on se rappellera juste à propos que le mouvement anarchiste est essentiellement libertaire, c'est-à-dire "libre" de tout principe, où chaque membre est "libre" d'agir comme il l'entend, n'étant responsable que devant sa conscience, et on passera à l'ordre du jour.
Du congrès ne sortira aucune ligne générale, aucune ligne politique. Sa seule œuvre sera de déclarer liquidé tout autonomisme des différents courants et groupes antérieurs, et de proclamer l'existence d'un mouvement libertaire unifié et unique.
Le mouvement libertaire d'aujourd'hui sera donc un agglomérat de toutes sortes de tendances, y compris les anarchistes individualistes.
Ce mouvement publie un journal imprimé mensuel, semi-légal, "Le Libertaire". Le gouvernement français semble le laisser faire, ne voulant pas, devant un certain mécontentement qui règne parmi les ouvriers, par une interdiction, énerver encore plus les ouvriers. Mais la raison majeure de cette indifférence du gouvernement doit être recherchée dans le contenu même du "Libertaire". L'absence d'une ligne politique se traduit par la présence dans le même journal d'une série d'articles, différant dans le ton et dans la position envers les événements. D'une façon générale, si "Le Libertaire" exprime son opposition à la guerre, ce n'est nullement en partant d'une position de classe. La guerre est considérée, dans ce journal, comme un cataclysme social dont les ouvriers, par leur passivité, sont les complices. Plus sentimental que politique, le journal ne voit de solution qu'en mettant son espoir dans l'éducation, dans la morale individuelle des ouvriers qui leur fera abhorrer la guerre. "Le Libertaire" répugne à la guerre mais d'un point de vue pacifiste et moral. Il dénoncera la guerre en général mais ne luttera pas contre la guerre concrète, réelle, existante. Aucun appel, aucune propagande aux ouvriers leur indiquant que seule leur action peut arrêter la guerre impérialiste. Aucun appel à l'action de classe défaitiste, contre la guerre impérialiste et contre la production de guerre. On se contentera simplement de maudire la guerre en général.
Sur le 2ème point central du moment, sur la fraternisation prolétarienne contre la guerre et contre le massacre du prolétariat allemand en révolte par les armées impérialistes, "Le Libertaire" est encore plus circonspect. Aucun appel à la solidarité et à la fraternisation avec les ouvriers et les soldats allemands. "Le Libertaire" se contentera de se demander dans quelle mesure le prolétariat allemand est coupable de l'agression hitlérienne et il conclura qu'il est trop tôt pour se prononcer là-dessus, l'après-guerre devant apporter une documentation qui lui permettra de définir exactement le degré de culpabilité du prolétariat allemand dans la guerre.
Comme on le voit, le gouvernement de De Gaulle serait vraiment maladroit de provoquer un énervement en prenant des mesures répressives contre un tel journal bien que, par ailleurs, ce même journal peut lui décerner de méchantes critiques et des flèches épointées. Pour être complet, il faut ajouter que "Le Libertaire" publie des appels de la SIA (Secours International Antifasciste), organisation inspirée par les anarchistes où l'antifascisme est synonyme de chauvinisme. "Le Libertaire" ne se gênera pas d'ailleurs de rappeler ses martyrs de la Résistance lesquels, s'ils ne sont pas très nombreux, peuvent tout de même servir à la rigueur comme enseigne et carte de visite.
Sur la plan syndical, l'activité des anarchistes est des plus confuses. Fidèles à la "liberté" qui leur est propre, une partie s'en désintéresse totalement, tandis que l'autre partie se divise en ceux qui participent dans le CETES réformiste et d'autre qui, au travers de la FSF, avec Besnard, participent à la minorité syndicaliste.
Le mouvement anarchiste représente-t-il vraiment un courant unitaire ? L'unité réalisée au congrès repose-t-elle, exprime-t-elle réellement une orientation unique ? Cette unité persistera-t-elle ? Rien de moins certain. Il est trop tôt encore peut-être pour dire jusqu'où et quand cette unité persistera ; mais nous pouvons affirmer sans crainte de nous tromper que cette unité -qui ne repose que sur la confusion- va à la première occasion, devant le premier problème qu'on ne pourra contourner, se briser et laisser apparaître l'opposition entre les éléments sincèrement révolutionnaires et le reste du mouvement naviguant dans les nuages de l'idéologie anarchiste et la pratique opportuniste.
Le trotskisme présente cette particularité qui, comme le caméléon, a la propriété de changer facilement de couleur. Nous le trouvons tantôt comme Ligue, tantôt comme Opposition, comme POI, comme Bolchéviks-Léninistes de la SFIO (c'était vraiment drôle, les bolcheviks de la SFIO !!!), comme PCI, comme ISR, comme PSOP et de nouveau PCI, la Seule voie et Octobre. En un mot, ils ont monopolisé à leur usage personnel tout le vocabulaire en changeant très fréquemment de nom (Dieu seul sait pourquoi !) mais ils sont restés toujours identiques à eux-mêmes : scission-unification-re-scission sur la base de la confusion commune. Pendant la guerre et l'occupation, les divers groupes qui se réclament du trotskisme et de la 4ème Internationale (sic!) défendaient au fond une et même position fondamentale avec de légères variantes. La position centrale envers la guerre impérialiste était formulée à peu près en ces termes : défaitisme révolutionnaire intégral dans les pays fascistes (c'est-à-dire chez l'ennemi de sa bourgeoisie nationale), opposition politique dans les pays démocratiques et défense nationale dans la "patrie soviétique" considérée comme faisant une guerre défensive de la révolution.
Nous ne nous arrêterons pas sur cet Internationalisme un peu particulier qui change de fond en comble selon le pays où le prolétaire se trouve et où il se fait massacrer par et pour les intérêts de sa bourgeoisie et du capitalisme mondial. Nous ne nous arrêterons pas davantage sur la 2ème position centrale des trotskistes, toujours avec des variantes, consistant à lutter pour la libération nationale contre l'envahisseur étranger. Identifiant les pays occupés aux pays coloniaux, c'est au nom du léninisme qu'on déclare que la lutte pour la libération nationale contenait un ferment révolutionnaire. La libération nationale devait servir de hors-d'œuvre , de mise en appétit pour la révolution prolétarienne. En attendant ce plat consistant qui est toujours à venir, on s'est gavé de hors-d'œuvre . Pas étonnant qu'on puisse lire dans la littérature trotskiste des appels à "la défense de notre empire colonial". C'était un peu trop épicé peut-être mais qui ne mettait pas moins en appétit. Et les trotskistes, plus que les anarchistes, ont des martyrs de la Résistance et de la libération nationale à citer. C'est leur honneur et nous le leur laissons entièrement. En 1944, nous avons assisté à une dernière (jusqu'à présent) unification de trois groupes qui a donné naissance au PCI -qui publie, comme organe central, "La Vérité".
Après les démarches et l'échec pour faire de "La Vérité" ("premier journal illégal paru dans la clandestinité" comme ils aiment à le rappeler) un journal légal, elle paraît assez régulièrement imprimée illégalement.
La position fondamentale des trotskistes n'a pas changé depuis la libération. La "Libération" nationale, qui n'a plus de raison d'être, fait place à l'épuration des vichyssois et des collaborateurs. Enfourchant le dada en vogue que le capitalisme jette aux ouvriers pour les détourner de la lutte de classe, les trotskistes se trouvent immédiatement à leur aise. Ils vont montrer comment on démasque la félonie de la bourgeoisie. Soufflant plus fort que tout le monde dans la trompette de l'épuration, ils vont, en faisant un tapage du diable, dénoncer l'État capitaliste, tel patron coupable d'avoir manqué à son devoir de bon patriote et exiger, pour lèse patrie, sa punition de la part de l'État capitaliste.
Le gouvernement De Gaulle décrète la création du Comité de gestion mixte dans les usines. Les trotskistes, immédiatement mis en joie, n'en demandent pas plus. Peu leur importe la signification de ces comités de gestion, destinés à faire des délégués ouvriers les gendarmes bénévoles du patron pour obliger les ouvriers à travailler plus et mieux, à ne pas se soustraire un instant à leur devoir de salariés-esclaves afin de produire une masse plus grande de plus-value pour leur maître, le patron capitaliste. Tout cela ne préoccupe pas notre trotskisme et, si cela le préoccupe, c'est en 2ème lieu. Pour l'instant, ce qui compte c'est la possibilité de s'agiter et de faire un peu de bruit. Et voilà les trotskistes pour les comités de gestion. D'ailleurs se rappellent juste à propos les trotskistes : Lénine n'était-il pas pour le contrôle ouvrier de la production en 1917 ? Il n'en faut pas plus pour rester un bolchevik-léniniste et être pour les comités de gestion.
Soucieux de reproduire un cliché des événements russes en 1917 -et comme le fameux singe qui met les lunettes de son maître croit pouvoir lire- les trotskistes endossent sans discernement les lunettes des bolcheviks.
L'aventure veut que ces lunettes soient sans verres et ils ne voient et ne comprennent rien à la situation. Ainsi traduisent-ils le mot-d'ordre de Lénine "Tout le pouvoir aux soviets" en un français trotskiste qui devient "Thorez, Blum et Jouhaux au pouvoir". C'est la grande trouvaille du PCI d'avoir lancé comme mot-d'ordre "Gouvernement ouvrier du PCF, SFIO et CGT".
Sur le terrain international, le PCI est un peu plus embarrassé. Il devient vraiment difficile de parler d'un "État ouvrier" en voie de dégénérescence en Russie quand cet État poursuit férocement une politique une politique impérialiste et annexionniste en Europe et en Asie. La défense de l'URSS et de l'armée rouge de la révolution est quelque peu choquante quand cette armée est la plus sûre et la plus terrible arme de massacre des révoltes ouvrières en Allemagne. Aussi le bureau européen de la 4ème Internationale a estimé nécessaire de mettre en sourdine ce mot-d'ordre de défense de l'URSS et de mettre plus l'accent sur celui de la lutte contre le stalinisme. Hier on reprochait au stalinisme de défendre trop mal la Russie, patrie de la révolution ; maintenant on reproche au stalinisme de défendre trop bien les intérêts de l'État russe. Pourquoi Dieu ne nous a-t-il pas donné une défaite de l'État russe ?! Sa victoire met vraiment trop nos pauvres trotskistes dans l'embarras.
Le PCI est aussi embarrassé devant les événements en Allemagne. Comment parler de révoltes des ouvriers et des soldats allemands sans mettre immédiatement en évidence le rôle de la Russie et de l'armée rouge ? Aussi le PCI, qui ne rate pas une occasion pour faire du bruit, est sur les événements en Allemagne plus que réservé. Il ne serait pas sans intérêt de comparer l'attitude du PCI devant les événements d'Allemagne et devant ceux de Grèce. On ne manquera pas de constater une différence très édifiante. Si, pour les événements en Allemagne, ils observent une réserve qui les faisait passer presque pour des sages, il en est tout autrement en ce qui concerne les événements en Grèce. Là on se rattrapera et d'autant plus volontiers que les intérêts de l'État russe ne sont pas tout à fait étrangers à ces événements et que ces intérêts se trouvent coïncider avec les groupes de la résistance en révolte.
Alors que les trotskistes n'ont pas vu la révolte du prolétariat italien contre la guerre en 1943, occupés qu'ils étaient avec la libération nationale et la défense de notre empire colonial, alors qu'ils ne parleront pas trop des révoltes du prolétariat allemand pour ne pas être trop gênés dans leur défense de "l'État ouvrier" en Russie, ils découvriront par contre "la première révolution populaire (?)" issue de la guerre… en Grèce. Le massacre du prolétariat et de la population pauvre de la Grèce – dont le mécontentement, dû à la situation de famine, a été dévié, canalisé dans une insurrection nationale au bénéfice d'une fraction de la bourgeoisie et des intérêts impérialistes russes – sera présenté par les trotskistes comme la révolution prolétarienne. Dans des tracts et réunions, le PCI appellera les ouvriers de France à se solidariser avec cette "révolution" et ne demandera rien moins que l'envoi d'armes pour soutenir cette "insurrection".
Comme pour l'Espagne de 1936-38, les trotskistes voleront à l'aide des "républicains antifascistes", au nom de quoi le capitalisme décimera le prolétariat. Et, tout comme pour l'Espagne, ils se trouveront pour cette œuvre en compagnie de toutes les forces "démocratiques" de la bourgeoisie et de tous les traîtres socialistes et staliniens.
Le PCI a-t-il une certaine influence parmi les ouvriers ? Et, dans le cas affirmatif, à quoi, à quelle cause attribuer cette influence ?
Il est nécessaire de se rappeler que le parti stalinien est devenu un parti gouvernemental et le plus hystériquement chauvin. Les ouvriers dégoûtés de la démagogie chauvine trouvent dans le PCI une expression d'opposition. Les partis centristes et gauche-socialistes, comme les maximalistes en Italie, le SAP en Allemagne, le PSOP en France, ont disparus et se sont fondus à nouveau, pendant la guerre, dans les partis socialistes, pour la défense de la patrie et de l'union sacrée au nom de l'antifascisme. La place de ces partis du Centre va dorénavant être occupée par le trotskisme. C'est en cela que réside la fonction et l'influence que peut exercé le trotskisme.
A ce propose et en passant, il serait peut-être intéressant de jeter un coup d'oeil rapide sur ce que sont devenus certains groupes et hommes politiques qui cherchaient, avant la guerre, à former un parti ouvrier de "gauche" en France. Le PSOP s'est complètement disloqué et son chef M.Pivert, parti de bonne heure au Mexique, a offert, dans une lettre publique, ses services à De Gaulle, rappelant que Lénine lui aussi s'est servi d'un ancien officier tsariste. Il semble que De Gaulle n'a guère apprécié cette offre et s'est bien passé des services de Marceau Pivert, ce qui n'empêcha nullement ce dernier d'être un fidèle et farouche résistant au… Mexique. Collinet, Patri, Stribe et autres anciens oppositionnels de gauche et lieutenants de M. Pivert sont aujourd'hui des grandes figures de "ceux de la Résistance" et occupent des hauts postes de rédacteurs de "La Volonté", hebdomadaire de "gauche" de la Résistance. Le petit groupe d'autres oppositionnels de gauche qui, avec Rimbert et Ferrat, publiaient avant 1939 la revue "Que Faire ?" ont enfin trouvé la réponse tant d'années cherchée par eux : dans la Résistance. Rimbert ne se demande plus que faire ; aujourd'hui il donne des conseils, tantôt aux alliés tantôt à De Gaulle, sur le meilleur moyen de régler le problème allemand, d'organiser une paix équitable et définitive, et encore bien d'autres choses fort intéressantes.
Ainsi voyons-nous le trotskisme répondre à un besoin qui s'est fait réellement sentir. Il fallait combler un vide, il fallait que quelqu'un occupât la place du centrisme restée vacante ; cette place est occupée de droit par le trotskisme.
Dans la conjoncture politique présente, on doit s'attendre même à une certaine progression du PCI?
Avec l'accroissement des mouvements révolutionnaires du prolétariat, le souffle purificateur de la Révolution, en emportant tout l'édifice capitaliste, balaiera aussi ces résidus parmi lesquels se trouvent également les trotskistes.
L'UCI est un petit groupe qu'il ne faut pas confondre avec l'ancienne Union Communiste qui publiait, avant 1939, "L'Internationale" et qui s'est dissoute depuis.
Ce petit groupe s'est formé pendant la guerre sous le nom de "Groupe Révolution Prolétarienne" (GRP) et publiait un journal ronéoté "Le Réveil prolétarien". Sincère et confus, ce groupe s'est déclaré contre la guerre mais, en même temps, il a pris position pour l'insurrection nationale en août 1944.
Depuis la Libération, le GRP devenu l'UCI publie le journal "La Flamme" dans lequel il déclare chercher à construire un programme en prenant "ce qu'il y a de bon dans tous les programmes". L'éclectisme et la confusion sont ainsi hissés à la hauteur d'un programme et c'est tout ce qu'apporte de propre l'UCI dans le mouvement ouvrier.
Après la libération, un groupe de militants ouvriers de Lyon – sans distinction bien précise de tendance mais nettement opposé à la guerre impérialiste et pour l'action directe de défense des intérêts ouvriers – a fait paraître un journal légal imprimé (Front ouvrier).
Laissant encore à désirer sur bien des points et notamment sur sa position équivoque et confuse sur l'épuration, ce journal est une expression certaine de réaction de classe des ouvriers lyonnais.
Il est symptomatique que la réaction ouvrière soit bien plus marquée et se fasse sentir davantage dans la région lyonnaise que dans d'autres régions en France. Cela est dû à la situation particulièrement mauvaise du ravitaillement mais peut-être aussi au fait que la pression des staliniens pèse moins lourdement sur les ouvriers de Lyon que sur ceux de Paris où se trouve concentré tout l'appareil politique et bureaucratique de la bourgeoisie et de ses laquais.
Les ouvriers de Lyon se trouvent, à ce jour, à la tête du combat de classe du prolétariat français. Les manifestations spontanées du mois de janvier des ouvriers de Lyon indiquent la voie à suivre aux ouvriers des autres régions qui ne tarderont pas à reprendre leur action de classe généralisée.
Un groupe de militants, rompant avec l'organisation trotskiste en 1944, se constituait sous le nom de CR et publie un journal d'agitation, "Le Pouvoir ouvrier", et une revue, "Communisme".
La rupture avec le trotskisme portait sur deux points capitaux : la lutte contre la guerre impérialiste par le défaitisme révolutionnaire dans tous les pays et la considération de l'État russe comme un État capitaliste impliquant la dénonciation de la défense de l'URSS comme position anti-prolétarienne.
Cette rupture plaçait les CR dans le camp du prolétariat comme une organisation prolétarienne révolutionnaire. Mais cela ne signifiait nullement que les CR présentaient une plate-forme programmatique susceptible d'être une contribution positive dans l'édification du programme et du Parti de la classe.
En effet, la rupture avec le trotskisme – tout en continuant à se revendiquer en bloc du bolchévisme-léninisme – laisse de côté tout le travail critique indispensable des expériences de la lutte du prolétariat entre les deux guerres, ne porte aucune réponse théorique aux problèmes qui se sont posés devant le prolétariat et dont la non-solution se concluait par toute la série de défaites de la 1ère vague de la révolution au lendemain de 1918 ; et plus particulièrement les problèmes de la tactique en correspondance avec la notion de la nature du parti et ceux des problèmes soulevés par le nouveau type d'État après la victoire de la Révolution d'Octobre ayant trait au rapport de cet État avec les autres États capitalistes, aux questions de la gestion économique après la révolution et à la violence exercée par cet État dans la classe, à l'intérieur du prolétariat.
Toute une série de positions données par la 3ème Internationale s'est avérée, au feu de l'expérience vivante de la lutte, ou incomplète, inachevée ou fondamentalement erronée ; telles les questions de la formation du Parti, le Front unique, le Parti de masse, les mots d'ordre démocratiques, la question nationale et coloniale, etc. La construction du nouveau parti du prolétariat et la victoire du prolétariat dans la prochaine crise révolutionnaire sont directement rattachées et conditionnées par l'effort de l'avant-garde et par sa capacité théorique de donner, pour le compte du prolétariat, la réponse marxiste à cet ensemble de problèmes.
Ce travail gigantesque, auquel la Fraction Italienne et la Gauche Communiste se sont attaqués depuis plus de 20 ans, n'a pas encore été abordé par le groupe CR qui, jusqu'à présent, s'est contenté de répéter fidèlement l'acquis des bolcheviks et de l'IC, y compris l'acquis des erreurs passées.
La notion de la fraction - organisme de continuité de la vie de la classe et de filiation historique entre deux périodes de la lutte émancipatrice de la classe – reste une notion complètement étrangère au CR et sur laquelle il continue à répéter les lieux communs de toujours des trotskistes. Mais cela ne l'empêche pas de reprocher violemment à la Fraction Italienne de n'avoir pas quitté le parti et l'IC en… 1921 ou 1923, considérée par le CR à posteriori comme date de démarcation historique à partir desquelles l'IC aurait passé définitivement dans le camp du capitalisme.
Dans l'activité politique du CR, nous constatons avec regret la persistance des méthodes en honneur chez les trotskistes, remplaçant le travail de l'élaboration théorique par le plus grand tapage extérieur, la discussion et la confrontation politiques par les méthodes et la pratique de la déformation de la pensée de l'adversaire et du noyautage.
Ne nous perdons pas dans les reproches, sachant bien qu'on ne passe pas impunément des années chez les trotskistes sans contracter leurs tares. Nous sommes convaincus que les militants du CR, indiscutablement éléments révolutionnaires sains et sincères, ne parviendront à faire œuvre utile pour la cause du prolétariat que dans la mesure même où ils se débarrasseront au plus vite de ces tares et du verbalisme du trotskisme qu'ils gardent encore.
Le CR lutte certes contre la guerre impérialiste, contre le mensonge de "l'État ouvrier" en Russie, dénonce tous les partis et groupes traîtres à la classe ouvrière, appelle à la solidarité internationale et à la fraternisation de tous les ouvriers, à la solidarité avec le prolétariat allemand en révolte, fait de l'agitation pour la reprise de la lutte de classe en France contre la trahison et la collaboration de la bureaucratie dirigeante de la CGT inféodée à l'État capitaliste français ; c'est là une œuvre révolutionnaire mais insuffisante. Une organisation communiste ne peut se borner à cela pour justifier son existence indépendante. Elle ne peut le faire en se référant à son activité d'agitation mais doit le prouver par sa plateforme, par son travail théorique tendant à résoudre les problèmes qui se sont posés et se posent aujourd'hui au prolétariat, et dont la solution est la condition de regroupement de la classe sur des positions plus avancées.
C'est seulement en abordant ce travail que les CR prouveront que leur existence en tant qu'organisation n'est pas une chose fortuite et qu'ils représentèrent un moment une expression réelle de la vie de la classe. Nous espérons et souhaitons que les CR comprendront leur devoir et s'attèleront au plus tôt à ce travail constructif et fécond.
L'histoire du trotskisme est une histoire de scissions et d'unifications. Nous disons cela non pas parce que nous rejetons a priori toute scission et toute unification, par principe. Les scissions peuvent être à un certain moment la seule mesure qui s'impose pour sauvegarder au prolétariat son organisme de classe, son organisation politique. Pour que des scissions ainsi comprises aient lieu, cela ne peut et ne doit, en aucune façon, dépendre de la volonté et des caprices des personnalités mais exprimer une nécessité politique, se manifestant par des divergences programmatiques principielles parvenues à leur pleine maturation, en correspondance avec la situation objective. Unification et scission ne peuvent être examinées en soi mais se relient à la conception générale qu'on a sur la nature du parti.
Ceux pour qui la construction du parti est un acte de volonté et non en correspondance avec le processus de la formation historique de la classe, ceux-là opèreront des unifications et des scissions qui seront tout ce que l'on veut mais qui n'exprimeront pas un instant la vie de la classe, parce que se situant hors du processus réel. Aussi ces scissions et ces unifications se produiront dans la pleine nuit politique et n'apporterons aucun élément, aucun acquis, aucune expérience susceptibles d'être utilisés dans la lutte de classe et dans l'élaboration du programme de cette lutte.
La méconnaissance de la notion, de la nature du parti devait amener les CR – à peine sortis du trotskisme et avant même d'affronter sérieusement l'étude théorique critique de leur propre expérience qu'ils venaient de faire – à recourir, dans l'obscurité politique totale, à une scission et à la formation d'un groupe CR dissident.
La grande confusion qui règne est la punition inévitable et méritée des CR. Nous avons donc 2 organisations qui s'intitulent CR et qui publient 2 organes s'appelant tous deux "Pouvoir Ouvrier" et dont on discerne très difficilement les positions politiques qui les divisent et justifieraient cette division. Les injures et les anathèmes proférés par les CR officiels contre les dissidents ne sont nullement faits pour dissiper la confusion et ne font qu'introduire une atmosphère irrespirable où les termes forts (charlatans, usurpateurs, etc.) tiennent lieu de termes politiques.
Notre critique politique faite au CR officiel semble s'appliquer également aux dissidents dont nous n'avons pu encore discerner une différence politique substantielle. Nous ajouterons toutefois que, si nous ne comprenons pas les raisons politiques de leur scission avec l'organisation officielle, nous réprouvons encore plus catégoriquement leur façon d'agir et leur entêtement à perpétuer la confusion en gardant et le titre de CR et le titre de l'organe "Le Pouvoir Ouvrier".
Je ne dirai que quelques mots sur la GCF. Vous avez pu – au travers de la critique faite au long de mon exposé des différents courants agissant dans le prolétariat en France – vous faire une idée sur les positions défendues par notre fraction. L'objet de cette conférence n'est pas un exposé détaillé de nos positions, mais de donner un aperçu sur le mouvement ouvrier français et les groupes qui s'y rattachent. En ce qui concerne plus particulièrement notre plateforme et nos positions, les camarades les trouveront dans notre matériel politique, dans nos publications.
Nous rappellerons seulement que la Gauche Communiste est un courant idéologique international dont les bases fondamentales s'inspirent de l'œuvre politique et de l'apport historique de la fraction de gauche qui a donné naissance au PC d'Italie et qui, du vivant de Lénine, s'est distinguée en tant que courant de gauche dans la vie de l'IC.
Le travail critique et théorique de la Fraction Italienne durant ces 25 années est considérable et porte sur tous les problèmes qui se sont posés au prolétariat international durant cette période riche en espoirs, en luttes, en expériences et en défaites.
S'inspirant de ce travail fécond et sur la base de ses positions programmatiques s'est fondée en 1937 la Fraction belge de la GC. En mai 1942, en pleine guerre impérialiste, un groupe de militants français ont publié une "Déclaration de principes" et ont crée un noyau qui s'est donné comme tâche la formation d'une Fraction française de la Gauche Communiste.
En décembre 1944, une conférence constitutive proclama la fondation de la fraction sous le nom de Gauche Communiste de France. Depuis, notre effort porte, à la fois et d'une façon indissociable, dans la participation à la lutta quotidienne du prolétariat français, lutte dans laquelle nous nous efforçons de faire pénétrer les solutions historiques de classe, et dans l'élaboration théorique de fondement du programme qui, avec la maturation des situations objectives, constituera la base du Parti de demain et de la Révolution prolétarienne.
L'examen des différents groupes et courants qui s'agitent au sein de la classe ouvrière en France fait ressortir cette première constatation, que la vague de chauvinisme – qui a noyé en août 1944 toute manifestation ouvrière – tend à décroître et que l'influence des partis chauvins diminue.
Le mécontentement des ouvriers dû à la pénurie du ravitaillement, à la poursuite de la guerre impérialiste, à l'aggravation des conditions de vie des ouvriers, ira grandissant.
Hier, le capitalisme français trouvait dans l'occupation allemande un moyen de dévier les ouvriers, de leur action de classe vers la lutte contre l'envahisseur. Ce tampon n'existe plus et le capitalisme ne peut plus rejeter sur les pilleurs étrangers le rationnement de famine octroyé aux ouvriers. Les bobards sur les vichyssois, sur la 5ème colonne s'usent chaque jour un peu plus. Les ouvriers perdent, dans la dure réalité, les illusions sur la reconstruction nationale et les réformes de structure. La tendance vers la gauche, c'est-à-dire la tendance vers la reprise de la lutte par des moyens de classe, ira en s'accélérant.
Avec le développement des mouvements révolutionnaires du prolétariat allemand, se produit un réveil de la lutte du prolétariat des autres pays et de France. Cette lutte - tout en gardant à certains moments et par endroits un caractère syndical, c'est-à-dire une lutte pour les revendications sur les lieux de travail, pour l'augmentation du salaire et la diminution de la journée de travail – s'élargira et dépassera par son contenu les cadres et la plateforme strictement syndicale pour poser des revendications plus larges à caractère social général, pour le ravitaillement, pour les vêtements, pour des habitations pour les chômeurs, pour la solidarité internationale, contre la poursuite de la boucherie impérialiste.
Dans l'orientation et la généralisation de la lutte, le prolétariat trouvera face à lui non plus le patronat mais se heurtera directement à l'État capitaliste.
La perspective internationale est le rebondissement, la recrudescence de la lutte sociale. Dans cette perspective générale, le prolétariat français reprendra sa place dans la lutte internationale des prolétaires de tous les pays, pour le triomphe de la Révolution Communiste mondiale.
Conférence faite le 5 avril 1945
Un grand progrès de centralisation du prolétariat et de sa lutte fut accompli lors de la transformation des organisations syndicales de corporations en syndicats d'industrie. Avant 1914, le mode de recrutement et d'organisation fut le métier, la profession. Cela correspondait assez à la petite production où les fabriques et ateliers ne faisaient qu'une espèce de production spécialisée. L'organisation syndicale groupait alors effectivement tous les ouvriers de l'atelier et pouvait se préparer et calculer ses chances de lutte en tenant compte de la particularité de la profession, de ses conjonctures saisonnières, des conditions propres à la profession. Ce fut l’âge d'or des chambres syndicales. Des corporations comme celle des chapeliers, des casquettiers ou des tailleurs pouvaient mener victorieusement une lutte acharnée et des grèves en pleine saison, durant des semaines. Bien connus sont les actes d'éclat du syndicat des électriciens de Paris, plongeant dans l'obscurité les grandes salles de théâtre en plein spectacle de gala.
Le développement de la grande industrie et des grandes usines à l'intérieur desquelles s'accomplit le travail de plusieurs métiers rendait cette structure élémentaire de l'organisation surannée et nuisible. L'existence dans la même usine de plusieurs syndicats professionnels luttant séparément divisait les ouvriers face à un même patronat. L'organisation par profession avait vécu.
Par ailleurs, le capitalisme opérait une concentration de ses forces. Les syndicats et les trusts d'industrie dirigeaient l'exploitation des ouvriers à l'échelle nationale. Face aux ouvriers d'une usine ne se dressait plus un patron isolé mais un consortium national. La grève dans une usine ou dans les usines d'une ville ne mettait plus le patronat dans des difficultés à exécuter ses commandes. Les usines d'une région subvenaient aux nécessités de la production que les autres usines n'étaient pas à même de satisfaire. A ces nouvelles conditions devait correspondre une nouvelle forme de l'organisation syndicale, centralisant et liant étroitement la lutte des ouvriers d'une même industrie sur l'échelle nationale. Ce fut la structure verticale de fédération d'industrie.
La crise permanente du capitalisme a modifié la vie sociale et les conditions de travail. L'économie relève de plus en plus d'un centre unique, de l'État capitaliste. La production comme la consommation, les conditions de travail, les salaires, la durée de travail sont directement réglés dans leur détail par l'État. Ce n'est plus face au patronat que les ouvriers se dressent. Face à leurs revendications qui sont de plus en plus sociales, ils trouvent les ministres et leur prolongement local, le préfet et autorités étatiques locales.
La lutte ouvrière cesse d'être conditionnée par la situation particulière de leur branche d'industrie mais est conditionnée par la situation sociale générale se subdivisant en situations régionales.
L'ouvrier métallurgiste de Marseille a plus de commun avec le docker ou le maçon de sa région qu'avec le métallurgiste de Lille. Aussi observons-nous le fait caractéristique de luttes présentes éclatant et embrasant non des branches d'industrie mais prenant l'aspect de grèves générales par localité et par région.
A ce nouveau stade de la lutte doit correspondre une nouvelle structure de l'organisation. C'est la structure horizontale. Elle groupe et relie les ouvriers sur leur lieu de travail et de localité. Au travers de ces organisations de base, par leur comité directement élu et sous le contrôle constant de tous les ouvriers s'établit la liaison immédiate et directe coordonnant la lutte des ouvriers sur le plan local, régional et national. Cette structure n'est pas une invention artificielle. Son principe se trouve déjà ébauché dans les luttes récentes en France.
Cette structure ne signifie pas la disparition de l'organisation syndicale. Elle ne fait que rendre plus efficace l'organisation en vue de la lutte dans une situation nouvelle plus avancée.
Le syndicat d'industrie a nié la structure professionnelle-locale. La structure horizontale est au syndicat d'industrie ce que ce dernier était au syndicat de profession. En le dépassant, il revient à la base locale sur un plan plus avancé.
Dans ce domaine aussi s'accomplit un processus dialectique suivant et traduisant le cours dialectique de la vie.
Devant une situation indécise et chaotique résultant de la défaite de la première vague révolutionnaire de 1917, en Europe particulièrement, le Comité exécutif élargi de l'IC, après le 3ème congrès, s'est réuni pour examiner cette situation et en tirer la tactique appropriée.
Les masses sont fatiguées ; elles subissent l'assaut du capitalisme doublement, par la répression et le chômage qui donne à l'ennemi de classe une armée industrielle de réserve allant toujours croissant et permettant de plus en plus une réduction du niveau de vie.
La classe ouvrière n'est pas encore rassemblée autour de l'IC comme le prouvent les expériences d'Italie et d'Allemagne ; pourtant elle manifeste un désir d'unité et dessine une volonté à rassembler ses forces pour un nouvel assaut.
Quelles sont les organisations qui polarisent les masses opprimées ? Dans le camp du prolétariat, l'IC ; dans le camp de la bourgeoisie, la 2ème internationale. Il y a donc une partie de la classe ouvrière qui continue à s'illusionner sur le caractère prolétarien des PS. C'est cette masse travailleuse qu'il faut arracher à l'influence des social-patriotes. Voilà la tâche de cette conférence.
La tactique ne sera pas conséquente des idées maîtresses de la Révolution d'Octobre. Elle pose comme point premier la question de l'unité prolétarienne ; il faut satisfaire ce désir de la classe ouvrière. Comment ? En le groupant le plus possible sur un programme minimum dans des actions quotidiennes, en démasquant les PS. C'est sur cette opération de démasquage que l'IC fait la fausse manœuvre.
Au lieu de démasquer le caractère contre-révolutionnaire des PS par la concrétisation du programme minimum dans la lutte de tous les jours, l'IC invite les sections nationales à proposer des actions communes aux PS même en dehors du programme minimum. Ainsi, disent-ils, si les partis traîtres refusent l'action commune, c'est eux qui paraîtront aux yeux du prolétariat comme les scissionnistes de la classe ouvrière ; et s'ils acceptent, de par leur nature et fonction contre-révolutionnaires ils se démasqueront pleinement au cours de la lutte.
La Conférence résumait justement, dans cette nouvelle tactique, une transformation de la nature du parti et de l'Internationale puisqu'elle pose comme condition d'adhésion au parti le programme minimum, tendant ainsi à considérer que l'unité prolétarienne autour de l'IC est fonction de l'élargissement à la classe entière du parti (parti de masse) avant la révolution et malgré le capitalisme au pouvoir.
Octobre 1917 avait prouvé que, même après la révolution, le parti avait à disputer l'influence, dans la classe ouvrière, à la bourgeoisie. Cette nouvelle tactique déformait la signification et l'enseignement de la Révolution russe et se donnait non pas la révolution comme but immédiat posé par la situation mais l'intégration des masses ouvrières dans le parti.
Pour ce qui est du démasquage des PS, le premier mouvement de méfiance de l'Internationale jaune n'a pas donné les résultats qu'on escomptait. Bien au contraire elle a permis de réduire le programme minimum d'action commune à sa forme la plus désossée et d'introduire des mesures réformistes qui achevaient de neutraliser les derniers éléments proprement révolutionnaires qui restaient dans le programme.
Une fois ce premier travail achevé, même dans l'action commune, les PS n'ont pas été démasqués car l'unité artificielle, réalisée en dehors des critères proprement de classe, a donné à des partis traîtres une auréole révolutionnaire qui leur a permis de freiner en sous-main l'action indépendante du parti.
Et quand les PC protestaient, les partis traîtres pouvaient impunément dire à la classe ouvrière que l'unité était en danger par la faute des communistes.
C'était un cercle vicieux dans lequel l'IC s'était introduite. L'unité de la classe ne réside pas dans le rassemblement de la classe indépendamment du programme révolutionnaire et uniquement sur des actions communes sans rattachement direct au but final.
Voir dans un front unique avec les organisations traîtres, les PS, la possibilité d'unité prolétarienne, c'est tomber dans cette erreur ; et pour détacher les masses restées attachées aux PS, il était faux de poser le démasquage sur le respect ou non du front unique par les PS et non sur la clarification de la conscience de classe au travers des luttes qui auraient pu unir tous les ouvriers par-dessus les PS.
C'est parce que le programme minimum était révolutionnaire qu'il fallait à tout prix le maintenir en dehors du front unique. La révolution allemande de 1923 a prouvé que les masses avaient atteint le niveau du programme minimum et voulaient le dépasser pendant que le parti avait encore sa lutte sur la mixture programmatique du front unique. Il y avait un décalage entre les masses et le parti mais cette fois-ci le parti était en arrière des masses.
Même quand la révolution allemande de 1923 éclata, le parti, dirigé sur la nouvelle nature du parti découlant du front unique, ne put saisir le caractère de révolution des mouvements de l'époque, n'ayant pas encore assemblé dans son sein la presque totalité de la classe ouvrière.
Ainsi le résultat de la révolution pour ce qui avait trait au parti devenait la condition nécessaire pour la révolution. Le parti de masse n'avait pas rassemblé tout le prolétariat ; et par l'introduction dans son sein d'éléments groupés uniquement sur le programme minimum, nous assistons à une diminution de la puissance combattive du parti et au développement de l'opportunisme et de la confusion dans le parti.
Le 4ème congrès de l'IC accentua cette nouvelle tactique. Le 5ème congrès, devant les résultats désastreux du front unique aurait dû remettre en question cette tactique. Zinoviev se contente de rejeter la faute des échecs de la classe ouvrière non sur la tactique mais sur la mauvaise application de la tactique due aux thèses du 3ème congrès écrites par Radek. Il attaqua violemment Radek pour proposer ensuite que le front unique soit pratiqué non seulement à la tête mais aussi à la base.
Les PC italien, français et espagnol s'étaient déjà opposés à une telle tactique à la conférence du Comité Exécutif élargi.
Au 5ème congrès, Bordiga et Rossi critiquèrent de nouveau cette position, déclarant entre autres que les militants révolutionnaires et même les ouvriers acquis au PC ne comprenaient pas cette politique qui obscurcissait leur conscience et les rendait méfiants. Ils ne considéraient qu'un seul front unique possible : à la base, sur le lieu du travail, par-dessus la direction des PS traîtres.
La différence entre le 4ème et le 5ème congrès de l'IC réside uniquement dans le fait qu'au 4ème le front unique n'était pratiqué que par la tête, et au 5ème on devait le proposer aussi à la base.
La révolution chinoise devait, hélas, continuer à démentir cette tactique. Le front unique par la base permit de concrétiser révolutionnairement les révoltes sourdes des ouvriers et des paysans qui se regroupèrent autour du PC. Le front unique par la tête permit à Tchang Kaï-Chek de contrôler l'activité du PC, de pratiquer un freinage de l'action révolutionnaire des ouvriers et paysans à l'aide de la petite-bourgeoisie, par la création de l'unité de la résistance au régime impérial pourrissant.
Ainsi un nouvel impact du front unique se concrétisera pleinement : la bourgeoisie pouvait s'immiscer dans les leviers de commande du parti et contrôler son action.
Des centaines de milles de chinois assassinés ont payé cette erreur de tactique de l'IC.
Cette tactique, la GCI l'a combattue à l'intérieur de l'IC et dans l'opposition dès 1927. L'expérience de l'accord anglo-russe est venue encore une fois confirmer que les masses avaient dépassé le programme minimum du parti pendant que le parti demeurait sur un programme encore plus minimum et réformiste en raison de son front unique avec les trade-unions.
C'est cette forme de front unique défini par les 5ème et 4ème congrès de l'IC que la GCI condamne et pose comme question de principe le rejet, pour le parti, d'une telle tactique.
Nous traiterons dans un prochain article de la question du front unique syndical et du front unique à la base.
Sadi
La période qui s'ouvre après la cessation des hostilités en Europe présente, pour les pays comme la France (pays vidés de toute leur puissance industrielle, soit du fait de l'expropriation du capitalisme occupant, soit du fait des bombardements), certains caractères spéciaux qui, s'ils ne sont pas nouveaux, sont beaucoup plus accentués qu'en 1918.
La crise qui s'ouvre en Europe prend deux aspects qui semblent contradictoires. D'un côté on assiste à un développement du chômage et du chômage partiel (en France, on compte plus de 3.000.000, non compris les prisonniers et ouvriers déportés), les salaires ont tendance à se stabiliser tandis que le coût de la vie augmente sans cesse.
D'un autre côté le capitalisme se trouve dans l'impossibilité de réarmer ses industries par suite du manque non seulement de capitaux mais aussi de débouchés (le capitalisme américain n'entend pas être gêné par les petits concurrents, la loi prêt et bail cesse avec les hostilités).
En rapport avec ces deux aspects, la photographie de la crise du capitalisme ne va plus s'exprimer par un amoncellement de richesses non vendues à côté d'une masse sans pouvoir d'achat. Les quelques rares privilégiés qui trouveront encore du travail dans les quelques usines ouvertes, le jour de leur paye toucheront un salaire si ridiculement faible que l'on assistera même à une désertion de l'usine vers des occupations telles que le marché noir et la petite combine.
L'expression de la lutte classe va de plus en plus perdre son caractère de revendications économiques pour se concrétiser de plus en plus sur le terrain social.
L'antagonisme capital-travail ne s'effectuera plus entre patron et ouvrier masquant ainsi l'État capitaliste mais bien plus ouvertement entre les masses affamées et le gouvernement.
Mais devant cet éloignement de la classe ouvrière de son lieu de travail, donc de sa première forme organisée, un danger se dessine déjà du fait de l'éparpillement des travailleurs. Quelle est l'organisation unitaire de la classe ouvrière qui pourra regrouper le prolétariat ?
Dans la période actuelle, nous ne trouvons que le syndicat, une des premières expressions conscientes de la lutte de classe. Mais ses possibilités et sa tâche sont directement conditionnées par la reprise de l'activité industrielle et la concentration ouvrière dans les usines.
Si le 2ème congrès de l'IC pouvait attribuer aux grèves, et par là aux syndicats, une force dans la marche à la révolution, il faut se rappeler la reprise de l'activité au lendemain de la guerre 1914-18 malgré la crise de 1920.
Aujourd'hui on ne peut plus parler de reprise de l'activité devant la crise (???) du charbon, ainsi que devant la disparition de débouché d'écoulement du capitalisme européen. Alors les syndicats voient leur possibilité d'action réduite à un petit nombre d'ouvriers travaillant encore.
Les grèves actuelles, par leur manque d'ampleur et le limité de leur lutte, ne peuvent être considérées que comme des expressions secondaires préludant à la formidable lutte de classe de demain.
La tâche des syndicats se trouve encore plus réduite du fait de leur inféodation toujours plus poussée à l'État capitaliste. En 1918, à la sortie de la guerre, les syndicats conservent une autonomie pleine malgré la trahison de la direction qui avait essayé de s'infiltrer dans les rouages de la machine étatique capitaliste.
Aujourd'hui cette inféodation est chose faite à l'échelle nationale et internationale.
Sur le plan national, nous voyons les syndicats réclamer des places dans l'assemblée consultative et les obtenir. Aux élections municipales des listes CGT ont été présentées et élues. On parle de plus en plus de faire entrer la CGT dans les combinaisons gouvernementales.
Sur le plan international, la Conférence de Londres ainsi que le Bureau International des syndicats de San Francisco demandent à assister à la Conférence des Nations Unis ainsi qu'à la Conférence de la Paix, et vont jusqu'à préconiser ce qu'ils appellent un contrôle de l'emploi de la main-d’œuvre mondiale sous leur direction, qui se soldera en définitive par un nouveau masquage des horreurs capitalistes.
Sur le plan de la lutte quotidienne, les ouvriers employés tendent de plus en plus à abandonner la lutte pour les salaires (voir les grèves du Nord) pour orienter leurs efforts vers un meilleur ravitaillement.
La revendication pour une plus rapide épuration relève plus de l'adjonction apportée par les partis traîtres (PS, PC) que de la volonté des ouvriers.
Mais, fait plus grave pour le capitalisme, la lutte ne demeure plus dans le cadre étroit de l'usine ou de la branche d'usine mais s'élargit à toute la classe ouvrière localement, éliminant ainsi la démagogie du patron salaud et de l'État arbitre impartial.
Les cris de "A bas Ramadier!" ou de "Pétain au poteau!" indiquent un début de prise conscience face à la vraie nature d'instrument de domination capitaliste qu'est l'État.
On se rendra compte donc de l'insuffisance des syndicats comme arme du prolétariat dans la période présente et à venir. Le cadeau que la bourgeoisie a donné au prolétariat le jour de la "libération" de la France est devenu une arme tellement amenuisée pour les masses de travailleurs que, devant l'indifférence de ces dernières à réintégrer les syndicats, l'avant-garde se doit de lutter contre cette indifférence pour ne pas laisser de côté même une arme si affaiblie, surtout face à l'inexistence d'une nouvelle forme d'organisation unitaire de la classe ouvrière.
Mais la tâche de l'avant-garde dans la période montante actuelle est d'analyser sur quel point concret se manifeste le mécontentement de la classe ouvrière en vue de son regroupement futur sur des bases qui la libéreraient de l'étroitesse des cadres idéologiques syndicaux, sans pour cela poser une opposition entre la nouvelle et l'ancienne organisation unitaire du prolétariat.
L'indifférence des travailleurs en matière de revendications syndicales ainsi que la faillite des minorités syndicales qui tendent à regrouper les masses contre la politique des bonzes syndicaux, l'existence de la majorité des ouvriers hors des usines, la crise qui disloque l'équilibre du contraste capital-travail, font ressortir la nécessité de poser comme point de départ des luttes de classe futures les contradictions sociales et non plus les contradictions purement (…) de l'usine.
Le prolétaire sent fort bien actuellement que sa lutte sur le lieu de travail perd de sa puissance car il est amené à faire la corrélation entre l'usine et l'ensemble de la situation sociale.
Réclamer une augmentation de salaire à son patron ne résout pas le problème du ravitaillement ; ce n'est plus face à son patron qu'il s'oppose mais surtout face au gouvernement qui maintient la famine et face à la guerre, prétexte donné à la famine.
La lutte rompt les cadres de la spécialisation ouvrière ainsi que ceux de la branche d'industrie, pour lier la lutte non seulement de l'ouvrier mais de la ménagère aussi et du chômeur, car tous les trois trouvent devant eux un ennemi commun, indépendant en apparence de l'élévation du salaire ou de l'allocation du chômage : le ravitaillement.
Et ce rationnement est directement imputable, pour l'ouvrier, à l'État, à la guerre et à tout ce qui soutient l'État capitaliste.
De plus en plus se pose à l'avant-garde le problème d'une nouvelle organisation unitaire de la classe ouvrière pour ne pas laisser dans l'anarchie, dans l'éparpillement les forces de révoltes contre l'État.
Supposer que cette nouvelle organisation jaillit spontanément de la lutte avec l'ampleur qu'ont pris les Soviets empêche l'avant-garde de regrouper le prolétariat, les syndicats se liquidant de plus en plus.
Les conditions de la nouvelle organisation sont posées et c'est seulement ce facteur qui était indispensable à l'initiative révolutionnaire.
La tâche de l'avant-garde, dans la période présente, revient donc - tout en ne négligeant pas le travail syndical qui ne touche hélas que les ouvriers travaillant – à chercher dans les manifestations de classe l'organisation susceptible de rassembler toute la classe ouvrière (chômeurs et non chômeurs), capable de lui permettre d'aborder les problèmes qui présentement l'intéressent en tant que classe pour l'opposer à l'État.
L'organisation ne devra plus prendre comme assise le lieu de travail seulement mais aussi et surtout le lieu de concentration prolétarienne ; le problème de la lutte de cette organisation ne repose plus sur l'antagonisme ouvrier-patron mais sur l'antagonisme prolétariat-État.
Quel que soit le nom de cette nouvelle organisation unitaire de la classe ouvrière, sa caractéristique sera essentiellement sociale, car dans la période de décadence du capitalisme, devant la crise permanente, l'État tend à donner des solutions sociales et non économiques pour le maintien bien fragile du capitalisme. La classe ouvrière se trouve portée à lutter contre ces solutions sociales pour imposer, au travers de l'avant-garde, les siennes.
Du fait du déplacement de l'axe de la lutte ouvrière du lieu de travail au milieu social, la nouvelle organisation doit présenter une structure horizontale liée au secteur et non à la branche d'industrie (localité et non bloc d'industries semblables), la généralisation des contrastes sociaux accentuera et aidera à la centralisation de la structure horizontale.
S.
Cette guerre présente par rapport à celle de 1914-18 des points très caractéristiques de différence.
D'un côté nous nous trouvons en présence d'une bourgeoisie avertie qui a su tirer les leçons des mouvements ouvriers de 1917 en Russie et 1918 en Allemagne. Ainsi une des tâches à laquelle elle s'est consacrée le plus machiavéliquement a consisté dans la destruction idéologique et physique des organisations ouvrières par la répression bestiale et nue et par la démagogie nationaliste et démocratique.
La Russie, dans cette période, a été le premier bastion ouvrier que le capitalisme a jugé nécessaire de réduire par les armes et par les accords économiques, accentuant la dégénérescence de l'Internationale jusqu'à ce que, pour la prolongation d'un accord économique avec l'Allemagne en 1933, l'Internationale se soit liquidée en tant qu'organisation idéologique du prolétariat.
Depuis, la Russie est entrée dans le camp de la bourgeoisie ; et, d'arme de la classe ouvrière qu'elle était, elle est devenue le meilleur instrument capitaliste de duperie et d'enchaînement des masses opprimées à la guerre.
D'un autre côté, devant l'immense désarroi de l'avant-garde révolutionnaire par rapport à l'IC et le travail énorme de vérification, d'étalement des valeurs révolutionnaires qui lui incombait face à la décapitation idéologique de la classe ouvrière, elle a eu beaucoup de peine à redresser la pensée marxiste et à reprendre le chemin de Lénine, ce qui fait qu'elle n'a pu jouer en 1933 le rôle de pôle attractif.
Mais, même dans l'avant-garde révolutionnaire, la période de reflux qui va de 1933 à 1939 a été impitoyable dans l'élimination des éléments opportunistes sans pour cela permettre encore une prise réelle de conscience. La GCI, qui pourtant avait résisté à l'écueil de la guerre d'Espagne en démasquant immédiatement son caractère capitaliste, dès 1936 se fourvoie dans une perspective de révolution qui fait qu'à la déclaration de la guerre la fraction se trouve surprise, dépassée et disloquée organisationnellement.
Ainsi, dans cette guerre, contrairement à la fraction bolchevik en 1914, la GCI est incapable pendant 2 à 3 ans de remplir son rôle d'avant-garde révolutionnaire.
N'étaient la volonté de ses militants, la solidité de ses analyses et des leçons tirées de l'expérience ouvrière de 1917 à 1938 (malgré certains retards tels que la théorie de l'État prolétarien dégénéré en URSS), la GCI aurait sombré laissant ainsi sans appui idéologique tous les mouvements révolutionnaires qui doivent sortir de cette guerre.
Le pont entre la période de flux de 1917 et celle d'aujourd'hui n'aurait pu exister, ce qui se serait soldé par une confusion dans l'expression de lutte du prolétariat.
On se rend compte de la valeur de ces hypothèses au travers de l’effort continu et souvent lésé par la répression, et celle des résultats de la GCI, depuis son regroupement qui s’est exprimé par la cristallisation d’un noyau français sur la base de la GCI jusqu’à l’existence de groupements révolutionnaires confus tels que les CRF qui n’ont leur signification qu’au travers du travail anarchique du noyau français dans la discussion, l’élaboration et la propagation de la politique et du programme issus des principes de la GCI.
Tout le travail idéologique des RKD, qui a servi de base au CRF, est confus, hétéroclite mais possède indéniablement le caractère révolutionnaire. Si, jusqu’en 1944, ce programme connu par nous n’a pas été révisé par ces groupements, c’est dû entièrement à notre attitude envers eux et à notre ridicule façon de répondre à la discussion par les mêmes méthodes confuses et hétéroclites qui ont caractérisé l’élaboration de leur programme.
Si aujourd’hui ils sont arrivés à déclarer d’eux-mêmes la nécessité de réviser certaines parties de leur programme -les plus importantes- ce n’est encore pas grâce à l’expérience de la GCI mais surtout grâce à la volonté révolutionnaire de ce groupement qui, tout en tâtonnant et présentant des excès, cherche à rattraper le retard sur la situation.
Que devons-nous faire aujourd’hui ? Continuer dans cette voie anarchique en théorisant des incapacités en principe ?
Nous pensons que non, car le travail de formation des cadres qui nous incombe est fonction de la netteté des problèmes à discuter et de la clarté de la discussion. Cette discussion et ce travail en général ne se font pas en champ clos mais bien dans le prolétariat et avant tout parmi ses éléments avancés.
Ce travail ne se comprend pas dans le sens scolastique et professoral mais s’intègre, épouse, agit avec la classe ouvrière.
La dislocation des éléments idéologiques confus des CR et RKD ne s’effectuera qu’en fonction de la lutte de classe, non pas isolément, chacun dans sa tanière, mais tantôt séparés tantôt marchant parallèlement, pour leur faire profiter de notre expérience politique et les aider à se débarrasser du manteau de confusion qui les habille, au travers de cette lutte de classe qui est là pour vérifier notre expérience.
Ce n’est pas un travail de démasquage de ces organisations face à la classe ouvrière mais une tâche s’intégrant dans la nécessité de faire rattraper au prolétariat le retard qu’il a par rapport à la situation actuelle.
Attaquons la confusion le plus durement possible mais ne négligeons pas le travail d’apport révolutionnaire ; et surtout ne jouons pas aux aveugles qui cherchent à tâtons la classe ouvrière et qui ne la trouvent pas parce que nous avons jusqu’à aujourd’hui « jeté l’écorce avec le fruit », la confusion avec les éléments essentiellement révolutionnaires, au lieu de nous atteler à la tâche de briser l’écorce pour mieux faire mûrir le fruit.
Voilà pourquoi la CE a jugé utile la réunion d’une conférence internationale avec tous les groupes révolutionnaires marxistes. Les critères marxistes à l’heure présente sont donnés par les 4 points suivants :
Cette conférence a comme tâche de permettre la connaissance de l’acquis révolutionnaire dans le prolétariat (car ces groupes peuvent être considérés comme des manifestations spontanées de la classe ouvrière en raison de la manière dont ils se sont formés, sans liens avec l’expérience de 1917) au travers de l’élaboration d’une résolution sur la situation et les perspectives.
Une fois cet acquis posé clairement, les tâches politiques divergentes orienteront la discussion vers la clarté d’une façon féconde. Cette discussion, une fois embrayée sur le terrain expérimental des mouvements de classe, donnera à chaque instant la mesure de la maturation du prolétariat et permettra la concentration des énergies révolutionnaires dans l’action sur les points d’où jailliront la guerre civile et la révolution.
De plus, un bureau de liaison et d’information sera créé, permettant de prendre les mesures nécessaires à la continuation de la discussion, seule garantie de la lutte de demain en raison du retour en Allemagne des RKD et en Italie de la GCI.
Nous savons déjà que certains théoriciens de la GCI ont qualifié notre position d’opportunisme et cette conférence d’essai de constitution d’une Internationale 4¼.
Opportunistes, nous ne le croyons pas; ou alors il faut démontrer que la volonté de combattre la confusion et non de la rejeter simplement au nom des principes, que la nécessité d’asseoir cette discussion sur les mouvements présents et futurs afin de faire reculer la confusion dans les rangs de la classe ouvrière est de l’opportunisme.
Ce que nous demandons ce n’est pas des critiques partisanes mais une sérieuse volonté d’éviter le plus possible les faux-pas, là et dans la lutte de demain, par des actions indépendantes ou communes mais toujours momentanées avec les CRF et les RKD; nous pourrons vérifier nos armes et aider ces organisations à clarifier leur position parce que la situation répondra dans notre sens si nous avons vu juste et agi de même.
L’opportunisme ne se soucie pas du cours historique et ne tient compte que des contingences du moment ; nous, nous continuerons à considérer l’histoire seule, juge et inspiratrice de notre action.
L’opportunisme recherche des actions communes et des compromis en fonction du moment seulement et en acceptant de mettre de côté le but final, en concentrant uniquement la lutte sur des étapes ; nous faisons au contraire découler nos actions de certains critères vérifiés par l’histoire et en fonction du but final, en le posant toujours à l’ordre du jour.
Pour ce qui est de qualifier cette conférence « d’essai de constitution d’une Internationale 4¼, nous préférons ne pas nous hasarder sur le terrain de la prophétie, car voir dans un bureau de liaison et d’information pour la discussion un bureau politique de la classe ouvrière internationale, c’est un peu trop tôt (il a fallu un an pour que Zimmerwald se transforme en Kienthal) ou avoir lu ceci dans les astres.
Ce que demain réserve à ce bureau, seules les discussions qui s’effectueront le diront ; et s’il donne naissance à une Internationale 4¼, c’est que nous ne serons plus dedans, les CR et les RKD probablement aussi.
Sadi
Nous publions ci-dessous un document qui date d’un an et demi. Écrit et présenté par le groupe de M. un an avant la conférence constitutive de la Fraction Française de la Gauche Communiste, ce document présente aujourd’hui encore tout son intérêt.
Il indique d’une façon nette l’esprit avec lequel notre organisation entend aborder le grave problème du regroupement des forces révolutionnaires en France, en se gardant d’un sectarisme stérile autant que d’unification et de blocs sans principes propres aux opportunistes, que des méthodes de noyautage et de grignotage. C’est par la discussion politique, par la confrontation critique constante des positions principielles que les groupes et militants révolutionnaires parviendront à faire œuvre utile et féconde, en dégageant les bases programmatiques pour la fondation du futur parti.
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La découverte de votre existence en tant qu’organisation a été, pour nous, la source d’un réel réconfort. Réconfort, parce que se vérifie, dans les faits, enfin l’hypothèse que nous avons émise, il y a longtemps déjà, selon laquelle, au fur et à mesure que, d’une part, mûrirait la situation et que, d’autre part, deviendrait plus apparent et plus néfaste le désarroi, la confusion et la trahison des organisations qui prétendent former l’avant-garde, se dégageraient de leur sein des forces et des militants qui considèreraient que la première condition pour réaliser la rupture avec la bourgeoisie, c’est d’abord de briser avec les formations qui, consciemment ou non, sont à son service.
Quelles que soient les conclusions à propos de l’analyse de la situation et des tâches qui selon vous en découlent, vous serez certainement d’accord avec nous pour dire que nous nous trouvons maintenant à la veille d’événements qui pourront être gros de conséquences et au cours desquels sera mis en jeu le sort de la révolution pour les plus proches années. Nous assistons à une maturation de plus en plus rapide des facteurs objectifs et, en même temps, nous devons enregistrer le retard des facteurs subjectifs, la prise de conscience par les prolétaires des divers pays, de leur mission historique, et l’extrême faiblesse, le manque de cohésion et de préparation de l’avant-garde révolutionnaire sans laquelle les mouvements de demain seront noyés dans le sang et arrachés du terrain de classe, comme ils le furent en Espagne en 1936 et, plus près de nous, en Italie il y a quelques mois.
La tâche essentielle, urgente, est donc l’édification, dans les principaux pays, de l’organisation révolutionnaire, embryon du nouveau parti, et la liaison à l’échelle internationale.
Cette édification, nous sommes convaincus qu’elle devra passer -pour obtenir un résultat certain et durable- par le stade des fractions communistes de gauche, c’est pourquoi nous nous sommes, quant à nous, appuyés sur l’armature principielle dégagée par la Fraction Italienne de la Gauche Communiste au cours des 20 dernières années d’élaboration critique, d’étude et de lutte contre l’opportunisme. Nous ne sommes pas de ceux qui recherchent une formule d’organisation plus ou moins originale, plus ou moins démocratique, dont la stricte application mettrait ses inventeurs à l’abri de la dégénérescence et leur assurerait une vie longue et féconde. La fraction n’est pas pour nous un système de structure organisationnelle mais elle est le seul lien où peut subsister la conscience ouvrière au moment où la chute du parti dans l’opportunisme et son passage du côté de la contre-révolution marquent la disparition du prolétariat, en tant que classe, de l’arène politique. C’est alors dans la fraction exclusivement que peuvent être tirées les leçons d’une expérience ayant abouti à la défaite, leçons qui constitueront les matériaux nécessaires pour une nouvelle mise au point des principes, pour continuer la refonte permanente du programme et de la tactique révolutionnaires. C’est enfin la fraction qui donnera naissance au parti lorsque seront réalisées les conditions nécessaires :
1°- le programme et la tactique s’appliquant à la nouvelle situation,
2°- l’ébranlement des rapports des classes, marquant le passage du prolétariat de l’état de catégorie économique à celui de classe consciente.
Nous avons pu prendre connaissance de quelques numéros de votre organe et regrettons de ne pas posséder des documents théoriques de vous qui nous permettraient de nous rendre mieux compte de vos positions de principes sur les problèmes primordiaux. Néanmoins, votre journal marque une nette volonté de rupture avec la guerre impérialiste, le capitalisme sous toutes ses formes -ses formes démocratique, soviétique aussi bien que fasciste- et tous les soutiens de la bourgeoisie : débris social-impérialistes de la 2ème Internationale, social-chauvins du stalinisme, du côté de la 4ème Internationale mort-née, opportunismes et courant anglophile, centristes rétrogrades partisans de la défense de l’URSS, confusionnistes de la gauche « orthodoxe », sans parler du Bureau de Londres, nouvelle opposition de Sa Majesté britannique, et des derniers vestiges de l’anarchisme qui accommode très bien leur conception anti-étatique avec le soutien des États impérialistes les plus rapaces.
Votre indépendance vis-à-vis de toutes ces formes de la contre-révolution nous engage à vous proposer une prise de contact en vue d’établir une liaison suivie entre nos deux organisations dans les buts :
1° de prendre connaissance des positions programmatiques respectives, de déceler et discuter les divergences qui nous séparent ou peuvent nous séparer, plus particulièrement sur les problèmes suivants :
2° d’examiner la situation actuelle, les perspectives et l’édification du parti de classe de demain ;
3° de préparer, avec les fractions italienne et belge de la Gauche Communiste et les RKD, la réunion d’une Conférence de liaison internationale.
Recevez, camarades, nos salutations communistes.
N.F. (groupe M.)
Janvier 1944
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NOUS SOMMES ENTOURES D’ENNEMIS DE TOUTES PARTS ET IL NOUS FAUT MARCHER PRESQUE CONSTAMMENT SOUS LEUR FEU. NOUS NOUS SOMMES UNIS EN VERTU D’UNE DECISION LIBREMENT CONSENTIE AFIN DE COMBATTRE NOS ENNEMIS ET DE NE PAS TOMBER DANS LE MARAIS VOISIN DONT LES HOTES N’ONT CESSE DE NOUS BLAMER D’AVOIR CONSTITUE UN GROUPE SPECIAL ET PREFERER LA LUTTE A LA CONCILIATION. OR, VOILA QUE CERTAINS D’ENTRE NOUS VIENNENT NOUS DIRE : ALLONS DANS LE MARAIS ! ET SI L’ON ESSAIE DE LEUR FAIRE HONTE, ILS REPLIQUENT : QUELLE SORTE DE GENS ARRIERES VOUS ETES ! N’AVEZ VOUS PAS PEUR DE NOUS DENIER LA LIBERTE DE VOUS INVITER A SUIVRE UNE VOIE MEILLEURE ? OH OUI, MESSIEURS ! VOUS ETES LIBRES NON SEULEMENT DE NOUS INVITER MAIS D’ALLER OU BON VOUS SEMBLE, FUT-CE DANS LE MARAIS ; C’EST LA D’AILLEURS QU’EST VOTRE VERITABLE PLACE ET NOUS SOMMES PRETS A VOUS AIDER A Y TRANSFERER VOS PENATES. MAIS ALORS, LACHEZ-NOUS LA MAIN, NE VOUS ACCROCHEZ PAS A NOUS ET NE SOUILLEZ PAS LE GRAND MOT DE LIBERTE PARCE QUE, NOUS AUSSI, NOUS SOMMES “ LIBRES ” D’ALLER OU BON NOUS SEMBLE, LIBRES DE COMBATTRE LE MARAIS ET CEUX QUI Y BARBOTTENT… Lénine (Que faire ?) |
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En toute période, la lutte implacable de classe use, à la longue, ses combattants. Les grandes défaites et la période qui les suit accusent une usure non seulement physique du prolétariat mais provoquent encore un terrible désarroi dans les rangs du parti de la révolution. En plus de la fatigue, le doute, le manque de confiance s’emparent des militants. Les uns se retirent temporairement ou définitivement de l'organisation de combat, les autres se détournent de l’idéal et du programme révolutionnaires pour s’accrocher à des idéologies anciennes ou nouvelles. Souvent ce n’est qu’une minorité qui a la force de se livrer à l’examen des causes de la défaite et à celui de la situation nouvelle pour corriger et enrichir, de par l’expérience vivante, le programme – arme et condition de la victoire de la révolution.
Le pire danger qui, en de telles périodes, guette le prolétariat et son avant-garde, c’est la manifestation d’une tendance qui, sous prétexte de la liberté de réexamen, révise les fondements théoriques et programmatiques acquis, vérifiés au feu des expériences des luttes passées du prolétariat. A la place du renforcement et du dépassement des positions politiques acquises, les situations nouvelles leur servent de tremplin pour ramener l’avant-garde et le prolétariat en arrière, en deçà de ses positions acquises.
L’accusation de dogmatisme figé, d’orthodoxie morte, contre ceux qui restent fidèles aux principes est l’accusation classique et préférée de tous les révisionnistes de tous les temps qui cachent leur révisionnisme sous l’apparence de découvertes nouvelles, de nouvelles théories et de nouvelles interprétations historiques.
Le cours vers la guerre et la guerre ont dévasté les rangs du prolétariat. La plupart des groupes révolutionnaires ont été emportés dans le tourbillon de la guerre ; et jusque dans nos rangs de la Gauche Communiste, nous avons ressenti ce souffle dévastateur. A la veille de la guerre, les premiers signes d’un révisionnisme, parmi nous, se sont fait sentir. Celui-ci s’est manifesté alors dans la négation des antagonismes inter-impérialistes précipitant la société capitaliste dans la guerre mondiale, dans la négation d’une perspective d’une guerre généralisée, dans la découverte d’une théorie économique dite d’économie de guerre qui permettrait au capitalisme décadent de sortir de la crise économique, ouvrant une ère d’essor économique pouvant assurer l’amélioration des conditions de vie des travailleurs. Au cours de la guerre, cette tendance s’est manifestée par la théorie de l’inexistence sociale du prolétariat durant la période de l’économie de guerre, ce qui interdirait toute possibilité d’action, de vie et d’existence même d’un organisme politique de la classe. Mais cette tendance, se développant et s’épanouissant pendant la guerre, devait donner aujourd’hui sa pleine signification.
Nous avons eu l'occasion dans les bulletins internationaux de nous expliquer sur plusieurs points de la nouvelle théorie de cette tendance. L'activité présente et le dernier discours programme de Vercesi dont nous avons le compte-rendu sténographique ne laisse plus subsister aucun doute sur le sens de l'évolution de cette tendance. Saisissant l'occasion qui s'offre à nous et portant le débat devant le prolétariat, nous estimons remplir notre devoir de révolutionnaires en réaffirmant les positions marxistes de la Gauche Communiste contre l'assaut et la défiguration que tentent de faire ceux qui tombent dans l'opportunisme.
Pour mieux illustrer notre pensée, nous serons obligés de reproduire de très larges extraits du document de Ver. et des citations diverses. Cette méthode a certainement l'inconvénient d'alourdir notre étude et nous nous excusons, mais aussi c'est la méthode qui offre le moins de risque de mal interpréter ou de défigurer la pensée de l'adversaire. Ceci d'autant plus que le texte de Vercesi présente souvent des obscurités, des énigmes et des contradictions que nous n'étions pas toujours à même de déchiffrer.
La Gauche Communiste se trouvait être le seul courant en opposition à toute la gamme des groupes trotskistes ou autres, issus de la 3ème Internationale au cours de sa dégénérescence, à ne pas arborer l'antifascisme comme position de classe du prolétariat. Notre position à ce sujet, nous l'avons exprimée et défendue des dizaines et des centaines de fois. On la trouvera dans toutes nos publications pendant plus de 20 années de lutte, et tout particulièrement après l'arrivée d'Hitler au pouvoir. L'objet de cette critique n'est pas la re-démonstration de notre position en général, mais de répondre à ceux qui, tout en l'acceptant dans le passé, la rejettent aujourd'hui. Nous nous bornerons à rappeler en quelques mots les grandes lignes de notre position.
L'opposition Démocratie-Fascisme n'est pas une opposition historique fondamentale, comme tentent de le faire croire les "antifascistes". En le faisant, ils ne font que cacher l'opposition de classe qui, elle seule, est fondamentale dans la société divisée en classes. Cette opposition s'exprime dans le dilemme : capitalisme-socialisme ou bourgeoisie-prolétariat.
DEMOCRATIE ET FASCISME SONT DEUX ASPECTS, DEUX FORMES DE DOMINATION DE LA MÊME CLASSE. Ils expriment des situations particulières dans le temps et dans l'espace, nécessitant des formes politiques particulières pour le maintien de la domination capitaliste sur le prolétariat. Le recours au fascisme traduit une situation économique particulièrement critique dans laquelle les luttes sociales et la combustion révolutionnaire du prolétariat risquent de faire sauter en l'air tout l'édifice social du capitalisme. La forme "démocratique" du capitalisme laisse alors la place à la forme fasciste consistant dans la destruction violente de toute vie de la classe ouvrière, de ses organisations économiques, culturelles et politiques. Pour étouffer toute possibilité d'organisation du prolétariat le capitalisme ne peut le garantir qu'en interdisant toute organisation, toute presse qui n'est pas celle de l'État.
Les chefs, les partis de la "démocratie" capitaliste ne quittent l'arène politique qu'après avoir préparé, assuré la venue du fascisme. Un lien de classe lie la "démocratie" au fascisme. Ce n'est pas par la marche spectaculaire sur Rome mais par la voie "pacifique", par l'appel direct du gouvernement "démocratique" que Mussolini prend le pouvoir. Hitler viendra au pouvoir appelé par Hindenburg, champion de la défense de la constitution démocratique de Weimar, le président du Reich, de la social-démocratie, et par la machination de Von Papen, autre champion de la "démocratie".
L'antifascisme ne fait alors qu'estomper les frontières de classe et masquer l'enjeu historique et immédiat de la lutte. L'immobilisation du prolétariat par une idéologie étrangère à sa classe, derrière la défense de la "démocratie" permet à cette même démocratie d'aplanir et d'ouvrir la voie au fascisme. Après avoir assuré le triomphe de fascisme, la bourgeoisie réussit à empêcher la mobilisation du prolétariat sur le seul terrain de la lutte contre le fascisme, sur le terrain de défense des revendications de classe contre le capitalisme, en l'enveloppant de la fumée incolore antifasciste. L'antifascisme s'avère être ainsi une arme redoutable entre les mains du capitalisme, immobilisant le prolétariat pour assurer l'avènement du fascisme d'abord, et sa domination ensuite.
Sur le terrain international, l'antifascisme sera la meilleure arme du capitalisme pour faire accepter aux ouvriers des pays "démocratiques" la guerre de brigandage impérialiste. C'est sous le drapeau de l'antifascisme que les ouvriers renonceront "bénévolement" à la lutte de classe et, réintégrant la "nation", ils seront traînés pour la défense de la "patrie" dans l'union sacrée.
Telle est la position de la Gauche Communiste qui, dénonçant l'antifascisme, appelle le prolétariat à la lutte contre le fascisme, lutte qui ne pouvait vraiment être efficace qu'en se plaçant sur le terrain de classe. Prolétariat contre capitalisme sous toutes ses formes : fasciste, démocratique et dictature staliniste.
Il est le propre de l'opportunisme de ne pas combattre les positions révolutionnaires de front, mais de justifier la pratique opportuniste présente par une soi-disant situation nouvelle. Bien mieux, on se revendiquera d'autant plus des résolutions et des positions révolutionnaires du passé que cela permettra de camoufler l'opportunisme pratiqué dans le présent.
Le trotskiste se réclamera de la 3ème Internationale dans le passé pour adhérer, dans le présent, au parti socialiste et à la 2ème Internationale. Le stalinien se réclamera de la position de Lénine contre la guerre dans le passé pour faire joyeusement la guerre aujourd'hui. L'anarchiste fera appel à Bakounine dénonçant l'oppression de l'État, tout en justifiant la participation dans l'État capitaliste espagnol et dans la répression anti-ouvrière en 1936. Vercesi, lui, ne manquera pas à la règle et il "confirmera" la position contre l'antifascisme d'hier pour justifier l'antifascisme d'aujourd'hui. Écoutons-le :
Pour que la somme des mots ne fasse pas oublier au lecteur le fond du débat, soulignons qu'il ne s'agit pas d'exalter ou non l'opposition violente du prolétariat au fascisme. Hier comme aujourd'hui, toujours nous devons et avons exalté l'opposition du prolétariat au fascisme. Le problème est : de quelle façon, par quelle méthode, sur quelle base se fait cette exaltation ? Est-ce par la lutte de classe, du point de vue de classe et sur le terrain indépendant de classe, indépendamment de toutes les formations et organisations politiques du capitalisme, ou est-ce en collaboration avec des groupements qui sont liés au fascisme par le lien de classe ? C'est-à-dire au travers des comités antifascistes, groupant ceux-là même qui ont fait le lit au fascisme ? C'est là, et uniquement là-dessus, que porte le débat ; et les mots sur l'exaltation etc., ne font qu'embrouiller la question.
Vercesi, d'ailleurs, est catégorique sur ce point et c'est en cela que consiste l'opposition qu'il fait entre hier et aujourd'hui. Hier nous dénoncions toute la campagne "antifasciste" comme une campagne destinée à tromper le prolétariat, à l'empêcher de se regrouper sur son terrain de classe, à l'emprisonner dans une idéologie de l'ennemi de classe. Aujourd'hui nous devons non seulement participer à cette campagne qui aurait changé sa nature profonde mais pratiquement participer aux comités de coalition antifasciste. C'est ce que fait Vercesi en prenant l'INITIATIVE de la formation d'un comité de coalition antifasciste où participent socialistes, maximalistes, staliniens, anarchistes, parti républicain, "Justice et Liberté", toutes les organisations "ouvrières" et bourgeoises sans exception et où Vercesi, au nom de la fraction de gauche, s'assure respectablement le poste de secrétaire du comité.
Avant d'examiner la tâche que s'est donnée ce comité et son action, essayons d'abord de comprendre la justification que donne Vercesi d'un tel changement d'attitude envers l'antifascisme.
Nous savons déjà que cette nouvelle position est justifiée par la situation nouvelle qui s'est créée. En quoi consiste cette nouvelle situation ? Vercesi n'est pas très clair sur ce point. Par moment il parlera de crise économique de l'économie de guerre qui aurait déterminé la chute du "fruit pourri" qu'était le régime fasciste. Ailleurs il parlera de l'inexistence sociale du prolétariat, ce qui ne l'empêchera pas de déclarer plus loin que les partisans dans le nord de l'Italie luttent pour la révolution. Toutefois, une chose est claire pour lui : les régimes fascistes sont en train de crouler (on ne sait pas pour quelle raison exactement), ce qui détermine une volonté dans le prolétariat de son écrasement total. C'est cette volonté du prolétariat de lutte contre le fascisme qui nous imposera un changement de "tactique" à l'égard de l'antifascisme et de la participation dans les comités antifascistes, ne présentant plus le danger de fourvoyer le prolétariat comme c'était le cas auparavant. Et pourquoi cela ?
Vercesi répond : "Existe-t-il dans la situation actuelle une éventualité quelconque qui permet encore une fois à l'État capitaliste d'attirer le prolétariat et de l'immobiliser s'il continue de mener la lutte antifasciste." Et plus loin, dans les pays où le fascisme s'est déterminé, c'est-à-dire en Italie et en Allemagne… est-il possible à l'État capitaliste de rejeter ce qu'il avait fait avant 1939 ? Et Vercesi de conclure : "À mon avis, il faut répondre par la négative et ce parce que les ouvriers exigent aujourd'hui l'écrasement du fascisme."
Remarquons d'abord que Vercesi prend soin de bien distinguer entre les pays "où le fascisme s'est déterminé", c'est-à-dire a existé, des autres pays. Dans son discours, il insistera beaucoup sur cette distinction. Sa nouvelle tactique indirecte, il l'applique au pays qui ont connu le régime fasciste. Pour les autres pays, nous ne savons rien de sa pensée ni de la tactique à employer. Il ne nous dit rien là-dessus. Cela serait pourtant d'un très grand intérêt de savoir ce qu'il en pense. Nous le regrettons vraiment beaucoup mais force nous est de nous borner à suivre, dans notre critique, la trace de Vercesi. Voyons donc. Dans le premier passage, Vercesi se demande si l'État capitaliste de ces pays pourrait encore immobiliser le prolétariat s'il continue de mener la lutte antifasciste et, continuant comme si de rien n'était, il précise sa pensée "de répéter ce qu'il avait fait avant 1939". Pardon, nous sommes, semble-t-il, victimes d'une regrettable confusion. Dans ces pays, en Italie et en Allemagne, il y a deux phases distinctes d'un même État capitaliste. La première, celle de l'État capitaliste "démocratique" qui immobilise le prolétariat par la lutte "antifasciste" pendant qu'il favorise la préparation, le renforcement du fascisme qui doit prendre la direction de la machine étatique en succession de la "démocratie". La deuxième phase est celle de l'État capitaliste fasciste qui immobilise le prolétariat par la violence directe. Confondre ces deux phases et parler, comme le fait Vercesi, de l'État capitaliste immobilisant le prolétariat par l'antifascisme comme il l'avait fait avant 1939, revient à parler de l'État fasciste faisant de l'antifascisme et de créer une confusion inextricable entre les fonctions et la division du travail de la "démocratie" et le fascisme, œuvrant tous deux pour la sauvegarde du capitalisme.
Le stalinisme a fait la confusion en créant la notion de social-fascisme ; Vercesi, lui, crée aujourd'hui celui de l'État fasciste antifasciste, ce qui n'est pas plus heureux.
Mais pourquoi l'État capitaliste antifasciste (comme l'appelle Vercesi) qui a succédé ou succèdera dans les pays où il y avait le fascisme ne pourrait-il pas se servir de l'antifascisme pour immobiliser encore une fois le prolétariat ? Vercesi répond : "…parce que les ouvriers exigent aujourd'hui l'écrasement du fascisme." Mais cette exigence-là, les ouvriers la proclamaient aussi hier ; cela n'a pas empêché l'État capitaliste et les forces politiques du capitalisme, ses divers partis, de fourvoyer le prolétariat et de l'immobiliser. Pourquoi cela ? Mais justement parce qu'ils se sont placés, ou on les a placés, sur le terrain d'exigences antifascistes et non sur leur terrain de classe anticapitaliste. La réponse de Vercesi n'en est pas une et sa justification de l'antifascisme d'aujourd'hui rejoint les justifications des menées antifascistes de toujours.
Par ailleurs, on essaiera de donner une justification de l'antifascisme d'aujourd'hui par le fait de l'incapacité de l'État capitaliste de liquider le fascisme et les fascistes, et qu'en exaltant l'opposition des ouvriers contre le fascisme nous favorisons le heurt entre le prolétariat et l'État.
Cette argumentation pêche par deux côtés. Premièrement, s'il est vrai qu'en exaltant l'opposition du prolétariat contre le fascisme nous favorisons le heurt entre lui et l'État qui s'avère incapable de liquider les fascistes, cela était encore plus vrai d'exalter l'opposition du prolétariat contre le fascisme quand celui représentait et s'identifiait à l'État capitaliste. Secondement, peut-on vraiment favoriser le heurt entre le prolétariat et l'État capitaliste en se coalisant dans un comité politique avec les partis politiques qui font partie de l'État capitaliste ?
Ainsi, c'est parce qu'aujourd'hui nous supposons que le problème révolutionnaire va se poser que nous devons participer dans une coalition antifasciste avec les forces du capitalisme qui ne peuvent être que contre-révolutionnaires. Dans la langue courante cela signifie que, devant une menace de la révolution, nous devons participer à une coalition capitaliste, c'est-à-dire renforcer la résistance du capitalisme. Vercesi appelle cela : "favoriser le heurt du prolétariat contre l'État capitaliste" par la tactique indirecte.
Qu'est cette tactique indirecte ? Il s'agit de règles, de tactiques élaborées au 2ème congrès du parti communiste d'Italie et faisant partie d'un ensemble connu sous le nom de Thèses de Rome, qui est un document fondamental de la Gauche Communiste. La "tactique indirecte" traite particulièrement des règles d'action du parti communiste ne posant pas l'attaque directe pour la prise du pouvoir. Citons quelques passages sur la tactique indirecte :
Comme on voit, on est loin de cette tactique de Vercesi qui consiste à favoriser le heurt entre le prolétariat et l'État capitaliste en compagnie de la gauche bourgeoise. Quant à ces coalitions heureuses de Vercesi et qu'il appelle "la tactique indirecte", nous lisons dans le paragraphe 31 :
Dans le paragraphe suivant (33) où il est question de l'utilisation de l'expérience faite par un gouvernement de gauche, il est spécifié que la propagande du parti sera efficace dans la mesure où le parti n'aura non seulement pas participé mais aura dénoncé à l'avance cette faillite.
Le parti démontrera, au cours de l'expérience, l'unité de front de toute la bourgeoisie contre le prolétariat et "comment les partis qui se prétendent ouvriers mais se coalisent avec la bourgeoisie (ceci s'applique très bien à ceux qui, tout en s'intitulant Gauche Communiste, coalisent avec une fraction de la bourgeoisie dans un comité antifasciste) NE SONT RIEN D'AUTRE QUE SES COMPLICES ET SES AGENTS."
Même dans le front unique syndical -le seul front unique que nous concevons- nous ne préconisons pas la constitution des comités dirigeants formés de représentants de diverses fractions qui se sont déclarés d'accord pour une action commune. Les communistes, afin de garder leur pleine liberté et d'élargissement de la plate-forme de lutte au moment où cela serait nécessaire et possible, afin d'attirer l'attention des masses sur le programme communiste spécifique "éviteront la constitution des comités dirigeants de lutte et d'agitation dans lesquels le parti communiste serait représenté et compromis parmi les autres partis politiques."
Cette tactique indirecte nous semble être diamétralement opposée à sa caricature présentée par Vercesi.
Remarquons encore que, si nous ne savons pas la "tactique" que préconise Vercesi pour les pays qui n'ont pas connu la domination fasciste, nous ne savons pas davantage sur celle qu'il préconise pour les pays qui l'ont connue. Nous ne parlerons pas de l'Allemagne dont il ne souffle pas un mot ; mais même pour l'Italie nous ne sommes pas plus renseignés. Faut-il, en Italie, participer à ces coalitions antifascistes ? Faut-il les dénoncer auprès du prolétariat ? Nous ne saurons rien. L'horizon de Vercesi se borne à B. où il applique en virtuose sa tactique indirecte contre le "prolongement de l'État antifasciste italien".
Vercesi - qui, comme nous aurons l'occasion de le voir par la suite, se réfère à tort et à travers au milieu social – pousse vraiment, en l'occurrence, cette référence en proclamant une tactique indirecte produit et valable exclusivement de par le milieu social de sa petite ville provinciale.
"La vie de la colonie italienne et de son expression gouvernementale en la représentation diplomatique, écrit Vercesi, n'est possible qu'au travers des formes correspondantes à la société actuelle, c'est-à-dire au travers de la reviviscence de la couche capitaliste de la colonie" d'où il résulte "ce problème oppose d'une façon violente les prolétaires de la colonie italienne contre la prolongation en B. de l'État capitaliste et antifasciste italien." Et voilà pourquoi Vercesi, devant la reviviscence de la couche capitaliste qui oppose d'une façon violente les prolétaires contre la prolongation de l'État capitaliste et antifasciste, s'empresse, pour favoriser le heurt, de créer un comité de coalition. Pour de la tactique, elle est plutôt directe et capitaliste par-dessus le marché.
Et voilà quelques spécimens de la phrase révolutionnaire destinée à teinter en rouge l'antifascisme.
"Tous ces ouvriers, auxquels on a dit qu'on avait fait la guerre pour abattre le fascisme, sont portés à poser à leur organisation, tout autant que sur le plan social, le problème de l'abattement du fascisme et l'écrasement des fascistes." Vercesi oublie apparemment que c'est surtout aux ouvriers des pays "démocratiques" que le capitalisme a tenu ce langage pour leur faire accepter la guerre. Sa tactique indirecte de l'antifascisme s'appliquerait alors surtout à ces prolétaires ? Le grand branle-bas "antifasciste" sert toujours à l'État capitaliste de ces pays pour duper le prolétariat. C'est sous l'étiquette "antifasciste" que les staliniens se sont présentés aux élections récentes en France.
"Le socialisme n'est pas le produit direct du capitalisme mais sa négation" dit justement Vercesi ; mais cela ne l'empêche pas, quand il a besoin, d'affirmer le contraire : "La révolution est-elle oui ou non le produit direct de la guerre ? Oui répond cette fois-ci Vercesi oubliant que la révolution est la négation de la guerre impérialiste et non son produit direct. Tout cela pour justifier cette autre affirmation qui vraiment ne manque pas d'audace : "Le dilemme prolétariat-État, dissimulé encore actuellement sous l'expression antifascisme-État, ne pose-t-il pas l'opposition révolution-État ? Oui."
Ainsi l'antifascisme – que le capitalisme, dans tous les pays du monde, réchauffe sans cesse pour servir de nourriture aux ventres creux du prolétariat, afin de justifier les 6 ans de massacres, qui lui servent de justification dans la répression contre les révolutionnaires appelés, pour les besoins de la cause, fascistes – c'est cet antifascisme entretenu par tous les partis et coalitions capitalistes que l'on nous présente comme étant la négation de l'État, comme étant le synonyme de prolétariat et révolution.
Mais sentant bien que cela ne va pas tout seul, Vercesi avoue : "Toutefois, il y a UNE PETITE CONCESSION QUE NOUS AVONS DU FAIRE. AVANT 1939, nous disions : "pas de lutte antifasciste mais lutte CONTRE le fascisme. AUJOURD'HUI, nous avons été obligés, du fait de la situation nouvelle qui s'était créée, de ne PAS POSER IMMEDIATEMENT ce problème de la lutte contre le fascisme, ce qui est une position rigoureusement exacte, et d'accepter cette expression du problème de la lutte antifasciste."
Le petit mot "cette expression" est là juste pour camoufler toute l'étendue qui sépare la formule de la lutte contre le fascisme (et l'antifascisme) de cette autre formule capitaliste de "la lutte antifasciste".
Et voilà en quoi consiste la petite concession "que nous avons dû faire".
Rappelons encore la tactique indirecte telle qu'elle était formulée dans les thèses de Rome (page 30) : "Toute attitude qui cause ou comporte le passage au second plan de l'affirmation intégrale dans sa propagande qui n'a pas seulement une valeur théorique mais découle surtout des positions prises quotidiennement dans la lutte prolétarienne réelle et qui doit mettre continuellement en évidence la nécessité pour le prolétariat d'embrasser le programme et les méthodes des communistes, toute attitude qui ne se ferait pas de la jonction d'événements contingents donnés, un moyen pour passer outre mais une fin en soi, conduirait à un affaiblissement de la structure du parti et de son influence dans la préparation révolutionnaire des masses."
L'opportunisme a la mémoire courte. Et quand on s'écrie : "Nous sommes des antifascistes parce que nous sommes convaincus que l'État ne fait pas et ne fera jamais la révolution…", nous répondrons que nous nous trouvons en présence d'une argumentation portant sur une conception prélogique et d'enfoncement des portes ouvertes. Et quand on ajoute : "… parce que nous ne tombons pas dans le piège de croire que parce qu'il s'efface, l'État est détruit", nous nous demandons où Vercesi a-t-il vu l'effacement de l'État ? Pas en Italie en tout cas.
Nous ne comprenons pas davantage cette nébuleuse explication sur "le problème de tactique indirecte est celui de déterminer l'impossibilité dans la déliquescence, c'est-à-dire d'imposer la présence de l'État capitaliste" et tous ces tortueux raisonnements pour justifier la participation dans le comité de coalition antifasciste.
A tout cela, nous préférons et opposons cette position de "l'incompatibilité évidente de l'appartenance simultanée au parti communiste et à un autre parti, s'étend plus loin que les partis politiques, jusqu'à ces mouvements qui n'ont pas de nom et d'organisation de parti, bien qu'ils aient un caractère politique…" (Thèses de Rome)
Cette citation que nous empruntons à Vercesi même, nous la faisons entièrement nôtre. Elle exprime une idée marxiste révolutionnaire que nous ne saurons pas mieux formuler. Cela prouve que Vercesi a encore des réminiscences du marxisme, dans le camp duquel il a occupé, pendant trois décades, une place notoire. Peut-être que ce passé l'emportera demain sur le glissement révisionniste d'aujourd'hui. Qu'il soit bien entendu que nous ne combattons pas les hommes, les personnalités, mais les idées qu'ils expriment quand ces idées et leurs actions nous semblent préjudiciables aux intérêts de la classe et de la cause de la révolution.
Nous avons examiné précédemment la thèse du néo-antifascisme, nous allons maintenant voir la concrétisation de cette thèse dans l'activité pratique.
Le comité de coalition antifasciste de B. se crée sur la base suivante : 1) assistance, 2) activité culturelle, 3) contre les menées fascistes.
Nous ne nous arrêterons pas sur l'assistance. L'assistance sociale, le prolétariat ne peut l'organiser en collaboration avec la bourgeoisie. Cette assistance, il l'exige et l'impose à la bourgeoisie par sa lutte de classe. Il dénonce la bourgeoisie comme la seule responsable de la misère des masses. Ce n'est qu'après le renversement, par la révolution, de l'État capitaliste que le prolétariat pourra efficacement organiser l'assistance sociale.
L'entraide, la solidarité envers les victimes du capitalisme, envers les combattants pour la cause du prolétariat, les ouvriers ne peuvent l'organiser qu'indépendamment des groupements capitalistes. C'est là un problème de classe qui ne peut être résolu que sur le terrain de classe, sous le contrôle de la classe, par les organismes de classe, les syndicats, le parti et une organisation comme le Secours Rouge.
Sur l'activité culturelle, nous pouvons dire la même chose. Ce dont le prolétariat a besoin dans la société capitaliste, c'est la dénonciation du mensonge bourgeois sur la culture en général. Dans une société divisée en classes, la culture est au service de la classe dominante et imprégnée d'une conception de classe. Pour l'éducation culturelle, les communistes s'efforceront de la faire au travers et sous la direction des organisations de la classe. Les possibilités de l'éducation culturelle du prolétariat ne peuvent qu'être très limitées dans la société capitaliste. Loin de se gargariser avec des mots sur l'éducation culturelle en général de la classe, à la manière des anarchistes, les communistes porteront leurs efforts pour donner aux prolétaires avant tout les éléments qui leur sont nécessaires pour la poursuite de la lutte, les éléments qui leur sont nécessaires pour discerner entre leurs intérêts et les positions de leurs ennemis de classe. C'est une éducation politique que les ouvriers ont besoin avant tout. C'est pourquoi nous voyons dans le passage suivant où Vercesi formule sa conception sur l'activité culturelle, non pas l'expression de la position communiste mais celle du secrétaire du comité de coalition :
Le style imagé sur le "soulèvement du cerveau au niveau de l'expression théorique des problèmes politiques" ne saurait nous cacher et ne pas nous rendre méfiant sur la culture infusée aux ouvriers…
Le modèle restera encore, pour nous, le jeune Marx faisant des conférences aux ouvriers de Bruxelles sur "Salaires, travail et profits".
Mais ces deux premiers points ne sont que des accessoires. La vraie raison d'être de ce Comité, c'est son caractère politique ou antifasciste. Vercesi distingue deux aspects de l'activité antifasciste du Comité : l'épuration et la dénonciation.
Voilà dans quels termes il s'explique sur l'épuration :
Peut-être allons-nous assister à un ressaisissement de Vercesi. Prêtons donc notre attention aux arguments avec lesquels il démontrera que cette position de l'épuration est fausse :
C'est tout, c'est bien tout. Le danger que signale Vercesi est absolument réel. Mais aussi important que soit ce danger, il n'est qu'un aspect secondaire de la question. Vercesi passe sous silence le point capital du problème de l'épuration. L'épuration est une arme démagogique, une berceuse destinée à endormir, à duper, à détourner le prolétariat de son action de classe. C'est une sérénade destinée à l'empêcher d'orienter son action de classe vers l'assaut contre l'État-capital.
Nous ne sommes ni pour ni contre l'épuration, nous dénonçons ce slogan de foire comme une duperie capitaliste.
Vercesi, lui, ne voit pas le contenu de classe et le but visé par cette duperie. Ne voyant qu'une mauvaise "expression" qui risque de faire des ouvriers les victimes de l'épuration, il préconisera une formule qui n'aura pas cet inconvénient. Il veut une bonne et juste épuration. Aussi, en vrai révolutionnaire, il fera un acte d'éclat. Voyez : "A la formule de l'épuration nous avons essayé de faire substituer l'autre de la lutte contre les crimes fascistes et contre les fascistes."
On ne peut évidemment pas reprocher à Vercesi d'avoir échoué dans sa tentative de substituer les formules. Si le Comité antifasciste ne l'a pas suivi dans cette substitution, ce n'est pas de sa faute ; lui, il a le grand mérite "d'avoir essayé" et il se tient pour quitte.
Devançant les reproches qu'il sent qu'on pourrait lui adresser, il s'écrie, indigné : "On ne peut pas demander à nous ni aux fractions de gauche de pouvoir obtenir une victoire JUSQUE DANS LES MOTS." Çà c'est répondu ! Car, voyez-vous, pour Vercesi, ce qui reste comme différence entre sa formule et celle des autres groupes antifascistes du Comité -les staliniens, les socialistes, le parti républicain- n'est qu'une question de mots.
Et il ajoute : "Il faut demander une victoire dans la substance des choses." Aucun doute pour Vercesi qui croit avoir obtenu cette victoire "dans la substance des choses". Pour nous non plus, aucun doute ne subsiste là-dessus. Dans la substance des choses et quelle que soit la formule de Vercesi, il se trouve prisonnier de cette officine de l'État capitaliste italien qui s'appelle Comité antifasciste ; et, solidaire avec la politique de ce Comité, Vercesi participe au dévoiement et à la duperie de la classe ouvrière.
Il ne faut pas encore beaucoup de ces "victoires dans la substance" pour que Vercesi renonce non seulement "aux mots" mais oublie jusqu'au souvenir de ce qu'est un révolutionnaire, jusqu'au souvenir de ce qu'il fut autrefois.
"Pour ce qui concerne la dénonciation des fascistes, dit Vercesi, le problème se pose ainsi : l'Angleterre, l'Amérique et la Russie disent 'Nous voulons punir les fascistes'." Qu'est-ce que cela veut dire ? Nous savons bien ce que dit le capitalisme international. Allons-nous démontrer auprès des ouvriers que le capitalisme international ne fait que de la démagogie, qu'il est lié avec les fascistes et le fascisme, que l'histoire de punir les fascistes est une duperie grossière, que cette duperie consiste à trouver un bouc émissaire pour détourner la colère des masses, accumulée par tant d'années de souffrances et de massacres, de tous les responsables fascistes, démocrates et staliniens, ou bien allons-nous essayer de faire battre les uns par les autres, c'est-à-dire les fascistes par les démocrates, en dénonçant à ces derniers les fascistes et, si les démocrates ne les punissent pas, alors ils se démasqueront devant les ouvriers ?
Vercesi, à qui on ne peut reprocher d'être avare de mots, est sur ce point plus que laconique. Au risque de nous étendre encore, nous allons reproduire tout le passage concernant la question de la dénonciation, en le commentant au fur et à mesure. La chose en vaut vraiment la peine. D'autant plus que c'est un des points principaux dans l'activité de tous les Comités de libération, les comités de coalition antifasciste et de multiples comités d'épuration, de vigilance de toutes sortes, dans les usines et partout où le capitalisme tente d'embrigader les ouvriers.
Ne pas répondre à la question que nous venons de poser, se contenter de répéter simplement que l'Angleterre, l'Amérique et le Russie disent : "Nous voulons punir les fascistes", c'est accréditer, auprès des ouvriers, cet infâme mensonge.
Il faut être atteint d'un crétinisme démocratique incurable pour l'affirmer quand, en réalité, le capitalisme international tente, par tous les moyens, de mettre à l'abri de la colère des masses les grands chefs fascistes. La Russie, pour soustraire les chefs nazis, a trouvé pour les Von Paulus, les Von Salomon et autres canailles une place dans les comités de 'l'Allemagne libre". Dans tous les pays occupés par l'armée rouge, la Russie instaure des gouvernements où participent les anciens chefs et généraux fascistes.
En Italie, la milice fasciste a été incorporée, par un décret gouvernemental, dans la police d'État. Et si Mussolini et sa bande ont été massacrés, c'était là un acte populaire direct, contre la volonté du gouvernement cherchant encore une fois, comme en 1943, à manœuvrer pour les sauver. En Allemagne, les Alliés maintiennent le gouvernement de Donitz composé de hauts dignitaires fascistes et chefs SS. C'est sur les chefs fascistes que les Alliés s'appuient pour le maintien de l'ordre en Allemagne, en Autriche et partout ailleurs.
En France, en Belgique, tandis qu'on fusille la petite racaille, les chefs sont tous sans exception graciés en attendant leur libération par une amnistie un jour ou l'autre. Le capitalisme "démocratique" ménage son équipe fasciste, tout comme hier l'équipe fasciste a ménagé et a conservé à l'abri l'équipe démocratique, les Jouhaux, les Blum, les Daladier et autres Herriot.
Voilà la vérité qu'il faut inlassablement mettre en évidence devant les masses. Si les États crient tant pour la punition des fascistes, ce n'est que pour assourdir, avec de la démagogie et des mensonges, la colère des masses. Et, quand même quelques têtes fascistes tombent, c'est une façon de jeter du lest pour calmer les ouvriers. En se contentant de constater les désirs du capitalisme au lieu de dénoncer les mensonges, en cherchant à mettre le capitalisme international au pied du mur au lieu de dénoncer à l'avance les illusions que peuvent garder les ouvriers dans les sentiments antifascistes de la "démocratie", on ne fait que fortifier ces illusions et rendre un service notable au capitalisme.
Mais Vercesi ne s'arrête pas là. Le problème est bien plus ample et va plus loin que la volonté des capitalistes de punir les fascistes. Il s'agit, en l'occurrence, de l'attitude qu'on prend envers le problème de la dénonciation des fascistes que le Comité antifasciste auquel participe Vercesi considère comme sa tâche.
Cette fois-ci Vercesi n'a même pas cherché une nouvelle formule à substituer, il va carrément justifier cette activité. Voilà comment il l'explique :
Quel langage filandreux et répondant à côté de la question ! C'est la méthode typique de l'opportunisme qui, en simplifiant, escamote le fond de la question. Pour Vercesi, il n'y a qu'une alternative : dénoncer (quelle dérision) les fascistes à la police ou se faire les défenseurs des fascistes. Exactement comme le posent les staliniens, comme le posent tous les traîtres dans toutes questions. C'est dans ces alternatives capitalistes qu'on enferme de force le prolétariat quand on ne lui laisse que le choix : ou de faire le jeu de Franco ou se faire massacrer pour la défense de la République capitaliste espagnole. Pareillement, dans la guerre, on l'enferme dans l'alternative : ou la défense de la patrie démocratique ou de faire le jeu du fascisme des pays de l'axe. A ces alternatives capitalistes, nous avons toujours opposé la seule et unique réponse : briser l'alternative pour lui opposer le prolétariat se rassemblant sur son terrain propre, de classe, pour ses objectifs propres de classe.
Le prolétariat n'a pas -quoi qu'en dise Vercesi devenu un protagoniste de l'antifascisme- à choisir de collaborer ou avec la police "démocratique" (encore un pas et nous voilà avec "la police avec nous !") ou avec les fascistes. Convaincu (et c'est à nous de l'aider à acquérir cette conviction) que l'un soutient l'autre, que l'un est le fourrier de l'autre, le prolétariat doit engager sa lutte contre le régime capitaliste comme tel, considéré comme une unité, comme un tout solidaire contre lui.
Quel charmant tableau, idyllique presque, qu'on nous brosse. Voyez donc cela :la police se présentant au prolétaire et lui faisant part de son intention de mettre en prison le fasciste ; tout juste si on ne dit pas que la police vient demander à l'ouvrier la permission de le faire. Sur quoi, l'ouvrier répond à la police : "Petit polisson, tu ne tromperas pas, je t'ai à l'œil !" et il le laissera arrêter le fasciste. Quelle triste idée vraiment Vercesi nous donne sur son évolution !
Quand la police se présente à un prolétaire, camarade Vercesi, ce n'est pas pour lui faire des confidences ni pour lui faire part de ses intentions antifascistes mais pour frapper l'ouvrier. L'État ne demande pas de permission aux ouvriers pour arrêter les fascistes. Vous escamotez, vous défigurez le fond du problème, camarade Vercesi. Ce que l'État demande présentement aux ouvriers, c'est de se faire les auxiliaires de la police, non pas pour arrêter les fascistes mais pour intégrer les ouvriers, pour les incorporer dans les filets de l'État capitaliste, dans son appareil policier, pour les faire quitter leur terrain de classe et leur lutte de classe. Et c'est à cette question qu'il faut répondre sans équivoque, camarade Vercesi. Oui ou non, le rôle d'auxiliaire de la police qu'on veut faire jouer aux ouvriers, est-il un crime et la plus abjecte trahison envers la cause du prolétariat ? Vercesi, après avoir escamoté le fond de la question, en guise de réponse conclut : "Il n'y a aucune compromission d'ordre principiel sur la question de la dénonciation des fascistes eux-mêmes."
Bien, bien ! Après cette réponse, conclusion de Vercesi : il ne nous reste qu'à tirer les rideaux et laisser aux ouvriers conscient le soin de donner leur avis.
Le problème de l'organisation de classe, du parti politique du prolétariat, son programme et son rôle dans la lutte pour l'avènement d'une société nouvelle, la société communiste, a toujours été la préoccupation qui a dominé les cerveaux de tous les révolutionnaires prolétariens d'avant Marx jusqu'à nous. Il n'existe peut-être pas de problème qui ait été plus passionnément, plus âprement débattu parmi les révolutionnaires que celui-là. De la conspiration des Égaux de Babeuf à la Ligue des Communistes, du Chartisme au Blanquisme, de la 1ère à la 3ème Internationale, des marxistes aux anarchistes et opportunistes, tous les courants et tendances qui agissent au sein du prolétariat ont été amenés à poser et à se situer face à ce problème capital de la formation du parti. Les solutions diverses données à la nature et au rôle du parti par les différents courants idéologiques agissant dans le prolétariat à diverses époques historiques de sa lutte, l'obscurité, l'erroné, l'inachevé de ces solutions marquent la difficulté à laquelle s'est heurté le prolétariat pour solutionner ce problème qui, tout en n'étant engendré par la lutte de classes, est toutefois lié historiquement à cette lutte d'une manière étroite. La solution ne pouvait donc être donnée que parallèlement au développement de la lutte de classe dans la maturation objective des situations historiques.
L'expression la plus achevée de la solution au problème du rôle que l'élément conscient, le parti, est appelé à jouer pour la victoire du socialisme a été donnée par le groupe de marxistes russes de l'ancienne Iskra et tout particulièrement par Lénine qui, dès 1902, a donné une définition principielle du problème du parti dans son remarquable ouvrage Que faire ? La notion de parti de Lénine servira de colonne vertébrale au parti bolchevik et sera un des plus grands apports de ce parti dans la lutte internationale du prolétariat. Combattant non seulement les mencheviks et opportunistes du mouvement ouvrier international, mais aussi les courants de gauche et les groupes révolutionnaires, comme Trotsky et Luxemburg, qui défendaient des théories d' "organisation-processus" et de la spontanéité de la lutte révolutionnaire du prolétariat, Lénine démontrait que la conscience du socialisme n'est pas un produit engendré spontanément dans la lutte de classe mais qu'au contraire cette conscience doit être introduite, injectée du dehors dans la lutte du prolétariat et, d'autre part, si les mouvements de révolte du prolétariat sont dus à la maturation des conditions objectives, ces mouvements ne peuvent aboutir à la victoire qu'à la condition de l'existence préalable du parti de la classe, conscient et aguerri, qui, à la tête du prolétariat, le dirige à l'assaut de l'État capitaliste.
L'histoire devait magistralement confirmer la position de Lénine. Sans entrer dans l'examen d'autres et multiples facteurs de la situation russe, nous pouvons affirmer que, si en octobre 1917 la révolution prolétarienne a triomphé, cela est dû avant tout à la réalisation de cette condition décisive, à l'existence de ce parti que Lénine infatigablement a forgé pendant 20 ans. Par contre, 1918 en Allemagne devait apporter la défaite de la révolution, dont une des causes et non la moindre, malgré une magnifique et héroïque combativité des masses, dans la formation tardive du parti, partant dans son inexpérience, dans son hésitation et dans son incapacité de guider la révolution à sa victoire. C'était la rançon et l'infirmation expérimentale de la théorie de Rosa Luxemburg sur la spontanéité du mouvement révolutionnaire.
La fraction de gauche qui a donné naissance au parti communiste d'Italie a repris intégralement la notion du parti de Lénine et l'a approfondie. C'est à la lumière de cette notion, en rapport avec la nature du parti, de son programme et de ses principes, qu'elle a établi le critère des règles, de la tactique consignés dans les Thèses de Rome. Au cours de la dégénérescence de l'IC, c'est en partant de la notion du parti de Lénine qu'elle a pu dégager la notion fondamentale de la filiation historique qui existe au travers de la fraction, issue du parti en dégénérescence et évoluant vers la formation du nouveau parti de classe. La place occupée par les bolcheviks entre la 2ème et la 3ème Internationales sera désormais occupée, dans la situation historique actuelle, par les fractions de la Gauche communiste qui, en donnant naissance au nouveau parti, assurent la filiation de la 3ème à la 4ème Internationale.
Tout moment de la vie de la fraction est un moment du processus de la formation du parti. Il est naturel que toute activité théorique et politique de la fraction, ou de ses militants, soit examinée sous l'angle de ce processus. Le néo-antifascisme devait donc tenter de faire une place, dans ce processus de la formation du parti, à ses nouvelles théories et, du même coup, nous gratifier d'une nouvelle interprétation de ce processus. Fidèles à notre méthode, nous allons maintenant suivre pas à pas les développements théoriques et les explications historiques de Vercesi, en essayant de le comprendre d'abord (ce qui, comme on le verra, n'est pas toujours chose aisée) et de la combattre ensuite.
C'est en ces termes que commence la partie relative au problème du parti, qui lui servent en quelque sorte d'entrée en matière.
Nous n'avons pas grand-chose à répondre là-dessus sinon que cette entrée en matière ne veut absolument rien dire. Affirmer qu'un problème programmatique est un problème programmatique et non un problème d'accroissement numérique revient à dire qu'une table est une table et non une vache.
Passant ensuite au problème de la formation du parti, Vercesi affirme que c'est là un problème qui ne relève pas de la volonté mais des situations historiques. Cela est absolument juste. L'histoire nous fournit des exemples où, durant de longues périodes, l'existence des partis ou même la tendance à leur formation fut contraire par les situations données du moment, et cela en dépit du fait de la présence des hommes et des chefs tels que Marx et Engels. Ainsi l'organisation de la Ligue des communistes disparaît après la clôture des situations révolutionnaires en Europe après 1848, et ses militants se retrouvent 12 ans après, lors de sa fondation, dans la 1ère Internationale.
Mais ici également il ne faudrait pas pousser cette thèse à l'absurde, à une sorte d'automatisme fataliste qui consisterait à dire : tout ce qui existe ne peut pas ne pas exister et tout ce qui n'existe pas ne peut pas exister. Cela reviendrait à ramener à zéro l'action et les erreurs des hommes et à les considérer comme n'ayant aucune influence sur le déroulement des situations. Les hommes ne peuvent résoudre que les problèmes que l'histoire pose et dont elle contient la solution ; mais les hommes peuvent aussi, pour des raisons contingentes, ne pas être à même de les résoudre bien que les conditions objectives contiennent la solution.
"La théorie devient une force matérielle puissante dès qu'elle saisit les masses" écrivait Marx. Ceci est également vrai pour une théorie erronée qui, dans la pratique, devient aussi une force matérielle, un obstacle historique.
Les erreurs de l'IC, lors de sa fondation, concernant la formation des partis communistes par la fusion des courants centristes au sein des nouveaux partis et dans l'admission large dans la 3ème Internationale, ont indiscutablement contribué à rendre plus vulnérable l'IC à l'opportunisme et à affaiblir la résistance révolutionnaire en son sein contre la dégénérescence qui a suivi. La faiblesse numérique des fractions de la Gauche communiste n'est nullement une fatalité ; elle résulte entre autre de l'insuffisance théorique des militants des partis communistes, des erreurs politiques et organisationnelles des fractions elles-mêmes ainsi que des fautes terribles commises par Trotsky et qui ont pesé lourdement sur tous les militants et groupes révolutionnaires qui ont été exclus de l'IC et qui présentaient pourtant des éléments susceptibles de donner naissance à des fractions communistes.
En combattant le volontarisme dans la question du parti -qui s'est particulièrement manifesté, chez les trotskistes, dans les proclamations de temps à autre de nouveaux avortons de partis et des Internationales- il faut se garder de ne pas tomber dans un fatalisme impuissant et (…). Le marxisme s'oppose non seulement au volontarisme idéaliste qui croit pouvoir tout faire mais également à l'objectivisme fataliste qui aboutit à ne rien faire et à attendre. Également opposé à l'un et à l'autre, le marxisme enseigne que "les hommes font eux-mêmes leur histoire" dans la mesure où les hommes saisissent le déroulement objectif, les lois et le sens de ce déroulement. En agissant, en participant à ce déroulement, ils l'influencent par leur action, le modifient, accélèrent ou retardent son cours.
Toute autre est la méthode qui servira à Vercesi pour examiner les divergences qui opposèrent Lénine à Rosa sur le problème du parti. Partant d'une conception fataliste, Vercesi tentera de prouver que l'opposition Lénine-Rosa ne relevait pas des conceptions justes ou erronées que défendaient ces 2 chefs du prolétariat sur le problème du parti mais que chacun d'eux exprimait la situation particulière de son pays.
De ce point de vue il n'y a pas de position juste ou erronée mais des situations nationales différentes, entraînant des solutions différentes à un même problème.
D'après Vercesi il importe essentiellement, pour la compréhension de la divergence Rosa-Lénine, de mettre en lumière la différence des situations russe et allemande qui consisterait d'après lui à ceci :
Cette façon d'examiner les divergences qui existaient entre Lénine et Rosa est, comme nous le verrons plus loin, viciée dans le fond ; mais il n'est pas inutile en passant de souligner quelques erreurs contenues dans l'analyse que fait Vercesi des situations particulières de Russie et d'Allemagne.
Pour ce qui concerne la Russie, s'il est exact qu'elle n'avait pas encore accompli sa révolution bourgeoise et, de ce fait, n'avait pas réalisé tous les objectifs et réformes politiques et économiques nécessaires au plein épanouissement du capitalisme, il n'est pas exact de présenter la Russie comme une société féodale. Les grandes réformes agraires abolissant le servage, promulguées par Nicolas 1er, sont des réformes marquant la dislocation de la société féodale et ont un caractère nettement bourgeois. L'économie russe n'est plus une économie féodale ; c'est une société extrêmement complexe où subsistent des forces féodales aux côtés d'éléments capitalistes mais où la vie économique est dominée par l'élément capitaliste. C'est une légende de présenter unilatéralement l'économie russe comme une économie arriérée. Il ne faut pas oublier que la Russie a fait des pas de géant dans la voie du capitalisme moderne. Dès 1900, la Russie présentait dans les domaines industriel et bancaire le type de concentration capitaliste le plus avancé du monde. L'état retardataire de la Russie surtout dans l'agriculture se combinait avec une industrie qui, par sa technique et sa structure, se trouvait au niveau du capitalisme mondial et, sous certains rapports, le devançait.
Tandis qu'aux États-Unis 35% de l'effectif total des ouvriers industriels travaillaient dans les petites usines occupant jusqu'à 100 ouvriers contre 17,8% dans les usines occupant plus de 1000 ouvriers. En Russie le pourcentage s'établit respectivement à 17,8% dans les petites entreprises et à 41,4% dans les grandes usines. Dans les principaux centres industriels ce pourcentage était encore plus élevé : 44,4% pour Petrograd et allant jusqu'à 57,3% pour la région de Moscou.
La fusion du capital bancaire avec l'industrie a été certainement poussée plus loin que dans tout autre pays capitaliste. L'économie russe a été dominée et impulsée par le capitalisme international auprès de qui le capitalisme russe jouait en quelque sorte un rôle analogue aux compradores chinois. 40% de tous les capitaux investis dans l'économie russe étaient des capitaux étrangers et plus spécialement des capitaux français, anglais et belges.
Cette grande transformation de l'économie russe en une économie capitaliste moderne se faisait sous la pression du capitalisme international et de la bourgeoisie russe dictant ses volontés à l'État monarchiste absolutiste.
Il est parfaitement vrai que cet État monarchiste présentait une survivance féodale réactionnaire et une entrave politique supplémentaire au plein épanouissement du capitalisme. Toutefois, la bourgeoisie russe -tard venue dans l'histoire, au moment où le capitalisme, en tant que système mondial, rentrait dans sa phase ultime et finale, posant le problème de la révolution prolétarienne- ne pouvait plus représenter une classe révolutionnaire et prétendre jouer un rôle progressif. La bourgeoisie russe ne représentait pas une antithèse, une négation de l'absolutisme mais, au contraire, elle a rapidement manifesté sa sénilité en s'intégrant et en composant avec le régime monarchiste. Par des concessions réciproques, économiques et politiques, entre la bourgeoisie et les forces féodales, au travers du pouvoir de la monarchie et d'avorton de constitution qu'est la Douma, les intérêts des classes dominantes, y compris ceux de la classe bourgeoise, se sont assurés contre les masses travailleuses et pour l'exploitation du prolétariat. Il est erroné de présenter la situation russe comme contenant deux antithèses, celle de la bourgeoisie et celle du prolétariat. Outre que, dans l'époque du capitalisme évolué, l'antithèse sociale ne peut être conçue que sur le plan international et non relevant des particularités nationales, la situation russe, si elle présente une particularité c'est bien celle de la résorption de l'antithèse bourgeoise qui se fond et s'accommode avec l'ancien régime dès que surgit sur l'arène historique l'antithèse prolétarienne.
C'est essentiellement là que réside l'enseignement de la particularité de la situation russe et qui apparaît nettement dans la révolution de 1905 où toutes les forces du capitalisme bloquent et composent avec la monarchie face à la menace de la révolution du prolétariat. Cet enseignement nous permettra de comprendre que, dans les pays arriérés, coloniaux et semi-coloniaux, n'existe plus et ne peut plus exister, à l'époque du développement du capitalisme, une antithèse bourgeoise. Ces pays ne reproduiront pas l'évolution des pays avancés, en passant par tous les stades que ces derniers ont connus dès que surgirent des solutions historiques plus avancées ; c'est que les conditions des stades intermédiaires ont disparues et les forces sociales qui représentent ces stades cessent par là même de présenter une antithèse révolutionnaire pour se fondre dans la thèse et présenter avec elle un bloc social réactionnaire.
Il existait une opposition d'intérêt et une lutte politique entre la bourgeoisie et la monarchie. On peut et on doit tenir compte de cette lutte quand on examine la situation. Mais on ne peut pas parler de la bourgeoisie russe comme une classe opprimée, comme une antithèse existant dans le milieu social russe parallèlement à l'antithèse prolétarienne sans tomber immédiatement dans la confusion et dans des contradictions inextricables. La Russie faisait partie intégrante du capitalisme mondial et c'est en tant qu'État capitaliste qu'elle acquiert tous les caractères du capitalisme moderne, c'est-à-dire le caractère impérialiste. C'est en tant que puissance impérialiste que la Russie fait la guerre contre le Japon en 1903 et c'est toujours en tant que telle, avec des visées exclusivement impérialistes, qu'elle participe à la première guerre impérialiste mondiale. La possession exclusive de la machine étatique par la bourgeoisie russe n'aurait pas modifié substantiellement la politique intérieure et extérieure de cet État. La continuation de la guerre jusqu'au bout pour les mêmes buts impérialistes, le maintien des mêmes traités secrets avec les impérialismes anglo-français faits par le tsarisme, par les partis bourgeois au pouvoir entre février et octobre 1917 le prouvent nettement. Sans vouloir faire une analogie entre la Russie et le Japon, nous pouvons toutefois remarquer, dans ces deux pays, une évolution semblable de transformation de la société féodale en société capitaliste, s'opérant avec la survivance d'un régime politique et la subsistance d'un État issu historiquement du féodalisme. En Russie avant 1917, la bourgeoisie assure sa domination et ses intérêts économiques au travers de la forme particulière de l'État existant issu des conditions historiques particulières au développement de la bourgeoisie dans ce pays. Dans ce pays ne se posait pas le problème de "faufiler le prolétariat" dans la révolution bourgeoise, comme le dit Vercesi, et cela pour la seule raison que la révolution devait être prolétarienne ou ne pas être. A ce sujet nous croyons pouvoir affirmer que la position de Lénine en 1905 sur l'étape intermédiaire de "la dictature démocratique des ouvriers et des paysans" entre le tsarisme et la dictature du prolétariat présentait des lacunes et des obscurités qu'il devait lui-même surmonter en 1917 contre les "vieux bolcheviks" lui reprochant de reprendre la vieille théorie de Trotsky et de Parvus, appuyée internationalement par Rosa et exprimée dans le mot d'ordre de la dictature du prolétariat.
Parler de l'antithèse bourgeoise existant en Russie c'est non seulement reprendre ce qu'il y avait d'inactivité chez Lénine en 1905 mais c'est nier l'expérience d'octobre 1917 qui a définitivement démontré qu'une seule antithèse pouvait exister à notre époque dans n'importe quel pays, celle du prolétariat. C'est par ricochet attribuer à Lénine une conception volontariste diabolique consistant à "faufiler" le prolétariat au travers de l'encastrement des contrastes sociaux de la succession féodalité-bourgeoisie.
En ce qui concerne l'Allemagne, la photographie de la situation que nous présente Vercesi a subi également de sa part de fortes retouches. Si, en Russie, il ne voit d'aucune façon la bourgeoisie associée au pouvoir, il exagère en présentant la bourgeoisie allemande complètement maîtresse du pouvoir et de l'État.
On sait que la révolution bourgeoise en Allemagne échoua en 1848 et, par la suite, il revenait à Bismarck, au travers de la subsistance de l'État des hobereaux prussiens, d'assurer l'évolution de la société allemande vers le capitalisme moderne. Les principales réformes économico-politiques de la bourgeoisie, l'unification de la monnaie, des poids et mesures, la formation de l'État moderne reviennent à l'État bismarckien.
Et encore l'unification complète de la nation allemande s'est accomplie partiellement par la constitution de Weimar et définitivement par le régime hitlérien qui a supprimé l'antagonisme et l'existence des États particuliers en Allemagne.
La domination absolue et exclusive de la bourgeoisie allemande est un fait tout récent et commence à la contre-révolution de Weimar. Cela ne signifie pas que la bourgeoisie n'était pas au pouvoir ou que l'Allemagne n'était pas un pays capitaliste, mais seulement qu'en Allemagne également la bourgeoisie dominait par l'intermédiaire de l'État bismarckien et en composant avec cet État.
En exagérant dans un sens pour la situation russe et dans l'autre sens pour la situation allemande, Vercesi veut trouver une "explication" (plutôt une justification) objective historique pour la conception du parti de Lénine et pour celle de Rosa et qui existerait dans la différenciation qualitative des deux situations dans ces deux pays.
Nous nous sommes arrêtés un peu longuement à l'examen de ces deux situations pour démontrer que dans les deux pays il s'agit de particularités, de variantes locales d'une situation générale mondiale unique. La différence entre les situations en Allemagne et en Russie n'était pas qualitative-historique mais quantitative-contingente. La solution du problème du parti ne relève pas d'une situation contingente particulière à un pays mais de la situation historique générale et valable pour tous les pays.
Ayant abandonné la méthode marxiste susceptible de donner une réponse correcte au problème du parti et lui préférant on ne sait quel "objectivisme" basé sur les particularités de chaque pays, Vercesi ne ferait que s'embourber dans des contradictions croissantes. Il ne sortirait d'une contradiction que pour tomber dans une nouvelle, plus grave et plus profonde que la précédente.
D'après Vercesi, la particularité de la situation russe consistait dans la non-existence exclusive de l'antithèse prolétarienne, c'est-à-dire de la révolution socialiste, et dans l'existence simultanée de l'antithèse bourgeoise, c'est-à-dire de la révolution bourgeoise. C'est ce qui a permis, toujours d'après Vercesi, la conception de Lénine de l'intervention volontariste du parti. Ainsi le prolétariat russe pouvait se "faufiler" parce que la situation n'était pas révolutionnaire dans le sens prolétarien. Résultat : victoire.
Mais la conception de Lénine[1], nous dit Vercesi, pouvait s'appliquer en dehors de la Russie, dans tous les pays d'Europe où l'antithèse bourgeoise n'existait pas. En Allemagne se posait pour le prolétariat la révolution socialiste ; en conséquence de quoi, Rosa devait attendre que le prolétariat aille spontanément au pouvoir et non agir comme pouvait le faire Lénine en Russie. Résultat : échec.
Après nous avoir promené au travers des particularités des situations et nous avoir conduit de Russie en Allemagne et d'Allemagne en Russie pour nous expliquer la position de Rosa traduisant la situation allemande, Vercesi aboutit à ce résultat surprenant de la victoire de la révolution d'Octobre en Russie et de la défaite de 1919 en Allemagne.
A moins de renverser tout et d'attribuer ce résultat à la maturation objective en Russie et à la non-maturation en Allemagne, on ne voit pas comment expliquer et interpréter ce résultat ; mais du coup, cela serait renverser tout l'échafaudage, si péniblement construit par Vercesi, sur la double antithèse en Russie et l'unique antithèse (celle du socialisme) existant en Allemagne. La corde au cou, Vercesi est obligé de reconnaître dans ce résultat la confirmation de la thèse de Lénine et l'infirmation de celle de Rosa.
Tout en continuant à proclamer que la conception de Lénine sur la nécessité de la formation du parti au travers de la succession fraction-parti ne pouvait être appliquée en Allemagne parce que se posait spontanément la volonté du prolétariat de réaliser le socialisme, Vercesi dit que Rosa était à son tour dans l'erreur "de penser que le processus de formation du parti pouvait se faire en dehors de la succession fraction-parti", ce qui revient à dire que Rosa s'est trompée dans la spontanéité et dans la conception "organisation-processus". Mais dire cela c'est revenir tout simplement à la thèse de Lénine. À quoi donc servaient tous les détours de Vercesi ? Il aurait bien mieux valu nous épargner les élucubrations sur les situations particulières et les faufilades, et définir la Russie comme faisant partie d'une situation générale posant à l'ordre du jour le problème de la révolution prolétarienne, d'où nécessité de la formation du parti en Russie au travers de la succession fraction-parti. En Allemagne, plus nettement, la situation évoluait vers la révolution prolétarienne dont existait la nécessité de la formation du parti par succession de la fraction. Les deux facteurs de la succession sont la maturation objective des conditions et la volonté agissante subjective (si nous ne voulons pas la révolution, elle ne viendra pas). L'erreur de Rosa consistait dans la négation du 2ème facteur et non dans la différenciation qualitative des deux situations qui, remarquable conclusion de Vercesi, devait engendrer cette fatalité : Rosa s'est trompée parce qu'elle ne pouvait que se tromper.
Vercesi ne nous dit toujours pas en quoi consistait l'erreur de Rosa. D'après lui, Rosa s'est trompée dans la spontanéité parce qu'en Russie ne pouvait se poser que la solution qu'il attribue à Lénine (inoculation du parti dans l'encastrement des contrastes sociaux de la succession féodalité-bourgeoisie, OUF !) ; mais en Allemagne où ne se posait pas le problème de cette inoculation, pourquoi Rosa s'est-elle trompée ? Là-dessus Vercesi reste muet comme une tombe. Cela n'empêchera pas Vercesi d'écrire d'un côté : "Lénine, en 1903 (pourquoi pas en 1902 dans Que faire ?, ou encore en se référant à des écrits antérieurs de Kautsky ?), prouvera que la conscience est importée dans le mouvement", tout en se contredisant par ailleurs : Cette possibilité (importation de la conscience) de l'intervention de l'organisation, aussi méthodique et aussi bien déterminée que celle se présentant dans le milieu russe, n'existait pas et ce pour la bonne raison que, le capitalisme étant au pouvoir en Allemagne, le prolétariat devait envahir l'arène sociale… réclamant la réalisation du socialisme." Après tout, on n'est pas à une contradiction près[2].
Le plus drôle, dans les explications de Vercesi sur les divergences qui opposèrent Lénine et Rosa sur la question du parti, se trouve dans le fait suivant : pour Vercesi, chacun traduisait une situation particulière de son milieu ou, si l'on veut, Lénine parlait "russe" tandis que Rosa parlait "allemand" (nous laissons de côté ce qu'il y a de bouffon dans cette distinction d'un Lénine "russe" et d'une Rosa "allemande"). Or, justement à propos du problème du parti, Lénine – polémiquant violemment contre tous les mencheviks russes – se référait surtout à l'expérience du prolétariat allemand et à l'autorité de Kautsky. Rosa, elle, s'appuiera essentiellement sur l'expérience du mouvement révolutionnaire du prolétariat russe pour défendre la théorie de la spontanéité[3].
Vercesi termine, pour démontrer l'erreur de Rosa, en confondant les deux situations (russe et allemande) qu'il avait précédemment différenciées et opposées. De plus, il posera du même coup pour tous les pays capitalistes la solution (qu'il avait qualifiée faussement auparavant de volontariste) de Lénine qu'il avait précédemment condamnée comme ne pouvant pas se poser pour les pays capitalistes.
'Elle (l'impossibilité de la spontanéité) se trouve dans le processus dialectique lui-même ; et dans ce processus nous voyons que la condition d'un retournement de l'antithèse prolétarienne contre la thèse bourgeoise doit être retournée." (souligné par nous). "L'antithèse prolétarienne, au lieu d'être spontanée, est l'intervention de la conscience dans un milieu qui, laissé à lui-même, retombe dans la thèse capitaliste."
"Procédons maintenant, dit Vercesi, à la synthèse de Rosa et de Lénine qui est imposée par les événements actuels. Lénine a donné une solution absolument correcte à l'encastrement social russe en mettant l'accent sur l'intervention de l'organisation et sur le despotisme (?) des règles de celle-ci et ce parce qu'il devait éviter que l'une des deux antithèses provenant de la thèse tsariste, c'est-à-dire l'antithèse bourgeoise, puisse éliminer la thèse prolétarienne. Luxemburg ne pouvait que donner une solution incorrecte au problème de l'intervention de l'organisation et de sa technique parce que, avant les révolutions occasionnées par la guerre de 1914-18 qui posèrent l'inévitabilité de la formation non spontanée des partis communistes, la projection spontanée du prolétariat pouvait être considérée comme résultante de la réalité sociale, ne contenant aucune autre thèse possible que la prolétarienne. Elle ne pouvait que ne pas comprendre que la thèse bourgeoise -et ceci parce que le passé ne peut pas mourir spontanément et ne peut se survivre qu'en pénétrant dans ce qui représente l'avenir et en le désarticulant- n'en pénètre pas moins dans tous les filaments du parti de classe?"
Cette grande tirade en code secret signifie en langage clair : le capitalisme ne peut pas mourir spontanément, d'où nécessité de l'intervention du parti. Lénine, au travers de la double antithèse à la thèse féodale russe, pouvait saisir la nécessité de cette intervention. Tandis que Rosa, avant les révolutions occasionnées par la guerre, devant la seule antithèse possible à la thèse capitaliste, ne pouvait pas comprendre la nécessité de l'intervention du parti et était forcée de faire jouer un certain fatalisme. Voilà ce que dit Vercesi.
La révolution allemande de 1918 infirmait la position fataliste et spontanée de Rosa en prouvant que, quel que soit le nombre d'antithèses, l'intervention du parti est une nécessité historique indispensable pour imposer l'antithèse prolétarienne.
Ce que Lénine posait dès 1902 dans son Que faire ? s'est avéré valable pour tous les pays. Toute la rhétorique ambiguë de Vercesi ne sert qu'à justifier "l'inévitabilité" historique de l'erreur de Rosa.
En fait de synthèse des positions de Lénine et de Rosa, Vercesi nous apporte dans un jargon pédantesque la théorie de Lénine. L'apport de Vercesi consiste uniquement, au travers de la justification qu'il veut historique de l'erreur de Rosa, à se trouver une issue, lui permettant demain de poser comme inévitable la reproduction de certaines erreurs ayant déjà été résolues par l'avant-garde.
Plus loin Vercesi, qui veut s'attribuer la découverte du principe de l'intervention de Lénine, présente ce dernier comme un interventionniste à la façon de la 3ème période de l'IC stalinienne. Cette caricature donquichottesque de la théorie de Lénine lui permet d'opposer "le rachitisme idéologique (!) de l'ensemble de la construction de la théorie marxiste de Lénine appliquée aux pays capitalistes" à la génialité du "modeste" militant" militant qui, 43 ans après Lénine, redécouvre que l'intervention du parti "ne fait que pressentir dans le temps et l'espace, qu'établir au moment du départ d'un événement donné ce que l'événement contient déjà en lui-même, et que cet événement ne pourrait toutefois procréer sans l'intervention du parti de classe."
On aurait pu croire qu'une fois redécouvert le principe de l'intervention du parti de Lénine, Vercesi s'en tiendrait là et nous aurions été quittes d'avoir tourné quelques temps dans le labyrinthe de sa pensée. Mais ce serait mal le connaître. Vercesi se chargera vite de nous détromper de nos illusions en faisant quelques sorties ahurissantes dont nous allons reproduire ici quelques extraits :
"Mais il nous appartient… d'intervenir, en tant que fraction, chaque fois que la forme spécifique du capitalisme est éliminée ; dans n'importe quel domaine de la vie sociale, quand la forme spécifique de la vie du capitalisme est balayée, quand la condition politique de ce balayement a été donné par l'inexistence de l'État capitaliste qui personnifie la société, la fraction a le devoir d'intervenir."
Autant de mots, autant d'énigmes et de contradictions. Qu'est-ce encore que cette "forme spécifique de la vie du capitalisme" ? L'État capitaliste probablement. Qu'est-ce alors "la condition politique de ce balayement "qui est donné (la condition) par l'inexistence du capitalisme" ? C'est un jeu de mot ou une façon à la Vercesi de tourner en rond : la condition de la disparition de l'État est donnée par la disparition de l'État !
Mais la perle est dans le devoir de la fraction d'intervenir après que tout cela ait été réalisé. Nous pouvons comprendre Internationalisme, organe théorique de la Fraction française de la Gauche Communiste, année 1945 qu'après avoir parlé pendant plusieurs heures durant, la langue de Vercesi ait fourché.
Si la fraction n'intervient qu'après l'inexistence de l'État capitaliste, il est à croire que la formation du parti par la succession fraction-parti s'effectuera au moment du passage de la société socialiste au communisme. Enfin, il n'est jamais trop tard pour bien faire !
Vercesi continue à insister sur sa nouvelle trouvaille (sa fameuse synthèse est complètement… oubliée) :
En fin de compte, on aimerait être fixé sur le moment où l'intervention devient un devoir car, pour la nouvelle théorie "synthétique", il existe une distinction entre les moments où le devoir est de ne pas intervenir et d'autres où le devoir est d'intervenir. Ainsi, pendant la guerre impérialiste pour prendre un exemple, le devoir bien compris était la dissolution de la fraction car on n'intervient qu'après la disparition de l'État. Par contre la fraction doit intervenir dans les comités antifascistes considérés, bien entendu, comme étant un domaine d'où le capitalisme a été balayé.
Un peu plus loin, Vercesi nous dit que la condition première pour que le prolétariat puisse se retrouver est représentée par l'exclusion des manifestations de l'État capitaliste. Donc, d'après Vercesi, jusqu'à la prise du pouvoir le prolétariat ne se retrouve pas. On se demande comment le prolétariat, sous la direction du parti, peut prendre le pouvoir sans se retrouver ; à moins que le capitalisme et son État ne disparaissent d'eux-mêmes, et cela pour ne pas contrarier la loi historique et pour permettre ainsi au prolétariat de se retrouver. C'est vraiment trop gentil de la part du capitalisme et nous sommes très touchés de cette noble intention.
Mais voilà que le camarade Vercesi découvre du nouveau et va plus loin : la condition première, c'est-à-dire l'exclusion des manifestations de l'État capitaliste est réalisée par… la fraction !!!
Pour que l'on ne nous accuse pas de mal interpréter, nous reproduisons le passage en entier :
On ne peut retirer comme impression de ce passage que celle d'un verbiage et de contradictions prélogiques.
Et voilà, un peu plus loin, un autre passage dans ce genre :
Comprenne qui voudra et ce qu'il voudra. Nous, nous y renonçons.
D'un côté, Vercesi dit : "Au point de vue politique et organisationnel, personnifier le prolétariat n'est possible qu'à la condition de rester fidèle au programme de la fraction et à l'ensemble des documents politiques de la fraction elle-même."
D'un autre côté, il dit : "Pour reprendre la petite expérience du Comité de coalition, il nous revenait le devoir de nous situer au sein de ce milieu qui se présentait devant nous et de déterminer la condition fondamentale pour que la fraction puisse personnifier la situation nouvelle."
Nos camarades lecteurs sont déjà familiarisés avec le raisonnement "dialectique" propre à Vercesi. Nous avons ici un spécimen de ce raisonnement. Dans le premier passage il est dit que la condition pour personnifier le prolétariat est donnée par la fidélité au programme de la fraction ; dans le 2ème passage ce n'est plus dans la fidélité au programme mais dans la participation au comité de coalition qu'on "détermine la condition fondamentale" de la personnification.
Nous pensons, quant à nous, que la fraction devait se situer en dehors de ce milieu, face au prolétariat et ne pas présenter la plus petite communauté d'idée avec ce milieu qui exprime un contenu capitaliste. C'est ainsi seulement qu'on peut personnifier non pas la situation nouvelle mais le prolétariat dans la situation nouvelle, et cela, comme le dit Vercesi plus haut, en restant fidèle au programme de la fraction. La confusion qu'on fait ici entre la personnification de la situation avec la personnification du prolétariat dans la situation ne sert qu'à cacher l'abandon du programme de la fraction et sa propre infidélité à ce programme. Ce n'est pas pour rien que Vercesi a tant tourné autour de la théorie des situations particulières à propos de Rosa. À chaque abandon qu'il fera , il fera appel à la situation particulière nouvelle.
Mais ce qui est plus grave c'est qu'il accepte de nier la vie organisationnelle de la fraction sous le prétexte fallacieux de ne pas être exclu comme traître à la classe ouvrière par un milieu représentant les intérêts capitalistes. Nous reproduisons textuellement le passage en question :
Ceci est vraiment remarquable. Si nous étions restés fidèles au programme de la fraction (à son climat politique antérieur, comme dit Vercesi dans son langage recherché), nous n'aurions pu faire le travail que nous avons fait[4] 4.
De deux choses l'une : ou bien notre programme, nos positions politiques, nos règles sont justes et permettent d'agir dans l'intérêt du prolétariat, ou bien pour faire ce "travail" nous devons les abandonner et elles sont donc fausses. Proclamer la fidélité aux documents de la fraction mais les écarter, les mettre au rancart pour pouvoir faire du travail, c'est le coup de chapeau classique, respectable devant un convoi funèbre. Il ne faudrait tout de même pas que Vercesi assimile la fraction à lui-même.
Le 2ème argument, celui d'être exclu comme traître à la classe ouvrière, n'est pas nouveau ; ce qui est nouveau c'est que Vercesi partage cet avis.
Kerenski employait cet argument contre Lénine, Staline l'emploie contre l'avant-garde révolutionnaire. Qui fait-il suivre, Lénine ou Vercesi ? Est-ce le fait d'être taxé de traître ou est-ce le fait d'être exclu de ce milieu anti-prolétarien ou est-ce les deux choses qui ont persuadé Vercesi que notre politique constitue "une politique tout à fait contraire aux intérêts du prolétariat et de la fraction" ? Vercesi semble craindre bien plus d'être exclu de ce milieu du Comité de coalition que de la fraction, et entre les deux il a choisi.
Et voilà en quelque sorte le testament politique de Vercesi en guise de conclusion :
On sera vraiment de mauvaise foi d'accuser Vercesi de na pas être clair pour une fois. Il revendique le droit de s'extraire de son passé. Oui, c'est bien cela que Vercesi fait depuis quelques temps. Et nous rappelant de la réponse de Lénine -faite il y a un demi-siècle à ceux qui se plaignirent du despotisme de l'orthodoxie marxiste et qui revendiquèrent aussi la liberté de s'extraire de leur passé-, nous disons à Vercesi :
"Vous êtes libre de vous extraire de votre passé, vous êtes libre, absolument libre d'aller où bon vous semble, même dans le Comité de coalition antifasciste où cohabitent fraternellement toutes les forces du capitalisme ; au besoin nous vous aiderons à transporter vos pénates dans ce nouveau milieu qui est le vôtre mais lâchez nous la main, Monsieur, car nous aussi nous sommes libres de rester fidèles au prolétariat, à la fraction, à notre passé, libres de vous combattre impitoyablement et de vous dénoncer au prolétariat."
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Nota bene. L'écriture automatique a pu donner des chefs-d’œuvre en littérature, la politique est plus exigeante. "Les types", "les pontifes", "les sacristains" préfèrent s'en rapporter à Marx et l'expérience passée du prolétariat révolutionnaire pour s'aider dans la compréhension de la situation présente plutôt que de suivre l'élaboration imaginative du Picasso de la révolution.
[1] Note de l'éditeur : La cohérence politique du texte nous amène à penser qu'il y a ici, dans le texte original, une erreur de frappe : c'est à l'évidence de "la conception de Rosa" dont il s'agit ici.
[2] On connaît la théorie professée par Vercesi selon laquelle l'économie de guerre fait disparaître les conditions de l'existence sociale de la classe, théorie qui lui a servi à nier la possibilité d'exprimer le prolétariat pendant la guerre. Cela ne l'empêche pas d'affirmer aujourd'hui : "L'antithèse prolétarienne étant donnée par l'existence même de la thèse, la condition est établie pour qu'elle puisse se cristalliser autour de la formation du parti de classe."
[3] Il faut d'ailleurs remarquer que Rosa était de la Pologne russe, qu'elle s'est formée en tant que militante en Russie où elle a fondé le parti social-démocrate de Pologne, et que toute sa vie elle suivra de très près toute la vie politique et le mouvement ouvrier russe. Lénine, de son côté, vivra en Europe et se formera en assimilant mieux que personne l'expérience du mouvement ouvrier européen.
[4] Une mise au point s'impose. Quand Vercesi parle de "nous", ce n'est qu'une façon de parler. Ce "nous" ne signifie nullement et n'engage en rien la Fraction italienne qui, elle, a condamné et ce travail et son auteur.
La Fraction italienne et nous-mêmes avons eu l'occasion de nous expliquer longuement sur la signification des événements de 1943 en Italie. On trouvera, dans les bulletins internationaux publiés depuis, les études et les articles condamnant sans retour la position de Vercesi sur ce point. Si nous revenons encore une fois aujourd'hui, c'est pour ne pas laisser sans réponse, même courte, les nouvelles sorties de Vercesi et surtout pour confronter Vercesi avec lui-même.
On connaît les positions de Vercesi. Après avoir, pendant quelques jours, cru que le cours de la révolution s'est ouvert avec les événements de 1943 en Italie, il est vite revenu sur son "erreur" et définitivement revenu. Les événements de 1943 étaient "la crise économique de l'économie de guerre", c'était "une révolution de palais" ; La chute de Mussolini était "le fruit pourri qui tombe" ; c'était tout ce que l'on veut hormis une manifestation de classe du prolétariat italien. Cette interprétation des événements de 1943 lui était nécessaire pour justifier sa position sur l'inexistence sociale du prolétariat et surtout pour combattre toute activité, toute possibilité d'une activité révolutionnaire aussi restreinte soit-elle, décriée et qualifiée par lui comme de "l'activisme", de l'aventurisme ne pouvant représenter et exprimer que le capitalisme. L'attente et la passivité absolues seules convenaient aux révolutionnaires. Et c'est par cette passivité absolue que l'on pouvait rester fidèle au prolétariat.
Mais voilà que brusquement tout change et le pourfendeur de "l'activisme qui ne pouvait exprimer que le capitalisme" se trouve à la tête d'un comité antifasciste en compagnie de tous les partis bourgeois. Et cette fois-ci on nous dirait que ne pas participer à cet activisme nous mettra en dehors du prolétariat, comme des "traîtres". Voyons un peu comment on explique cette ahurissante conversion :
Ainsi, deux ans après, Vercesi ne voit pas encore la signification de ces événements où, par des grèves et des manifestations, le prolétariat italien a secoué tout l'édifice politique de la machine étatique fasciste. La pleine signification nous sera révélée par la suite : d'une part par les mesures prises par le capitalisme mondial qui divisera l'Italie en deux zones afin de mieux pouvoir maîtriser les violentes manifestations de classe du prolétariat, et d'autre part par le refus obstiné des ouvriers d'Italie de se laisser embrigader à nouveau dans les armées impérialistes dans les deux zones, par son refus de continuer à se faire massacrer dans la guerre impérialiste, malgré la propagande et la présence des socialistes et communistes-staliniens au gouvernement accourus à la rescousse du capitalisme. Le mouvement de classe du prolétariat italien porte encore certainement l'empreinte d'une confusion ; cela est inévitable au premier moment, d'autant plus qu'il a manqué en Italie la présence active de l'avant-garde qui est un des facteurs déterminants et indispensables pour la dissipation de la confusion. C'est l'intervention de l'avant-garde qui permet au prolétariat de prendre pleinement conscience du but de son propre mouvement et des moyens pouvant lui assurer la victoire.
Très caractéristiques sont ces quelques mots : "à part les mouvements en novembre 1943 à Turin". Vercesi le dit certainement pour être quitte avec le proverbe qui veut que les exceptions confirment la règle. Une petite exception, voyez-vous, les mouvements de Turin, qu'est-ce que cela prouve pour Vercesi ? Rien, une petite exception ! Turin représente pourtant pour l'Italie ce qu'étaient Saint-Pétersbourg ou Moscou pour la Russie. C'est un des plus grands centres industriels de l'Italie et du prolétariat italien. Une simple petite exception !!
Mais Vercesi, oubliant ce qu'il vient de dire pour justifier son "activisme" singulier d'aujourd'hui, dit un peu plus loin :
Voyons, "le prolétariat n'a pas fait son apparition du point de vue social" mais "les masses réclament la révolution". Passons sur la contradiction criante et demandons-nous seulement pourquoi l'emploi de ce terme vague de "masses" ? Cela n'est pas par hasard. Il s'agit en l'occurrence des masses des partisans de l'Italie du nord, ceux encasernés par la bourgeoisie dans la résistance. Pour justifier sa participation au comité de coalition avec la bourgeoisie, Vercesi a besoin à la fois de nier l'existence du prolétariat et de découvrir les nouvelles forces de la révolution, les "masses" des partisans, en raison de quoi il inaugure sa tactique dite indirecte.
Polémiquant contre ceux qui voyaient le prolétariat dans les événements de 1943 en Italie et proclamant comme devoir de l'avant-garde de manifester sa présence par son action, Vercesi recourt aux arguments suivants :
Voilà une apparence d'arguments forts destinés à vous impressionner et convaincre sans réplique ; mais à regarder de plus près, ce ne sont que des mots creux et fanfarons. Il n'est pas exact que, dès que le prolétariat apparaît, il bouleverse tout immédiatement. Dans la réalité, le cours de la révolution connaît des hauts et des bas, il peut être momentanément freiné, dévié, reflué pour rebondir plus puissamment par la suite, ou même être complètement arrêté et défait. La révolution russe nous offre le meilleur exemple d'une révolution qui devait pourtant être victorieuse, passant par un long moment d'hésitation et de recul. Le 1923 allemand nous offre un autre exemple historique où l'hésitation du parti communiste et l'application à grande échelle de la tactique du front unique devaient endiguer la marche du prolétariat et permettre au capitalisme de liquider la situation révolutionnaire avant que celle-ci ait pu évoluer et atteindre son point culminant.
Vercesi le sait très bien puisque, plus loin, il dira comme si de rien n'était :
Cette "première phase extrêmement confuse", Vercesi l'accorde au mouvement de la résistance des partisans du nord – qui sont trompés et se sont fait les auxiliaires de l'impérialisme anglo-saxon et russe – mais il le dénie catégoriquement aux grèves de 1943 de Turin, de Milan, de toute l'Italie ; il le dénie à ces mouvements qui ont disloqué l'armée italienne et qui portaient comme devise : "A bas la guerre!"
Comme nous comprenons bien, à présent, les raisons profondes du scepticisme et des exigences sévères formulées par Vercesi à l'égard du prolétariat italien :
Les ouvriers de Turin ont crié en faisant des grèves contre la guerre et contre le gouvernement fasciste mais cela "importe" peu, car Vercesi, lui, n'est pas dupe et ne croit pas que ces grèves représentent l'apparition du prolétariat.
Il serait peut-être non sans intérêt de rappeler au grand sceptique Vercesi le "Rapport sur la situation en Italie" présenté au congrès de la Fraction italienne (voir Bilan n° 22, septembre 1935) où nous lisons :
Ce rapport, adopté par tous et aussi par Vercesi, fut écrit par le camarade Philippe qui, croyons-nous, devait être un tout proche cousin de Vercesi. Il est vrai que Vercesi fut alors un marxiste, un révolutionnaire, un membre de la Fraction italienne de la Gauche communiste.
Vercesi s'est enfin rendu compte que, dans sa théorie de l'économie de guerre, il avait négligé un facteur important, l'échange. Il l'introduit comment ?
Ainsi la réalisation de la PV s'effectue dans le premier acte du procès de production capitaliste et ceci grâce à la possibilité de non-transformation du produit. Mais ceci n'est pas une réalisation de la PV puisque cette dernière, incorporée dans le produit, ne se transforme pas par l'échange en un accroissement du capital constant et du capital variable.
Ce qui est plus étonnant c'est qu'il fait entrer une notion d'utilité et de non-utilité qui nous semble toute morale. Nous nous expliquons : Marx disait que si un homme s'amuse à arrondir un caillou, la somme de force de travail qu'il dépense n'ajoute rien à la valeur nulle du caillou, car ce travail d'une part la mer le fait et d'autre part il ne trouvera pas d'acheteur sur le marché. Son travail a été concrétisé dans un produit non-utile parce que non-échangeable. Le camarade de BR qui, d'après Vercesi aurait dit nonante bêtises desquelles sort la vérité, pour cette bêtise, était plus près de la réalité que la bourde astronomique de Vercesi. Si c'est en fonction de la non-utilité morale de la production de guerre que l'échange se fait, on repose la question : comment ?
Ici, nous devons retourner en arrière pour étudier l'échange :
Vérité évidente : l'échange contient les caractères de PV que lui donne la production ; mais le processus de l'échange de la production diffère de sens, de lieu et d'endroit. Et c'est ce processus que nous aimerions voir mis en évidence par Vercesi qui, tout au long de son document, n'en dit pas plus. Quand il n'est pas dans le lieu commun, il tombe dans l'erreur la plus grossière. Pour lui, le socialisme permettra à l'échange d'avoir ses lois propres. Entend-il, par-là, indépendante de la production ? Si telle était la production socialiste, elle serait encore plus anarchique que la capitaliste, car sa production serait de consommation et l'échange n'aurait pas cette caractéristique puisque ce n'est qu'en société capitaliste qu'on assiste à un échange dépendant de la production.
Une autre trouvaille, encore plus riche de désespoir, consiste à déclarer que "si, ici, la condition pouvait avoir été réalisée par l'économie capitaliste d'échanger le capital variable contre une fraction du capital constant sans qu'aucun solde ne reste, le marché enregistrerait ce fait au travers d'une distribution harmonieuse des produits et nous n'aurions pas de classes antagoniques."
Tout d'abord, si une telle possibilité avait été donnée au capitalisme d'après lui-même, c'eut été le socialisme car, si cela avait supprimé les classes antagoniques, cela aurait supprimé les classes tout court.
Mais ceci c'est le socialisme à la Vercesi ; et toute société qui touche à son capital constant pour en échanger une fraction égale au capital variable désaccumule, et nous tombons de quelques siècles en arrière au travers d'une distribution étrangement harmonieuse. Car l'échange d'une fraction du capital constant en capital variable n'augmente pas le capital constant ; et après 4 à 5 cycles, il n'existerait plus de capital constant. Est-ce la théorie d'Adam Smith qu'il reprend ? En effet, dans la production de valeurs, Adam Smith ne voyait que du capital variable et de la PV ; cependant, à l'encontre de Vercesi, ce n'est pas l'échange du capital constant par le capital variable mais parce que le capital constant ne représentait que du capital variable et de la PV réunis.
Toujours d'après le dernier passage de Vercesi, nous aimerions connaître avec quoi il échange la PV ? Car, pour ce qui est du capital constant et du capital variable, il nous le dit. Le grand ennui dans sa théorie de l'échange c'est qu'il ne parle pas du tout du vrai problème qui reste : la réalisation de la PV.
Quand en société capitaliste on parle de l'échange, c'est la PV qui pose ce problème. En effet le capitaliste, qui a dépensé du capital constant et du capital variable, retrouve dans la société la quantité de valeur qu'il a mis en circulation ; il n'en est pas de même pour la PV qui est une valeur supplémentaire que lui fournit la force de travail qu'il a achetée. Cette valeur supplémentaire demande un acheteur pour être transformée en capital constant et capital variable additionnels et permettre l'accumulation.
Si, comme le dit Vercesi, "la non-utilité économique du produit supprime l'éventualité et la nécessité de sa transformation", on se demande 1°- comment le capitalisme retrouve le capital constant et le capital variable qu'il a mis en circulation, 2°- comment réalise-t-il la PV incorporée au produit puisque ce produit, dans le procès de circulation, ne se transforme pas ?
La non-utilité est un mot nullement magique et nous ne voulons pas être dupes comme lui de son ergotage. Car, plus loin, nous assistons à un revirement total de sa conception. Précédemment, il résumait que le capitalisme a la possibilité de résoudre le problème du fonctionnement de la société capitaliste et qu'il ne peut le résoudre qu'économiquement. Quelques lignes après il dit :
Nous ne relevons que la volte-face de Vercesi, la plus significative. Tout ce qu'il a construit précédemment tombe avec juste raison devant cet argument massue qui, malheureusement pour lui, est de Rosa Luxemburg.
Et alors la non-utilité du produit n'arrive pas à "codifier" (nous croyons qu'il faut prendre ce terme dans le sens de "résoudre") "le problème du fonctionnement de la société capitaliste". Vercesi tourne en rond et ce n'est pas nous qui le faisons tourner. Nous, les pontifes – terme méprisant qu'il décoche à notre intention -, avons plus confiance dans le travail cohérent de Marx et de Rosa pour nous aider dans la compréhension su processus économique actuel.
La valeur d'un produit est donnée par la force de travail socialement nécessaire pour sa fabrication. Cette force de travail se retrouve dans le produit sous trois formes : le capital constant – machines, matières premières -, le capital variable - salaires des ouvriers -, la PV – le travail non payé à l'ouvrier. Si l'on considère le schéma de la production capitaliste donné par Marx :
1)- C+V+PV = moyenne de production,
2)- C+V'+PV = moyenne de consommation[1], on s'aperçoit que ni les capitalistes ni les ouvriers ne sont capables de réaliser la portion de PV qui se transforme en C et V additionnels.
Cette réalisation ne peut s'opérer que dans la sphère extra-capitaliste. Une fois cette sphère disparue, la réalisation globale de la PV ne s'effectue plus.
La PV produite par les allemands n'a pas été réalisée et ne se retrouvera pas dans le prochain cycle de reproduction. La PV américaine s'étant effectuée au détriment du capital constant et du capital variable allemand, nous n'assistons plus à une reproduction élargie globalement.
Pour le capitalisme américain, il y a reproduction élargie ; pour le capitalisme allemand il n'y a même pas reproduction tout court. Le capital social de toute la société, la réalisation de la PV s'effectuant au détriment du concurrent le plus faible par une translation de capitaux et non par l'adjonction de nouvelles valeurs réalisées. Ne considérer la production élargie que dans les limites de l'intégration de la PV dans le produit (1er acte du procès de production capitaliste), c'est ne pas permettre de faire la liaison entre le 1er cycle de production et le suivant.
Reproduction élargie signifie qu'entre deux crises périodiques la moyenne de production (en valeur) est en hausse par rapport à la période précédente. Devant cette explication le brave Vercesi part en bataille en déclarant que de 1933 à 1939 la moyenne de production des valeurs est sûrement supérieure à celle de entre 1918 et 1933. Tout d'abord, ceci est à vérifier.
La production pour la seule année 1939 est à peine égale à celle de 1929 - point culminant de la production mondiale en Allemagne et Italie, inférieure en Amérique, France et Angleterre, supérieure au Japon (ceci au détriment de la Chine). De plus, de 1929 à 1933, la production cherche à se réaliser tandis qu'en 1939 elle est encore au 1er stade du procès capitaliste : intégration de la PV dans le produit.
La période qui doit être mise en rapport avec celle de 1918-33 va de 1933 à 1945 et 1946 même, car c'est seulement la guerre qui traduit, dans la période actuelle, l'échange permettant la reprise du cycle de production. Mais ce qui est ahurissant à entendre, c'est la confusion que Vercesi fait entre la production (de valeurs) et la productivité et, comme il n'est pas ignorant à ce point, il jongle :
La productivité ne signifie nullement une augmentation de la valeur de la production. Un avion, qui en 1914 nécessitait 100 heures de travail, en 1945 ne nécessite plus que 20 heures de travail par exemple. De sorte qu'en 1914 on produit un seul avion pour la même valeur que les 5 avions produits en 1945.
La productivité a augmenté mais pas la production de valeurs. Et quand on identifie, comme il le fait, "la formidable augmentation de l'incorporation de valeur dans les produits" avec les produits eux-mêmes par la productivité, ceci signifie que la valeur du produit n'est pas seulement donnée par la quantité de travail mais aussi par les machines permettant de produire un objet en un temps de plus en plus court ; ou alors l'idée de Vercesi est très simple et découle de son "sens commun".
Les 5 avions produits en 1945 en 100 heures de travail valent plus que l'avion produit en 1914 dans le même temps de travail. Pourquoi ? Parce que l'arithmétique du "sens commun" prouve fort justement que 5 avions c'est plus qu'un avion. Mais le "sens commun" dit aussi que la quantité d'argent que l'on paiera pour un des 5 avions sera le 1/5ème de la quantité d'argent payée pour l'avion construit en 1914.
Cette économie de guerre -résultat du travail de modeste contribution de Vercesi à l'élaboration du parti de classe de demain- a été précédemment introduite par l'étude des divergences entre Lénine et Rosa au sujet du développement du capitalisme. On s'apercevra comment, tout en donnant tort à Rosa, il conclut dans le sens de Rosa, comme il l'a fait quand il parle de la codification du système capitaliste à propos de l'économie de guerre.
Le dissentiment entre Lénine et Rosa ? Le voici :
Nous rapprochons ce passage de deux autres passages pour mieux faire comprendre où réside le dissentiment :
Donc, pour Vercesi, le dissentiment semble se réduire à cette seule chose : que Lénine prétendait à l'importance primordiale, dans la société capitaliste, du premier acte du procès capital, tandis que Rosa voyait le problème d'une manière plus approfondie en posant une relation entre la production et l'échange.
Si Vercesi veut faire dire à Lénine "l'échange n'est rien, la production est tout", il falsifie le problème et l'on ne comprendrait pas "L'impérialisme, stade suprême du capitalisme" où Lénine essaie de rechercher dans l'échange l'impasse dans laquelle se trouve la production. Quand il déclare que cette guerre est faite en vue d'un nouveau partage du monde, c'est de l'échange que Lénine parle.
Il est inconcevable de donner raison à Lénine de l'erreur que Vercesi veut lui faire faire.
Il est encore plus inconcevable de prétendre que Lénine avait raison de considérer que la PV pourrait se faire dans l'économie capitaliste parce que, par rapport à la Russie, Lénine ne remarquait pas que ce pays permettait d'immenses marchés extra-capitalistes permettant le développement du capitalisme.
Et, après cela, avoir l'impudence de donner tort à Rosa d'avoir plus juste que Lénine, même pour ce qui a trait à la Russie, c'est le monde à l'envers ; ou alors Vercesi prend ses auditeurs pour des imbéciles.
Que Rosa se soit trompée sur la spontanéité de la formation du parti de classe n'implique en rien la fausseté de sa théorie économique des marchés extra-capitalistes ; et, si Lénine, partant de données économiques fausses arrive à l'énumération réelle du processus de formation du parti de classe, nous n'allons tout de même pas jeter un voile sur sa théorie économique et, contre l'évidence que Vercesi lui-même fait ressortir, donner raison à Lénine même dans son erreur.
On comprend, après tout son bavardage, qu'il doute de la valeur révolutionnaire de sa contribution idéologique.
[1] Marx disait à propos de la réalisation de la PV : "La demande ouvrière ne suffit pas puisque le profit provient précisément de ce que la demande ouvrière est plus petite que la valeur de leurs produits, et qu'il est d'autant plus grand que cette demande est relativement plus petite.
La demande réciproque des capitalistes ne suffit pas davantage." (Histoire des doctrines économiques)
Vercesi fait prendre à Rosa la position de Riazanov selon laquelle l'internationalisme ne signifie pas souhaiter la victoire du capitalisme étranger sur le capitalisme national car on n'affaiblira pas le capitalisme mais on livrera le prolétariat à un impérialisme étranger.
De sorte que la position de Lénine, toujours d'après Vercesi, n'était valable que pour la Russie et ce que disait Lénine, concevable en raison des éléments historiques où il agit entre 1914 et 1918, n'avait pour lui qu'une application en Russie seulement. Rapprochons le premier passage de cette réponse de Lénine aux Riazanov et autres internationalistes honteux : "La classe ouvrière, dans la guerre réactionnaire, ne peut pas ne pas désirer la défaite de son propre gouvernement. C'est un axiome. Seuls les discutent les partisans conscients ou les domestiques sans caractère des social-chauvins."
Et la résolution de Berne (Le Social-démocrate N° 40) : "Dans tous les pays capitalistes le prolétariat doit maintenant désirer la défaite de son gouvernement."
Quant à la position de Rosa, elle s'est exprimée au Congrès de Stuttgart (1907) par l'amendement qu'elle fit ajouter, qui soulignait que le problème consistait non seulement à lutter contre l'éventualité de guerre, ou de la faire cesser le plus rapidement possible, mais aussi et surtout à utiliser la crise causée par la guerre pour accélérer la chute de la bourgeoisie, à tirer de toute façon partie de la crise économique et politique pour soulever le peuple et précipiter, par là même, la chute de la domination capitaliste.
On est loin de l'interprétation de Vercesi sur la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile.
A quoi veut en venir Vercesi ? Car plutôt que de faire mentir Lénine et Rosa, il eut été préférable qu'il endosse pleinement la responsabilité se ce qu'il écrit.
Le défaitisme n'est un moyen que pour le prolétariat des pays dont le capitalisme n'est pas au pouvoir, ce qui amène forcément, pour cette guerre, le rejet du mot d'ordre de Lénine de transformation de la guerre impérialiste en guerre civile.
Allant plus loin, le caractère d'économie de guerre de 1914-18 enlève à la révolution de 1918 en Allemagne le caractère de facteur ayant déterminé la fin de la guerre impérialiste en la transformant en guerre civile.
La révolution de 1918 résultait-elle de la crise de l'économie de guerre ? Oui doit répondre Vercesi. Et toute cette monstrueuse théorie pour arriver à ce résultat. Pas de guerre civile, d'où pas de prolétariat pendant la guerre, d'où pas d'action de la fraction.
Vouloir ramener l'enseignement de Lénine et de Rosa à l'échelle de Vercesi, c'est rendre nul et non avenu tout le travail de la 2ème et de la 3ème Internationale dont chaque parti n'a pu agir, penser qu'en rapport aux seuls éléments historiques de leur secteur sans tenir compte de l'internationalisation du problème. C'est aussi ne pas comprendre la valeur du travail de Marx puisque ce dernier n'a écrit qu'en rapport aux éléments historiques de la révolution bourgeoise allemande avortée. Zimmerwald ne représente pas une plate-forme du prolétariat international mais est un vulgaire mélange de conclusions tirées d'éléments historiques différents et dont chaque prolétariat n'a à prendre que les conclusions présentées par ses représentants. Merheim et Bourderon pour la France, Ledebour pour l'Allemagne, Lénine pour la Russie. Seulement Lénine avait tort de s'en prendre à Ledebour qui continuait à voter les crédits de guerre au Reichstag. Et Liebknecht était un pauvre utopiste dont le geste en 1916 à la Postdamer Platz était contre-révolutionnaire, parce que crier que le premier ennemi à abattre c'est sa propre bourgeoisie dans un pays où la révolution bourgeoise avait déjà été faite (c'est Vercesi qui le dit) c'était faire le jeu de l'impérialisme adverse.
Et voilà à quelle déduction on est obligé d'arriver avec sa façon d'analyser les divergences entre Lénine et Rosa. Par bonheur pour le prolétariat, Lénine et Rosa ne se sont pas confinés à l'étroitesse "des éléments historiques où ils agirent entre 1914 et 1918". Ils ont posé des problèmes et résolu différemment ces problèmes pour la classe ouvrière en général.
La transformation de la guerre impérialiste en guerre civile a bien représenté la lutte du prolétariat allemand en 1918 malgré l'économie de guerre de Vercesi.
Et dans cette guerre-ci ? Voilà les conclusions que tire Vercesi :
Le prolétariat italien a parodié sa manifestation effective en tant que classe en 1943. Nous n'avons assisté qu'à une simple farce dont les acteurs et victimes ont été les ouvriers de Milan et de Turin.
La farce c'est Vercesi qui, maintenant, la joue dans ce Comité antifasciste, résultat de ses études sur la tactique indirecte. Le prolétariat, au prix de "Abas la guerre!", n'a pas voulu amuser la galerie mais se soustraire effectivement, en tant que classe, à la guerre par une lutte violente que seuls les bombardements et la division dans la tâche de répression ont pu maîtriser momentanément sans parvenir à réintroduire le prolétariat dans la guerre.
Et en Allemagne, où ces derniers mois nous avons assisté à une véritable offensive de la classe ouvrière dans divers centres importants contre l'État nazi, c'est de la mascarade pour Vercesi.
Nous sommes heureux de constater au moins que Vercesi ne se prend pas au sérieux et que toute son économie de guerre ne représente aucune fermentation idéologique. Mais l'ignorance n'est pas un argument car le seul fait de la formation de la Gauche Communiste française qui vit et lutte est un contredit à sa réponse. De plus, quand il aura lu tout le travail effectué par la Gauche Communiste italienne et la Gauche Communiste française - en vue de l'élaboration des positions de classe du prolétariat face à toute la démagogie capitaliste et à la grossière erreur du BI de la Gauche Communiste qui ouvrait en 1938 comme perspective la révolution et non la guerre – peut-être se rendra-t-il compte que c'est lui seul qui est en dehors de la fermentation idéologique qui se fait.
Mais voyons comment il explique son erreur dans le BI en 1938 ?
D'une part Vercesi déclare n'avoir pas saisi que l'échange se réalise au moment même de la production, ce qui l'a conduit à cette erreur, d'autre part il constate, d'après les événements, que toute production exige un marché.
Pourquoi faire un marché puisque l'échange s'effectue au moment même de la production ?
A moins que l'échange et le marché aient, pour Vercesi, des secrets que nous ignorons. Car, jusqu'à nouvel ordre, un marché est la condition nécessaire à l'échange (pour nous du moins). Nous croyons saisir le secret si on se reporte aux expériences de brûlage de café et autres produits pendant les années précédant la guerre. La production de guerre a besoin d'un marché où se déverser non économiquement mais matériellement et dont les soldats seront les consommateurs. Drôle de marché !
Ne pouvait-on pas déverser les obus dans l'océan comme on a fait pour le lait en 1930 ? Que Vercesi fasse cette proposition à la conférence de San Francisco et la paix sera éternelle.
Et nous terminerons ce chapitre par une nouvelle contradiction :
Et l'économie de guerre à quoi sert-elle ? Vraiment Vercesi aurait pu s'épargner tous ses efforts précédents ou bien, comme il le pense, l'échange s'effectue au moment même de la production et alors le prolétariat ne pourra jamais réapparaître.
[1] Confrontez ceci avec la réalisation de la PV par la non-utilité du produit
Plus loin : "Bordiga, aujourd'hui, est celui qu'il était en 1921, 1926, 1927 ; ce qu'il est resté pendant toute la période fasciste et pendant toute la guerre ; et il est aussi celui qui, en 1943, exprime ses idées avec la fumée contingente de ces événements et qui susceptible de pouvoir les réexprimer avec toute sa limpidité au moment où la situation permet un retour complet du prolétariat révolutionnaire."
Et tout ceci se termine par cette excommunication qu'il prétend condamner.
Le premier point que l'on peut retirer de tout ce fatras de mots, de questions et de réponses imaginatives c'est qu'il affirme certaines choses sans chercher à les démontrer ou à les approfondir. Ce sont des credos qu'il pose ; et ce qui est grave c'est qu'ils ne reposent que sur des sentiments plutôt que sur une étude objective.
Pendant la guerre d'Espagne en 1936, Vercesi condamnait violemment et avec raison la politique des divers partis ouvriers confusionnistes et même celle de la minorité de la fraction italienne. Pourtant, ceux qu'il condamnait étaient bien plongés dans leur corps social "qui pouvait seul les exprimer". La position de Vercesi était-elle fausse à cette époque ? Lui-même reconnaît que non quand il traite de l'antifascisme avant cette guerre.
Mais allez mettre Vercesi face à ses contradictions. Peine perdue. Vercesi n'est plus un marxiste mais un jongleur de mots à tendance nationaliste : chaque révolutionnaire, dans son analyse, dépend du secteur local du capitalisme d'où il est issu et uniquement de lui ; ses analyses, ses perspectives ainsi que les principes de son action ne sont valables que pour son secteur seulement ; de plus, ce révolutionnaire, expatrié, doit s'incliner à priori devant la justesse de vue de ses camarades restés dans la mère patrie, car lui ne peut plus penser juste, son corps étant séparé de son esprit.
Qu'il existe une éventualité que ce que nous écrivons maintenant sur la France – nous qui pourtant y sommes – est sujet à caution, ceci est indiscutable. Pourquoi devons-nous avoir raison d'avance et à priori sur nos camarades hors de France ?
L'histoire, au contraire, nous apporte des preuves que des camarades qui s'expatrièrent en raison de la répression capitaliste avaient eu des vues plus justes que ceux demeurés dans la mère patrie. L'exemple le plus démonstratif est celui de Lénine qui entre en Russie après plus de 18 ans d'absence avec le résultat d'une fermentation idéologique intense, les Thèses d'avril qu'il présente comme le nouveau programme devant remplacer celui de 1903 élaboré pourtant dans le corps "qui seul permet d'exprimer un programme". Et la victoire de la révolution en 1917 fut pourtant possible d'après le corps des Thèses d'avril.
Nous savons déjà la réponse de Vercesi sur ce point :
Les différences entre les divers secteurs du capitalisme prennent le pas sur l'uniformité du système bourgeois dans tous les secteurs du monde. Les principes d'action ne sont plus conditionnés par l'uniformité du régime capitaliste mais essentiellement par les particularités de chaque secteur envisagé, et ceci nous conduit directement à cette position nationaliste de Vercesi sur les partisans italiens qui ne sont pas comme les autres partisans parce que ceux d'Italie ont sûrement raison et qu'il n'y a pas à discuter.
Que Vercesi prenne ses désirs pour des réalités, un esprit détaché de son corps, un esprit détaché de son corps est normalement porté à s'illusionner.
Seulement Churchill, Staline, Roosevelt, eux ne s'illusionnent pas. Que les masses désirent confusément sortir du chaos de la guerre, ceci est certain ; que la forme de regroupement du prolétariat en partisans soit une possibilité de détourner la classe ouvrière de sa lutte propre, ceci est encore plus certain et les 3 grands se servent de cet instrument pour étouffer le prolétariat en tant que classe.
Venir dire ensuite aux partisans sur un ton de pape :
On ne comprend plus alors comment "les partisans luttent pour la révolution. La théorie de la spontanéité réapparaît chez Vercesi bien qu'il l'ait combattu à propos du dissentiment Lénine-Rosa.
Nous terminons par une dernière citation en rappelant que Vercesi fait partie d'un comité antifasciste avec des bourgeois et des staliniens. Mettant en garde les camarades de la fraction contre ceux qui, restés fidèles au marxisme, se refusent à suivre Vercesi, il s'écrie :
Cette exécution des pontifes ne l'a-t-il pas déjà commencée dans ce comité antifasciste avec les bourgeois et les staliniens ?
Tout ce que l'on peut dire, c'est qu'il est fort possible qu'il participe à l'exécution des pontifes mais pas dans l'intérêt du prolétariat et de son parti de classe, car les bourgeois et les staliniens du comité antifasciste n'ont jamais représenté le prolétariat ; quant à Vercesi, il ne le représente plus.
SAMAR
Nota bene : L'écriture automatique a pu donner des chefs-d’œuvre en littérature, la politique est plus exigeante. "Les types", "les pontifes", "les sacristains" préfèrent s'en rapporter à Marx et l'expérience passée du prolétariat révolutionnaire pour s'aider dans la compréhension de la situation présente plutôt que de suivre l'élaboration imaginative du Picasso de la révolution.
Nous publions ci-dessous un document qui était soumis à la discussion dans la Gauche Communiste. Ce document, écrit en fin juillet 1943, abordait les problèmes qui apparaissaient avec l'ouverture d'un cours historique nouveau, le cours de rupture de la guerre impérialiste par l'irruption de mouvements de classe du prolétariat commencée en Italie.
Nous estimons que ce document garde encore aujourd'hui sa valeur essentielle ; en le reproduisant, nous souhaitons susciter une discussion publique entre les groupes et militants révolutionnaires, une discussion la plus large possible sur les problèmes brûlants du moment présent.
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Les perspectives d'avenir résultent non seulement d'une étude de la situation présente mais aussi et surtout de la situation du cours historique des vingt dernières années.
1) Au moment de la déclaration de la guerre 1914-18, la situation s'exprimait par : "La société capitaliste est entrée dans l'ère des guerres et des révolutions."
La société bourgeoise est caractérisée par une production de plus-value. Tant que le capitalisme pouvait, par des débouchés sur des terres non encore colonisées, réaliser la plus-value et solder sa production qu'elle élargissait en accumulant du capital, nous nous trouvions dans la période ascendante de l'économie capitaliste. La viabilité du capitalisme résultait de la possibilité d'une production élargie par accumulation du capital et élargissement de ses débouchés.
Du jour où le capitalisme se trouvait devant un marché inextensible, du fait du partage du monde entre capitalistes et de l'intégration des économies arriérées dans le système de production capitaliste, il entrait dans ce qu'on appelle : la crise permanente du capitalisme.
Les crises cycliques exprimant un décalage entre la production et la consommation, décalage abolit par une extension du marché tant qu'il en existait, dans la crise permanente de l'impérialisme, la crise cyclique perd son importance. L'impérialisme n'est que la forme supérieure du capitalisme, c'est-à-dire l'extension des marchés à réalisation de plus-value. A la veille de 1914, l'impérialisme se trouve dans une impasse. Les marchés à réalisation de plus-value n'existant plus et, par-là, le capital social ne pouvant plus augmenter, le capitalisme a dû chercher une solution, dans le cadre de son économie, pour se maintenir : la guerre.
Historiquement, la guerre résulte de cette impossibilité capitaliste à faire progresser sa production. Il est obligé, tout en ne pouvant augmenter son capital social, de détruire dans son propre clan impérialiste un secteur de son économie pour réaliser l'accumulation dans un autre secteur et détruire un impérialisme concurrent. Cette auto-destruction ne peut se faire que par la réduction de la production des moyens de consommation au bénéfice de la production des moyens de destruction. La guerre n'est que ce phénomène d'économie de destruction qui est la forme terminale du capitalisme. Par-là, 1914 inaugure l'ère des guerres et des révolutions.
Guerre ou auto-destruction de l'économie et, par-là, anéantissement de toute la société ; révolution pour l'instauration de l'économie socialiste comme réponse historique aux contradictions internes d'un capitalisme décadent.
2) La guerre, ne représentant pas que le mode de fonctionnement du capitalisme à son époque décadente et terminale, ne peut être le résultat d'une volonté concertée des capitalistes mais le déroulement historique de la production impliquant l'exacerbation des impérialismes et la disparition de la scène historique du prolétariat. Seule la destruction par le capitalisme de la conscience révolutionnaire de la classe ouvrière permet le déclenchement de la guerre, de sorte que le cours même de la guerre ne peut être arrêté par une solution capitaliste. Une forme supérieure d'économie détruisant le mode de production de plus-value par la socialisation des moyens de production et de consommation peut abolir la guerre.
Arrêter le cours de la guerre, seule la volonté de la classe prolétarienne - historiquement appelée à réaliser une économie socialiste - peut le faire. Faire supposer que le cours de la guerre peut être arrêter avant l'expression de la volonté révolutionnaire du prolétariat, c'est admettre la possibilité d'une nouvelle forme viable du capitalisme, possibilité inexistante par le jeu historique de l'économie bourgeoise. C'est, en définitive, donner dans le panneau de la démagogie démocrate. Le mot d'ordre "transformer la guerre impérialiste en guerre civile" ne fait qu'exprimer un déroulement dialectique de l'histoire.
Le prolétariat, ayant pris conscience de sa mission historique et, par-là, tendant à accomplir cette mission, doit abattre le système capitaliste actuel, donc la guerre.
La guerre civile représente la première étape de la lutte du prolétariat contre le capitalisme.
3) Un clan capitaliste domine le monde dans la mesure où il peut réprimer tout mouvement violent de lutte de classe. Dans la deuxième période de l'entre-deux-guerres, l'Allemagne a été déléguée par le capitalisme pour assurer la police en Europe et permettre le jeu de l'économie bourgeoise, c'est-à-dire la guerre.
Après trois années de guerre, l'Allemagne et, par-là, l'Europe présentent les premiers signes de faiblesse. Parce que l'Europe - berceau du capitalisme ayant atteint le plus haut degré de centralisation industrielle et de concentration prolétarienne - est le lieu où les contradictions ont leur expression maximum, l'Allemagne - le meilleur agent de répression du capitalisme des dernières décennies - se trouve actuellement usée.
Si l'on considère, après trois années de centralisation économique de l'Europe, l'Allemagne comme le chaînon le plus faible de la chaîne capitaliste dont le talon d'Achille serait l'Italie, on peut dire que les conditions objectives ouvrent l'ère de la révolution.
Les événements italiens prouvent de quelle façon le capitalisme peut se débarrasser d'une forme politique de domination qu'est le fascisme et détruire le mythe de l'antifascisme. La politique anglo-saxonne tend à prévenir les conséquences révolutionnaires du premier essai de brisure du prolétariat d'avec l'idéologie bourgeoise.
Par une politique du prolétariat européen, en attribuant des privilèges économiques à certains secteurs du chaînon par rapport à d'autres secteurs, les anglo-américains et russes vont essayer de briser la solidarité révolutionnaire du prolétariat européen. C'est ainsi qu'il faut comprendre la politique de "libération nationale" dans les pays tels que la France, la Tchécoslovaquie, la Pologne, la Yougoslavie et la Crète.
Par une politique de "liberté syndicale", le capitalisme va essayer de refaire entrer le prolétariat dans une organisation qu'il a désertée ou qui a disparu depuis plusieurs années et qui représentera une soupape de sécurité pour le régime bourgeois. C'est un essai d'encasernement du prolétariat.
Le jeu des luttes économiques n'est qu'une expression de la loi du marchandage propre au système capitaliste. Dans l'époque décadente de l'économie bourgeoise, les organisations syndicales -par leur nature, par leur structure verticale, par leur bureaucratie et par leurs frontières nationales étroites- ne peuvent que paralyser l'action insurrectionnelle du prolétariat.
La campagne de presse, en Italie, pour les libertés syndicales dessine déjà nettement cette manœuvre démagogique du capitalisme, tendant à ligoter le prolétariat et à restreindre ses objectifs de lutte pour la révolution en une poussière de revendications étroitement économiques.
Il résulte de tout ceci que l'ennemi le plus redoutable pour la classe ouvrière est le bloc impérialiste anglo-américano-russe. Nous allons assister, pendant les mouvements insurrectionnels de liquidation de la guerre, à des reproductions des gouvernements Kérensky et Noske-Scheidemann. Mais la rapidité du processus révolutionnaire pourra faire que la bourgeoisie brûlera assez vite ses atouts démagogiques pour s'opposer, démasquée, au prolétariat en ayant recours directement à la violence.
4) Les révoltes révolutionnaires qui arrêteront le cours de la guerre impérialiste créeront en Europe une situation chaotique des plus dangereux pour la bourgeoisie.
D'un côté des millions de travailleurs verraient leurs usines fermer, des millions de soldats démobilisés, inaptes à rentrer dans l'économie d'autre part, une production diminuée au point de ne pouvoir assurer le minimum vital des individus.
Donc des chômeurs dont chaque revendication prendrait forcément une expression sociale et même d'organisation sociale (exemple : assurer la fabrication et la répartition ne fut-ce que du pain). Des soldats, par bandes armées, traversant les régions en pillant et saccageant tout, comme ceci s'est vu dans l'aventure de D'Annunzio et l'affaire des pays baltes en 1920.
Une Europe où le capitalisme, en tant que système, s'évanouirait sans pour cela être remplacé immédiatement par le socialisme, (aboutirait à) un carnage, une tuerie, une confusion dans les réactions de lutte du côté capitaliste comme du côté ouvrier.
Dans cette Europe en pleine anarchie sanglante, les luttes pour les revendications économiques sur le lieu de travail perdent de leur acuité et de leur signification.
Chômeurs et soldats vont chercher, par la politique du fait accompli et en débordant le cadre bourgeois, à se procurer leurs moyens d'existence. Donc, seule l'énonciation des problèmes politiques, et non des revendications économiques, peut briser tout confusionnisme du côté ouvrier et exprimer la lutte en la coordonnant aux divers secteurs révolutionnaires. Le capitalisme, présentant des formes assez redoutables en Amérique et en Russie, va tendre à perpétuer ce chaos saignant jusqu'à être assez fort pour réinclure l'Europe dans le système bourgeois, c'est-à-dire dans la guerre.
Si, en Amérique, les luttes revendicatives économiques peuvent présenter des possibilités révolutionnaires du fait d'une production maintenue et, en dehors de la guerre civile, en Europe ces luttes revendicatives ne vont servir que la bourgeoisie et diviser le prolétariat.
La transformation politique de ces revendications permettra à la classe ouvrière de résister efficacement à la répression capitaliste.
Contrairement à la politique du parti bolchevik russe s'attachant à la formation du parti dans un seul pays et recherchant, dans les autres pays, des "planches pourries" leur permettant d'accéder au prolétariat, les fractions internationales devront assumer la tâche de réaliser le regroupement politique en parti révolutionnaire en Allemagne et dans les autres secteurs du monde. De plus, l'Internationale ne résultera pas de la victoire révolutionnaire du secteur italien ; mais la révolution vaincra en Italie du fait des liaisons internationales permettant la généralisation du mouvement dans les autres secteurs de l'Europe d'abord, du monde ensuite.
La tactique générale sera d'œuvrer pour la formation d'un embryon d'Internationale pour ce qui est de son organisation, vu les conditions de répression du capitalisme. Idéologiquement, cet embryon d'Internationale présentera un programme net, intransigeant, exprimant la volonté du prolétariat mondial à s'organiser en vue de la lutte pour la révolution.
Cette Internationale poussera à fond le développement où l'éclosion des partis révolutionnaires dans les pays possédant ou ne possédant pas des noyaux révolutionnaires.
Nous serons amenés à combattre idéologiquement, et les armes à la main, tout gouvernement, quelle que soit sa couleur apparente : gaulliste, social-patriote ou stalinienne.
Aucun compromis à admettre au cours de la lutte, donc pas de tactique opportuniste, entre autres pas de front unique, quels que soient ses objectifs limités.
Dénoncer et combattre les organismes et corpuscules rejetés au dehors des frontières de classe par les conditions objectives et tendant à se regrouper et à créer le bloc centriste, au cours de la période transitoire de la révolution.
Dénoncer d'une façon absolue toute auto-détermination des peuples. L'auto-détermination ne fait que livrer un prolétariat jeune et affaibli aux coups du capitalisme. Cette condamnation doit s'énoncer surtout en Grèce et dans les Balkans.
Combattre tout confusionnisme tendant à naître au travers de la guerre civile.
Les mots d'ordre devront être directs et ne pas emprunter de soi-disant étapes intermédiaires, c'est ce qui nous différenciera, dans la lutte, des organisations traîtres et démagogiques.
En Europe on peut miser uniquement sur les revendications économiques qui ne peuvent trouver d'écho que dans une minorité infime de la classe ouvrière. Nous devrons soutenir, comme ayant de plus grandes possibilités progressives vers la révolution, tout mouvement à caractère général et social et lutter pour le dégager d'une idéologie démocratico-bourgeoise. Le prolétariat - du fait de la guerre civile, pour n'importe lequel de ces problèmes - se posera, dès le début de la lutte, sur le terrain des transformations sociales ; et le rôle du parti est de politiser la solution sociale de ces problèmes.
En conséquence, le parti devra œuvrer pour le développement des nouvelles formes unitaires organisationnelles de la classe ouvrière exprimant un nouveau contenu dans une situation nouvelle. Les syndicats ne pourront servir que dans une période post-révolutionnaire comme organe exprimant les revendications face à l'Etat ouvrier.
De par leur échafaudage en professions, de par la lenteur de leur décision, les syndicats, en période révolutionnaire, détermineront un ralentissement de la riposte ouvrière à la répression capitaliste dans les secteurs locaux de l'insurrection, secteurs qui acquerront une importance du fait de la guerre civile, c'est-à-dire de la désorganisation de la production centralisée.
De plus, par l'inexistence des syndicats due à des années de répression en Europe, le parti devra combattre la Manoeuvre démagogique tendant à museler la conscience révolutionnaire en le faisant réintégrer dans les syndicats, organismes réfléchissant un contenu de rapports économiques capitalistes.
Le mot-d'ordre central sera les "soviets" sur la base des conseils d'usines, des conseils de soldats, des conseils de chômeurs et des conseils d'ouvriers agricoles.
Les comités de chômeurs lutteront pour la réouverture des usines fermées.
Le prolétariat industriel luttera seul dans son secteur, sans collaborer avec le restant des classes moyennes déchues et qui conservent leur idéologie.
Le prolétariat agricole devra s'assurer la neutralité bienveillante de la petite paysannerie à production familiale et luttera contre la grosse masse de la moyenne et grosse paysannerie (fermage et métayage).
Revendications actives du pouvoir à la classe ouvrière par l'intermédiaire du parti révolutionnaire pour ce qui est de la direction (politique, sociale, économique) et des soviets pour ce qui est de l'organisation et du contrôle.
Accaparement immédiat, par l'intermédiaire du Soviet, de tout stock et réserve d'intérêt vital.
Armement général du prolétariat.
Désarmement total de la bourgeoisie.
Formation de milices de choc ouvrières et encadrement de tout le prolétariat en milices.
De par la guerre civile européenne, la lutte du prolétariat doit rejeter la notion de frontières nationales européennes. La victoire du prolétariat ne sera pas le résultat d'un rapport de force militaire mais le développement généralisé de la conscience révolutionnaire sous la direction du parti.
Seule cette conscience révolutionnaire généralisée dans le prolétariat pourra créer la technique capable d'assurer militairement la victoire.
L'armement technique du prolétariat ne peut résulter qu'après la brisure d'avec tous les éléments bourgeois et idéologiquement non-révolutionnaires.
Détruire et rejeter toute armée permanente ne pouvant exprimer qu'un mode de répression capitaliste.
Pousser à fond la solidarité politique, économique et militaire entre tous les secteurs révolutionnaires.
Dès la prise du pouvoir, interdire les manifestations et le fonctionnement de tous les partis traîtres à la classe ouvrière.
Les partis - qui, de nos jours, représentent une arme démagogique du capitalisme - continueront demain leur besogne de laquais de la bourgeoisie.
Oeuvrer pour la libre expression, au sein des soviets, des syndicats et des courants ayant lutté pour la révolution.
Liberté fractionnelle permettant au parti, par le jeu des discussions, de relever la conscience des secteurs prolétariens retardataires.
Condamnation de toute violence contre le prolétariat par l'Etat ouvrier.
Terreur ouvrière contre l'ennemi de classe avec le maximum de rigueur.
M.
La fraction italienne vient de faire paraître (15 juin) son bulletin international de discussion n° 8. Ce bulletin, presqu'entièrement consacré aux divergences avec notre fraction, nécessitera des réponses plus détaillées que nous comptons faire dans nos prochains Internationalisme.
Un des articles, intitulé "Le néo-trotskisme dans la fraction française de la GC", reproduit un article de la CE de FI paru dans le bulletin intérieur et qui répondait à notre proposition d'un tract commun avec les CR et RKD à l'occasion du 1er mai. Dans cet article réponse, deux questions distinctes sont malencontreusement mélangées. Nous avons fait deux propositions bien nettes. L'une ayant pour but l'action commune immédiate pour le 1er mai, l'autre ayant en vue d'ouvrir une discussion plus large, plus générale sur l'intérêt, les possibilités et la nécessité existante d'une éventuelle convocation d'une conférence internationale entre les divers groupes révolutionnaires et sur les critères politiques délimitatifs devant servir de cadre à cette conférence qui ne pouvait avoir comme objectif qu'une prise de contact et l'établissement de relations, d'informations et de confrontation politique organisées entre les divers groupes.
Un lien évident existe entre les deux propositions ; mais cela ne les rend nullement identiques. Un lien existe aussi entre deux notes de musiques mais ce serait un fameux musicien celui qui identifierait le "do" avec le "la". En mélangeant les deux questions, la FI n'a fait qu'obscurcir chacune d'elles et les deux, ensemble.
Dans Internationalisme n° 2 et 3 nous avons discuté l'idée d'une conférence. Ce débat est loin d'être clos. Il existe, à notre avis, un très grand intérêt à ce que ce débat se poursuive et à ce que chaque militant, chaque groupe prenne position publiquement. Pour notre part, nous invitons tous les camarades de notre fraction à prendre part à cette discussion dans Internationalisme. Sur la première proposition que nous avons faite, proposition limitée à un tract en commun pour le 1er mai, la GE de la FI a prétendu d'abord ne pas pouvoir se prononcer et a prétendu nécessaire de se référer à toute l'organisation[1] 1.
Par la suite, et cette fois-ci en se passant de la consultation générale préalable, la CE de la FI repoussera politiquement cette proposition. La discussion surgie sur ce point sur la possibilité d'action commune n'a pas seulement un intérêt contingent momentané et passé. Sous d'autres aspects, elle ressurgira à nouveau, dans d'autres lieux et d'autres circonstances. C'est parce qu'il garde un intérêt général que nous publions ici, sur sa demande, un article de discussion d'un camarade paru, en son temps, dans le bulletin intérieur de la FI.
La fraction française nous a proposé de faire un tract pour le 1er mai en commun avec les groupes RKD et CR. Face aux hurlements sanguinaires du capitalisme mondial - aidé par tous les partis et groupes soi-disant ouvriers qui se livrent en ce moment, en Allemagne, à une orgie de sang, non pas pour abattre un impérialisme antagonique mais pour noyer dans un océan de sang la révolution naissante -, la fraction française a proposé aux groupes révolutionnaires de se joindre aux fractions de la Gauche Communiste pour appeler le prolétariat international à la lutte et à la solidarité internationales de classe pour l'assaut révolutionnaire.
La CE de notre fraction, fidèle à elle-même, a répondu par un refus.
Nous ne nous arrêterons pas sur les lieux communs qui ont servi d'arguments sur lesquels nous avons répondus en détails dans un numéro précédent de notre Bulletin intérieur quand il s'est agi de la rupture avec les RKD.
Voyons les arguments nouveaux pour justifier ce refus:
Le front unique, tel qu'il a été défini au 3ème congrès et que la fraction a rejeté, consistait dans un accord politique sur une plateforme minima entre des partis qui, bien que se réclamant du prolétariat, représentaient en réalité l'un le prolétariat, l'autre la bourgeoisie. C'est après avoir nettement défini le parti socialiste comme un parti de la bourgeoisie que l'IC préconisait un front unique avec ce parti, ce qui équivalait à faire un front unique entre deux classes antagoniques. Quel était donc le but de l'IC dans cette tactique ?
En mettant comme base commune du front unique les revendications incluses démagogiquement dans la plateforme du parti socialiste, l'IC comptait forcer les partis socialistes à lutter effectivement pour la défense de ces revendications ou se démasquer aux yeux des ouvriers qui gardaient encore des illusions. Les communistes – qui, eux, n'avaient aucune illusion sur les partis socialistes – comptaient surtout, par cette tactique, les démasquer et arracher les masses ouvrières de leur influence. Mais, dans l'application de cette tactique "ingénieuse", les PC n'ont enfermé personne d'autre qu'eux- mêmes. Ce que les masses ont vu et retenu dans cette "manoeuvre" n'était pas la non-volonté de lutte des traîtres mais bien l'identité des mots d'ordre de propagande dont se réclament les socialistes et les communistes, c'est-à-dire le programme réformiste, tandis que les communistes estompaient leur programme révolutionnaire propre. D'autre part, la poursuite de la réalisation du front unique s'est transformée d'un moyen de démasquer l'adversaire en un but recherché en soi. Voilà l'essence de la tactique du front unique et la raison pour laquelle nous la repoussons.
Mais il n'y a rien de commun entre le front unique des organisations représentant des programmes de classes différentes et l'action commune entre groupes luttant et oeuvrant pour la victoire de la même classe. C'est de ce critère que découle notre position du front unique syndical, qui n'est rien d'autre que l'action commune garantie de garder son caractère de classe par le terrain de classe nettement limité sur lequel elle est donnée : le terrain syndical.
Une action commune par exemple entre le PC et une organisation comme les tribunistes hollandais ou le KAPD ne signifierait pas un front unique et nous ne le rejetterons pas à priori par principe. Nous tiendrons compte concrètement de la situation, de l'objectif et de l'intérêt de classe pour accepter ou rejeter une telle action.
Assimiler l'action commune au front unique, les confondre en un tout et s'opposer en général, en bloc, par principe, c'est hisser l'auto-isolement en "principe des principes", c'est remplacer l'intransigeance politique par une rigidité de secte. C'est ne rien comprendre à l'action politique vivante et n'être qu'une école de doctrinaires ennuyeux et morts.
Il n'y a pas de période dans l'histoire du mouvement ouvrier dont une analogie avec la nôtre puisse être établie. Jamais encore le mouvement ouvrier n'a connu une telle dissolution de sa conscience, comme il l'a connue à la suite de la longue période de dégénérescence de l'IC.
La réaction prolétarienne, au sein de l'IC et les PC, cristallisée autour des différents groupes de l'opposition, a fini par être résorbée et dévoyée au cours de la terrible période noire de reflux du prolétariat, allant de 1932 jusqu'à l'éclatement de la guerre. Au cours de cette période, ces divers groupes ont sombré les uns après les autres pour être définitivement liquidés par la guerre impérialiste. Le courant de la Gauche Communiste, dont notre fraction a donné naissance, est le seul qui a subsisté, mais non sans avoir lui-même connu et ressenti le souffle dévastateur. La scission de notre fraction à la suite de la guerre espagnole, la fausse analyse et perspective à la veille de la guerre, son absence politique et organisationnelle en Italie durant les événements révolutionnaires de 1943, les positions prises par Bordiga et d'autres vieux membres de la fraction en Italie, les théories de l'économie de guerre de Vercesi sont autant de manifestations du désarroi régnant dans le prolétariat et ayant ravagé son avant-garde. Si, malgré tout cela, notre fraction a survécu et subsisté à cette situation, prouvant la vitalité et la solidité de ses fondements programmatiques, elle se trouve toutefois extrêmement affaiblie et réduite. Depuis des années, elle s'est trouvée, par la pression extérieure et par des erreurs intérieures, absolument isolée de la classe.
Parallèlement à cet état, la situation objective de la guerre devait donner naissance à une rupture du cours précédent et a présidé au réveil lent mais inexorable de la conscience et de la volonté de lutte des ouvriers et des militants.
Un processus en sens inverse de la période précédente devait se faire jour au sein du prolétariat.
Notre extrême isolement et notre impuissance a fait que nous n'avons pas été le pôle d'attraction de ces énergies révolutionnaires surgissantes.
L'expérience a démontré que là où nous existions, même à l'état de faiblesse extrême, ces énergies révolutionnaires devaient trouver autour de nous le terrain politique favorable à leur organisation. Très édifiant est la discussion passionnée et violente entre les deux conceptions qui se sont affrontées dans notre fraction lors de la formation du premier noyau français dans le Midi. Soit dit en passant que si le noyau est né, s'il s'est développé en la fraction française actuelle, cela est dû au triomphe dans notre organisation de la conception du travail orienté vers la canalisation, les regroupements des énergies révolutionnaires isolées surgissant de par la situation objective.
Mais si notre organisation et le noyau français avec nous n'ont pas su ou n'ont pas pu suivre ce travail de polarisation des énergies révolutionnaires, les conditions objectives continuaient néanmoins à faire surgir ces énergies. Des éléments communistes révolutionnaires, rompant avec la guerre impérialiste, avec la défense de l'URSS, se plaçant sur le terrain de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, ont surgi de ci de là, formant des groupes indiscutablement révolutionnaires. De tous ces groupes, nous n'en connaissons que deux jusqu'à présent : le groupe des Communistes Révolutionnaires Allemands et le groupe des Communistes Révolutionnaires de France. Il n'est pas exclu et même probable que d'autres groupes similaires existent dans les pays. Ces groupes et les militants qui les composent, pour la plupart très jeunes, ignorent complètement notre existence et encore plus nos positions programmatiques.
C'est notre attitude envers ces groupes qui est en question. Ces groupes n'ont pas passé par notre expérience ; l'horizon de leur vision de l'expérience du passé est forcément réduit ; leur position programmatique non achevée, en voie d'élaboration, n'est certes pas nette quoi qu'ils en pensent eux-mêmes. Mais ce sont des éléments indiscutablement révolutionnaires , en évolution vers le programme communiste (comme nous l'entendons). Quelle va être notre attitude à l'égard de ces groupes, la position négative consistant à oeuvrer purement et simplement à leur destruction ? Ou bien, au travers des discussions, toujours essayer de dégager ces éléments et groupes des positions confuses et inachevées, rechercher sans cesse, par la discussion, de pousser à l'évolution des camarades vers des positions de la Gauche Communiste et, chaque fois que se présentera un intérêt et sera possible, faire des actions communes révolutionnaires ? La pire solution est celle du doctrinaire ayant une haute idée de suffisance et qui consiste dans l'indifférence hautaine de l'observateur. C'est celle des camarades de la CE.
Un révolutionnaire n'est jamais indifférent à l'existence des groupes politiques. Il les détruit ou il les assimile.
Demander à ces groupes de partager toutes nos positions comme condition préalable de tout contact et de toute action commune avec eux, c'est leur demander d'être nous-même, d'être membre de la Gauche Communiste ou bien d'agir, d'œuvrer pour qu'ils le deviennent.
Dans le cours révolutionnaire, la transformation des fractions en parti verra la fraction résorber les éléments révolutionnaires de ces groupes et leur liquidation en tant que tels ; mais c'est là un processus dont nous ne pouvons pas fixer à priori les délais et dont la liquidation totale, absolue de ces groupes révolutionnaires n'est nullement, forcément et définitivement assurée. La fraction ne pose pas des exigences à l'histoire et des ultimatums au mouvement ouvrier. La fraction agit, intervient dans la réalité telle qu'elle existe et tend, par son action politique, à la faire évoluer dans son sens.
L'apparition, la formation des groupes révolutionnaires est actuellement un fait et c'est avec ce fait que nous devons compter et agir en tenant compte de ce fait au lieu de l'ignorer. Agir aussi c'est discerner la tendance de chaque groupe, de l'orientation qu'il emprunte et c'est établir notre attitude politique en correspondance avec cet examen.
Voilà pourquoi la FF a eu raison de poser non dans le vague, dans l'abstrait, en soi, un principe "pour ou contre l'action commune", mais d'établir des critères politiques de délimitation, de discrimination permettant de voir les groupes sous un jour politique concret.
Ceux qui partent en guerre contre l'action commune au nom d'un "principe" valable en général pour tous les temps, envers tous les groupes, sous toutes les formes auront bien du mal à accorder "leur principe" sauveur avec les enseignements de l'expérience du mouvement ouvrier. Faut-il rejeter à posteriori ces expériences positives et déclarer inacceptables, comme une "entorse aux principes", les actions communes de la fraction bolchevik avec d'autres groupes lors de la guerre 1914-18 ? Faut-il déclarer ces expériences, contre toute évidence, comme des résultats négatifs pour la seule raison qu'un soi-disant "principe" le veut ainsi ?
S'opposer en principe à toute rencontre, à toute action commune avec n'importe quel groupe c'est déclarer comme une "erreur de principe" la déclaration signée par les bolcheviks à la conférence de Zimmerwald. La différence, le décalage qui existaient entre les positions des bolcheviks et celles des autres groupes participant à Zimmerwald étaient autrement plus grand que ceux existant entre nous et les RKD, même en tenant compte de la différence des deux époques historiques. C'est à tort qu'on tentera de justifier une nouvelle attitude de principe en recourant à l'argument d'une nouvelle période historique par la révolution de 1917, la dégénérescence de l'IC. Notre fraction, après l'exclusion de l'IC, participait à des actions communes avec des groupes oppositionnels et adhérait au secrétariat international de l'Opposition de Gauche.
Après la liquidation de l'Opposition de Gauche par son unification avec des courants de la 2ème Internationale, notre fraction a pris l'initiative de proposer à la Gauche Communiste allemande et à l'Union Communiste de France la formation d'un bureau international d'information et la publication d'une revue internationale de discussion. Par la suite, notre fraction a collaboré jusqu'à la guerre espagnole avec la Ligue des Communistes Internationalistes de Belgique.
Comme nous voyons, c'est à tort qu'on voudrait se référer à une position de principe qui n'existe pas et nous avons la ferme conviction qu'en défendant la possibilité des actions communes, dans certaines occasions précises, avec des groupes tels que les RKD et les CR, nous ne faisons que continuer la tradition d'une politique qui a été celle des bolcheviks et de notre fraction dans le passé.
M (le 20 avril 1945)
[1] Nous ne croyons pas que c'était un scrupule de "démocratie" qui a déterminé cette 1ère proposition. Une large consultation ne pouvant se faire dans le délai de quelques jours qui restait pour l'application pratique, cela signifiait le rejet effectif, pour des raisons politiques, de cette proposition sous le camouflage de la "démocratie".
La classe ouvrière - la dernière roue du carrosse capitaliste - voit ses moyens se réduire de jour en jour. Voyons un peu la musique que fait la mouche du coche, c'est-à-dire voyons ce que les braves démagogues de "gauche" de tous les pays, enfourchant le dada des "nationalisations", offrent en réalité comme perspective à la roue, qui n'en peut plus et qui sent le poids de toute la charge de la société s'écrouler sur elle.
Après cette brève étude - disons ce coup d'oïl général - sur les différents États impérialistes, sur le problème des nationalisations et de l' État capitaliste sous sa forme actuelle, concluons en examinant rapidement, bien que cela sorte généralement du sujet, les contrastes qui minent la société capitaliste et dont les États ressentent jusque dans leur moelle les secousses de plus en plus terribles et tragiques.
I.URSS : Les regards de tous les communistes du monde entier, de tous les ouvriers et de tous les exploités, en octobre1917, se sont tournés vers la partie de cette Russie où se faisait la plus magnifique et la plus dynamique des révolutions prolétariennes. Pour des millions d'hommes dans la misère, exploités - qui avaient dû donner, pour leur bourgeoisie, non seulement leur travail, mais aussi leurs vies, celles de leurs enfants -, les noms de BOLCHEVIKS, SOVIETS brillaient comme autant de soleils et le nom de LENINE - leur chef, le chef de la révolution - devenait un espoir, le plus grand espoir que tous les opprimés aient eu jusque-là. La période révolutionnaire qui s'est ouverte en 1917 fut une vague extraordinaire où un très grand nombre de prolétaires de toutes nations et races déferlèrent, cherchant à abattre l'édifice de la société capitaliste pour se débarrasser une fois pour toutes de leurs bourreaux et maîtres. Pendant toute cette période, les yeux de tous étaient tournés vers "Vladimir Illitch" et ses camarades russes. Mais le programme de la IIIème Internationale n'était pas assez fort, la période révolutionnaire passa et il ne fut pas capable de mener le prolétariat vers la victoire. De ce fait il se produisit une situation extrêmement tragique:
Que devait-il sortir de cette situation tragique ? Un fait plus tragique encore pour le prolétariat, à savoir : le socialisme ne pouvant se construire dans un seul pays, la révolution prolétarienne victorieuse dans un pays, si elle n'est pas suivie immédiatement par d'autres ou que ces autres révolutions ou insurrections sont vaincues, la défaite de la classe ouvrière ne revêt pas alors un simple caractère local. Pour préciser affirmativement : de même que la révolution victorieuse en Russie, en 1917, marque l'ouverture d'un cours révolutionnaire international, les défaites des prolétariats allemand, chinois et anglais signifièrent non pas des défaites locales de la révolution allemande, chinoise ou anglaise mais un cours de reflux de la classe sur l'échelle internationale, y compris du prolétariat russe.
En corrélation avec la situation internationale de défaite du prolétariat, la Russie va progressivement quitter son terrain de classe et s'intégrer dans la société capitaliste, dans le monde capitaliste dont elle fait irréductiblement partie, et enfin franchir le dernier pas - celui où personne ne peut plus se tromper - s'intégrer entièrement dans la guerre impérialiste.
Mais là où la tragédie est surtout la plus forte, c'est que le processus de dégénérescence de ce pays ex-révolutionnaire -sous la pression du capitalisme extérieur et des forces capitalistes à l'intérieur- va amener au pouvoir un groupe politique réactionnaire qui établit dans le pays un véritable Thermidor et qui se servira, pour sa politique intérieure et extérieure, d'une façon démagogique des plus repoussantes, du drapeau qui avait conduit à la révolution et des noms de ceux qui l'avaient dirigée. C'est ce qui a permis à l' État russe de tromper les masses ouvrières qui, elles, croient toujours en la révolution d'octobre 1917 et veulent toujours faire la révolution mondiale, alors que la politique de Staline est contre les intérêts du prolétariat russe et du prolétariat mondial, que tous les partis soi-disant communistes, minés par la police russe (GPU), ne font que défendre, dans les pays étrangers, la politique impérialiste de la Russie, en agitant le drapeau rouge, en prononçant à tout bout de champ le nom de LENINE. Ils proclament que défendre la Russie c'est défendre la révolution, alors qu'ils font tout, dans leur pays respectif, pour servir leur bourgeoisie et leur capitalisme et qu'ils sont les plus acharnés contre ceux qui luttent pour la révolution prolétarienne.
Le seul fait qui persistait avant la guerre malgré l'intégration de l'économie russe dans l'économie capitaliste mondiale, c'est l'inexistence de la propriété individuelle. Mais ce fait ne représente rien en lui-même si on assiste dans ce pays à l'extraction de plus en plus grande de plus-value sur le dos des ouvriers pour la faire absorber par la guerre, et si la bureaucratie dirigeante vit en parasite sur la production de cette même plus-value. Maintenant que la guerre est terminée, on voit le processus de recul se préciser encore plus et les premiers phénomènes de la propriété individuelle apparaître sous forme de participation dans les affaires de l' État (bons du trésor) ou même de simples actions sur des entreprises. C'est un début mais qui peut aller loin, et on peut dire d'ores et déjà qu'il ne s'arrêtera pas là.
Cependant quelles sont les perspectives actuelles de l' État capitaliste, de l' État patron et gendarme grand-russien ? Malgré tout le bluff et le tapage que celui-ci mène au travers des partis staliniens et des comités d'amitié avec l'URSS, il est certain que la Russie a été durement éprouvée par la guerre et que, malgré sa politique impérialiste de proie et son agitation politique dans les pays qu'elle veut soumettre, elle sera obligée de se plier aux volontés des Anglo-américains si elle veut que ceux-ci continuent à lui livrer les machines-outils nécessaires au commencement du relèvement de son économie ; et, de toutes façons, elle ne peut envisager immédiatement de participer victorieusement à une guerre contre les USA et la Grande-Bretagne parce que ceux-ci détiennent la plus grande force économique, ce facteur jouant toujours comme facteur principal dans une guerre inter-impérialiste.
Cette question paraîtra peut-être plus claire si on sait que "la Russie a reçu des approvisionnements pour une valeur totale de 2.102 millions de livres des USA seulement, comparés aux 3.194 millions de livres reçus par la Grande-Bretagne à la date du 31/3/45 (Tribune économique du 1/6/45 – "Que deviennent les accords prêt et bail avec la Russie ?) et que " les livraisons militaires effectuées à la Russie par l'entremise de l'United Kingdom Commercial Corporation ont compris notamment : alimentation 257.000 tonnes – caoutchouc 130.000 tonnes – jute et dérivées 105.000 tonnes – produits chimiques 48.000 tonnes – plomb 50.000 tonnes – cuivre 35.000 tonnes – sisol 22.000 tonnes – aluminium 37.000 tonnes – étain 32000 tonnes – laine 51000 tonnes – chaussures 32.500.000 paires – diamants industriels pour 5 millions de dollars – tissu kaki 3 millions de yards – machines-outils 12.000." (Tribune économique du 1/6/45 – "L'aide anglo-américaine à l'URSS")
II- ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE : Aux USA l'allure "démocratique" et libérale est un trompe-l’œil qu'il importe de démontrer, en même temps qu'il faut montrer que, du fait de la concentration formidable entre les mains de l' État grand-américain, la force de répression sera déchaînée demain contre les revendications ouvrières, contre les grèves et les manifestations de classe.
Un article d'un certain René Bertrand, dans la Revue Économique et Sociale, intitulé "Le capitalisme d'État aux États-Unis", très documenté, apporte la lumière sur c problème. Nous allons donc en citer les principaux passages qui suffisent à eux-seuls à éclairer la réalité du libéralisme américain. Il commence ainsi :
La situation est telle qu'il sera probablement très difficile de rétablir la liberté complète du commerce et de l'industrie après les hostilités...
... même en négligeant les motifs d'ordre politique ou moral que l'on pourrait invoquer, le retour au capitalisme libéral du 19ème siècle semble bien être une solution inopportune, quel que soit le désir de nombreux industriels ou commerçants de s'affranchir de la tutelle souvent gênante de l'État."
Après avoir dit la nécessité d'établir un nouveau régime économique, il dit que les "conceptions socialistes" ont la faveur des pays mais il souligne qu'à sa faveur une bureaucratie envahissante tendra à s'instaurer. Puis il ajoute que, sans aller aussi loin dans cette voie, on pense beaucoup à de simples nationalisations et au maintien d'un contrôle sévère sur l'activité économique du pays.
Puis il continue : "Toutes posent, pour les démocraties, un même problème sur lequel nous devrions attirer l'attention : COMMENT CONCILIER L'INTERVENTION DE L'ÉTAT OU D'UNE AUTORITÉ COLLECTIVE QUELCONQUE AVEC LA NOTION DE LIBERTÉ INDIVIDUELLE ?"
Ensuite il fait ressortir que, de tout temps, la politique intérieure des États-Unis a toujours tendu vers le libéralisme:
Puis il explique que c'est ce qui fit le choix par le peuple américain de ROOSEVELT, qui avait un plan de réforme. Il montre la satisfaction qui est éprouvée d'abord aux premières réformes apportées par le "New-Deal". Les réticences se font ensuite sentir (...) la réaction libérale surtout. Cependant, malgré tout, le "New-Deal" survit et ROOSEVELT est réélu en 1936. ROOSEVELT adopte alors une méthode beaucoup plus souple que nous allons examiner avec l'auteur de l'article :
La suite mérite l'attention particulière du lecteur :
Nous parlons à ce sujet de capitalisme d' État parce que l' État agit comme le ferait un capitaliste particulier : il est tour à tour banquier, industriel, commerçant."
1. La suite de l'article est un long développement de ce qui est affirmé en dernier, avec forces statistiques et situations à l'appui. L'auteur est très bien renseigné et ses remarques sont de la plus haute valeur du point de vue du témoignage qu'il apporte. A la fin, il conclut :
... Mr Roosevelt manifestait l'intention de poursuivre la politique de New-Deal, la politique de l' État financier et prometteur de grands travaux ; et pour bien marquer sa décision, le 20 janvier dernier, il nommait Ministre du commerce Mr Henry Wallace, dont les idées progressistes (!) sont bien connues..."
III-LA GRANDE-BRETAGNE : L'Angleterre a ceci de particulier c'est que, bien qu'ayant dans la métropole une situation très grave, elle a un empire colonial immense, le plus important de toutes les puissances impérialistes du globe.
L'empire colonial britannique contient à lui seul le quart de la population mondiale : environ 500 millions d'individus et aux Indes seules 350 millions.
Cet empire se compose :
1. Dominions – Dans beaucoup de Dominions, la Grande-Bretagne n'est plus la maîtresse économique incontestée.
Maintenant la situation peut se résumer ainsi :
2. Colonies à gouvernement responsable (une partie de l'Inde – Terre-Neuve) ;
b. Colonies de la couronne (60 millions d'individus) ;
3. États protégés – Une partie de l'Inde également correspondant à environ 70 millions d'individus.
4. Mandats
5. États indépendants – Sous la tutelle anglaise (Égypte, Irak)
Il est inutile de souligner l'importance d'un tel empire colonial ; mais si la situation de la marine marchande anglaise n'est pas aussi critique que celle de la France, il n'empêche qu'elle a souffert terriblement de la guerre. Ce qui faisait la force de la Grande-Bretagne c'était, en plus de cet immense empire colonial, la possibilité avec cette flotte marchande très important d'importer à moindre frais, en payant le voyage à l'aller, vers le territoire d'importation, en exportant le charbon. Là était une force considérable de l'économie anglaise. Elle tirait un revenu annuel sur sa marine marchande d'environ 100 millions de livres sterling.
Or la marine marchande britannique avant la guerre de 1914 représentait la moitié environ du tonnage du monde entier et, avant celle de 1939, le tiers seulement ; donc baisse du tonnage en comparaison du total mondial progressif déjà entre les deux guerres. Depuis, la guerre a fait perdre à l'Angleterre un tonnage considérable. D'autre part, même si le tonnage anglais lui permettait d'assurer son trafic maritime, le charbon - qui payait ses frais de route en partie - commence à faire défaut à l'économie anglaise et l'on peut dire que la crise du charbon revêt en Grande-Bretagne une importance considérable si l'on s'attache au problème dans son entier : d'une part le charbon pour la métropole et son industrie et surtout le charbon pour l'exploitation.
On relève dans les statistiques officielles qu'en 1939 on extrayait environ 235 millions de tonnes de charbon. Actuellement l'extraction est tombée à 185 millions de tonnes environ. La situation du charbon en Grande-Bretagne revêt en plus un autre caractère de grande gravité si l'on considère que, dans les deux chiffres soumis, presque le même nombre d'ouvriers participent à l'extraction : avant 1939 765000 mineurs, actuellement 715000 mineurs. Le rendement individuel de 820 kgs par jour en 1939 est tombé à 739 kgs aujourd'hui.
Et si l'on s'aperçoit finalement, au travers des statistiques, que la baisse progressive de l'extraction commencée dès 1913 a diminué de 1913 à 1943 de 71% et que, comme on l'indique ci-dessus, cette baisse s'accentue de plus en plus, on se rendra compte, en examinant le problème du charbon dans toute son ampleur, de la gravité qu'il représente pour la Grande-Bretagne. Mais ce n'est pas tout. L'Angleterre, malgré son aspect extérieur serein, connaît une crise encore plus grave. En effet, de tous temps la balance commerciale de la Grande-Bretagne a été déficitaire, c'est-à-dire qu'elle exportait moins qu'elle importait. Sans pouvoir nous appuyer sur des chiffres précis nous pouvons tout de même affirmer que, depuis 1920, le déficit s'est accentué dans des proportions inquiétantes. Mais ce qui permettra de faire ressortir le caractère d'extrême gravité de la situation c'est qu'en 1920 la Grande-Bretagne, qui a beaucoup de capitaux placés à l'étranger, pouvait se permettre de combler le déficit de sa balance commerciale et même d'arriver à un bénéfice de balance des capitaux d'environ 170 millions de livres sterling, alors qu'en 1939 la balance des capitaux était déficitaire de 55 millions de livres sterling et que cette tendance s'est accentuée du fait de la guerre, la Grande-Bretagne ayant fait de nombreux emprunts à l'étranger.
De l'ensemble de cette situation il ressort que l'Angleterre, après la guerre, va être obligée de réduire sa consommation, ses frais de production et de tendre à accentuer son exportation pour essayer de résoudre le problème. Or comment réduire la consommation sans un contrôle de fer sur l'économie du pays ? C'est ce qu'il ressort d'un article de Charles Hargrowe dans la Tribune Économique intitulé "Que donneraient les élections en Grande-Bretagne ?"
Le sujet n'intéresse pas directement la question traitée mais certains passages y sont significatifs. Il est d'abord question de la politique intérieure économique de l'Angleterre pendant la guerre ; puis l'auteur continue ainsi :
IV-LA FRANCE – La France voit s'accentuer la catastrophe de jour en jour. Son empire colonial, miné par les capitaux anglo-saxons, lui échappe. Le commerce avec ses colonies éloignées telles que Madagascar lui est totalement impossible à cause de l'état totalement inexistant de sa marine marchande ; ce qui fait que, si un jour la marine marchande française arrivait à se remonter (ce qui est fort peu probable vu l'état des chantiers, le manque de matières premières etc.), les dites-colonies, obligées de vendre leurs marchandises, auront déjà des clients et des accords économiques passés avec d'autres pays plus proches ou ayant le fret, et la France se trouvera évincée.
Quant à l'économie française proprement dite, elle est bien malade : déjà terriblement en retard du point de vue technique et de l'organisation sur les grands pays industriels, son matériel désuet en majeure partie détruit par la guerre, elle est absolument inexistante devant ceux-ci. Les économistes bourgeois actuels assurent que, contrairement aux autres pays où le problème du chômage se posera et se pose déjà en pleine recrudescence, la France aura une grande pénurie de main d'œuvre. Il faut préciser que c'est surtout de main d'œuvre spécialisée que la France peut manquer. Lesdits économistes postulent sur une reprise de l'activité économique du pays. Mais avec quelles matières premières ? Celles que les alliés philanthropes lui livreront sachant très bien qu'elle ne pourra jamais payer ? La France ne recevra des alliés qu'une aide parcimonieuse et en rapport avec un certain chantage politique ; et sa reprise économique ne se fera pas d'une manière saine mais, au contraire, éphémère.
Malgré tout, le coq gaulois dresse hardiment la tête et lance ses "cocoricos" dans sa presse bourgeoise et au travers des déclarations gouvernementales. Mais le plus abject est surtout la crête rouge du coq, nos communistes, grands patriotes défenseurs jusqu'au bout de la patrie française, qui, au travers du mot d'ordre de la Renaissance française, ne font encore et toujours que tromper la classe ouvrière avec leur démagogie, en lui cachant la vérité et en l'entraînant vers une politique de renforcement du pouvoir de l' État.
Les nationalisations, incapables de sauver l'économie délabrée, concentrant entre les mains de l' État toutes les forces économiques et politiques du pays, lui livrent le prolétariat pieds et poings liés. Au lieu de conduire les ouvriers vers la révolution, seul départ pour la classe ouvrière pour une solution positive, ils l'entraînent vers la participation à bloc de la défense de la bourgeoisie française et, par le fait même, à renforcer les positions de cette dernière contre elle-même.
La production française avant la guerre se composait de trois branches :
L'industrie lourde - à laquelle les économistes prévoyaient, après la guerre, un "important développement" -, quoique importante pour un petit pays comme la France, est restée stationnaire depuis 1929-1930, alors qu'en comparaison celle des autres pays gros industriels a augmenté dans des proportions incomparables.
La France avait d'autre part une grande quantité de capitaux placés à l'étranger. C'est sur les revenus de ces capitaux et en partie sur ces capitaux que la France compte pour essayer de ralentir la chute vertigineuse qui va se produire. Là aussi, la France joue une carte dépréciée ; en effet, de ces capitaux investis à l'étranger ou aux colonies, beaucoup ont été perdus pendant la guerre. Il est certain que ces espoirs seront largement déçus si l'on étudie de près la situation en Syrie où la France avait placé de nombreux capitaux, et la situation en Indochine qui n'est pas encore résolue mais qui d'ores et déjà ne semble pas très bonne pour la France.
V-YOUGOSLAVIE – (La Tribune Économique 1/6/45) "Belgrade – Le gouvernement central yougoslave a publié un décret plaçant sous le contrôle de l' État le commerce en gros et en détail des produits agricoles, du bois, des textiles ,des cuirs et les exploitations minières ainsi que la vente du bétail."
VI-POLOGNE – On peut lire dans le revue soviétique "La guerre et la classe ouvrière" n° 8 du 15 avril 1945 : "Le gouvernement provisoire de la République polonaise a publié un décret établissant le service général du travail."
Ce simple entrefilet en dit long sur la manière "démocratique" avec laquelle le gouvernement polonais envisage la reprise de l'activité économique du pays. Cela ressemble fort à une simple politique dictatoriale.
VII-GRECE – Dans l'article "Les difficultés économiques en Grèce" de la Tribune Économique du 1/6/45, on peut lire notamment : "Un nouveau texte de lui place la production industrielle sous le contrôle de l'État qui fournira les matières premières (?). Toute production de luxe est interdite."
VIII-TCHÉCOSLOVAQUIE – Toujours dans la Tribune Économique on peut lire dans l'article "Un vaste contrôle de l'État (en Tchécoslovaquie)" : "Un communiqué du Ministre de l'économie et de l'industrie montre que le programme gouvernemental prévoit une transformation révolutionnaire (?!) du pays. Toutes la banques et compagnies d'assurance passeront sous le contrôle de l'État, tandis que 70% de toutes les entreprises seront nationalisées."
IX-BELGIQUE – "Mobilisation civile et interdiction de grève". C'est ce que chaque État, devenu patron et s'ingérant dans l'économie du pays ou la dirigeant directement, fera demain là où la situation le demandera. L'État patron devient inévitablement le gendarme.
X-L'ITALIE – On peut lire dans les Nouvelles Économiques du 8 juin, dans un article intitulé "L'Italie fief économique des États-Unis" : "Des premiers contacts établis entre commerçants italiens et financiers américains, il résulte que les grandes industries américaines ont l'intention de transformer l'industrie italienne et de l'harmoniser avec la production américaine. L'industrie italienne deviendrait ainsi une dépendance européenne de l'Amérique. Pour citer un exemple, elle serait chargée de la finition des produits américains et plus particulièrement des châssis des carrosseries automobiles, des machines destinées à l'industrie textile et de tout ce qui touche à l'industrie électrique. La conséquence inéluctable de la direction économique de l'Italie par les financiers américains sera l'ingérence de ces derniers dans le domaine politique du pays qu'ils exploitent... Le drame économique italien ne sera pas le seul de son genre dans l'Europe ravagée par la guerre..."
XI-ALLEMAGNE – La période révolutionnaire -qui a marqué la clôture de la guerre 1914-18 et qui, successivement a déferlé en Russie, en Allemagne, en Chine et dans les autres pays de l'Europe- a été victorieuse en Russie en octobre1917 puis elle a été écrasée en Allemagne par le militarisme prussien au service du gouvernement social-démocrate de NOSKE er SHEIDEMANN[1]. La révolution du prolétariat chinois fut écrasée par CHANG-KAÏ-CHEK représentant de la bourgeoisie nationale chinoise[2].
Pour l'Allemagne, la dégénérescence de l'IC et de ses partis communistes marque le point capital de la défaite du prolétariat allemand. La contre-révolution national-socialiste hitlérienne, soutenue par le capitalisme international (surtout anglo-saxon), est chargé de marquer le point final de l'activité révolutionnaire de l'IC. La venue au pouvoir de la clique nazie en Allemagne, en 1934, marque sa mort. Le national-socialisme est la forme la plus avancée de la domination de l'État et de la bourgeoisie sur la classe ouvrière. Le prolétariat allemand, une fois encadré par toute la petite-bourgeoisie allemande contre-révolutionnaire, ne pourra plus se dégager. L'État est maître. Toute la bourgeoisie (et la petite-bourgeoisie) va rentrer dans le cadre de la police, à son service ; et, pour maintenir sa domination, l'État capitaliste va amener la répression à un degré jamais atteint ; il va "industrialiser" la mort de tous ceux qui s'opposent à sa domination sous cette forme et va montrer jusqu'à quel point l'État gendarme peut aller pour conserver les privilèges de classe du capitalisme.
Il y a un siècle, Engels avait prévu la dernière forme de la société capitaliste en décomposition quand il écrivait dans L'Anti-Dühring :
Rosa Luxemburg a bien complété cela quand elle prévoyait ce qui allait se passer dans cette période dernière de la société capitaliste :
Qui a parlé ainsi ? Le chef de la révolution allemande. Rosa se doutait-elle déjà que c'est dans ce pays, où elle était la tête de la révolution, que la bourgeoisie sanguinaire, en premier, amoncellerait ces "montagnes de ruines fumantes" dont elle parle.
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Le bref coup d'œil que nous venons de jeter ensemble sur quelques grandes nations du monde va nous permettre d'apporter les conclusions qui s'imposent.
Au fur et à mesure que la société capitaliste revêt le "caractère avancé" dont parle Engels, elle remet dans les mains de l'État toutes les forces de production. Les capitalistes privés forment un capitaliste collectif idéal. Mais en même temps tout le contrôle, l'organisation de cette nouvelle société "État et Cie" est concentrée entre les mains d'un bureaucratisme tout puissant. A l'exemple de l'armée; forme bureaucratique par excellence, l'État "mobilise" les ouvriers et les encadre par des fonctionnaires, véritables officiers civils. Le chef de chantier, les contremaîtres, les chefs d'équipe, nouveaux cadres civils, copient sur leurs sosies de l'armée un régime de punitions établies tout d'abord (amendes, mises à pied etc.). En Belgique, en Pologne cette mobilisation civile devient effective. Le droit de grève, dernière arme du prolétariat, lui est enlevée. Demain ce sera, comme dans l'armée, la peine de mort pour le "déserteur" ou pour "l'agitateur", le "défaitiste" civil.
En même temps que l'État concentre en lui toutes les forces économiques, il concentre aussi les forces politiques contre l'action de classe du prolétariat.
Mais en même temps que l'État mobilise les soldats contre les ouvriers, qu'il mobilise les ouvriers et leur enlève tout droit d'exprimer les revendications, les transformant en esclaves modernes, il mobilise aussi les consciences.
Là il emploiera tous les moyens dont il dispose : presse, radio, cinéma. Il achètera les hommes, leur donnera les postes avancés dans la société pour maintenir sa domination.
Selon la nécessité, il fera tantôt couler l'encre, tantôt et surtout il fera couler le sang. Il se servira de tous les moyens, de la force, de la ruse, du fer et du feu ou du papier et de la parole - tantôt mielleuse, tantôt flamboyante - de ses hommes à son service.
Et ceux qui lui serviront le plus pour cette dernière mobilisation des consciences seront nos démagogues de "gauche" qui mettront le drapeau rouge et "la voix de Lénine" au service de la bourgeoisie et de la société capitaliste en putréfaction.
C'est ainsi qu'ils lancent, en leur nom, les mots d'ordre de "nationalisation", de "Renaissance française", qu'ils dressent les bonzes syndicaux en briseurs de grève, en délateurs contre les ouvriers conscients, en policiers politiques au service de l'État maître, gendarme et bourreau d'hier en Allemagne et en Russie, d'aujourd'hui en Belgique et en Pologne, de demain en France et en Angleterre.
Marat
[1] On remarquera en passant que, chaque fois qu'il s'agit de liquider une situation de tourmente du genre de celle de l'après-guerre en Allemagne, on trouve toujours représentés les "socialistes" au gouvernement.
[2] Faisons encore une petite remarque en passant : cette défaite du prolétariat chinois est due en grande partie à l'impréparation et aux erreurs politiques de l'Internationale Communiste qui n'a pas su lui donner des directives et des mots d'ordre révolutionnaires mais, au contraire, a donné le mot d'ordre d'union avec la bourgeoisie nationale en rapport avec l'idéologie de l'IC qui défendait les révolutions "nationales" des pays coloniaux et semi-coloniaux. On a vu le résultat. Cela n'empêche pas les trotskistes de défendre aujourd'hui, encore plus à bloc, les nations "opprimées", se mettant ainsi au service de la bourgeoisie.
Les récents événements de Syrie et du Liban ont attiré l'attention du monde entier. Toutes les presses bourgeoises (française, anglaise etc.) ont exposé le problème syrien. Chacune en y faisant prévaloir ses droits culturels (?) ou économiques et en cherchant à rejeter sur l'autre la responsabilité des troubles qui s'y sont déclenchés.
Nous allons examiner le problème syrien en faisant une brève esquisse et en tirant les conclusions en marxistes révolutionnaires. Il faut dire tout d'abord que le problème syrien n'existe pas isolé dans les frontières du Liban et de la Syrie actuels mais est totalement solidaire de toute la région qui est limitée au nord par le contrefort du plateau arménien, la Mer Caspienne, la chaîne de montagnes qui sépare l'Iran du Turkestan au sud-est est bordée par l'Indus, au sud la Mer Arabique, le Golfe persique, le désert d'Arabie, à l'ouest la Mer Rouge, Suez et la Méditerranée. C'est donc, dans leur ensemble, les pays qui forment cette vaste région : Palestine, Liban, Syrie, Arabie Saoudite, Irak et Iran qui sont aujourd'hui à l'ordre du jour. Examiner le problème syrien sans en même temps jeter un regard sur eux serait vouloir parler du cerveau sans parler du système nerveux.
La Méditerranée ayant été le berceau de la civilisation, il est juste de ne pas passer sous silence l'importance qu'a joué cette partie du monde depuis l'antiquité. Il suffit d'évoquer le nom de Tyr, de Sidon et de Babylone, de se rappeler le rôle qu'ont joué les Phéniciens en Méditerranée ; et quand on voit, dans l'histoire, les nombreuses guerres qui se sont succédées dans la région, les grands conquérants de l'antiquité tour à tour attirés par la possession de ces pays, position-clé reliant à la fois l'Europe, l'Asie et l'Afrique ; quand on se rappelle que les grands courants linguistiques dits indo-européens sont partis de là et que les grands courants religieux y ont vu le jour, on comprendra que le rôle de premier ordre qu'a toujours joué cette région dans l'histoire n'a rien perdu de sa valeur et qu'au contraire elle est appelée à le jouer encore. Il n'est donc pas inutile que le monde ait les yeux tournés vers "l'Orient".
Le Moyen-Orient a une importance considérable parce qu'il est la seule région du monde qui réunit à la fois tant de rôles principaux de la vie du monde actuel :
I° grand centre de communications,
II° sous-sol très riche en pétrole,
III° centre religieux important.
I° C'est au Moyen-Orient qu'aboutissent les routes millénaires de la soie et des épices venant de l’Extrême-Orient. Les Phéniciens, qui furent de grands commerçants, s'étaient également servis des pierreries et de l'ivoire pour l'exportation ; plus tard, c'est pour la possession de toutes ces richesses que seront attirés les grands conquérants.
A l'époque moderne, avec la naissance et le développement du capitalisme, le Moyen-Orient deviendra un champ de convoitises et de luttes constantes entre les grands pays capitalistes pour la possession de cet important centre et nœud de communications mondiales. Dans l'intérêt de la jeune république bourgeoise française, Napoléon tentera d'enlever cette route à l'Angleterre. Lesseps ayant construit le canal de Suez, les Anglais firent tout pour que la France ne puisse pas contrôler le canal et, par là même, le commerce anglais avec l'Inde et l'Afrique occidentale. L'impérialisme allemand, surgi à une époque tardive, tentera de rattraper son retard par une politique visant à se faire à tout prix une place dans le Proche-Orient (batailles dans les Dardanelles, batailles autour du chemin de fer de Bagdad...).
Quelle est actuellement l'importance des différentes routes qui relient directement les trois continents (Europe, Asie, Afrique), qui assure également la liaison avec l'Océanie et, dans une certaine mesure, même avec l'Amérique ?
Routes maritimes :
Suez est pour l'Angleterre d'une importance vitale parce que c'est la route commerciale qui conduit ses navires marchands venant de la métropole vers l'Afrique occidentale et même l'Afrique du sud, vers les Indes et l’Extrême-Orient ainsi que vers l'Océanie et l'Australie. La France aussi avait de grands intérêts à la possession du canal de Suez pour son commerce avec Madagascar, ses comptoirs aux Indes, ses colonies d'Indochine et ses concessions en Chine.
La Hollande également avait un important trafic avec ses possessions aux Indes et dans la Mer des Indes.
Les grandes compagnies américaines de pétrole - la Standard Oil, la Bahrein Petroleum Company, l'Arabian-américan Oil Company - avaient des exportations par mer avec tous les pays du monde.
Routes terrestres :
Les chemins de fer d'Asie Mineure prolongent les voies européennes - qui aboutissent à Constantinople - et vont d'une part vers le Golfe persique, d'autre part, par la Syrie, vers la Palestine et (raccord avec le réseau égyptien) vers Médoul.
Trans-iranien : du Golfe persique à la Caspienne.
Pendant la guerre on a réalisé la jonction entre la Russie méridionale d'une part et l'Asie occidentale, Iran et Océan Indien d'autre part. Il est certain que les routes reliant le Moyen-Orient à la Russie ne perdront pas de leur importance après la guerre, au contraire, en raison de l'extrême concentration industrielle commencée dès 1928 en Russie méridionale et qui s'est encore accentuée au cours de cette guerre.
Le premier pipeline est celui qui relie le bassin pétrolifère de Mossoul à la Méditerranée et qui se sépare en deux branches avant sa sortie de l'Irak : une branche allant alimenter le port français de Tripoli, l'autre le port anglais de Haïfa. Le second relie la raffinerie d'Abadan, la maïdan Naphtoun (à l'anglo-Persian) au Golfe persique.
Un autre pipeline est en projet reliant Kerkouk à Haïfa. Il aurait 40 cm de diamètre sur une longueur de 620 miles, pouvant transporter 4 millions de tonnes de pétrole non raffiné annuellement, ce qui représentera le double du pipeline actuel. La réalisation de ce projet se ferait en 1948.
D'autres pipelines sont en projet mais leur mise en exécution a été différée pour la raison bien simple que ce sont les américains - qui viennent de mettre la main sur une grande partie du bassin d'Arabie Saoudite et du Hedjaz actuellement en prospection - qui les avaient projetés et qu'un conflit entre eux, les anglais et les russes avait immédiatement éclaté à ce sujet. On ne peut encore rien tabler, la question étant encore en suspens. Cependant on peut prévoir que les États-Unis feront de grandes constructions vu l'importance de leur prospection.
Routes aériennes :
Pendant la guerre une ligne venant des USA a atteint Lagos (Nigeria) et de là l'Égypte, Bassorah et l'Asie centrale.
C'est là que le problème revêt toute son importance. C'est pour le pétrole que les chacals impérialistes se montrent les dents, prêts demain à s'entre-égorger. Le pétrole est l'élément clé pour toute l'activité industrielle et commerciale mondiale.
En 1890 la consommation mondiale du pétrole se montait à 11 millions de tonnes ; en 1913, elle était de 53 millions ; en 1918 de 71,8 ; en 1919 de 74,5 ; en 1920 de 98 millions de tonnes. Pendant cette guerre-ci, il est certain que la consommation du pétrole a dû dépasser de loin toutes les prévisions bien que le pétrole synthétique ait été fabriqué en grande quantité.
Les États-Unis -qui, avant la guerre, avaient une production égale à 65% de la production mondiale- dépassaient en 1944 les 200 millions de tonnes par an.
Avant d'examiner le problème du pétrole dans le Moyen-Orient, il serait utile de dire l'importance du pétrole dans la vie du monde actuel pour se rendre compte exactement de la signification des luttes qui se livrent autour de sa possession. Si l'on ajoute à la multiplicité des utilisations directes (gazoline et pétroles lampants, essence à moteur, mazout épais pour les machines, huiles lubrifiantes) les quelques 300 matières (vaseline, paraffine, cire etc.) que l'industrie moderne tire des sous-produits du pétrole, on comprendra qu'il est une matière première de tout premier ordre, dont la possession donne une incontestable puissance économique.
Les États-Unis ont une réserve évaluée à environ 2,7 milliards de tonnes (environ 36% des réserves mondiales). La mer des Antilles et l'URSS ont chacune des réserves de l'ordre de 1 milliard de tonnes. La Chine également est très riche bien qu'on ne connaisse pas encore dans quelle proportion exacte. Et les réserves du sous-sol du Moyen-Orient sont déjà évaluées à 2,5 milliards de tonnes et certains affirment même davantage.
Les États-Unis et l'URSS tirent de leur propre sol le pétrole qu'ils consomment, tandis que la France et l'Angleterre doivent l'importer. Il y a au Moyen-Orient un bassin pétrolifère très important déjà exploité depuis quelques années, le bassin de Mossoul (évalué à environ 1,4 milliards de tonnes), longeant la frontière Irak-Iran, touchant presque la frontière turque au nord-ouest et le Golfe persique au sud-est. Un autre, exploité plus récemment, se trouve dans l'île de Bahrein (Golfe persique). Deux autres sont actuellement prospectés par des ingénieurs américains, celui d'Arabie Saoudite et celui du Hedjaz.
Un autre encore est prospecté par les russes dans la République soviétique d'Arménie et au sud de la Caspienne dans le nord de l'Iran.
La répartition actuelle des pétroles de Mossoul est :
La France tirait, en 1938, 3 millions de tonnes de Mossoul, soit environ la moitié de ses besoins en pétrole.
Les pétroles de l'île de Bahrein et d'Arabie Saoudite, appartenant à la Bahrein Petroleum Company et l'Arabian-american Oil Company, appartenant conjointement à la Texas Company et à la Standart of California, sont produits par les deux sociétés à la cadence de 60.000 barils[1]1 par jour (cadence qui sera doublée à la fin de l'année, si l'on en croit les rapports des dites compagnies). La production américaine totale quotidienne serait actuellement de 4,8 millions de barils.
Centre religieux important
Jérusalem a longtemps représenté, pour l'Europe chrétienne, la "ville sainte" et a servi de prétexte aux croisades. Toutefois l'attention du monde chrétien a été détournée de Jérusalem par les trois grands courants qui se sont formés dans la religion chrétienne :
La Palestine ("la terre promise") a longtemps hanté le peuple israélite dispersé dans le monde. Mais, de nos jours, l'assimilation des israélites dans les pays où ils vivent devient telle que la Palestine n'attire plus que quelques juifs sionistes. La crise économique, la guerre, l'antisémitisme et les atrocités contre les juifs ont déterminé une recrudescence du nationalisme juif que l'Angleterre utilise adroitement à ses fins et pour sa politique coloniale au Proche-Orient.
La Mecque est un grand centre religieux du monde musulman, qui s'étend de la Chine du sud et la Malaisie jusqu'au Soudan, et son importance s'est renforcée à la faveur de l'éclipse d'Istamboul et du renforcement du mouvement pan-arabe.
C'est ce mouvement pan-arabe que l'Angleterre appuie depuis de longues années et c'est à la faveur de cette politique qu'elle peut, sans agir elle-même, entraîner des mouvements chez les arabes quand elle estime qu'ils sont nécessaires à la défense de ses intérêts.
A cette politique religieuse menée par l'Angleterre avec patience, modération mais avec force et assurance, les États-Unis devaient, pour s'introduire dans les pays arabes, s'appuyer sur une politique à la fois rapide, pratique et solide. Les grandes sociétés américaines sont immensément riches ; c'est avec le poids de leur argent qu'elles ont compté pour arriver les premières à la prospection et à l'exploitation des nouvelles nappes de pétrole et elles ont en grande partie réussi. Les américains sont arrivés en Arabie les poches bourrées d'or, dans des automobiles de grand luxe. Ils ont donné des voitures dernier cri aux petits "(...)" arabes, leur ont installé des salles de bain, modernisé leur vie. Ils ont acheté à coups de dollars tout ce qui se dressait sur leur chemin.
De cette façon l'Amérique obtenait en 1939, dans l'Arabie Saoudite, une concession pétrolifère plus vaste que la France : 700.000 kms2. C'est aussi, sans doute, une des raisons qui firent que Roosevelt, en revenant de Yalta, quoique déjà fatigué, passa au Caire pour avoir des conversations avec le roi d'Arabie. Mais en même temps qu'il menait en Arabie même cette politique, il l'appuyait, en 1944, d'un véritable chantage international. En effet, en 1920, quand il s'agissait pour les américains d'obtenir les 23,75% de Mossoul qu'ils ont actuellement, ils prétendirent que leur réserve nationale allait s'épuiser rapidement et firent valoir leurs droits en montrant la part qui avait été, dans l'effort de guerre "allié", joué par la production pétrolifère des USA, et ce qui avait été consommé de ce pétrole dans la guerre.
Ils recommencent aujourd'hui le même chantage en faisant ressortir que 95% de l'essence employée par les "alliés" dans cette guerre était de l'essence américaine.
Cependant les impérialismes commencent à en avoir assez de se regarder dans les yeux ; ils semblent se décider à passer à l'action.
La Russie reste pour l'instant dans la demi-expectative tout en mettant sa grosse patte sur les pétroles du sud de la Caspienne[2]2.
Les USA, étant les plus forts, consolident leurs conquêtes économiques toutes récentes. Quant à l'Angleterre, devant la toute-puissance de l'un et de l'autre, n'osant se servir des 600000 de troupes qu'elle a là-bas contre eux, et en même temps prise de peur devant leur toute puissance grandissante, elle se retourne contre le plus faible des brigands, la France, dans l'espoir de s'approprier de cette façon sa part de pétrole. Le grand vaincu de cette guerre n'est pas seulement l'Allemagne - qui en raison de la richesse de son sous-sol pourra demain se relever - mais la France qui est aussi une grande vaincue et l'Angleterre le sait bien.
Et tant il est vrai qu'entre chacals impérialistes les plus faibles sont toujours dépecés par les plus forts : le dépècement de la France commencé par les anglo-saxons pendant la guerre dite de "libération des peuples opprimés" se poursuit.
Le plus drôle de l'histoire c'est que, dans les conflits entre la France et l'Angleterre en Syrie, chacun prétend sauvegarder l'indépendance et la liberté des peuples syrien et libanais. Les événements chronologiques qui ont marqué l'affaire syrienne en disent long sur les "méthodes démocratiques" des grands alliés pour régler les conflits inter-impérialistes qui naissent entre eux.
20 et 21 mai : "Combat"
"... cependant la nervosité semble s'accroître dans les État du Levant où arrivent des renforts français, terrestres et navales ; Libanais et Syriens paraissent désireux de conclure entre eux un traité d'alliance... à Londres comme à Washington, on s'applique beaucoup à nous convaincre des bonnes intentions que l'on nourrit à notre égard..."
31 mai : "Journal de Genève"
"Situation tendue à Damas et à Beyrouth.
Damas 31 : (exchange) Les dernières nouvelles concernant la situation dans le Levant permettent de conclure que l'état de guerre existe en fait en Syrie et dans le Liban. Les combats se déroulent surtout autour de Damas où les français, sans doute pour répondre à des provocations des rebelles, sont intervenus avec leur aviation et leur artillerie.
Beyrouth 31 : (exchange) Près de 100000 jeunes gens se sont engagés dans les gardes nationales. La grève générale a de nouveau été proclamée... les communications téléphoniques entre Beyrouth et Damas sont interrompues".
D'autre part un communiqué officiel anglais flétrit l'attitude française en Syrie, lui reprochant surtout de ne pas avoir donné à la Syrie et au Liban l'indépendance promise. La France répond à l'Angleterre que celle-ci "protège" bien l'Égypte et l'Irak et qu'elle peut très bien "protéger" la Syrie et le Liban de la même façon.
1er juin : "Combat"
"Churchill requiert de De Gaulle de donner aux troupes françaises du Levant l'ordre de cesser le feu." (en grande manchette).
"Dernière minute"
"Washington 31 mai : la radio américaine déclare ce soir que 'Radio Beyrouth' a diffusé une information selon laquelle le Général Paget, commandant en chef des forces britanniques de Syrie, s'est mis en rapport avec le commandant en chef des troupes françaises du Levant. Radio Beyrouth a ajouté que des ordres avaient été transmis au commandement français en vue de donner satisfaction à la demande du gouvernement britannique." Sans commentaires!!!
"Bombardements à Damas : 200 blessés. Bombardements à Mhama : 100 blessés, 100 tués."
3 et 4 juin
"Le général De Gaulle s'adresse à la presse... Les combats ont cessé en Syrie... Pour donner satisfaction à une demande du gouvernement britannique... Le gouvernement français a donné l'ordre à ses troupes de cesser le feu. Cet ordre a été immédiatement exécuté... Une conférence tripartite (Angleterre, État-Unis, France) va se réunir... La France sait, en effet, que, si elle abandonne ces régions, d'autres pays se substitueront à elles et profiteront des sacrifices nationaux et moraux qu'elle a depuis si longtemps consentis."
"Libé-Soir" : "Les déclarations officielles constitueront en quelque sorte le prélude des conversations que le gouvernement français aura avec les gouvernements anglais et américain ; et éventuellement (?!) avec les divers États arabes. Conversations dit un communiqué de la Présidence du Conseil qui porteront sur l'ensemble de la situation dans le Proche-Orient et dont il conviendrait, ajoute la note, 'que le gouvernement soviétique fut tout au moins informé' "
La France pense sans doute noyer le poisson.
6 juin : "Combat"
"Le gouvernement français propose, comme l'URSS, que les problèmes d'Orient soient examinés dans une conférence à 5, tandis que Londres tient toujours à une conférence à 3."
13 juin : "France-Soir"
"Tous les français - civils, religieux, militaires - sont évacués de Syrie... où aucune maison française n'a échappé au pillage."
14 juin : "Combat"
"Les Anglais annoncent qu'ils maintiendront le Liban sous leur contrôle jusqu'à la fin des hostilités en Extrême-Orient."
"Bien que, dans l'ensemble, une certaine (...) ait été constatée en Syrie, la journée a été marquée par des incidents sérieux à Alep. Des livres français ont été brûlés publiquement."
Pauvre France impérialiste ! Il semble que son symbole actuel soit plutôt une poule mouillée qu'un coq gaulois !
PH
[1] Un baril équivaut à 159 litres.
[2] Il est important, à ce propos, de souligner que l'industrie soviétique a subi depuis 1928 un déplacement qui s'est encore accentué pendant cette guerre et semble vouloir se poursuivre. Il s'agit d'importantes industries dans la Transcaucasie, la Sibérie du sud et les Républiques soviétiques du Turkestan. Il est certain qu'une telle concentration industrielle si proche du Moyen-Orient en fasse un point névralgique. La Russie veillera donc de près à la sécurité d'une région qui devient pour elle d'une importance économique de tout premier ordre.
La formation des CR, qui date de près d'un an, fut une formation où l'unanimité se porta beaucoup plus sur la lutte contre le trotskisme défini comme un mouvement passé au service de la bourgeoisie que sur une plateforme politique de regroupement des éléments d'avant-garde.
Ce courant, qui se place du côté du prolétariat malgré les scissions et l'absence des bases principielles, conserve une homogénéité organisationnelle mais est incapable, sans le problème important de l'heure, d'avoir une ligne politique suivie et conséquente.
Manquant d'éléments idéologiques basés, il s'est lancé dans ses publications, vers de véritables prophéties qui ne se sont pas réalisées.
Si l'intention qui l'animait était louable du point de vue révolutionnaire, il n'apportait aucun acquis au mouvement et, le plus souvent, aidait à maintenir la confusion et, surtout, à discréditer le travail de l'avant-garde en général par ses fantaisies politiques.
En vue de remédier à ces faiblesses politiques, la Gauche Communiste de France a considéré nécessaire de provoquer des réunions publiques et contradictoires de tous les courants d'avant-garde pour permettre à chaque courant de préciser ses positions politiques et aider aussi à la clarification dans le mouvement ouvrier.
La critique, que nous nous proposons de faire ici, est celle des 2 plateformes programmatiques en discussion chez les CR ainsi que celle des positions politiques prises à la dernière réunion publique sur la question du parti par le même courant.
Ce qui caractérise essentiellement les CR et surtout leur parrain politique, les RKD, c'est moins la méthode d'analyse que certaines positions politiques qui sont schématisées à l'extrême jusqu'à devenir, pour ces courants, un calque du mouvement ouvrier, sans vie et sans spécificité.
La méthode d'analyse, qui garantit, dans la mesure du possible, une ligne politique conséquente et révolutionnaire, leur fait défaut. Et c'est à ceci qu'est imputable, le plus souvent, leur contradiction politique.
Ainsi, considérer l'URSS, dès 1921, comme déjà un État non-prolétarien parce qu'elle fut obligée de sacrifier certaines formes pour conserver le fond (cas de la NEP) et admettre, d'autre part, la possibilité pour le parti révolutionnaire de faire un front unique avec des organisations dont on laisse dans le vague la tendance ou le camp auquel elles appartenaient, est un des caractères spécifiques de l'homogénéité de leurs positions et surtout une preuve de leur impossibilité, faute de méthode d'analyse, de coordonner et d'inter-réfléchir les divers thèmes de leurs 2 déclarations de principe.
En lisant leurs documents et en suivant leurs discussions, l'impression qui s'en dégage est celle d'un amalgame de positions disparates, plus ou moins justes, mais nullement le fruit d'un travail réfléchi et coordonné.
Si nous insistons sur ce point, c'est pour mettre en relief le propre d'une méthode.
Pour nous, une méthode d'analyse dialectique repose sur trois points essentiels :
Les CR remplissent largement les deux premiers points ; le troisième point reste dans le vague. La forme matérielle de l'instrument de la méthode, pour eux, est un empilement de principes et souvent de postulats. Aucune trame ne se décèle permettant une relation et une idée directive entre les principes.
Pour nous, l'axe, l'instrument, le point conscient de la méthode réside dans le problème du parti qui, tout en n'éliminant pas les autres facteurs du succès des luttes révolutionnaires et même en les coordonnant, constitue le critère de la nature révolutionnaire d'un mouvement ainsi que l'élément primordial pour une issue victorieuse à une période révolutionnaire.
Qu'en pensent les CR ? Ils nous renvoient au "Que faire ?" de Lénine et nous assistons à un défilé de propositions organisatives plutôt qu'à une synthèse de la nature du parti et de son rôle. Cette maladie de poser le problème organisatif avant le problème idéologique et qu'ils caractérisent de matérialiste parce qu'elle repose sur des éléments palpables -l'idéologie étant pour eux du spiritualisme, détruisant ainsi toute la base moniste de la dialectique matérialiste-, ils l'ont contractée chez les RKD dont "l'arme" ressemble plus à une nomenclature de catalogue, comparable à celle de la "Manufacture de Saint-Etienne" qu'à un exposé des enseignements de toute l'expérience ouvrière passée et présente.
Comment se situe le problème ?
Face à une IIème Internationale mal coordonnée dont l'unité révolutionnaire était dans un équilibre instable et où l'intransigeance finissait par être de plus en plus verbale, les bolcheviks répondent, par leur structure idéologique et par leur intransigeance sur le fond, aux nécessités d'une période qui quittait le libéralisme économique (l’Age d'or du capitalisme) pour l'impérialisme (décadence du capitalisme).
Leur structure politique conditionnera, dans la majeure partie (et encore il y eut des failles) leur solidité organisationnelle et surtout leur viabilité en tant qu'instrument le plus nécessaire de la lutte de classe.
Ce problème dépassant les nécessités immédiates de la lutte, les formes utopistes pour aller au fond des choses et poser le principe axial : la lutte révolutionnaire n'est possible qu'en fonction de la prise de conscience de classe du prolétariat. Sans elle, aucune situation révolutionnaire ne peut se résoudre en un mouvement révolutionnaire.
Comme le socialisme, expression de la conscience de classe achevée, et la lutte de classe ne sont pas deux éléments dont le premier est issu du deuxième, mais deux éléments parallèles, leur confluence ne peut être que le résultat d'une situation favorable et surtout de l'existence de la pensée socialiste.
La situation naît objectivement du fonctionnement même de l'économie capitaliste. Le socialisme, lui, demande des possibilités scientifiques d'étudier et de construire idéologiquement.
La classe ouvrière dans son ensemble, par sa dépendance économique totale du capitalisme, n'a pas les possibilités scientifiques d'étudier et de construire idéologiquement la pensée socialiste. Seule une minorité de transfuges de la petite-bourgeoisie et d'ouvriers libérés dans une certaine mesure de la contrainte sociale directe du capitalisme peuvent exprimer et consolider chaque fois la pensée socialiste, la conscience active de classe.
Pourquoi le problème est avant tout idéologique ? Parce ce que c'est par cette voie que l'homme fait l'histoire en rapport avec le processus de la lutte de classe.
Qu'on ne nous taxe pas, de façon ridicule, de spiritualistes. Nous savons que la révolution, c'est le prolétariat dans son ensemble qui la fait. Mais nous savons aussi que, s'il la fait, c'est qu'il a pris conscience de la nécessité du socialisme. Et, ce qui est primordial, c'est que, sans idéologie révolutionnaire, il ne la fait pas.
Une fois ce critère formé, l'expression de la révolution d'Octobre (et sa suite) devait être analysée en fonction du cours politique qu'elle a pris et non en fonction de certaines formes organisationnelles qu'elle a adoptées.
Les CR, toujours à l'affût de la recette révolutionnaire (soviets, tout le prolétariat en armes, démocratie, organisation...) nous répondent fort justement : "Mais les formes organisationnelles sont conditionnées par la nature des positions politiques."
Alors, pourquoi analyser ces formes en dehors de leur contexte idéologique et, surtout, pourquoi ne pas rechercher les leçons révolutionnaires dans le facteur déterminant qu'est le programme, au lieu de le chercher dans les facteurs dérivants que sont les formes organisationnelles ?
Car une forme organisationnelle n'est pas uniquement dépendante de l'idéologie. Elle résulte aussi d'un degré technique de mauvaise adaptation à une conjoncture locale ou momentanée. Ainsi, l'histoire des divers oppositions -de gauche, du centre et de droite- dans la 3ème Internationale reflète plus, malheureusement, des oppositions secondaires souvent justes que des oppositions de principes.
Ces oppositions ont conduit, malheureusement, les divers courants de la 3ème Internationale vers des positions politiques opportunistes et contre-révolutionnaires, ou bien vers des positions infantiles, retardataires du point de vue idéologique, improprement appelées "ultra-gauchistes".
Considérer l'interdiction de fractions organisées dans le parti, ou bien la NEP, ou bien la nécessité des syndicats révolutionnaires rattachés aux Syndicats Rouges face à la Centrale syndicale d'Amsterdam, comme des éléments qui caractérisent la transformation de l'Internationale Communiste en organisme de l'impérialisme russe en 1921, conduit à des positions politiques anti-marxistes et anti-historiques :
Et tout ceci nous ramène à Souvarine, Trotsky et Korch pour indiquer la droite, le centre et l'extrême-gauche de ces oppositions avortées de la 3ème Internationale.
Sans besoin de publicité et pas pour vanter une marchandise, seule la fraction de gauche du Parti Communiste d'Italie a su poser le problème sur ses assises politiques.
Ce n'était pas tant la répression de Kronstadt (ou la NEP) qui importait mais le fait que le mouvement de Kronstadt indiquait un retard de la conscience de classe dans un secteur donné. Et que ce retard ne se rattrapait pas par la répression mais, au contraire, par un développement du travail politique du parti et de la propagande. Que la NEP était négligeable comme influence, si la tactique révolutionnaire avait accéléré la révolution dans le monde. Et là, le problème du front unique était analysé, critiqué et combattu. Là résidait un facteur important ayant décidé de l'échec des révolutions après 1921. (...)
Nos camarades CR et RKD, jusque dans leur plateforme politique, commettent la même erreur, tentant de résoudre organisationnellement les problèmes que posent la révolution et l' État prolétarien après 1917, sans prendre en considération le cours de dégénérescence et de mort du mouvement ouvrier dans le monde, en Russie en particulier.
Ils vont jusqu'à conserver cette tactique qui détonne par rapport à leur sectarisme dans l'analyse de la 3ème Internationale.
Et, si certains de nos camarades CR rejettent maintenant le front unique, ils ne nous ont donné aucune possibilité de penser qu'ils ont saisi l'importance de ce problème.
Leur inconséquence politique va jusqu'à admettre de pair la notion du parti de Lénine du "Que faire" toute opposée aux positions des économistes, (...) et spontanéistes du mouvement révolutionnaires, avec l'égalité qu'ils posent entre le parti et les organisations unitaires du prolétariat et ses organismes d' État.
La primordialité du parti sur les organismes unitaires du prolétariat et d' État de la classe détermine le dépérissement de l' État ouvrier et ouvre la voie au socialisme. Le contraire nous donnera malheureusement un renforcement de l' État et le développement du bureaucratisme tout comme le stalinisme.
En définitive, de toutes les oppositions de la 3ème Internationale, les CR et les RKD n'ont su faire qu'un mélange des divers courants sans voir les incohérences d'une telle méthode.
Nous, nous avons préféré prendre comme critère la méthode d'analyse du seul courant qui, à juste raison, a su différencier les problèmes politiques des problèmes organisationnels : la FG du PC d'Italie.
Les tribunistes et les korchistes ont fait table rase des expériences des trente dernières années ; attention aux CR et RKD qu'ils n'en fassent de même car, alors, les enseignements les plus achevés nous viendraient de la 2ème Internationale, c'est-à-dire, pour nos sectaires, de 1903.
Parler du parti, de l'avant-garde, de son rôle, c'est avant tout parler de la classe ouvrière et de sa différence d'avec la classe bourgeoise.
La classe bourgeoise, dans sa lutte contre la féodalité, ne disposait pas, comme le prolétariat, d'un devenir historique seulement mais, il ne faut surtout pas l'oublier, d'une force économique qui allait en absorbant toutes les énergies productives de la féodalité.
Les partis de la bourgeoisie n'avaient pas à rendre conscient leur classe de la nécessité de la transformation de la société. Cette conscience, la bourgeoisie la trouvait quotidiennement dans la possession de la force économique et son besoin d'expansion.
La fonction existant, l'organe était à construire, c'est-à-dire les pouvoirs politique et juridique.
Pour le prolétariat, le problème est plus complexe. Il est autre ; du pouvoir économique il ne possède que sa force de travail qu'il est obligé de louer et, comme le salaire qu'il reçoit, il ne peut s'apercevoir de l'exploitation (de plus, sa force de travail est payée à sa valeur marchande) ; les luttes pour la revendication immédiate ne lui montre que la nécessité de marchander son travail à plus haut prix.
L'inexistence de nouvelle structure économique, structure que la bourgeoisie possédait dans la féodalité, l'empêche de sentir la nécessité d'une transformation radicale de classe de la société.
Ces luttes demeurent (...) et ne dépassant jamais le cadre du système d'exploitation sans le travail théorique de personnes qui posent la faillite et la mort du capitalisme, comme inhérentes aux lois de son fonctionnement, et (...) l'impasse dans laquelle se trouve la production capitaliste ainsi que le processus pour en sortir et dépasser ce mode de production.
Ce travail théorique est une des taches du parti, son autre rôle étant d'en faire prendre conscience au prolétariat et de le conduire à créer les conditions pour un nouveau mode de production par la prise de pouvoir politique.
Ce parti devient ainsi une représentation du prolétariat dans la défense de ses intérêts, en tant que classe ; mais le prolétariat se pose comme la seule classe susceptible de donner une solution viable à la crise permanente de la société capitaliste. Il y a, entre le parti et la classe ouvrière, fusion intime par l'expression idéologique de la lutte historique de classe.
Qui parle du parti parle de la classe dans son ensemble. Il n'y a pas de séparation dans le devenir historique.
Pour la composition ainsi que dans la situation à un moment donné, la séparation entre parti et classe résulte de l'écart existant entre une (...) avancée qui construit la théorie socialiste et les degrés de la (...) de classe.
Au moment de la confluence, le parti et le prolétariat se solidarisent dans la lutte révolutionnaire, et le facteur idéologique en est le ciment.
La dégénérescence du parti de classe n'infirme pas cette loi historique. Elle ne peut exprimer qu'un rejet de la conscience de la classe ouvrière et laisse la place au nouveau parti de classe qui, malheureusement, ne se construit pas de suite, mais est obligé d'attendre la réalisation d'un nouveau travail idéologique tendant à retrouver et enrichir la conscience de classe jusqu'à la poussée d'une crise révolutionnaire.
Les CR et les RKD n'ont pas assimilé la nature du parti parce qu'ils n'ont pas compris l'élément nouveau provenant de la condition économique de la classe ouvrière.
Ainsi se débattent-ils dans certains problèmes où le plus grand flottement existe. Ainsi le problème de la démocratie en est un, où le flottement et l'imprécision chez les CR et les RKD est caractéristique.
D'une part, fort justement, ils proclament que la question de la démocratie n'est pas de même importance que la question du parti. La loi de la majorité l'emportant sur la minorité n'est pas du tout le critère garantissant la victoire révolutionnaire, que ce soit dans la classe ouvrière ou dans le parti.
Ils devraient donc arriver à conclure que le décret interdisant la formation de fractions organisées dans le parti (les courants étant admis et autorisés) provient de l'application stricte de la démocratie, dans la lettre comme dans le fond. Mais là où tout se gâte c'est sur la question des Soviets.
Ils ont considéré que la dictature du prolétariat c'était le prolétariat en armes organisé dans les Soviets - organismes élus démocratiquement et n'étant conditionnés, dans leur nature révolutionnaire, non par la démocratie qui y règne mais par l'existence du parti. Ce subterfuge-là consiste à rejeter par la porte la démocratie comme facteur révolutionnaire primordial et à le réintroduire par la fenêtre.
En effet, baser le pouvoir ouvrier sur les Soviets, en donnant alors au parti le rôle de conseiller, revient 1) à garantir la révolution par l'élection démocratique, 2) à considérer une séparation idéologique entre le prolétariat révolutionnaire et le parti qui exprime cette révolutionnarité.
Et voilà notre principe démocratique assis à la place d'honneur, de même valeur sinon plus que le parti.
L'exemple des Soviets en Allemagne ainsi que le non-désaveu des CR et RKD de la tactique de Lénine à la veille d'Octobre - tactique rejetant le mot-d'ordre "tout le pouvoir aux soviets" par "tout le pouvoir aux comités d'usines" si le nouveau congrès ne se prononçait pas pour les bolcheviks - n'a pas éclairé d'une bougie leur entendement.
Pour eux, Soviet et Comité d'usine représentent la même chose. Il faut croire que Lénine était mal informé.
Seulement le soviet s'élisait sur la base de la localité, tandis que le comité d'usine sur la base de l'usine, représentant surtout le prolétariat en arme, mais la fraction la plus dynamique et la plus consciente.
Alors, est-ce parce que les soviets ont perdu leur caractère démocratique ou est-ce parce que le parti ou l'Internationale ont commis des erreurs se soldant par la défaite révolutionnaire que l' État ouvrier a dégénéré jusqu'à devenir capitaliste ? Ils nous répondent astucieusement : "c'est l'un et l'autre."
Non ! C'est la dégénérescence politique de l'Internationale qui a entraîner une transformation de la nature de classe des soviets.
Et le pouvoir ouvrier n'est nullement garanti par les soviets et la démocratie qui y règne, mais uniquement par la ligne politique que la classe a grâce à son avant-garde.
La formule du pouvoir ouvrier - exprimée par le prolétariat en arme, élisant démocratiquement et révoquant à chaque moment les soviets - est fausse.
Le pouvoir ouvrier, ce n'est pas les soviets ni le prolétariat en arme mais la dictature des intérêts de la classe ouvrière sur la classe capitaliste.
Nous ne rejetons pas les soviets et le prolétariat en arme, au contraire, mais nous précisons que les soviets révolutionnaires et le prolétariat en arme sont une résultante de la conscience de la classe, concrétisée et développée par le parti, se généralisant grâce à une situation montante et à l'action du parti dans la classe ouvrière.
Le problème des organismes de l' État ouvrier a son importance du point de vue idéologique en ce qu'il invite et forme les ouvriers à la gestion de l' État et, du point de vue technique, pour une planification. Mais il demeure secondaire face à la nécessité qu'a l' État de défendre la classe ouvrière d'un retour de flamme du capitalisme et de former le prolétariat en vue de l'organisation de la société.
Pendant toute la période de l' État ouvrier, nous sommes en pleine direction de la société et (...) organisme des classes est plus préparé, plus apte que le parti à diriger ?
Si le facteur principal de l' État ouvrier n'est pas le parti, c'est-à-dire l'idéologie active, dynamique de classe de tous les organismes, supra-organisme que l'on créera le plus démocratiquement dans la classe ouvrière, ne pouvant pas donner à l' État sa caractéristique prolétarienne.
De là à dire que l' État prolétarien c'est le parti, il y a un abîme.
Les organismes soviets démocratiquement élus - parce qu'il n'y a pas d'autre moyen de trancher certains problèmes en un sens juste ou faux - expriment un contenu révolutionnaire si le parti de classe détient la majorité et dirige en fraction de la généralisation de la conscience révolutionnaire qui s'exprimera par la majorité.
Mais c'est la conscience révolutionnaire qui est l'élément primordial car, si le parti dégénère du fait de fautes politiques qui renforcent l'opportunisme en son sein, la majorité démocratique sera encore là pour aider la contre-révolution, marquant par là une baisse conséquente du prolétariat au niveau de sa conscience.
Le parti n'est pas l' État, il le dirige en tant qu'expression la plus élevée de la conscience de classe.
Là encore les CR et RKD font une confusion. Pour eux, il y a ou bien dictature du parti ou bien dictature du prolétariat.
Nous leur demanderons seulement : s'il y a dictature du parti, que défend cette dictature ? Et si elle défend les intérêts du prolétariat, alors c'est la dictature du prolétariat. Quels sont les organismes qui exécutent cette dictature ? Ce n'est sûrement pas le parti mais l' État ouvrier.
Qui dirige l'exécution de la dictature ? C'est immanquablement le parti car, au fur et à mesure que le parti ne la dirige plus, c'est que nous nous acheminons vers le socialisme ou la société sans classe.
Si le parti ne défend pas les intérêts de classe du prolétariat, c'est qu'alors il n'est plus le parti de la classe.
Pour nous, il n'existe pas deux dictatures ; la dictature du prolétariat est l'expression de la fusion idéologique du parti avec la classe ouvrière.
Nous ne nous sommes, en définitive, attaqués qu'aux points centraux du problème que l'avant-garde a résolu et doit compléter.
Notre exposé a été peut-être trop théorique. Mais, concernant notre plate-forme, nous rappellerons que deux documents ont paru. L'un à la formation du noyau en 1942, "la déclaration de principe" (où nous reprenions, d'une manière condensée, la notion de parti et la notion de fraction) qui fera l'objet d'une critique dans un article des RKD sur la faillite des courants ouvriers et révolutionnaires issus de la 3ème Internationale. De plus, à la conférence de juillet 1945, nous avons repris les principaux points de notre "déclaration" de 1942 et les avons développés et enrichis dans le document "Résolution et taches de la période transitoire".
Que les CR et RKD fassent une critique de ces documents.
Concernant les points tels le front unique, les questions nationale et coloniale, les CR et RKD, bien qu'ayant défendu sur la classe capitaliste.
Nous ne rejetons pas les soviets et le prolétariat en arme, au contraire, mais nous précisons que les soviets révolutionnaires et le prolétariat en arme sont une résultante de la conscience de la classe, concrétisée et développée par le parti, se généralisant grâce à une situation montante et à l'action du parti dans la classe ouvrière.
Le problème des organismes de l' État ouvrier a son importance du point de vue idéologique en ce qu'il invite et forme les ouvriers à la gestion de l' État et, du point de vue technique, pour une planification. Mais il demeure secondaire face à la nécessité qu'a l' État de défendre la classe ouvrière d'un retour de flamme du capitalisme et de former le prolétariat en vue de l'organisation de la société.
Pendant toute la période de l' État ouvrier, nous sommes en pleine direction de la société et (...) organisme des classes est plus préparé, plus apte que le parti à diriger ?
Si le facteur principal de l' État ouvrier n'est pas le parti, c'est-à-dire l'idéologie active, dynamique de classe de tous les organismes, supra-organisme que l'on créera le plus démocratiquement dans la classe ouvrière, ne pouvant pas donner à l' État sa caractéristique prolétarienne.
De là à dire que l' État prolétarien c'est le parti, il y a un abîme.
Les organismes soviets démocratiquement élus - parce qu'il n'y a pas d'autre moyen de trancher certains problèmes en un sens juste ou faux - expriment un contenu révolutionnaire si le parti de classe détient la majorité et dirige en fraction de la généralisation de la conscience révolutionnaire qui s'exprimera par la majorité.
Mais c'est la conscience révolutionnaire qui est l'élément primordial car, si le parti dégénère du fait de fautes politiques qui renforcent l'opportunisme en son sein, la majorité démocratique sera encore là pour aider la contre-révolution, marquant par là une baisse conséquente du prolétariat au niveau de sa conscience.
Le parti n'est pas l' État, il le dirige en tant qu'expression la plus élevée de la conscience de classe.
Là encore les CR et RKD font une confusion. Pour eux, il y a ou bien dictature du parti ou bien dictature du prolétariat.
Nous leur demanderons seulement : s'il y a dictature du parti, que défend cette dictature ? Et si elle défend les intérêts du prolétariat, alors c'est la dictature du prolétariat. Quels sont les organismes qui exécutent cette dictature ? Ce n'est sûrement pas le parti mais l' État ouvrier.
Qui dirige l'exécution de la dictature ? C'est immanquablement le parti car, au fur et à mesure que le parti ne la dirige plus, c'est que nous nous acheminons vers le socialisme ou la société sans classe.
Si le parti ne défend pas les intérêts de classe du prolétariat, c'est qu'alors il n'est plus le parti de la classe.
Pour nous, il n'existe pas deux dictatures ; la dictature du prolétariat est l'expression de la fusion idéologique du parti avec la classe ouvrière.
Nous ne nous sommes, en définitive, attaqués qu'aux points centraux du problème que l'avant-garde a résolu et doit compléter.
Notre exposé a été peut-être trop théorique. Mais, concernant notre plate-forme, nous rappellerons que deux documents ont paru. L'un à la formation du noyau en 1942, "la déclaration de principe" (où nous reprenions, d'une manière condensée, la notion de parti et la notion de fraction) qui fera l'objet d'une critique dans un article des RKD sur la faillite des courants ouvriers et révolutionnaires issus de la 3ème Internationale. De plus, à la conférence de juillet 1945, nous avons repris les principaux points de notre "déclaration" de 1942 et les avons développés et enrichis dans le document "Résolution et taches de la période transitoire".
Que les CR et RKD fassent une critique de ces documents.
Concernant les points tels le front unique, les questions nationale et coloniale, les CR et RKD, bien qu'ayant défendu
La guerre impérialiste éclatée en 1939, parce qu’une date décisive pour le prolétariat français.
Elle est l'aboutissement et le point culminant d'une période de recul du prolétariat, période au cours de laquelle tous les efforts de reconstruire l'organisme politique de la classe se sont heurtés au cours historique objectif de la guerre et se sont soldés par des échecs.
L'organisation trotskiste, par ses positions politiques et méthodes d'organisation, ne pouvait pas regrouper les éléments révolutionnaires et devait sombrer rapidement en tant qu'organisation révolutionnaire. Son entrée dans le parti de la 2ème Internationale est le point terminal de son existence en tant qu'organisation prolétarienne. Ses positions politiques prises par la suite -à l'occasion de la guerre d'Éthiopie, de la guerre impérialiste en Espagne, sur l'antifascisme, sur la défense de la Russie et sur la guerre impérialiste mondiale- sont autant de manifestations de son évolution et de sa nature anti-prolétarienne.
Les groupes issus du Trotskisme et unifiés autour de l'Union Communiste représentaient à l'origine incontestablement une réaction prolétarienne. Mais l'absence de principes programmatiques et la confusion politique ont fait de l'UC un groupe éclectique où coexistaient des éléments et des tendances politiques hétéroclites allant des positions du Raten Komunisten hollandais à celles du POUM espagnol.
La guerre impérialiste en Espagne a été la pierre de touche, une épreuve historique décisive pour l'ensemble des groupes se réclamant du prolétariat révolutionnaire.
Les positions prises par l'UC dans la guerre impérialiste en Espagne, en dépit de ses (...) et réserves, ont situé celle-ci dans le camp des défenseurs de la "République" et de la "démocratie" aux côtés du POUM, des trotskistes et de tous les groupes prisonniers de l'idéologie bourgeoise de l'antifascisme.
Désormais les positions de la classe ne pouvaient être sauvegardées qu'en dehors de ces formations politiques, dans la rupture idéologique et organisationnelle avec elles. Le regroupement des révolutionnaires ne pouvait et ne devait se faire que dans la lutte contre et en dehors de ces organisations tombées dans l'engrenage du capitalisme.
Les scissions qui se produisent autour de la question espagnole dans la Fraction Italienne de la Gauche Communiste, dans la Ligue des Communistes Internationalistes en Belgique, les sorties de l'UC et la formation du Groupe des Travailleurs Marxistes du Mexique ont le même caractère et sont de la même nature que la rupture des bolcheviks avec la 2ème Internationale lors de la 1ère guerre impérialiste en 1914.
Il faudra attendre l'éclatement de la guerre impérialiste en 1939, la liquidation définitive idéologique et organisationnelle de ces anciens groupes en France pour qu'au cours de la guerre, à la faveur de conditions historiques nouvelles, surgissent et se regroupent des éléments révolutionnaires, donnant naissance à des groupes nouveaux et indépendants.
La formation du premier noyau en 1942 qui se transforma ensuite en Fraction Française de la Gauche Communiste et la formation du groupe CR en 1944 sont autant de manifestations d'un processus de rassemblement de révolutionnaires en France et expriment la tendance historique du prolétariat de se donner une organisation politique de classe.
Quelle qu'ait été leur faiblesse numérique, leur insuffisance programmatique, leurs erreurs et leurs crises intérieures, ces formations sont le produit d'une situation internationale de reprise des luttes sociales, représentant le caractère de cette situation nouvelle, contiennent des prémices d'évolution et de popularisation révolutionnaire et, par là-même, n'ont rien de commun dans leurs fonctions avec les groupes existant avant la guerre, qui devaient se liquider avec l'éclatement de celle-ci.
Désormais, l'élaboration des programmes de la révolution, base fondamentale du futur parti, la formation et la réélection des cadres pour le futur parti, ne pouvaient se faire qu'à travers ces groupes et dans la confrontation politique publique de ces groupes.
La Fraction Française de la Gauche Communiste représentait, à ce titre, une preuve de garantie politique parce qu'elle représente une continuité politique plus directe. Ses éléments ne venaient pas exclusivement du Trotskisme, parce qu'ils se sont reformés -mais pas longtemps- dans l'organisation anti-prolétarienne du Trotskisme et ont été moins infestés par cette idéologie ; parce qu'ils ont plutôt su rompre individuellement avec les organisations qui participaient à la guerre impérialiste ; ou ils n'ont pas tenté de former, pendant les longues années de guerre, des oppositions stériles qui, involontairement, se sont rendues néanmoins complices politiquement de ces organisations étrangères au prolétariat. La Fraction Française s'est formée sur la base d'une déclaration de principes sans cesse complétée par des documents programmatiques portant sur les problèmes brûlants posés par l'expérience russe et par les luttes du prolétariat international entre les deux guerres, problèmes non résolus ou mal résolus par l'IC. La Fraction Française se rattache, de par sa formation, au corps idéologique de la Gauche Communiste Internationale qui représente incontestablement les positions de classe les plus avancées à la veille de la guerre impérialiste et qui représente historiquement le chaînon qui relie la 3ème à la future 4ème Internationale Communiste, tout comme les bolcheviks ont représenté le lieu et la continuité historique entre la 2ème et la 3ème Internationale.
Mais si notre organisation pouvait avec raison prétendre vouloir jouer le rôle de la Fraction en France et œuvrer dans ce sens par son travail théorique et pratique ; ce rôle de Fraction qui est le canal qui va de l'ancien Parti enlevé par le capitalisme à la construction du nouveau Parti de classe, se faisant sur les bases programmatiques et organisationnelles de la Fraction ; elle a toujours rejeté la caricature grotesque de la notion de fraction basée sur une prétention infantile et consistant à proclamer qu'en dehors de la Fraction aucune possibilité ne subsiste d'existence de groupes à nature prolétarienne et révolutionnaire.
Ces contre-vérités historiques furent déjà dénoncées à l'aube du mouvement ouvrier, par Karl Marx, dans le Manifeste Communiste. Les communistes sont les représentants les plus conséquents, les plus conscients des buts historiques du prolétariat et des moyens de leur réalisation, mais non l'expression unique. De plus, l'histoire a, maintes fois, apporté la preuve que la réalité suit parfois des voies plus complexes que la théorie ne l'annonce.
Théoriquement il reste vrai que le processus le plus directe, le plus économique de la construction de nouveaux Partis, après la trahison des anciens, est là le processus qui se fait par la succession Fraction-Parti. Mais, dans la réalité, des facteurs multiples peuvent contrecarrer ce processus et l'obliger à emprunter un long détour.
Aussi, dans le passage entre les partis de la 3ème Internationale et ceux de la 4ème, seul le prolétariat italien est parvenu, pour des raisons historiques déterminées, à se (muer [?]) le processus direct à travers la succession Fraction-Parti. En Belgique, ce processus est déjà beaucoup moins direct. En France, encore moins.
La gangrène stalinienne et la décomposition trotskiste ont été des facteurs historiques puissants pour contrecarrer le processus de formation de fraction. Aussi, voyons-nous surgir des groupes aux positions politiques plus ou moins achevées, représentant et contenant des éléments de nouveaux partis à construire.
Le marxiste ne pose pas d'ultimatum à l'histoire mais tient compte du déroulement des cours objectifs, participe à ces cours en vue de contribuer à leur détermination dans la direction où se trouvent les intérêts historiques du prolétariat. Toute autre voie mène à la fixation des révolutionnaires en sectes, chapelles et systèmes qui sont tôt ou tard privés de la vie et liquidés par la réalité mouvante.
L'ouvrage de la guerre n'est pas passé sans que son souffle dévastateur ne se fasse sentir jusque dans les rangs de la Gauche Communiste Internationale. L'isolement d'abord, la guerre impérialiste ensuite ont déterminé, au sein de la Gauche Communiste, la formation d'un courant révisionniste dont les positions commencent par la négation des antagonismes inter-impérialistes et, en conséquence, par celle du danger d'une guerre impérialiste généralisée, qui a développé au cours de la guerre des théories sur l'existence sociale du prolétariat, sur une nouvelle ère de prospérité économique dite "de l'économie de guerre", sur la négation de tout travail révolutionnaire et internationaliste au cours de la guerre, sur l'impossibilité de la notion de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile et sur la nécessité de son rejet. Ce courant révisionniste, qui a été une terrible entrave au regroupement et à l'activité de la Gauche Communiste au cours de la guerre, a fini, après la cessation de l'occupation allemande, par préconiser et par s'intégrer dans des comités antifascistes, organisations en apparence au-dessus des classes et inter-partis, en réalité des officines de la bourgeoisie "démocratique".
Ce courant qui quittait le terrain de classe n'avait plus de place dans la Gauche Communiste. Une partie de la Fraction Italienne groupée autour du comité de Marseille et la Fraction Française ont proclamé la rupture politique avec ce courant et ont voté son exclusion organique.
L'attitude à prendre envers ce courant (avec lequel une partie de la GCI se refusait à rompre) et les positions politiques qu'il défendait, l'analyse et l'appréciation des événements de 1943 en Italie dans lesquels certains éléments de la GCI niaient l'intervention du prolétariat, l'appréciation de l' État russe que d'autres éléments continuaient à considérer, après 4 ans de guerre, comme non-impérialiste, comme un État prolétarien dégénéré tout en répétant la défense de cet État, et enfin l'attitude à avoir envers d'autres groupes révolutionnaires surgis au cours de la guerre, comme le RKD et le CR, révélèrent des divergences d'une profondeur telle qu'on ne pouvait plus parler d'une UNITÉ POLITIQUE de la GCI sans se duper soi-même et sans tromper les autres.
Le problème du regroupement de l'avant-garde à l'échelle nationale et internationale ne se posait plus simplement en termes de rapports entre l'assemblée des fractions regroupées dans la GCI et les groupes extérieurs à celle-ci mais passait désormais à l'intérieur même des fractions, dans le regroupement des révolutionnaires et leur rupture avec le courant révisionniste, anti-prolétarien au sein de la GCI.
La Fraction Française de la Gauche Communiste devait reproduire en son sein les luttes de tendances existant dans l'ensemble de la Gauche Communiste. Ces luttes, souvent obscurcies par des questions contingentes, par des choses secondaires, par des polémiques à caractère personnelle, par la calomnie, apparaissent aujourd'hui dans leur fond politique véritable, révèlent leur nature profonde.
Une tendance, celle de Freder-Al, constamment ballottée entre la position révolutionnaire et la position révisionniste, marchant sans cesse en zigzag entre nous et le courant Vercesi, s'est lentement formée au sein de la Fraction Française. À chaque pas en avant que cette tendance faisait vers des positions révolutionnaires de la majorité de la Fraction Française, elle refaisait, le lendemain, DEUX PAS EN ARRIÈRE vers le courant Vercesi. L'opportunisme ne suit pas toujours une ligne droite, ouvertement opportuniste, mais le plus souvent camoufle sa nature réelle, surtout au commencement, sous des phrases de gauche, prenant des attitudes spectaculaires d'intransigeance. Pour apprécier correctement la nature d'un courant politique, pour mettre à jour une tendance opportuniste, il faut se garder de le juger d'après des positions isolées, dans des circonstances isolées, mais le suivre dans sa tendance générale, faire la somme de ses zigzags et établir le sens de sa ligne courbe.
À titre d'exemple typique, nous rappellerons la rage soudaine et inattendue de la tendance Française, préconisant, dans un de ses accès brusque d'intransigeance verbale, l'exclusion sans discussion de Vercesi. Notre Fraction - qui a combattu politiquement et de plus en plus violemment la tendance opportuniste de Vercesi, qui l'a combattu publiquement dès le premier jour (voir Bulletin International année 1943-44, Internationalisme en 1945, les brochures "Notre réponse" de mai 1944 et "Quand l'opportunisme divague" de mai 1945) - répugnait à cette méthode d'exclusion dans l'ombre. La majorité de notre Fraction a toujours proclamé la nécessité d'une réparation avec la tendance Vercesi. Mais, pour que cette réparation ait une valeur, représente un enrichissement idéologique de l'organisation, assure son évolution révolutionnaire, il fallait que cette réparation se fasse en pleine clarté, après une discussion politique publique, après que nous ayons apporté publiquement la démonstration de la nature opportuniste de la tendance Vercesi. C'est à cette condition que les scissions se justifient, sont révolutionnairement fécondes et ne sont pas le produit de réactions passagères (...) rage de nos champions de l'intransigeance verbale qui a duré tout juste deux mois, leur a servi pour leur éviter d'être obligé de combattre ouvertement les positions politiques de l'opportunisme, de même que l'exclusion de Vercesi (...) sans explication publique leur a permis de se regrouper (...) avec Vercesi contre la Fraction.
Tout militant révolutionnaire expérimenté connaît la signification de l'intransigeance verbale. Il suffit d'attendre un peu pour voir apparaître sous la couche verbale d'intransigeance la pratique constante du plus vulgaire opportunisme. L'exemple historique le plus frappant peut-être est donné par la fin (...) de l'anarchisme. L'anarchisme, dans sa lutte violente contre le Marxisme, s'est gargarisé, pendant 75 ans, de phrases ronflantes contre l'étatisme, contre l'autoritarisme, contre la dictature du prolétariat. A la théorie marxiste de l'inévitabilité d'une phase transitoire après la révolution, dans laquelle le prolétariat est obligé de recourir à la violence et à l'exercice du pouvoir politique, les anarchistes apportaient le communisme "libératoire" immédiat et autres fantaisies de ce genre. Mais, après 75 ans de bavardages et de phrases creuses, quand l'anarchisme a trouvé à même, pour la première fois, de traduire dans la pratique, dans son pays (...), l'Espagne, ses élucubrations théoriques, il a non pas instauré un gouvernement révolutionnaire du prolétariat mais a adhéré à un gouvernement capitaliste d'union sacrée et de guerre impérialiste.
Mais là où l'intransigeance opportuniste atteignit son comble, ce fut dans les questions d'appréciation et de rapports à avoir avec d'autres groupes révolutionnaires tels les RKD et les CR. Non pas que les "intransigeants" aient apportés la moindre critique sérieuse des erreurs des RKD et des CR ; ce travail critique fut insuffisant et fut laissé extérieur à la majorité de la Fraction, se contentant de déclamer et réciter verbalement des principes abstraits, appris par cœur et non-assimilés, et réclamant la rupture de tout contact politique et organisationnel avec ces groupes.
L'attachement purement verbal (ce qui est dans leur nature) à la Gauche Communiste leur servait de je-ne-sais quelle ceinture de chasteté contre tout ce qui est extérieur à la Gauche Communiste, considéré en bloc comme un danger mortel de souillure de la pureté virginale de la Gauche Communiste. Au fond, cela permettait d'abriter derrière le talisman de la Gauche Communiste tout révisionnisme, tout opportunisme (...)
L'opportunisme, fidèle à lui-même, préfère toujours l'attachement sentimental (...), mais qui nous semblaient susceptibles de servir de critères de délimitation.
Ces quatre points sont :
Ce sont ces quatre points que notre Fraction a présenté comme critère de délimitation afin de permettre aux groupes existants afin de permettre aux groupes, existant nationalement et internationalement, en accord avec ces points, d'établir, sur cette base politique, des contacts et des discussions de clarification et de confrontation. Cette méthode de clarification et de discussion politiques entre les divers groupes véritablement révolutionnaires comporte, à nos yeux, l'avantage 1) de se délimiter d'abord des groupes antiprolétariens, comme le trotskisme, le POUM et autres courants opportunistes camouflés ; 2) de permettre une discussion politique féconde entre les divers groupes révolutionnaires, discussion qui, seule, peut révéler les possibilités de regroupement ultérieur, sur la base de positions politiques principielles ; 3) d'établir une solidarité entre ces groupes révolutionnaires et des actions communes circonstancielles si elle sont nécessitées par des situations particulières.
Aujourd'hui il est possible à tout militant le fond de l'explosion, de l'indignation de nos intransigeants en parole qui décrivaient alors ces quatre points comme une manifestation de néo-trotskisme.
Aujourd'hui qu'ils ont constitué un bloc sans principe avec des éléments qui défendent la participation dans des comités antifascistes ou que l' État russe n'est pas un État impérialiste, on comprend que l'intransigeance d'hier contre les quatre points n'a été dictée que par la volonté de ne pas se lier les mains par (...) des positions principielles et de laisser aussi la porte ouverte à toutes sortes de combinaisons opportunistes. Le refus de discuter avec les CR et les RKD, l'attitude sectaire à leur égard devait être d'autant plus grande et la scission effectuée avec la Fraction Française - sur des questions de procédure organisationnelle et de questions personnelles pour camoufler le fond politique - devait être d'autant plus hâtive qu'on préparait, dans le silence, en sous-mains, des tractations d'unification avec le courant opportuniste de Vercesi.
Le petit groupe qui vient de se former, pour couvrir son caractère d'amalgame opportuniste, d'un titre politique. Pour cela, il n'a pas craint de recourir à des procédés scandaleux d'usurpation du (...) de notre organisation et de s'intituler également de Fraction Française de la Gauche Communiste. La volonté de créer la confusion entre eux et nous est manifeste. Nous protestons et dénonçons ce procédé (...). Ce premier acte, par lequel se manifeste ce groupe, le caractérise et le (...) pleinement. Il est nécessaire encore pour donner une idée exacte de ce groupe (...) et de qui se (...) cet amalgame.
1. La base politique et numérique de ce groupe est donnée par la minorité de la Fraction Italienne exclue par la Fraction en 1937 à la suite des événements espagnols. Quelle qu'ait pu être l'exagération polémique, nous continuons à penser que la position prise par cette minorité dans la question espagnole, participant dans les milices "antifascistes" et dans la guerre impérialiste d'Espagne, a justifié la séparation avec elle et son exclusion de la Gauche Communiste Internationale. Cette minorité, loin de renoncer à ses positions prises dans le passé, les revendique toujours. Avec raison elle considère la participation du courant Vercesi dans le comité antifasciste de Bruxelles comme la continuation et le triomphe de ses positions et (...) à cette politique. L'admission sans discussion de cette minorité, faisant d'elle l'axe du nouveau groupe, c'est la capitulation devant ses positions, c'est l'annulation de la signification de la rupture faite avec elle en 1937, c'est une condamnation posthume, une critique implacable contre la scission faite dans la Ligue Communiste
Internationaliste qui a donné naissance à la Fraction Belge de la Gauche Communiste. Cette admission honorifique c'est l'annulation pure et simple de toute l'activité des Fractions de 1936 à 1943, la condamnation de la création du Bureau International de la Gauche Communiste et de toute son activité.
2. A cette minorité se joignent deux responsables de l'ancienne Union Communiste avec qui les Fractions de la Gauche Communiste ont rompu toute relation politique dès 1936, considérant avec raison que l'Union Communiste, de par ses positions et notamment sa défense du POUM, se situait en dehors des positions de classe du prolétariat. Dans la question syndicale, l'Union Communiste a toujours combattu la position communiste du droit de fraction dans les syndicats, en faveur de la politique de (...) syndicale qu'elle a toujours pratiquée. Un trait de plus, caractéristique du manque de sérieux et de principes des uns et des autres, s'est manifesté sur la notion de la fraction. Sur ce point d'une (...) l'Union Communiste combattait violemment la Fraction Italienne pendant plus de dix ans. Il a suffi de 15 minutes à Ver. de la FI et à Dar. de l'UC pour tomber complètement d'accord et s'apercevoir la divergence de dix ans n'était qu'un regrettable malentendu. L'opportunisme n'a pas de vertèbres. Il va sans dire que ces représentant de l'Union Communiste rentrent dans l'amalgame en ne renonçant à rien de leur idéologie de banqueroute. L'Union Communiste est morte, vive l'Union Communiste.
3. Deux jeunes camarades qui furent aussi intransigeants dans l'organisation que Fr et Al dans la Fraction Française. C'est probablement au nom de la lutte contre toute action commune entre les CR et la Fraction "bordiguiste" pour mieux combattre l'"opportunisme" des quatre points que ces camarades "intransigeants" s'allient à Union Communiste, à la minorité italienne, à Vercesi et à leurs cousins en intransigeance, Fr et Al. Pour ne pas se laisser mouiller par la pluie, sautons dans le fossé !
4. Pour compléter l'équipe, nos deux étudiants, Fr et Al, dans leur naïveté, se sont pris pour des professeurs de... l'intransigeance. La jeunesse politique de ces camarades peut expliquer bien des choses, mais excuser pas toujours. Au lieu de tourner comme une girouette, tous les trois mois, ils feraient mieux de s'arrêter et de réfléchir. Scission, unification, exclusion, vote, cela doit avoir un sens pour un militant sérieux (...) est admissible de voter dans l'ombre l'exclusion de Vercesi, simplement pour avoir (...) le plaisir de s'unifier à lui deux mois plus tard dans une unité politique plus grande.
Et toute cette équipe est formée sous le haut patronage de Vercesi et par son initiative personnelle.
En résumé et pour récapituler, ce groupe se compose de la minorité italienne exclue par la Fraction Italienne et par Vercesi en 1937, de Fr et Al qui ont voté l'exclusion de Vercesi de la Gauche Communiste en mars 1945, du représentant de l'Union Communiste sœur du POUM, d'anciens poumistes qui condamne le POUM, de camarades PI. de CR dont une résolution en octobre 1943 déclarait la position de Vercesi comme contre-révolutionnaire, de deux camarades de CR en mal d'intransigeance et de Vercesi lui-même.
Les couleurs de ces groupes sont l'arc-en-ciel, c'est également leur fond politique. Aucune homogénéité, aucune ligne politique. Tous les opportunistes, du POUM au Comité antifasciste, y ont élu leur (...). Une seule chose les unit : leur version de la clarté politique, de la définition des principes et des positions révolutionnaires conséquentes, non pas en paroles mais dans l'activité continue.
Aucune déclaration politique n'a servi de base à cet amalgame. L'opportunisme se rassemble dans le vague et dans le flou.
Il se réclame bien, dans les grandes lignes, des "Thèses de Rome" et de la plateforme de la Gauche Italienne de 1926, tout en laissant à chacun l'interprétation libre des textes. Sur toutes les questions brûlantes posées par la période la plus (...) et la plus riche en défaites du prolétariat, les questions du fascisme et de l'antifascisme, celles se rapportant à la contre-révolution en Russie, celle de la tendance réalisée du capitalisme vers le capitalisme d' État. Toutes ces questions, y compris les problèmes post-révolutionnaires se rattachant aux rapports entre l' État, le parti et la classe après la victoire de la révolution, sont laissées intentionnellement dans le vague et à la merci des opinions personnelles. Quelle valeur, quel intérêt politique présente dans ces conditions un tel groupe ? Les "Thèses de Rome" et la plateforme de 1926 sont des feuilles de vigne destinées à couvrir le néant politique, la nudité frileuse de l'opportunisme.
Les hommes des Comités antifascistes se réfèrent aux "Thèses de Rome", tout comme les socialistes de l'union sacrée se référaient au "Manifeste Communiste" de Marx et comme les ministres "communistes" se réclament de Lénine.
Tout particulièrement doit être dénoncée la méthode qui a servi à ce regroupement.
Les communistes, les révolutionnaires n'ont pas à cacher leurs buts ni leurs positions. Ils combattent au grand jour. Les scissions nécessaires avec les opportunistes et, encore plus, les regroupements souhaitables entre révolutionnaires, ils les font toujours après discussions politiques, après confrontation et clarification politique loyale, ouvertement devant le prolétariat. Rien n'est plus étranger aux communistes que ces intrigues diplomatiques, les jeux d'influence personnelle et ce véritable maquignonnage politique qui ont présidé à la formation de ce nouveau groupe par (...) individuel de transfuges de tous les groupes.
Cette entreprise de confusion et d'opportunisme - au moment précis où des groupes se réclamant du marxisme révolutionnaire en France se sont enfin engagés dans la voie de la discussion et de la confrontation politique de leurs positions respectives - doit être publiquement dénoncée, avec la dernière énergie.
Le Fraction Française de la Gauche Communiste s'adresse à tous les groupes et à tous les militants révolutionnaires. Elle les appelle à être vigilants contre la nouvelle édition du trotskisme en France.
Pour la délimitation avec les opportunistes sur la base des quatre points avancés par notre Fraction.
Pour la poursuite de la discussion de clarification commencée, seule méthode et seule garantie d'un regroupement de l'avant-garde sur la base solide des principes et d'un programme de la révolution communiste.
Fraction Française de la Gauche Communiste
01/11/1945
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