Cet été, alors que le gouvernement mettait la pression sur la population pour accélérer la campagne vaccinale, Macron annonçait, avec un ton martial, l’obligation vaccinale pour les personnels hospitaliers et des maisons de retraite, sous peine de licenciement. Des contraintes identiques ont été imposées dans d’autres pays, comme en Grèce ou en Italie. Ces mesures, stigmatisant une partie de la population que la bourgeoisie faisait pourtant applaudir en « héros » un an plus tôt, n’ont pas manqué de faire réagir alors que l’épuisement et la colère sont immenses face aux coupes budgétaires et aux suppressions de lits qui se poursuivent. (1)
Profitant des manifestations anti-vax et anti-pass, les syndicats, CGT et Sud-Santé en tête, ont sauté sur l’occasion pour semer davantage la confusion sur le terrain pourri de la « liberté de choix ». Les syndicats ont ainsi lancé des grèves « massives et illimitées » (c’est-à-dire divisées par établissement, voire par service !) dans un secteur fragilisé et un contexte de relatif déboussolement.
En réalité, les syndicats savaient parfaitement que leurs mots d’ordre louvoyants « contre les modalités d’obligation inscrites dans la loi » (CGT) avaient pour seul effet de semer la division dans les rangs des travailleurs, entre ceux qui sont vaccinés et ceux qui ne le sont pas : « Le secrétaire général de la section cadres de santé à la CGT, Laurent Laporte s’inquiète des conséquences sur le climat de travail dans les cliniques et hôpitaux. “On parle d’un sujet très clivant qui va diviser les travailleurs, même si ça n’est pas 50 % pour et 50 % contre”, craint-il ». (2) Les mobilisations, en plus d’être enfermées dans le seul secteur de la santé, étaient logiquement minoritaires et ont, en effet, générées de nombreuses tensions.
Ces faux choix et « débats », où chaque citoyen est prié de se positionner sur les orientations politiques de la bourgeoisie, sont du pain béni pour les syndicats et leur basse œuvre de sabotage des luttes ouvrières ! De fait, avec leurs discours hypocrites contre l’obligation vaccinale, les syndicats ont poussé une partie de la classe ouvrière à rejoindre des mouvements réactionnaires de colère pour la défense des « libertés démocratiques », terrain où se côtoient tous les individus ulcérés par la politique du gouvernement : des ouvriers isolés et déboussolés aux militants d’extrême droite et autres anti-vax ! Finalement, la classe ouvrière a laissé le terrain social à des protestations pourries. Et les syndicats n’ont cessé de nourrir les « manifestations du samedi » en prenant d’hypocrites distances pour ne pas trop se décrédibiliser en grenouillant ouvertement avec des complotistes souvent liés à des groupuscules d’extrême droite.
Dans les hôpitaux, comme dans tous les secteurs, la lutte est en effet indispensable… mais seulement sur le terrain de la classe ouvrière ! Le prolétariat doit donc se mobiliser face aux conditions de travail qui se dégradent, aux licenciements et suppressions de postes qui touchent tous les secteurs, comme face aux nouveaux désastres annoncés par la poursuite du démantèlement du système de santé. Ce n’est pas isolé, secteur par secteur, entreprise par entreprise, que le prolétariat pourra faire reculer la bourgeoisie et son État. C’est, au contraire, en développant son unité et ses méthodes de lutte : les assemblées souveraines où tous les ouvriers de tous les secteurs, au chômage, à la retraite, peuvent se réunir, prendre en main la direction des luttes et réfléchir à la nature de leur exploitation comme aux perspectives pour le futur.
EG, 2 octobre 2021
1 Voir : « Et pendant la pandémie… l’État détruit toujours les hôpitaux ! [1] » disponible sur le site Internet du CCI.
2 « Passe sanitaire et obligation vaccinale : grève chez les soignants ce lundi » [2], Le Figaro (8 août 2021).
Il y a un an, lors de la première vague de Covid-19, toute la bourgeoisie française, son gouvernement, ses partis, ses médias, appelaient à applaudir aux fenêtres les soignants, « héros de la nation » en « première ligne » exposée à un virus meurtrier. Et de leur promettre, la main sur le cœur, considération, moyens et augmentation.
Cette campagne de fausse solidarité n’avait pour but que de masquer la réelle responsabilité de la catastrophe sanitaire : la fermeture des lits, la réduction des effectifs et des moyens, décennie après décennie, de gouvernements de droite en gouvernements de gauche. Avec quel résultat ? Un système de soin exsangue, incapable de faire face à l’épidémie. Chambres, infirmiers, médecins, gants et blouses, matériel respiratoire, tout manquait en février 2020. La seule solution pour éviter une saturation des hôpitaux avec des milliers de malades mourant chez eux (comme cela fut le cas en Italie au tout début de l’épidémie) a été de tout bloquer, tout arrêter, d’enfermer la population et de demander aux soignants de travailler jusqu’à épuisement. L’explosion de dépressions et de maladies mentales qui suivi est la conséquence d’une telle mesure moyenâgeuse et inhumaine qu’a été le confinement.
Mais alors, ces promesses ? Les leçons ont-elles été tirées ? Les moyens ont-ils afflué vers les hôpitaux ?
D’abords, les soignants ont reçu une médaille. Même pas en chocolat. Et ensuite ? Plus de 5700 lits d’hospitalisation ont été fermés en 2020. La France compte désormais moins de 3000 hôpitaux et cliniques. 25 établissements publics et privés ont donc été fermés l’an dernier ! Non seulement la bourgeoisie française poursuit le démantèlement du système de soin, mais elle profite même de cette sombre période pour l’accélérer !
Le capitalisme est décadent. Système obsolète, il n’a plus rien à offrir à l’humanité, et peu importe quelle fraction de la bourgeoisie est aux affaires pour gérer le pays. De l’extrême-droite à l’extrême-gauche, ils ne peuvent qu’attaquer inlassablement les conditions de vie et de travail pour tenter de maintenir désespérément la compétitivité nationale et les profits. Dans tous les secteurs, les hôpitaux, les écoles, les administrations, les usines, partout, les mots de « réforme », de « restructuration », de « réorganisation » riment avec de nouvelles dégradations des conditions de travail, de nouvelles réductions des effectifs, fermetures, augmentations des cadences… Le traitement infligé au secteur hospitalier n’est que le reflet de l’impasse dans laquelle s’enfonce le capitalisme tout entier, un système d’exploitation à abolir.
Pawel, le 1er octobre 2021.
Il y a 20 ans, en 2001, le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat mettait en exergue un document du Groupe du scénario global, réuni par l’Institut de l’environnement de Stockholm, décrivant trois scénarios possibles pour l’avenir de l’humanité résultant de la crise climatique :
« Le cadre du GSG comprend trois grandes catégories de scénarios pour analyser l’avenir : « Mondes conventionnels », « Barbarisation » et « Grande transition », avec des variantes au sein de chaque catégorie. Tous sont compatibles avec les modèles et les tendances actuels, mais ont des implications très différentes pour la société et l’environnement au XXIe siècle… Dans les scénarios « Mondes conventionnels », la société mondiale se développe progressivement à partir des modèles actuels et des tendances dominantes, le développement étant principalement tiré par des marchés en croissance rapide, les pays en développement convergeant vers le modèle de développement des pays industriels avancés (« développés »). Dans les scénarios de « barbarisation », les tensions environnementales et sociales engendrées par le développement conventionnel ne sont pas résolues, les normes humanitaires s’affaiblissent et le monde devient plus autoritaire ou plus anarchique. Les « Grandes Transitions » explorent des solutions visionnaires au défi de la durabilité, qui décrivent l’ascension de nouvelles valeurs, de nouveaux modes de vie et de nouvelles institutions ». (1)
En 2021, après ou accompagné de vagues de chaleur sans précédent du Canada à la Sibérie, d’inondations en Europe du Nord et en Chine, de sécheresses et de feux de forêt en Californie, de nouveaux signes de fonte des glaces de l’Arctique, la première partie du rapport du GIEC, celle qui se concentre sur l’analyse scientifique des tendances climatiques, a clairement indiqué que la poursuite « conventionnelle » de l’accumulation capitaliste nous conduit vers la « barbarie ». En vue de la conférence sur le climat COP26 qui se tiendra à Glasgow en octobre-novembre, le rapport affirme avec force que, sans une action mondiale drastique et concertée pour réduire les émissions au cours des prochaines décennies, il ne sera pas possible de limiter la hausse des températures à 1,5 degré au-dessus des niveaux préindustriels, seuil considéré comme nécessaire pour éviter les pires conséquences du changement climatique. Et ce n’est pas tout : le rapport fait référence à une série de « frontières planétaires » ou de points de basculement qui pourraient entraîner une accélération incontrôlable du réchauffement planétaire, rendant de grandes parties de la Terre incapables d’accueillir la vie humaine. Selon de nombreux experts cités dans le rapport, quatre de ces limites ont déjà été franchies, notamment au niveau du changement climatique, de la perte de biodiversité et des méthodes agricoles non durables, et plusieurs autres, comme l’acidification des océans, la pollution plastique et l’appauvrissement de la couche d’ozone, menacent d’entraîner des spirales de renforcement mutuel avec les autres facteurs. (2)
Le rapport précise également que ces dangers découlent avant tout de l' « intervention humaine » (qui, en substance, signifie la production et l’extension du capital) et non de processus naturels tels que l’activité solaire ou les éruptions volcaniques, explications qui sont souvent le dernier recours des négationnistes du changement climatique, de plus en plus discrédités.
La partie du rapport traitant des moyens possibles de sortir de la crise n’a pas encore été publiée, mais tous les rapports précédents nous ont appris que, même s’il parle de « transitions » vers un nouveau modèle économique qui cessera de rejeter des gaz à effet de serre à des niveaux totalement insoutenables, le « Groupe d’experts intergouvernemental » n’a d’autre réponse que d’appeler les gouvernements, c’est-à-dire les États capitalistes, à revenir à la raison, à travailler ensemble et à convenir de changements radicaux dans le fonctionnement de leurs économies. En d’autres termes, le mode de production capitaliste, dont l’implacable course au profit est au cœur de la crise, doit devenir ce qu’il ne pourra jamais être : une communauté unifiée où l’activité productive est régulée non pas par les exigences du marché mais par ce dont les êtres humains ont besoin pour vivre.
Cela ne veut pas dire que les institutions capitalistes sont totalement inconscientes des dangers posés par le changement climatique. La prolifération des conférences internationales sur le climat et l’existence même du GIEC en témoignent. Les catastrophes qui en résultent étant de plus en plus fréquentes, il est évident qu’elles auront des coûts énormes : économiques, bien sûr, par la destruction des habitations, de l’agriculture et des infrastructures, mais aussi sociaux : appauvrissement généralisé, nombre croissant de réfugiés fuyant les régions dévastées, etc. Et tous les politiciens et bureaucrates, à l’exception des plus illusoires, comprennent que cela va peser lourdement sur les caisses de l’État, comme l’a clairement montré la pandémie de Covid (qui est également liée à la crise environnementale). Les entreprises capitalistes individuelles réagissent également : pratiquement toutes les entreprises affichent désormais leurs références écologiques et leur engagement en faveur de nouveaux modèles durables. L’industrie automobile en est un bon exemple : conscients que le moteur à combustion interne (et l’industrie pétrolière) est une source majeure d’émissions de gaz à effet de serre, presque tous les grands constructeurs automobiles passeront aux voitures électriques au cours de la prochaine décennie. Mais ils ne peuvent pas cesser de se faire concurrence pour vendre le plus grand nombre possible de leurs « voitures vertes », même si la production de voitures électriques a ses propres conséquences écologiques importantes – notamment en raison de l’extraction des matières premières, comme le lithium, nécessaires à la production des batteries des voitures, qui repose sur des projets miniers massifs et sur le développement des réseaux de transport mondiaux. Il en va de même au niveau des économies nationales. La conférence COP prévoit déjà qu’il sera très difficile de persuader les économies « en développement » comme la Russie, la Chine et l’Inde de réduire leur dépendance aux combustibles fossiles afin de réduire les émissions. Et elles résistent à ces pressions pour des raisons capitalistes parfaitement logiques : parce que cela réduirait considérablement leur avantage concurrentiel dans un monde déjà surchargé de matières premières.
Depuis l’époque du Manifeste Communiste, les marxistes ont insisté sur le fait que le capitalisme est poussé par ses crises de surproduction et la recherche de nouveaux marchés à « conquérir la terre », à devenir un système mondial, et que cette « tendance universalisante » crée la possibilité d’une nouvelle société dans laquelle le besoin humain, le plein développement de l’individu, devient le but de toute activité sociale. Mais en même temps, cette même tendance contient aussi les germes de la dissolution, de l’autodestruction du capital, et donc la nécessité impérieuse d’une transition vers une nouvelle communauté humaine, vers le communisme. (3) Et à l’époque de la Première Guerre mondiale, des marxistes tels que Boukharine et Luxemburg ont montré plus concrètement comment cette menace d’autodestruction se concrétiserait : plus le capitalisme deviendrait global, plus il se consumerait dans une compétition militaire mortelle entre des nations impérialistes déterminées à se tailler de nouvelles sources de matières premières, une main-d’œuvre moins chère et de nouveaux débouchés pour leur production.
Mais si Marx, Engels et d’autres ont pu constater très tôt que le système capitaliste empoisonnait l’air et épuisait le sol, ils n’ont pas pu voir toutes les conséquences écologiques d’un monde dans lequel le capital avait pénétré dans presque toutes les régions dans les quatre directions, subordonnant la Terre entière à son urbanisation galopante et à ses méthodes toxiques de production et de distribution. L’expansion capitaliste, motivée par les contradictions économiques contenues dans la relation entre le capital et le travail salarié, a poussé à l’extrême l’aliénation de l’humanité par rapport à la nature. De même qu’il existe une limite à la capacité du capitalisme à réaliser la plus-value qu’il extrait des travailleurs, la spoliation des ressources naturelles de la Terre par le profit crée un nouvel obstacle à la capacité du capitalisme à nourrir ses esclaves et à perpétuer son règne. Le monde n’est plus assez grand pour le capitalisme. Et loin de faire entendre raison aux États capitalistes et de les faire travailler ensemble pour le bien de la planète, l’épuisement des ressources et les conséquences du changement climatique auront tendance à exacerber encore plus les rivalités militaires dans un monde où chaque État cherche à se sauver face à la catastrophe. L’État capitaliste, qu’il soit ouvertement despotique ou recouvert du vernis de la démocratie, ne peut qu’appliquer les lois du capital qui sont à l’origine des menaces profondes qui pèsent sur l’avenir de l’humanité.
Le capitalisme, si on le laisse perdurer, ne peut que plonger le monde dans une « barbarisation » accélérée. La seule « transition » qui peut empêcher cela est la transition vers le communisme, qui, à son tour, ne peut être le produit d’appels aux gouvernements, de votes pour des partis « verts » ou de protestations de « citoyens concernés ». Cette transition ne peut être prise en main que par la lutte commune et internationale de la classe exploitée, le prolétariat, qui sera le plus souvent la première victime de la crise climatique comme c’est déjà le cas pour la crise économique. La lutte des travailleurs face aux attaques contre leurs conditions de vie contient à elle seule les germes d’un mouvement révolutionnaire généralisé qui demandera des comptes au capitalisme pour toutes les misères qu’il inflige à l’espèce humaine et à la planète qui la fait vivre.
Amos
1 Extrait de la page 140 du rapport 2001 du groupe de travail 3 du GIEC sur l’atténuation.
3 Voir la citation des Grundrisse de Marx dans notre récent article Growth as déclin | Courant Communiste International (internationalism.org) [7]
L’hommage « spontané » des supporters de l’OM au « boss », Bernard Tapie, aura donc été le point d’orgue des surréalistes commémorations de la bourgeoisie à l’un des siens. Tous ont encensé « l’homme aux mille vies » et sa « capacité hors norme à rebondir après chaque défaite ». « Nanard » s’était en effet régulièrement recyclé en homme d’affaire, acteur, pilote de course, chanteur, politicien, présentateur de télévision, patron de presse, dirigeant de club de football, écrivain… Mais derrière ses mille et un masques de carnaval, le « boss » aura conservé sa vie durant le même visage, celui d’une sorte d’escroc opportuniste et sans scrupule, écrasant tout sur son passage. Avant même que son destin ne l’appelle, le jeune Bernard Tapie avait déjà mené une longue carrière de bonimenteur et de spéculateur véreux. Ses prédispositions ne le quitteront jamais.
Comme on ne dit pas du mal des morts (sauf quand ils menacent l’ordre établi), la presse française a donc multiplié les contorsions et les euphémismes pour ne pas prononcer les mots qui fâchent, parlant plutôt de la « part sombre » du personnage ou de son côté « filou ». Mais, après plusieurs décennies de péripéties juridico-politiques, les innombrables magouilles de Tapie ont tout de même refait surfaces : les châteaux de Bokassa en 1981, l’affaire OM-VA en 1995, l’affaire Testut en 1996, celles du Phocéa en 1997, les comptes de l’OM en 1998, l’interminable affaire Tapie-Crédit Lyonnais… pour ne citer que les plus emblématiques.
Il y a cependant un aspect central de la carrière du « boss » que la presse a quasiment passé sous silence (probablement pour ne pas gâcher l’émouvant adieu du « peuple phocéen reconnaissant ») : la spécialité de l’affairiste marseillais, l’appropriation d’entreprises en dépôt de bilan. Car derrière le « redresseur » de boites en difficulté, se cachait bien difficilement le négrier spécialiste du « dégraissage » et de l’exploitation sauvage des ouvriers.
Après quelques années de tambouille et d’investissements de gagne-petit, le premier « gros coup » de Tapie fut la tentative de rachat de l’entreprise de vente par correspondance, Manufrance, en 1980. Les promesses de relance et de « sauvegarde de l’emploi » font rapidement place à la dure réalité : après un plan de restructuration et le démantèlement de la société, Manufrance est liquidé en 1985. La même année, Tapie achète pour une bouchée de pain les 250 boutiques de l’enseigne bio, La Vie Claire. Après la fermeture de la moitié des magasins et le licenciement du personnel qui va avec, « Nanard » revend finalement à bon prix une société au bord de la faillite. En 1981, c’est au tour de Terraillon, fabriquant de pèse-personne, de faire les frais de sa « capacité hors norme à rebondir » : cinq fois moins de salariés plus tard, il revend les usines avec un bénéfice de 33 millions de francs. En 1983, le « boss » rachète Look Cycle pour 1 franc symbolique et lui administre le même traitement de choc : il revend la société pour 260 millions. Rebelote en 1984 avec les piles Wonder : il ferme sans ciller quatre usines et licencie 600 salariés pour empocher 470 millions de francs. Bon appétit, Monsieur Tapie !
Mais c’est en 1990 que « Nanard » espère réaliser « l’affaire de sa vie » avec l’achat du fabriquant de vêtements de sport, Adidas, au bord du gouffre. Il restructure l’entreprise à la sulfateuse et envoie une partie de la production en Asie pour « comprimer les coûts de fabrication ». En clair : les gamins asiatiques, ça coûte beaucoup moins cher !
L'affaire tourne court : Adidas et Tapie s’endettent avec une perte, en 1992, de 500 millions de francs. Surtout, le Parti socialiste au pouvoir a décidé de lancer le « golden boy français » en politique. Pressenti au ministère de la Ville, Tapie ne peut pas s’encombrer d’un tel fardeau. Il revend donc Adidas au Crédit Lyonnais (alors banque publique) dans des conditions plus que troubles : sans avoir investi un seul centime, il revend pour 2 milliards de francs une entreprise en déroute à la banque qui lui avait prêté, sans jamais être remboursée, 1,6 milliards de franc pour son achat. L’opération étant bien entendu réalisée sous l’autorité de François Mitterrand, protecteur de Bernard Tapie et chef de l’État qui contrôlait le Crédit Lyonnais.
En 1987, Mitterrand est en campagne. Il cherche à se faire réélire pour un second septennat. L’heure est à « l’ouverture à la société civile » et l’homme d’affaire médiatique, propriétaire de l’OM, est parfait pour le rôle. D’autant que le PS, discrédité par cinq années d’attaques économiques infligées au prolétariat, cherche à faire gonfler les scores du FN pour, non seulement, affaiblir le parti de droite, mais aussi se présenter en « rempart de la démocratie » face au « péril fasciste ». Dans cette mise en scène électorale, Mitterrand fera jouer à Tapie un de ses plus cyniques numéros.
Côté pile, « Nanard » va jouer les durs face à l’extrême droite pour mieux la crédibiliser, sermonnant les militants du FN à Orange ou affrontant Le Pen-père dans deux shows télévisés dans lesquels le « Menhir » a, une fois n’est pas coutume, asséné une vérité indiscutable à propos de son adversaire, l’accusant de n’être qu’un « matamore, un tartarin, un bluffeur ».
Car, en effet, côté face, Tapie se révèle aussi être une pièce d’importance dans la connivence entretenue entre le PS et le FN. Les témoignages venus de la coulisse sont accablants, en particulier celui d’un proche collaborateur de Le Pen, Lorrain de Saint Affrique. (1) En 1989, il affirme qu’il y a « entre les dirigeants de la fédération départementale des Bouches-du-Rhône du Front et l’entourage de Bernard Tapie des contacts permanents pour examiner ensemble tel ou tel cas, se coordonner, s’épauler. Avec la bénédiction de Le Pen ». À l’occasion de l’élection de Tapie aux législatives de 1993, il affirme également que « Le Pen, en bureau politique, va s’abriter derrière la consigne générale : maintenir partout les candidats qui ont atteint la barre des 12,5 % requise par le code électoral pour être présent au second tour. Tapie est élu [grâce à une triangulaire qui a affaibli le candidat de droite]. Au Front, où Tapie figure parmi les têtes de Turc […], les militants vivent très mal ce maintien et les conditions dans lesquelles Le Pen a pris sa décision. Ils flairent quelque chose. […] On parle d’un accord, d’un volet financier, d’une rencontre sur le Phocéa, le yacht de Tapie ». L’ancien attaché parlementaire de Tapie, Marc Fratani, confirmera également l’existence de telles rencontres sous la protection du « milieu » corso-marseillais, et au moins un rendez-vous entre les deux hommes au domicile de Le Pen pour mettre au point des arrangements électoraux. (2)
Tapie a également servi de pion à Mitterrand pour contrecarrer les prétentions de Michel Rocard, son principal rival au sein du PS. N’appartenant pas au sérail socialiste, n’ayant pas pris la peine de franchir tous les échelons de la nomenklatura, Tapie a tout de même été catapulté ministre. À la mort de son protecteur Mitterrand, la lutte de succession au sein du PS s’engage. Alors que les barons socialistes cherchent à lui faire payer très cher sa réussite de parfait parvenu, il leur coupe l’herbe sous le pied en abdiquant toute forme de prétention politique nationale. L’affaire OM-VA (dans laquelle il est convaincu de corruption lors d’un match de foot truqué) achèvera de couper court à ses ambitions politiques.
Mais celui qui se demandait, à la fin des années 1980, s’il valait mieux être de gauche ou de droite pour conquérir la mairie de Marseille, ne cessera de manger à tous les râteliers : se plaçant sous la protection de Sarkozy en 2007, il a bénéficié d’un arbitrage totalement frauduleux dans l’affaire Adidas, empochant au passage 400 millions d’euros. En 2012, il se tourne à nouveau vers ses « amis socialistes » pour que Claude Bartolone (l’ex-président de l’Assemblée nationale) et François Hollande interviennent en sa faveur dans le rachat du journal La Provence… journal qui eut donc l’insigne honneur de subir en 2020, les ultimes licenciements du « boss ». On ne se refait pas !
EG, 9 octobre 2021
1 Dans l’ombre de Le Pen (1998).
2 « “J’ai accompagné Tapie chez Le Pen”, Marc Fratani raconte la rencontre de 1993 » [10], Le Monde (2 mars 2019).
Jets de projectiles envers des joueurs à Montpellier, bagarres entre supporters et joueurs à Nice, jets de briques sur la pelouse après une décision arbitrale à Ajaccio, siège arraché et jeté sur un enfant de 11 ans à Paris, pelouse envahie par des supporters à Lens, guet-apens tendu à l’encontre de supporters à Montpellier, bagarres entre supporters à Angers… Le retour du public dans les stades de football en ce début de saison de Ligue 1 en France est marqué par une accumulation de heurts.
La violence dans les stades est congénitale au sport moderne. Celle-ci avait d’ailleurs trouvé son paroxysme dans les années 1980 et 1990 dans plusieurs pays d’Europe à travers le hooliganisme, ces hordes d’individus pour qui les rencontres sportives étaient une occasion de se défouler brutalement et semer la terreur dans et autour des stades. Le spectacle d’horreur du Heysel le 29 mai 1985 puis celui d’Hillsborough en 1989 obligèrent les États et les instances sportives, principaux responsables de ces « massacres », (1) à prendre des mesures afin de canaliser ce phénomène de violence aveugle et nihiliste, sans pour autant éradiquer sa racine évidemment. Celle-ci résidant dans la dégradation matérielle et la dépravation morale engendrées par la crise économique du capitalisme et la spirale mortifère dans laquelle celui-ci entraîne la civilisation. (2)
Ainsi, les violences entre supporters sont restées une constante au cours des dernières années avec des moments paroxystiques, comme durant le Mondial 98 et l’Euro 2016 en France ou encore dans les travées du Parc des Princes dans les années 2000 où les « ultras » parisiens ont souvent fait régner la terreur. Le regain de violences de ces dernières semaines n’est donc pas fortuit. C’est la conséquence du pourrissement de la société capitaliste que la pandémie de Covid-19 (et ses dégâts sociaux et psychologiques) n’a fait qu’amplifier drastiquement.
Une société au sein de laquelle des individus toujours plus atomisés, écrasés, broyés, humiliés trouvent dans l’appartenance à ces bandes, et les rixes auxquelles elles s’adonnent, un moyen de se défouler, d’avoir le sentiment « d’exister », « d’être quelqu’un » en crachant leurs pulsions de haine et d’agressivité.
La « condamnation » par les médias de ces individus montre toute l’hypocrisie de la bourgeoisie quand on sait que la presse sportive, les dirigeants, les États et les gouvernements sont les premiers à galvaniser ces hordes d’individus en faisant du sport-spectacle l’arène de la rivalité, de la concurrence, du chauvinisme, du nationalisme, de la victoire à tout prix !
Comme l’exprimait l’écrivain George Orwell : « pratiqué avec sérieux, le sport n’a rien à voir avec le fair-play. Il déborde de jalousie haineuse, de bestialité, du mépris de toute règle, de plaisir sadique et de violence ; en d’autres mots, c’est la guerre, les fusils en moins ».
« Il faut être ferme. Ce sont des gens qui abîment l’image du sport, qui renversent ce que le sport doit être, c’est-à-dire la fraternité entre les citoyens » (Blanquer),
« Moi je suis un supporter de football, je ne veux pas que quelques-uns emmerdent la grande majorité des supporters ». (Darmanin).
Voici un condensé de toute la campagne menée par la classe dominante : répression face à la démocratie en danger ! D’où les sempiternelles propositions de mesures que les responsables politiques ou représentants des institutions sportives ont dégainé par la suite : « Matchs à huis clos », « perte de points pour les clubs », « interdictions de stade ou de déplacements de supporters », « identification et fichage des individus », « renforcement de la vidéo-surveillance », « sanctions pénale », etc.
Elles visent toutes à braquer les projecteurs sur l’insuffisance (réelle) des dispositifs de sécurité mis en place par les clubs et sur la culpabilité des hooligans. Tout cela pour mieux cacher que ce regain de violence, dans les stades comme ailleurs, est le produit de la société capitaliste en pleine agonie !
Surtout, cette campagne permet une nouvelle fois de justifier le renforcement des forces de répression et le durcissement de l’appareil judiciaire dans l’ensemble de la vie sociale. Elle contient également, en creux, l’amalgame implicite entre les hooligans et les black-blocs ayant comme mode d’expression la même violence aveugle et nihiliste.
Ce qui ne peut que contribuer à intimider tous ceux qui voudraient participer à des mobilisations ou des manifestations ouvrières.
Voilà dans le fond, le sens de ce type de campagne : déboussoler, terroriser et prévenir toute expression collective de colère ouvrière.
Vincent, 2 octobre 2021
2 Voir « Les Thèses sur la décomposition », Revue internationale n°107.
Révolution Internationale, section en France du Courant Communiste International, organise une permanence en ligne le samedi 23 octobre 2021 à 14h.
Ces permanences sont des lieux de débat ouverts à tous ceux qui souhaitent rencontrer et discuter avec le CCI. Nous invitons vivement tous nos lecteurs, contacts et sympathisants à venir y débattre afin de poursuivre la réflexion sur les enjeux de la situation et confronter les points de vue. N'hésitez pas à nous faire part des questions que vous souhaiteriez aborder.
Les lecteurs qui souhaitent participer aux permanences en ligne peuvent adresser un message sur notre adresse électronique ([email protected] [16]) ou dans la rubrique “contact [17]” de notre site internet, en signalant quelles questions ils voudraient aborder, afin de nous permettre d’organiser au mieux les débats. Les modalités techniques pour se connecter à la permanence seront communiquées par retour de courriel.
Nous publions ci-dessous un extrait du courrier adressé par notre camarade D au sujet de l’analyse du mouvement des « gilets jaunes » et de notre réponse à son premier courrier [19].
Chers camarades
[…] En relisant la réponse de SJ du 4 avril à ma précédente lettre, je suis tout à fait d’accord avec la réaffirmation du caractère inter-classiste de ce mouvement et de l’impossibilité de son évolution en tant que mouvement vers des positions franches de la classe ouvrière. Néanmoins, comme je suis d’accord avec l’impossibilité d’évolution d’un groupe trotskyste en tant que tel (BPA, LO, lambertistes) vers une transformation en groupe ou parti utile à la classe ouvrière dans une période prérévolutionnaire, je suis également d’accord avec une position “historique” du CCI : c’est-à-dire la possibilité de sécrétion d’un petit groupe issu de ces partis bourgeois qui émergerait sur des positions de classes. [...] Il reste dans la mouvance des gilets jaunes des personnes susceptibles d’évoluer de façon positive et s’il n’est pas question de brosser ces personnes dans le sens du poil, il ne faut pas commettre d’erreurs d’expressions littérales péjoratives qui seraient des freins à la poursuite de cette évolution positive. Je vous encourage à bien faire attention aux mots utilisés si des personnes de cette mouvance surgissaient en se posant des questions intéressantes et à bien différencier le fond (la fermeté sur l’interclassisme) et la forme (un ton positif). Je vous envoie en annexe un article du journal local qui s’intéresse à ceux qui se réclament encore de ce mouvement. Si les illusions démocratiques sont majoritaires, à part un travailleur indépendant les autres intervenants sont des salariés ou à la retraite. Cela indique que c’est cette composante d’ouvriers qui reste fidèle à ce mouvement de contestation. […]
Bon courage, amitiés
D.
Comme nous pouvons le constater, il y a un accord avec le camarade D sur la nature interclassiste de ce mouvement, mais le camarade n’a, semble-t-il, pas été convaincu par nos arguments sur une partie de notre intervention qui n’aurait pas été suffisamment « positive » et pourrait même être un « frein » pour « l’évolution positive » (nous comprenons sur des positions de classes) d’éléments ayant participé à ce mouvement. Encore une fois, il ne nous semble pas avoir fait preuve d’un « ton agressif » ou de condescendance vis-à-vis des éléments de la classe ouvrière prisonniers de ce mouvement, aussi stérile et nocif qu’il ait été pour le développement de la conscience de classe. D’autre part, notre intervention s’adressait non pas à tel ou tel élément participant ou non aux « gilets jaunes » mais à l’ensemble de la classe ouvrière, en la mettant en garde contre le danger que font peser les luttes interclassistes. Si le CCI a été amené à utiliser un certain nombre de termes (tels que « zones périurbaines » ou encore « secteurs les plus pauvres ») pour dessiner les contours de la composante ouvrière participant à ce mouvement, c’était uniquement pour mettre en évidence qu’il s’agissait essentiellement des franges les plus précaires et écrasées du prolétariat, des parties extrêmement vulnérables à l’idéologie bourgeoise et petite-bourgeoise et donc plus enclines à se faire embarquer dans des mobilisations qui ne font pas partie du combat du prolétariat. Comme l’indiquait la Gauche communiste de France dans un article paru dans la revue Internationalisme en 1947, (1) « dans de telles luttes [celles qui renforcent le capitalisme] les révolutionnaires n’ont pas à pousser des “hourra !” ni à se frotter les mains d’aise en clamant “dans le monde entier les ouvriers entrent en lutte”, mais à expliquer sans cesse aux ouvriers le rôle de dupes et de victimes qu’ils jouent réellement. Seules les luttes dont les objectifs sont la défense des intérêts immédiats et historiques des ouvriers présentent un caractère de lutte de classe du prolétariat et peuvent être prises pour mesure de l’intensité de la lutte et seules de telles luttes engendrent les conditions pour la constitution du Parti de classe ».
Si les échanges d’arguments entre le camarade D et le CCI sur cet aspect ne sont, pour le moment, pas parvenus à une pleine clarification, cela ne signifie pas pour autant que le débat soit clôt. Nous invitons donc nos lecteurs à prendre part à cette discussion en apportant leur contribution par courriers.
CCI
1 « Problèmes actuels du mouvement ouvrier : les conditions historiques de la formation du parti », Internationalisme n°19 (1947).
Nous publions, ci-dessous, le courrier d’une lectrice après la visite de Macron à Kigali et la reconnaissance des « fautes » de la France lors du génocide des Tustsis au Rwanda en 1994. Dans son courrier, la camarade dénonce très justement l’hypocrisie et le cynisme de l’impérialisme français et de son représentant, Macron, face à un massacre abominable dans lequel la France a joué un rôle actif et déterminant. Elle revient également sur les racines profondes du massacre : « c’est toujours le même système barbare qui est aux manettes sous différentes étiquettes, selon les périodes, le contexte géopolitique et les enjeux à court et moyen termes ».
Nous invitons nos lecteurs à relire notre article paru en juin 1994 [22] suite à plusieurs massacres abominables perpétrées par la bourgeoisie, et republié récemment dans le cadre de l’anniversaire du génocide des Tutsis au Rwanda [23].
Suite à la republication de l’article paru en juin 1994 sur le « génocide rwandais », je mesure que déjà à l’époque des faits, d’ailleurs que partiellement connus, le CCI avait analysé la situation avec beaucoup de perspicacité alors que l’ensemble des médias bourgeois se contentaient de rester dans la sidération voire pis dans le déni comme si c’était un massacre ethnique en dehors des velléités impérialistes que se livraient notamment la France et les États-unis. L’actualité remet cet épisode sur le devant de la scène avec le déplacement de Macron à Kigali et comme le précise l’introduction à l’article, il s’agit pour Macron de « solder un secret de polichinelle ». En effet de nombreux livres, rapports, témoignages attestent de la réalité de la complicité de la France, il n’est plus possible de nier l’évidence alors il lui faut être le chef d’orchestre de la reconnaissance de la responsabilité de la France. C’est le prix à payer pour assurer le retour économique et stratégique de la France dans ce pays. Et cerise sur le gâteau : ces révélations accablantes sur la participation active de la France à la réalisation de ce génocide permet à Macron de tordre le coup à la gauche mitterrandienne en se posant comme démocrate humaniste…
RWANDA : 27 mai 2021 « La France a un rôle, une histoire et une responsabilité politique au Rwanda », elle est restée « de fait aux côtés d’un régime génocidaire » mais « n’a pas été complice », voilà ce qu’a déclaré le président français au Mémorial de Kigali, vingt-sept ans après le génocide de 1994.
Dans son discours très attendu au Mémorial du génocide de Kigali, où reposent les restes de 250 000 des plus de 800 000 victimes de l’un des drames les plus meurtriers du XXe siècle, le président français, Emmanuel Macron, est venu « reconnaître [les] responsabilités » de la France dans le génocide de 1994 au Rwanda. La France « n’a pas été complice », mais elle a fait « trop longtemps prévaloir le silence sur l’examen de la vérité », a-t-il déclaré, en ajoutant que « seuls ceux qui ont traversé la nuit peuvent peut-être pardonner, nous faire le don de nous pardonner ». Tout ce charabia en langage soutenu pour permettre aux gouvernants Rwandais, d’une part, d’être satisfait d’un tel discours « qui vaut plus que des excuses », et Français, d’autre part, d’apparaître comme l’homme humaniste de la société du XXIe siècle loin de la France-Afrique et des vestiges de la colonisation. Gagnant-Gagnant, en fait.
Qu’on ne se méprenne pas : Macron ne s’est pas déplacé à Kigali dans le but de faire avancer l’Histoire dans ce qui a été le plus grand génocide des dernières décennies. Non, Macron n’a pas rendez-vous avec l’histoire au Rwanda en ce jour de souvenir mais est venu après quatre longues années de rapprochement économique entériner une série d’accords économiques (pas moins de dix hommes et femmes d’affaires l’accompagnent). Ceci dit, il ne pouvait pas se dispenser de quelques reconnaissances de responsabilités, mais il était illusoire de penser qu’il pouvait présenter les excuses de la France. D’ailleurs, à quoi s’apparenteraient de telles excuses ? Reconnaître que la France a formé les troupes Hutu au combat (L’ « opération insecticide ». Pas étonnant que les Hutus appelaient les Tutsis « cancrelats », « cafards », « vermines ») dans la perspective d’imposer leur domination pour finir par leur projet d’extermination. Reconnaître que c’est dans l’ambassade de France que s’est constitué le gouvernement Hutu au lendemain de l’attentat de l’avion du président ? Reconnaître que les ordres étaient donnés depuis Paris via la cellule de l’Élysée uniquement dirigée par Mitterrand et son comité privé. Ordres verbaux donc sans trace… Les courriers entre Mitterrand et son fils Jean-Christophe : Monsieur Afrique de l’époque, ont disparu et n’ont pas pu être examinés par les différentes commissions d’enquête… Reconnaître que l’armée française (exceptés quelques militaires effarés par l’ampleur des massacres et leur « complicité ») a été aux côtés des génocidaires en leur permettant de continuer leur besogne meurtrière avec les armes et machettes achetées et livrées sur le tarmac de l’aéroport de Kigali, le lendemain de l’assassinat du président rwandais… Reconnaître que Mitterrand et Habyarimana entretenaient une relation fraternelle : Mitterrand appréciait le côté cultivé du Président rwandais qui connaissait tous les grands classiques francophones… Comme quoi l’érudition n’est pas une garantie d’humanité ! Cette amitié entre le président français et le président rwandais a facilité la mise en place du système génocidaire en gestation depuis les années 90. À quoi il faut ajouter la rivalité impérialiste qui se jouait entre la France et les États-Unis qui eux avaient fait le choix d’armer les rebelles Tutsi réfugiés au Burundi et en RDC. Après le discours de la Baule en 1990, il est clair que la volonté suprématiste Hutue est lancée et que la France va y contribuer activement. Mitterrand veut faire du Rwanda un laboratoire africain et toute sa clique est à l’ouvrage : Pour n’en citer que deux : Jean-Christophe Mitterrand, son fils, conseiller Afrique était en liaison permanente et occupait une position déterminante à l’EMP (État-Major Particulier) cellule « privée » de l’Élysée en charge du dossier rwandais. Hubert Védrine, secrétaire général de l’Élysée à partir d’octobre 1990 est lui aussi un très proche de Mitterrand et est à la tâche ! Les premières commissions d’enquête n’avaient pas abouti à démontrer leurs responsabilités et pour cause les documents étaient classés secret-défense. Aujourd’hui, une partie est communiquée mais à quoi bon puisqu’on sait pertinemment que l’essentiel des ordres et instructions étaient à l’oral via un système de communication cryptée. Les assassins peuvent continuer à dormir tranquilles…
Sur la connaissance médiatique du déroulement du génocide, comment peut-on encore soutenir qu’on ne savait pas alors que rien n’était dissimulé, voire pis, puisque les consignes des massacres étaient données chaque matin via la radio « Les mille collines » partout dans le pays ? Les tueurs étaient encouragés à la radio et avaient pour tâche quotidienne de couper du matin au soir le plus de Tutsis possible. Le soir, les « vaillants » coupeurs avaient le loisir de s’abreuver jusqu’à plus soif après avoir affûté leur machette de travail pour le lendemain. On apprendra que ce travail a été très « efficace » et aboutira à l’extermination de près d’un million de personnes en cent jours. Je ne sais pas si on peut s’imaginer la mort par machette. Sans tomber dans la description glauque tout le monde comprend bien qu’il ne s’agit pas d’une mort immédiate et que des centaines de milliers de personnes démembrées, éventrées, tailladées ne sont mortes qu’après de longues agonies. Passer le stade de la sidération, c’est l’analyse politique des faits qui peut nous permettre de comprendre comment un tel génocide « artisanal » (j’emploie cet adjectif car pour cette extermination pas de matériel sophistiqué, pas d’arme chimique, non de simples machettes ou marteaux cloutés) a pu se produire ? La question qui m’a longtemps hantée n’est pas celle du rôle de la France dans ce génocide (aucune illusion sur le fait qu’elle ait été à l’origine de cette extermination par sa politique impérialiste sur le terrain depuis des décennies de colonisation et par sa complicité à permettre cette chasse à l’homme.) Non ma perplexité, que je ne considère pas naïve, porte sur cette déshumanisation qu’il a fallu secréter dans la moitié de la population rwandaise pour qu’elle accepte aux heures de bureau d’aller taillader l’autre moitié. Cet ignoble besogne n’a pas pu se décider comme ça un beau matin d’avril 94, non il a fallu de longues années de préparation mentale s’infiltrant dans l’administration, la police et toutes les structures de la société civile pour parvenir à l’ancrer dans la tête des tueurs parce que leur tâche était d’épurer le Rwanda de ces vermines… On rejoint ici la démarche de tous les génocides : déshumaniser l’autre pour rendre possible voire indispensable de l’exterminer… Les textes forts d’Hannah Arendt, notamment son concept de la banalité du mal résonne fort et nous rappelle qu’il faut une préparation à la déshumanisation pour parvenir à ces cruautés massives. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre la responsabilité de la France.
Et l’histoire ne s’arrêtera pas là, car on passe presque sous silence l’exode des rescapés, mais aussi la fuite des tueurs en RDC puis leur retour et l’incroyable phase de réconciliation qui va contraindre les rescapés à cohabiter avec leurs bourreaux souvent même en leur ayant abandonné leur logement. Alors effectivement que Macron présente ou non des excuses, demande au rwandais de faire le don du pardon… relève uniquement du cynisme politique et de la diplomatie.
Cette tragédie nous impose me semble-t-il de bien considérer que le capitalisme ne règne qu’en répandant la barbarie et cette attaque commence par l’anéantissement cérébral. Souvent on reprend ce slogan : Socialisme ou Barbarie. Le génocide rwandais nous en donne une triste illustration. Ce ne sont pas que des concepts mais la perspective à grande échelle si la classe ouvrière n’est pas en mesure de se positionner sur le terrain politique. Le capitalisme, c’est la barbarie.
Pour conclure sur ce déplacement de Macron, si on se place au niveau de la bourgeoisie, le président français a réalisé un bon oral en se positionnant sur le terrain de la reconnaissance des fautes de Mitterrand. C’est bien joué : il fait porter la responsabilité sur la gauche de l’époque (c’est toujours intéressant de trouver un coupable en dehors de son parti) et se positionne dans la modernité d’un monde à construire sur de nouvelles bases de coopération économique. La France et le Rwanda y travaillent depuis plusieurs années et des projets importants (dans le numérique, l’industrie cinématographique, etc.) sont en cours de réalisation : le « laboratoire africain » dont avait rêvé Mitterrand de façon coloniale et sanguinaire est en train de se profiler sous l’aire Macron sous une forme plus policée sur les cadavres du génocide. Qu’on ne s’y trompe pas, c’est toujours le même système barbare qui est aux manettes sous différentes étiquettes, selon les périodes, le contexte géopolitique et les enjeux à court et moyen termes.
Aïcha, 31 mai 2021
Links
[1] https://fr.internationalism.org/content/10549/et-pendant-pandemie-letat-detruit-toujours-hopitaux
[2] https://www.lefigaro.fr/economie/passe-sanitaire-et-obligation-vaccinale-greve-chez-les-soignants-ce-lundi-20210808
[3] https://fr.internationalism.org/en/tag/situations-territoriales/situation-sociale-france
[4] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/coronavirus
[5] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/covid-19
[6] https://fr.wikipedia.org/wiki/Limites_planétaires
[7] https://en.internationalism.org/content/17032/growth-decay
[8] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/giec
[9] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/environnement
[10] https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/03/02/bernard-tapie-aurait-bien-rencontre-le-pen-selon-fratanie_5430607_823448.html
[11] https://fr.internationalism.org/en/tag/situations-territoriales/vie-bourgeoisie-france
[12] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/bernard-tapie
[13] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/mitterrand
[14] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri_134_i.pdf
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[21] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/gilets-jaunes
[22] https://fr.internationalism.org/rinte78/edito.htm
[23] https://fr.internationalism.org/content/10457/genocide-des-tutsis-au-rwanda-bourgeoisie-francaise-solde-hypocritement-sa
[24] https://fr.internationalism.org/en/tag/geographique/afrique
[25] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/36/france