La pandémie mondiale de Covid-19 continue, devant l’incapacité de tous les États à coordonner leurs efforts, d’exercer ses ravages sur tous les continents. Et les principaux événements des deux derniers mois confirment la dynamique mortifère dans laquelle le capitalisme plonge la civilisation.
Sur le plan climatique, l’été 2021, le plus chaud jamais enregistré, a été rythmé par la multiplication et l’accumulation de catastrophes aux quatre coins de la planète : méga-feux en recrudescence dans plusieurs régions du globe, pluies diluviennes en Chine et en Inde, inondations dans le Nord-Ouest de l’Europe, coulées de boue au Japon, ouragans et inondations elles aussi meurtrières, canicules et sécheresses extrêmes aux États-Unis, dôme de chaleur au Canada…
L’ampleur, la fréquence et la simultanéité des effets extrêmes du réchauffement climatique ont atteint ces derniers mois des niveaux inégalés, ravageant littéralement des zones entières, causant la plupart du temps des centaines de morts (y compris dans des pays aussi développés que les États-Unis, l’Allemagne ou la Belgique) et plongeant des millions de personnes dans le chaos et la désolation. Au milieu de ce théâtre cataclysmique, le nouveau rapport du GIEC, publié début août 2021, alertant une nouvelle fois sur l’accélération du dérèglement climatique et l’amplification sans précédent des phénomènes météorologiques extrêmes, tombait comme une évidence.
Si les médias ont largement relayé les conclusions effroyables du GIEC, ils se sont très vite empressés de les atténuer, indiquant que la situation n’était pas désespérée, le prétendu salut de la planète résidant selon ce rapport dans la mise en place d’une « économie verte » et la généralisation de comportements individuels « éco-responsables ». Autant de mensonges ne visant qu’à une seule et même chose : masquer la responsabilité du mode de production capitaliste dans le carnage environnemental et l’incapacité de la bourgeoisie à faire face à la situation tant « les États et les services de secours, sous le poids de décennies de coupes budgétaires, sont de plus en plus désorganisés et défaillants ». (1)
Mais les catastrophes en chaîne de ces dernières semaines ne sont qu’un petit aperçu de ce qui attend l’humanité dans les années et décennies à venir si la spirale infernale dans laquelle le capitalisme en décomposition plonge l’humanité n’est pas stoppée. D’autant plus que d’autres événements, eux aussi facteurs aggravant de ce chaos sans fin, se sont juxtaposés.
Le départ en bande désorganisée de l’armée américaine d’Afghanistan, après 20 ans de présence, et le retour au pouvoir des talibans est une marque supplémentaire de l’incapacité des grandes puissances à garantir la stabilité mondiale, en particulier dans les zones où les tensions et les rivalités entre États font rage. Comme on peut d’ores et déjà le constater, le retour à la tête de l’État afghan d’une fraction aussi réactionnaire et délirante que les talibans, ne fait qu’aggraver le désordre mondial et l’instabilité sur tous les plans. Là encore, les médias aux ordres ont polarisé l’attention sur ce fameux retour au pouvoir des sanguinaires talibans. Pour autant, la cruauté et la terreur que va exercer sur les populations cette clique aux idées moyenâgeuses et obscurantistes rivalise largement avec les crimes dont se sont rendus coupables les pays « démocratiques » et leurs alliés depuis des décennies, en Afghanistan et ailleurs.
À ces deux manifestations majeures du pourrissement sur pied de la société capitaliste, s’ajoute bien évidemment l’aggravation significative de la crise économique, d’autant que la pandémie de Covid-19 a eu dans ce domaine une conséquence majeure : « le fait que les effets de la décomposition, l’accentuation du chacun pour soi et la perte de maîtrise, qui touchaient jusqu’alors essentiellement la superstructure du système capitaliste, tendent aujourd’hui à impacter directement la base économique du système, sa capacité à gérer les secousses économiques dans l’enfoncement dans sa crise historique ». (2) Derrière les annonces mensongères d’une « reprise économique florissante », des millions de personnes sont licenciées, expulsées de leurs logements ou incapables de « finir le mois ». Les jeunes générations de la classe ouvrière sont de plus en plus victimes d’une situation de précarité abominable, beaucoup étant contraints de faire la queue pour obtenir un secours alimentaire. La famine a également explosé en Afrique particulièrement, mais désormais, même aux États-Unis, un nombre record d’Américains ne mangent pas à leur faim…
La barbarie guerrière, le désastre écologique, les épidémies et les multiples calamités économiques et sociales ne sont pas de simples phénomènes détachés les uns des autres. Ils forment, par leur accumulation, leur simultanéité, leur imbrication et leur ampleur, un ensemble significatif de « l’enfoncement dans une impasse complète d’un système qui n’a aucun avenir à proposer à la plus grande partie de la population mondiale, sinon celui d’une barbarie croissante dépassant l’imagination ». (3)
Si la bourgeoisie ne cesse d’exploiter toutes les atrocités et les abominations de cette période, visant ainsi à terroriser et paralyser la classe ouvrière en sapant sa confiance dans un autre avenir, il ne faut cependant pas en conclure que « les carottes sont cuites ». Certes, la classe ouvrière n’a pas fini de dépasser le profond recul de sa conscience qu’elle a subi depuis près de trois décennies. Pour autant, elle demeure objectivement la seule classe révolutionnaire au sein de la société capitaliste. Autrement dit, la seule force sociale capable d’orienter l’humanité sur un autre chemin que celui de l’enfer capitaliste. Durant ces trois décennies, le prolétariat a montré à de nombreuses reprises sa capacité à s’affronter à l’État bourgeois en refusant la dégradation de ses conditions de travail et d’existence. Bien que ces luttes aient connu un développement limité, elles n’en constituent pas moins une expérience précieuse pour le futur. La révolution prolétarienne n’est pas une belle idée qui tombera du ciel par l’opération du Saint-Esprit. Au contraire, c’est un combat concret, long et sinueux à travers lequel la classe ouvrière prend conscience de son potentiel révolutionnaire à travers l’expérience et les leçons de ses défaites.
De fait, les luttes contre les attaques sur les conditions de travail forment le terrain privilégié à travers lequel la classe ouvrière pourra s’organiser avec ses propres méthodes et ainsi développer sa solidarité internationale. Dans le capitalisme agonisant, plus que jamais, l’avenir appartient à la classe ouvrière !
Vincent, 2 septembre 2021
1) « Inondations, sécheresses, incendies… Le capitalisme conduit l’humanité vers un cataclysme planétaire ! » (juillet 2021), disponible sur le site web du CCI.
2) « Rapport sur la pandémie et le développement de la décomposition » (juillet 2021) disponible sur le site web du CCI.
3) « Thèses sur la décomposition », Revue internationale n° 107, (4e trimestre 2001).
Le retrait précipité des forces américaines et occidentales d’Afghanistan est une manifestation éclatante de l’incapacité du capitalisme à offrir autre chose qu’une barbarie croissante. L’été 2021 avait déjà vu une accumulation d’événements interdépendants montrant que la planète entière est déjà dans une grave situation de crise : l’apparition de canicules et d’incendies incontrôlables de la côte ouest des États-Unis à la Sibérie, les inondations, les ravages continus de la pandémie de Covid-19 et la dislocation économique qu’elle a causée. Tout ceci est « une révélation du niveau de putréfaction atteint au cours des trente dernières années ». (1) En tant que marxistes, notre rôle n’est pas simplement de commenter ce chaos croissant mais d’analyser ses racines, qui se trouvent dans la crise historique du capitalisme, et de montrer les perspectives pour la classe ouvrière et l’humanité entière.
Les talibans sont présentés comme les ennemis de la civilisation, un danger pour les droits de l’homme et ceux des femmes, en particulier. Ils sont certes brutaux et animés d’une vision qui renvoie aux pires aspects du Moyen Âge. Cependant, ils ne sont pas une exception à l’époque dans laquelle nous vivons. Ils sont le produit d’un système social réactionnaire : le capitalisme décadent. En particulier, leur essor est une manifestation de la décomposition, stade final de la décadence du capitalisme.
La seconde moitié des années 1970 a vu une escalade de la guerre froide entre les blocs impérialistes américain et russe, les États-Unis installant des missiles de croisière en Europe occidentale et forçant l’URSS à s’engager dans une course aux armements qu’elle pouvait de moins en moins se permettre. Cependant, en 1979, l’un des piliers du bloc occidental au Moyen-Orient, l’Iran, s’est effondré dans le chaos. Toutes les tentatives des fractions les plus responsables de la bourgeoisie iranienne pour imposer l’ordre ont échoué et les éléments les plus arriérés du clergé ont profité de ce chaos pour prendre le pouvoir. Le nouveau régime a rompu avec le bloc occidental mais a également refusé de rejoindre le bloc russe. L’Iran a une longue frontière avec la Russie et avait donc joué un rôle clé dans la stratégie occidentale d’encerclement de l’URSS. Suite à cet effondrement, l’Iran est devenu un électron libre dans la région. Ce nouveau désordre a encouragé l’URSS à envahir l’Afghanistan lorsque l’Occident a tenté de renverser le régime pro-russe qu’elle avait réussi à installer à Kaboul en 1978. En envahissant l’Afghanistan, la Russie espérait pouvoir, à un stade ultérieur, accéder à l’océan Indien.
En Afghanistan, nous avons assisté à une terrible explosion de barbarie militaire. L’URSS a déchaîné toute la puissance de son arsenal sur les moudjahidines (« combattants de la liberté ») et la population en général. De l’autre côté, le bloc américain a armé, financé et entraîné les moudjahidines et les chefs de guerre afghans opposés aux Russes. Parmi eux figuraient de nombreux fondamentalistes islamiques ainsi qu’un afflux croissant de djihadistes venus du monde entier. Les États-Unis et leurs alliés ont enseigné à ces « combattants de la liberté » tous les arts de la terreur et de la guerre. Cette guerre pour la « liberté » a tué entre 500 000 et 2 millions de personnes et a laissé le pays dévasté. Elle a également été le berceau d’une forme plus globale de terrorisme islamique, caractérisée par l’ascension de Ben Laden et d’Al-Qaida.
Dans le même temps, les États-Unis ont poussé l’Irak dans une guerre de huit ans contre l’Iran, au cours de laquelle environ 1,4 million de personnes ont été massacrées. Alors que la Russie s’épuisait en Afghanistan, ce qui a fortement contribué à l’effondrement du bloc russe en 1989, et que l’Iran et l’Irak étaient entraînés dans la spirale de la guerre, la dynamique dans la région a montré que la transformation de l’Iran en un État « voyou » était l’une des premières indications que les contradictions croissantes du capitalisme commençaient à saper la capacité des grandes puissances à imposer leur autorité dans différentes régions de la planète. Derrière cette tendance se cachait quelque chose de plus profond : l’incapacité de la classe dirigeante à imposer sa « solution » à la crise du système (une autre guerre mondiale) à une classe ouvrière mondiale qui avait montré son refus de se sacrifier au nom du capitalisme dans une série de luttes entre 1968 et la fin des années 1980, sans toutefois être capable de proposer une alternative révolutionnaire au capitalisme. En somme, l’impasse entre les deux grandes classes a déterminé l’entrée du capitalisme dans sa phase finale, celle de la décomposition, caractérisée, au niveau impérialiste, par la fin du système des deux blocs et l’accélération du « chacun pour soi » .
Dans les années 1990, après le départ des Russes d’Afghanistan, les seigneurs de guerre victorieux se sont retournés les uns contre les autres, utilisant toutes les armes et les connaissances de la guerre que l’Occident leur avait données pour contrôler les ruines. Les massacres, les destructions et les viols massifs ont détruit le peu de cohésion sociale que la guerre avait laissé.
L’impact social de cette guerre ne s’est pas limité à l’Afghanistan. Le fléau de l’héroïnomanie qui a explosé à partir des années 1980, apportant misère et mort dans le monde entier, est l’une des conséquences directes de la guerre. Pour financer la guerre de l’opposition aux talibans, l’Occident l’a encouragée à cultiver l’opium. L’impitoyable fanatisme religieux des talibans est donc le fruit de décennies de barbarie. Ils ont également été manipulés par le Pakistan, ce pays essayant d’imposer un certain ordre à ses portes.
L’invasion américaine de 2001, lancée sous le prétexte de se débarrasser d’Al-Quida et des talibans, ainsi que l’invasion de l’Irak en 2003, ont été des tentatives de l’impérialisme américain d’imposer son autorité face aux conséquences de son déclin. Ce dernier a tenté d’amener les autres puissances, notamment les Européens, à agir en réponse à l’attaque contre l’un de ses membres. À l’exception du Royaume-Uni, toutes les autres puissances se sont alors montrées réservées face à ce projet. En effet, l’Allemagne s’était déjà engagée dans une nouvelle voie « indépendante » au début des années 1990, en soutenant la sécession de la Croatie qui, à son tour, avait provoqué l’horrible massacre des Balkans. Au cours des deux décennies suivantes, les rivaux de l’Amérique se sont enhardis en voyant les États-Unis s’embourber dans des guerres ingagnables en Afghanistan, en Irak et en Syrie.
La politique de retrait d’Afghanistan est un exemple clair de realpolitik. Les États-Unis doivent, en effet, se libérer de ces guerres coûteuses et débilitantes afin de concentrer leurs ressources sur le renforcement des efforts pour contenir et miner la Chine et la Russie. L’administration Biden s’est montrée non moins cynique que Trump dans la poursuite des ambitions américaines.
En même temps, les conditions du retrait américain ont fait que le message de l’administration Biden « America is Back » (les États-Unis sont de retour), selon lequel l’Amérique restait un allié fiable, a reçu un sérieux coup à sa crédibilité. À long terme, l’administration compte probablement sur la peur de la Chine pour forcer des pays comme le Japon, la Corée du Sud et l’Australie à coopérer avec le « virage à l’Est » des États-Unis, qui vise à contenir la Chine en mer de Chine méridionale et ailleurs dans la région.
Ce serait une erreur d’en conclure que les États-Unis se sont tout simplement retirés du Moyen-Orient et de l’Asie centrale. Biden a clairement indiqué que les États-Unis poursuivront une politique contre les menaces terroristes dans quelque partie du monde que ce soit. Cela signifie qu’ils utiliseront leurs bases militaires dans le monde entier, leur marine et leur aviation pour infliger des destructions aux États de ces régions s’ils mettent en danger les États-Unis. Cette menace est également liée à la situation de plus en plus chaotique en Afrique, où des États en déliquescence comme la Somalie pourraient être rejoints par l’Éthiopie, ravagée par la guerre civile, ses voisins soutenant l’un ou l’autre camp. Cette liste s’allongera à mesure que les groupes terroristes islamiques au Nigeria, au Tchad et ailleurs seront encouragés par la victoire des talibans à intensifier leurs campagnes.
Si le retrait d’Afghanistan est motivé par la nécessité de se concentrer sur le danger posé par la montée de la Chine et le renouveau de la Russie en tant que puissances mondiales, les limites de l’entreprise sont évidentes alors qu’il offre à la Chine et à la Russie un moyen d’entrer en Afghanistan. La Chine a déjà investi massivement dans son projet de nouvelle route de la soie en Afghanistan et les deux États ont entamé des relations diplomatiques avec les talibans. Mais aucun de ces États ne peut s’élever au-dessus d’un désordre mondial de plus en plus contradictoire. La vague d’instabilité qui se propage en Afrique, au Moyen-Orient (l’effondrement de l’économie libanaise étant le plus récent), en Asie centrale et en Extrême-Orient (Myanmar, en particulier) représente un danger pour la Chine et la Russie autant que pour les États-Unis. Ils sont parfaitement conscients que l’Afghanistan n’est pas pourvu d’un véritable État opérationnel et que les talibans ne seront pas en mesure d’en construire un. La menace que représentent les seigneurs de la guerre pour le nouveau gouvernement est bien connue. Certaines parties de l’Alliance du Nord ont déjà déclaré qu’elles n’accepteraient pas le gouvernement, et Daesh, qui a également été impliqué en Afghanistan, considère les talibans comme des apostats parce qu’ils sont prêts à conclure des accords avec l’Occident infidèle. Certaines parties de l’ancienne classe dirigeante afghane peuvent chercher à travailler avec les talibans, et de nombreux gouvernements étrangers ouvrent des canaux à cette fin, mais c’est parce qu’ils sont terrifiés à l’idée que le pays retombe dans les mains des seigneurs de guerre et sombre à nouveau dans le chaos, ce qui se répercuterait dans toute la région.
La victoire des talibans ne peut qu’encourager les terroristes islamiques ouïghours qui sont actifs en Chine, même si les talibans ne les ont pas encore soutenus. L’impérialisme russe connaît le coût amer de la situation inextricable en Afghanistan et voit que la victoire des talibans donnera un nouvel élan aux groupes fondamentalistes en Ouzbékistan, au Turkménistan et au Tadjikistan, États qui forment un tampon entre les deux pays. La Russie va tenter de mettre à profit cette menace pour renforcer son influence militaire sur ces États mais, en même temps, elle a bien conscience, que sans le soutien suffisant d’autres États, même la puissance de la machine de guerre américaine ne pourra pas écraser une telle insurrection.
Les États-Unis n’ont pas réussi à vaincre les talibans et à établir un État stable. Ils se sont retirés en sachant que, s’ils ont dû subir une véritable humiliation, ils ont laissé dans leur sillage une bombe à retardement d’instabilité. La Russie et la Chine vont maintenant chercher à contenir ce chaos mais toute idée que le capitalisme puisse apporter la stabilité et une certaine forme d’avenir à cette région est une pure illusion.
Les États-Unis, la Grande-Bretagne et toutes les autres puissances ont utilisé le croque-mitaine taliban pour cacher la terreur et la destruction qu’ils ont infligées à la population afghane au cours des quarante dernières années. Les moudjahidines soutenus par les États-Unis ont massacré, violé, torturé et pillé autant que les Russes. Comme les talibans, ils ont mené des campagnes de terreur dans les centres urbains contrôlés par les Russes. Cependant, l’Occident a soigneusement caché cette situation. Il en a été de même au cours des vingt dernières années. La terrible brutalité des talibans a été soulignée dans les médias occidentaux, tandis que les nouvelles concernant les décès, les meurtres, les viols et les tortures infligés par le gouvernement « démocratique » et ses partisans ont été cyniquement poussés sous le tapis. D’une certaine manière, le fait que des jeunes et des vieux, des femmes et des hommes aient été déchiquetés par les obus, les bombes et les balles du gouvernement soutenu par les États-Unis et le Royaume-Uni, pays « démocratiques » et respectueux des « droits de l’homme », ne mérite pas d’être mentionné. En fait, même l’étendue de la terreur infligée par les talibans n’a pas été rapportée. On considère que cela ne mérite pas d’être signalé dans les médias, sauf si cela peut contribuer à justifier la guerre.
Les parlements européens se sont fait l’écho des politiciens américains et britanniques en déplorant le terrible sort réservé aux femmes et à d’autres personnes en Afghanistan sous le régime des talibans. Ces mêmes politiciens ont imposé des lois sur l’immigration qui ont conduit des milliers de réfugiés désespérés, dont de nombreux Afghans, à risquer leur vie pour tenter de traverser la Méditerranée ou la Manche. Où sont leurs lamentations pour les milliers de personnes qui se sont noyées en Méditerranée ces dernières années ? Quelle inquiétude manifestent-ils pour ces réfugiés contraints de vivre dans des camps de concentration en Turquie ou en Jordanie (financés par l’UE et la Grande-Bretagne) ou vendus sur les marchés aux esclaves de Libye ? Ces porte-paroles bourgeois qui condamnent les talibans pour leur inhumanité encouragent la construction d’un mur d’acier et de béton autour de l’Europe de l’Est pour arrêter le mouvement des réfugiés. La puanteur de leur hypocrisie est vraiment à vomir !
La perspective de la guerre, de la pandémie, de la crise économique et du changement climatique est en effet effrayante. C’est pourquoi la classe dirigeante en remplit ses médias. Elle veut que le prolétariat soit soumis, qu’il se recroqueville dans la peur de la sinistre réalité de ce système social pourri. Elle veut que nous soyons comme des enfants qui s’accrochent aux basques de la classe dominante et de son État. Les grandes difficultés rencontrées par le prolétariat dans la lutte pour la défense de ses intérêts au cours des trente dernières années permettent à cette peur de s’installer davantage. L’idée que le prolétariat est la seule force capable d’offrir un avenir, une société entièrement nouvelle, peut paraître incongrue à certains. Mais le prolétariat est la classe révolutionnaire et trois décennies de recul ne l’ont pas éradiqué, même si la longueur et la profondeur de ce recul rendent plus difficile pour la classe ouvrière internationale de reprendre confiance dans sa capacité à résister aux attaques croissantes contre ses conditions de vie. Mais ce n’est que par ces luttes que la classe ouvrière peut redévelopper sa force. Comme le disait Rosa Luxemburg, le prolétariat est la seule classe qui développe sa conscience à travers l’expérience des défaites. Il n’y a aucune garantie que le prolétariat sera capable d’assumer sa responsabilité historique d’offrir un avenir au reste de l’humanité. Cela ne se produira certainement pas si le prolétariat et ses minorités révolutionnaires succombent à l’atmosphère écrasante de désespoir et d’impuissance propagée par notre ennemi de classe. Le prolétariat ne peut remplir son rôle révolutionnaire qu’en regardant en face la sombre réalité du capitalisme en décomposition et en refusant d’accepter les attaques contre ses conditions économiques et sociales, en remplaçant l’isolement et l’impuissance par la solidarité, l’organisation et une conscience de classe croissante.
CCI, 22 août 2021
1) « Rapport sur la pandémie et le développement de la décomposition », Revue internationale n° 167.
Depuis plus d’un mois, se multiplient les manifestations, largement montées en épingle par les médias, où s’expriment de manière anarchique et contradictoire les revendications anti-vaccins et celles contre un pass sanitaire jugé « liberticide ». Tout cela dans un front anti-Macron généralisé où se côtoient pêle-mêle des partis politiques allant de l’extrême gauche du capital à l’extrême droite, un melting-pot d’individus ou de familles indignés par telle ou telle déclaration ou décision gouvernementales, des prolétaires isolés, des manifestants se réclamant du mouvement des gilets jaunes. Difficile de retrouver sa boussole dans un tel magma informe.
Ces manifestations ne sont en rien l’expression de lutte du prolétariat. Bien au contraire, s’y exprime un élan primaire de nationalisme, avec la présence de nombreux drapeaux tricolores dans les rangs des protestataires, la confusion extrême, l’aveu d’impuissance, le désarroi, l’irrationalité dominante face à une situation de crise sanitaire et sociale qui touche l’ensemble du monde capitaliste. Cette cristallisation autour de revendications multiformes, agrégeant la méfiance envers la science aux appels à la défense des « libertés individuelles », fait effectivement les choux gras de l’actualité médiatique où les intérêts contradictoires, divergents, parfois farfelus, sont mis en balance avec les mesures gouvernementales présentées mensongèrement comme l’expression de la défense de l’intérêt général et du bien commun face à la pandémie de Covid-19 et l’envolée d’une quatrième vague d’infection. Comme d’habitude, chacun est appelé à se positionner comme « citoyen », à choisir son camp face à tel ou tel problème sanitaire, politique et social, pris isolément, occultant ainsi la responsabilité du système capitaliste comme un tout et son obsolescence.
Même si une minorité de prolétaires, ulcérés par l’attitude et les mensonges du pouvoir, participent à ces manifestations, elles expriment avant tout un sentiment de frustration, de colère impuissante propre aux couches petites-bourgeoises, et l’absence de perspective. Ainsi, les syndicats, ces organes bourgeois d’encadrement des luttes, en particulier ceux qui se présentent comme les plus « radicaux », tels SUD-Santé ou certaines fédérations de la CGT, ont saisi l’occasion pour lancer une série de préavis de grèves dans différentes villes comme Marseille, Lyon, Toulouse, Bastia ou des régions (Hauts-de-France) pour appeler les personnels de santé à se mobiliser contre le vaccin obligatoire et réclamer l’abrogation du pass sanitaire. Même chez les pompiers, où les mêmes mesures contraignantes ont été décrétées, le syndicat autonome « maison » a emboîté le pas. Tout cela au nom de la défense de la « liberté de choix », c’est-à-dire sur le terrain du droit bourgeois qui constitue un véritable poison pour la classe ouvrière et sa perspective révolutionnaire.
Les organisations d’extrême gauche en profitent également pour désorienter davantage la classe ouvrière en alimentant la confusion entre les revendications ouvrières et la défense des « droits des citoyens », en présentant mensongèrement ce mouvement comme « un tremplin pour les luttes ouvrières à venir ». La bourgeoisie et ses différentes officines politiques, particulièrement celles de gauche et d’extrême gauche, savent faire flèche de tout bois pour pourrir la réflexion ouvrière face à la crise, au chaos ambiant, à l’incurie des mois précédents, utilisant à plein la décomposition de tout le système capitaliste, expliquant, avec de faux airs de respectabilité, comment l’État bourgeois devrait organiser la gestion de la crise.
En réalité, l’aggravation de la situation est une nouvelle expression, non seulement de l’incurie de la bourgeoisie, mais surtout de l’impuissance généralisée depuis près de deux ans de tous les États, incapables de mettre en commun les avancées, les compétences et les moyens de lutter contre la pandémie. Nous avons assisté à la concurrence effrénée de tous les laboratoires et à l’utilisation des vaccins comme une arme impérialiste par tous les États, sous le poids de la loi universelle du profit capitaliste.
Comment une partie de la population ne pourrait-elle pas avoir peur d’un scandale sanitaire après bientôt deux ans de mensonges quotidiens des autorités ? C’est de manière totalement éhontée que le gouvernement se pare lui-même des atouts d’une vision rationnelle et scientifique alors qu’il a su à de multiples occasions passer outre les insistances des scientifiques au beau milieu des premières vagues de la pandémie, valoriser médiatiquement les plus opportunistes d’entre eux, justifier l’injustifiable pour l’utilisation des masques, des protections sanitaires au travail, dans les transports, relativisant sa propre incurie dans des comparaisons infectes avec des situations plus catastrophiques. Tous ces mensonges, ces innombrables demi-vérités et justifications foireuses du gouvernement ont évidemment créé un climat de suspicion dans la population.
Mais au-delà des doutes et des préjugés, la pandémie a été l’occasion d’un foisonnement de théories fumeuses et d’affirmations délirantes, non seulement sur les réseaux sociaux où les complotistes sont le plus actifs, mais également de la part des médias et des politiciens eux-mêmes. Alors que des milliards de personnes ont été vaccinées depuis les premiers tests, les rares “cas” d’effets secondaires dramatiques suspectés (et rarement confirmés) sont montés en épingle, par de pseudo-experts, au mépris de toute démarche scientifique, quand ils ne sont simplement pas inventés de toutes pièces.
Le Covid-19 a pourtant tué plus de quatre millions de personnes dans le monde, sans doute plus… pas les vaccins ! Le Covid-19 continue de muter, d’infecter et de tuer, particulièrement dans les parties du monde privées de campagne vaccinale d’envergure. Il continue également d’infecter et de fragiliser une population de plus en plus jeune, non vaccinée, dans les pays centraux. Certains, pourtant, doutent encore de l’efficacité vaccinale, dénoncent un prétendu « manque de recul » face aux « nouvelles techniques » (qui en fait ne sont pas nouvelles). Le doute et le scepticisme sont des vertus scientifiques, pas la méfiance irrationnelle !
Les inquiétudes irrationnelles que l’on retrouve peu ou prou dans les affirmations de tous les opposants aux vaccins ne sont pas une nouveauté ! La réticence superstitieuse face à la recherche scientifique s’exprimait déjà à la fin du XVIIIe siècle alors qu’émergeaient les premières pratiques vaccinales contre la variole. Pasteur lui-même, lorsqu’il découvre le vaccin contre la rage en 1885, a dû faire face à ces discours “antivax”. Il est alors accusé de maltraiter les animaux et de n’inventer des vaccins que pour se remplir les poches ! Près d’un siècle et demi plus tard, en dépit des progrès inouïs de la science et de la médecine, la méfiance demeure dans les secteurs les plus rétrogrades de la classe dominante et les plus arriérés de la population. Aujourd’hui, l’irrationalité complotiste va même jusqu’à imaginer une possible modification génétique par la technique de l’ARN ou une manipulation politique et médicale pour un contrôle de la population par les États via l’inoculation de la 5G lors de la vaccination (sic) !
Si ces différents discours obscurantistes résistent aux démonstrations scientifiques, c’est bien parce qu’ils s’adaptent à chaque époque et à chaque contexte. Mais aujourd’hui, la dynamique du processus de décomposition idéologique de la société capitaliste, le sentiment d’impuissance face à la crise, au chaos à l’œuvre, impactent une population davantage éduquée et ne fait que pourrir toute la capacité de raisonnement logique, scientifique et politique dans un magma de conceptions et visions réactionnaires parfois délirantes.
La bourgeoisie n’est pas étrangère à ce processus : non seulement, on a vu des politiciens, issus de l’extrême droite et même des rangs de la droite traditionnelle, véhiculer des idées totalement délirantes, mais ces errements se sont manifestés jusqu’au plus haut sommet de l’État, Macron et sa clique ayant ouvertement dénigré les scientifiques ou déformé leurs propos pour tenter de justifier leur politique à courte vue, comme lorsque le chef de l’État a affirmé avoir eu raison seul contre les épidémiologistes.
Dans les manifestations, les moins caricaturaux des participants ne remettent pas en cause la vaccination mais sont opposés au pass sanitaire, imposé dans un premier temps aux soignants sous peine de licenciement, et refusent son obligation déguisée pour vaquer aux activités les plus quotidiennes comme aller au supermarché, dans un bar, à un concert ou au cinéma.
Pourtant, ces deux réalités anti-vaccination et anti-pass sanitaire cohabitent avec des frontières très poreuses dans des manifestations communes où prédomine la même logique individualiste de défiance, avec une absence de souci collectif face à la poursuite de la pandémie, à ses ravages encore actuels et ceux à venir. Cela au nom de l’atteinte aux « libertés individuelles », un terrain totalement bourgeois.
Ce slogan pour la défense des libertés démocratiques est le cache-sexe le plus grossier de la défense de l’État bourgeois, le terrain le plus anti-ouvrier qui soit. Le mouvement ouvrier a dénoncé à de multiples reprises ce piège et affirmé que « tant que l’État existe, il n’y aura pas de liberté ; quand régnera la liberté, il n’y aura plus d’État ». (1)
Le gouvernement profite de la situation pour monter les gens les uns contre les autres, attisant les tensions et les rancœurs. En multipliant les campagnes de propagande, en faisant plus ou moins ouvertement passer tous les individus qui doutent et ont peur pour des « complotistes antivax » totalement délirants, la bourgeoisie a poussé une partie des vaccinés à voir dans les opposants aux vaccins des boucs émissaires faciles à l’origine des nouvelles vagues de contamination, dédouanant à moindres frais le capitalisme, l’État et son irresponsabilité qui ont conduit à la situation dramatique d’aujourd’hui. Pour les anti-vaccins, leur mobilisation contre la « dictature » Macron est un gage de responsabilité pour faire vivre et défendre la démocratie, en dénonçant et interpelant les « moutons » serviles subissant les lois « liberticides » d’une vaccination forcée. Ces divisions s’inscrivent dans une logique de confrontation désastreuse où les véritables enjeux pour en finir avec le chaos capitaliste disparaissent sous un fatras de confusions et d’impuissance.
L’exaspération qui s’exprime dans les manifestations et dans la population en général a en effet pris la forme d’un désarroi et du sentiment de subir les diktats d’un gouvernement arrogant qui a multiplié les incohérences face à la pandémie, imposant confinements à répétition, soufflant le chaud et le froid sur une population qui ne voit toujours pas le bout du tunnel, se targuant d’une démarche scientifique à la petite semaine alors que l’incurie bourgeoise était à l’œuvre. Mais cette colère ne peut en aucune façon déboucher sur une prise de conscience du prolétariat de l’effondrement grandissant et de l’impasse irrémédiable du système capitaliste quand cette opposition, ce rejet se cristallisent de manière épidermique, sans recul ni réflexion dans une colère impuissante contre un gouvernement et un président ressentis comme sources de tous les maux et perçus comme des mauvais gestionnaires, incompétents et inefficaces, de ce système.
Face à un tel bourbier social et idéologique que la bourgeoisie alimente et attise quotidiennement, il ne sera pas facile au prolétariat de réagir sur son terrain de classe solidaire pour contrer les véritables attaques frontales à venir, de ses conditions de travail et de vie. Son terrain de classe n’est pas celui de la défense de l’État, de la défense de l’économie nationale et du drapeau tricolore. Son autonomie de classe pour l’affirmation de sa lutte, l’organisation de ses combats, il devra la défendre contre toutes les forces vives de l’État, au pouvoir ou non, indépendamment des mouvements interclassistes où des faux amis, généralement de gauche, qui tenteront de dévoyer sa colère. Le prolétariat a besoin de lucidité et de confiance en ses propres forces pour déjouer tous ces pièges et cela est déjà un enjeu immédiat.
Stopio, 13 août 2021
1) Lénine, L’État et la Révolution (1917).
Près de deux ans après les débuts de la pandémie de Covid-19, la situation en Martinique et en Guadeloupe laisse pantois : taux d’incidence démesurés, services de réanimation sursaturés, morgues littéralement débordées, armée à la rescousse, matériel envoyé en masse par les hôpitaux de la métropole, patients transférés en métropole par avion, quand ils peuvent tenir le temps du voyage… Le tableau relève plus d’une médecine de guerre au fin fond du tiers-monde que d’une gestion digne d’un des pays les plus avancés du monde. Comment expliquer un tel désastre ?
Si, il y a encore 18 mois, la fulgurance de la pandémie pouvait rendre vraisemblable l’argument d’une impréparation des services de santé et celui de mesures d’urgence décidées sur la base d’une connaissance scientifique très lacunaire, aujourd’hui ces arguments, qui ne tenaient déjà pas beaucoup à l’époque, ne tiennent plus du tout la route !
Les scientifiques alertent depuis de nombreux mois sur le danger représenté par le variant Delta et sur le risque contenu dans l’allègement des mesures à l’approche de l’été, décidé de façon à ne pas compromettre la « saison touristique ». Par ailleurs, il est maintenant clairement établi que la vaccination permet de ralentir significativement la circulation du virus, y compris ses variants actuels, et représente le seul rempart efficace dans la durée contre les formes les plus graves de la maladie, et donc contre les hospitalisations, les admissions en réanimation et la recrudescence des décès.
Les Antilles présentent le tableau idéal pour une inévitable catastrophe : à l’heure où les voyages à l’étranger sont compliqués par les mesures de quarantaine et/ou la présentation de tests PCR négatifs, les amateurs de chaleur tropicale avaient plus de facilités pour se rendre aux Antilles sans quitter le territoire français. De fait, la saison estivale s’annonçait aussi florissante que celle des fêtes de fin d’année, avec un bon niveau de réservations, avant que la situation sanitaire puis les mesures de confinement ne viennent briser la dynamique. Alors que face au danger annoncé l’État aurait dû prendre des mesures de restriction pour éviter un afflux touristique en été, au contraire, tout a été fait pour promouvoir ces destinations et soutenir l’industrie du tourisme.
En effet, les Antilles présentent un taux de vaccination très inférieur à celui de la métropole : fin juillet, il était autour de 16 % en Guadeloupe, Martinique et Guyane, contre 60 % en métropole. Une raison de plus pour ne pas rajouter un risque exogène dans des zones où, de toute évidence, le variant Delta n’allait trouver aucun obstacle à sa dissémination catastrophique !
Au contraire, la bourgeoisie a fait la sourde oreille et, une fois la catastrophe constatée, elle a sans le moindre scrupule montré du doigt la population locale, désignée comme seule responsable selon elle, en raison de son manque d’enthousiasme pour la vaccination, de la situation désastreuse dans ces trois régions. Au point de stigmatiser la population locale comme étant hostile à la science, embrigadée dans les croyances en la médecine traditionnelle, etc.
Mais la réalité est bien plus complexe que cela ! Certes, la décomposition du système renforce les tendances irrationnelles et le refuge dans les pratiques ancestrales, d’un temps où, finalement, les choses avaient l’air d’aller mieux. La bourgeoisie est la première à être marquée par cette tendance, elle qui est restée sourde aux alertes des scientifiques. Mais s’arrêter là serait trop simple. Les idées irrationnelles et complotistes se développent et trouvent un écho d’autant plus favorable que le terrain y est propice. Ce terrain, c’est celui de la méfiance généralisée envers la « parole officielle ».
Les Antilles françaises ont été parmi les plus rapides à contester les mesures d’État au début de la pandémie. La méfiance envers les discours de l’État est de nature identique, mais bien plus importante que celle répandue dans la population en métropole. Les Antillais n’ont pas oublié le scandale du chlordécone, par exemple, un puissant pesticide reconnu comme très nocif, interdit dès 1976 aux États-Unis, mais qui a continué à être utilisé dans les Antilles jusqu’en 1993, après son interdiction en métropole.
Comme le résume bien la sociologue Stéphanie Mulot, « des affaires comme celle du chlordécone ont montré que l’État et la justice n’avaient pas été capables de protéger la population ». (1) Vincent Tacita, statisticien, rajoute : « à partir du moment où des pouvoirs publics ont autorisé cela, vous imaginez très bien que toute parole provenant de l’État est maintenant écoutée avec moins de recul ». (2)
A cela s’ajoute bien sûr l’incompréhension face à l’afflux de touristes et de locaux revenant de métropole pour les vacances, alors que tout démontre que, partout dans le monde, chaque fois que les aéroports rouvrent, les taux d’incidence augmentent prodigieusement.
Les décisions venant « de Paris » sont encore moins comprises et acceptées qu’elles ne le sont en métropole, dans des régions où le poids de la colonisation pèse encore dans les esprits, entretenu d’ailleurs essentiellement par les fractions bourgeoises locales qui réclament plus d’autonomie de décision face à l’État central.
Aujourd’hui cette situation catastrophique n’est fondamentalement pas due à une population locale méfiante et arriérée mais à l’incapacité de la bourgeoisie d’apprendre de ses erreurs et d’anticiper. Pour le capitalisme, la prévention coûte cher et ne rapporte rien immédiatement, elle n’a donc aucune place dans ce système. Au lieu de renforcer par avance les moyens humains et matériels devant une envolée épidémique dont on pouvait savoir qu’elle ne s’arrêterait pas miraculeusement d’elle-même du jour au lendemain, l’État a laissé s’enliser les hôpitaux, a laissé les soignants s’épuiser physiquement et moralement, a laissé les morts s’entasser dans les morgues puis, faute de place, dans les familles elles-mêmes… Un an et demi après, les mêmes causes produisent les mêmes effets, rien n’a changé !
La bourgeoisie se permet même de vanter hypocritement sa préoccupation en affichant dans toute la presse, à la télé et à la radio, la « solidarité » des hôpitaux de métropole déjà à genoux, qui envoient des lits de réanimation en urgence pour que leurs confrères, là-bas, subissent moins de pression pour choisir entre qui sauver et qui laisser mourir, faute du matériel suffisant.
Cette attitude répugnante ne peut que confirmer qu’il n’y a aucune confiance à accorder à cette classe de menteurs et d’incapables, empêtrés dans les contradictions de leur système pourrissant, décomposé, qui affectent tout sauf leur cynisme et leur mépris de la vie humaine.
GD, 2 septembre 2021
1) « Comment expliquer le faible taux de vaccination dans les Antilles ? », FranceInfo.fr (5 août 2021).
2) Idem.
Personne ne doute de l’augmentation du nombre de chômeurs dans le monde en raison du ralentissement de l’activité économique et de l’aggravation de la crise, accélérée encore par le Covid-19. Au Mexique, selon les données officielles, le nombre de chômeurs a augmenté de 117 % après la pandémie, ce qui représente 2,43 millions de travailleurs, dont près de 57 000 sont sans emploi depuis plus d’un an. Les travailleurs se sont retrouvés dans une situation plus fragile avec la pandémie en raison du danger quotidien d’être exposés à l’infection dans les transports et sur le lieu de travail, de l’incertitude de perdre leur emploi en raison du risque de faillites et de fermetures d’entreprises, ou encore de l’effort supplémentaire qu’ils doivent désormais fournir avec le télétravail, car il implique de couvrir des dépenses supplémentaires pour effectuer leur travail. Toutefois, dans ces circonstances, la situation actuelle rend plus difficile pour les travailleurs de protester pour de meilleures conditions de vie et de travail. Nous avons vu, par exemple, comment les protestations des travailleurs de la santé se sont multipliées au Mexique dans de nombreux hôpitaux, mais ceux-ci étaient très minoritaires et isolés en raison des exigences de la pandémie elle-même, qui n’a pas laissé aux infirmières, médecins, aides-soignants, etc. suffisamment de repos pour répondre à leurs besoins vitaux (parmi eux, il y a également eu de nombreux décès). (1)
Ainsi, il est important de souligner que la grève à l’UNAM montre clairement que le prolétariat n’est pas vaincu, qu’il fait preuve de combativité et qu’il a conservé intactes ses capacités de lutte pour la défense de ses conditions de vie et de travail, malgré les nombreuses difficultés et obstacles de la situation actuelle. L’UNAM est l’université la plus importante du Mexique, avec environ 40 000 enseignants aux niveaux secondaire, supérieur et post universitaire. La plupart d’entre eux n’ont pas de contrat de base, leurs contrats sont donc renouvelés chaque année, voire chaque semestre.
Depuis la pandémie, les activités de recherche ont été réduites, mais les cours n’ont pas été arrêtés, ils ont été repris en ligne avec les ressources des enseignants eux-mêmes, travaillant depuis leur domicile, et bien sûr avec une augmentation considérable de la charge de travail pour préparer le matériel de cours et l’évaluation en ligne.
En plus de l’augmentation de la charge de travail due au télétravail, des centaines de professeurs ont subi des retards dans le paiement de leur salaire, accumulant un retard pouvant aller jusqu’à un an, si bien qu’en février 2021, des réunions de professeurs ont été organisées pour discuter de leur situation, ce qui a conduit à un arrêt de travail de trois jours à partir du 16 mars à l’appel des professeurs de la Faculté des sciences. La grève s’est étendue à partir du 16 mars à différentes facultés, écoles et collèges des différents niveaux de l’UNAM, et au cours de la grève, elle a pris la forme d’une grève illimitée. Dès le 3 mai, certaines facultés et écoles ont repris partiellement les cours, mais le 5 mai, au moins 22 facultés étaient toujours en grève, et l’usure, la lassitude et le désespoir étaient déjà présents.
La particularité de cette mobilisation est que la plupart des arrêts de travail et des protestations ont été organisés par le biais d’assemblées qui ont été réalisées à travers le réseau « zoom » et rassemblant des étudiants comme des professeurs. Cependant, les rassemblements et les manifestations présentiels qui ont eu lieu en personne ont eu une très faible participation, comme celle du 25 mars qui a rassemblé environ 500 manifestants et celle du 11 mai, dans laquelle il y avait encore moins de participants. Cette grève s’est d’abord organisée en dehors du contrôle syndical, si bien que des organisations d’enseignants ont commencé à se créer, dans lesquelles ils ont défini une liste de revendications qui exprimaient leurs besoins et leur reconnaissance en tant qu’exploités : « Nous réclamons des salaires équitables pour les enseignants, un salaire complet, la restitution d’une partie du salaire non payé depuis des années, contre la précarité de l’emploi, la fixation d’un salaire minimum pour l’enseignement des diverses matières, pour la dignité du travail éducatif ».
Malgré les progrès réalisés dans leur reconnaissance en tant que travailleurs exploités, il faut souligner que ces groupes de professeurs qui ont émergé, sont restés dès le début isolés, chacun enfermé dans sa propre faculté, sans établir de relation et de connexion avec les autres facultés et écoles de l’UNAM elle-même et encore moins avec les autres universités qui présentent des problèmes identiques. Cela a été le cas lors de l’ « Assemblée générale des professeurs et assistants de l’UNAM », qui s’est tenue le 24 mars 2021, lorsqu’un professeur d’une autre université publique (UACM) a fait état de problèmes similaires subis par les travailleurs de l’éducation sur ces campus, son intervention a été interrompue par la personne faisant office de président de séance, avec l’argument : « nous devons nous limiter seulement aux problèmes dans l’UNAM, je comprends que ce problème semble être assez important ailleurs, dans l’IPN, l’UACM, l’UAM, mais maintenant nous devons nous en tenir aux questions relatives à l’UNAM ». Lorsqu’un professeur assistant a protesté contre ce type d’argumentation, la réponse a été une fois de plus confirmée de manière catégorique : « Depuis l’assemblée de samedi dernier, nous sommes d’accord sur ce point […] nous ne pouvons pas rejoindre la lutte à l’IPN […] Quiconque ne veut pas participer à l’assemblée dans ces conditions peut partir maintenant ». Les membres des divers groupements faisant partie de l’appareil de gauche ou gauchistes de la bourgeoisie qui étaient présents (trotskystes, féministes…) et d’autres, présumés “radicaux”, n’ont pas dit un seul mot et ont poursuivi imperturbablement leur participation à l’assemblée.
C’est pourquoi ces protestations n’ont pas réussi à effrayer le rectorat, qui a commencé à verser les arriérés au compte-gouttes, en les calculant de manière erronée et en maintenant les arriérés de paiement, mais aussi en ignorant les autres revendications telles que les augmentations de salaire et la fixation d’un salaire de base, en prétendant que pour ces revendications, le seul interlocuteur reconnu était le syndicat AAPAUNAM, puisqu’il était le signataire de la convention collective. Cela montre que, si les trois syndicats qui sont en train de prendre le relais de la domination sur la grève des travailleurs de l’UNAM ont fait profil bas, c’est parce qu’ils attendaient le moment le plus opportun pour se montrer et justifier leur place dans le sabotage de la grève en le rendant plus efficace dans ce partage des tâches : soit comme porte-parole directs du rectorat (l’AAPAUNAM reprenant là son rôle conciliateur traditionnel), soit comme expressions prétendument “critiques” et “alternatives”.
Profitant de l’isolement dans lequel se déroulent les discussions, l’idéologie du gauchisme (2) en profite également pour détourner les discussions hors du terrain des revendications salariales en défense de leurs conditions de vie et de travail en introduisant le slogan de la « démocratisation de l’université » ou pour demander le renvoi de certaines personnalités en haut de la hiérarchie de la structure universitaire. Même la campagne idéologique déclenchée autour du changement supposé que représente le gouvernement « 4T » (de la 4e transformation) (3) remplit son objectif d’étendre et d’approfondir la confusion. Par exemple, un groupe de professeurs a fait appel à l’État en essayant à plusieurs reprises de présenter leurs revendications lors de l’une des conférences de presse “matinales” quotidiennes du président de la nation jusqu’à ce que, le 30 mars, ils y parviennent, en recevant la réponse que c’était une question qui pouvait seulement être réglée par les autorités de l’UNAM.
Bien sûr, il s’agissait d’une mobilisation qui a surgi sur le terrain de la classe ouvrière. La mobilisation a été déclenchée par des attaques directes sur les salaires des enseignants qui les ont affectés immédiatement, et elle est importante en raison de la situation difficile pour la mobilisation imposée par la pandémie. Elle est également importante parce que c’est l’un des premiers arrêts de travail virtuels, ou peut-être un des premiers au monde. Le mouvement est resté combatif pendant quelques semaines, se concentrant sur les revendications économiques, mais a décliné progressivement en raison de son isolement. Cela a permis aux autorités de répondre par une agression directe à la fin du semestre, en licenciant des dizaines de professeurs des facultés et des écoles.
La grève des enseignants n’a pas surmonté bon nombre des obstacles auxquels sont confrontées les mobilisations prolétariennes et a donc présenté de nombreuses faiblesses, certaines découlant des difficultés particulières de longue date du prolétariat au Mexique et d’autres causées par la situation elle-même résultant de la pandémie.
La grève a été très corporatiste, il n’y a pas eu d’unité des enseignants, il n’y a pas eu assez d’élan de solidarité pour briser les barrières administratives que la bourgeoisie impose parmi les travailleurs et pour assurer l’unité des enseignants indépendamment de leur « catégorie ». Il n’y avait pas non plus de véritable unité entre les enseignants des différents niveaux de collèges, écoles et facultés ; chaque entité avait ses propres assemblées et, par conséquent, les revendications et les actions étaient dispersées et émiettées dans d’innombrables divisions. Le mouvement n’a pas non plus cherché activement à obtenir le soutien d’enseignants d’autres établissements et encore moins d’autres types de travailleurs. S’il n’y a pas de dynamique vers l’unité et l’extension du mouvement, celui-ci s’effondrera inévitablement dans la défaite. En outre, il y avait un manque d’assemblées générales de masse et d’assemblées générales conjointes pour assurer le contrôle du développement du mouvement. Cette division se manifeste également dans les décisions relatives à la levée de la grève. Chaque unité décidant du moment où elle le ferait, accélérant la dissipation de la solidarité naissante et de l’unité prolétarienne obtenue, tout en créant une plus grande division et un ressentiment de certains travailleurs contre d’autres. Par conséquent, l’État et l’ensemble de la bourgeoisie font très attention à ce que les grèves soient menées de manière sectorielle afin d’éviter l’unité des travailleurs, qui est l’une de leurs principales forces et qui est essentielle pour obtenir des victoires significatives.
La prolongation de la grève, qui dans certaines écoles dure maintenant depuis trois mois (dans ces circonstances de manque d’unité et d’extension) a conduit à l’impuissance et à la fatigue, ce qui les a obligés à envisager la reprise du travail également de manière dispersée, dans un climat qui favorise l’entrée de la structure syndicale (qu’elle soit estampillée pro-gouvernementale, « critique » ou « indépendante ») pour consolider le contrôle et la confusion, ouvrant la porte à la répression (avec des licenciements, comme c’est déjà le cas, on l’a vu plus haut) et aux mobilisations de minorités désespérées, consommant la défaite du mouvement.
Deux leçons fondamentales sont à tirer qui proviennent déjà des grandes luttes de 1905 en Russie et dans d’autres pays comme de l’ensemble de l’expérience historique du mouvement ouvrier. (4) Ce sont les suivantes :
1) La lutte doit être menée, organisée et étendue par les travailleurs eux-mêmes, en dehors du contrôle syndical, par le biais d’assemblées générales et de comités élus et révocables à tout moment.
2) La lutte est perdue si elle reste confinée à l’entreprise, au secteur ou à la nation ; au contraire, elle doit s’étendre en brisant toutes les barrières que le capital impose et qui la lient au capital.
La voie de la lutte prolétarienne, qui commence par des revendications économiques visant à l’unité toujours plus étendue de la classe ouvrière, est la seule qui puisse conduire à une transformation politique et sociale radicale, à la communauté humaine mondiale. Nous devons continuer à avancer sur ce chemin long et difficile, mais c’est le seul qui puisse empêcher la destruction de l’humanité dont la pandémie de Covid-19 donne un signal d’alerte avant-coureur.
Revolucion Mundial, organe du CCI au Mexique (5 juin 2021)
1) Pour un bilan des luttes ouvrières dans le monde au plus fort de la pandémie, voir : « Covid-19 : Malgré tous les obstacles, la lutte des classes forge son futur », disponible sur le site web du CCI.
2) Nous faisons référence aux divers groupements staliniens, anarchistes, féministes, etc. qui mettent en avant un projet bourgeois en se présentant comme défenseurs des travailleurs et qui sont largement présents dans l’UNAM. Pour comprendre les méthodes anti-ouvrières de ce type d’organisations, voir la série : « Le legs dissimulé de la gauche du capital », disponible sur le site web du CCI.
3) Programme de réformes de l’État promises par le président Lopez-Obrador
4) Voir « Il y a 100 ans, la révolution de 1905 en Russie (III) - Le surgissement des soviets ouvre une nouvelle période historique », Revue internationale n° 123.
À la rentrée 2020, alors que les manifestations contre les violences policières se multipliaient à travers le monde, à la suite de plusieurs meurtres ignobles de Noirs et de violences racistes, sortait un ouvrage qui a fait l’événement : Flic : Un journaliste a infiltré la police.
Au fil des chapitres, Valentin Gendrot, journaliste d’investigation, y narre son parcours en tant qu’adjoint de sécurité au sein de la Police nationale : sa formation express de trois mois, son passage à la controversée Infirmerie psychiatrique de la Préfecture de Police de Paris, puis son infiltration glaçante dans le commissariat du 19e arrondissement. L’auteur livre un témoignage saisissant sur le quotidien des forces de l’ordre, tant sur leur « mal-être » palpable, conduisant de nombreux policiers à se donner la mort, que sur l’ambiance particulièrement brutale et glauque des commissariats.
Mais ce qui frappe le plus, à chaque étape de son récit, c’est la banalisation écœurante du racisme dans les rangs de la police, tant dans les propos orduriers et quotidiens qu’à travers les actes parfois odieux de policiers dont certains n’hésitent pas à tabasser les « petits bâtards » (c’est-à-dire, les immigrés) ou à couvrir de façon totalement éhontée les actes écœurants de leurs collègues. Les scènes de passage à tabac et d’humiliation sont, en effet, insoutenables. Comment ne pas être sidéré par le niveau effarant de bêtise et de méchanceté de certains flics ?
Si l’auteur adopte toutes sortes de précautions rhétoriques, ne voulant pas généraliser son expérience, il constate tout de même, sur la base de travaux de sociologues et d’enquêtes de journalistes, que « la démarche la plus prudente aboutit à cette constatation : 85 % des morts suite à une situation impliquant des gendarmes et/ou des policiers (sans que l’on puisse dire s’il s’agit de bavures ou non) sont des personnes issues de minorités visibles ».
Les innombrables bavures visant systématiquement des Noirs ou des Maghrébins (issus des classes populaires, le plus souvent), les témoignages poignants de familles des « cités », victimes du comportement de petits voyous des forces de l’ordre ou la brutalité inhumaine à l’égard des migrants, laissaient déjà peu de doute sur les « motivations » de nombreux flics : casser du « petit bâtard » ! En janvier 2020, le livreur Cédric Chouviat trouvait ainsi la mort à Paris étouffé par des policiers. En décembre de la même année, d’autres libéraient leur hargne raciste sur le Martiniquais Michel Zecler. En 2017, le jeune Théo était également sauvagement agressé et mutilé lors d’une interpellation. En 2016, Adama Traoré décédait sous les coups de la police. Et tout cela n’est qu’un panel des affaires les plus médiatisées ! Combien de bavures passées sous silence ? Combien d’agressions transformées en actes de « légitime défense » de policiers « victimes » de prétendus voyous ?
Si l’ouvrage de Valentin Gendrot dénonce de façon saisissante la réalité du racisme dans la police, l’auteur a aussi médiatiquement contribué à alimenter le mensonge d’une « police démocratique », « au service du peuple ». Il s’emploie ainsi à démontrer que la formation des flics est trop courte, trop sommaire, que le contrôle hiérarchique est défaillant, que les moyens matériels et humains sont insuffisants. Il suffirait finalement de mettre un peu d’ordre dans ce capharnaüm.
Son récit et ses analyses passent ainsi totalement à côté de la nature politique de ce « détachement spécial d’hommes en arme ». (1) Pourtant, ce qui caractérise les « bavures » à l’égard des « minorités visibles », c’est qu’elles touchent presque systématiquement des personnes issues de la classe ouvrière ou des couches populaires. La police est toujours très prévenante avec les puissants et leurs intérêts, qu’importe la couleur de leur peau. Car la violence policière est en réalité celle de l’État bourgeois, un État qui impose l’ordre capitaliste derrière le masque hypocrite de la démocratie. S’il y a tant de sympathie pour l’extrême droite dans la police, c’est que la bourgeoisie, face au renforcement des contradictions du capitalisme et de la crise, a besoin d’une force idéologiquement fiable et moralement abrutie, moins susceptible d’être retournée par la classe ouvrière et prête à obéir aux ordres les plus barbares.
Sous un apparent discours « humaniste », que signifie une police mieux formée et mieux équipée ? Rien d’autre que plus de répression ! Car l’État et sa police (comme ses magistrats, ses partis de gauche et ses syndicats) sont le produit des antagonismes de classes inconciliables et l’instrument de l’exploitation des opprimés au service exclusif de la bourgeoisie : « Pour que les antagonistes, les classes aux intérêts économiques opposés, ne se consument pas en une lutte stérile, le besoin s’impose d’un pouvoir qui, placé en apparence au-dessus de la société, doit estomper le conflit, le maintenir dans les limites de l’ “ordre” ; et ce pouvoir, né de la société mais qui se place au-dessus d’elle et lui devient de plus en plus étranger, c’est l’État ». (2) Mais « ce pouvoir, en quoi consiste-t-il principalement ? En des détachements spéciaux d’hommes armés, disposant de prisons, etc. […] L’armée permanente et la police sont les principaux instruments de la force du pouvoir d’État ». (3)
Les violences policières ne sont ni un accident de l’Histoire, ni de simples dérapages d’une minorité de flics racistes. Elle est au contraire l’expression de la nature oppressive de l’État. D’ailleurs, compte tenu de l’exacerbation des violences de toutes sortes générées par la phase de décomposition, la brutalité des forces de répression ne fait que s’accentuer sans que celles-ci soient en mesure de les contrecarrer. Bien au contraire ! La répression de plus en plus féroce de la police ne faisant qu’accentuer la tendance au chaos social.
Mais surtout, la bourgeoisie a toujours été d’une férocité sans limites face à toute remise en cause de son ordre social, comme lorsqu’elle déchaînait, il y a 150 ans, ses armées versaillaises contre la Commune de Paris, sur les pavés-même où elle matraque aujourd’hui la classe ouvrière et les « petits bâtards » ! Le même « ordre démocratique » fut invoqué lors de la répression de la semaine sanglante de Berlin en 1919, comme au moment de la répression implacable des grèves et des émeutes de 1947 en France.
La « police de la République » n’a d’ailleurs jamais hésité à faire appel à la racaille d’extrême droite pour mater des manifestants indociles. L’État a toujours encouragé en sous-main l’action de ces groupes qui forment régulièrement une force d’appoint dans la répression des mouvements sociaux. En 1968, par exemple, la police avait laissé les gros bras du groupe néofasciste Occident semer la terreur dans le Quartier latin. C’est dans ce même quartier, en 2006, que la police, assiégeant la Sorbonne, avait laissé passer une horde d’extrême droite pour malmener les étudiants en lutte contre le « Contrat Première Embauche » (CPE). On peut encore citer, parmi d’innombrables exemples, l’évacuation musclée de la faculté de Montpellier, en mars 2018, par des nervis armés de bâtons que la police avait alors raccompagné aimablement à l’extérieur des bâtiments sans les interpeller, ni même s’inquiéter de leur identité.
Parce que Valentin Gendrot est incapable de comprendre la nature historique de la violence policière, son ouvrage passe totalement sous silence la répression de la classe ouvrière en général, une violence pourtant massive et visible aux yeux de tous. Il contribue ainsi à rabattre l’indignation légitime face aux violences racistes de la police sur le terrain du droit bourgeois et des luttes parcellaires.
EG, 18 août 2021
1) Lénine, L’État et la révolution (1917).
2) Engels, L’origine de la famille, de la propriété et de l’État (1884).
3) Lénine, L’État et la révolution (1917).
Nous publions ici un courrier d’un proche sympathisant qui exprime sa solidarité avec la lutte du CCI contre le parasitisme et l’aventurisme et pour la défense de la Gauche communiste. Le plus important dans cette lettre est qu’elle indique la méthode matérialiste historique pour aborder les questions de comportement, de calomnies et de manœuvres, qui font tant de mal au milieu politique prolétarien.
En tirant les leçons de l’histoire de la lutte du mouvement ouvrier, le CCI a pu systématiser la manière de distinguer la vraie Gauche communiste de la fausse « Gauche communiste », qui est essentiellement composée de groupes parasites et d’éléments aventuriers.
Contrairement à d’autres questions, ce n’est pas quelque chose qui peut être résolu par simple intuition, par le bon sens ou comme une affaire privée, ou en se laissant contaminer naïvement par l’idéologie bourgeoise ambiante. La Gauche communiste doit retrouver, maintenir et développer la continuité historique et l’expérience d’un comportement communiste cohérent, d’une cohérence communiste dans les relations entre militants et avec l’organisation dans son ensemble. Ceci afin de pouvoir s’armer pour combattre les dangers de la duplicité, ainsi que les dangers plus indirects et moins apparents pour l’organisation de l’avant-garde politique de la classe ouvrière. Des dangers qui, avec l’avancée de la décomposition du capitalisme, deviennent de plus en plus aigus.
Un principe de la méthode de pensée au cœur de la méthode marxiste est que, pour citer Marx : « on ne juge pas un individu par ce qu’il pense de lui-même ». (1) « Dans la vie courante, n’importe quel boutiquier sait fort bien faire la distinction entre ce que chacun prétend être et ce qu’il est réellement ; mais notre histoire n’en est pas encore réduite à cette connaissance vulgaire ». (2) C’est-à-dire que nous ne pouvons pas faire confiance à quelqu’un, ou à un groupe, simplement en raison de ce qu’il prétend être (c’est-à-dire qu’il fait partie de la Gauche communiste). Les marxistes ne peuvent pas s’appuyer sur cette méthode, typique de la bourgeoisie, qui attend de la classe ouvrière qu’elle croie mot pour mot les promesses et les apparences qu’on lui présente, en se laissant prendre aux pièges de l’idéalisme.
Pour les marxistes, au contraire, « cette conscience doit être expliquée à partir des contradictions de la vie matérielle, du conflit existant entre les forces sociales de production et les rapports de production ». (3) En d’autres termes, seule une méthode de pensée historique et matérialiste peut dépasser et surmonter ce stade des apparences.
Nous devons donc nous poser les questions suivantes : d’où vient la pratique d’un groupe ou d’un individu ? Quels sont les origines et le développement de ce comportement dans l’histoire ? Sous l’influence de quelle tendance sociale et de quelle classe est-elle historiquement apparue ? Nous devons discuter des leçons et des expériences passées du mouvement ouvrier dans de telles situations, lorsque nous voyons des comportements, tels que des accusations et calomnies de lutter pour le pouvoir, des dénigrements, des ambiguïtés, la recherche d’alliances, des appels à l’aide, le fait de se présenter comme victime d’abus, etc. Si l’on reste à la surface d’une situation où le Groupe International de la Gauche communiste (GIGC) accuse le CCI d’employer des méthodes staliniennes, et où le CCI dénonce une tentative de détruire la Gauche communiste de la part du GIGC (et qu’à ce propos, le GIGC lance aussi une accusation similaire !). Si on la regarde en face, la question ressemble à un casse-tête et à un imbroglio procédurier, à peine digne d’un tribunal bourgeois. Cela ne profite qu’aux parasites, aux aventuriers et à tout le milieu de la fausse « Gauche communiste » qui reproduit l’idéologie bourgeoise des apparences !
Pour empêcher l’imaginaire dévoyé et l’affinitarisme de dominer la réalité, il faut procéder tout autrement :
– en s’appropriant l’expérience de la classe ouvrière dans des situations historiques similaires. Par exemple, dans la lutte de la Première Internationale contre la soi-disant « Alliance internationale de la démocratie socialiste » (Alliance de Bakounine) ou dans la lutte contre les personnalités de Lassalle ou Schweitzer, pour comprendre le comportement de ces groupes et éléments et à quoi ils correspondent.
– Procéder à une enquête approfondie pour distinguer la réalité historique des événements du passé et rétablir la vérité des faits dans la Gauche communiste, sur la base des leçons que chaque organisation révolutionnaire du milieu peut en tirer. Le fait que toute la Gauche communiste se batte pour cela est la force qui empêche la vérité des faits de se perdre comme Trotsky disparaissant de la révolution prolétarienne dans l’historiographie stalinienne.
– Analyser la pratique historique de ceux qui se réclament de la Gauche communiste, sa réputation et ses origines, en ne regardant pas chaque petite dispute ou désaccord de manière immédiatiste, où les textes produits sont analysés dans l’abstrait, ou à travers l’utilisation de témoignages dans lesquels le seul objectif serait finalement de désigner un coupable pour le moindre litige.
La plus grande difficulté pour démasquer le parasitisme est que certaines de ses actions les plus puissantes sont :
– Attaquer et accuser dans l’esprit de sa propre logique. Par exemple, lorsque l’Alliance de Bakounine a échoué dans sa lutte pour le pouvoir au sein de la Première Internationale, elle a projeté sa propre logique sur une Internationale supposée autoritaire et dictatoriale. Ainsi, les parasites du GIGC disent aussi, bien qu’ils aient rejeté la théorie du parasitisme comme un supposé « poison pour la Gauche communiste » que « le CCI lance maintenant une véritable attaque parasitaire (pour utiliser ses propres mots) sur ces forces, en particulier sur la Fraction communiste de la côte du Golfe, en essayant de les convaincre de discuter du parasitisme en priorité ». De plus, le CCI aurait un soi-disant allié « satellite du parasitisme, Internationalist Voice ». Et, pour couronner le tout, « si la notion de parasitisme avait une quelconque valeur politique, alors le CCI du 21e siècle, et particulièrement d’aujourd’hui, en serait l’expression et l’incarnation la plus dangereuse ». (4) Bref, pour le GIGC, la notion de parasitisme n’a aucune valeur politique et n’est qu’un poison pour la Gauche communiste, mais en même temps le CCI est présenté comme le parasite le plus dangereux.
– Le camouflage constant dans l’ambiguïté, la confusion, où tous les acteurs semblent tourner le même film.
– Le réveil des fantômes du passé : exploiter misérablement les traumatismes de la contre-révolution stalinienne de manière sentimentale.
L’histoire du GIGC, tout comme celle de Nuevo Curso et de l’aventurier Gaizka, est rangée dans un endroit que « personne n’a besoin de connaître » et qui « n’est pas trop important », elle n’a pas besoin d’être clarifiée ou débattue. Nous devrions faire aveuglément confiance à ce qu’ils disent. Le cas du blog Nuevo Curso, qui prend la forme d’un journal bourgeois, est particulièrement illustratif : il a connu tant de changements d’image que sans le suivi de son évolution par le CCI, sa véritable histoire trouble semblerait inaccessible (nous ne parlons pas ici de l’histoire créée après coup). Que dire de l’aventurier Gaizka, qui est revenu à une réunion publique du CCI à Madrid comme si ses relations et son comportement aventuristes n’avaient pas été découverts dans le passé par le CCI. Gaizka connaît vraiment son passé, il ne l’a pas oublié, et il n’a aucun intérêt à l’exposer : il ne peut pas le nettoyer, car les mêmes méthodes qu’il a toujours utilisée lui servent encore dans le présent.
Le GIGC fuit à tout prix les « divergences fondamentales » qui l’ont fait s’ériger en fausse fraction (nous ne parlons pas ici non plus des « divergences » dont il se serait rendu compte après coup).
Conformément à ce qui a été dit plus haut sur la méthode historique, nous devons nous armer de la nécessité de principes éthiques et des principes d’organisation prolétariens, qui vont au-delà des principes politiques abstraits qui peuvent facilement devenir de simples apparences. Nous devons trouver cette éthique dans l’histoire de notre classe et nous l’approprier afin de lutter contre l’ambiguïté et la duplicité. Nous devons lutter contre la superficialité des évidences, mais partir du fait indéniable que les nouveaux éléments qui s’approchent des positions de la Gauche communiste ne distinguent pas très bien les divergences de fond entre différents groupes et peuvent percevoir la même odeur de pourriture de la politique bourgeoise (ce qui s’est produit lors de la démoralisation des membres du Nucleo Comunista Internacional en 2005, par exemple). La fonction de la fausse « Gauche communiste » pour le capitalisme est qu’ici aussi, il n’y a pas de distinction claire d’un point de vue de la morale prolétarienne entre le bon, le mauvais et le déloyal.
En ce qui concerne l’éthique prolétarienne, nous avons également une série de faits qui, dans l’ensemble de son histoire, caractérisent le GIGC comme un groupe totalement étranger à la classe ouvrière. Certains de ces comportements, qui sont des faits :
Lorsqu’ils étaient une « organisation dans l’organisation » :
– le refus de payer les cotisations ;
– le refus de défendre leur comportement lorsqu’il était critiqué ;
– la tenue de réunions secrètes.
Avant et après leur exclusion, ils se comportaient comme des mouchards :
– à l’intérieur, ils faisaient circuler des rumeurs selon lesquelles un camarade était un agent infiltré de la police.
Après leur exclusion, ils ont indirectement laissé entendre qu’il y avait une taupe au sein du CCI, car des informations internes au CCI leur sont parvenues comme par magie (ils n’ont jamais dit comment), qu’ils ont rendues publiques, y compris des relations familiales entre militants et les véritables initiales de certains militants :
– ils ont rendu publique la date d’une conférence du CCI au Mexique ;
– ils ont fait circuler de fausses rumeurs ou des informations non pertinentes telles que « le CCI loue une chambre de luxe » qui ne peut avoir pour but que d’attaquer le CCI en disant « regardez, le CCI est riche et dilapide l’argent des militants » ;
– ils ont volé des documents ;
– ils ont parlé de Marc Chirik comme s’il était un gourou ou un roi avec des « héritiers » ;
– ils ont proclamé qu’un individu particulier dirigeait en sous-main le CCI ;
– ils ont dit que la tradition de la Gauche communiste de rechercher la vérité des faits ne fait que « répandre la méfiance » ;
– ils ont eu une attitude de chercher à fourguer en douce leur camelote et de recourir à l’intimidation : pendant un temps, ils se sont obstinés à envoyer leur bulletin malgré les protestations, tant à des militants du CCI qu’aux contacts dont ils avaient volé l’adresse. À quoi cela leur servait-il ? Entre autres, à faire fuir les contacts loin de cette atmosphère putride et intimidante.
– ils ont inventé des mensonges ridicules, par exemple, celui que le CCI « cherche à cacher ses problèmes internes ». Alors qu’il est clair que c’est la seule organisation qui tire actuellement ouvertement les leçons de ces problèmes.
La solution aux graves problèmes auxquels est confrontée la Gauche communiste, aggravés par le manque de clarté face au parasitisme et à l’aventurisme, ne peut être de cacher le linge sale sous le lit, de creuser une tombe pour le passé, mais de comprendre pourquoi la saleté s’était introduite et d’aérer les lieux par un débat sur les principes éthiques prolétariens, de nettoyer la vérité pour la débarrasser de la boue qui la recouvre. Non pas en oubliant, mais en développant des leçons claires pour la lutte. Les falsifications et l’ambiguïté sur l’histoire commencent par une première étape consistant à cacher le linge sale comme s’il s’agissait d’une chose dont on doit avoir honte (l’autre côté de la logique de la honte serait de présenter les erreurs comme si elles étaient une gêne… et ainsi entrer dans le cercle vicieux de sentiments étrangers à l’éthique prolétarienne : la honte, l’envie et la vengeance).
Cette attitude opportuniste a été démontrée par la TCI, (5) une organisation de la vraie Gauche communiste, qui risque d’entraîner progressivement la Gauche communiste sur un terrain où il est difficile de distinguer la confusion et les erreurs réelles des actes délibérés de confusionnisme dans lesquels prolifèrent des éléments et des groupes aux intérêts étrangers à la classe ouvrière. Par exemple, si la TCI ne lutte pas clairement pour la vérité des faits, des éléments étrangers à la classe peuvent s’avancer sur un terrain peu clair et où il ne serait pas nécessaire de clarifier de telles choses.
Par cette lettre, je veux exprimer ma solidarité avec le combat du CCI et sa lutte pour la vérité des faits, la clarté de la tradition de la Gauche communiste et l’éthique prolétarienne. Je le fais en réponse aux deux derniers textes que vous m’avez envoyés pour discussion.
Fraternellement,
Teivos, 10 avril 2021
1) Marx, Préface à Une Contribution à la critique de l’économie politique.
2) Marx, L’Idéologie allemande.
3) Marx, Préface à Une Contribution à la critique de l’économie politique.
4) « Bilan et perspectives du 23e Congrès du CCI : introduire le poison de la théorie opportuniste et destructrice du parasitisme parmi les nouvelles forces révolutionnaires » (texte du GIGC de juillet 2019).
5) « La vérité est révolutionnaire – Pour une histoire factuelle de la Gauche communiste » (Correspondance avec la TCI).
Nous publions ci-dessous de larges extraits d’un courrier adressé par un de nos lecteurs ainsi que notre réponse.
Chers Camarades,
[…] Je voudrais aborder un point de l’intervention du camarade F. quand il répondait à P. […]. Il s’agit de la perte de contrôle de la bourgeoisie analysée en tant que telle suite à la montée du populisme (si j’ai bien compris).
Même si je suis d’accord avec le fait que ce soit « l’exacerbation des autres phénomènes caractérisant la décomposition, tels le terrorisme, le chacun pour soi, [qui] attise les flammes et stimule l’extension populiste à tous les aspects de la société capitaliste ». (extrait du Rapport sur l’impact de la décomposition sur la vie politique de la bourgeoisie de 2019), et qui entraînerait cette perte de contrôle, peut-on malgré tout, parler de perte de contrôle politique en tant que telle, sachant que :
– le contrôle politique englobe, je crois, tous les aspects de la vie politique dont le contrôle de la bourgeoisie sur le prolétariat
– or dans le contexte actuel que nous connaissons, le prolétariat n’exerce pour l’instant pas de rapport de force significatif sur la bourgeoisie, ce qui laisse donc supposer un contrôle conséquent de celle-ci sur son ennemi de classe.
S’il y a bien un contrôle que la bourgeoisie tient absolument à ne pas perdre, c’est bien celui sur son ennemi de classe juré qu’est le prolétariat. Et ceci, je crois, sera à n’importe quel prix et le sera de plus en plus, au fur et à mesure de l’aggravation de la décomposition et aux dépens de tout le reste dont elle a certainement (je suis d’accord) déjà perdu le contrôle.
D’ailleurs je crois que le contrôle sur le prolétariat n’est pas évoqué dans le texte cité plus haut.
Et je complète mon intervention et évoquant les deux extraits ci-dessous du « Rapport sur la pandémie Covid-19 et la période de décomposition capitaliste » : « l’ineptie de la réponse de la classe dominante à la crise sanitaire a révélé la tendance croissante à la perte de contrôle politique de la bourgeoisie et de son État sur la société au sein de chaque nation » […] « Le confinement de masse décrété par les États impérialistes s’accompagne certes aujourd’hui de la présence accrue de la militarisation dans la vie quotidienne et de son utilisation pour lancer des exhortations guerrières. Mais l’immobilisation forcée de la population est motivée dans une large mesure par la crainte ressentie par l’État face à la menace de désordre social à une époque où la classe ouvrière, bien que tranquille, reste invaincue ».
Il me semble que le premier passage de ce deuxième texte (qui je crois, évoque lui aussi la perte de contrôle de la bourgeoisie comme dans le passage du premier texte cité plus haut), soit contradictoire avec ce deuxième passage qui montre que malgré « la crainte ressentie par l’État », celui-ci contrôle encore le prolétariat par « l’immobilisation forcée de la population » (entre autres).
Ce qui en conclusion, me fait de nouveau revenir sur le fait que (oui je suis d’accord), la bourgeoisie perd le contrôle politique sauf celui sur le prolétariat qui est encore une fois je crois, aussi un des aspects de la vie politique. […].
L
La question que soulève le courrier du camarade pose le problème suivant : il y aurait une contradiction dans notre démarche entre le fait d’affirmer d’un côté qu’il existe une « tendance à la perte de contrôle sur la société » et de l’autre dire que « le confinement de masse décrété par les États impérialistes s’accompagne certes aujourd’hui de la présence accrue de la militarisation dans la vie quotidienne et de son utilisation pour lancer des exhortations guerrières. Mais l’immobilisation forcée de la population est motivée dans une large mesure par la crainte ressentie par l’État face à la menace de désordre social à une époque où la classe ouvrière, bien que tranquille, reste invaincue ». En fin de compte, pour le camarade, « la bourgeoisie perd le contrôle politique sauf celui sur le prolétariat qui est encore une fois je crois, aussi un des aspects de la vie politique ».
En premier lieu, il convient de souligner que nous parlons d’une tendance croissante et non d’une perte absolue de contrôle de la part de la bourgeoisie sur la société. Cette tendance s’est, de notre point de vue, accentuée avec l’accélération des effets du poids de la décomposition depuis les débuts de la pandémie. Toute cette analyse, le camarade la partage. Le fond du problème serait que cette tendance à la perte de contrôle est certes observable, « sauf sur le prolétariat ». Bien que cela puisse paraître paradoxal, nous partageons en réalité pleinement cette idée qui, de notre point de vue, n’est pas en contradiction avec le fait d’affirmer que le processus affecte l’ensemble de la société.
En effet, notre démarche part de la caractérisation du prolétariat comme étant la seule classe, au sein de la société capitaliste, étant à la fois exploitée et révolutionnaire. Dans le rapport capital/travail, le prolétariat est non seulement dépossédé et séparé des moyens de production, mais il est aussi de ce fait totalement étranger lui-même au travail et à ce qu’il produit. Il doit affirmer son existence propre comme classe révolutionnaire par sa conscience politique et sa capacité d’organisation. Deux exigences du combat prolétarien qui s’opposent radicalement au mode de production capitaliste, c’est-à-dire à la fois aux rapports de production et aux superstructures idéologiques. C’est pourquoi Marx a mis en évidence que la classe ouvrière est une “classe étrangère” à l’intérieur de la société capitaliste. Mais par sa condition forcée et sa vie de forçat la classe ouvrière « se sent anéantie dans cette aliénation, y voit son impuissance et la réalité d’une existence inhumaine ». (1) Nous pouvons donc dire que la bourgeoisie tend bien d’un côté à perdre le contrôle sur la société en décomposition et en même temps, qu’elle garde aujourd’hui toute sa maîtrise sur le prolétariat, sans que cela puisse être contradictoire.
De ce fait, la bourgeoise ne peut qu’exercer sa domination et par là même avoir un contrôle en permanence sur la classe ouvrière, son véritable ennemi historique. Seule une situation révolutionnaire planétaire pourrait modifier une telle donne et aboutir, dans ces conditions, à une tendance à la perte de contrôle sur le prolétariat. Lors de la vague révolutionnaire de 1917-1923, on peut dire que la bourgeoisie tendait à perdre le contrôle de sa domination sur la classe ouvrière. Cela ne s’est jamais traduit de manière absolue, même en Russie finalement, puisque si les ouvriers avaient pu prendre les rênes du pouvoir et exercer leur dictature politique dans ce pays, leur avenir politique restait suspendu au rapport de force mondial entre les classes. La bourgeoisie mondiale a fini par s’imposer victorieusement avec la contre-révolution stalinienne. Même dans les débuts de l’effervescence révolutionnaire en Allemagne, de 1917 à 1923, la bourgeoisie n’a jamais perdu totalement son contrôle sur la classe exploitée. Grâce aux sociaux-démocrates transformés en « chiens sanglants » et aux syndicats, devenus des gardes chiourmes au service de l’État, remparts ultimes du capital, elle avait pu casser les reins du prolétariat et le noyer dans le sang dès la Commune de Berlin en janvier 1919, assurant pour la suite la pérennité de sa domination brutale.
Aujourd’hui, a fortiori dans un contexte de décomposition de la société bourgeoise et de recul de la conscience ouvrière, le prolétariat éprouve toutes les difficultés pour mener son combat, restant largement isolé et dispersé, peu confiant en ses propres forces, oubliant même sa mémoire et son identité de classe. Il se trouve donc d’autant plus oppressé par l’ordre bourgeois dont le contrôle est relayé par des organes étatiques puissants, comme les syndicats, les gauchistes ou autres partis politiques, piliers de l’ordre capitaliste. Toutes ces forces politiques l’encadrent de manière très efficace à la fois par les discours idéologiques, la propagande et par une présence physique quotidienne sur le terrain, monopolisant globalement tout l’espace public pour lui faire obstacle et saboter son combat de classe. Nous sommes donc d’accord sur ce plan avec le camarade, la bourgeoisie, en effet, ne perd pas le contrôle sur son ennemi mortel et veille sur lui comme du lait sur le feu. Nous l’avons d’ailleurs bien vu au moment de la lutte contre la réforme des retraites de l’hiver 2019-2020, jamais les syndicats n’ont été pris en défaut et ont toujours su garder un contrôle de A à Z sur le mouvement, même s’ils ont dû s’adapter en même temps pour faire face à une forte combativité qui s’est étalée dans le temps.
En revanche, sur les autres composantes de la société capitaliste, la situation est toute autre et la situation se complique davantage. Sur ce plan, le camarade est complètement d’accord. Au niveau économique, par exemple, alors qu’avec la réalité concurrentielle de la mondialisation la bourgeoisie avait pu développer ses capacités de coopération pour faire face à la crise, aujourd’hui, le chacun pour soi prend clairement le dessus et chaque État s’enferme sur ses propres initiatives, de manière plus unilatérale que par le passé, afin de défendre quasi seul ses intérêts nationaux vitaux. Cela s’est traduit de manière caricaturale, par exemple, lors de la pitoyable « guerre des masques » et des « vaccins », traduisant une sorte de panique et de « sauve qui peut ». On peut donc dire que cela a bien exprimé une tendance à la perte de contrôle.
La bourgeoisie n’a pas de prise sur les effets de la décomposition : elle peut certes les utiliser, mais absolument pas les contrôler. Des phénomènes comme ceux de la violence croissante au sein de la société ne peuvent être éradiqués, de même que la tendance à ne pouvoir contrôler son jeu politique du fait du chacun pour soi qui tend de plus en plus à prendre le pas sur le sens des responsabilités et de l’État. Cela ne signifie pas pour autant que la bourgeoisie ne puisse plus agir sur le plan politique, ni gouverner, que tout lui échappe, mais seulement qu’elle a de plus en plus de mal et de difficultés à contrôler son jeu politique, à faire face aux luttes de fractions et aux querelles d’égos croissantes, à éviter l’instabilité, la fragilisation et les contradictions qui favorisent de nouvelles difficultés ou crises politiques.
La bourgeoisie sait bien qu’elle va devoir porter des attaques de plus en plus dures, que la paupérisation va s’accroître et que le prolétariat va forcément devoir résister par ses luttes. La maturation politique qui s’opère dans les entrailles du prolétariat, la colère, les forces centrifuges qui animent le corps social, les forces destructrices de la société capitaliste qui agissent telle une boite de Pandore, tout cela va pousser la bourgeoisie à renforcer son obsession du « maintien de l’ordre ». Mais tant que le prolétariat ne sera pas en position d’affirmer ouvertement sa perspective révolutionnaire et n’aura pas renversé la classe dominante, il sera en effet sous le joug implacable de la dictature du capital.
WH, 7 juillet 2021
1) Marx, Engels, La sainte famille (1845).
Le mouvement de lutte contre la réforme des retraites en France durant l’hiver 2019-2020 a vu le prolétariat de nouveau relever la tête avec dignité. Durant le mois de juillet 2018, alors que la grève à la SNCF polarisait l’attention des médias, des statistiques soulignaient que la France demeurait la « championne du monde de la grève ». (1) Tout ceci n’est pas le fruit du hasard. Le prolétariat en France conserve en Europe et dans le monde une réputation de combattant qui reste gravée dans la mémoire collective, en particulier depuis les événements de Mai 1968. Mais suite à l’effondrement du bloc de l’est et à la propagande sur la prétendue « mort du communisme », les mensonges sur la « disparition du prolétariat », l’expérience et la tradition du mouvement ouvrier ont systématiquement été attaquées par l’idéologie bourgeoise dominante. L’expérience historique des luttes en France, en apparence singulière, reste donc un des enjeux importants pour permettre au prolétariat de renouer avec son passé et son identité de classe sociale révolutionnaire. En permettant de mieux comprendre le singulier climat social en France, souvent révélateur du rapport de force qui existe au niveau international entre la bourgeoise et prolétariat, il s’agit de s’approprier de manière consciente l’esprit de combat des générations d’ouvriers qui ont préparé la voie de la révolution par des combats souvent héroïques.
Bien qu’à des époques historiques totalement différentes, la bourgeoisie en Europe aura été traumatisée par au moins deux événements majeurs de l’histoire du mouvement ouvrier en France : la Commune de Paris en 1871 et Mai 1968. Si aujourd’hui le monde a souvent les yeux fixés sur la situation sociale en France, c’est certes en lien avec le passé de la Commune et le souvenir des barricades, mais aussi et surtout, de l’impact des événements massifs et spectaculaires de Mai 1968. (2) Indéniablement, le prolétariat en France a joué un rôle politique très important sur un plan historique. Le souvenir de Mai 68, notamment, crispe toujours la bourgeoisie, particulièrement en France, comme le reconnaissait ouvertement l’ex-président Sarkozy qui ne cessait de dire qu’il fallait « en finir avec l’esprit de mai 1968 ».
Avec l’échec de la vague révolutionnaire internationale débutée en 1917, son isolement tragique donnant suite à un processus de dégénérescence, la Russie bolchevique devenait le symbole d’une terrible répression. La classe ouvrière s’étouffait dans une défaite sanglante signant le triomphe de la contre-révolution et du stalinisme au niveau international. Battue physiquement et embrigadée plus tard dans la Seconde Guerre mondiale, la classe ouvrière se retrouvait plongée dans une « longue nuit », écrasée sous le joug de la réaction. Un cauchemar qui allait durer près d’une cinquantaine d’années. Ce n’est qu’à la fin des années soixante que le prolétariat allait enfin retrouver le chemin de ses luttes, son « réveil » se manifestant partout dans les grands foyers industriels du monde et notamment dans les vieux pays de l’Europe occidentale. C’est en France que ses luttes furent les plus spectaculaires et les plus impressionnantes. La classe ouvrière allait se propulser ainsi aux avants postes de cette sortie de la contre-révolution par une explosion spontanée de colère, de contestations et de grèves, par des manifestations massives. Un épisode ouvrant la voie à l’émergence de multiples mouvements de grèves et de luttes dans le monde, s’insérant dans la même dynamique et ayant la même signification politique de fond. Ce mouvement en France allait devenir la plus grande grève de l’histoire : « Le 22 mai, il y a 8 millions de travailleurs en grève illimitée. C’est la plus grande grève de l’histoire du mouvement ouvrier international. Elle est beaucoup plus massive que les deux références précédentes : la “grève générale” de mai 1926 en Grande-Bretagne (qui a duré une semaine) et les grèves de mai-juin 1936 en France ». (3) L’émergence de minorités en recherche des positions de classe, cherchant à renouer de manière consciente avec l’expérience révolutionnaire du passé, afin de lutter de manière organisée, allaient former un milieu politique, favorisant un contexte de regroupement international. Du fait de l’inexpérience de ces minorités et de leurs faiblesses, de la rupture de la continuité avec les pratiques politiques et organisationnelles des organisations du passé, qui avaient été largement décimées ou avait trahies du fait de la profonde défaite des années 1920, ces nouvelles minorités allaient tenter de se réapproprier les positions de classe oubliées, enfouies sous les décombres de la contre-révolution. Un chemin difficile, semé d’embûches, pour mener vers une réappropriation et clarification sur les bases d’une filiation politique qui avait été maintenue par d’infimes minorités révolutionnaires durant les années 1930, qui avaient su se regrouper et résister en menant un travail de fraction, c’est-à-dire de lutte au sein du cadre de la IIIe Internationale, par un travail critique et d’élaboration théorique. Elles seules ont été capables de tirer les leçons de la défaite et mener une activité politique jusqu’au resurgissement des luttes à la fin des années 1960. Ainsi, la Gauche communiste (4) allait pouvoir transmettre un riche bagage politique à ceux qui allaient se confronter et se regrouper dans de nouvelles forces politiques. C’est aussi sur ces bases et dans la continuité de la Gauche Communiste de France et du groupe Internationalisme, lui-même en continuité avec la Gauche italienne et Bilan, juste après la guerre, animé par notre camarade Marc Chirik, qu’une dynamique allait faire fructifier l’expérience la plus riche et rigoureuse dans le sillage de Mai 1968. Ceci allait permettre, entre autres, la création en France du groupe Révolution internationale en 1972, puis en 1975, la création du Courant communiste international. Ainsi, Mai 1968 allait prendre de l’importance à deux niveaux :
– en renouant et reliant le nouveau milieu révolutionnaire émergent au fil historique de la Gauche communiste, à ses apports politiques, à la rigueur et à l’intransigeance de sa méthode : deux des trois conférences internationales de la Gauche communiste, dans les années 1980, se tenant par la suite à Paris (la première à Milan en 1976) allaient, malgré leur échec pour mener plus loin la clarification, permettre une décantation politique et tirer des leçons politiques importantes ; (5)
– en réveillant le géant prolétarien, ce qui fût le point de départ de toute une expérience au travers de vagues de luttes internationales qui se poursuivirent dans les années 1980, ponctuées par la grève de masse en Pologne, jusqu’à l’effondrement du bloc de l’Est.
Mai 68 montrait l’importance de la massivité du prolétariat pour la lutte, son expression spontanée, avec ses propres méthodes de lutte : les assemblées générales ouvrières, le débat politique ouvert, centré sur les besoins politiques de la lutte et sur une perspective de classe, la capacité de prendre en main la lutte de manière autonome, la solidarité et la réflexion collective. Ce n’est pas un hasard si lors du mouvement contre la réforme des retraites de l’hiver 2019-20, des manifestants affirmaient : « Ce qu’il faut faire, c’est une grève générale. Il nous faut un nouveau Mai 68 ! »
Mai 1968, c’est aussi et surtout des forces politiques révolutionnaires qui surgissent, capables de palier une faiblesse chronique : celle d’une implantation insuffisante et difficile du marxisme en France. Alors que le prolétariat allemand avait été l’épicentre et un phare de la théorie marxiste durant le XIXe et le début du XXe siècle, sa profonde défaite durant les années 1920, notamment après l’écrasement de la Commune de Berlin en 1919, rendait difficile son retour futur au cœur de la lutte et de la résurgence du prolétariat sur le devant de la scène. C’est en France que le prolétariat allait plus nettement reprendre tout cet héritage par un véritable travail international de synthèse, en intégrant celui de ses propres traditions et l’expérience des gauches issues de la IIIe Internationale.
Avec la Commune et Mai 1968, on retrouvait ainsi toutes les caractéristiques d’une vieille tradition de combat en France, faite d’irruptions de grèves spontanées et solidaires, de massivité dans la lutte et de vive fermentation politique. Si l’enfance du mouvement ouvrier et les premiers pas dans le combat de classe se sont déroulés dans l’Angleterre de la première révolution industrielle, le prolétariat a commencé peu après, bien que de manière très embryonnaire et ultra minoritaire, à se manifester aussi en France dans les nombreux soulèvements révolutionnaires urbains : notamment après les premières décennies du XIXe siècle, gardant en mémoire la révolution bourgeoise de 1789. Malgré la loi Le Chapelier de 1791 qui interdisait les grèves et s’attaquait aux premières formes de coalitions et d’associations ouvrières (Marx parlant à ce sujet de « coup d’État des bourgeois »), (6) des confrontations souvent violentes se multipliaient entre les ouvriers, formant peu à peu une classe compacte, solidaire et progressivement autonome, avec ses propres moyens de luttes face aux patrons et à la bourgeoisie. Contrairement à la Grande-Bretagne, où les luttes ouvrières seront marquées par le poids d’idées réformistes, la France verra surgir davantage le principe des organisations de masse et de classe, même si la plupart du temps, « les ouvriers ne disposent que d’une formation très sommaire » et sont seulement « capables d’explosions de colère ». (7) En ce sens, pour un pays où la société rurale était restée très marquée au XIXe siècle et où les ouvriers étaient fraîchement déracinés des campagnes, on assistait souvent à des scènes où « la classe ouvrière n’hésite pas à descendre dans les rues et à prendre les armes pour une cause qui n’est en réalité pas la sienne : la République ». (8) Dans les années 1830, au moment de la monarchie de juillet, les soulèvements parisiens des Trois Glorieuses rappellent encore les heures de gloire populaire de la révolution de 1789. Une singularité historique qui aura un immense poids sur la classe ouvrière. Mais dans la préface à la troisième édition du 18-Brumaire de Louis Bonaparte, Engels écrivait que « la France est le pays où les luttes de classes ont été menées chaque fois, plus que partout ailleurs, jusqu’à la décision complète, et où, par conséquent, les formes politiques changeantes, à l’intérieur desquelles elles se meuvent et dans lesquelles se résument leurs résultats, prennent les contours les plus nets. […] la lutte du prolétariat qui s’éveille contre la bourgeoisie régnante y revêt des formes aiguës, inconnues ailleurs ».
Aux côtés d’une population mécontente, bon nombre d’ouvriers saisonniers et une masse déjà politisée de prolétaires participent très tôt aux barricades avec détermination. Mais c’est dans un tout autre contexte, à Lyon, en 1831, qu’éclatera une de ces « formes aiguës », le soulèvement des canuts, première véritable grande grève du prolétariat, même si elle demeure très localisée. Suite à des baisses de salaires, les métiers à tisser seront arrêtés. De manière spontanée, des dizaines de milliers d’ouvriers dévaleront les pentes des collines de la Croix-Rousse et les armureries seront mises à sac. On s’emparera de fusils et les barricades seront aussitôt dressées. Sur le drapeau des canuts, on lira la devise : « Vivre en travaillant ou mourir en combattant » ! Les autorités, effrayées, quitteront la ville. Le maréchal Soult et ses 20 000 hommes ne rétabliront l’ordre qu’au prix d’une terrible répression. Cette tendance à l’affirmation d’une très forte combativité et solidarité du prolétariat dans la lutte de classe, après l’expérience des canuts de 1831 puis de 1834, se renforcera par la suite. De nombreux débats ouvriers vont se mener dans les premiers foyers industriels, notamment et au sein de la Fédération des Justes, créée à Paris, qui avait été fortement éprouvée par la défaite de l’insurrection des blanquistes du 12 mai 1839 dans la capitale (provoquant une répression sévère et exil de ses membres à Londres). Cette fermentation parisienne continuelle allait contribuer ultérieurement à gagner le jeune Karl Marx au combat de classe. Tout une maturation allait ainsi se poursuivre, notamment avec des travaux de correspondance internationale et de centralisation, menés surtout par Marx et Engels eux-mêmes au cours de leurs exils. En 1846, par exemple, Engels organisait à Paris un comité de correspondants très actifs, comprenant plusieurs ouvriers. Toute cette vie politique allait contribuer à alimenter une réflexion internationale permettant au congrès de la Ligue des communistes de mandater Marx pour rédiger le célèbre Manifeste du parti communiste. La même année, en 1847, Marx aiguisait sa brillante polémique non moins célèbre face à l’anarchiste Proudhon, répondant à la Philosophie de la Misère par sa Misère de la Philosophie.
En février de l’année suivante, malgré les débats intenses et la progression des idées communistes, le mouvement de la classe ouvrière restera encore fortement marqué par l’idée d’une république sociale et la revendication du suffrage universel. Mais grâce à toute la maturation politique et aux débats qui ont précédé, tant à Paris qu’au niveau européen, la classe ouvrière jouera dès le départ un rôle moteur vers la confrontation : « c’est les armes à la main que la bourgeoisie devait refuser les revendications du prolétariat ». (9) Avec l’insurrection de juin, directement face à la République bourgeoise, le clivage de classe et la force autonome de la classe ouvrière apparaîtra alors de manière très nette aux yeux de Marx : « fut livrée la première grande bataille entre les deux classes qui divisent la société moderne ». (10) Les 22 et 23 juin, sur la place du Panthéon, des cris spontanés dans la foule scandaient « du pain ou du plomb », « la liberté ou la mort » et aussi « aux armes ! ». Dans tout l’est parisien, des barricades s’élevèrent, majoritairement composée d’ouvriers et d’officiers de la garde nationale. Face à ces ouvriers en lutte, les forces de répression se situaient principalement à l’ouest de Paris, notamment la garde nationale des quartiers ouest, la garde mobile et, bien entendu, les troupes commandées par le général Cavaignac. Ainsi, la République se dressait, les armes à la main, directement face aux prolétaires. La bourgeoisie affichait sa prétendue volonté de « conciliation » face à ce qu’elle jugeait être « une sauvagerie » (rappelant ainsi la mésaventure de Mgr. Affre, archevêque de Paris, qui s’était rendu avec de « bonnes intentions » sur une des barricades place de la Bastille pour y être mortellement blessé). Mais les événements qui allaient suivre montrèrent où se situait la véritable « sauvagerie ». Les insurgés furent écrasés dans un véritable bain de sang. Il y eut plusieurs milliers de morts et 25 000 combattants des barricades furent arrêtés et 4 000 prisonniers déportés en Algérie. Dès le 24 juin, l’état de siège donna légalement au général Cavaignac le loisir vengeur de rétablir l’ordre « démocratique » et « républicain ». En plus de la répression physique, on vit la dissolution des ateliers nationaux, la censure et la suppression de journaux, la fermeture de clubs, la suppression de « légions » de la garde nationale. L’ordre pouvait ainsi de nouveau régner sur Paris ! La lutte héroïque des ouvriers parisiens entre février et juin 1848 fut là aussi grande d’enseignements pour l’avant-garde du prolétariat : « En imposant la République au Gouvernement provisoire, et, par ce dernier, à toute la France, le prolétariat se mettait immédiatement au premier plan en tant que parti indépendant ; mais du même coup, il jetait un défi à toute la France bourgeoise. Ce qu’il avait conquis, c’était le terrain en vue de la lutte pour son émancipation révolutionnaire, mais non cette émancipation elle-même ». (11) En fin de compte, « le 25 février 1848 octroya la République à la France, le 25 juin lui imposa la révolution : après juin, révolution voulait dire : renversement de la société bourgeoise, alors qu’avant février, le mot signifiait renversement de la forme de l’État ». (12)
Si Mai 1968 a éclaté en France, ce n’est pas sans rapport avec les journées de juin 1848 évoquées précédemment et le lointain passé de la Commune. Un passé toujours présent dans la mémoire et évoqué parfois dans les assemblées ouvrières. Le prolétariat, indocile, s’est quelques fois remis à parler de cette expérience, de « la révolution ». En 1968 bien sûr, mais plus récemment lors du mouvement de la jeunesse contre le CPE, en 2006, ou on pouvait entendre dans les AG des allusions à Mai 68 et voir refleurir sur des banderoles ce vieux slogan « Vive la commune ! ». Le caractère insurrectionnel et hautement politique de la Commune de Paris en 1871 s’avéra d’une expérience historique des plus élevées, inestimable et de portée internationale, servant déjà de source d’inspiration pour les bolcheviks et de référence lors de la vague révolutionnaire des années 1920. Avec le massacre de plus de 20 000 ouvriers lors de la Semaine sanglante, la bourgeoisie et les troupes du général Galliffet mettaient fin à la première grande expérience révolutionnaire du prolétariat. Malgré l’immaturité des conditions historiques de la révolution mondiale, le prolétariat se montrait déjà la seule force capable de remettre en cause l’ordre capitaliste. Le prolétariat avait mûrit et depuis 1864, date de naissance de la Ier Internationale, il continuait son œuvre pour se constituer en classe et les débats animés autour des idées de Blanqui et de Proudhon se poursuivaient dans les milieux ouvriers. Au sein de l’Internationale la confrontation politique permettait progressivement au prolétariat en France de tirer des leçons et d’avancer dans une unité croissante. Pour la première fois de l’histoire, avec la Commune, les ouvriers montraient qu’ils pouvaient s’emparer du pouvoir. Le Comité central de la garde nationale et des « émeutiers » s’installa à l’Hôtel de ville et adopta le drapeau rouge. Deux jours après sa proclamation, la Commune s’attaquait immédiatement à l’appareil d’État à travers l’adoption de toute une série de mesures politiques : suppression de la police des mœurs, de l’armée permanente et de la conscription (la seule force armée reconnue étant la Garde nationale), suppression de toutes les administrations d’État, confiscation des biens du clergé, déclarés propriété publique, destruction de la guillotine, école gratuite et obligatoire, etc. Le principe de la révocabilité permanente des élus était la condition pour qu’aucune instance de pouvoir ne s’impose au-dessus de la société. Seule une classe qui vise à l’abolition de toute domination d’une minorité d’oppresseurs sur l’ensemble de la société pouvait prendre en charge cette forme d’exercice du pouvoir. Ce mode d’organisation de la vie sociale allait donc dans le sens non de la « démocratisation » de l’État bourgeois, mais de sa destruction. Le prolétariat en France permit ainsi, par sa pratique, de tirer une leçon fondamentale que Marx signalait déjà en 1852 dans Le 18-Brumaire de Louis Bonaparte : « Toutes les révolutions politiques jusqu’à présent n’ont fait que perfectionner la machine d’État au lieu de la briser ». Cette dernière révolution du XIXe siècle annonçait déjà les mouvements révolutionnaires du XXe siècle : elle montrait dans la pratique que « la classe ouvrière ne peut se contenter de prendre telle quelle la machine d’État et la faire fonctionner pour son propre compte. Car l’instrument politique de son asservissement ne peut servir d’instrument politique de son émancipation ». (13) Cette leçon était réaffirmée vingt ans après par Engels : « le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il [l’État] est un mal dont hérite le prolétariat vainqueur dans la lutte pour la domination de classe et dont, tout comme la Commune, il ne pourra s’empêcher de rogner aussitôt au maximum les côtés les plus nuisibles, jusqu’à ce qu’une génération grandie dans des conditions sociales nouvelles et libres soit en état de se défaire de tout ce bric-à-brac de l’État. Le philistin social-démocrate a été récemment saisi d’une terreur en entendant prononcer le mot de dictature du prolétariat. Eh bien, messieurs, voulez-vous savoir de quoi cette dictature a l’air ? Regardez la Commune de Paris. C’était la dictature du prolétariat ». (14) Si cet épisode restera une expérience fondamentale dans la mémoire collective, ses leçons politiques essentielles demeurent encore assez méconnues. Elles font partie du patrimoine ouvrier et constituent bel et bien une part de son identité politique.
Après la défaite terrible de la Commune de Paris, un coup d’arrêt allait marquer le mouvement ouvrier en France. En fin de compte, jamais il n’allait complètement se remettre de la réaction qui allait s’abattre par la suite. On peut même dire que jusqu’aux lointains événements de Mai 1968, il allait rester divisé et profondément affaibli politiquement. Cela, malgré les efforts effectués pour promouvoir la lutte révolutionnaire et la théorie marxiste, comme ce fut le cas avec le combat de Jules Guesde et la fondation du Parti ouvrier en 1882, devenu Parti Ouvrier Français jusqu’en 1902. Mais de grandes luttes particulièrement longues et très dures allaient encore suivre malgré tout et marquer les esprits près d’une décennie plus tard. On peut citer l’exemple de Decazeville en 1886 où une grève très dure se prolongea 109 jours et où l’ingénieur Watrin fut lynché par des mineurs exaspérés. De même, en 1891, une grève très tendue à Carmaux, soutenue par Jaurès, allait durer près de trois mois. De nombreuses luttes et grèves se poursuivirent aussi avant le premier conflit mondial, contre la guerre, ponctuées par l’assassinat de Jaurès. (15) Des mutineries de 1917 au combat de Monatte et Rosmer, aux grèves à « l’arrière » durant la guerre, en passant par la vague révolutionnaire des années 1920, la solidarité et une forte combativité furent les caractéristiques majeures dont le prolétariat en France a hérité, faisant désormais partie de son ADN. C’est également une des leçons que nous devons retenir pour les luttes du futur.
Ce que nous pouvons conclure pour ce premier article, en dépit du terrible coup porté de manière durable par la défaite de la Commune, c’est que le prolétariat en France est depuis longtemps et malgré tout, l’un des plus combatifs et politisés au monde. Comme nous l’écrivions dans notre « Résolution sur la situation en France » au 23e congrès de notre section en France : « C’est une des spécificités de la classe ouvrière en France, relevée déjà par les marxistes au XIXe siècle, suite à la révolution de 1848 et de la Commune de Paris, le caractère explosif et hautement politique de ses luttes. Ainsi, on pouvait lire sous la plume de Kautsky, lorsqu’il était encore révolutionnaire : “Si en Angleterre, dans la première moitié du XIXe siècle, c’était la science économique qui était la plus avancée, en France c’était la pensée politique ; si l’Angleterre était régie par l’esprit de compromis, la France l’était par celui du radicalisme ; si en Angleterre le travail de détail de la lente construction organique prédominait, en France c’était celui que nécessite l’ardeur révolutionnaire” ». En dépit des difficultés de la classe ouvrière aujourd’hui, cette appréciation de Kautsky reste pleinement valable. Alors que la bourgeoisie entretient l’amnésie en attaquant en permanence la mémoire ouvrière, il est nécessaire de se réapproprier toute cette expérience des luttes en France qui possède une dimension largement universelle.
WH, 19 décembre 2020
1) « La France, championne du monde de la grève », Statista (6 juillet 2018).
2) Lire notre brochure : Mai 68 et la perspective révolutionnaire.
3) « Mai 69 : Le réveil de la classe ouvrière (partie III) », Révolution internationale n° 390 (mars 2008).
4) C’est-à-dire des minorités qui avaient su mener le combat contre la dégénérescence de la révolution au sein, puis en dehors des anciens partis de l’Internationale communiste, passés ensuite dans le camp de la bourgeoisie. Citons en particuliers le combat mené par la Gauche italienne des années 1930, issue du groupe Bilan.
5) Voir notre article : « Les conférences internationales de la Gauche Communiste (1976-1980) – Leçons d’une expérience pour le milieu prolétarien ».
6) Extraits de la loi Le Chapelier : « Tous attroupements composés d’artisans, ouvriers, compagnons, journaliers, ou excités par eux contre le libre exercice de l’industrie et du travail […], ou contre l’action de la police et l’exécution des jugements rendus en cette matière […] seront tenus pour attroupements séditieux, et, comme tels, ils seront dissipés par les dépositaires de la force publique, sur les réquisitions légales qui leur en seront faites, et punis selon toute la rigueur des lois sur les auteurs, instigateurs et chefs desdits attroupements, et sur tous ceux qui auront commis des voies de fait et des actes de violence ».
7) Gérard Adam, Histoire des grèves (1981).
8) Idem.
9) Marx, Les luttes de classe en France (1850).
10) Idem.
11) Idem.
12) Idem.
13) Marx, La Guerre civile en France (1871).
14) Engels, Introduction à La Guerre civile en France (1891).
15) « Jean Jaurès et le mouvement ouvrier », Révolution internationale n° 448 (septembre-octobre 2014).
Links
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri_490.pdf
[2] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/121/afghanistan
[3] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/coronavirus
[4] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/covid-19
[5] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/environnement
[6] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/biden
[7] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/trump
[8] https://fr.internationalism.org/en/tag/situations-territoriales/situation-sociale-france
[9] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/53/mexique
[10] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/aventurisme-parasitisme-politiques
[11] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/ficci-gigcigcl
[12] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/courrier-des-lecteurs
[13] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/decomposition
[14] https://fr.internationalism.org/en/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/1848
[15] https://fr.internationalism.org/en/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/commune-paris-1871
[16] https://fr.internationalism.org/en/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/mai-1968