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Après des années d’atonie, le mouvement social contre la réforme des retraites a montré un réveil de la combativité du prolétariat en France. Malgré toutes ses difficultés, la classe ouvrière a commencé à relever la tête. Alors qu’il y a un an, tout le terrain social était occupé par le mouvement interclassiste des gilets jaunes, aujourd’hui, les exploités de tous les secteurs, de toutes les générations ont profité des journées d’action organisées par les syndicats pour descendre dans la rue, déterminés à lutter sur leur propre terrain de classe contre cette attaque frontale et massive du gouvernement qui frappe l’ensemble des exploités.
Alors que depuis près de dix ans, les salariés demeuraient paralysés, totalement isolés chacun dans son coin sur son lieu de travail, ils sont parvenus ces dernières semaines à retrouver le chemin de la lutte collective.
Les aspirations à l’unité et à la solidarité dans la lutte montrent que les travailleurs en France commencent à se reconnaître de nouveau comme faisant partie d’une seule et même classe ayant les mêmes intérêts à défendre. Il est clair qu’en refusant de continuer à courber l’échine, la classe ouvrière en France est en train de retrouver sa dignité.
Cependant, après des manifestations hebdomadaires rassemblant des centaines de milliers de personnes, ce mouvement n’est pas parvenu à faire reculer le gouvernement.
Depuis le début, la bourgeoisie, son gouvernement et ses “partenaires sociaux” avait orchestré une stratégie pour faire passer l’attaque sur les retraites.
De plus, la bourgeoisie blinde son État policier, au nom du maintien de l’“ordre républicain”. Le gouvernement déploie, de façon hallucinante, ses forces de répression afin de nous intimider. Les flics ne cessent de gazer et tabasser aveuglément des travailleurs (y compris des femmes et des retraités) appuyés par les media qui font l’amalgame entre la classe exploitée, les black blocks et autres “casseurs”. Afin d’empêcher les travailleurs de se regrouper à la fin des manifs pour discuter, les cohortes de CRS les dispersent, sur ordre de la Préfecture. Les violences policières ne sont nullement le fruit de simples “bavures” individuelles de quelques CRS excités et incontrôlables. Elles annoncent la répression impitoyable et féroce que la classe dominante n’hésitera pas à déchaîner contre les prolétaires, dans le futur (comme elle l’a fait dans le passé, par exemple, dans la “semaine sanglante” de la Commune de Paris en 1871).
Aujourd’hui, alors que le mouvement reflue, les syndicats, et notamment la CGT, appellent à l’“extension”. Ils organisent des actions minoritaires complètement stériles comme les retraites aux flambeaux, et la grève des éboueurs pour rendre impopulaire notre mouvement. Les centrales syndicales les plus “radicales” et “jusqu’au boutistes” cherchent ainsi à épuiser notre combativité et à pourrir le mouvement pour nous conduire à la défaite. Les manifestations qu’ils continuent à organiser depuis que les cheminots ont repris le travail après presque 2 mois de grève, et alors que nous sommes de moins en moins nombreux dans la rue, visent justement à épuiser ceux qui veulent aller jusqu’au retrait de la réforme. Mais il ne faut pas se faire d’illusion : le gouvernement ne reculera pas et les dirigeants syndicaux (et autres “partenaires sociaux” du gouvernement) le savent pertinemment.
Pourquoi ? Parce que les syndicats se sont bien gardés d’appeler tous les travailleurs de toutes les entreprises et tous les secteurs à descendre massivement dans la rue (comme c’était le cas en Mai 1968 ou la grève massive de 9 millions de travailleurs avaient obligé le gouvernement à augmenter le SMIC de 20 %). Dans de nombreux secteurs et entreprises, les syndicats ont joué leur rôle habituel de “pompiers sociaux”. Malgré leurs discours “radicaux”, ils n’ont pas appelé tous les travailleurs du public et du privé à venir aux manifestations. Nous n’étions pas assez nombreux, même si au début du mouvement, il y avait plusieurs centaines de milliers de travailleurs, retraités, étudiants et lycéens en colère, et déterminés à lutter tous ensemble contre cette réforme des retraites qui touche toute la classe exploitée.
Maintenant que l’extension massive de la lutte a été bien sabotée, Martinez (dirigeant de la CGT) a annoncé que son syndicat va participer à la “conférence sur le financement des retraites” (alors qu’au début, il n’en n’était pas question). Ils vont tous s’asseoir à la table des négociations, dans le dos des travailleurs, pour empêcher que la colère ne débouche encore sur de nouvelles explosions quand cette réforme sera votée par l’Assemblée Nationale.
Les syndicats verrouillent et noyautent toutes les AG “interpro” ; ils poussent les travailleurs de telle ou telle entreprise à faire grève alors que le mouvement est entré dans sa phase de reflux. Même si la bourgeoisie a encore des difficultés à “faire rentrer le dentifrice dans le tube” (comme le disait, sur les plateaux télé, la directrice de la rédaction du journal Le Parisien) !
Maintenant on a droit à la campagne sur la mascarade électorale où tous les partis bourgeois se précipitent à la curée des Municipales ! Les médias aux ordres nous bassinent, jour après jour, sur les dégâts du “coronavirus” chinois, (de plus ils utilisent cette catastrophe sanitaire pour stigmatiser une partie de la population), avec cynisme sur la polémique malsaine autour des 12 jours de congé pour le deuil d’un enfant, etc. Ceci pour amuser la galerie et faire diversion.
Aujourd’hui, la classe ouvrière n’est pas encore prête à s’engager massivement dans la lutte. Même si de nombreux travailleurs de tous les secteurs, de toutes les catégories professionnelles (essentiellement de la fonction publique), de toutes les générations étaient présents à battre le pavé dans les manifestations organisées par les syndicats depuis le 5 décembre. Ce dont nous avons besoin pour freiner les attaques de la bourgeoisie, c’est de développer la solidarité active dans la lutte et pas seulement en remplissant les caisses de solidarité pour permettre aux grévistes de “tenir”.
Les cheminots qui ont été le fer de lance de cette mobilisation contre la réforme des retraites, ne pouvaient pas poursuivre leur grève seuls sans que les autres secteurs n’engagent eux-mêmes la lutte avec eux. Malgré leur courage et leur détermination, ils ne pouvaient pas lutter “à la place” de toute la classe ouvrière. Ce n’est pas la “grève par procuration” qui pouvait faire reculer le gouvernement, aussi déterminée soit-elle.
Pour pouvoir s’affronter à la classe dominante et faire reculer le gouvernement, les travailleurs doivent prendre eux-mêmes leur lutte en main. Ils ne doivent pas la confier aux syndicats, à ces “partenaires sociaux” qui ont toujours négocié dans leur dos et dans le secret des cabinets ministériels.
Si nous continuons à demander aux syndicats de nous “représenter”, si nous continuons à attendre qu’ils organisent la lutte à notre place, alors oui, “nous sommes foutus” !
Pour pouvoir prendre nous-mêmes notre lutte en main, pour l’élargir et l’unifier, il fallait nous organiser nous-mêmes ! C’est dans les AG que nous pouvons discuter tous ensemble, décider collectivement des actions à mener, former des comités de grève avec des délégués élus et révocables à tout moment.
Pour pouvoir construire un rapport de forces face à la bourgeoisie, son gouvernement et son patronat, il faut étendre la lutte immédiatement au début d’un mouvement, en envoyant des délégations massives entraîner dans la lutte les travailleurs des entreprises les plus proches sur une base géographique et non pas catégorielle, secteur par secteur. Il faut organiser des AG ouvertes à tous, où tous les travailleurs, actifs, précaires ou chômeurs, retraités et étudiants, peuvent participer, prendre la parole pour réfléchir ensemble, faire des propositions sans laisser les syndicats confisquer leur lutte.
Les travailleurs ont les moyens de faire reculer le gouvernement, de freiner les attaques si toute la classe exploitée prend confiance en elle, en sa propre force. Souvenons-nous de la grève de masse en Pologne en août 1980 qui était partie des chantiers navals de Gdansk et qui a pu s’étendre immédiatement comme une traînée de poudre aux quatre coins du pays. Les AG étaient souveraines et massives. Les négociations avec le gouvernement de Jaruzelski étaient publiques et non pas secrètes dans le dos des grévistes et dans les coulisses des cabinets ministériels. Tous les travailleurs réunis en Assemblées Générales pouvaient tout entendre !
Cette grève de masse a été défaite dès lors que le syndicat “libre” Solidarnosc (avec Lech Walesa à sa tête) a été créé avec l’aide des syndicats occidentaux (notamment la CFDT). C’est le sabotage de ce syndicat “libre” qui avait livré la classe ouvrière de Pologne pieds et poings liés à la répression !
Les jeunes travailleurs qui ont participé au mouvement contre le “Contrat Première Embauche” au printemps 2006, lorsqu’ils étaient encore étudiants ou lycéens doivent se souvenir et transmettre cette expérience à leurs camarades de travail. Comment ont-ils pu faire reculer le gouvernement Villepin en l’obligeant à retirer son “CPE” ? Grâce à leur capacité à organiser eux-mêmes leur lutte dans leurs Assemblées Générales massives dans toutes les universités, et sans aucun syndicat. Les étudiants avaient appelé tous les travailleurs, actifs et retraités, à venir discuter avec eux dans leurs AG et à participer au mouvement en solidarité avec les jeunes générations confrontées au chômage et à la précarité. Le gouvernement Villepin a dû retirer le CPE sans qu’il y ait eu aucune “négociation”.
La reprise du travail dans le secteur des transports n’est pas une capitulation ! Faire une “pause” dans la lutte est aussi un moyen de ne pas s’épuiser dans une grève longue, isolée, qui ne peut déboucher que sur un sentiment d’impuissance et d’amertume.
La grande majorité des travailleurs mobilisés ont le sentiment que si on perd cette bataille, si on ne parvient pas à obliger le gouvernement à retirer sa réforme, “on est foutus !” Ce n’est pas vrai ! La mobilisation contre la réforme des retraites, et le rejet massif de cette attaque, n’est qu’un début, une première bataille qui en annonce d’autres demain. Car la bourgeoisie, son gouvernement et son patronat vont continuer à nous exploiter, à attaquer notre pouvoir d’achat, à nous plonger dans une pauvreté et une misère croissantes. La colère ne peut que s’amplifier jusqu’à déboucher sur de nouvelles explosions, de nouveaux mouvements de lutte.
Même si la classe ouvrière perd cette première bataille, elle n’a pas perdu la guerre. Elle ne doit pas céder à la démoralisation !
La “guerre de classe” est faite d’avancées et de reculs, de moments de mobilisation et de pause pour pouvoir repartir de nouveau encore plus forts. Ce n’est jamais un combat en “ligne droite” où on gagne immédiatement du premier coup. Toute l’histoire du mouvement ouvrier a démontré que la lutte de la classe exploitée contre la bourgeoisie ne peut aboutir à la victoire qu’à la suite de toute une série de défaites.
Le seul moyen de renforcer la lutte, c’est de profiter des périodes de repli en bon ordre pour réfléchir et discuter ensemble, en se regroupant partout, sur nos lieux de travail, dans nos quartiers et tous les lieux publics.
Les travailleurs les plus combatifs et déterminés, qu’ils soient actifs ou chômeurs, retraités ou étudiants, doivent essayer de former des “comités de lutte” interprofessionnels ouverts à toutes les générations pour préparer les luttes futures. Il faudra tirer les leçons de ce mouvement, comprendre quelles ont été ses difficultés pour pouvoir les surmonter dans les prochains combats.
Ce mouvement social, malgré toutes ses limites, ses faiblesses et difficultés, est déjà une première victoire. Après des années de paralysie, de désarroi et d’atomisation, il a permis à des centaines de milliers de travailleurs de sortir dans la rue pour exprimer leur volonté de lutter contre les attaques du Capital. Cette mobilisation leur a permis d’exprimer leur besoin de solidarité et d’unité. Elle leur a permis aussi de faire l’expérience des manœuvres de la bourgeoisie pour faire passer cette attaque.
Le principal “gain” de la lutte, notre première “victoire” c’est la lutte elle-même, c’est notre capacité à relever la tête tous ensemble pour dire Non ! On ne se laissera pas faire ! Nous sommes déterminés à défendre nos conditions de vie, l’avenir de nos enfants et de toutes les générations futures ! Même si nous devons encaisser encore des défaites, nous irons jusqu’au bout !
Le prolétariat est la seule force de la société capable d’abolir l’exploitation capitaliste pour construire un monde nouveau. Le chemin qui mène à la révolution prolétarienne mondiale, au renversement du capitalisme, sera long et difficile. Il sera parsemé d’embûches et de défaites, mais il n’y en a pas d’autre.
Plus que jamais, l’avenir appartient à la classe ouvrière.
Courant Communiste International, 4 février 2020
S’il y a un objectif que le gouvernement Conte II ne peut manquer de poursuivre, c’est bien celui de durer le plus longtemps possible. Contrairement aux coalitions du passé, en effet, ce gouvernement n’est pas basé sur un projet commun, du moins en principe, mais sur la nécessité de ne pas aller aux élections en remettant le pays à la droite et en particulier à la Ligue de Salvini.
En effet, l’opposition de Salvini et de Meloni tente par tous les moyens d’utiliser les divisions gouvernementales pour faire sauter le gouvernement et conduire l’Italie à des élections anticipées qui, étant donné l’orientation politique actuelle des électeurs italiens, conduiraient à un parlement majoritairement de droite avec une influence populiste encore plus forte. Ce résultat produirait non seulement un gouvernement de droite dirigé par Salvini, mais aussi l’élection d’un président de la République convenant à la droite et surtout aux populistes. Le scénario qui s’ouvrirait serait alors vraiment catastrophique pour la bourgeoisie qui s’est jusqu’à présent accrochée aux interventions délicates et discrètes de personnages tels que les Présidents Napolitano et Mattarella. Avec la remise en selle d’un personnage comme Berlusconi, elle verrait sa marge de manœuvre encore plus réduite que ces dernières années.
Formé par nécessité, le gouvernement actuel n’a pas toutes les marges de manœuvre pour jouer son rôle dans la vie politique et économique italienne, étant donné qu’il ne peut même pas avoir un minimum de tranquillité stabilité en son sein. Dans les faits, les différents partis gouvernementaux s’opposent tour à tour sur des questions spécifiques. Un exemple : l’aciérie de Tarente, louée à Arcelor Mittal, qui voit le Mouvement 5 étoiles (M5S) divisées entre les partisans de la fermeture et ceux de la défense de l’emploi. Le Président du Conseil, Conte, s’est lui-même rendu à Tarente pour essayer de calmer la situation, tout en affirmant qu’il n’avait pas de solutions. Il semble au final qu’un compromis ait été trouvé entre fermetures de postes et investissements de fonds publics pour aider Arcelor à relancer le site industriel.
Tandis que les campagnes de propagande du gouvernement Di Maio-Salvini étaient centrées sur sa réforme des retraites (le “quota 100”), sur le revenu de citoyenneté et le rejet des migrants, celles du gouvernement actuel peinent à exister. Comme il n’y a pas de base commune, le gouvernement avance sans discernement pour disparaître ensuite de la scène politique. Il n’est plus question du débarquement des migrants, pourtant cheval de bataille de Salvini, du développement des infrastructures (TGV, réseau routier…), de la situation économique du pays (avec notamment la question de la compagnie aérienne Alitalia), (1) ni même du monde du travail et de sa précarité qui devait prétendument être abolie. Ce gouvernement qui se dit de gauche n’a rien à offrir aux travailleurs, si ce n’est une réduction d’impôts ridicule de 40 euros par mois qui ne concerne même pas l’ensemble de la population.
Sur le plan économique, l’élément le plus important des actions du gouvernement a été de stopper l’augmentation de la TVA. Il y est parvenu, mais au détriment des fonds nécessaires à l’adaptation des infrastructures nécessaires au développement du capital national. Face aux glissements et aux effondrements de terrain, aux inondations et aux crues, les interventions à grande échelle indispensables pour éviter le pire sont au point mort. Le gouvernement est seulement capable de se disputer sur ce qui devrait être fait.
Ces derniers jours, après une réunion au niveau européen, l’accord sur le MES (le mécanisme européen de stabilité) a porté le conflit entre le gouvernement et l’opposition à un niveau supérieur, Salvini et Meloni accusant Conte de trahir la nation. Ce dernier, montrant un caractère différent qu’à l’époque du premier gouvernement, a jeté au visage de Salvini son accord précédent sur le MES. Si Conte est sûr de l’appui du Président de la République et de secteurs importants de la bourgeoisie, il ne peut pas en dire autant de Di Maio, qui est tenté de le poignarder dans le dos.
Ce gouvernement semble concentrer en lui-même tous les problèmes de la période. En fait, c’est un gouvernement qui n’a pas les moyens de faire face à la crise actuelle, pas tellement à cause de son incompétence, cependant bien que réelle, mais parce que la situation est objectivement insoluble. Qui plus est, le pays est soumis aux attaques incessantes du populisme et se trouve au centre de l’une des crises industrielles les plus graves de ces dernières décennies. Le problème de la bourgeoisie italienne est donc de savoir comment reprendre le contrôle de l’électorat, et donc de la machine électorale, pour se concentrer sur des forces politiques plus responsables lors des prochaines élections.
Ce n’est pas une opération facile, mais des tentatives peuvent être constatées dans au moins deux domaines. Le premier est la création totalement artificielle de divers mouvements et manifestations écologistes, notamment impulsés par le “phénomène” Greta Tumberg. Tout ceci a déjà donné une nouvelle vie à divers partis Verts lors de plusieurs élections en Europe. L’autre, plus local, est le développement du “mouvement des sardines”, (2) un mouvement en premier lieu anti-populiste qui a déjà gagné la confiance de couches importantes de la population et dont l’intention est explicitement de contrer le populisme de Salvini et de produire une sorte d’anticorps politique dans le pays.
Il est presque impossible de prévoir l’évolution de cette situation, mais nous savons que l’issue de l’affrontement entre les différentes forces politiques dépendra du rythme de développement de la crise politique et économique, et certainement pas de son impossible résolution. Celle-ci, au contraire, ne dépend que de la reprise de la lutte de classe et de l’affirmation du prolétariat comme classe révolutionnaire dans cette société.
Rivoluzione Internazionale, section du CCI en Italie
Oblomov, 8 décembre 2019
1 La Ligue de Salvini a déclaré son opposition à une vente de l’entreprise aérienne. Début janvier, Salvini a ravivé les hostilités sur cette question en affirmant : “Même sur Alitalia, le gouvernement perd du temps et met en danger une entreprise stratégique pour le pays et l’avenir de 10 000 travailleurs”. (Source : ANSA.it)
2 Le mouvement est né avec la protestation de la Piazza Maggiore contre Matteo Salvini, qui a lancé la campagne électorale légaliste en vue des élections régionales en Émilie-Romagne.
Le Soudan est un pays ruiné par plus de 40 ans de guerres civiles dans lesquelles les grandes puissances impérialistes s’impliquent en permanence. Les différents conflits armés ont causé plus de 2 millions de morts (au Sud-Soudan et au Darfour) et provoqué misère et chaos sanglant, d’où réguliérement des révoltes et des émeutes de la faim contre les régimes militaires et islamistes qui se succèdent depuis “l’indépendance”.
À partir décembre 2018, le Soudan a était secoué par un puissant mouvement social avec des grèves et des manifestations massives que le pouvoir islamo-militaire a violemment réprimé, causant des centaines de morts, des milliers de prisonniers et de disparus. Le mouvement était au départ spontané avec la présence massive d’ouvriers et de personnes misérables : “Les gens veulent du pain (dont le prix a été multiplié par trois le 18 décembre), de l’essence, du “cash”, des médicaments. (…) Tant que la petite bourgeoisie qui ne s’intéressait pas à la politique pouvait prospérer ou du moins survivre, alors les frustrations des plus pauvres de la société ne pouvaient pas suffire à déclencher un grand mouvement de protestation. Mais la paralysie économique a obligé les cols blancs à frayer avec les ouvriers dans les files d’attente pour l’approvisionnement alimentaire” (1). En effet, des grèves massives à répétition ont éclaté, paralysant même à plusieurs reprises les rouages de l’économie et de l’administration, au point de pousser l’institution militaire et étatique à évincer son grand chef, Omar Al Bachir, en tentant ainsi d’amadouer “la rue”. Au départ, il s’agissait d’un mouvement emmené initié par la classe ouvrière qui, importante numériquement dans un pays où le secteur pétrolier représente une part significative de l’économie, est descendue dans la rue contre la dégradation des conditions de vie.
Cependant, une partie de la bourgeoisie a très rapidement su exploiter les faiblesses de ce mouvement. Dans un pays où le prolétariat reste très isolé, peu expérimenté et peu aguerri aux pièges qui lui sont tendus, la bourgeoisie n’a pas eu de difficulté à détourner ce mouvement sur le terrain des règlements de comptes entre factions en lutte pour la direction de l’État. Les forces “démocratiques” autour de l’Association des professionnels du Soudan (APS) ont ainsi canalisé et encadré le mouvement en appelant de leurs vœux “le transfert du pouvoir à un gouvernement civil de transition dans lequel l’armée participe”. Ce mouvement social s’est rapidement trouvé entre les mains des organisations bourgeoises dont le but premier est l’instauration d’un “gouvernement démocratique” en vue de gérer plus efficacement le capital national. “En octobre 2016, un noyau s’est formé à partir du groupement de trois entités : le Comité central des médecins, le Réseau de journalistes et l’Alliance démocratique des avocats. Progressivement, des comités d’ingénieurs, des pharmaciens ou encore de professeurs ont rejoint l’APS. Fin 2018, l’APS affiche l’union de quinze corps de métier qui soutiennent les manifestants descendus dans la rue le 19 décembre pour protester contre la cherté de la vie, au lendemain d’une décision faisant tripler le prix du pain. Rapidement, les revendications liées à la crise économique et à la baisse du pouvoir d’achat ont évolué pour réclamer la chute du régime” (2). Cette association a d’ailleurs entrepris de fédérer tous les partis d’opposition dans une coalition allant du Parti républicain aux staliniens en passant par les opposants islamistes et certains groupes armés.
Le mouvement social est ainsi devenu l’expression ouverte d’une orientation purement étatique et bourgeoise dont la classe ouvrière n’a pas tardé à faire les frais. En août dernier, un gouvernement technocrate de “transition” a été nommé sous l’égide d’un organe exécutif composé de six civils et de cinq militaires. Quand on sait que les chefs de l’armée qui avaient mené la sanglante répression contre les manifestants (entre 180 et 250 morts en moins de six mois) ont gardé les mêmes postes répressifs (défense et intérieur) dans ce nouveau gouvernement de “transition”, il n’y a décidément aucune illusion à se faire sur la fin de la misère et des tueries que subissent la classe ouvrière et les couches opprimées.
Quant à l’hypocrite concert d’applaudissements des médias et de de tous les grands requins qui ont salué le soi-disant "changement de régime », à l’instar de Macron qui s’est empressé d’annoncer à l’issue de la rencontre avec le nouveau président Abdalla Hamdok le 30 septembre dernier un « soutien inconditionnel à la transition démocratique », il ne doit pas davantage duper sur l’avenir de misère et de nouveaux massacres réservés aux populations.
D’ailleurs, Par ailleurs ce pays est sous influence de bon nombre de puissances impérialistes (notamment du Golfe) dont dépend le pouvoir soudanais pour sa survie : “Au Soudan, le chef du Conseil militaire de transition (CMT) a reçu le “feu vert” de l’Arabie Saoudite et de ses alliés régionaux pour lancer la répression contre les manifestants qui campaient depuis des semaines (le 6 avril) devant le siège de l’armée à Khartoum, souligne un expert militaire soudanais. D’après ce spécialiste qui tient à garder l’anonymat, la destruction (lundi 3 juin) du campement des manifestants avait fait l’objet de discussions lors de récentes visites du général Abdel Fattah Al Bourhan, chef du CMT, en Arabie Saoudite, aux Emirats arabes unis et en Égypte. (Selon un analyste algéro-soudanais, le 21 avril, Ryad et Abou Dhabi ont annoncé qu’ils verseraient 3 milliards de dollars au Soudan. Ils ne l’ont pas fait sans contrepartie. Ce qu’ils attendent en retour, ce n’est pas la démocratie (…), c’est la préservation de leurs intérêts économiques” (3).
Évidemment, il n’y pas que des intérêts purement économiques qui expliquent l’intervention de l’Arabie Saoudite et des Émirats du Golfe au Soudan, mais aussi, et surtout, leur volonté de puissance hégémonique face à leurs rivaux impérialistes. Le Soudan participe directement aux tueries perpétrées au Yémen avec ses 14 000 soldats à la disposition du régime assassin saoudien. Il faut également se rappeler que ce sont les mêmes coalitions d’assassins qui s’affrontent au Soudan, en Libye ou en Syrie pour les mêmes raisons, à savoir la préservation de leurs sordides intérêts capitalistes et impérialistes.
Si la classe ouvrière existe bel et bien au Soudan, elle est cependant récente et sans expérience de lutte significative. Elle est surtout bien encadrée par les syndicats (sous contrôle du Parti communiste stalinien soudanais considéré comme le plus important du monde arabe) qui ont pu immédiatement enterrer les revendications ouvrières sur le terrain pourri de la “lutte pour la démocratie”. La prétendue “révolution soudanaise” a une nouvelle fois fait la démonstration que le développement de la conscience politique est une arme indispensable. Face aux récupérations de mouvements sociaux sur le terrain des luttes sanglantes de la bourgeoisie, la classe ouvrière ne pourra, à l’avenir, n’opposer que l’unification internationale de ses luttes en s’appuyant particulièrement sur le prolétariat des pays de l’Europe occidentale qui a la plus vieille expérience des luttes et se trouve confronté depuis des décennies aux mystifications “démocratiques” et aux pièges syndicaux les plus sophistiqués.
Amina, novembre 2019
1Courrier international (6 février 2019).
2Courrier international (24 avril 2019).
3Courrier international (9 juin 2019).
La civilisation capitaliste, ce système mondial basé sur le travail salarié et la production pour le profit, est en train d’agoniser. Tout comme la société esclavagiste de la Rome antique ou le servage féodal, elle est condamnée à disparaître. Mais contrairement aux systèmes qui l’ont précédé, elle menace d’entraîner dans sa chute l’humanité tout entière.
Depuis plus de cent ans, les symptômes de son déclin sont devenus de plus en plus évidents. Deux guerres mondiales marquées par des niveaux sans précédents de destruction, suivies par des décennies de guerres par procuration entre les deux blocs impérialistes (États-Unis et URSS), conflits qui contenaient en eux-mêmes la menace d’une troisième et ultime Guerre mondiale. Depuis que le bloc de l’Est s’est dissout en 1989, nous n’avons pas vu la paix, mais des conflits locaux et régionaux toujours plus chaotiques, comme ceux qui ravagent actuellement le Moyen-Orient. Nous sommes passés par des convulsions économiques mondiales comme celles des années 1930, 1970 ou encore celle de 2008 qui ont fait basculer des millions de personnes dans le chômage et la précarité, qui accélèrent les conflits impérialistes entre les diverses puissances capitalistes.
Quand le capitalisme réussit à redynamiser l’accumulation (que ce soit au lendemain d’une destruction massive comme en 1945 ou en s’auto-dopant par l’endettement), nous savons désormais que la croissance même et l’expansion du capital ajoute une nouvelle menace pour l’humanité à travers la destruction de la nature elle-même.
Rosa Luxemburg en 1916, en réponse aux horreurs de la Première Guerre mondiale, a mis en lumière le choix auquel l’humanité doit faire face : “ou bien le triomphe de l’impérialisme et la décadence de toute civilisation, avec pour conséquences, comme dans la Rome antique, le dépeuplement, la désolation, la dégénérescence, un grand cimetière ; ou bien la victoire du socialisme c’est-à-dire de la lutte consciente du prolétariat international contre l’impérialisme et contre sa méthode d’action : la guerre. C’est là un dilemme de l’histoire du monde, un “ou bien – ou bien” encore indécis dont les plateaux balancent devant la décision du prolétariat conscient”. (La Brochure de Junius)
Contrairement au système esclavagiste qui a finalement ouvert la voie au féodalisme, ou le féodalisme, à son tour, qui a permis au capitalisme de se développer en son sein, le système actuel dans son agonie n’engendrera pas mécaniquement une nouvelle société basée sur de nouveaux rapports sociaux. Une nouvelle société peut seulement être construite à travers la “lutte active consciente du prolétariat international”, à travers l’union de tous les exploités du monde, se reconnaissant comme une seule et même classe partageant les mêmes intérêts dans chaque partie du globe.
C’est une tâche immense, rendue encore plus difficile par la perte de l’identité de classe ces dernières décennies : ceux qui sentent qu’il y a quelque chose qui ne va pas du tout dans le système actuel, éprouvent des difficultés à accepter que la classe ouvrière existe bel et bien, sans même parler de l’oubli qu’elle seule détient la capacité de changer le monde.
Pourtant la révolution prolétarienne demeure le seul espoir pour la planète car elle signifie la fin de toutes les sociétés dans lesquelles l’humanité est dominée par des forces économiques aveugles, l’avènement de la première société dans laquelle toute la production est consciemment planifiée pour satisfaire les besoins de l’humanité dans son interaction avec la nature. Cela est basé sur la possibilité et la nécessité pour les êtres humains de prendre en main leur vie sociale.
C’est la raison pour laquelle nous devons nous opposer aux slogans et aux méthodes de ceux qui organisent les protestations actuelles pour le climat, nous exhortant à exercer nos droits démocratiques pour manifester ou voter afin d’exercer une pression sur les gouvernements et les partis politiques pour les contraindre à réagir face à la crise écologique. C’est une duperie parce que le rôle de tous ces gouvernements et partis (qu’ils soient de droite ou de gauche) est de gérer et défendre le système même qui est à la racine des multiples dangers auxquels fait face la planète.
Les choix que nous offrent les politiciens de tous bords sont de faux choix. Une Grande-Bretagne en dehors de l’UE ou une Grande-Bretagne qui resterait dans l’UE ne protégera pas la classe ouvrière des tempêtes qui planent sur l’économie mondiale. Une Amérique gouvernée selon le slogan agressif “America First” de Trump ou par des politiques “multilatérales” plus traditionnelles menées par d’autres factions, sera toujours une puissance impérialiste obligée de défendre son statut contre d’autres puissances impérialistes. Des gouvernements qui nient la réalité du changement climatique ou des gouvernements qui parlent d’investir dans un “New Deal Vert” seront toujours obligés de maintenir une économie nationale rentable et par conséquent, seront obligés d’effectuer des attaques incessantes contre la classe ouvrière. Ils seront toujours pris dans la même spirale de l’accumulation, laquelle est en train de transformer la Terre en un désert.
Mais, nous dit-on, nous pouvons au moins voter pour une équipe différente et, dans les pays où ce “droit” même est dénié, nous pouvons exiger qu’on nous l’octroie.
En fait, l’illusion selon laquelle nous pourions avoir le contrôle sur la force destructrice du capitalisme en allant voter à intervalles réguliers fait partie intégrante de cette grande escroquerie qu’est la démocratie capitaliste. Le vote, l’isoloir, ne nous retient pas seulement prisonniers des fausses alternatives que l’on nous offre, il est aussi l’expression de notre impuissance, nous réduisant à des individus atomisés, des “citoyens” de tel ou tel État.
La lutte de classe du prolétariat a montré la véritable alternative à cette impuissance institutionnalisée. En 1917-19, la classe ouvrière s’est révoltée contre le carnage de la guerre, en formant des conseils ouvriers en Russie, en Allemagne, en Hongrie et dans d’autres pays, des conseils de délégués élus et révocables sur leurs lieux de travail ainsi que d’autres assemblées ouvertes à tous qui, pour la première fois, contenaient la potentialité d’un contrôle conscient de la vie politique et sociale. Ce soulèvement international massif a mis fin à la guerre, alors que, de leur côté, les dirigeants des camps belligérants ont uni leurs forces pour écraser la menace de la révolution.
L’humanité a chèrement payé la défaite qui s’en suivit : toute la barbarie des cent dernières années prend sa source dans l’échec de la première tentative de renversement du capital mondial. Ce coût sera encore plus lourd si la classe ouvrière ne récupère pas ses forces et n’effectue pas de nouvelle tentative pour partir à l’assaut du ciel.
Cela peut sembler une perspective lointaine mais, tant que le capitalisme existera, la lutte des classes continuera. Parce que le capitalisme, dans son agonie, n’a pas d’autre choix que d’accroître l’exploitation et la répression de ses esclaves salariés, le potentiel demeure pour ses derniers de passer de la défensive à l’offensive, de la défense de ses intérêts économiques à l’action directement politique, de la révolte instinctive au renversement organisé du capitalisme.
CCI, 16 novembre 2019.
Les campagnes médiatiques sur le changement climatique opposent souvent l’urgente nécessité de stopper l’émission des gaz à effet de serre aux intérêts particuliers des travailleurs, voire aux “personnes les moins éduquées”. En France, ces campagnes se sont particulièrement développées lorsque les “gilets jaunes” protestaient au départ contre la taxe carbone qui rend les coûts de l’essence prohibitifs là où il n’y a pas de transports publics adéquats ou aux États-Unis contre le slogan “Trump aime le charbon et travaille pour lui !”, quand le président américain prétendait défendre l’industrie du charbon et les travailleurs qui en dépendent. La campagne pour un New Deal Vert (appelé aussi : révolution industrielle verte) prétend résoudre tout à la fois les problèmes du changement climatique, du chômage et des inégalités. Par exemple : “Le New Deal Vert défendu par les activistes du mouvement Sunrise éliminerait, en 10 ans, les gaz à effet de serre issus de la production d’électricité, du transport, de l’industrie, de l’agriculture et d’autres secteurs. Il viserait également une production d’énergie 100 % renouvelable et incluerait un programme de garantie d’emploi pour “assurer un travail avec un salaire décent à toute personne le désirant”. Il viserait à “atténuer les inégalités de revenus et de richesses principalement fondées sur l’appartenance raciale, régionale et sexuelle”.” (1)
La nécessité de remédier à l’effet destructeur du capitalisme sur la nature, en particulier au danger avec lequel les gaz à effet de serre modifient le climat, est indéniable. Tout comme l’augmentation de l’inégalité intrinsèque au capitalisme et le fait que les économistes indiquent déjà que la hausse de l’endettement ainsi que l’intensification de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine sont des signes annonciateurs d’une nouvelle récession. Tout cela ferait apparaître la prétendue solution du New Deal Vert comme une sorte d’évidence.
Ceux qui mettent en garde contre les arnaques disent souvent que si une proposition semble trop belle pour être vraie, c’est qu’elle cache probablement un piège. C’est pourquoi il faut examiner de plus près le New Deal Vert : d’abord du point de vue de sa référence directe aux mesures capitalistes d’État du New Deal de Roosevelt dans les années 1930. Ensuite, nous verrons l’incapacité de l’État-nation capitaliste à résoudre un problème global, en considérant les conséquences d’une telle politique pour l’environnement. Plus important encore, il s’agira de montrer que cette politique sert en fait à masquer la véritable nature du capitalisme et a pour fonction de saper le développement de la conscience et de la lutte du prolétariat.
Le New Deal Vert trouve son inspiration dans la politique capitaliste d’État menée dans les années 1930 afin de relancer la croissance suite à la Grande dépression. (2) Le New Deal s’est lui-même inspiré de la prise de contrôle par l’État de l’économie durant la Grande Guerre en 1917-18 : tout en réalisant des investissements dans des infrastructures indispensables, l’Administration des Travaux Publics (PWA) a “construit de nombreux navires de guerre dont deux porte-avions ; l’argent provenait de l’Agence de la PWA. L’Administration des Travaux Publics a également construit des avions de guerre alors que la WPA (Work Projects Administration) construisait des bases militaires et des terrains d’aviation”.3 En cela, il n’était pas différent des politiques en vigueur à cette époque en Allemagne, quand de nombreuses autoroutes étaient construites en préparation de la guerre à venir.
Le changement climatique est un problème global et il ne peut pas être traité nation par nation et pourtant le New Deal Vert propose justement ceci : “Un New Deal Vert pour le Royaume-Uni…”, “L’Écosse occupe une place unique, au vu de son abondance en ressources renouvelables…” (4), “visant à éliminer pratiquement la pollution des gaz à effet de serre aux États-Unis…” (5) Ceci est un non-sens : même la mesure de la production de gaz à effets de serre est frauduleuse ; par exemple, 40 % de la consommation par le Royaume-Uni de marchandises dont la production émet des gaz à effet de serre n’apparaissent pas dans les chiffres nationaux du fait qu’elles sont importées. Le capitalisme pollue la planète entière et cela s’étend jusqu’au plus profond des océans et même dans les parties les plus reculées de l’Arctique.
Les idées simplistes d’une nouvelle croissance basée sur l’énergie verte semblent promettre un soutien à l’économie en s’appuyant sur l’augmentation des dépenses publiques mais elles ne sont fondées sur aucune véritable considération globale des effets de la destruction environnementale et sur les gaz à effet de serre qu’elles provoqueront. Passer aux énergies renouvelables requiert de grandes quantités de métaux de terres rares, dont l’extraction minière produirait une gigantesque pollution en Chine, pays dans lequel 70 % de ces métaux sont extraits. La production du lithium dans le désert d’Atacama au Chili a déjà détruit les lacs d’eau salée nécessaires aux flamants roses et a accaparé toutes les réserves d’eau douce, détruisant l’agriculture de la région. Pendant ce temps, deux firmes, Albemarle et SQM s’accusent mutuellement de bafouer la réglementation. Le cobalt doit maintenant être extrait du sol océanique, sans tenir compte de l’impact écologique (que l’on connaît très mal) que cela aura sur une partie du monde. Comme cela est nécessaire pour le développement des énergies renouvelables, c’est supposé être une “solution pour sauver la planète”. Si nous devons acheter de nouvelles voitures électriques, cela va sans nul doute soutenir l’industrie automobile mais qui a comptabilisé les émissions de gaz à effet de serre découlant d’une telle production ?
Pour comprendre comment la civilisation capitaliste peut-être aussi prédatrice avec le monde dont nous dépendons tous, il est nécessaire de saisir la nature du capitalisme lui-même.
Le Green New Deal promet de surmonter la destruction de l’environnement par le capitalisme, en particulier le changement climatique, par le biais de l’État bourgeois, mais cela n’est pas possible. Le capitalisme n’est pas lié à telle ou telle gestion politique gouvernementale dont les diverses lois pourraient être choisies ou modifiées au gré d’un vote parlementaire ; il est le résultat des contradictions historiques entre le développement des forces productives et les rapports sociaux de production. Un pas important à cet égard fût la séparation des producteurs de leurs moyens de productions, par exemple lorsque les paysans furent chassés de leurs terres pour être remplacés par des moutons pour les besoins de la plus lucrative industrie de la laine.
Cela a créé un système de production généralisée de marchandises, de production pour le marché. À la place des paysans qui pouvaient produire presque tout ce dont ils avaient besoin à partir de la terre, il y avait des travailleurs salariés qui ne pouvaient faire autrement que tout acheter. Les capitalistes pour lesquels ils travaillent (que ce soit un entrepreneur individuel, une compagnie, une multinationale ou une industrie d’État) sont en compétition pour vendre à profit. Le New Deal Vert ne peut changer en rien la façon dont le capitalisme fonctionne.
Le Capital offre une certaine ressemblance avec la légende du roi Midas : tout ce qu’il produit doit se transformer en profit pour que le business survive, tout étant calculé pour rapporter plus, peu importe ce qui est produit. Mais pour le Capital, les ressources naturelles sont un cadeau, comme Marx l’a démontré : “Les éléments naturels jouant un rôle actif dans la production sans rien coûter (quel que ce soit ce rôle) n’y entrent pas comme composantes du capital, mais comme une ressource naturelle offerte gratuitement au capital, c’est-à-dire comme une force productive offerte par la nature au travail mais qui, sur la base de l’économie capitaliste, se présente, ainsi que toute autre force productive, comme productivité du capital”. (6) Dans le capitalisme, ce qui ne coûte rien n’a pas de valeur d’échange et peut donc être utilisé et pillé à volonté. Dans cette perspective, une forêt tropicale irremplaçable n’a aucune valeur. Un fermier qui abat les arbres d’une forêt tropicale pour produire de l’huile de palme, du soja ou tout autre culture est obligé de le faire parce qu’il peut gagner plus d’argent de cette manière, voire parce que c’est l’unique façon pour lui d’avoir juste de quoi vivre. Dans le capitalisme, la question d’une activité économique servant les besoins de la nature et de l’humanité ne peut pas être posée, sauf si elle est source de profit.
Au XIXe siècle, lorsque le capital a étendu sa domination sur l’ensemble du globe, il polluait et détruisait déjà la nature. La pollution issue de l’exploitation minière et de l’industrie est un fait bien connu, tout comme celui des eaux usées s’écoulant des grandes villes. L’effet sur le sol l’est bien moins. “Dans l’agriculture moderne, de même que dans l’industrie des villes, l’accroissement de productivité et le rendement supérieur du travail s’achètent au prix de la destruction et du tarissement de la force de travail. En outre, chaque progrès de l’agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l’art d’exploiter le travailleur mais encore dans l’art de dépouiller le sol ; chaque progrès dans l’art d’accroître sa fertilité pour un temps, un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité. Plus un pays (…) se développe sur la base de la grande industrie plus ce procès de destruction s’accomplit rapidement. La production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du procès de production sociale qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur”. (7) Ce que Marx a démontré pour le XIXe siècle n’a fait qu’empirer. À la fin de ce même siècle, Kautsky pouvait écrire : “Les engrais permettent d’éviter la diminution de la fertilité des sols mais la nécessité de l’utiliser en quantités toujours plus grandes ne fait qu’ajouter un fardeau supplémentaire à l’agriculture ; fardeau non pas imposé inévitablement par la nature mais qui est le résultat direct de l’organisation sociale actuelle. En dépassant l’antithèse entre la ville et la campagne (…) la production pourrait revenir à la normale”. (8) Depuis, l’agriculture, tout comme l’industrie, s’est énormément développée, ses rendements et sa productivité ont augmenté sur une très grande échelle et les engrais nécessaires pour les maintenir sont devenus une véritable menace pour le sol et les cours d’eau.
Aussi polluant, meurtrier et exploiteur qu’ait été le capitalisme alors qu’il s’étendait à travers le monde, la période qui s’est écoulée depuis la Première Guerre mondiale a été marquée par une spirale de destruction de la nature et de la vie humaine. La Première Guerre mondiale fut suivie par la Seconde et des conflits locaux soutenus par de plus grandes puissances impérialistes se sont multipliés depuis.
Les capitalistes et les États ont été contraints à une concurrence économique et militaire encore plus féroce. La destruction de l’environnement a atteint alors de nouveaux seuils. Les entreprises capitalistes, qu’elles soient privées ou publiques, ont augmenté la pollution et le pillage des ressources de la planète à des niveaux sans précédents. Ce à quoi il faut ajouter la pollution et la destruction occasionnées par le secteur militaire et les guerres. (9)
Les menaces qui pèsent sur l’environnement, sur le climat, en un mot : sur la nature, ne peuvent être surmontées sans le renversement du capitalisme. Le New Deal Vert ne sera pas plus efficace pour les enrayer que les droits d’émission qui tentaient de limiter les émissions de gaz à effet de serre par des mécanismes de marché. Pire encore, en fournissant une fausse “solution”, il peut que répandre davantage d’illusions au sein de la classe ouvrière, prolongeant par conséquent la vie de ce système et faisant augmenter le danger qu’il ne sombre dans une barbarie et une destruction environnementale irréversibles.
Alex
1 “What is the Green New Deal and is it technically possible ? [7]”, The Guardian (29 décembre 2018).
2 Voir : “90 ans après la crise de 1929, le capitalisme en décadence peine de plus en plus à endiguer la surproduction [8]”, Révolution Internationale n° 479 (nov.-déc. 2019).
3 Source Wikipedia
5 “What is the Green New Deal and is it technically possible ? [7]”, The Guardian (29 décembre 2018).
6 Marx, Le Capital, Livre III.
7 Marx, Le Capital Livre I.
8 Kautsky, La Question Agraire, cité dans le livre de John Bellamy : Marx écologiste.
9 Voir : “Ecological disaster : the poison of militarism [10]”, World Revolution n° 384 (Automne 2019).
Le 20 juillet 1969, deux hommes marchaient pour la première fois sur la Lune. Cet exploit concrétisait un des rêves les plus audacieux de l’humanité, un dessein sans égal déjà imaginé par Lucien de Samosate, au IIᵉ siècle, par le poète Cyrano de Bergerac, plus tard, ou encore par Jules Verne. Mais avec le capitalisme, tout exploit, toute conquête a son revers. La mission Apollo 11 charriait dans son sillage un esprit de compétition et une mentalité belliqueuse qui, à l’échelle des États, se nommaient : impérialisme et “suprématie spatiale”. La militarisation de l’espace est une vieille obsession des grandes puissances. La course à l’espace fut, en effet, un enjeu crucial de la guerre froide entre Américains et Russes. Il fallait arriver sur la Lune les premiers et, si possible, les seuls (1).
Ces programmes spatiaux avaient d’abord une utilité propagandiste : l’envoi du premier Spoutnik puis du premier homme dans l’espace, ont donné lieu à une communication triomphaliste de l’État soviétique. On peut du reste continuer à voir en Russie les restes du véritable culte voué à Youri Gagarine depuis son voyage autour de la Terre (2). L’envoi des trois astronautes d’Apollo 11 sur la Lune a évidemment été présenté comme le succès de l’avance technologique américaine.
Mais derrière la propagande, ces programmes spatiaux avaient une dimension militariste bien concrète. Le fait que tous les hommes destinés à partir dans l’espace étaient au départ des militaires (le premier civil à poser le pied sur la Lune sera Harrison Schmitt, en 1972… lors de l’ultime mission Apollo), la technologie des fusées utilisées aussi bien par les Américains que par les Russes était initialement celle des missiles intercontinentaux. La NASA fit appel à Wernher von Braun, que les Américains avaient débauché au Troisième Reich en 1945 suite au succès de sa V2 (3), pour concevoir la fusée américaine Saturn V utilisée pour aller sur la Lune. Les lanceurs soviétiques étaient également des copies peu à peu améliorées des V2 allemands. Le R-7, qui a placé Spoutnik 1 en orbite, n’était d’ailleurs rien d’autre qu’un missile intercontinental. Quant aux européennes, Anglais et Français ont aussi profité de la technologie allemande en procédant à des lancements de V2, puis, en ce qui concerne la France, au développement, sur cette base, de son propre lanceur, aboutissant à l’actuel : programme Ariane. Les États soviétique et américain ont donc d’abord construit des missiles permettant d’emporter des charges nucléaires avant de s’intéresser à l’exploration spatiale, rendue possible par l’existence des premiers.
D’ailleurs, les premiers satellites envoyés dans l’espace avaient une visée strictement militaire : les 144 satellites du programme américain Corona, débuté en 1959, avaient pour unique but d’espionner l’ennemi. En 1962, les États-Unis réalisent un premier essai nucléaire à 400 km d’altitude (Starfish Prime) tandis que les Russes, à partir de 1968, développeront leurs “satellites kamikazes” pour tenter d’éliminer les satellites espions américains. L’URSS réussira même à mettre en orbite deux stations spatiales secrètement armées de canons automatiques (Saliout 3 en 1974 et Saliout 5 en 1976).
Lors de la présidence Reagan, l’armée américaine promut “l’Initiative de Défense Stratégique” popularisée sous le nom de Star Wars. Le but de ce programme militaire était de pouvoir intercepter des missiles balistiques dont la trajectoire (comme le V2) sort de l’atmosphère terrestre. Des armes bien réelles ont ainsi été développées à cette époque, comme le missile anti-satellite ASM-135 ou le système antimissile Patriot, déployé notamment pendant la guerre du Golfe. Si l’URSS a tenté de suivre, elle a très vite renoncé, tant les moyens mis en place par les Américains étaient énormes : douze milliards de dollars sur cinq ans ont permis de faire travailler jusqu’à 30 000 scientifiques sur ces projets. L’avance technologique qui en a résulté a permis aux États-Unis de dominer de façon outrancière leurs rivaux impérialistes dans le domaine spatial. L’effort fourni à cette occasion par l’URSS n’a pas été pour rien dans sa ruine, ce qui a abouti à son effondrement économique et politique en 1990.
Aujourd’hui, divers signaux montrent que les principales puissances impérialistes s’intéressent de plus en plus à l’espace comme champs de bataille possible dans l’affrontement qui les oppose. On pourrait n’y voir qu’un simple enjeu technologique et scientifique, mais les acteurs de cette course, quand ils en parlent ouvertement, voient les choses beaucoup plus “stratégiquement” : “Et face aux querelles incessantes qui règnent dans le spatial européen et français, Tomasz Husak (…) a estimé que “vu les enjeux stratégiques, nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir des divisions”. À bon entendeur… D’autant que les États-Unis et la Chine, au-delà des questions de souveraineté, participent à une véritable guerre commerciale en développant leurs capacités spatiales (lanceurs, applications…). L’Union européenne en a bien pris conscience en pariant fortement sur le spatial, avec un budget en hausse constante : cinq milliards d’euros en 2007, puis treize milliards en 2018 et enfin seize milliards en 2027”. (4)
Aujourd’hui, en plus des Russes, des Américains et des Européens, il y a d’autres acteurs nouvellement arrivés dans la compétition spatiale : l’Inde et la Chine ont montré leurs ambitions dans ce domaine… en démontrant leur capacité à détruire un satellite en orbite. En lançant un satellite capable de changer d’orbite pour se rapprocher d’autres satellites, la Russie a suffisamment inquiété certains autres États pour qu’ils réagissent, comme l’a fait la France en se dotant d’un commandement spatial autonome [11], dont le but avoué est de protéger les satellites tricolores : “On s’est aperçus, avec cette intrusion, qu’on était vulnérables, résume Stéphane Mazouffre. Et c’est d’autant plus vrai que l’Europe n’a pas développé de système de destruction de satellite depuis le sol. En mars 2019, c’est l’Inde qui est devenu le quatrième pays [12] à détruire, par missile, un de ses satellites en orbite basse”. (5)
Le général Friedling, qui dirige le commandement français interarmées de l’espace, a bien précisé lors d’une interview qu’il n’est pas illégal d’installer des armes dans l’espace “à des fins non-agressives” (6). Quand on sait que les États les plus développés dépendent pour 6 ou 7 % de leur PIB de la technologie de positionnement satellitaire américaine GPS, on comprend quel intérêt il y a pour eux à protéger leurs satellites et leurs communications spatiales !
Évidemment, quand la bourgeoisie développe une stratégie ouvertement agressive, surtout dans un domaine spatial qui n’apparaît pas stratégique au premier abord, elle développe aussi toute une propagande pour le masquer. En France, tel a été le rôle, conscient ou pas, du spationaute Thomas Pesquet, qui a servi de tête de gondole à toute une propagande étatique montrant le côté le plus “pacifique” de l’activité spatiale des grandes nations. Outre le fait que l’équipage de la Station spatiale internationale (ISS) a toujours été très international, les liaisons avec les écoles, les expériences scientifiques en direct et les nombreuses photos de la Terre prises par Thomas Pesquet ont donné une image très “pacifique” et “désintéressée” de l’activité spatiale actuelle. (7) L’implication du président Macron et l’accueil officiel qu’il a reçu lors de son retour illustrent néanmoins toute l’opération de communication de l’État derrière cet épisode. L’exploration de la Lune et de Mars pose beaucoup d’enjeux purement scientifiques, mais aussi des questions nettement plus prosaïques, notamment celle de la propriété du sol et des ressources que l’on pourrait éventuellement extraire des sols lunaire et martien.
On a vu depuis les années 2000 fleurir les projets plus ou moins fantaisistes de “tourisme de l’espace”, ainsi que d’exploitation pure et simple des ressources minières des astéroïdes, voire de la Lune et de Mars. Divers pays se sont même dotés, à tout hasard, d’une législation propre sur la propriété des objets célestes (8). Le but est d’établir un support juridique à l’éventuelle prospection minière dans l’espace. Un certain nombre d’entreprises et de milliardaires comme Richard Branson se sont proclamés intéressés par ces opportunités et par la création d’un tourisme spatial, mais un certain nombre d’éléments montrent qu’il ne s’agit en réalité que d’un mirage. La société Virgin Galactic, dont la fondation date quand même de 2004, est toujours incapable de réaliser concrètement ce pour quoi elle a été créée, à savoir envoyer des “touristes” en orbite terrestre. Si la création d’un “avion orbital” capable de suivre une trajectoire sortant de l’attraction terrestre est possible, expédier des touristes sur la Lune est une toute autre histoire : même la future fusée de la NASA ne pourra pas emporter plus de quatre passagers ! Pourtant, spatialement parlant, la Lune, ça n’est pas loin ! En fait, techniquement, rien n’est prêt.
Si un “tourisme spatial” apparaît chimérique, que dire d’une exploitation des ressources minières de l’espace ? Pour exploiter de chimériques ressources naturelles spatiales, il faudrait expédier des ouvriers en nombre dans l’espace, avec un matériel particulièrement sophistiqué et donc coûteux. La rentabilité d’une telle opération apparaît par conséquent totalement illusoire, d’autant que techniquement tout reste à inventer. Ce n’est de toute façon pas cette activité qui peut régler les problèmes du capitalisme : ce qui manque, ce ne sont pas les matières premières, mais les clients !
Enfin, un récent rapport indépendant, publié en février 2019, a conclu que dans les conditions actuelles, il n’y a ni but précis, ni capacité technique, ni financement prévu pour envoyer des hommes sur Mars d’ici… 2033 ! “Nous constatons que, même sans contraintes budgétaires, une mission orbitale Mars 2033 ne peut être planifiée de façon réaliste dans le cadre des plans actuels et théoriques de la NASA”(9). Quand on sait que ledit rapport chiffre à 217 milliards au bas mot le coût d’un programme spatial vers Mars, on comprend l’ampleur de l’effort demandé à l’économie américaine alors que les perspectives économiques mondiales s’assombrissent de jour en jour. Quant à la raison qui pousserait effectivement l’agence spatiale américaine à planifier une expédition martienne, le rapport conclut… qu’il n’y en a pas !
Il est du reste cocasse de constater que les problèmes de coûts n’épargnent aucunement l’industrie spatiale “pacifique” : le budget de la NASA, qui représentait 4,5 % du PIB américain en 1966, n’en représente plus que 0,5 %. L’Inde a lancé en septembre dernier un atterrisseur lunaire dont la principale caractéristique était son bas coût (six fois inférieur à un programme identique développé par la Chine). L’échec de l’alunissage, précédé par un nombre impressionnant de reports de lancement [13] dus à divers incidents, montre que faire beaucoup avec trop peu n’est pas vraiment une stratégie payante dans l’espace… Loin de doper l’économie, ces projets non seulement coûteraient une fortune sans rien rapporter, mais ils sont d’ores et déjà soumis au “low cost” qui gangrène toute l’économie capitaliste.
De tout cela, nous ne pouvons conclure qu’une chose : les perspectives scientifiques et “pacifiques” que les États développés nous font miroiter pour la conquête du système solaire ne sont que propagande ! Ce qui est par contre bien réel et mis en perspective, c’est tout l’intérêt de disposer d’un dispositif de satellites militaires dans le cadre d’un affrontement impérialiste.
De fait, l’espace est un enjeu essentiellement militaire et stratégique : espionnage, télécommunications, repérage GPS, communications militaires, tout concours à faire de l’espace le champ très actuel des opérations stratégiques des grands impérialismes. “L’espace est déjà militarisé, prévient Stéphane Mazouffre, directeur de recherche au laboratoire Icare du CNRS, à Orléans-La Source. Tous les pays ont des satellites espions, des satellites de télécommunication dédiés au militaire, qui utilise aussi les systèmes GPS… Un satellite en lui-même, c’est une arme. Pourquoi ? Pourquoi ? Parce que s’il peut se déplacer, il suffit de le rapprocher d’un satellite ennemi pour perturber l’orbite de ce dernier et le rendre inopérant. Le simple fait de pouvoir amener un satellite près d’un autre peut être considéré comme une possibilité d’attaque” (10). Tout le positionnement d’une armée, du simple soldat jusqu’aux bombardiers stratégiques, dépend du système GPS ou de son concurrent européen Galileo. Toutes les communications sécurisées passent par des satellites qu’il faut par conséquent protéger, au risque de se retrouver totalement désarmé face à l’adversaire. On comprend donc dans cette optique pourquoi tous les grands États se dotent d’une organisation militaire spécifiquement spatiale dotée d’un budget propre. L’effondrement de la politique de blocs et le développement du « chacun pour soi » ont largement favorisé le fait que de nouveaux acteurs cherchent constamment à mettre le pied dans ce domaine vital pour leurs propres ambitions impérialistes. Ces intentions sont très claires côté français qui bénéficie d’une expérience plus ancienne11: “La loi de programmation militaire française (LPM) 2019-2025 prévoit un budget de 3,6 milliards d’euros pour le spatial de défense. Il doit notamment permettre de financer le renouvellement des satellites français d’observation CSO et de communication (Syracuse), de lancer en orbite trois satellites d’écoute électromagnétique (Ceres) et de moderniser le radar de surveillance spatiale Graves”. (12)
Comme on le voit, et malgré les déclarations d’intention lénifiantes, l’espace est depuis longtemps le champ des rivalités entre grands requins impérialistes et il est aujourd’hui plus que jamais un élément-clé de l’affirmation de leur puissance militaire. Au-delà même des visées économiques étalées par la propagande bourgeoise et par certains opérateurs privés (tourisme spatial, extraction de minéraux sur des astéroïdes, exploration planétaire, retour pérenne sur la Lune), qui constituent en elles-mêmes une composante de l’impérialisme, il fait aussi l’objet d’une intense bataille pour la protection de l’avance technologique des grandes puissances vis-à-vis d’éventuels nouveaux concurrents. Mais par dessus tout cela, l’enjeu réel de la militarisation de l’espace ne peut être que la préparation de futurs conflits.
“Le capitalisme porte la guerre comme la nuée porte l’orage”, disait Jaurès. Il ne pouvait pas imaginer que le capital, loin de se contenter de la terre et du ciel, irait un siècle plus tard porter la guerre et le militarisme encore plus haut que les nuages, et que la nécessité de détruire ce système pour arrêter cette militarisation de l’univers ne s’en trouverait que plus urgente.
H. D. ,10 février 2020
1 Cf. “Apollo 11 et la conquête de l’espace : une aventure sans lendemain [14]”, Revue Internationale n° 139 (4ᵉ trimestre 2009).
2 Le culte voué à Gagarine par le complexe militaro-spatial russe est d’ailleurs moqué dans la bande dessinée de Marion Montaigne publiée en 2017 : Dans la combi de Thomas Pesquet, elle-même vouée, même si humoristiquement, à la personnalité du dernier spationaute français…
3 La V2 était un missile développé par l’Allemagne nazie durant la Seconde Guerre mondiale. L’avantage recherché par l’Allemagne lors de la création du V2 était le fait que ce missile sortait de la stratosphère au cours de sa trajectoire, ce qui rendait son interception impossible.
4 “L’espace, un enjeu stratégique et vital pour la compétitivité de l’Union européenne [15]”, La Tribune (27 juin 2018).
5 “Militarisation de l’espace : Un satellite, en lui-même, c’est une arme [16]”, France 3 Centre-Val de Loire (26 juillet 2019).
6 “La France pourrait envoyer des armes dans l’espace [17]”, Le Point (18 mars 2019).
7 C’est d’ailleurs ce qui est très explicitement développé dans la bande dessinée : Dans la combi de Thomas Pesquet, qui retrace tout son périple spatial.
8 Les États-Unis en 2015, le… Luxembourg en 2017 !
9 Cité par : “Independent report concludes 2033 human Mars mission is not feasible [18]”, Spacenews (18 avril 2019).
10 “Militarisation de l’espace : Un satellite, en lui-même, c’est une arme [16]”, France 3 Centre-Val de Loire (26 juillet 2019).
11 Depuis la politique gaulienne « d’auto-détermination » en matière de « force de dissuasion nucléaire » parallèle mais aussi en marge de l’OTAN. La creation du Centre National d’Etudes Spatiale (CNES) en 1961 en est illustration et, même si celui-ci s’est ensuite intégré dans un cadre européen dans les années 1970, la France est restée le membre le plus actif de l’Agence spatiale européenne.
12 “La France passe à l’offensive dans l’espace [11]”, Le Figaro (14 juillet 2019).
Links
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/tract4fevrier2020reformedesretraites.pdf
[2] https://fr.internationalism.org/en/tag/situations-territoriales/lutte-classe-france
[3] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/42/italie
[4] https://fr.internationalism.org/en/tag/4/491/populisme
[5] https://fr.internationalism.org/en/tag/geographique/afrique
[6] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/ecologie
[7] https://www.theguardian.com/environment/2018/dec/29/green-new-deal-plans-proposal-ocasio-cortez-sunrise-movement
[8] https://fr.internationalism.org/search/node/90%E2%80%A0%20ans%201929
[9] https://neweconomics.org/
[10] https://en.internationalism.org/content/16734/ecological-disaster-poison-militarism
[11] https://www.lefigaro.fr/international/la-france-passe-a-l-offensive-dans-l-espace-20190714
[12] https://www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/destruction-dun-satellite-par-linde-un-acte-strategique-aux-consequences-imprevisibles-1004218
[13] https://www.lemonde.fr/sciences/article/2019/09/06/suivez-en-video-l-atterrissage-de-la-mission-indienne-chandrayaan-2-sur-la-lune_5507466_1650684.html
[14] https://fr.internationalism.org/rint/2009/139/apollo-11-alunissage
[15] https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/quelle-vision-pour-l-europe-de-l-espace-783020.html
[16] https://france3-regions.francetvinfo.fr/centre-val-de-loire/loiret/orleans/militarisation-espace-satellite-lui-meme-c-est-arme-1704402.html
[17] https://www.lepoint.fr/societe/la-france-pourrait-envoyer-des-armes-dans-l-espace-18-03-2019-2302138_23.php
[18] https://spacenews.com/independent-report-concludes-2033-human-mars-mission-is-not-feasible/
[19] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/course-a-lespace
[20] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/imperialisme