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L’ancien président de la République Jacques Chirac est décédé et la classe ouvrière ne le pleurera pas. Il était prétendument un homme d’État exceptionnel qui marquera l’histoire, un homme au “charisme extraordinaire”, “proche du peuple”, “bon vivant”, “fidèle en amitié”, “défenseur de la paix” en 2002, “écolo d’avant-garde et éveilleur des consciences” en 2004. Que de mensonges ! Lui-même affirmait cyniquement en 1988 que “les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent”. Sa fidélité ne valait que pour les intérêts de sa classe, la bourgeoisie qui lui rend hommage aujourd’hui.
Pour le prolétariat, c’est une autre affaire : il a concrètement vécu dans sa chair toutes les activités de Chirac au service des intérêts bourgeois, contre les conditions de vie ouvrières, pendant plus de quarante ans. Alors oui, souvenons-nous…
40 ans d’attaques contre la classe ouvrière
Les débuts de la vie politique de Chirac heurtent d’ailleurs de plein fouet la lutte de la classe ouvrière en Mai 68. Face à une grève générale qui comptera jusqu’à 10 millions de grévistes, le pouvoir veut reprendre le contrôle des événements jugés de plus en plus dangereux. Pompidou, Premier ministre, confie le soin à son jeune secrétaire d’État à l’Emploi, Jacques Chirac, de secrètement prendre contact avec les syndicats, notamment la CGT pour négocier ce qui deviendra les Accords de Grenelle. Un journaliste (Guy Konopnicki) rapportera d’ailleurs une anecdote significative lors de la rencontre entre Jacques Chirac et Krasucki, numéro 2 de la CGT à l’époque : “Chirac faisait des bonds à chaque revendication… Dix millions de grévistes et l’envoyé du gouvernement qui s’agite sur sa chaise à chaque proposition. Il n’avait rien préparé. Pas une idée ! Il se figurait que la proclamation des Soviets était imminente, alors je lui ai dit qu’à notre avis, la prise du Palais d’hiver, ce n’était pas pour tout de suite”. La version de l’histoire est bien sûr toute autre quand Chirac prétend en 1977 que “la rencontre s’était déroulée dans une chambre de bonne, une sorte de planque clandestine”. Il se vantait même de s’y être rendu “avec un revolver dans la poche !” (sic). S’il a pu vendre un temps le journal du parti stalinien dans sa jeunesse et se donner l’illusion d’une activité sinon “prolétarienne”, du moins populaire, cela a toujours été en défense du capitalisme. Sa défense inflexible de l’État en 68 fut marquée par une détermination et une volonté de “rétablir l’ordre” le plus rapidement possible. Pompidou l’appelait d’ailleurs “mon bulldozer”.
S’il y a effectivement eu une constante chez Jacques Chirac, c’est bien pour attaquer la classe ouvrière. Après avoir gravi tous les échelons, ce “loup politique”, grand serviteur de l’État, s’est appliqué à attaquer la classe ouvrière dans la période qui s’ouvrait avec l’inflexion de la crise :
– Lors du mouvement social de 1995, un des plus massifs depuis 68 du fait d’une vaste manœuvre syndicale, Chirac fraîchement élu et son Premier ministre Juppé s’attaquent violemment aux régimes des retraites et à la sécurité sociale, signant ainsi le début d’attaques qui se poursuivent jusqu’à aujourd’hui.
– Fin 2003, après un autre mouvement social d’ampleur, Chirac inaugure une nouvelle offensive contre les chômeurs et une nouvelle aggravation des conditions de vie : pression accrue sur les salaires avec l’augmentation de la CSG, plan de démantèlement du système de protection sociale, licenciements dans le secteur privé, suppressions d’emplois dans le secteur public, etc.
– En 2006, la mobilisation massive des étudiants en France contre les attaques économiques du gouvernement voulant faire passer coûte que coûte le “Contrat première embauche” (CPE), aboutit à faire reculer le gouvernement par une lutte exemplaire.
Chirac, figure dégénérée du gaullisme
Avec cette nouvelle période, ouverte en 68 et la réapparition de la crise économique, la bourgeoisie française est consciente qu’elle doit se débarrasser de certains héritages archaïques du gaullisme et de son fonctionnement rigide, trop pyramidal. De plus, de façon chronique, la droite gaulliste, au lieu d’être le levier d’une politique cohérente au service des besoins supérieurs du capital français, s’avère n’être qu’un panier de crabes, de clans qui s’entre-déchirent, pire, un ramassis d’ambitions personnelles, où chaque chef de bande veut être calife à la place du calife. Chirac en est l’expression la plus aboutie ! Saboteur, traître à ses “amis”, opportuniste, arriviste… Chirac concentre tous les qualificatifs mais surtout les concrétise à merveille !
Clairement, Chirac n’a jamais fait l’unanimité au sein du camp gaulliste. Dès les années 1970, les gaullistes “historiques” s’insurgent contre cet arriviste. Chaban-Delmas, dont la candidature à la présidence de la république sera directement sabotée par Chirac au profit de Giscard d’Estaing, estime que “Chirac n’a découvert le gaullisme qu’en comptant les sièges de l’Assemblée”. De même, le ministre Robert Boulin, en 1974, qualifie son arrivée à la tête de l’UDR de “hold-up” et il n’est pas exclu que cette confrontation lui ait été facturée au prix fort : il sera en effet “suicidé” en 1979. Certains avancent que le Service d’action civique (SAC), officine gaulliste de barbouzes aurait commandité l’assassinat dans la crainte que Boulin ne dévoile le réseau de fausses factures participant au financement du RPR.
Pour autant, son appui à la fraction libérale de la bourgeoisie française, la plus à même d’être l’alternative cohérente au gaullisme déclinant, n’est que de circonstance. Dès 1976, il quitte son poste de Premier ministre avec fracas et dénonce dans la foulée le “parti de l’étranger”, c’est-à-dire l’UDF en accusant le parti de Valéry Giscard d’Estaing d’agir au nom de l’Europe et “contre les intérêts de la France” ! En 1995, c’est encore le clan autour de Chirac qui empêche la victoire de Balladur, alors que celui-ci représentait une possible transition permettant à la bourgeoisie française de se débarrasser des fractions gaullistes les plus rétrogrades et archaïques.
En 1997, la dissolution du parlement exigée par Chirac et l’organisation d’élections législatives anticipées échoue du fait que la majorité est de plus en plus discréditée par ses propres divisions. Cela, alors que le but était, dans un tel contexte, de resserrer l’équipe gouvernementale en vue d’accélérer les attaques anti-ouvrières (ce qui aurait pu également permettre au PS de se refaire une santé dans l’opposition).
En 2005, rebelote : en choisissant le référendum pour l’acceptation de la constitution européenne, Chirac prend le risque d’un “vote sanction”, alors qu’il aurait pu faire ratifier la constitution par voie parlementaire comme s’apprête à le faire la bourgeoisie en Allemagne. Le “Non” l’emporte.
Lors des élections présidentielles de 2002, Chirac sera élu massivement contre Le Pen. “Votez escroc, pas facho !” était le slogan repris massivement par les jeunes. Chirac était en effet caricaturé en “Super Menteur” tous les soirs dans une émission satirique à la télé et risquait d’être mis en examen s’il n’était pas réélu : ce n’était pas des casseroles que se trimballait Chirac mais une véritable batterie de cuisine !
Chirac et les affaires
La bourgeoisie est une classe de truands et de “ripoux” avec des mœurs de gangsters aux pratiques mafieuses. Les scandales n’ont cessé d’éclabousser les principaux partis bourgeois en France au cours de ces dernières décennies, à gauche comme à droite. Chirac n’a pas d’exclusivité en pratiques douteuses et clientélistes. Mais il atteint des sommets ! Difficile de faire un listing complet de toutes les affaires auxquelles Chirac est associé :
– Emplois fictifs de la Mairie de Paris : durant son bail à l’hôtel de ville (de 1977 à 1995), Chirac aura distribué les jobs comme on multiplie les pains : 699 “chargés de mission”, reflétant toute sa galaxie affective ou politique.
– L’ “affaire Karachi” : affaire politico-financière impliquant Chirac et Balladur et à l’origine de l’attentat du 8 mai 2002 dans cette ville du Pakistan.
– Affaire Elf : Elf-Gabon est devenue dans les années 1980-1990 la principale caisse noire de l’État français, au profit de chefs d’État africains (la politique impérialiste des réseaux Françafrique oblige !) et de plusieurs partis politiques français, dont le Parti socialiste et le RPR.
– L’affaire des HLM de la ville de Paris en 2006 : un marché de 2,2 milliards d’euros avec commissions destinées à alimenter, de façon occulte, les caisses du RPR. La cassette posthume de Jean-Claude Méry, faux facturier et membre du comité central du RPR, relatant les magouilles de Chirac sera envoyée… aux oubliettes !
– L’affaire de la rénovation des lycées d’Île-de-France entre 1988 et 1995 : un pactole de 24 milliards de francs, contre le reversement occulte de 200 millions à différents partis (tous, sauf le FN et les Verts).
L’ombre de Jacques Chirac plane également sur deux autres feuilletons judiciaires : l’affaire “Clearstream” et l’ “Angolagate”. Il n’est plus question de gros sous, mais de règlements de comptes en coulisses via un cabinet noir de l’Élysée consignant scrupuleusement les boules puantes visant les concurrents de droite comme de gauche.
La pourriture généralisée des mœurs de la classe dominante n’est qu’une des expressions de la décadence de ce système. L’avalanche des coups tordus et les affrontements sans merci témoignent de la violence exceptionnelle des règlements de compte entre les hommes et les clans rivaux au sommet de l’État. Cependant, les “affaires” à répétition du clan Chirac ont régulièrement discrédité l’État français sur la scène internationale, en particulier au sein de l’Europe.
Chirac, “le pacifiste”
Celui qu’on a fait passer pour le chef de file mondial de la cause “anti-guerre” en 2003, n’était en fait qu’un va-t-en-guerre de la pire espèce. Il l’a démontré à plusieurs occasions : au Kosovo en 1999, dans les bombardements sur la Serbie, en Afghanistan en 2001. Le refus de participation à la guerre en Irak en 2003 était une manière de prendre la tête d’une campagne dirigée directement contre les États-Unis. Le véritable objectif de ce vernis “anti-guerre”, c’était de pouvoir affirmer ses propres ambitions impérialistes en cherchant à contrecarrer la domination de l’impérialisme américain sur le Moyen-Orient.
Comble du cynisme, les puissances européennes avaient misé sur une guerre plus longue et meurtrière, sur davantage de résistance dans les populations ou l’armée de Saddam Hussein, sur un exode massif des populations et un grand nombre de réfugiés, espérant ainsi que les méthodes et le manque d’efficacité des États-Unis seraient discrédités.
Son “pacifisme” s’est concrétisé également dans la répression sanglante de la grotte d’Ouvéa. Le 5 mai 1988, sur l’île d’Ouvéa en Nouvelle-Calédonie, des forces spéciales françaises et le GIGN prennent d’assaut une grotte dans laquelle des indépendantistes kanaks détiennent des gendarmes. Au terme de combats très violents, dix-neuf ravisseurs kanaks et deux militaires sont tués. À propos des kanaks, Chirac parlera de “la barbarie de ces hommes, si l’on peut les appeler ainsi”. Sans commentaire…
Chirac et l’immigration
Le portrait de Chirac serait incomplet sans son mépris, sa xénophobie vis-à-vis des prolétaires étrangers. En 1991, sa “compassion” pour les braves Français qui doivent “supporter les bruits et les odeurs” de leurs voisins de palier “musulmans” ou “noirs”, “polygames” et “profiteurs” sera certes dénoncée, mais comme un travers circonstanciel : des mots prononcés “sous l’effet de l’alcool” mais “ne reflétant pas le personnage”. Pourtant Chirac ne faisait que confirmer ce qu’il disait quelque temps auparavant : “Plus on aura d’immigration, plus on aura d’insécurité. Ce n’est pas une question ethnique, mais notre immigration est une immigration bas de gamme. On va vers de graves conflits raciaux qui seront la conséquence du refus des Français d’être envahis par d’autres cultures. Toute race a l’instinct de se préserver”. Un discours clairement xénophobe !
D’ailleurs, c’est sous sa houlette de chef de gouvernement que sont inaugurées en octobre 1988, la politique d’expulsions massives et musclées (exécutées par son ministre de l’intérieur Pasqua) par charters entiers “d’immigrés clandestins” qui devait devenir un modèle repris par tous ses successeurs, des “socialistes” à Macron en passant par Sarkozy.
Chirac et l’écologie
“Notre planète brûle !” La formule prononcée au Sommet de la Terre en 2002 a fait le tour du monde et nous est rappelée aujourd’hui. Chirac aurait été un précurseur en matière d’écologie. Foutaises ! On en rigolerait si le sujet n’était pas si dramatique : l’année de son élection, en 1995, il disait de l’écologie que c’était un “passe-temps pour amateurs de pâquerettes”. Il défendait d’ailleurs systématiquement une agriculture exportatrice et intensive utilisant massivement des pesticides et autres produits chimiques. La Charte de l’environnement, votée en 2005 et utilisée comme feuille de vigne, ne changeait donc rien à l’affaire !
En juin 1995, anniversaire des bombardements d’Hiroshima et Nagasaki, juste après son entrée à l’Élysée, Chirac annonce au son des trompettes la fin des essais nucléaires à Mururoa. Mais cela, après en avoir réalisé six supplémentaires, après 20 ans d’interruption ! De fait, il se souciait de la question écologique comme de sa première chemise.
Voilà donc “l’héritage” de cet “humaniste éclairé”. Loin d’être une grande lumière de la bourgeoisie, il fut un arriviste sans états d’âme, prêt à tout pour exister au sommet du pouvoir.
Stopio, 27 octobre 2019