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Il y quelques semaines sortait une bande dessinée d’Inès Léraud intitulée : “Algues vertes : l’histoire interdite”. En véritable reporter, l’auteure raconte l’invasion sur le littoral breton de l’algue verte. Face à la dangerosité de cette plante, l’État fait tout son possible pour éviter les enquêtes, suite à plusieurs décès, pour ne pas faire fuir les touristes et remettre en cause l’élevage de porc intensif, tous deux sources de gros profits.
Comme le souligne le début de la BD : “De mai à septembre, des tonnes d’algues vertes envahissent les plages du littoral breton. Quand elles ne sont pas ramassées, les algues vertes s’accumulent sur les plages (…). Elles se décomposent en 48 h. En se putréfiant, elles développent un gaz ultra toxique qui se concentre sous forme de poche : l’hydrogène sulfure ou H2S. Il est connu pour son odeur d’œuf pourri. Libéré en quantité importante, il anesthésie le nerf olfactif (ce qui le rend indétectable), paralyse le système nerveux et respiratoire et tue aussi rapidement que du cyanure”. (1)
Le 29 juillet 2009, dans la baie de Saint-Michel-en-Grève dans les Côtes d’Armor, un cheval meurt intoxiqué et son cavalier est hospitalisé. Ce triste fait divers n’était pas nouveau, il faisait suite à un accident qui avait eu lieu au même endroit, dix ans plus tôt, où un joggeur avait perdu la vie.
Quelque temps plus tard, un ouvrier qui travaillait dans le ramassage de l’algue verte mourra aussi. Le médecin demandera une autorisation d’autopsie mais celle-ci n’arrivera jamais. Au contraire, l’État fera tout pour faire passer ce décès pour une mort naturelle, pire : il mettra la mort sur le compte d’un tabagisme excessif et d’une mauvaise alimentation. L’État n’ouvrira aucune enquête contre l’entreprise (filiale du groupe Bouygues), alors que les camions à l’époque ne sont pas aux normes pour le ramassage de ce type de substances toxiques et que les conditions de travail pour ce genre d’activité ne pouvait que mettre en danger la vie de cet ouvrier.
En juillet 2011, trente-six sangliers, cinq ragondins et un blaireau ont été retrouvés morts sur les berges de l’île d’Ouessant.
Le capitalisme et l’État sont responsables
Avec la modernisation du système productif qui se développera au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, l’État mettra en place une politique de remembrement qui transformera complémentent le paysage. Les manifestations qui auront lieu à l’époque n’y feront rien. De plus, comme le met en évidence Inès Léraud, cette politique de remembrement aura pour conséquence la destruction de la petite et moyenne paysannerie, poussant nombre de paysans à travailler sur les chaînes de montage automobiles Citroën nouvellement installées. Pour disposer de la main-d’œuvre nécessaire, les exploitations les moins rentables vont être éliminées avec l’aide de l’État. Comme le dit une planche qui fait parler Philippe de Calan (recruteur en chef des usines Citroën à Rennes) : “on s’était aperçu que pour avoir la main-d’œuvre nécessaire, il fallait que les exploitations s’agrandissent au moins de 20 hectares… Le préfet a accéléré le processus en ne donnant des aides qu’aux agriculteurs qui y parvenaient et ce sont les autres que nous avons recrutés”.
Outre la politique de remembrement qui agrandit les champs cultivables, seront mis en place d’immenses usines d’élevage de porc et par conséquent, se développera toute une politique agro-alimentaire (soja et maïs) arrosée de pesticides. (2) Dans les années 1980-1990, les usines de porc s’agrandissent en toute illégalité. Alors que l’eau des puits et des fontaines est contaminée, l’État permet de relever de 450 à 2 000 places le seuil à partir duquel une porcherie est soumise à une demande d’autorisation. Politique qui ne verra qu’amplifier la prolifération des algues vertes. Des scientifiques de l’IFREMER (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) démontreront qu’il y a bien un problème d’algues vertes mais cette constatation va être remise en cause par les colistiers de l’État que sont la FDSEA (Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles) et la FNSEA (Fédération nationale des syndicats exploitants agricoles). Pour relayer le syndicat départemental et national, l’État va permettre que se crée l’ISTE (Institut scientifique et technique de l’environnement) : le label et le sceau “d’expertises scientifiques” donnent bonne figure pour montrer que ce ne sont pas les politiques mis en place par l’État depuis près de 60 ans qui sont responsables de la profusion de l’algue verte. Vis-à-vis de ce déni de vérité et de mise en danger de la vie humaine, des voix s’élèveront mais elles subiront des pressions de l’Office du Tourisme et des agriculteurs, pour qui la révélation de la vérité sur les algues vertes ne peut que diminuer leurs profits, avec moins de tourisme et diminution de la consommation de viande de porc.
Mais l’État ne s’arrêtera pas là. Inès Léraud, à travers quelques bulles, fait parler un directeur de recherche dans le public : “Ce qu’il faut savoir, c’est que, de 1991 à 2010, le montant des aides publiques perçues par la Bretagne pour limiter la pollution agricole de ses eaux avoisinaient le milliard d’euros.… Ces aides reposent souvent sur la simple bonne volonté des producteurs. Les amendes en cas d’excès de pollution par les nitrates sont peu dissuasives. Et comme 80 % de ces aides sont financées par les contribuables, on aboutit au fait que les pollueurs sont subventionnés par les victimes de la pollution. Les professionnels signent des engagements pour toucher les aides, mais sans garantie de résultats. Les objectifs ne sont donc jamais atteints. Il y a une omerta totale au sujet des subventions”. En 2013, le Conseil scientifique de l’environnement de Bretagne qui dénonce l’inefficacité de ce plan de subvention et qui propose une diminution des cheptels d’animaux et des engrais, verra son financement suspendu par l’État à travers le Conseil régional dirigé par le ministre socialiste Jen-Yves Le Drian.
Cependant, alors que tout le reportage démontre que ce sont les lois du capitalisme qui polluent, qui mettent en danger la vie humaine, qui exploitent des agriculteurs devenus de simples ouvriers intégrés dans des grands groupes, l’auteure en arrive à rendre responsable non plus l’État bourgeois, mais le seul “lobby breton”. Quatre pages dans la BD nous montrent ainsi le regroupement d’une soixantaine de grands patrons bretons dénommé “le club des 30”, fondé en 1973. Ce club côtoie des hommes politiques dans certaines soirées qu’il organise. Dans les années 1930, pour le PCF, le responsable de la crise se nommait “les 200 familles”. Aujourd’hui, ce serait “le club des 30” le coupable de la prolifération des algues vertes et de l’exploitation des agriculteurs et l’État serait aux ordres de ce lobby. C’est ainsi que sur quatre autres pages, on voit courir Le Drian comme un petit chien derrière ces différents grands patrons et obéir pour que soit enlevés des placards publicitaires dans le métro qui dénoncent les algues vertes.
Quelles solutions ?
L’auteure ne se trompe pas seulement concernant la responsabilité de la pollution du littoral breton, elle se trompe aussi sur les solutions à apporter. C’est ainsi que la BD fait parler un agriculteur qui est sorti de cette production intensive pour une agriculture plus respectueuse de l’environnement et met en avant des habitants qui financent une ferme bio qui correspond à leurs valeurs. Ce genre d’initiative, même si elle est louable et portée par de bonnes intentions, ne changera rien au problème de la pollution. Car ce qui prime dans le capitalisme, c’est le profit et, pour ce faire, il faut être moins cher que le concurrent. Dans cette guerre économique à l’échelle mondiale, l’industrie agro-alimentaire sera toujours la plus forte, aidée en cela par l’État. Donc, penser que la solution ce serait des petits îlots de ferme bio qui pourraient éviter la pollution n’est qu’une utopie petite-bourgeoise. De plus, ces fermes bio seront en concurrence entre elles et, pour vendre, il faudra être moins cher que son voisin, en particulier face à la grande distribution qui a bien vu le profit à faire en vendant des produits bio. La concurrence impitoyable qu’implique le capitalisme fait qu’il y a nombre de dérives concernant l’agriculture labellisée bio comme le montre une récente enquête fait par le magazine 60 Millions de consommateurs (hors-série, été 2019).
La solution n’est pas la profusion de milliers de petites fermes autogérées qui produisent bio. La seule solution, pour en finir avec la pollution dont les algues vertes sur le littoral breton ne sont qu’une des expressions, c’est la classe ouvrière qui la détient en luttant non pas contre des boucs-émissaires que l’on agite (les “200 familles” par le passé, le “club des 30” du “lobby breton” aujourd’hui), mais en luttant de façon unie et solidaire pour en finir avec la dégradation des conditions d’existence qu’impose la crise inexorable du système capitaliste, pour aller vers une organisation de la société où sera bannie l’exploitation, où seront abolis la concurrence et le profit à l’origine d’une pollution qui constitue à l’heure actuelle une menace croissante pour l’espèce humaine comme pour la nature.
Cealzo, 13 juillet 2019
1 À partir de 100 ppm (parties par million), apparaissent des irritations des muqueuses oculaires, respiratoires, voire une perte de connaissance. À partir de 500 ppm : les personnes exposées risquent le coma, si l’exposition n’est pas interrompue. À partir de 1000 ppm, le décès survient de façon très rapide, en quelques minutes (source : Institut national de recherche et de sécurité – INRS).
2 Depuis la loi de modernisation agricole des années 1960, le taux de nitrates dans les rivières bretonnes a été multiplié par dix. À cela plusieurs raisons : l’utilisation massive d’engrais, d’azote minérale sur les surfaces cultivées et les quantités astronomiques de déjections animales épandues sur les sols (la Bretagne produit 58 % du porc de charcuterie sur 6 % de la surface agricole utile nationale). En Bretagne, il y a au moins deux fois plus de cochons que d’habitants (7,3 millions contre 3,2 millions, chiffres de 2015). Or, dans le sol, l’azote se transforme en nitrate. Les nitrates se répandent par ruissellement depuis les terres trop enrichies, jusqu’aux rivières, qui se jettent elles-mêmes dans la mer… Le nitrate étant un super-fertilisant, de la même manière qu’il fait pousser les plantes, il fait pousser les algues.