Le legs dissimulé de la gauche du capital (III): Un fonctionnement qui nie les principes communistes

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Cette série dénonce la partie la moins visible (la face cachée) des organisations de gauche et d’extrême gauche du capital (socialistes, staliniens, trotskystes, maoïstes, anarchistes officiels, “nouvelle” gauche à la Syriza, la France Insoumise ou Podemos). Dans le premier article de la série, nous avons vu comment ces organisations nient la classe ouvrière qu’ils prétendent défendre, dans le deuxième nous avons décortiqué leur méthode et leur façon de penser. Dans ce troisième article, nous analyserons leur fonctionnement, le régime interne de ces partis et comment leur fonctionnement est la négation même de tout principe du communisme et constitue un obstacle à toute avancée vers celui-ci.

La méthode d’organisation de la gauche du capital

Des forces comme le stalinisme, le trotskysme, etc. ont perpétré une falsification totale des positions prolétariennes en termes d’organisation et de comportement. La centralisation signifie pour eux soumission à une bureaucratie toute-puissante. La discipline est pour eux la soumission aveugle au commissaire de service. La position majoritaire est le résultat d’un processus de rapport de forces. Le débat est dans leur esprit manipulateur une arme pour déloger les positions des gangs rivaux. Et ainsi nous pourrions continuer jusqu’à la nausée.

Il peut arriver que le militant prolétarien au sein d’une organisation véritablement communiste ait tendance à voir les positions organisationnelles et comportementales de celle-ci avec les lunettes de ses sinistres souvenirs du temps où il était dans une ou l’autre organisation gauchiste.

La discipline de caserne des organisations gauchistes

Quand vous parlez à ce possible militant de la discipline nécessaire, il se souvient du cauchemar qu’il a subi quand il était membre des organisations bourgeoises de gauche.

Là, « par discipline », il devait défendre les choses les plus absurdes « parce que le parti le demandait ». Un jour, il devait dire qu’un tel parti rival était “bourgeois” et la semaine suivante, selon un changement dans la politique d’alliances de la direction, ce parti était le plus prolétarien du monde.

Si la politique du « comité central » était erronée, c’était dû uniquement au fait que des militants « avaient fait une erreur » et « n’avaient pas appliqué ce que le comité central avait décidé » ou ne l’avaient pas bien compris. Comme le souligne Trotski, « Chaque résolution du Comité exécutif de l’Internationale communiste en enregistrant de nouvelles défaites déclarait d’une part que tout avait été prévu et d’autre part que ce sont les “exécutants” qui sont responsables des échecs parce qu’ils n’ont pas compris la ligne qui leur avait été indiquée d’en-haut. »1.

À la suite de ces expériences traumatisantes, le militant qui est passé par ces partis ressent un rejet viscéral de la discipline, ne comprenant pas que la discipline prolétarienne est quelque chose de radicalement différent et opposé à la discipline bourgeoise.

Dans une organisation prolétarienne, “discipline” signifie respecter ce que tous ont décidé et ce que chacun s’est engagé à accomplir. C’est, d’une part, être responsable et, d’autre part, l’expression pratique de la primauté du collectif sur l’individu, ce qui ne signifie pas cependant que l’individu et le collectif s’affrontent, mais plutôt qu’ils expriment différents aspects de la même unité. Par conséquent, la discipline dans une organisation prolétarienne peut être volontaire et consciemment assumée. La discipline n’est pas aveugle, mais fondée sur une conviction et une perspective.

Dans une organisation bourgeoise, au contraire, la discipline veut dire soumission à une direction toute-puissante et la renonciation à toute responsabilité en la laissant entre les mains de ce que la dite direction a fait ou a dit. Dans une organisation bourgeoise, la discipline est basée sur l’opposition entre le “collectif” et les individus. Le “collectif” est l’intérêt du capital national et de son État que ces organisations défendent dans leur domaine spécifique, un intérêt qui ne coïncide en rien avec ceux de ses membres. C’est pourquoi la discipline s’impose nécessairement, soit par crainte de subir le châtiment d’une réprobation publique qui pourrait conduire à l’expulsion, soit, si elle est volontairement assumée, le fruit d’un sentiment de culpabilité ou d’un impératif catégorique qui provoque des conflits plus ou moins périodiques avec l’intérêt authentique de chaque individu.

L’incompréhension de la différence radicale qui existe entre la discipline prolétarienne et la discipline bourgeoise conduit souvent certains militants qui, après être passés par la gauche ou le gauchisme, se retrouvent dans une organisation prolétarienne, à tomber dans un cercle vicieux : avant, ils suivaient les ordres de leurs supérieurs comme des agneaux doux. Maintenant, dans les organisations prolétariennes, ils rejettent toute discipline et n’admettent qu’un seul ordre : celui dicté par leur propre individualité. À la discipline de caserne, ils opposent la discipline que chacun doit faire ce qu’il veut, c’est-à-dire la discipline anarchique de l’individualisme. C’est tourner en rond sans pouvoir s’en sortir entre la discipline féroce et violente des partis de la bourgeoisie à l’indiscipline individualiste (la « discipline de faire ce que je veux ») caractéristique de la petite bourgeoisie et de l’anarchisme.

La centralisation bureaucratique de toute organisation bourgeoise

La centralisation est un autre concept qui produit de l’urticaire chez les militants qui ont été soumis au fléau de l’influence de la gauche.

Ils associent la centralisation :

– à un sommet tout-puissant auquel il faut se plier sans se plaindre ;

– à une pyramide écrasante d’une bureaucratie et ses appareils de contrôle ;

– à une renonciation totale à toute initiative ou pensée personnelle, remplacée par une obéissance aveugle et un suivisme vis-à-vis des dirigeants ;

– les décisions ne sont pas prises par le biais de la discussion avec la participation de tous, mais par des ordres et des manœuvres de la direction.

En effet, la centralisation bourgeoise est basée sur ces concepts. Cela est dû au fait qu’au sein la bourgeoisie, l’unité n’existe que face à la guerre impérialiste ou face au prolétariat, pour tout le reste, il y a un conflit incessant d’intérêts entre ses différentes fractions.

Pour mettre de l’ordre dans un tel panier de crabes, l’autorité d’un « organe central » doit être imposée de gré ou de force. La centralisation bourgeoise est donc nécessairement bureaucratique et pyramidale et il ne peut en être autrement.

Cette bureaucratisation générale de tous les partis bourgeois et de ses institutions est encore plus indispensable dans les partis “ouvriers” ou « de gauche » qui se présentent comme les défenseurs des travailleurs.

Les bourgeois peuvent se soumettre à cette discipline de fer de l’appareil politique parce qu’ils jouissent d’un pouvoir total et dictatorial dans leurs propres entreprises. Cependant, dans une organisation de gauche ou d’extrême gauche, il existe un antagonisme soigneusement caché entre ce qui est officiellement proclamé et ce qui est réellement fait. Pour résoudre cette contradiction, il faut de la bureaucratie et une centralisation verticale.

Pour comprendre les mécanismes de centralisation bourgeoise appliqués dans les partis de gauche du capital, le modèle du stalinisme représente une école pionnière. Dans son livre précité, L’Internationale communiste après Lénine, Trotski analyse les méthodes de centralisation bourgeoise appliquées aux partis communistes.

Il rappelle comment, pour imposer la politique bourgeoise, le stalinisme « adopta une organisation à la carbonari avec son Comité central illégal (le « septemvirat ») et ses circulaires, ses agents, son code secret, etc. L’appareil du parti a créé en son sein un ordre refermé sur lui-même et incontrôlable qui dispose des ressources exceptionnelles non seulement de cet appareil mais aussi de l’État qui transforme un parti de masses en un instrument chargé de camoufler toutes les manœuvres des intrigants. » (idem, p. 97)

Afin d’écraser les tentatives révolutionnaires du prolétariat en Chine et de servir les appétits impérialistes de l’Etat russe, dans les années 1925-28, le Parti communiste chinois fut entièrement instrumentalisé, dont une illustration nous est donnée par le témoignage du Comité local de Kiang-Su qui y fait référence comme suit : « [Le comité central] lance des accusations et dit que le Comité provincial n’est pas bon ; ce dernier, à son tour, accuse les organisations de base et affirme que le Comité régional est mauvais. Celui-ci se met à accuser et assure que ce sont les camarades travaillant sur place qui ne sont pas bons. Et les camarades se défendent en disant que les masses ne sont pas révolutionnaires. » (idem, p. 159).

La centralisation bureaucratique impose aux membres du parti une mentalité d’arriviste, de soumission à ceux d’en haut et de mépris et manipulation vers « ceux d’en bas ». C’est une caractéristique patente de tous les partis du capital, de gauche ou de droite, qui suivent le modèle que Trotski perçut dans les partis communistes stalinisés en dénonçant comment dans les années 1920 « il s’est formé des équipes entières de jeunes académistes de la manœuvre qui, par souplesse bolchevique, entendent surtout l’élasticité de leur propre échine. » (idem, p.90),

Les conséquences de ces méthodes sont que « les couches montantes ont été imprégnées en même temps d’un certain esprit bourgeois, d’un esprit d’égoïsme étroit, de petits calculs. On s’est rendu compte qu’ils avaient la ferme volonté de se tailler une bonne place sans se soucier des autres, un arrivisme aveugle et spontané. Pour y parvenir, ils ont tous fait preuve d’une capacité d’adaptation sans scrupules, d’une attitude éhontée et de flagornerie envers les puissants. C’est ce que l’on voyait dans chaque geste, dans chaque visage, dans chaque regard. C’est ce qu’indiquaient tous les actes et les discours, généralement pleins d’une phraséologie révolutionnaire grossière. »2

Récupérer le vrai sens des concepts prolétariens d’organisation

Il est nécessaire de récupérer – en les actualisant de manière critique – tous les concepts d’organisation que le mouvement ouvrier utilisait avant l’énorme catastrophe qu’a signifié le premier pas des partis socialistes vers l’Etat capitaliste et plus tard la transformation des partis communistes en forces staliniennes du capital.

Les positions prolétariennes sur l’organisation, même si elles portent le même nom, n’ont rien à voir avec leur version falsifiée. Le mouvement prolétarien n’a pas besoin d’inventer de nouveaux concepts parce que ces concepts lui appartiennent. En fait ceux qui devraient changer leur terminologie, ce sont la gauche et l’extrême-gauche du capital, ce sont elles qui ont “innové” en adoptant les positions organisationnelles et morales de la bourgeoisie. Nous allons revoir quelque uns de ces concepts prolétariens et comment ils sont en totale opposition au stalinisme, au gauchisme et, en général, à toute organisation bourgeoise.

La centralisation prolétarienne

La centralisation est l’expression de l’unité naturelle d’intérêts qui existe au sein du prolétariat et, par conséquent, chez les révolutionnaires. Ainsi, dans une organisation prolétarienne, la centralisation est le moyen de fonctionnement le plus cohérent et c’est le résultat d’une action volontaire et consciente. Alors que la centralisation au sein d’une organisation gauchiste s’impose par la manœuvre et la bureaucratie, dans l’organisation politique prolétarienne, où des intérêts différents n’existent pas, l’unité s’exprime par la centralisation. Elle est donc consciente et cohérente.

D’autre part, dans une organisation gauchiste, comme dans toute organisation bourgeoise, il existe des intérêts différents liés à des individus ou à des factions, de sorte que, pour concilier ces intérêts opposés, on ne peut recourir qu’à l’imposition bureaucratique d’une faction ou d’un leader, ou à une sorte de « coordinateur démocratique » entre les différents leaders ou fractions. Dans tous les cas, les rapports de force, les manœuvres, la trahison, la manipulation, la soumission sont nécessaires pour “huiler” le fonctionnement de l’organisation car sinon elle se disloquerait ou éclaterait. Inversement, dans une organisation prolétarienne « Le centralisme n’est pas un principe abstrait ou facultatif de la structure de l’organisation. C’est la concrétisation de son caractère unitaire : il exprime le fait que c’est une seule et même organisation qui prend position et agit dans la classe. Dans les rapports entre les différentes parties de l’organisation et le tout, c’est toujours le tout qui prime. »3.

Au sein du gauchisme, cette « seule et même organisation prend position et agit dans la classe » est soit une farce, soit une imposition monolithique et bureaucratique du « comité central ». Dans une organisation prolétarienne, c’est la condition même de son existence. Il s’agit de dire au prolétariat, après une discussion collective et selon son expérience historique, tout ce qui est mieux pour sa lutte et non pas de le tromper et de le faire lutter pour des intérêts qui ne sont pas les siens. Pour cette raison, il est nécessaire de faire un effort commun de l’ensemble de l’organisation pour élaborer cette position.

Au sein du gauchisme, face à des positions de la « direction » jugées parfois absurdes, les militants de base se protègent en agissant de leur côté, en décidant dans des structures locales ou des groupes d’affinité, la position qu’ils jugent juste, étant dans certains cas une saine réaction prolétarienne face à la politique officielle. Cependant, cette méthode localiste et de chacun pour soi est contre-productive et très négative dans une organisation prolétarienne. Au sein de celle-ci « La conception selon laquelle telle ou telle partie de l’organisation peut adopter face à la classe ou à l’organisation des positions ou des attitudes qui lui semblent correctes au lieu de celles de l’organisation qu’elle estime erronées est à proscrire absolument car :

– si l’organisation fait fausse route, la responsabilité des membres qui estiment défendre une position correcte n’est pas de se sauver eux-mêmes dans leur coin, mais de mener une lutte au sein de l’organisation afin de contribuer à la remettre dans « le droit chemin" ;

– une telle conception conduit une partie de l’organisation à imposer arbitrairement sa propre position à toute l’organisation par rapport à tel ou tel aspect de son travail (local ou spécifique.) » (idem, point 3)

L’attitude de contribuer à partir de n’importe quelle instance de l’organisation (qu’il s’agisse d’une section locale ou d’une commission internationale) pour parvenir à une position juste avec l’effort de tous, est celle qui correspond à l’unité des intérêts qui existe dans une organisation révolutionnaire entre tous ses membres. D’autre part, dans une organisation de gauche, il n’existe pas d’unité entre la “base” et la “direction”. Celle-ci a pour mission de défendre l’intérêt général de l’organisation, qui est celui du capital national, alors que la « base » est tiraillée entre trois forces qui vont chacune dans un sens différent : l’intérêt du prolétariat ; la prise en charge de l’intérêt capitaliste de l’organisation ou, plus prosaïquement, celle de faire carrière dans les différents niveaux bureaucratiques du parti. Il en résulte une opposition et une séparation entre les militants et les organes centraux.

Les membres des organisations révolutionnaires d’aujourd’hui ont beaucoup de mal à clarifier tout cela. Ils sont tourmentés par le soupçon que les organes centraux vont finir par “trahir”, ils sont généralement gagnés par le préjugé que les organes centraux vont éliminer bureaucratiquement toute dissidence. Un mécanisme mental répandu est de dire que « les organes centraux peuvent faire des erreurs ». Cela est parfaitement vrai. Tout organe central d’une organisation prolétarienne peut se tromper. Mais il n’y a pas de fatalité pour faire des erreurs, et si elle en fait, l’organisation doit avoir les moyens de les corriger.

Illustrons cela par un exemple historique. En mars 1917, le Comité central du Parti bolchévique a commis une erreur en préconisant un soutien critique au gouvernement provisoire issu de la révolution de février. Lénine, de retour en Russie en avril, a présenté les fameuses Thèses d’avril pour lancer un débat dans lequel toute l’organisation s’est engagée à corriger l’erreur et à redresser l’orientation du parti.4

Ce que montre cet épisode, c’est le fossé entre l’idée préconçue que « les organes centraux peuvent se tromper » et la vision prolétarienne de combattre l’opportunisme partout où il se manifeste (chez des militants ou au sein d’un organe central). Toute organisation prolétarienne est soumise à la pression de l’idéologie bourgeoise et cela affecte tout militant autant que les organes centraux. La lutte contre cette pression est la tâche de toute l’organisation.

L’organisation politique prolétarienne se donne les moyens du débat pour corriger ses erreurs. Nous verrons dans un autre article de cette série le rôle des tendances et des fractions. Ce que nous voulons souligner, c’est que si la majorité de l’organisation, et surtout les organes centraux, ont tendance à se tromper, les camarades minoritaires ont les moyens de combattre cette dérive, comme le fit Lénine en avril 1917, ce qui l’a amené à demander une conférence extraordinaire du Parti. En particulier, « une minorité de l’organisation peut provoquer la convocation d’un Congrès extraordinaire à partir du moment où elle est significative (par exemple les 2/5) : en règle générale, il revient au Congrès de trancher sur les questions essentielles, et l’existence d’une forte minorité demandant sa tenue est l’indice de l’existence de problèmes importants au sein de l’organisation. »5.

Le rôle des congrès

On ne peut regarder qu’avec écœurement ce qu’est un congrès d’une organisation de la bourgeoisie, quelle que soit sa coloration. C’est un spectacle avec hôtesses et open bar. Les leaders viennent s’exhiber en faisant des discours applaudis au rythme imposé par les chauffeurs de salle ou à celui des apparitions programmées devant les caméras de télévision. Les discours suscitent le désintérêt le plus absolu, le seul et véritable enjeu du congrès étant de savoir qui va occuper les postes clés de l’organisation et qui va être limogé. Quatre-vingt-dix pour cent des réunions ne sont pas faites pour discuter, clarifier, délimiter des positions, mais pour attribuer des quotas de pouvoir aux différentes “familles” du parti.

Une organisation prolétarienne doit fonctionner de manière diamétralement opposée. Le point de départ de la centralisation d’une organisation prolétarienne est son Congrès international. Le Congrès rassemble et est l’expression de l’organisation dans son ensemble, laquelle, de manière souveraine, décide des orientations et des analyses qui doivent la guider. Les Résolutions adoptées par le Congrès définissent le mandat de travail des organes centraux. Ils ne peuvent agir arbitrairement selon les desseins ou les caprices de leurs membres, mais doivent prendre comme point de départ de leur activité les résolutions du Congrès.

Le 2e Congrès du POSDR (Parti ouvrier social-démocrate de Russie, 1903) a conduit à la bien connue scission entre bolcheviks et mencheviks. L’une des raisons de la scission et de la forte controverse entre les deux parties de l’organisation fut que ces derniers n’ont pas respecté les décisions du Congrès. Lénine, dans son livre Un pas en avant, deux en arrière, a combattu cette attitude déloyale qui était en elle-même une attitude bourgeoise. En effet, on peut ne pas être d’accord avec les décisions d’un Congrès, mais l’attitude correcte est de présenter clairement les divergences et de pousser à un débat patient pour obtenir sa clarification.

« Le moment privilégié où s’exprime avec toute son ampleur l’unité de l’organisation est son Congrès International. C’est au Congrès international qu’est défini, enrichi, rectifié le programme du CCI, que sont établies, modifiées ou précisées ses modalités d’organisation et de fonctionnement, que sont adoptées ses analyses et orientations d’ensemble, qu’il est fait un bilan de ses activités passées et élaboré ses perspectives de travail pour le futur. C’est pour cela que la préparation du Congrès doit être prise en charge avec le plus grand soin et la plus grande énergie par l’ensemble de l’organisation. C’est pour cela que les orientations et décisions du Congrès doivent servir de références constantes à l’ensemble de la vie de l’organisation après celui-ci. »6 Dans un Congrès prolétarien, on ne vient pas pour tenir des cénacles où l’on conspire contre des rivaux, mais pour discuter, pour comprendre, pour prendre position de la manière la plus consciente possible.

Dans les organisations bourgeoises, les couloirs sont le cœur du congrès, on y bavarde, on y conspire contre les rivaux, on y tisse des manœuvres et des intrigues, les couloirs sont l’arrière-salle où le congrès se décide vraiment. Comme le dit Ciliga dans son livre précité, « Les séances étaient moyennement ennuyeuses. Pour les participants, les séances publiques étaient un pur verbiage. Tout se décidait dans les coulisses. »

Dans une organisation prolétarienne, « les couloirs » doivent être interdits comme centres de décision et réduits à un moment de repos ou pour établir des liens fraternels entre militants. Le cœur du Congrès doit se situer uniquement et exclusivement dans les sessions officielles. Là, les délégués doivent évaluer très soigneusement les documents soumis au Congrès, en demandant des clarifications et en formulant des amendements, des critiques, des propositions. L’avenir de l’organisation est en jeu parce que les résolutions du Congrès ne sont pas une lettre morte ou de la rhétorique, mais des accords pris consciemment qui devraient servir de guide et d’orientation à l’organisation et servir de base à ses activités.

Les orientations et les décisions du Congrès engagent l’ensemble de l’organisation. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils sont infaillibles. Des discussions internationales régulières peuvent mener à la conclusion qu’il y a des erreurs à corriger ou que l’évolution de la situation historique entraîne des changements qu’il faut reconnaître. Cela peut même conduire à la convocation d’un Congrès extraordinaire. Toutefois, tout cela doit être fait avec rigueur et sérieux et sur la base d’un débat international très large et approfondi. Cela n’a rien à voir avec ce qui se passe habituellement dans les organisations gauchistes où les perdants d’un congrès essaient de se venger en proposant de « nouvelles positions » qui servent de levier pour régler leurs comptes avec les vainqueurs.

Les organes centraux

Dans une organisation prolétarienne, le Congrès donne des orientations qui définissent le mandat de l’organe central, qui représente l’unité et la continuité de l’organisation entre un Congrès et le suivant. Dans un parti bourgeois, l’organe central est un outil de pouvoir car il doit soumettre l’organisation aux besoins de l’Etat et du capital national. L’organe central est une élite séparée du reste de l’organisation et consacrée à la contrôler, à la superviser et à lui imposer des décisions. Dans une organisation prolétarienne, l’organe central n’est pas séparé de l’organisation dans son ensemble, mais il en est son expression active et unitaire. L’organe central n’est pas le sommet privilégié et tout-puissant de l’organisation, mais un moyen de l’exprimer et de la développer.

« Contrairement à certaines conceptions, notamment celles dites “léninistes”, l’organe central est un instrument de l’organisation et non le contraire. Il n’est pas le sommet d’une pyramide suivant une vision hiérarchique et militaire de l’organisation des révolutionnaires. L’organisation n’est pas formée d’un organe central plus les militants, mais constitue un tissu serré et uni au sein duquel s’imbriquent et vivent toutes ses composantes. Il faut donc plutôt voir l’organe central comme le noyau de la cellule qui coordonne le métabolisme d’une entité vivante » (idem, point 5).

 

Le rôle des sections

La structure des organisations gauchistes est une hiérarchie qui va de la direction nationale aux organisations régionales, elles-mêmes divisées en “fronts” (travailleurs, professionnels, intellectuels, etc.), et, au bas de cet ensemble, les cellules. Cette forme d’organisation est héritée du stalinisme qui imposa en 1924 la fameuse “bolchevisation” sous prétexte « d’aller vers la classe ouvrière ».

Cette démagogie masque l’élimination de la structure classique des organisations ouvrières basées sur des sections locales où tous les militants d’une ville se réunissent pour se donner des tâches globales et une vision globale. Au contraire, la structure de la “bolchevisation” cherche à diviser les militants et à les enfermer dans un milieu fermé par usine, par entreprise, selon la profession ou le secteur social… Leurs tâches sont purement immédiates, corporatives, elles restent enfermées dans un puits, où seuls des problèmes immédiats, particuliers et locaux sont traités. L’horizon des militants est fortement réduit, au lieu d’une vision historique, internationale et théorique, il est réduit à une tâche immédiate, corporatiste et localiste et purement pragmatique. Cela les appauvrit sérieusement et permet à la « direction » de les manipuler à leur convenance et, de cette façon, de les soumettre aux intérêts du capital national en les déguisant avec une démagogie populaire et ouvriériste.

Les résultats de cette fameuse “bolchevisation”, en réalité l’atomisation des militants dans des ghettos d’entreprises, furent bien remarqués par Ciliga : « Les gens que j’y ai rencontrés – des collaborateurs permanents du Komintern – semblaient incarner l’étroitesse de l’institution elle-même et la grisaille du bâtiment qui les hébergeait. Ils n’avaient ni portée ni ampleur de vision, et ne montraient aucune indépendance de pensée. J’attendais des géants, j’ai rencontré des nains. J’espérais recueillir les enseignements de vénérables maîtres, et j’ai rencontré des laquais. Il suffisait d’assister à certaines réunions du parti pour se rendre compte que les discussions d’idées ne jouaient qu’un rôle complètement secondaire dans cette lutte. Le rôle principal était joué par les menaces, l’intimidation et la terreur. »

Pour renforcer encore l’isolement et l’ignorance théorique des militants, le « comité central » désigne généralement tout un réseau de « commissaires politiques » strictement soumis à sa discipline et chargés d’agir comme courroie de transmission des consignes de la “direction”.

La structure que doivent se donner les organisations révolutionnaires est radicalement opposée. La tâche principale des sections locales est d’étudier et de se prononcer sur les questions de l’organisation dans son ensemble, ainsi que sur l’analyse de la situation historique et l’étude des thèmes théoriques généraux considérés comme nécessaires. Naturellement, cela n’exclut pas, mais donne du sens et de la force à l’activité locale d’intervention, de presse et de discussion avec des camarades ou des groupes intéressés. Cependant, les sections tiennent des « réunions régulières des sections locales et des mises à l’ordre du jour de celles-ci les principales questions débattues dans l’ensemble de l’organisation : d’aucune façon le débat ne saurait être étouffé » (idem). En même temps, la « circulation la plus ample possible des différentes contributions au sein de l’organisation au moyen des instruments prévus à cet effet » est nécessaire. Les bulletins internationaux de discussion sont le moyen de canaliser le débat international et de le faire circuler dans toutes les sections.

C. Mir, 16 janvier 2018

 

 

1L’Internationale Communiste après Lénine, p. 159, https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/ical/ical.pdf.

2Ante Ciliga, Dix ans au pays du mensonge déconcertant.

3« Rapport sur la structure et le fonctionnement des organisations révolutionnaires » (janvier 82), point 2 (Revue internationale n°33, 2e trim. 1983) : https://fr.internationalism.org/print/book/export/html/1013

 

4Pour une analyse sur comment le parti bolchevique est tombé dans l’erreur opportuniste et comment par le moyen d’un débat de fond il réussit à le redresser, lire 1917 : « la révolution russe : les ‘‘Thèses d’avril’’, phare de la révolution prolétarienne » (1997). On peut aussi lire dans l’Histoire de la Révolution russe de Trotski, les chapitres correspondant à cette période.

5« Rapport sur la structure et le fonctionnement des organisations révolutionnaires » (janvier 82), point 6 (Revue internationale n° 33, 2e trim. 1983) : https://fr.internationalism.org/print/book/export/html/1013

6Idem, point 4.

Rubrique: 

Vie de la bourgeoisie