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Macron tient ses promesses, des promesses martelées tout au long de sa campagne électorale, appliquées depuis sans vergogne et à un train d’enfer. Dès la rentrée, le gouvernement réaffirmait sa volonté d’adopter de nouvelles “réformes” promises par le candidat Macron. Seul bémol, ces promesses ne sont pas celles du “vent du renouveau” promis sur le plan politique ou social, celles de la croissance retrouvée, de la baisse spectaculaire du chômage et des impôts, de l’augmentation du pouvoir d’achat, d’un plus grand dynamisme dans la vie sociale et le fonctionnement de l’État. Les promesses appliquées sont celles qu’il a faites à la classe dominante et à l’État, celles d’assumer les réformes économiques et sociales nécessaires pour préserver les profits et la compétitivité du capital national.
L’arsenal engagé contre les conditions de vie de la classe ouvrière ne fait pas dans la dentelle : assurance chômage, réforme des retraites, santé, fonction publique, formation professionnelle, éducation, tout y passe avec un objectif clairement affiché : faire des économies, rentabiliser les services, précariser les revenus… Ces attaques engagées dès l’année dernière avec les ordonnances Macron réformant le Code du travail, la réforme de la SNCF, le “plan Santé”, la suppression des emplois aidés, l’augmentation de la CSG (la liste n’est pas exhaustive), doivent désormais passer à la vitesse supérieure. Le gouvernement entend bien les assumer frontalement contre tous les exploités, actifs, retraités ou en devenir, au nom du “renouveau”.
Si une partie de la classe ouvrière a pu s’illusionner un moment, non sur des lendemains qui chantent, mais sur au moins quelques bouffées d’oxygène dans la vie (sinon la survie) au quotidien, le principe de réalité a violemment repris ses droits. D’autant plus quand les comportements claniques et de malfrats (comme avec l’affaire Benalla) deviennent la toile de fond de la prétendue nouvelle pratique du pouvoir.
Un pouvoir fragilisé
Entre les pratiques douteuses mises en lumière par l’affaire Benalla et la perte de crédit de l’image présidentielle voulue charismatique et providentielle, la situation aux plus hauts sommets de l’État s’est fortement dégradée. Cela s’est exprimé dans les sondages, bien sûr, mais surtout dans les propres rangs de LREM, particulièrement dans la garde rapprochée de Macron lui-même. Cette tourmente au cœur du pouvoir a révélé combien les appuis et “amis” du président, roublards en diable et pourtant bien naïfs, s’étaient illusionnés eux-mêmes sur la capacité de ce nouveau Président à bousculer les vieilles structures étatiques et politiques. Finalement, les habitudes “monarchiques” de la Ve République restent d’actualité, en plus outrancier qu’auparavant. De même, les soutiens que Macron s’était forgé comme autant de garanties au succès de sa démarche “rénovatrice”, auxquels il s’accrochait comme à des bouées pour justifier le bien-fondé de sa démarche, se sont révélés parfois véreux dès le départ ou se sont avérés des soutiens conditionnels qui, à la première occasion, fuient le navire avec précipitation pour ne pas sombrer avec le capitaine Macron. De Nicolas Hulot à Gérard Collomb en passant par Laura Flessel, ces pointures aux dents longues du show-business ou de la politique ont d’autres ambitions que d’apparaître comme de vulgaires pantins du pouvoir au risque de se retrouver eux-mêmes définitivement plombés sur la scène politique.
Surtout, ces démissions sont autant de signes que ces ministres ne veulent en aucun cas être associés à la manière de mener les nouvelles attaques sociales. Des pointures aux petits pieds, tout comme en son temps, le ministre du Travail, Rebsamen, n’avait pas voulu assumer la responsabilité de la Loi Travail, laissant la place au fusible Myriam El Khomri pour prendre en charge cette attaque cinglante, ces ministres démissionnaires préfèrent retrouver un statut de “Monsieur Propre” : règne sans partage sur une municipalité pour l’un, icône écologique pour l’autre, et assumer peut-être un rôle “oppositionnel” crédible face aux attaques à venir.
Un des rares organismes à applaudir la Macronie, pour l’instant, est le FMI qui accorde son satisfecit à l’élève Macron même si ce dernier “peut mieux faire”. En fidèle serviteur bourgeois, le Président se doit d’être exemplaire dans le maintien du cap de réformes drastiques. Les attaques vont donc se poursuivre et s’accélérer. Sur ce plan, on peut effectivement lui faire confiance. Mais à plus long terme, la bourgeoisie va être confrontée à un problème épineux qui pourrait avoir des effets préjudiciables sur les rouages de l’appareil politique : un pouvoir en place dont la popularité désastreuse est loin de s’améliorer, une opposition qui, pour le moment, est inexistante et le spectre du parti populiste qui, bien qu’étant lui même en difficulté, peut revenir sur le devant de la scène et rendre la situation encore plus compliquée qu’elle ne l’est.
Des attaques contre nos conditions de vie et de travail
Concernant les retraites : le gouvernement travaille à remettre à plat les 37 systèmes de retraites français, réforme sur laquelle tous les gouvernements précédents se sont cassés les dents et qui est censée être adoptée avant l’été 2019. Dans le collimateur : tous les régimes spéciaux, notamment ceux des fonctionnaires. Le sujet est extrêmement sensible et le gouvernement dit “vouloir se laisser le temps”… jusqu’à la fin 2018 ! C’est sans compter sur la baisse déjà adoptée des pensions de retraite puisque, si l’âge légal de départ ne change pas, le nombre de trimestres nécessaires pour une retraite à taux plein a déjà augmenté. Tout cela sans parler de la nouvelle hausse de la CSG affectant les pensions et de l’éventuelle baisse du point d’indice, aujourd’hui murmurée mais qui annonce la couleur. Pour ceux qui auraient réussi à cotiser pour une retraite complémentaire permettant de mettre un peu de beurre dans les épinards de leurs vieux jours, c’est carrément un malus de 10 % pendant trois ans sur cette complémentaire qui sera appliqué !
La réforme de la fonction publique ? Macron veut tenir ses promesses de suppression de 120 000 postes. Ce grand ménage est déjà engagé avec la suppression des emplois aidés. Le “dégraissage du mammouth” (dixit le ministre du PS, Claude Allègre, en son temps) doit se poursuivre dans tous les services de l’État, les collectivités territoriales, hormis les forces de répression, bien sûr, qui, elles, seront mises de plus en plus à contribution pour, nous dit-on, sécuriser la société et même l’école ! Il s’agit plus sûrement de nous faire entendre raison dans la rue et réprimer quand nous refusons l’inacceptable !
Si l’incitation aux départs volontaires ou l’aide à la reconversion dans la fonction publique sont de mise pour l’instant, le gouvernement ne cache pas pour autant sa plus vaste volonté de contractualiser l’ensemble de la fonction publique : à savoir la fin de la garantie de l’emploi pour tous les fonctionnaires et la rémunération “au mérite”. On pourra travailler pour l’État 5, 10 ou 15 ans et se retrouver à la rue dès la fin du contrat : la précarisation de l’emploi public tel que tous les gouvernements en ont rêvé.
Autres chantiers allant dans le sens d’une modernisation du capital national : la réforme de la formation professionnelle, de l’apprentissage et de l’assurance-chômage. Tout doit être mis en œuvre pour permettre de mieux “aligner” les compétences des actifs et des jeunes avec les besoins en qualification des entreprises. En clair : ne cherche plus de travail, laisse le travail te choisir ! Tu ne trouves pas de boulot dans ta branche ? “Traverse la rue” (selon les propos mêmes de Macron) et trouve un job ailleurs. De cette flexibilité dépendra d’ailleurs le niveau de ton salaire ou de ton indemnisation par l’assurance-chômage. La créativité gouvernementale au service de l’emploi ? C’est carrément une déclaration de guerre ouverte faite à la classe ouvrière !
Au nom de la “modernisation”, en fait celle de l’exploitation, le capital a toujours su justifier l’injustifiable et précariser les conditions de vie du prolétariat pour une rentabilité maximum de l’appareil productif. L’État, loin d’être à la remorque du “grand patronat”, souvent présenté comme le “donneur d’ordres” pour asséner les attaques, est en réalité le maître d’œuvre qui impose ses diktats économiques et sociaux à l’ensemble de la société et qui, pour ce faire, montre l’exemple.
Le prétendu Plan “anti-pauvreté” ? Pour cause de Coupe du monde de football, la réforme fut repoussée à cet automne. Il ne fallait pas gâcher la fête ! En effet, le sujet, lui aussi est sensible. Alors que Macron, des trémolos dans la voix, s’engageait en juillet à attaquer le “mal à la racine”, il déclare que “la stratégie de lutte contre la pauvreté ne se contentera pas de proposer une politique de redistribution classique et d’accompagnement social. Non pas de nouvelles aides, en solde de tout compte mais un accompagnement réel vers l’activité”. En clair, cela signifie qu’il ne s’agit plus d’entretenir et d’accorder des minima de survie aux pauvres sans emploi mais les inciter à “retrouver la vie active”, sous peine de suppression des aides sociales.
Outre l’attaque directe et frontale qu’ils sous-tendent, les propos de Macron sont une insulte faite aux prolétaires : non seulement ils sont rejetés par le capital, exploités jusqu’à l’os, mais également rendus coupables de leur situation et traités en parias. On retrouve chez Macron, avec des mots plus ampoulés, le même mépris et la même façon de leur cracher au visage que chez les chantres du populisme, comme Marine Le Pen, la même volonté de les rejeter et de les exclure en les désignant comme des “parasites” de la société et des “profiteurs”.
Nous pourrions poursuivre la liste de toutes les attaques en cours, celles sur les augmentations en série du prix de l’énergie, des transports, des contrôles techniques sur les véhicules, des assurances… tout cela au nom du combat écologique, de la santé, de la sécurité routière et de la solidarité. Ne pas y souscrire serait donc être irresponsable et égoïste. Après le mépris et l’hypocrisie, persiste toujours la logique de culpabilité.
Il en est de même vis-à-vis de la politique d’immigration, de la répression directe et du rejet planifié de tous ces prolétaires chassés par la guerre et la barbarie. Ils ont risqué leur peau mille fois avant d’arriver en Europe et la réponse du pouvoir, en France comme ailleurs, c’est : “dehors” ! La réforme gouvernementale sur ce plan est une variante subtile des différents “murs” contre l’immigration, administratifs ou physiques, que mettent en place tous les États. Que l’on ne s’avise pas de soutenir, accueillir, aider un de ces prolétaires exilés : cette solidarité est considérée comme un délit et réprimé comme tel ! Le gouvernement n’hésite donc pas à assumer des politiques ouvertement réactionnaires afin de ne pas laisser le champ libre au populisme.
Quelle perspective ?
Ces coups assénés aujourd’hui et demain ne sont pas acceptables et la colère va maintenant grandissante, au-delà d’un simple mécontentement passager.(1) On l’a vu au printemps avec le mouvement de lutte à la SNCF et l’attaque frontale contre le statut et les conditions de vie des cheminots. L’échec de la lutte, son isolement, le pourrissement de celle-ci entretenu sciemment par les syndicats et le pouvoir pendant de très longues semaines, n’a pas abouti à la démoralisation générale et au sentiment d’impuissance espérés par la bourgeoisie pour préparer les attaques en cours.
La colère ouvrière est bien présente même si elle s’exprime difficilement ; souvent de manière éparpillée et isolée. Ce fut le cas lors de la journée d’action du 9 octobre où le besoin de lutter s’est fait sentir, mais où l’expectative sur la manière de procéder a abouti à défiler sagement derrière les syndicats, sans remise en cause générale du cloisonnement de la lutte, sans possibilité réelle de discuter des perspectives.
Quelques minorités d’ouvriers, comme le collectif ouvrier de Nantes,(2) et sûrement quelques autres, tentent de réfléchir, en tirant le bilan de la lutte SNCF, par exemple, en refusant la “fatalité” de l’échec, refusant le sabotage syndical et tentant de poser des questions plus larges pour la lutte, pour la transformation de la société. Ces minorités expriment de façon embryonnaire les potentialités de lutte de la classe ouvrière qui réagit encore avec difficulté mais ne veut plus baisser la tête.
La bourgeoisie le sait pertinemment et n’a en aucun cas déclaré forfait. Au contraire, elle a tiré le bilan des confrontations passées avec la classe ouvrière, elle connaît ses points faibles et son manque de confiance en elle. La bourgeoisie peut s’appuyer sur les maîtres du sabotage que sont les syndicats, même s’ils sont aussi en partie plus ou moins discrédités, pour encadrer le mécontentement ouvrier et l’orienter vers des actions stériles, isolées, les user jusqu’à la démoralisation pour que les attaques de plein fouet puissent passer. Les syndicats ont su jouer le jeu de la fragmentation en appelant à différentes journées de grève, corporation par corporation. La grève dans l’Éducation nationale du 12 novembre a ouvert le bal, témoignant de cette manœuvre visant à renforcer le désarroi.
Retrouver la confiance dans nos forces, avoir la capacité de dépasser les divisions, savoir refuser les sabotages syndicaux, se regrouper pour réfléchir sur la lutte, tout cela est une nécessité. Derrière le mécontentement qui se renforce, la lente et difficile maturation de la conscience reste autant marquée par la fragilité que semée d’embûches. Mais la patience et la lucidité restent les principales vertus des révolutionnaires.
Stopio, 16 novembre 2018
1) À l’heure où nous mettons sous presse, la mobilisation des “gilets jaunes”, initiée sur les réseaux sociaux, s’apprête à mener des actions de blocage, le samedi 17 novembre, notamment contre la flambée des prix du carburant. Ce mouvement apparaît comme l’expression d’une immense colère de la population. Mais par son caractère protéiforme, il est déjà comparé à une sorte de “jacquerie” du même genre que la mobilisation des “bonnets rouges” en Bretagne. Par son “apolitisme” affiché et ses appels à la “mobilisation citoyenne”, largement relayés par les médias, ce mouvement se situe non pas sur le terrain de la lutte de la classe ouvrière mais sur celui sur de l’inter-classisme et de l’idéologie petite-bourgeoise. La présence d’ouvriers en son sein se fait davantage sur la base d’initiatives individuelles d’ “automobilistes excédés” que sur celle de prolétaires conscients, capables d’imposer un combat de classe autonome. De ce fait, ce mouvement est non seulement sujet à toutes formes de récupérations politiques, mais il apparaît comme une nébuleuse confuse dans laquelle la petite-bourgeoisie est souvent à l’initiative et marque de son idéologie bon nombre d’actions et de revendications. Même si Macron et le gouvernement semblent préoccupés par les questions de sécurité et si la bourgeoisie s’inquiète des difficultés pour encadrer cette colère qui navigue à vue, la classe ouvrière est la seule force sociale capable de faire reculer l’État. Face aux offensives anti-ouvrières, seul le prolétariat peut en effet offrir une réelle perspective.
2) Lire : “Lutte des ouvriers de la SNCF: un collectif d’ouvriers tire le bilan”, RI n° 472.